N° 240

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 janvier 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la poursuite de la réforme de l' expertise internationale française ,

Par M. Jean-Pierre VIAL et Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Robert del Picchia, Thierry Foucaud, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Cédric Perrin, Gilbert Roger , vice-présidents ; M. Olivier Cigolotti, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Rachid Temal , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Olivier Cadic, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

LES PRINCIPALES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Les principales conclusions de la commission

Il est nécessaire de déterminer les modalités d'une fusion, au sein d'Expertise France, des opérateurs d'expertise spécialisés suivants : Civipol, JCI, ADECIA et FVI, ainsi que de prévoir la signature de conventions entre leurs ministères de tutelle et Expertise France.

La coopération entre l'AFD et Expertise France doit d'abord se traduire par la mise en oeuvre effective des dispositions de l'accord de partenariat de novembre 2015 et du document stratégique conjoint de juin 2017, prévoyant en particulier qu'en matière de gouvernance, la part des financements de projets d'Expertise France en provenance de l'AFD s'élève à 25 millions d'euros.

Parallèlement, une fois le modèle d'Expertise France ainsi consolidé, pourront être déterminées les modalités d'un rapprochement entre l'AFD et Expertise France, qui aura vocation à intervenir dans un second temps s'il crée des synergies : mutualisation du réseau local, développement d'une offre conjointe financement/expertise, etc. Un tel rapprochement ne sera cependant créateur de valeur que si les modalités retenues préservent les atouts spécifiques d'Expertise France : capacité à contracter avec l'ONU et avec les États étrangers au nom de la France, accès aux bailleurs internationaux, rapidité d'intervention et agilité, champ d'intervention géographique et sectoriel large, incluant notamment le continuum sécurité-développement, enfin lien privilégié avec les administrations françaises.

I. LA RÉFORME DE L'EXPERTISE TECHNIQUE INTERNATIONALE FRANÇAISE : UN BILAN POSITIF, UN CHANTIER À MENER À SON TERME

En 2014, six opérateurs ont été fusionnés pour former Expertise France. L'objectif de cette réforme, qui était de rassembler l'équipe France de l'expertise, n'est aujourd'hui que partiellement atteint. En février 2018, au moins 7 opérateurs spécialisés, compétents en matière d'expertise internationale, subsistent toujours aux côtés de l'agence généraliste. Cette situation comporte de nombreux inconvénients.

A. LE NOUVEL OPÉRATEUR EXPERTISE FRANCE S'EST DÉVELOPPÉ RAPIDEMENT

1. Expertise France est devenu l'opérateur français d'expertise technique de référence au niveau européen
a) Une réforme impulsée par le Sénat en 2014, qui a conduit à une fusion partielle des opérateurs d'expertise français

Le 14 décembre 2012, le rapport du sénateur Jacques Berthou sur le contrat d'objectifs et de moyens de France expertise internationale (FEI) préconisait une réforme rapide et ambitieuse de l'expertise technique française internationale . Il s'agissait de remédier à l'éparpillement de l'expertise technique, chaque ministère ayant son service ou son organisme rattaché chargé de faire bénéficier les pays en développement de son savoir-faire, et ainsi de doter l'expertise française d'une crédibilité et d'une « force de frappe » qui lui faisait défaut dans un environnement de plus en plus concurrentiel. La France serait ainsi dotée d'un pôle de financement avec l'AFD et d'un pôle en charge de l'expertise technique issu de la fusion des opérateurs ministériels, un peu dans l'esprit du modèle allemand où la KFW et la GIZ, respectivement banque de développement et opérateur de coopération technique, se complètent et additionnent leurs forces.

Un amendement de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale est ainsi venu modifier la loi du 27 juillet 2010 1 ( * ) relative à l'action extérieure de l'Etat en créant un nouvel établissement public industriel et commercial, l'Agence française d'expertise technique internationale. A la suite du décret n°2014-1656 du 29 décembre 2014 pris en application de la loi du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale, Expertise France a donc été créée le 1 er janvier 2015 par le regroupement de six opérateurs : France expertise internationale (auparavant GIP France coopération internationale), et les groupements d'intérêt économique GIP Esther, GIP Inter, GIP SPSI, ADECRI et Adetef.

La loi du 7 juillet 2014 précise par ailleurs qu'Expertise France a vocation à rassembler au 1 er janvier 2016 l'ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique. Elle crée également un Délégué interministériel à la coopération technique internationale (DICTI) nommé pour trois ans renouvelables, qui doit préparer la création d'Expertise France, présider son conseil d'administration et coordonner de manière stratégique et opérationnelle les actions publiques de coopération techniques. Le DICTI doit préparer l'achèvement de la fusion des opérateurs, deuxième phase de la réforme.

Toutefois, le rassemblement des autres opérateurs d'expertise n'est pas effectué à ce jour (début 2018). Le mandat du DICTI, caduc en juillet 2017, n'a pas été renouvelé. Subsistent ainsi à côté d'Expertise France des opérateurs dans la sphère de la sécurité (Civipol, adossé au ministère de l'intérieur), de la justice (JCI - Justice coopération internationale , adossé au ministère de la justice), de l'agriculture (ADECIA- Agence pour le développement de la coopération internationale dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux - et FVI - France vétérinaires international- , adossés au ministère de l'agriculture et de l'alimentation), de l'éducation (le Centre international d'études pédagogiques (CIEP), la Société française d'exportation des ressources éducatives (SFERE), des médias et du journalisme (Canal France International - CFI), auxquels il faut ajouter l'ENA, qui conduit une importante activité de coopération internationale. Certains de ces opérateurs sont en concurrence sur certains projets avec Expertise France. Enfin, certains ministères délèguent certaines actions de coopération internationale à Expertise France mais en gardent le pilotage.

Une « Alliance des opérateurs » regroupe l'ensemble de ces organismes à l'exception de CFI sous l'égide d'une charte de bonne conduite et de compétitivité élaborée en juillet 2015.

b) Un développement rapide de l'activité d'Expertise France
(1) Une agence d'expertise généraliste

Expertise France, qui compte 270 salariés au siège à Paris, intervient dans plus de 100 pays avec plus de 500 projets, a ainsi atteint une taille critique, bien supérieure à celle des opérateurs fusionnés et à celle des opérateurs indépendants subsistants à ses côtés. Cette taille critique lui permet d'être l'interlocuteur privilégié pour les opérateurs internationaux et de développer une offre d'expertise transversale apte à répondre à des appels à projets de plus en plus complexes, notamment dans le domaine du continuum sécurité-développement. Expertise France met notamment en oeuvre des « offres intégrées » (pour la MINUSMA et le G5 Sahel) dans le cadre desquelles elle sous-traite la fourniture de biens et de services à des entreprises, notamment françaises.

En outre, Expertise France est le seul opérateur d'Expertise agréé par la Commission européenne pour la gestion déléguée des fonds de l'Union européenne pour la coopération internationale (projets par gestion indirecte ou « PAGoDA »- Pillar assessed grant or delegation agreement), ayant pris la suite d'ADETEF et FEI qui possédaient déjà cet agrément 2 ( * ) .

Les liens privilégiés avec l'Union européenne, en particulier à travers la gestion déléguée et les jumelages, ont une importance stratégique pour EF dans la mesure où l'UE est le premier contributeur mondial à l'APD et où la mise en oeuvre d'une partie des financements européens par EF permet de valoriser l'importante contribution française aux fonds européens et de disposer ainsi d'un effet de levier important pour l'expertise française. EF a ainsi récemment obtenu la mise en oeuvre d'un projet d'appui au déploiement de la force du G5 Sahel d'un montant de 50 millions d'euros sur 18 mois .

Expertise France est également un opérateur reconnu auprès des Nations unies, notamment dans le domaine de l'intervention post-crises, comme en témoigne sa mission de soutien logistique à la MINUSMA.

L'opérateur a par ailleurs démontré sa capacité à intervenir selon une grande diversité de modalités :

-des appels d'offre nationaux ou internationaux ;

-des projets bilatéraux de gré à gré par le biais de la commande publique française en provenance des ministères ;

-la gestion des experts techniques internationaux (ETI) ;

-les jumelages entre des administrations publiques françaises et des administrations étrangères (concurrentiels à la suite d'appels d'offre européens auxquels les administrations répondent. Les administrations assurent ensuite le pilotage des projets, dont EF assure la gestion et, s'il y a lieu, la coordination inter-ministérielle) ;

-l'ingénierie de projets et d'appels à projets, en particulier dans le cadre de l'initiative 5% du Fonds mondial.

(2) Une progression du chiffre d'affaires conforme au contrat d'objectifs et de moyens (COM)

Un des objectifs de la création d'EF était l'augmentation de la part française sur le marché de la coopération technique internationale, marché en croissance rapide. La croissance du chiffre d'affaire constitue à cet égard le premier critère de succès de la nouvelle agence.

A sa création en 2015, le chiffre d'affaires d'Expertise France était d'environ 115 millions d'euros (hors subvention d'équilibre de 3 millions d'euros et aides en nature issues des entités fusionnées, valorisées à 5,6 millions d'euros avant la fusion et qui se sont progressivement éteintes en 2015-2016). En 2016, le CA est passé à 121 millions d'euros, et devrait atteindre 153 millions d'euros en 2017, ce qui représente une croissance de 35 % par rapport à celui des opérateurs fusionnés en 2014. Ce montant est conforme à l'objectif fixé par le COM.

L'essentiel de la croissance de l'activité est issue des contrats pluriannuels obtenus sur financements multilatéraux (62% du chiffre d'affaires), qui progressent de 15% entre 2015 et 2016. La commande publique de l'Etat a également augmenté, par le biais de programmes gérés par la direction générale du Trésor, le ministère des affaires étrangères et le ministère des solidarités et de la santé, ainsi que du transfert à Expertise France de la gestion des experts techniques internationaux (ETI).

Au total, au budget révisé 2017, les financements issus du bailleur européen représentent 45% du chiffre d'affaires de l'agence, les offres intégrées (MINUSMA) 10%, l'initiative 5% représente 10%, la commande publique 11% et l'AFD 9% (pour l'ensemble des projets sur financements AFD, soit 14,1 millions d'euros ; les projets gouvernance représentant 4,6 millions d'euros).

Le COM fixe pour 2020 un objectif de 216 millions d'euros de chiffre d'affaires , ce qui exigera une croissance plus forte sur la période 2017-2020 (+63 millions d'euros) que celle observée entre 2017 et 2017 (+40 millions d'euros). Cet objectif semble toutefois atteignable. En effet, d'une part, l'agence dépasse déjà en 2017 l'objectif fixé en matière de contrats pluriannuels standard, avec un montant de 109,9 millions d'euros. En outre, la montée en puissance du transfert de la gestion des ETI par le ministère des affaires étrangères et par l'AFD devrait permettre d'atteindre 34 millions d'euros par an supplémentaires en régime de croisière. Une autre source potentielle de croissance du chiffre d'affaires réside dans l'amélioration de la coopération avec l'AFD, les projets en lien avec celle-ci dans le domaine de la gouvernance, qui représentent 4,6 millions d'euros en 2017, devant théoriquement atteindre 25 millions d'euros en régime de croisière.

Un apport supplémentaire est également attendu de la transformation de l'initiative 5% en initiative 7% (+7 millions d'euros par an de chiffre d'affaires). L'ensemble de ces réservoirs de croissance est ainsi susceptible de permettre à Expertise France de gagner les 63 millions d'euros annuels de chiffre d'affaires supplémentaires qui lui permettraient d'atteindre la cible fixée par le COM pour 2020.

Notons qu'à la fin de 2016, l'agence atteint également les objectifs géographiques du COM, avec une orientation de 57% de son activité vers l'Afrique subsaharienne (cible du COM : 50%), 25% vers le voisinage européen (cible de 20%), ainsi que l'objectif de résultat net dégagé (-6 millions d'euros en 2016) et la maîtrise des charges de structure et du taux de marge brut opérationnelle.

2. Un modèle économique singulier
a) L'idée d'un opérateur « autofinancé »

L'objectif double qui a présidé à la création d'Expertise France était d'augmenter la part de la France sur le marché de l'expertise internationale, tout en n'augmentant pas, voire en diminuant les dépenses budgétaires liées à cette activité d'expertise, du moins après une période transitoire où EF devait recevoir une subvention de transformation (9 millions d'euros perçus entre 2015 et 2019). D'une part, en effet, la multiplicité des opérateurs était perçue comme une situation probablement génératrice de coûts inutiles que la création d'Expertise France allait permettre de supprimer, d'autre part, la situation budgétaire globalement très contrainte du secteur public interdisait de prévoir de nouveaux financements importants au bénéfice de la coopération internationale, comme en témoignait d'ailleurs la diminution tendancielle des crédits d'aide au développement au sein du budget de l'Etat.

Selon le modèle économique ainsi retenu pour l'agence, Expertise France devait, afin d'assurer sa rentabilité, s'efforcer de capter le maximum de financements de toutes natures, notamment auprès des organisations internationales, tout en maîtrisant ses coûts et en ne recevant de l'Etat que les sommes nécessaires à la mise en oeuvre de la commande publique (sans subvention de fonctionnement). En somme, la création d'Expertise France devait permettre d'étendre l'influence française, de valoriser les montants versés par la France aux organismes internationaux et à l'Union européenne en matière d'aide au développement au profit des opérateurs et, si possible, des entreprises françaises, tout en coûtant un minimum au budget national .

Ce modèle comporte une ambiguïté sur les relations entre Expertise France et les ministères à l'origine de la commande publique en matière d'expertise. En effet, EF est censée assurer sa rentabilité en développant au maximum ses activités en réponse à des appels d'offre ou à des programmes dirigés par les bailleurs internationaux (au premier rang desquels l'Union européenne), tout en continuant à répondre de manière efficace aux demandes des administrations nationales pour lesquelles la coopération internationale représente un levier d'influence et éventuellement de coopération opérationnelle (par exemple dans le domaine de la sécurité intérieure et de la justice). Or, en développement au maximum ses actions sur fonds multilatéraux, EF peut donner l'impression aux administrations qu'elle s'éloigne de leurs attentes et de leurs préoccupations. Les priorités d'intervention des bailleurs multilatéraux ne sont en effet pas nécessairement les mêmes que celles des ministères.

En outre, il est en réalité difficile pour Expertise France de dégager sur l'ensemble de ses activités, même appuyées sur les bailleurs internationaux, une marge suffisante pour atteindre l'équilibre financier, notamment du fait des zones géographiques où le COM prévoit qu'elle doit orienter son activité (Afrique subsaharienne en particulier), d'autant que les projets bilatéraux de la commande publique n'ont pas non plus une rentabilité très forte.

b) Des efforts de productivité importants

Afin d'atteindre cet équilibre économique, Le COM prévoit qu'Expertise France accomplisse « des efforts de productivité importants, tant dans les fonctions opérationnelles que dans les fonctions supports, tout en sécurisant la montée en puissance de l'agence ».

Expertise France s'est ainsi notamment appuyée sur une augmentation de la taille de ses projets . Entre 2015 et 2016, l'opérateur a doublé le nombre de projets générant plus de 1 million d'euros d'activité (de 10 à 20 projets environ).

Par ailleurs, EF négocie avec les bailleurs pour augmenter la masse salariale refacturable au réel sur les projets. Celle-ci atteint ainsi 4,4 millions d'euros au budget révisé 2017, soit + 2,84 millions d'euros par rapport à 2015.

Enfin, EF a accompli des efforts pour maîtriser ses charges de structure, les recrutements ayant eu lieu en majorité à la direction des opérations.

c) Des missions qui correspondent aux objectifs fixés par le COM mais qui ne permettent pas toujours de dégager des marges suffisantes

Malgré ces efforts, la marge dégagée par l'agence sur son activité ne lui permet pas encore de financer son fonctionnement.

La marge brute opérationnelle dégagée par Expertise France est de l'ordre de 14 millions d'euros hors commande publique en 2016, pour des coûts de fonctionnement (charges de personnel et autres charges de fonctionnement) de la structure de l'ordre de 22 millions d'euros. L'écart est couvert par la marge dégagée sur les crédits de commande publique et par la subvention de transformation versée à l'opérateur.

De par les missions qui lui sont confiées par le COM, Expertise France n'a pas orienté son activité vers les projets permettant de dégager le plus fort taux de marge. En effet, au sein des contrats pluriannuels standards, ce sont les appels d'offre et les appels à projet qui permettent de dégager une marge permettant de couvrir les charges actuelles d'EF (environ 19%), mais ils ne représentent que 21,4% du chiffre d'affaires de l'agence. Les projets en gré à gré et les projets sur gestion déléguée de crédits de l'Union européenne, qui constituent les principales sources d'activité de l'agence (38% du CA en 2016) ne permettent pas de dégager une marge suffisante.

En ce qui concerne plus particulièrement les missions en provenance de l'Union européenne, premier financeur d'EF, le taux de marge dégagé sur ces missions est faible, du fait en particulier de la faiblesse des frais de gestion prévus pour la gestion déléguée (PAGODA). La situation a toutefois connu une amélioration progressive grâce aux efforts de refacturation d'une partie de la masse salariale du siège accomplie par EF. Selon EF toutefois, le taux de refacturation ne pourra sans doute pas augmenter davantage. Lors de leur déplacement en Allemagne, vos rapporteurs ont pu constater que la GiZ rencontrait les mêmes difficultés qu'EF sur cette question de la rentabilité de la gestion déléguée . Toutefois, contrairement à ce qui se passe pour l'opérateur français, il semble que la GiZ puisse bénéficier d'un mécanisme par lequel le ministère de la coopération internationale allemand assure le soutien nécessaire lorsque la gestion déléguée ne permet pas d'atteindre l'équilibre économique. Il en va de même pour l'opérateur belge (CTB).

Par ailleurs, les taux de marge dégagés sur la commande publique sont les plus faibles, les jumelages étant particulièrement peu rémunérateurs. L'initiative 5% dégage une marge également faible. Les offres intégrées (projets MINUSMA et G5 Sahel pour 15,3 millions d'euros au BR 2017, soit 10% du chiffre d'affaires de l'agence), contribuent davantage à l'équilibre économique de l'agence.

EF aurait pu tirer les conclusions de ces différences de rentabilité en réorientant son activité massivement vers les appels d'offre et les appels à projet et en délaissant la gestion déléguée des fonds européens voire une partie des missions anciennement déléguées par les ministères aux opérateurs préexistants à la création de l'agence. L'opérateur aurait également pu réorienter géographiquement son activité vers des zones potentiellement plus rémunératrices que l'Afrique sub-saharienne où elle concentre pour le moment la majorité de ses interventions, comme par exemple les pays émergents d'Asie et d'Amérique du Sud

Une telle évolution serait cependant entrée en contradiction avec les objectifs fixés par le COM. Ainsi, l'importance donnée aux projets en gestion déléguée permet à l'agence, conformément à celui-ci, de renforcer sa visibilité au sein de l'Union européenne, dont les crédits de coopération sont très importants. En outre, Expertise France a su préserver les coopérations bilatérales et les jumelages des anciens opérateurs des ministères, même lorsque leur rentabilité n'était pas assurée. Enfin, le COM prévoit, comme il a déjà été indiqué, qu'au moins 50% des activités de l'agence sont dirigées vers l'Afrique subsaharienne.

d) Un modèle qui ne peut pas fonctionner sans un financement public stabilisé et une amélioration des relations avec les administrations

L'ensemble de ces éléments relatifs à la rentabilité des projets et aux contraintes parfois difficiles à concilier qui enserrent l'activité d'EF conduisent à poser la question de la viabilité de son modèle économique caractérisé par une contribution réduite des financements budgétaires français.

La comparaison avec les organismes semblables dans les autres pays européens permet de mettre en lumière la singularité de la situation d'Expertise France, la plupart des autres grands opérateurs recevant une proportion de fonds publics nationaux beaucoup plus importante , que ce soit sous forme de subventions de fonctionnement couvrant tout ou partie des frais administratifs et de personnel de la structure, ou sous forme de dotations opérationnelles (commande publique).

Ainsi, 92% de l'activité de la GiZ est financée par le ministère allemand de la coopération (BMZ). Comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement à Francfort, le volume de financement en provenance du ministère (1,9 milliards d'euros en 2016) permet à la GiZ de disposer d'une stabilité et d'une visibilité à long terme de ses financements indispensables pour une structure qui emploie 18 000 personnes dans 130 pays. L'agence de coopération technique belge, la CTB, reçoit également 96,6% de ses revenus de l'Etat belge. L'agence suédoise (SIDA) est pour sa part intégralement financée par le Gouvernement suédois. L'agence italienne (AICS) est financée à 85% pour le gouvernement italien, dont une importante subvention de fonctionnement. Enfin, avec un montant de 51 millions d'euros, le ministère des affaires étrangères néerlandais est le premier financeur de l'agence néerlandaise de coopération SNV.

S'agissant d'Expertise France, on observe plutôt un déficit de visibilité de l'évolution des moyens dévolus à la commande publique, alors que les contributions publiques nationales constituent la deuxième recette d'EF (11% du chiffre d'affaires au budget 2017 et 35% à l'horizon 2020 si achèvement du transfert de la gestion des ETI par la MAE et par l'AFD à Expertise France et avec le passage à 7% de l'Initiative 5%). Ainsi, les ministères sociaux, qui passaient avant la réforme par les GIP Esther et Inter, adressent une commande publique d'un montant de 2,55 millions d'euros à EF en 2017, en baisse de 15% par rapport à 2015.

De même, le financement par l'AFD ne s'est pas autant développé que souhaité (cf. ci-après).

3. Des chantiers internes encore en cours

Expertise France n'a pas encore achevé sa construction et doit encore améliorer son organisation et son fonctionnement sur plusieurs points.

L'agence a dû mener du front le chantier de l'unification des opérateurs, avec toutes les difficultés de rapprochement des modes de fonctionnement et des cultures administratives impliquées par la diversité de ces organismes, et celui de la recherche des projets. La situation sociale au sein de l'agence est marquée par de fortes tensions. Les salariés ont du passer d'une logique de prestations en faveur des ministères à une logique de recherche de projets, sans qu'EF ait disposé de tous les outils nécessaires à ce changement de métier.

La plus grande partie du travail d'harmonisation salariale a été conduite entre 2015 et 2017 mais il subsiste encore des différences de salaires issues des opérateurs préexistants. La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) reste encore à mener.

Par ailleurs, l'agence ne s'est dotée d'outils informatiques unifiés que progressivement et la mise en place d'un outil de gestion de projets est encore en cours.

En outre, le pilotage financier est encore insuffisant : maîtrise des risques financiers, déploiement d'un outil de comptabilité permettant de calculer les coûts complets et les marges nettes, achèvement du déploiement de l'audit et du contrôle interne, afin notamment de répondre à l'échéance de l'accréditation européenne en 2019, tels sont les chantiers que l'agence doit impérativement mener à bien.

4. Une nécessaire amélioration des relations avec les ministères

Comme il a déjà été indiqué, il a été demandé à Expertise France à la fois de se développer en répondant aux appels d'offre et appels à projets des bailleurs internationaux, tout en continuant à assurer les missions des anciens opérateurs pour le compte des ministères et à répondre à leurs priorités, ce qui est parfois contradictoire ou du moins difficile à concilier. Les ministères ont donc pu exprimer certaines critiques à l'égard d'EF : manque de visibilité et d'information sur les projets, manque d'association au choix de l'expertise par l'opérateur.

Par ailleurs, EF a été mis en place avec un système de gouvernance trop complexe . D'abord, malgré la présence des représentants des ministères dans un conseil d'administration nombreux, une véritable comitologie a été mise en place pour élaborer les orientations stratégiques dans le domaine de la coopération internationale : outre le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), organe d'impulsion interministériel, et le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), organe de concertation avec la société civile, le Comité d'orientation relatif au développement de l'expertise technique publique et privée (CODOR) présidé par le DICTI et comprenant 37 membres, a été créé par la loi du 7 juillet 2014 pour se substituer au conseil d'orientation de FEI. Le CODOR est organisé en sous-comités sectoriels constitués en parallèle des 6 départements thématiques de l'agence (gouvernance démocratique et droits humains, gouvernance économique et financière, stabilité-sûreté-sécurité, développement durable, santé, protection sociale-emploi), regroupant chacun 20 membres proposés par les ministères concernés et dont EF assure le secrétariat. Ces sous-comités n'ont été mis en place que tardivement et le CODOR ne s'est réuni qu'une fois, en mai 2017.

Par ailleurs, le conseil d'administration (CA) d'EF est présidé par le DICTI et comprend 18 autres membres délibérants. Il est ouvert, à titre d'observateurs, aux représentants de six ministères ainsi qu'à l'AFD. Le directeur général de la mondialisation (MEAE) et le chef de service des affaires bilatérales et de l'internationalisation des entreprises de la Direction générale du Trésor sont placés auprès de l'établissement en qualité de commissaires du Gouvernement. Le CA réuni peut ainsi compter jusqu'à 28 participants.

En outre, l'initiative des nominations des responsables des départements thématiques de l'agence est confiée par la loi du 7 juillet 2014 aux ministères.

Le COM, sur lequel délibère le CA, est négocié par le directeur général qui est responsable de son exécution dont il rend compte aux ministres de tutelle.

Les ministères exercent également leur contrôle par le biais de conventions bilatérales avec EF , prévues en ces termes par la loi du 7 juillet 2014 : « EF établit des conventions cadres avec les ministères et les organismes concernés par la mise à disposition ou le détachement d'experts publics ». Le décret n°2014-7656 du 29 décembre 2014 est allé plus loin en prévoyant la possibilité que les conventions portent, pour chaque ministère, sur la mise en oeuvre des orientations du COM qui lui correspondent ainsi que sur les moyens nécessaires à cette mise en oeuvre.

Ont ainsi été signées :

-le 4 avril 2016, une convention cadre avec le ministère de l'économie et des finances ;

-le 27 juillet 2016, une convention cadre avec le ministère des affaires étrangères.

Le secrétariat général des ministères sociaux a également signé une convention.

Force est de constater que l'ensemble de ces mécanismes, destinés en partie à rassurer les administrations sur leur capacité à conserver une bonne visibilité sur la coopération internationale dans leur secteur, n'ont pas totalement atteint cet objectif . En revanche, leur lourdeur affecte la capacité de l'établissement à exercer son autonomie et le mobilisent pour partie sur des taches qui ne contribuent pas directement à la promotion de l'expertise française à l'international.

Ceci conduit vos rapporteurs à estimer qu'un toilettage de la loi du 7 juillet 2014 est nécessaire, notamment pour supprimer les fonctions de délégué interministériel à la coopération technique internationale (DICTI) et créer une fonction de président du conseil d'administration plus classique pour un EPIC (donc sans fonctions exécutives) ainsi que pour simplifier quelque peu la comitologie qui enserre Expertise France .


* 1 Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat

* 2 L'agrément d'Expertise France est toutefois provisoire et ne sera renouvelé qu'à la suite d'un audit qui devrait avoir lieu en 2019. Ce renouvellement suppose que l'agence mène à bien ses chantiers internes, notamment en ce qui concerne le suivi opérationnel et financier des projets.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page