EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 24 janvier 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteurs.

M. Christian Cambon, président . - Nous allons à présent entendre nos collègues M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont sur l'achèvement de la réforme de l'expertise internationale. A la veille du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 5 février prochain, au cours duquel devrait être envisagé l'avenir d'Expertise France, nous avons chargé nos deux spécialistes de nous présenter des pistes de réforme.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Monsieur le Président, je vous remercie de nous donner la parole. Il est vrai que la commission a décidé de lancer, avec comme échéance le prochain CICID, une mission destinée à approfondir les différents enjeux de l'aide au développement, parmi lesquels l'évolution du rôle d'Expertise France et ses relations avec l'Agence française de développement (AFD). Notre présentation de l'état des lieux et des différentes propositions, tant sur le périmètre d'Expertise France que sur ses relations avec l'AFD, se fera donc à deux voix. Afin de préparer ce rapport et dans le bref délai qui nous était imparti, nous avons entendu les représentants des quatre opérateurs d'expertise internationale qui pourraient faire partie de la « deuxième vague » de fusion avec Expertise France, les tutelles de l'agence, c'est-à-dire le ministère des affaires étrangères et la direction du Trésor, l'AFD et enfin le ministère de l'intérieur. Nous nous sommes également rendus, en fin d'année, en Allemagne auprès des deux grandes agences de développement, la KFW (« Kreditanstalt für Wiederaufbau » - Établissement de crédit pour la reconstruction) et la GIZ, (« Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit » - Agence de coopération internationale allemande pour le développement) ainsi qu'auprès de leurs ministères de tutelle.

À l'issue de nos travaux, un constat s'impose : la réforme de l'expertise internationale française, initiée en 2014, reste à ce jour inachevée. Créée en 2014 par un amendement de notre commission prévoyant le regroupement de six petits opérateurs ministériels, Expertise France a pour l'essentiel répondu aux attentes qui étaient placées en elle. Elle a en effet gagné de nouveaux marchés d'expertise et projeté les experts publics français dans les pays en développement mais aussi dans les pays où nous souhaitons accroître notre influence ; elle a drainé des financements internationaux pour valoriser les contributions françaises à l'Union européenne et aux organisations internationales ; enfin, elle est devenue une des agences européennes de référence dans son secteur, au bénéfice du pavillon français.

En passant à 153 millions d'euros en 2017, le chiffre d'affaires de l'agence a déjà augmenté de 35 % par rapport à celui des opérateurs fusionnés. Expertise France compte désormais 270 salariés au siège à Paris et intervient dans plus de 100 pays avec plus de 500 projets. L'agence a ainsi atteint une taille critique, bien supérieure à celle des opérateurs fusionnés et à celle des opérateurs spécialisés subsistant aujourd'hui.

Autre aspect important de cette montée en puissance, Expertise France met en oeuvre des « offres intégrées», notamment pour la MINUSMA et pour le G5 Sahel, qui lui permettent de sous-traiter la fourniture de biens et de services à des entreprises, notamment françaises. Elle est par ailleurs la seule agence d'expertise française agréée par l'Union européenne pour la gestion des fonds délégués. Tout en développant ainsi son activité sur fonds multilatéraux, elle a su maintenir les coopérations bilatérales et les jumelages des anciens opérateurs ministériels.

Grâce à cette diversification, les financements issus de la Commission européenne représentent environ 50% du chiffre d'affaires de l'agence, les offres intégrées (MINUSMA) 10%, la gestion de l' « initiative 5% » du Fonds mondial Sida 10%, la commande publique 11% et l'AFD 9%. Bien entendu, tout n'est pas parfait et l'agence doit faire face à certaines difficultés. Le chantier social, consistant à rapprocher les statuts et les rémunérations des personnels des opérateurs préexistants, ne s'est pas fait sans tensions et reste inachevé à ce jour. La gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) reste à construire.

Afin d'atteindre l'équilibre économique, Expertise France a également dû consentir des efforts importants pour réduire ses coûts. En effet, selon le modèle économique fixé lors de sa création, l'opérateur ne reçoit pas de subvention de fonctionnement en dehors d'une subvention de transformation appelée à s'éteindre en 2019. Elle doit donc dégager une marge sur ses projets, ce qui est parfois difficile du fait du caractère peu rémunérateur de certaines opérations par ailleurs considérées comme prioritaires par les tutelles. Il en est ainsi de la gestion déléguée des fonds européens, où la marge est administrée et notoirement insuffisante pour couvrir les coûts de structure. Nous avons d'ailleurs pu constater que l'opérateur allemand, la GiZ, connaissait les mêmes difficultés.

Dès lors, Expertise France a dû améliorer sa rentabilité en augmentant la taille des projets, en négociant avec les bailleurs pour augmenter la masse salariale refacturable, ainsi qu'en maîtrisant ses charges de structure. Le modèle économique - dont la pérennisation pose d'ailleurs question - imposé à l'agence a également conduit à demander de grands efforts au personnel, ce qui a affecté le climat social. Enfin, l'agence ne s'est dotée d'outils informatiques unifiés que tardivement et la mise en place d'un outil de gestion de projets est encore en cours. Le pilotage financier est, quant à lui, encore insuffisant. Il reste donc encore des chantiers à mener à bien pour que l'agence puisse achever sa croissance. Après ces premiers constats, je laisse la parole à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont pour aborder la question de la poursuite du rassemblement des opérateurs.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteur. - Il s'agit bien d'un rapport à deux voix, sans aucune dissonance ; tant nous sommes en parfaite harmonie sur ce sujet ! La loi du 7 juillet 2014 disposait qu'Expertise France avait vocation à rassembler au 1er janvier 2016 l'ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique. Un délégué interministériel à la coopération technique internationale (DICTI), par ailleurs président du Conseil d'administration de l'agence, était chargé de conduire ce rapprochement. À ce jour, cette mission n'a pas été menée à bien. Seule une concertation entre Expertise France et les opérateurs non fusionnés au sein d'une « Alliance des opérateurs » a eu lieu.

Pourtant, aucun élément nouveau n'est venu remettre en cause les analyses qui ont conduit à la réforme de 2014. Bien au contraire : la volonté de rationaliser le dispositif, d'éviter des concurrences entre opérateurs, nuisibles tant à l'image de la France qu'à l'efficacité, de réaliser des économies, de promouvoir un opérateur de référence et d'emporter des appels d'offre internationaux sur des projets multisectoriels, tout cela est plus que jamais d'actualité.

Or, les représentants des opérateurs sectoriels que nous avons entendus, notamment celui de la justice et ceux de l'agriculture, défendent une coopération presque « artisanale », avec de petits projets réalisés à la demande de leur ministère de tutelle. De leur propre aveu, ils ne souhaitent tout simplement pas étendre leurs activités à des projets de grande ampleur. Il existe pourtant dans ces secteurs des besoins immenses, que l'expertise française, appuyée sur des financements internationaux, peut contribuer à satisfaire. En outre, ces petits opérateurs, qui souhaitent maîtriser leur développement, continuent pourtant à contrôler l'accès à l'expertise de leurs ministères respectifs, ce qui constitue un handicap sérieux pour Expertise France. Il existe de plus une concurrence de fait entre les différents opérateurs. En effet, les thématiques d'interventions fixées par le contrat d'objectif et de moyens (COM) d'Expertise France recoupent nettement celles de certains opérateurs sectoriels. Mais comme seule Expertise France est accréditée pour la gestion des fonds délégués de l'Union européenne, les opérateurs spécialisés doivent coopérer avec elle dans le cadre de consortiums, d'où des coûts de transaction élevés et une perte, pour ne pas dire une absence, de lisibilité des offres françaises. La coordination des différents opérateurs se fait également au détriment de leur équilibre économique en obligeant à un partage des frais de gestion. Un exemple particulièrement significatif de ces difficultés est le projet EL PAcCTO (programme d'assistance contre la criminalité transnationale en Amérique du Sud), qui a démarré en avril 2017 et qui se monte à 19 millions d'euros. Dans le cadre de la réponse à l'appel d'offres de la Commission européenne pour ce projet, les relations entre Civipol, l'opérateur du ministère de l'intérieur, et Expertise France ont été émaillées de nombreuses incompréhensions et dissensions, notamment lors de la négociation sur les frais de gestion du projet, ceci au détriment de l'image de la France.

Second trait dominant de la situation actuelle, les relations entre Expertise France et l'Agence française de développement (AFD) restent loin de l'esprit de la réforme de 2014 pour laquelle l'AFD devait être un des premiers donneurs d'ordre d'Expertise France. Les deux établissements ont certes signé un accord-cadre en novembre 2015, prévoyant que l'AFD confie à l'Expertise France en gré à gré un volume de 25 millions d'euros de projets dans le domaine de la gouvernance, qui constitue un des « coeurs de métier » d'Expertise France. Sur instruction du CICID du 30 novembre 2016, les deux opérateurs ont également conclu en juillet 2017 un « document stratégique conjoint sur le recours à l'expertise technique » précisant les modalités de la coopération en identifiant les thématiques, les zones géographiques et les instruments financiers les plus pertinents pour la mettre en oeuvre. Malgré ces engagements réciproques, en 2017, la part des financements de l'AFD mis en oeuvre par Expertise France, tous secteurs confondus y compris gouvernance, ne représentait seulement que 9% de son chiffre d'affaires. Sur les 25 millions d'euros de financement en matière de gouvernance prévus par la convention, seuls 4,6 milliards d'euros ont été réalisés, ce qui est inadmissible. L'AFD n'a pour l'essentiel confié à Expertise France que des petits contrats d'assistance technique sèche, là où l'agence a la capacité de faire beaucoup mieux. Malgré la tenue régulière de réunions de concertation, les relations entre les deux organismes restent empreintes de réserves, pour ne pas dire plus, qu'il est impératif de lever. Il existe en outre parfois une certaine concurrence entre les deux organismes, notamment pour l'accès aux financements bilatéraux. Ceci traduit semble-t-il une certaine crainte chez l'opérateur le plus ancien, l'AFD, de se voir concurrencer par l'opérateur le plus récent, Expertise France ; cette crainte est à mon sens injustifiée au regard des missions bien distinctes de chacun des opérateurs et de leur différence de surface financière. Après les constats, je laisse la parole à Jean-Pierre Vial pour vous présenter nos propositions.

M. Jean-Pierre Vial, co-rapporteur. - Nos propositions concerneront deux volets : d'une part, la consolidation d'Expertise France et, d'autre part, l'éventualité d'un rapprochement avec l'AFD que vous exposera ma collègue. Nous avons acquis la conviction qu'il est nécessaire d'achever le regroupement des opérateurs d'expertise. Il n'est pas concevable que ces opérateurs continuent à candidater pour des appels d'offre européens en ordre dispersé ou qu'il faille des mois de discussion sur le partage des marges. Il est au contraire indispensable de promouvoir un opérateur totalement intégré, seul à même de répondre à des demandes de plus en plus multisectorielles, notamment dans le domaine sécurité -développement. Il faut ainsi décloisonner les activités. En outre, la consolidation d'un opérateur de coopération dotée d'une taille suffisante constituera un atout supplémentaire pour atteindre l'objectif fixé par le président de la République de consacrer 0,55% du revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement en 2022.

Le périmètre identifié pour la deuxième vague du regroupement des opérateurs d'expertise comprend sept organismes qui n'ont pas été fusionnés en 2014, et que je vais évoquer à présent. Il y a aujourd'hui un consensus pour considérer que le Centre international d'études pédagogiques (CIEP), la Société française d'exportation des ressources éducatives (SFERE) et Canal France International (CFI) n'ont pas vocation à être intégrées à Expertise France à court terme. Restent donc l'opérateur du ministère de la justice, Justice Coopération internationale (JCI), celui de l'intérieur, Sécurité intérieure et protection civile (Civipol), et les deux de l'agriculture, l'Agence pour le développement de la coopération internationale dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (ADECIA) et France Vétérinaire International (FVI). Les opérateurs de l'agriculture sont des groupements d'intérêt public (GIP) sans capital, dont les effectifs sont très faibles. Ils peuvent donc être intégrés directement au sein d'Expertise France. Il ne s'agira là toutefois que d'un préalable à une réforme plus ambitieuse, qui devra s'appuyer sur une coopération très étroite avec le ministère de l'agriculture. L'établissement de liens plus étroits et plus suivis avec les ministères de tutelle est en effet l'un des principaux enjeux de cette évolution.

Sortir d'une logique d'influence pure pour aller vers une logique de développement, élargir le champ géographique, aujourd'hui très centré sur le Maghreb, intégrer explicitement les grands enjeux de sécurité alimentaire et de développement durable : tels sont les chantiers qui attendent Expertise France dans ce secteur agricole.

S'agissant de JCI et de Civipol, les choses sont un peu plus complexes. Écartons d'abord l'argument souvent entendu selon lequel l'activité de ces opérateurs appartiendrait au domaine régalien et ne saurait donc être confiée à une agence indépendante et généraliste comme Expertise France. S'agissant de la justice, participer au renforcement du système judiciaire d'un pays en développement est tout à fait dans les capacités d'Expertise France, dès lors qu'elle peut avoir accès à l'expertise publique dans ce domaine. En outre les bailleurs privilégient désormais des projets multisectoriels, dont la dimension justice n'est que l'un des volets. Les représentants de Civipol insistent quant à eux sur la conformité totale de la stratégie de leur opérateur à celle du ministère de l'intérieur et sur le « retour de sécurité intérieure » produit par les activités de Civipol au bénéfice des ressortissants français. Or, force est de constater que ce retour de sécurité intérieure est bien pris en compte par Expertise France dans des projets comme PARSEC au Mali ou dans le soutien au G5 Sahel. Rappelons également que le département Sécurité-Sureté-Stabilité d'Expertise France comptera à lui seul une cinquantaine de collaborateurs en 2018. En outre, un rapport de la Cour des comptes de juin 2017 montre que les relations entre Civipol et le ministère de l'intérieur ne reflètent pas un alignement parfait de la stratégie de l'opérateur sur celle du ministère de l'Intérieur, notamment en ce qui concerne les priorités géographiques. Inversement, il est possible de mener la fusion de manière à ce qu'Expertise France prenne en compte les priorités du ministère. À l'issue de son contrôle, la Cour des comptes préconise ainsi un rapprochement de Civipol et d'Expertise France. Nous partageons donc cette analyse. Reste à déterminer les modalités. Ce rapprochement est néanmoins rendu plus difficile par trois éléments. D'abord, Civipol est une société anonyme détenue à seulement 40% par l'Etat, le reste étant détenu par des actionnaires privés. Ensuite, Civipol a effectué en 2015 une opération de croissance externe en rachetant Transtec, une société anonyme belge de coopération internationale. Enfin, elle gère Milipol, organisme qui organise des salons internationaux de sécurité intérieure et qui génère une part prédominante de ses recettes. Ces deux dernières activités n'ont pas vocation à être intégrées à Expertise France. Dès lors, l'alternative est la suivante : soit la création d'une filiale commune aux deux entités, qui serait seule compétente en matière de sécurité. Ceci présenterait l'inconvénient majeur d'extraire l'activité « sécurité » des compétences d'Expertise France alors que tout l'intérêt de la réforme de 2014 réside précisément dans la possibilité pour l'agence de mettre en oeuvre des projets multisectoriels. Soit, deuxième hypothèse que nous privilégions, une cession partielle d'activité de Civipol à Expertise France, portant uniquement sur la part « expertise internationale » de Civipol, tandis que celle-ci continuerait à exister sous forme de société anonyme avec ses autres activités. Reste à évaluer le coût exact de l'opération, ce que le Gouvernement devra faire le plus rapidement possible. Parallèlement à ces regroupements avec JCI et Civipol, Expertise France devra construire une relation solide et confiante avec le ministère de la justice d'une part, avec le ministère de l'intérieur d'autre part. Ceci passe par le renforcement de la participation de ces ministères au conseil d'administration de l'agence ainsi que par la signature de conventions précisant les conditions d'accès d'Expertise France à leur vivier d'expertise. Expertise France pourra alors montrer qu'elle constitue un atout d'envergure pour les ministères en faisant jouer à leur profit l'effet de levier des financements internationaux.

Plus généralement, au-delà de la question du rassemblement des opérateurs, il convient de poursuivre la stabilisation de l'agence par le biais d'un renforcement de ses liens avec l'ensemble des ministères donneurs d'ordre. Il s'agit notamment de poursuivre le transfert des experts techniques internationaux (ETI) du ministère des affaires étrangères et d'assurer une certaine stabilité de la proportion de la commande publique française au sein du chiffre d'affaires de l'agence.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteur. - J'en viens à présent au rapprochement Expertise France et l'AFD. Avant toute autre évolution sur ce sujet, il nous paraît indispensable que les termes de l'accord de 2015 entre Expertise France et l'AFD soient respectés. A peine 5 millions d'euros de financements gouvernance confiés à Expertise France sur les 25 millions prévus, c'est insuffisant et ce n'est pas bon pour l'équipe France du développement. Il y a là clairement, comme nous l'a confirmé le directeur général de l'AFD lui-même, un blocage culturel qu'il faut surmonter. L'ADN de l'Agence française de développement est en effet de confier la mise en oeuvre des projets aux partenaires des pays du Sud, dans le cadre de la libre concurrence, selon le principe de non-substitution. Pourtant, dans certains pays, notamment au Sahel, les administrations publiques ont parfois besoin de l'assistance technique que peut leur fournir Expertise France. C'est vrai en matière de gouvernance, mais aussi en matière de continuum sécurité-développement ou d'agriculture. Lorsque cet accord de 2015 aura enfin été mis en oeuvre, comme l'exige la complémentarité des agences, alors seulement un rapprochement plus poussé pourra être envisagé sous une forme à laquelle il convient de réfléchir. Notre position est ainsi claire : ce n'est évidemment pas le mécano institutionnel qui a de l'intérêt en soi, ni les luttes d'influence ; c'est bien entendu la vision stratégique.

Ainsi, le rapprochement n'aura d'intérêt que s'il permet de développer des synergies. Il s'agit essentiellement pour Expertise France de pouvoir bénéficier du réseau de l'AFD, c'est-à-dire de ses 80 agences locales, là où elle ne dispose actuellement que de bureaux-projets temporaires. Les deux opérateurs pourront également développer des offres de projet intégrées comprenant une part de financement de l'AFD et une part d'assistance technique réalisée par Expertise France. Enfin, certaines fonctions pourraient être mutualisées. Du côté de l'AFD, la rapidité d'action et l'agilité d'Expertise France, ainsi que son accès aux viviers d'experts, seront de nouveaux atouts pour le développement de l'agence.

Il est trop tôt pour nous prononcer sur le meccano institutionnel d'un tel rapprochement mais nous proposons de fixer un cadre directeur en vue du CICID de février. Ainsi, tout éventuel rapprochement devra impérativement préserver les principaux atouts d'Expertise France, sous peine d'aller directement à l'encontre de l'esprit de la réforme de 2014 telle qu'initiée par le Sénat et qui, preuves à l'appui et avec trois ans de recul, fait totalement sens. Il conviendra de conserver l'autonomie et l'identité d'Expertise France, qui est désormais une marque reconnue sur le marché international de l'Expertise, comme en atteste sa rapide montée en puissance sur seulement trois ans. Il conviendra également de conserver un statut qui permette à Expertise France de représenter l'Etat français auprès des organisations internationales, en particulier l'ONU pour les missions intégrées, ou auprès des États, comme dans le cadre de l'accord intergouvernemental avec le Royaume de Bahreïn. Cet impératif conduit selon nous à écarter la solution d'une filialisation à l'AFD sous forme de société anonyme. Ce rapprochement devra également assurer la conservation de la rapidité d'action de l'agence, dont les capacités de mise en oeuvre directe lui permettent de monter un projet en quelques semaines là ou l'AFD ne peut agir qu'après plusieurs mois. Seule cette rapidité et cette agilité permettent en effet à Expertise France de répondre aux demandes politiques urgentes de l'Etat français dans les pays en crise ou en sortie de crise, par exemple pour rétablir des infrastructures de soin dans le Nord de la Syrie en pleine guerre civile ou pour aider l'Etat grec à réformer son administration. Il faudra conserver le champ d'intervention géographique et sectoriel plus large d'Expertise France. Celle-ci peut en effet intervenir en Europe ou dans les pays du golfe, ainsi que dans le champ sécuritaire, contrairement à l'AFD. Il est enfin nécessaire de conserver un lien très fort avec les administrations françaises pourvoyeuses d'expertises. Alors que certaines administrations ont déjà eu du mal à accepter la réforme de 2014, elles pourraient avoir le sentiment qu'en entrant dans le giron de l'AFD, l'expertise internationale leur échappe totalement. La recréation d'opérateurs maison ou de services dédiés à la coopération internationale au sein des ministères deviendrait alors probable, ce qui annulerait tous les efforts accomplis depuis 2014. Il faut d'ores et déjà souligner que le respect de l'ensemble de ces points passe notamment par l'établissement d'une gouvernance spécifique pour les deux opérateurs une fois rapprochés, permettant de respecter pleinement l'autonomie d'Expertise France et la spécificité de ses missions qui ne sont pas celles de l'AFD.

En conclusion, le calendrier doit selon nous être le suivant. D'abord, mettre pleinement en oeuvre l'accord de coopération de novembre 2015 entre l'AFD et Expertise France qui prévoit 25 millions d'euros de financements dans la gouvernance. Cette démarche consolidera le modèle économique de l'agence d'expertise et démontrera la capacité de l'AFD à recourir à elle tout en respectant sa spécificité. C'est, pour nous, un préalable absolu. Parallèlement, renforcer les liens d'Expertise France avec les ministères, en particulier avec l'intérieur, la justice et l'agriculture, et déterminer les modalités concrètes de la réunion de leurs 4 opérateurs spécialisés avec Expertise France. Enfin, une fois le dispositif d'expertise ainsi consolidé, rapprocher l'AFD et Expertise France, selon des modalités qui permettent de préserver la valeur ajoutée de celle-ci.

Voilà, mes chers collègues, les messages que nous nous proposons de délivrer aux acteurs concernés avant le comité interministériel du CICID du 5 février, qui prendra des décisions sur le rassemblement des opérateurs et sur le rapprochement avec l'AFD. Le Gouvernement pourrait également envisager de déposer une loi révisant la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. En tout état de cause, une telle loi serait nécessaire si le statut d'Expertise France devait être modifié en vue de son rapprochement avec l'AFD. Elle nous permettra alors, mes chers collègues, et notamment à notre président, qui a précédemment oeuvré en faveur du rapprochement des opérateurs et de la création d'Expertise France, de faire valoir le point de vue de notre commission, au bénéfice de l'équipe France du développement et non de telle ou telle entité, puisque telle est notre préoccupation.

M. Christian Cambon, président. - Merci à nos deux rapporteurs qui ont accompli, malgré le peu de temps qui leur était imparti, un travail de grande qualité grâce auquel l'avis du Sénat sera relayé lors du prochain CICID. Mes chers collègues, vous l'aurez compris : les rapporteurs préconisent, avant d'envisager un regroupement avec l'AFD, d'attendre qu'Expertise France atteigne sa pleine maturité et conduise les différents regroupements que nous proposions déjà, avec mon collègue M. Jean-Claude Peyronnet, dans notre amendement déposé lors de l'examen de la loi d'orientation sur le développement. Nous souhaitions alors rassembler l'ensemble de ces services d'expertise afin de les rendre plus efficaces et compétitifs, à l'échelle française et européenne. Cette idée était frappée de bon sens, comme en témoigne la quantité des appels d'offre désormais remportée par Expertise France devenu, depuis lors, quasi l'égal des grands organismes européens. Il ne s'agit certes pas d'empêcher, à terme, un rapprochement entre Expertise France et l'AFD, mais gardons-nous de toute précipitation ! Laissons le temps nécessaire à France Expertise pour monter en puissance dans ses différents domaines, avant de n'entreprendre le rapprochement que s'il repose sur une vision stratégique ; en tout état de cause, il ne saurait consister en une pure et simple filialisation. Ainsi, nous n'avons jamais préconisé qu'Expertise France devienne un département de l'AFD ! Notre avis, en tant que législateur, devra être pris en compte. Si vous approuvez ce rapport, j'ai bien l'intention de le transmettre, en votre nom, au Premier ministre et aux différentes tutelles, à la veille de cet important CICID où le Sénat, grâce à votre rapport, sera en mesure d'être entendu.

M. Gilbert Roger. - Si la complémentarité se substitue à l'esprit de compétition entre les deux opérateurs, la situation ne pourra que s'améliorer !

M. Christian Cambon, président. - Il faut poursuivre le regroupement des différents organismes de coopération et de développement, comme ceux du ministère de l'agriculture, pour que la France puisse assumer le rôle qui lui revient dans ce secteur. Ces regroupements peuvent recevoir une diversité de formes juridiques et économiques. Je ne vois pas d'objection à ce qu'Expertise France et l'AFD travaillent ensemble, sans pour autant promouvoir une sorte de fusion-absorption qui n'aurait pas d'effet bénéfique sur l'offre de la France en matière d'aide au développement ! Je soumets à présent ce rapport au vote de notre commission.

Le rapport est adopté à l'unanimité. La commission en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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