B. VERS UN RAPPROCHEMENT AFD / EXPERTISE FRANCE ?

1. Un nécessaire approfondissement de la coopération

L'AFD, comme les bénéficiaires de ses financements, ont parfois recours à de l'expertise technique dans le cadre de l'instruction, de la mise en oeuvre ou du suivi de l'exécution des projets, sous la forme d'assistance à maitrise d'ouvrage, de maîtrise d'oeuvre, d'assistance technique, de renforcement des capacités. Par ailleurs, l'AFD et Expertise France sont toutes deux agréées pour la gestion des fonds délégués de l'Union européenne. En outre, les zones d'intervention privilégiées des deux opérateurs, qui découlent des demandes des tutelles, se recoupent également largement (Afrique subsaharienne et pays francophones, en particulier Sahel).

Il y aurait donc une logique évidente à ce que l'AFD et Expertise France coopèrent davantage qu'actuellement.

Toutefois, comme vos rapporteurs l'ont déjà évoqué, les relations entre les deux opérateurs sont actuellement complexes. D'un côté, Expertise France souhaiterait se voir confier davantage de financements de l'AFD en gré à gré pour mettre en oeuvre de l'expertise technique, en particulier en matière de gouvernance, conformément à l'accord signé entre les deux entités fin 2015. De l'autre, l'AFD éprouve des difficultés à mettre en oeuvre cet accord du fait de sa culture (voire son ADN, tant cette caractéristique est fondatrice pour l'agence) de la « non-substitution ». Celle-ci la conduit en effet à privilégier systématiquement la mobilisation de partenaires locaux dans les pays en voie de développement, par le biais de mises en concurrence, et non à faire appel à des agences d'expertise publique ayant au contraire une culture de la mise en oeuvre directe. Or, selon vos rapporteurs, il arrive pourtant que la situation du pays d'intervention impose naturellement cette dernière solution.

2. D'abord : appliquer les décisions de 2015 et achever le rassemblement des opérateurs

Avant toute autre évolution, il nous paraît indispensable que les termes de l'accord de 2015 entre Expertise France et l'AFD soient mis en oeuvre . A peine 5 millions d'euros de financements gouvernance confiés à Expertise France sur les 25 millions prévus, c'est nettement insuffisant ! Il y a là clairement, comme l'a confirmé le directeur général de l'AFD lors de son audition par vos rapporteurs, un blocage culturel qu'il est nécessaire de surmonter. Dans certains pays, notamment au Sahel, les administrations publiques ont parfois besoin de l'assistance technique que peut leur fournir Expertise France. C'est vrai en matière de gouvernance, mais aussi en matière de continuum sécurité-développement ou d'agriculture.

Il s'agit donc d'abord pour les deux agences de démontrer qu'elles peuvent travailler de concert sur des projets communs, élaborés en commun.

Selon vos rapporteurs, ce n'est que lorsque cet accord de 2015 aura enfin été mis en oeuvre de manière plus satisfaisante qu'un rapprochement organique pourra être envisagé.

De même, l'achèvement de la fusion des opérateurs d'expertise constitue un préalable à ce rapprochement organique, notamment parce qu'il sera beaucoup plus difficile d'organiser des relations étroites et confiantes entre les ministères pourvoyeurs d'expertise (intérieur, justice et agriculture) et Expertise France si cette dernière est focalisée sur les étapes de son rapprochement avec l'AFD.

La mise en oeuvre plus complète de l'accord de 2015 et l'achèvement de la fusion des opérateurs permettront ainsi aux deux agences de démontrer leur capacité à coopérer de manière équilibrée, en respectant mutuellement leurs spécificités.

3. Développer des synergies

Le rapprochement qui pourra avoir lieu dans un second temps aura d'abord pour objectif de développer des synergies entre les deux opérateurs.

Il s'agit essentiellement pour Expertise France de pouvoir bénéficier du réseau de l'AFD, c'est-à-dire de ses 80 agences locales, là où elle ne dispose actuellement que de bureaux-projets temporaires qui disparaissent une fois le projet mené à bien. Le réseau de l'AFD constitue en effet une richesse ordinaire qui permettra à l'opérateur d'expertise de mieux atteindre les acteurs des pays en développement et de leur proposer des offres d'assistance technique de manière plus systématique en les calibrant mieux par rapport aux besoins.

Du côté de l'AFD, la rapidité d'action et l'agilité d'Expertise France ainsi que son accès aux viviers d'experts sera un nouvel atout pour le développement de l'agence .

En outre, les deux opérateurs pourront développer des offres de projet intégrées comprenant une part de financement de l'AFD et une part d'assistance technique réalisée par Expertise France.

Enfin, certaines fonctions pourraient être mutualisées. Sur cet aspect, il faut cependant se garder se remettre en cause les caractéristiques qui permettent à Expertise France d'être une agence capable de mettre en oeuvre des projets avec souplesse et rapidité.

4. Des points de vigilance

En effet, Expertise France rend à l'Etat français un ensemble de services que l'AFD, de par la définition même de ses compétences et ses modes opératoires, n'est pas actuellement en mesure de fournir . Il est impératif qu'un éventuel rapprochement avec l'AFD ne remettre pas en cause ces spécificités. La réforme de 2014 doit être parachevée et sa valeur ajoutée confirmée et renforcée, et non déconstruite .

Ceci conduit à identifier les caractéristiques suivantes de l'activité d'Expertise France qu'un rapprochement avec l'AFD devra respecter :

- tout d'abord, le champ d'intervention géographique d'Expertise France est plus large que celui de l'AFD . Expertise France intervient ainsi en Europe (transport en Ukraine, emploi et insertion professionnelle en UE, politiques sociales en Croatie, renforcement des administrations en Grèce), alors que l'AFD n'intervient que dans les pays concernés par l'aide au développement, définis par ses tutelles. De même, le champ d'intervention sectoriel d'Expertise France n'est pas limité, ce qui lui a notamment permis de répondre à de nombreuses demandes en matière de sécurité, secteur dont l'AFD ne peut s'approcher qu'avec prudence en raison d'un évident « risque réputationnel » pour une agence d'aide au développement ;

- Expertise France exerce également une activité d'offres intégrées (MINUSMA, G5 Sahel, Lac Tchad) avec des missions d'expertise accompagnée de fourniture de matériels/infrastructures par le biais de contrats avec les Nations unies. La préservation de cette activité, qui joue un rôle important pour l'équilibre économique d'Expertise France, suppose notamment sans doute que l'agence conserve un statut d'opérateur public ou para-public, ce qui pourrait être remis en cause dans certaines hypothèses de rattachement à l'AFD (cf. ci-dessous). Ceci vaut d'ailleurs également pour les interventions d'Expertise France dans le cadre de traités internationaux comme avec Bahreïn ;

- le fait qu'Expertise France agisse par mise en oeuvre directe lui confère des qualités de réactivité, d'agilité et de souplesse que ne possède pas l'AFD . Ceci lui permet de mettre en oeuvre rapidement des opérations politiques dans des situations de crise (gouvernance et renforcement de l'administration en Grèce, systèmes de soins dans le nord de la Syrie en pleine guerre civile), ce que l'AFD, malgré la mise en place du fonds d'urgence de 100 millions d'euros dont elle a reçu la gestion, n'est pas outillée pour assumer ;

- enfin, Expertise France ne peut exercer ses activités que si elle conserve et entretient ses relations avec les administrations françaises . Intégrer Expertise France au sein de l'AFD pourrait au contraire distendre ces relations, ce qui pourrait inciter les administrations à agir davantage elles-mêmes, mais avec des moyens nettement inférieurs, voire à recréer de nouveaux opérateurs « maison », à l'encontre de l'esprit de la réforme de 2014 et de l'ambition de faire passer l'expertise internationale française à une autre dimension.

5. Les modalités d'un éventuel rapprochement
a) Un rapprochement opérationnel indispensable

Les éléments exposés ci-dessus plaident a minima en faveur d'un rapprochement opérationnel des deux agences.

Sur le terrain, le rapprochement pourrait concerner les équipes sur place dans les pays en voie de développement. Ces équipes pourraient partager des bureaux communs, ce qui permettrait de réaliser des économies et rendrait plus naturel le recours à EF comme opérateur de mise en oeuvre sur certains projets.

En outre, l'AFD pourrait se voir conférer un statut de membre à part entière du CA d'Expertise France, alors qu'elle n'a aujourd'hui qu'un statut d'observateur.

b) Un éventuel rapprochement organique qui doit décliner une vision stratégique et préserver les atouts d'Expertise France

Il n'appartient pas à vos rapporteurs de décrire en détail les modalités précises d'un éventuel rapprochement organique entre les deux agences. Toutefois, la commission souhaite qu'il réponde à une vision stratégique. En tout état de cause, il devra respecter le cadre suivant :

S'agissant d'Expertise France, si un statut privé semblable à celui de Proparco, SA filiale de l'AFD, est parfois évoqué, il aurait plusieurs inconvénients. Il faut d'ailleurs noter que le statut de SA de Proparco est précisément justifié par le fait qu'elle exerce son activité au profit du secteur privé. Par ailleurs, sa situation est peu comparable à celle d'Expertise France puisqu'elle est issue d'une division de l'AFD qui s'est détachée de sa maison mère mais qui conserve avec elle des liens très forts avec notamment un partage des fonctions-support.

Il convient de souligner que, tout en étant, en tant qu'EPIC, un organisme autonome, Expertise France est une agence publique à but non lucratif et considérée comme telle par les grands bailleurs internationaux, notamment l'ONU et l'UE. En particulier, ce statut permet à Expertise France de signer les contrats avec l'ONU dans le cadre des opérations de maintien de la paix, ainsi que de contractualiser directement avec un gouvernement dans le cadre d'un accord intergouvernemental, comme avec Bahreïn. Expertise France est ainsi en mesure, à la fois de représenter l'Etat français, tout en assemblant des offres en provenance d'entreprises privées.

Par ailleurs, le passage à un statut privé ne serait sans doute pas sans influence sur la part de l'activité de l'agence qui relève de la commande publique. Actuellement, cette commande publique, pour la gestion des ETI ou pour la gestion de la contribution indirecte de la France au Fonds mondial (Initiative 5-7%), peut être assimilée à une relation de quasi-régie, puisque les financements correspondants sont octroyés sans mise en concurrence. Si elle acquérait un statut d'entreprise privée, Expertise France verrait son lien avec les administrations de tutelles de distendre, de sorte que l'octroi sans mise en concurrence d'une commande publique à l'opérateur serait probablement critiqué et remis en cause.

Enfin, une transformation d'EF en SA risquerait d'être mal perçue par le secteur privé (cabinets de conseil, entreprises d'ingénierie), qui était déjà en partie opposé à la création d'Expertise France. Au cours des années écoulées depuis la création d'Expertise France, l'affirmation de l'agence en tant que grand opérateur public d'expertise a apaisé les relations avec les partenaires privés. Ceci serait remis en cause si EF devenait une SA, et la capacité de l'agence à assembler des offres publiques et privées risquerait d'en souffrir.

L'ensemble de ces remarques pourrait conduire à privilégier la conservation d'un statut d'établissement public pour Expertise France après son rapprochement avec l'AFD 5 ( * ) . Une telle formule limiterait les risques évoqués ci-dessus en permettant de maintenir le statut d'EPIC à but non lucratif d'Expertise France.

La mise en place d'une gouvernance croisée de l'AFD et d'Expertise France complèterait cette réforme. En effet, quel que soit le modèle choisi, et comme y ont insisté les représentants de la direction générale du Trésor lors de leur audition par vos rapporteurs, le statut finalement retenu devra être « taillé sur mesure » pour Expertise France afin de préserver des acquis de l'opérateur. Un soin tout particulier devra être porté à l'élaboration de la gouvernance de l'ensemble formé par les deux entités, dans l'optique de préserver pleinement la « marque » Expertise France tout permettant des relations fluides avec l'AFD.


* 5 Notons par exemple que la loi du 4 août 2014 a mis en place un groupe d'EPIC dans le domaine du ferroviaire. Cette loi a mis en place un groupe composé d'un EPIC « de tête » et de deux EPIC filiales. Ce groupe d'EPIC remplit collectivement la mission qui lui est confiée.

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