III. LE ROYAUME-UNI : UN RÉGIME SPÉCIFIQUE TRÈS FAVORABLE, SANS CONTREPARTIE EN MATIÈRE DE DÉCLARATION

A. L'INADAPTATION DES RÈGLES ACTUELLES : UN CONSTAT PARTAGÉ

Le Royaume-Uni s'est doté, ces dernières années, d'un régime fiscal spécifique particulièrement favorable pour les revenus tirés par les particuliers de leurs activités sur des plateformes en ligne.

Cette évolution découle d'un constat qui vaut aussi bien pour le Royaume-Uni que pour la France : « la croissance rapide de l'économie numérique et de l'économie du partage permet à de plus en plus de gens de devenir micro-entrepreneurs. Cependant, pour ceux d'entre eux qui ne perçoivent que de petits revenus complémentaires de ces ventes, services ou locations, les règles fiscales actuelles peuvent sembler intimidantes ou complexes 105 ( * ) ».

B. 1 000 LIVRES, 1 000 LIVRES ET 7 500 LIVRES : TROIS ABATTEMENTS CUMULATIFS ET SANS CONTREPARTIES

La loi de finances britannique de mars 2016 a créé deux abattements de 1 000 livres sterling, cumulatifs, sur les revenus de l'économie des plateformes en ligne ( sharing economy 106 ( * ) ), dont peuvent bénéficier tous les particuliers et travailleurs indépendants. Les revenus inférieurs à ces seuils, entièrement exonérés d'impôt sur le revenu ( income tax ), n'ont plus à être déclarés. Ces abattements sont les suivants :

- 1 000 livres sterling sur les revenus tirés de ventes de biens ou de prestations de services ;

- 1 000 livres sterling sur les revenus locatifs , comme la location d'un appartement sur Airbnb , mais aussi d'une résidence secondaire, d'un garage ou d'un espace de stockage.

À ces deux abattements transversaux s'ajoute un abattement spécifique de 7 500 livres sur les revenus issus de la location d'une pièce ou d'une chambre d'une résidence principale 107 ( * ) . Cet abattement a été créé en avril 2014 à hauteur de 4 250 livres sterling, et doublé dès l'année suivante.

Lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2016, le chancelier de l'Échiquier, George Osborne, a estimé que ces mesures constituaient « le premier avantage fiscal pour l'économie collaborative dans le monde 108 ( * ) ».

C. UN AVANTAGE DISPROPORTIONNÉ ?

La création de ces abattements, qui dans leur principe obéissent à la même logique que la proposition du groupe de travail, soulève cependant d'importantes réserves du groupe de travail quant à leur caractère très favorable et dépourvu de contreparties déclaratives .

Il s'agit d'une orientation parfaitement assumée : au cours des entretiens menés par le groupe de travail, notamment avec des responsables politiques, il est apparu que le Gouvernement britannique entendait créer un environnement réglementaire et fiscal très favorable à l'économie collaborative , en allégeant au maximum les contraintes pesant sur les plateformes et leurs utilisateurs. L'association représentative des plateformes en ligne, la SEUK ( Sharing Economy UK ), a d'ailleurs estimé que ces mesures représentaient « une colossale victoire pour la Grande-Bretagne » - une opinion que ne partageaient pas, notamment, les représentants du secteur hôtelier. Cette initiative doit se comprendre dans le contexte plus général des suites du référendum du 23 juin 2016 sur la sortie du pays de l'Union européenne, après lequel de fortes baisses d'impôt sur les sociétés et des mesures de dérégulation ont été annoncées.

Plus précisément, le caractère très favorable du régime britannique tient à la combinaison de deux éléments :

- d'une part, il s'agit d'abattements supplémentaires , et non pas, comme dans la proposition du groupe de travail, d'abattements alternatifs aux abattements de droit commun, qui s'annuleraient pour les personnes dont le revenu est significatif (cf. supra ). En d'autres termes, ils reviennent à exonérer entièrement un revenu pouvant atteindre jusqu'à 9 500 livres par an , pour peu que celui-ci soit perçu via une plateforme, et ceci quel que soit le revenu annuel du contribuable par ailleurs. Cette mesure, non ciblée sur les compléments de revenus occasionnels ou accessoires , pourrait donc constituer une concurrence déloyale importante au détriment des secteurs traditionnels, ainsi qu'une perte de recettes substantielle pour le Trésor public ;

- d'autre part, ces abattements sont accordés sans contrepartie de déclaration automatique, ou même d'obligation d'information, ce qui rend le système potentiellement très permissif . Les formalités déclaratives incombant au contribuable, celui-ci pourrait ainsi être incité à déclarer les seuls revenus inférieurs au montant cumulé des abattements, bénéficiant ainsi d'une exonération d'impôt tout en réduisant l'ampleur d'un éventuel redressement. Lors des entretiens conduits par le groupe de travail, il est apparu que la déclaration automatique, quoique considérée par plusieurs responsables de l'administration fiscale et avocats fiscalistes comme « le moyen le plus efficace de collecter l'impôt » et une « solution inévitable à terme », suscitait à ce stade trop de réticences chez les plateformes comme chez les contribuables pour être envisagée.

Ces raisons ont conduit le groupe de travail à préférer un avantage fiscal ciblé sur les petits compléments de revenus accessoires et occasionnels, et dont le bénéfice serait ouvert aux seuls contribuables qui acceptent la déclaration automatique.

Il convient toutefois de souligner que l'administration fiscale britannique se montre en revanche très ambitieuse en matière de lutte contre la fraude à la TVA sur les plateformes de commerce en ligne . La même loi de finances britannique pour 2016 a ainsi introduit un nouveau régime de responsabilité solidaire des plateformes dans le paiement de la TVA ( joint and several liability ) due par les vendeurs établis dans des pays tiers ( overseas businesses , hors Union européenne) qui vendent des biens à des consommateurs britanniques.

La responsabilité solidaire des plateformes de commerce en ligne en matière de TVA

La procédure prévue comporte trois volets successifs :

1. Par l'intermédiaire des plateformes, l'administration peut demander aux vendeurs en ligne de pays tiers qui semblent être des professionnels de désigner un représentant fiscal au Royaume-Uni, responsable du paiement de la TVA à la place du vendeur ou solidairement avec lui ( joint and several liability ) ;

2. Si la TVA n'est pas payée sous 30 jours, ou si le représentant fiscal n'est pas désigné, l'administration peut considérer la plateforme comme distinctement et solidairement redevable de la TVA à la place du vendeur ou solidairement avec lui ;

3. Les entrepôts ( fulfilment centres ) situés au Royaume-Uni qui stockent des biens vendus par des vendeurs de pays tiers auront, d'ici 2018, l'obligation de mettre en oeuvre certaines « diligences » afin de s'assurer du paiement de la TVA . Les instructions détaillées ( Fulfilment House Due Diligence Scheme ) ont été publiées en décembre 2016.

Source : commission des finances du Sénat


* 105 Source : HM Revenue & Customs , 16 mars 2016. Traduction commission des finances.

* 106 Le terme de « sharing economy » est employé au Royaume-Uni dans une acception très large, et couvre en pratique l'économie des plateformes en ligne.

* 107 Pour mémoire, un « hôte type » Airbnb à Londres gagne 3 250 livres sterling par an.

* 108 Source : HM Revenue & Customs , 16 mars 2016. Traduction commission des finances.