Rapport d'information n° 657 (2017-2018) de MM. Christian CAMBON , Robert del PICCHIA , Mme Gisèle JOURDA , MM. Bernard CAZEAU , Jean-Noël GUÉRINI , Joël GUERRIAU , Mmes Sylvie GOY-CHAVENT et Christine PRUNAUD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 11 juillet 2018

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N° 657

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur les actes de la réunion conjointe du 5 avril 2018 avec le Conseil de la Fédération de l' Assemblée fédérale de la Fédération de Russie ,

Par M. Christian CAMBON,

Président

et M. Robert del PICCHIA, Mme Gisèle JOURDA, MM. Bernard CAZEAU, Jean-Noël GUÉRINI, Joël GUERRIAU, Mmes Sylvie GOY-CHAVENT et Christine PRUNAUD,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Robert del Picchia, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger , vice-présidents ; M. Olivier Cigolotti, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Rachid Temal , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Olivier Cadic, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

AVANT-PROPOS

Ces actes sont le compte-rendu de la réunion conjointe qui s'est tenue le jeudi 5 avril 2018 à Paris au Palais du Luxembourg entre une délégation de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et une délégation du Conseil de la Fédération de Russie présidée par M. Konstantin Kossatchev, président du comité des affaires internationales de cette assemblée.

Cette réunion s'inscrivait dans le cadre de la coopération interparlementaire mise en place récemment entre ces deux commissions homologues , qui prévoit l'organisation d'au moins une réunion conjointe chaque année, alternativement en France et en Russie. C'est ainsi que la précédente réunion conjointe s'était tenue le 27 février 2017 à Moscou, après une première réunion le 9 mars 2016 au Sénat.

Cette année, la réunion entre les deux commissions a eu pour objet d'examiner et de discuter, pour la première fois, un rapport co-écrit par elles et traduit à la fois en français et en russe. Ce rapport 1 ( * ) , intitulé « France- Russie : dialogue parlementaire pour rétablir la confiance », et publié le 28 mars 2018, avait pour objet de présenter le point de vue français et le point de vue russe sur les différents volets de la relation franco-russe, afin de mettre en évidence les points de divergences mais aussi de convergences entre ces deux approches.

Les interventions retracées ci-après se réfèrent aux différents chapitres du rapport (« Les relations politiques », « La problématique de la sécurité européenne », « Les mouvements d'intégration régionale dans l'espace européen et eurasiatique », « Le partenariat culturel, éducatif et humain », « Les relations économiques, technologiques et commerciales », « Les liens interrégionaux »), commentés, à chaque fois, par un sénateur français et un membre du Conseil de la Fédération de Russie. Pour l'organisation des débats, les échanges sur ces différents volets ont été structurés en deux tables rondes.

Lors de la réunion du 11 juillet 2018, la commission a autorisé la publication des présents actes sous la forme de rapport d'information.

OUVERTURE

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français

Je suis particulièrement heureux de vous souhaiter, au nom du président du Sénat Gérard Larcher, la bienvenue. Je suis de surcroît très heureux de vous faire les honneurs de cette belle salle que nous avons inaugurée hier. C'est dans cette ancienne chapelle de l'ordre des pairs que se réunira dorénavant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La décoration est du XIX e siècle mais associe aussi les nouvelles technologies, pour que nous puissions travailler dans de bonnes conditions.

Je suis très heureux de retrouver le président Konstantin Kossatchev , mon homologue au Conseil de la Fédération de Russie, ainsi que plusieurs de ses collègues.

Je voudrais vous présenter les membres de notre délégation, avant que nous entrions dans le coeur du débat. Toutes les sensibilités du Sénat sont représentées au sein de notre délégation. M. Robert del Picchia , vice-président de la commission des affaires étrangères et sénateur des Français de l'étranger, et moi-même représentons le groupe Les Républicains. Mme Gisèle Jourda , sénatrice de l'Aude, représente le groupe socialiste et républicain. M. Bernard Cazeau , sénateur de la Dordogne, représente le groupe La République En Marche. M. Jean-Noël Guérini , sénateur des Bouches-du-Rhône, le groupe du RDSE. M. Joël Guerriau , sénateur de Loire-Atlantique, représente le groupe les indépendants, République et Territoires. Mme Sylvie Goy-Chavent , sénateur du département de l'Ain, représente le groupe Union centriste et Mme Christine Prunaud , sénatrice des Côtes-d'Armor, représente le groupe communiste républicain et écologiste.

Cher Président, nous voici réunis pour une nouvelle séquence de notre dialogue parlementaire qui s'est engagé il y a deux ans.

J'en rappellerai brièvement les étapes. Le point de départ avait été la publication, en octobre 2015, d'un rapport 2 ( * ) de notre commission intitulé « France-Russie : pour éviter l'impasse », dont l'un des auteurs était notre collègue Robert del Picchia, ici présent.

Ce rapport, qui se penchait sur la dégradation de nos relations avec la Russie, dans le contexte de la crise ukrainienne, et cherchait déjà des solutions « pour ne pas en rester là », avait été adressé par mon prédécesseur, M. Jean-Pierre Raffarin, à M. Kossatchev, son homologue du Conseil de la Fédération de Russie. Après l'avoir fait traduire et examiné, vous aviez souhaité en débattre avec nous, ce qui a donné lieu à une première réunion conjointe au Sénat, en mars 2016. Puis, vous avez décidé de rédiger votre propre rapport, dont vous nous avez conviés à discuter à Moscou, l'année dernière, en février 2017. Je rappelle qu'à cette occasion, nous avons signé également un protocole de coopération parlementaire qui formalise nos relations et inscrit notre dialogue dans la durée, ce qui était déjà un geste fort. Enfin, sur votre proposition, nous avons accepté le principe de préparer avec vous un rapport conjoint.

Il s'agit d'une initiative tout à fait inédite entre deux assemblées parlementaires de pays différents, et celle-ci est d'autant plus remarquable qu'elle a pris corps dans un contexte politique difficile. Mais vous ne me contredirez pas : c'est justement parce les relations sont difficiles que le dialogue est nécessaire !

Mener à bien ce travail conjoint nous a permis de mieux nous connaître et d'éprouver la solidité de notre engagement vis-à-vis de ce projet : nous avons arrêté ensemble une méthode et un calendrier, auxquels nous nous sommes tenus, ce qui est déjà une belle victoire. Concernant la méthode, nous avons défini un certain nombre de chapitres correspondant aux différents volets et thèmes de nos relations, et pour chacun d'entre eux, nous avons mis en regard, dans le rapport, le point de vue du Sénat et celui du Conseil de la Fédération de Russie. C'est de cela dont nous allons discuter au cours de la présente matinée.

Sur le fond, notre démarche n'est pas de gommer nos divergences. Qu'il s'agisse de l'Ukraine, de la Syrie, de l'OTAN, nos points de désaccord existent, nous le savons tous. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il nous semblait peu réaliste d'envisager de rédiger un rapport complètement unifié, avec une rédaction commune, comme vous le proposiez initialement. Nous avons donc gardé chacun notre propre expression, dans nos propres parties du rapport.

Mais il s'agissait surtout de faire ressortir les convergences qui existent d'ores et déjà entre la France et la Russie dans différents domaines (comme la culture, l'économie ou la lutte contre le terrorisme) et d'identifier des pistes susceptibles de nous permettre de surmonter nos différends sur les dossiers les plus sensibles.

Dans quelques minutes, nous allons entrer dans le vif du sujet et évoquer successivement les différents chapitres du rapport, en présentant, pour chacun d'entre eux, la vision française et la vision russe. De notre point de vue, la Russie est un pays dont personne ne peut se passer sur l'échiquier international : elle joue un rôle central et continuera à jouer un rôle central dans le règlement des crises. De notre point de vue, le respect du droit international est la voie la plus sûre pour que la Russie regagne un rôle de premier plan sur la scène internationale. Nous avons notamment besoin d'elle pour régler la crise en Syrie, ainsi que bien d'autres crises à travers le monde.

M. le Président Kossatchev, vous avez la parole pour introduire à votre tour les débats.

M. Konstantin Kossatchev, président du comité des affaires internationales du Conseil de Fédération de Russie

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers collègues. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier pour votre accueil et votre hospitalité que nous ressentons tout particulièrement dans cette salle. Il me paraît tout à fait symbolique que ce premier rapport conjoint dans l'histoire des relations de notre Conseil de la Fédération avec un autre Sénat, en l'espèce celui de la République française, soit examiné dans la salle où se réunira dorénavant votre commission, pour traiter nombre de sujets d'une très grande importance.

Je suis tout à fait d'accord avec vous : le dialogue parlementaire a une valeur en soi, mais cette valeur devient particulièrement importante dans la période que l'Europe et le monde entier sont en train de vivre. À cet égard, nous attribuons une très grande importance à notre rencontre présente et au processus que nous allons poursuivre de l'étude des problèmes les plus complexes de la conjoncture actuelle.

Vous avez évoqué ces deux années qui nous ont menés jusqu'à la présente rencontre. Tout a commencé en fait il y a trois ans, en février 2015, lorsque le président du Sénat français est venu en Russie. La période n'était alors pas moins complexe et grave que la période actuelle puisque c'était moins d'un an après le début des événements en Ukraine et la crise était à son paroxysme en Syrie, au Moyen-Orient, ainsi que dans d'autres points chauds de la planète. Le président Larcher a alors considéré qu'il était important de venir en Russie et d'initier un dialogue au niveau des instances les plus élevées du Sénat et du Conseil de la Fédération. Le président Larcher a d'ailleurs été le premier président d'un sénat étranger qui a eu la possibilité de prendre la parole devant les sénateurs russes et le discours qu'il a prononcé devant ces derniers a été historique. Gérard Larcher est ensuite revenu en Russie en avril 2016 et des accords ont été conclus entre les deux présidents - du Sénat français, d'une part, du Conseil de la Fédération, d'autre part.

Je souhaiterais, en outre, profiter de notre présence parmi vous pour vous demander de transmettre nos salutations à M. Jean-Pierre Raffarin qui était lui aussi à l'origine de ces travaux. Nous rencontrons toujours des interlocuteurs français remarquablement compétents et je suis d'ailleurs convaincu que cela sera également le cas pour la présente réunion. Je peux vous assurer que nous avons, nous aussi, réuni des personnes de la plus haute compétence parmi les parlementaires russes. M. Sergey Ivanovitch Kislyak , premier vice-président du comité des affaires internationales, présent depuis septembre 2017 au Conseil de la Fédération, est notamment présent parmi nous aujourd'hui. Avant cela, il a été pendant neuf ans ambassadeur aux États-Unis, après avoir été vice-ministre du Ministre des Affaires étrangères. Il a joué un rôle particulièrement important dans le domaine de la sécurité internationale et du désarmement.

M. Andrey Klimov , vice-président de notre comité, est responsable de l'axe européen et chef du comité actuellement en charge des relations entre le Parlement de Russie et le Parlement européen, dont les travaux sont actuellement en stand-by. Il sera bien placé pour parler des questions de sécurité et de coopération entre notre pays et l'Union européenne.

M. Alexey Dmitrienko n'est pas membre du comité des affaires internationales. Il est responsable du comité de la politique économique du Conseil de la Fédération de Russie et l'un des experts les plus éminents de notre pays dans ce domaine. Il participera ainsi aux discussions sur les relations commerciales et économiques entre nos deux pays, que nous aurons au cours de cette matinée.

Mme Tatiana Lebedeva n'est pas non plus membre du comité des affaires internationales. Elle siège au sein du comité des affaires sociales. Tatiana n'est pas là seulement ici pour compenser la prédominance masculine de notre délégation. Elle est responsable du développement de la société civile et de la promotion d'une coopération décentralisée. Elle est, en outre, championne du monde et championne olympique en saut en longueur et en triple saut.

Sur la couverture de la version française de notre rapport conjoint, nous lisons le numéro 387, ce qui atteste de l'intensité des travaux produits par le Sénat pour le compte de la République française. Nous avons l'intention d'indiquer un numéro sur la version russe de ce rapport également. Nous aurions pu mettre le numéro 2, puisqu'il s'agit dans les faits du second rapport que nous produisons, particulièrement emblématique du travail possible entre nos assemblées et consacré aux relations entre la Russie et la France.

Je voulais vous faire part d'un sentiment que j'ai ressenti au moment où j'ai pris connaissance du texte en français et en russe. J'ai remarqué qu'au départ, les chapitres deux et trois de ce rapport ne faisaient état d'aucune convergence de vue et commentaient a contrario à l'envi tous nos points de désaccords. Force est de constater, toutefois, que plus on avance dans ce rapport, moins il y a de points de désaccords entre les deux parties en présence et moins nous avons besoin de formuler des commentaires sur les développements de nos partenaires. Nous devons coopérer dans des domaines aussi divers que la science, la culture et les nouvelles technologies et je suis certain que nous aurons beaucoup plus de facilités à avancer sur les questions de sécurité européenne et d'intégration régionale lorsque nous aurons renforcé nos liens sur tous ces autres plans.

Ce qui nous manque, c'est une base solide d'intérêts convergents et de projets de coopération enchevêtrés qui rendraient moins prégnants les difficultés, les séismes et les catastrophes auxquels nous nous trouvons aujourd'hui confrontés sur un plan politique. Je pense que cela nous permettrait d'avancer sur les pistes de ce rapport que je continue à considérer comme conjoint, même si nous avons fait le choix d'exprimer nos idées de manière séparée. Je ne renonce d'ailleurs pas à l'ambition de produire à terme des textes complètement unifiés et sous lesquels nous pourrons apposer sans ambiguïtés nos signatures.

I. PREMIÈRE TABLE RONDE

LES RELATIONS POLITIQUES

M. Robert del Picchia, Sénat

Nos relations politiques sont anciennes : nous avons célébré leur tricentenaire en 2017. Après s'être longtemps appuyées sur des convergences de politique étrangère, notamment l'attachement à l'indépendance stratégique et au multilatéralisme et le refus d'un monde unipolaire, ces relations se sont progressivement affaiblies depuis une quinzaine d'années, pour différentes raisons, en même temps que la Russie s'éloignait de l'Europe.

Plus récemment, la crise ukrainienne et le conflit syrien ont précipité leur dégradation. Pour la France, l'annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass par des séparatistes soutenus par la Russie ont constitué une atteinte grave au droit international et une remise en cause de la stabilité du continent européen. La France s'est donc prononcée avec ses partenaires européens pour l'application de sanctions à l'encontre de la Russie car il nous fallait bien réagir à ce qu'on a appelé une « agression ».

Malgré ses efforts aux côtés de l'Allemagne, de l'Ukraine et de la Russie dans le cadre du format de Normandie, pour promouvoir l'application des accords de Minsk, force est d'admettre que celle-ci enregistre peu de progrès. Chaque partie au conflit tire, en effet, argument de l'absence d'avancée de la part de la partie adverse pour ne rien faire.

Contrairement à ce que vous laissez entendre dans votre partie du rapport, la France appelle autant l'Ukraine que la Russie au respect de ses engagements et met l'accent, de manière égale, sur le volet politique et le volet sécuritaire. Mais, il faut en convenir, il est difficile d'organiser des élections dans une région en guerre. C'est tout simplement une question de bon sens, il faut d'abord que « les armes se taisent ».

Aussi la France aimerait-elle percevoir les signes tangibles d'une volonté de la Russie de résoudre ce conflit : le retrait effectif des armes lourdes, le respect d'un cessez-le-feu complet, la garantie de l'accès et la liberté de circulation des observateurs de l'OSCE dans les territoires de l'est jusqu'à la frontière russe sont les signes que nous attendons. Le Sénat s'est prononcé en 2016 en faveur d'une levée partielle et graduée des sanctions contre la Russie en cas de progrès mesurables. Je pense que plusieurs pays européens, dont la France, seraient prêts à mettre en oeuvre cette proposition. La Russie, nous en sommes convaincus, a la capacité d'obtenir ces avancées des séparatistes.

Par ailleurs, nous proposons d'examiner la faisabilité d'une opération de maintien de la paix dans le Donbass, proposition à laquelle la Russie et l'Ukraine pourraient être toutes deux favorables. Il ne s'agirait pas d'une alternative aux accords de Minsk, qui restent l'unique feuille de route pour un règlement du conflit, mais d'un moyen d'enclencher leur mise en oeuvre, par exemple en sécurisant la tenue d'élections locales.

La crise en Syrie a constitué, à partir d'octobre 2015, un autre sujet de désaccord, compte tenu du soutien de la Russie au régime syrien et de son attitude non constructive sur cette question aux Nations Unies. L'appui de Moscou à un régime se livrant à une répression féroce contre son peuple, y compris par l'utilisation d'armes chimiques, a suscité incompréhension et réprobation, alors même que l'objectif de lutter contre le terrorisme djihadiste dans la région paraissait devoir nous rapprocher. La France a regretté la paralysie et le contournement des négociations politiques menées sur le fondement de la résolution 2254 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et du communiqué de Genève, pourtant approuvés par la Russie. De même qu'elle a regretté les vetos successifs mis à la Russie à l'adoption, par le Conseil de Sécurité, des résolutions condamnant les violences ou relatives au mécanisme d'enquête sur les armes chimiques. A ce sujet, il n'est pas possible d'affirmer, comme vous le faites dans vos observations sur le chapitre premier du rapport, que la France a lancé le Partenariat contre l'impunité pour l'utilisation des armes chimiques pour se prévaloir d'un rôle de médiateur, affaiblir la Russie et contourner une Convention sur l'interdiction des armes chimiques. La France aurait préféré un mécanisme fondé sur l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC). C'est précisément le veto russe au renouvellement du mandat d'enquête de l'ONU sur les armes chimiques qui a conduit Paris à prendre cette initiative.

Il est difficile de progresser dans le rétablissement de la confiance en l'absence d'avancée dans le dossier syrien. Certes, la Russie ne peut pas tout et le jeu des acteurs en présence est, on le sait, particulièrement complexe. Mais elle reste un acteur-clé. En tant que garante de l'accord de démantèlement des armes chimiques syriennes conclu en 2013 à son initiative, il est de sa responsabilité de tout mettre en oeuvre pour que cessent l'utilisation d'armes chimiques par le régime et les exactions insupportables contre les populations civiles.

Par ailleurs, une transition politique - qu'il faut distinguer d'un changement de régime - est nécessaire pour permettre une réconciliation de toutes les composantes de la société syrienne et empêcher le développement du terrorisme. Pour avancer dans cette direction, nous souhaitons vivement que le comité chargé d'élaborer une nouvelle constitution pour la Syrie, qui est l'un des acquis du Congrès de Sotchi organisé par la Russie, puisse être mis en place rapidement dans le cadre du processus onusien de Genève et s'atteler non moins rapidement à cette tâche.

Si l'Ukraine et la Syrie cristallisent nos différends depuis plus de deux ans, nous sommes également très préoccupés par la multiplication récente d'actions voire hostiles dirigées contre les démocraties occidentales et attribuées à la Russie (désinformation, cyberattaques...). Cet ensemble de faits, que les observateurs analysent comme un nouveau champ de la confrontation, est très problématique dans la mesure où ils ne sont pas revendiqués, la Russie mettant en avant l'absence de preuves. De ce fait, ces actions malveillantes se trouvent placées hors du champ du dialogue. Il s'agit d'une stratégie éprouvée, qui vise à créer de l'incertitude pour infléchir le rapport de forces mais qui, à notre sens, est contreproductive et rend plus difficile toute entreprise de réconciliation.

Pour conclure, le contexte politique reste très difficile, nous en convenons les uns et les autres, mais il appelle la poursuite du dialogue. Il est bon de pouvoir se parler franchement et d'expliquer ses points de vue, surtout lorsqu'ils divergent fortement. Lorsque la diplomatie est freinée par le contexte des relations internationales, la diplomatie parlementaire, elle, peut continuer à travailler. Nous la pratiquons régulièrement en bonne intelligence avec mon ami Konstantin Kossatchev au sein de l'Union Interparlementaire, comme nous sommes en train de la pratiquer, ici même, entre nos deux parlements. Elle est plus que jamais nécessaire voire indispensable dans le contexte de politique étrangère très tendue. Car la diplomatie parlementaire nous permet de surmonter ces tensions et de poursuivre le dialogue. C'est bien là, je crois, au moins un point d'accord entre nous ce matin. Nous avons une approche pragmatique et réaliste car nous pensons que la Russie est un grand pays et qu'aucune grande crise mondiale ne peut trouver de solution durable sans elle.

M. Christian Cambon, Sénat

Je précise que sur l'affaire de Salisbury, j'ai tenu, en tant que président de la commission, à diffuser à l'ensemble de mes collègues, l'argumentaire qui m'a été adressé par l'ambassade de Russie à Paris, afin que chacun de nos collègues puisse se forger sa propre opinion sur cette affaire. Il me semble en effet important que nous puissions travailler dans un climat de confiance mutuelle.

M. Konstantin Kossatchev, Conseil de la Fédération de Russie

Je voudrais remercier mon ami Robert del Picchia mais je ne peux pas ne pas céder à la tentation de dire que Robert est certes un ami mais que la vérité m'est plus chère encore. En tout état de cause, je ne peux guère tomber d'accord avec l'idée première de ce rapport selon laquelle la Russie se serait éloignée ou détournée de l'Europe depuis 2014. Je ne peux pas non plus accréditer la thèse selon laquelle la Russie devrait respecter le droit international pour reprendre sa place dans l'arène internationale.

Notre vision de la situation est toute différente et je voudrais vous faire part de notre regard sur les événements récents et sur le rôle joué ou non par la France, dans les points de crispation entre nos deux pays.

Dans le premier chapitre de notre rapport conjoint, rédigé par la France, sont mis en exergue comme points de désaccords majeurs entre nos deux pays l'Ukraine et la Syrie. Nous n'avons pas contesté ce constat car ce sont bien les deux principaux points de désaccord entre la France et la Russie. Permettez-moi, toutefois, de revenir un peu en arrière sur le cours des événements, afin d'éclairer la situation présente.

Au commencement de l'automne 1944, la machine de guerre de l'armée rouge a quitté les frontières de l'Union soviétique et a envahi les pays voisins d'Europe de l'Est puis d'Europe centrale. Sur le plan technique, cette description des événements est correcte. Il en va tout autrement sur un plan strictement géopolitique, sur le plan de l'histoire de la deuxième guerre mondiale.

Et je constate, en le déplorant, que cette même erreur est reproduite, en 2014, lorsque l'on commence à parler de l'Ukraine et de la Syrie. Ce n'est pas un point de départ, c'est une conséquence, un effet en miroir de la crise de nos relations intervenue au cours des trois dernières décennies. La crise entre nos pays a en effet commencé à partir du moment où nous avons constaté la fin de la guerre froide, c'est-à-dire à compter de la fin des années 1980 et du début des années 1990, qui ont constitué l'apogée de l'atmosphère de concorde entre nos deux nations. Cette concorde n'était toutefois qu'une illusion car nous avions une vision en réalité très différente des événements et de nos intentions réciproques.

L'une des principales raisons de la crise survenue en Europe n'est autre que la renonciation de fait aux principes de la Charte de Paris, adoptée dans les années 1990, et sur lesquels nous avions fondé notre vision de l'avenir pour l'Europe.

La Russie y entrait délibérément et librement. Nous avions alors choisi de renoncer à l'affrontement et d'entrer dans un espace exempt de toute division en blocs. Or, depuis lors, nous avons constaté que les barrières n'avaient pas disparu mais qu'elles avaient bougé vers l'Est, vers la Russie. Dans la Charte de Paris, il avait été dit que la sécurité était indivisible. Ceci n'a pas été respecté et ce n'est pas la faute de la Russie. Le bloc de l'OTAN a ainsi été considérablement renforcé et s'est rendu coupable de violations du droit international, dont vous accusez la Russie aujourd'hui. En effet, je ne peux pas ne pas évoquer devant vous les actions de l'OTAN au Kosovo, ni le flirt tout à fait irresponsable de l'OTAN avec la Géorgie, à l'origine du conflit de 2008. Je rappellerai, en outre, le traité adapté sur les forces conventionnelles en Europe qui n'a été ratifié que par quatre pays (la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine) et qu'aucun des pays de l'OTAN n'a voulu ratifié.

Nous avons un problème par rapport à la prétention de l'OTAN à assurer la sécurité mondiale. Je pourrais citer le cas de l'Afghanistan, qui est un sujet majeur pour nous. En 2017, d'après l'ONU, les surfaces de cultures du pavot ont augmenté de 63 % dans cette région du monde, pour atteindre 328 000 hectares, alors même que les forces de l'OTAN anéantissent seulement 300 hectares de ces cultures chaque année. Je ne veux pas accuser l'OTAN de quoi que ce soit, mais je ne peux que regretter que la Russie et l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) se soient vu refuser toute possibilité de coopérer en Afghanistan au motif que l'OTAN jouissait d'une compétence exclusive sur cette zone.

Concernant le respect du droit international, je pourrais évoquer la Libye, l'Irak, les actions françaises en Syrie, mais nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions.

Le non-respect du principe de l'indivisibilité de la sécurité en Europe éloigne objectivement la Russie de l'Union européenne mais cette situation ne résulte pas d'une initiative des Russes, bien au contraire.

Il en va de même concernant l'élargissement de l'Union européenne, sujet pour lequel la Russie se heurte à de nombreux obstacles. Un document du Service européen d'action extérieure (SEAE) de mars 2013 sur la politique européenne de voisinage et la promotion d'un partenariat renforcé appelait ainsi les Etats concernés, notamment l'Ukraine, à faire un choix, considérant - c'est écrit au point 94 - que le fait de rejoindre l'Union douanière eurasiatique rendrait impossible l'intégration à l'UE. En 2012-2013, compte tenu de l'importance des champs de coopération, nous avions proposé d'organiser un dialogue à trois entre Bruxelles, Kiev et Moscou mais cela nous a été refusé, au motif que Moscou n'avait pas à intervenir dans une relation bilatérale entre l'UE et l'Ukraine.

S'agissant de la crise ukrainienne, que d'aucuns dépeignent comme un soulèvement populaire contre un pouvoir qui s'est discrédité, il n'en est rien. Il s'agit plutôt d'un coup d'état, résultant d'une divergence de vues entre différentes conceptions de l'Ukraine, sur laquelle se sont cristallisés nombre de clivages entre acteurs européens présents sur le terrain.

Pour finir, je reviendrai sur notre dernier point de différend, et non des moindres, en évoquant la question de l'examen de l'affaire Skripal par la commission des armes chimiques et l'opposition ferme du Royaume-Uni qui est parvenu à rallier à sa cause, sans preuve, nombre d'acteurs en présence dont la France. Au lieu de discuter et de décider sur le fond, on a eu une décision politique. Comment peut-on traiter de manière aussi superficielle les criminels qui ont attenté à la vie des Skripal, sur l'identité desquels nous sommes les premiers à nous interroger ? La partie russe a posé dix questions à ce sujet à la partie française et nous n'avons pas reçu de réponses à ce jour, alors que nous ne savons toujours pas quels sont les coupables de cet empoisonnement. Personne n'a le droit de condamner sans appel et sans une étude sérieuse.

Je pourrais parler plus longuement de l'Ukraine et de la Syrie, mais j'ai déjà beaucoup parlé. Néanmoins, je vous demande d'envisager les problèmes actuels de manière large, au plan spatial et temporel.

M. Christian Cambon, Sénat

En tout état de cause, nous ne sommes pas d'accord sur tout, loin s'en faut, et chacun d'entre nous est solidaire de la position défendue par son gouvernement. Concernant l'affaire Skripal, toutefois, la proposition faite par la Russie de participer à l'enquête me semble bienvenue. Je rappellerai en outre qu'à ce stade, la France a simplement rappelé le respect des traités internationaux quant à la non-utilisation des gaz toxiques et que le Sénat n'a jamais accusé personne de quelque fait que ce soit.

LA PROBLÉMATIQUE DE LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE

Mme Gisèle Jourda, Sénat

La fin de la guerre froide avait permis une rénovation de l'architecture de sécurité européenne, avec la signature en 1990 de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe et l'adoption, dans le cadre de l'OSCE, de nombreux accords - tel que le traité sur les forces conventionnelles en Europe - inaugurant une ère de stabilité et de coopération entre la Russie et les pays européens. Dans le même temps, l'accession à l'indépendance des anciennes républiques fédérées de l'URSS s'effectuait sans difficulté majeure.

A partir des années 2000, une dynamique de confrontation est progressivement réapparue au sein du continent européen. Malgré les arrangements passés avec l'OTAN, comme la signature en 1997 d'un Acte fondateur et la mise en place d'un conseil OTAN-Russie, la Russie a progressivement adopté une posture d'opposition à l'OTAN, contestant les élargissements successifs considérés par elle - à tort - comme une avancée menaçante en direction de ses frontières. Le projet de déploiement d'un système de défense anti-missile balistique et l'intervention de l'OTAN dans les Balkans à l'occasion des guerres d'ex-Yougoslavie ont également nourri les griefs de la Russie.

Cela a favorisé l'émergence de conflits et de tensions dans l'ancien espace soviétique. En effet, la Russie s'oppose à l'élargissement de l'OTAN et, plus largement de l'influence occidentale dans ce qu'elle considère comme « sa zone d'influence privilégiée » et un traditionnel glacis sécuritaire.

Les tensions se sont exacerbées lors de la crise ukrainienne, occasionnant de nombreuses démonstrations de force de la Russie : mouvements de troupes à proximité des frontières, exercices militaires non annoncés, violation des espaces aériens et maritimes des pays voisins, actions hybrides, évocation d'une possible utilisation de l'arme nucléaire, simulation de tirs nucléaires à la fin des manoeuvres militaires...

Inévitablement, cette dégradation du contexte sécuritaire a conduit l'OTAN, alliance défensive, à renforcer sa présence militaire à l'est de l'Europe pour rassurer ses membres orientaux sans remettre en cause, toutefois, il faut le rappeler, les engagements de limitation pris dans le cadre de l'Acte fondateur OTAN-Russie. En réaction, la Russie renforce, elle aussi, ses capacités militaires, comme l'illustre l'installation de missiles Iskander à capacité nucléaire à Kaliningrad et en Mer Noire. De part et d'autre, on assiste donc à une surenchère militaire qui nous inquiète beaucoup.

En effet, si la confrontation reste jusqu'à présent maîtrisée, elle n'en est pas moins inquiétante dans la mesure où les instruments de sécurité collective européens, qui garantissaient la prévisibilité et la transparence des activités militaires ne marchent plus : la Russie a suspendu l'application du traité sur les forces conventionnelles en Europe et les notifications prévues par le « Document de Vienne » sont en partie contournées. La mise en oeuvre du traité « Ciel ouvert » fait l'objet de restrictions, et il existe des doutes sur l'application et l'avenir du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI).

Consciente que de bonnes relations entre l'OTAN et la Russie sont vitales pour la sécurité européenne, la France se montre particulièrement attentive à les faciliter. Ainsi, elle a toujours poussé à l'élaboration des arrangements comme l'Acte Fondateur et le Conseil OTAN-Russie (COR), et elle s'est montrée prudente à l'égard des élargissements de l'Alliance atlantique. Fidèle à cette ligne, le Sénat français s'est prononcé lors de l'admission du Monténégro à l'OTAN, contre tout élargissement ultérieur.

Notre pays s'inquiète aujourd'hui des tensions militaires sur le continent européen et souhaite travailler avec la Russie à ranimer l'architecture européenne de sécurité pour maîtriser les risques de confrontation militaire. Notre intérêt commun est de préserver la stabilité stratégique en Europe.

Dans l'immédiat, il nous paraît essentiel de poursuivre les discussions dans le cadre du Conseil OTAN-Russie et du « dialogue structuré » de l'OSCE, afin de permettre des avancées concernant la réduction des risques d'incidents et le rétablissement de mesures de confiance et de transparence.

A plus long terme, la Russie et la France pourraient engager une réflexion sur la modernisation des instruments de maîtrise des armements et leur adaptation au contexte actuel. Il faudrait tenir compte des nouveaux types d'armements comme les armes non nucléaires de haute précision et les drones. Nos deux pays pourraient se donner comme objectif de faire émerger de nouveaux régimes de maîtrise des armements dans les domaines non couverts.

Enfin, le Sénat propose la tenue à terme d'un sommet sur la sécurité en Europe associant la Russie pour évoquer l'équilibre stratégique sur le continuent. Il ne s'agirait pas de procéder à un quelconque partage de « zones d'influences », démarche qui nous paraît incompatible avec le respect de la souveraineté des Etats, ni de réduire l'autonomie stratégique de l'OTAN, mais de favoriser une compréhension commune des menaces et des tensions sur le continent. Il devrait être également l'occasion pour les pays participants de réaffirmer solennellement leur attachement au droit international et à un certain nombre de principes indispensables à notre sécurité collective : le non-recours à la force, le respect de la souveraineté et de l'intégrité des frontières, notamment dans l'esprit de l'Acte final d'Helsinki.

Pour nous, l'organisation d'un tel sommet ne serait pas envisageable dans l'immédiat. Nous vous rejoignons lorsque vous affirmez dans votre contribution écrite au dernier chapitre que discuter sérieusement de l'architecture de sécurité européenne suppose d'avoir accumulé auparavant une « masse critique de coopération positive ». A notre sens, cela implique notamment d'avoir réglé au préalable le conflit ukrainien. Si l'on arrive à surmonter cette crise, alors cette perspective d'un sommet européen sur la sécurité devient possible.

M. Sergey Kislyak, Conseil de la Fédération de Russie

Je vous remercie de votre invitation à participer à cette conversation très ouverte, qui devrait nous permettre d'ouvrir une voie de dialogue constructif entre nos deux pays. Je suis très sensible à la manière dont vous avez présenté vos propos sans les enrober, cela nous permet de parler aussi ouvertement et franchement.

Sur de nombreux points, mon point de vue coïncide avec celui déjà développé par Konstantin Kossatchev dans son propos introductif et je vais le prolonger.

Force est de constater que le rapport que nous avons rédigé ensemble ne nous a pas rapprochés sur tous les sujets que nous avons abordés. Mais il nous permet de réfléchir à la raison pour laquelle nous l'avons fait ainsi qu'à la voie à suivre.

En Syrie, la complexité des problèmes auxquels nous nous trouvons confrontés est un symptôme mais ne constitue pas la raison première des tensions entre la Russie et les pays de l'OTAN dont la France.

Lorsque la guerre froide a été achevée, nous avons nourri beaucoup d'illusions. La Russie était sûre d'avoir changé et pensait que ses partenaires changeraient également. Nous avons alors signé la Charte de Paris mais quelque chose n'a pas fonctionné, à cause de nos conceptions différentes de l'avenir de l'Europe.

De notre point de vue, la Russie et l'Europe ne constituent pas deux entités séparées et nous nous sommes toujours considérés comme faisant partie de l'Europe. À cet égard, la sécurité européenne devait, selon nous, reposer sur un principe « d'inclusivité » et s'ériger véritablement comme bien commun des parties en présence.

Dans cette optique, nous avions proposé à nos partenaires occidentaux de nouvelles approches pour une Europe inclusive, assurant une sécurité commune. Nous cherchions alors à nouer un dialogue ouvert et franc avec nos partenaires, comme celui que nous avons aujourd'hui avec vous. Nous n'avons toutefois pas eu la possibilité à l'époque, de discuter avec eux, notamment à l'OSCE, d'un éventuel accord de sécurité inclusive dans lequel les pays européens et la Russie assureraient ensemble les conditions d'une sécurité commune.

Ce dialogue n'a pas eu lieu et nous avons ensuite assisté, impuissants, à l'extension de l'OTAN vers l'est, laquelle allait totalement à l'encontre des engagements pris par les Américains vis-à-vis de Gorbatchev. Ces derniers avaient en effet affirmé à l'époque que l'OTAN ne franchirait pas la frontière orientale de la RDA après la réunification et nous constatons aujourd'hui que cette organisation, qui assure la sécurité de ses membres, se rapproche sans vergogne de nos frontières. J'ai été le premier ambassadeur de la Russie à l'OTAN et je connais bien cette organisation. Je n'ai jamais eu le moindre doute sur ses intentions, malgré l'Acte fondateur OTAN-Russie. L'OTAN s'est toujours positionnée contre un seul pays en Europe : la Russie.

Nous avons fondé de grandes espérances dans le Conseil OTAN-Russie mais nous ne pouvons que constater, avec amertume, qu'il ne s'agissait là que d'un « cache-sexe », visant à masquer les intentions de l'OTAN. La Russie n'a pas eu la possibilité de prendre des décisions conjointes avec l'OTAN, même sur des sujets mineurs, car l'Acte Fondateur ne le prévoyait pas. Il ne lui été proposé que d'adhérer aux décisions de l'OTAN. Cela a généré des déceptions et des frustrations. Nous avons traversé ensuite plusieurs crises post-guerre froide, qu'il s'agisse de la première guerre « chaude » en Serbie, de la crise géorgienne ou les événements plus récents en Ukraine.

Mais ce n'est pas nous qui sommes à l'origine de cette situation. Elle nous a été imposée par nos collègues occidentaux qui s'estiment gardiens de la sécurité européenne. Dans le même temps, les impératifs de sécurité de la Russie ont été traités avec mépris, quand ils n'ont pas été purement et simplement ignorés. C'est cela qui est à l'origine de la situation présente.

Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis procèdent à l'encerclement de notre pays et pratiquent la politique du confinement à notre égard. J'en veux pour preuve les développements militaires aux frontières de la Russie, avec notamment le déploiement de bombardiers stratégiques B52 qui s'entraînent à nos frontières, l'intensification des vols ou les manifestations navales en mer noire, qui suscitent des réactions de la Russie.

Au lieu d'une coopération à la sécurité commune, on assiste à des actions visant à confiner la Russie. Mais nous n'allons pas entreprendre, pour autant, une riposte militaire. Nous nous devons toutefois de réagir car nous devons défendre pour nos intérêts. La question qui se pose est que faire pour l'avenir ? Cette surenchère militaire ne va pas favoriser la stabilité en Europe et la sécurité. A cet égard, un retour à ce que nous avons connu dans le passé, une simple réaffirmation des principes ne suffiront pas à résoudre cette question à long terme. Certes, les problèmes actuels (Ukraine, maîtrise des armements...) nécessitent des solutions et nous sommes prêts à y réfléchir, mais il nous faut aussi penser à l'avenir de l'Europe - une Europe comprenant la Russie - et à la manière dont nous pouvons le construire ensemble, pour nos peuples. Nos collègues occidentaux refusent d'y réfléchir et se focalisent sur des actions visant à faire changer la Russie d'orientation, qui, bien sûr, défendra ses intérêts nationaux. Mais il y a un dialogue possible à ce sujet avec nos collègues français et nous tenons en haute estime ce dialogue. Il faut penser à l'avenir de nos enfants et petits-enfants en Europe et nous assurer qu'ils puissent se sentir à l'aise dans cet espace.

M. Christian Cambon, Sénat

Soyez assurés que personne ne milite pour un encerclement militaire de la Russie autour de cette table. Cette semaine, j'ai reçu des dirigeants géorgiens et je leur ai dit que la France ne soutiendrait pas leur volonté d'adhérer à l'OTAN. La France a d'ailleurs toujours eu sa propre vision de cette organisation, s'inspirant de la doctrine gaulliste.

Nos deux délégations ont accompli un travail d'éclaireurs, visant à rétablir le dialogue entre nos deux pays et le Président de la République, qui se rendra prochainement à Moscou, a d'ailleurs voulu prendre connaissance de notre rapport conjoint au plus vite. Celui-ci lui sera par conséquent transmis sous peu.

Enfin, je concède que nous n'avons pas forcément été toujours d'une habileté extraordinaire dans la gestion des problèmes que nous avons rencontrés dans nos relations avec la Russie.

LES MOUVEMENTS D'INTÉGRATION RÉGIONALE DANS L'ESPACE EUROPÉEN ET EURASIATIQUE

M. Andrey Klimov, Conseil de la Fédération de Russie

Cette année, nous allons commémorer le centenaire de la fin de la première guerre mondiale, qui a été une tentative d'organiser une intégration de l'espace euro-asiatique.

La Russie, du fait de la Révolution qui s'est engagée en 1917, a quitté cette guerre qui s'est terminée en 1918. Vingt ans plus tard, le continent européen a connu une nouvelle agression de l'Allemagne qui a tenté d'organiser à nouveau une intégration de cet espace sous la bannière du III e Reich. Cette tentative a débouché sur la tentative de mettre en place la Communauté économique du charbon et de l'acier (CECA) en 1950, laquelle visait à contrôler la production de charbon et d'acier, en vue de limiter la course à l'armement en Europe. Et le Traité de Maastricht, de nombreuses années plus tard, a permis à l'Union européenne de voir le jour.

En 1922, les Bolcheviks ont créé l'Union soviétique qui s'est effondrée en 1991, après soixante-dix ans d'existence. Difficile de savoir, aujourd'hui combien de temps vivra l'Union européenne, qui a déjà rencontré pas mal de problèmes depuis sa mise en place.

Lorsque le Mur de Berlin est tombé, en 1989, nous pensions célébrer, avec nos homologues européens une victoire commune sur la guerre froide et en profiter pour édifier de nouvelles relations en Europe. Mais George Bush père a rapidement déclaré qu'il s'agissait, dans les faits, d'une victoire du peuple américain sur les Soviétiques, mettant ainsi à mal tout espoir de coopération entre la Russie et les pays de l'UE.

Pourtant, bien avant la fin de la guerre froide, en 1959, de Gaulle avait lancé le projet d'une Europe unie de l'Atlantique à l'Oural ce qui avait alors suscité bien des espoirs. L'accord d'Helsinki de 1975, ayant donné naissance à l'OSCE, aurait dû être un facteur de sécurité en Europe. Mais si le Pacte de Varsovie a été dissous en 1991, l'OTAN est restée en place et n'a eu de cesse de s'élargir à l'Est. Dans le même temps, l'opposition des deux blocs, dans une posture d'affrontement, a persisté, comme l'ont souligné les membres de notre délégation qui se sont exprimés avant moi.

Nous avons été les premiers à reconnaître l'indépendance des pays issus du démantèlement de l'URSS et nous pensions que nous n'avions que des amis sur le continent européen. À cet égard, je rappellerai tout de même que ce n'est pas Poutine mais Nazarbaïev, le président du Kazakhstan, qui a indiqué qu'il était important de créer une union eurasiatique. Et en 1994, nous avons signé un accord de partenariat et de coopération avec l'Union européenne.

Néanmoins, peu à peu, ces processus d'intégration ont été freinés et la Russie s'est retrouvée de plus en plus isolée sur l'échiquier international. Le projet de partenariat oriental, piloté par la Pologne, a également participé à cet isolement. De même que les déclarations de diplomates luxembourgeois qui avaient indiqué, en 2006, qu'ils allaient intégrer certains morceaux de la Russie, en tentant de faire croire ensuite que ce n'était pas ce qui avait été dit.

Nous avons ensuite repris notre cheval de bataille de l'intégration européenne et nous nous sommes trouvés confrontés à l'opposition du secrétaire d'état américain qui, en 2011, a indiqué qu'il n'y aurait pas d'intégration eurasiatique en Europe.

Cela fait deux cents ans que nous appelons de nos voeux l'établissement d'une amitié sans failles avec la France et nous aimerions parvenir à nos fins sous peu. Si les États-Unis ont trois voisins, nous en avons trente. Nous sommes donc contraints d'être sur l'arène mondiale sur un plan géographique et fort heureusement, nous entretenons de bonnes relations avec les quatre cinquièmes des pays du monde, dont le Japon, les deux Corées et les pays de l'ASEAN.

Tout devra être mis en oeuvre pour garantir l'application des accords de Minsk conclus le 11 février 2015 entre les dirigeants de l'Ukraine, de la Russie, de la France et de l'Allemagne concernant la guerre dans le Donbass. Nous devons nous parler, pour mieux nous comprendre et sortir du cercle vicieux de la méfiance réciproque.

M. Bernard Cazeau, Sénat

Le souhait de la Russie de renforcer et d'institutionnaliser ses liens historiques, économiques et sécuritaires avec les pays de l'ancien espace soviétique a conduit à l'émergence de nouvelles formes d'intégration régionale comme l'organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et surtout l'Union économique eurasiatique, dont le mode de fonctionnement se veut très proche de celui de l'UE.

On ne peut que se réjouir de cette dynamique de structuration régionale des espaces qui, au demeurant, se développe partout dans le monde. En effet, elle est un facteur de croissance au plan régional en même temps qu'un moyen « d'apprivoiser » la mondialisation.

Il n'est pas souhaitable, en revanche, que cette évolution se traduise par une forme de concurrence entre les structures régionales conduisant à ce que des choix binaires et exclusifs soient imposés à des pays situés dans leur voisinage commun, comme cela a été le cas avec l'Ukraine. Ces pays du « voisinage partagé devraient être, au contraire, des passerelles entre Union européenne et Union eurasiatique. L'exemple de l'Arménie, membre de l'Union eurasiatique, qui a conclu un partenariat complet avec l'UE en mars 2017, montre qu'il est possible d'aboutir à des accords compatibles avec une double appartenance des Etats à chacun des deux espaces, au bénéfice de tous.

Par ailleurs, il importe que les processus d'intégration régionale soient librement consentis par leurs Etats membres. Les élargissements passés de l'Union européenne ont ainsi toujours résulté d'une aspiration spontanée à la rejoindre, liée à son attractivité et non à des pressions économiques ou politiques.

Vous évoquez dans votre texte l'idée de faire émerger un « grand espace commun de l'Atlantique au Pacifique » et de promouvoir, dans ce but, une convergence entre les organisations régionales du continent euro-asiatique. Cette idée - qui n'est pas nouvelle - nous semble pertinente et pourrait constituer à long terme un objectif partagé.

Mais la Russie le souhaite-t-elle réellement ? Ce n'est pas le sentiment que nous avons quand nous voyons la situation du Donbass ou encore quand la Russie prend des mesures protectionnistes vis-à-vis de l'Union européenne.

Pour nous, il est évident que l'Union européenne et l'Union économique eurasiatique n'ont pas vocation à se tourner le dos. Nous restons donc favorables à un approfondissement des discussions techniques entre elles, ainsi qu'à la reprise du dialogue au plan politique, lorsque la question ukrainienne aura été réglée.

Enfin, concernant le projet chinois des routes de la soie (dénommé « Belt and Road Initiative »), il est vrai qu'il constitue, par les sommes en jeu et les implications géostratégiques, un défi immense pour la Russie comme pour l'Union européenne. Certaines estimations évoquent un potentiel d'investissement de 21 000 milliards de dollars, soit la moitié du PIB mondial. La Russie n'a sans doute pas intérêt à rester à l'écart de ce projet qui interroge la cohésion de l'Union économique eurasiatique. Quant à l'UE, elle doit bien évidemment veiller, dans cette affaire, à la préservation de ses propres intérêts. Il nous semble donc urgent que la France, l'Union européenne et la Russie se concertent davantage à ce sujet pour ne pas être mises devant le fait accompli.

DISCUSSION

Mme Christine Prunaud, Sénat

Nous sommes convaincus que les femmes qui vous accompagnent ne sont pas là uniquement pour faire acte de figuration. Tout comme les femmes peu nombreuses dans notre commission, auxquelles le président veille toujours à accorder une juste place et une liberté d'expression.

Je voudrais à présent vous parler de la question kurde en Syrie. Je pense que vous pouvez avoir une influence énorme dans la gestion de ce conflit, auquel nous nous devons de trouver une issue. Actuellement, la Turquie pénètre dans le Nord-Est de la Syrie et a pour objectif d'anéantir le peuple kurde. Or, l'armée russe était en place dans cette région qu'elle a quittée récemment, laissant ainsi le champ libre à la Turquie. La Turquie est un Etat très autoritaire, qui brime les droits humains dans son pays et on ne peut pas tolérer qu'elle anéantisse un peuple comme cela hors de ses frontières. Plusieurs parlementaires ont demandé au gouvernement français d'user de son influence afin que cesse ce conflit contre les Kurdes en Syrie mais cela n'a pas été suivi d'effets.

Vous êtes les seuls qui pourraient vraiment influer sur la Turquie dans cette affaire. Je tiens à souligner que ces Kurdes du Nord-Est de la Syrie que je défends ne sont pas des terroristes, loin s'en faut, ce sont même des laïcs. Et je conclurai en évoquant ces femmes kurdes qui ont combattu contre Daech et ont en cela largement contribué à faire tomber les villes détenues par les islamistes.

M. Konstantin Kossatchev, Conseil de la Fédération de Russie

Notre délégation aurait dû comporter plus de femmes mais Mme Bokova a dû renoncer à venir avec nous car elle doit rapporter demain devant la Douma sur un certain nombre de projets de loi. Nous regrettons l'absence de cette collègue mais nous tenons à souligner que la présidence de notre Conseil de la Fédération est occupée par une femme.

Pour ce qui est des événements que vous avez évoqués, survenus récemment au nord de la Syrie où la population kurde est densément présente, M. Poutine était hier en Turquie et il a donné une conférence conjointe avec le Président de la Turquie et le Président de l'Iran. Il a notamment indiqué que les Kurdes de Syrie faisaient partie intégrante de la population multi-ethnique de Syrie quand la question lui a été posée directement.

Je rappellerai, en outre, que nous sommes présents en Syrie pour résoudre le problème du terrorisme et que la partie kurde a toujours combattu ce fléau à nos côtés. Les Russes disposent de deux points d'appui dans cette région - les forces gouvernementales, d'une part, les Peshmerga kurdes, d'autre part. Nous sommes donc préoccupés par les agissements des Turcs à l'encontre de cette population.

Pour autant, nous sommes contraints d'agir en Syrie dans un contexte plus large et nous devons peser le pour et le contre à chaque étape de notre action dans cette région du monde particulièrement complexe. Le mandat qui nous a été donné vise à impulser une désescalade du conflit et n'a pas pour objet de s'opposer aux Turcs pour défendre la population kurde. Les États-Unis nous semblent mieux placés que nous pour remplir cette mission dans la mesure où la Turquie fait partie de l'OTAN.

II. DEUXIÈME TABLE RONDE

LES RELATIONS ÉCONOMIQUES, TECHNOLOGIQUES ET COMMERCIALES

M. Joël Guerriau, Sénat

Durant les années 2000, et jusqu'au début des années 2010, les échanges économiques entre nos deux pays s'étaient fortement développés avec de nombreux contrats dans l'aéronautique, le spatial et l'armement.

Cette dynamique s'est retournée à partir de 2012 du fait du ralentissement de l'économie russe, puis de la récession provoquée, à compter de 2014, par la baisse des cours du pétrole et l'effet conjugué des sanctions et des contre-sanctions. Entre 2014 et 2015, les échanges entre nos deux pays ont diminué de 35 %, la Russie passant du 4ème au 10ème rang des marchés non européens de la France.

Si l'effet des sanctions reste difficile à isoler, il est certain que celles-ci ont eu un impact sur nos relations économiques dans les domaines directement concernés : énergie, secteur bancaire, armement, biens à double usage. Elles ont retardé, par exemple, le financement du grand projet gazier Yamal, même si le projet a fini par aboutir en 2017, grâce à des capitaux chinois, mais avec une participation en garantie de la France, via la COFACE. Les sanctions ont également un effet indirect en restreignant l'accès au financement d'entreprises étrangères souhaitant se développer sur le marché russe. De manière générale, elles fonctionnent comme un « frein psychologique » qui bride le climat des affaires.

Par ailleurs, l'embargo russe sur les produits agro-alimentaires européens, décidé en août 2014, a conduit à stopper net les importations de certains produits agricoles français comme les viandes (notamment porcine), les fromages et les fruits et légumes, fragilisant l'équilibre économique de certaines filières françaises. Cet embargo, soulignons-le, n'a fait que prendre la suite d'une politique russe de substitution aux importations, lancée avant la crise ukrainienne.

Nos relations économiques restent pourtant denses et variées. 550 filiales d'entreprises françaises, dont 35 entreprises du CAC 40 et de nombreuses PME et TPE françaises, sont toujours présentes en Russie, signe de confiance dans l'avenir de la relation. Aucune d'entre elles n'est partie depuis la crise. Au contraire, la France est devenue depuis lors le premier investisseur étranger en flux en Russie. Ensemble, les entreprises françaises emploient 170 000 salariés, ce qui en fait le premier employeur étranger en Russie. Elles sont présentes dans les secteurs agroalimentaire, financier et bancaire, la grande distribution, l'énergie et l'industrie automobile. La France est aussi le pays européen qui compte le plus grand nombre de start-up dans ce pays.

Par ailleurs, depuis deux ans, les exportations françaises vers la Russie sont reparties à la hausse, grâce à d'importantes livraisons de matériels aéronautiques. Si les exportations agricoles restent à la peine, des opportunités nouvelles sont apparues du fait de nouveaux besoins en amont (semences, bétail, technologies) et en aval (transformation, conditionnement) des filières agricoles.

Le fait que le Conseil économique, financier et industriel, le CEFIC, se réunisse à nouveau régulièrement et au niveau ministériel, depuis janvier 2016, souligne la volonté de la France d'accompagner le développement des entreprises françaises en Russie.

De fait, nous souhaitons développer nos relations économiques. La Russie aura besoin des investissements européens pour moderniser son économie et réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Elle ne peut tout miser sur une Chine qui n'investit que très prudemment et de manière très ciblée sur le marché russe.

Par ailleurs, nos coopérations sont fortes dans l'énergie, l'aéronautique - avec le programme Sukhoi Superjet 100 et l'avion civil MC-21- ou le spatial. Le nucléaire civil et l'efficacité énergétique sont des secteurs sur lesquels l'expertise française intéresse la Russie. Les services urbains, les services de santé, le numérique, dans lesquels les entreprises françaises sont en pointe, devraient aussi se développer fortement dans les prochaines années.

Pour cela, il faut lever les obstacles.

D'abord, il y a évidemment la question des sanctions et, plus largement, celle du rétablissement de la confiance sur le plan politique. Sur ce point, notre message est que nous souhaitons sincèrement la levée des sanctions, mais que celle-ci reste conditionnée à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Rappelons à ce sujet que le Sénat a voté le principe d'une levée progressive et graduée des sanctions en cas de progrès tangibles constatés dans l'application par la Russie de ces accords.

Par ailleurs, il faut lever les barrières non tarifaires aux échanges : complexité de la législation, restrictions à la concurrence, lenteur des procédures, environnement des affaires.

Enfin, la France et ses partenaires européens attendent de la Russie qu'elle se conforme à ses engagements dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce, notamment concernant la levée de l'embargo sur le porc et les produits porcins en provenance de l'UE, ou encore la taxe de recyclage sur les voitures importées. Le respect par la Russie de ses engagements internationaux est un paramètre essentiel pour les acteurs économiques et la condition d'une confiance retrouvée.

M. Alexey Dmitrienko, Conseil de la Fédération de Russie

Je vais essayer d'être bref, d'autant que la partie que nous sommes en train de traiter est probablement celle qui pose le moins de problèmes.

Il y a un effet négatif des sanctions de l'Union européenne sur les relations commerciales entre la Russie et la France. Les échanges entre nos deux pays représentaient en effet 28 milliards de dollars en 2011, contre moins de la moitié en 2016. En 2017, on sent poindre une évolution plus positive mais le niveau de 2011 reste un lointain souvenir. Force est de constater que les échanges franco-russes sont revenus à la normale, ce qu'il convient de souligner. Une logique d'intérêts réciproques est à l'oeuvre et même si la situation internationale est complexe, elle n'influe pas sur la réalisation de nos initiatives conjointes dans différents domaines.

Nos échanges sont ainsi en croissance depuis deux ans, même si nos données statistiques sont parfois discordantes, ce qui s'explique notamment par des divergences de vues sur le pays d'origine des marchandises ou par des différences dans les monnaies de calcul qui sont sujettes à des fluctuations de coûts.

La balance des paiements de la Russie montre que les investissements directs de la France en Russie représentent 14 milliards de dollars. La France reste donc un grand investisseur en Russie et nombre d'entreprises françaises telles que Renault, PSA, Alstom, Danone, Lactalis, Bonduelle, Sanofi, Lafarge ou Saint-Gobain sont présentes dans notre pays. En 2017, la France occupait même le premier rang des investisseurs à l'intérieur de nos frontières, devant l'Allemagne.

Le Ministère russe en charge du développement économique est en relation constante avec le MEDEF, notamment via le conseil consultatif sur les investissements.

54 entreprises françaises ont un investissement cumulé en Russie représentant 60 milliards de dollars. Deux tiers des importations réalisées dans notre pays sont des matières premières.

Nous constatons par ailleurs un certain manque d'innovation de la part des acteurs en présence, ainsi qu'un retard du développement des entreprises russes en France. A ce jour, celles sont au nombre de 86 et auraient créé environ 4 500 emplois.

Au cours de la période récente, les relations économiques franco-russes ont connu une nouvelle impulsion, suite à la rencontre entre le Président Poutine et le Ministre français en charge de l'économie, accompagné d'une délégation. Nous espérons par conséquent que le Président de la République française Emmanuel Macron participera au mois de mai 2018 au Forum économique à Saint-Pétersbourg, ce qui démontrera la volonté de nos deux pays de mieux collaborer ensemble.

M. Christian Cambon, Sénat

Nous espérons nous aussi que les conditions seront bientôt réunies pour une baisse des sanctions vis-à-vis de la Russie et nous sommes convaincus que les régions auront un rôle important à jouer dans les prochaines années pour dynamiser les relations économiques de nos deux pays.

LE PARTENARIAT CULTUREL, ÉDUCATIF ET HUMAIN

M. Andrey Klimov, Conseil de la Fédération de Russie

Nous ne pouvons que nous féliciter du fait que les conflits que nous connaissons actuellement n'aient pas mis fin à nos bonnes relations culturelles.

Il y a quelques décennies, nombreux étaient les Russes qui parlaient le français. Et après la Révolution de 1917, la France a servi de terre d'accueil à de nombreux Russes fuyant le nouveau régime des Bolcheviks. Nous ne pouvons que nous réjouir, en outre, de l'ouverture d'un nouveau centre spirituel russe en France, au cours de la période récente, attestant du dynamisme réel des relations culturelles que nos deux pays n'ont jamais cessé d'entretenir.

Ces relations sont d'ailleurs toujours restées assez dynamiques, ce qui a notamment permis l'organisation d'une grande exposition en 2012, en pleine période de guerre des sanctions entre nos deux pays, et qui a également favorisé l'organisation d'une année croisée de la langue et de la littérature particulièrement fructueuse en 2017. Des efforts ont également été mis en oeuvre pour parvenir à une double reconnaissance des diplômes délivrés par les autorités de nos deux pays.

Dans ce climat plutôt favorable, certains sujets n'en constituent pas moins, pour nous, des points de préoccupation majeurs. Nous déplorons notamment vivement que notre espace culturel soit constamment pollué par de fausses nouvelles et que les autorités de notre pays fassent l'objet de rumeurs, circulant à travers le monde sans aucun contrôle.

Nous notons par ailleurs qu'alors que la France a toujours affirmé haut et fort son attachement profond à la liberté d'expression, nos collègues de RT et de Spoutnik nous rapportent souvent qu'ils ne se sentent pas très à l'aise dans votre pays car ils défendent des points de vue différents de ceux véhiculés par la majorité des médias occidentaux. J'ajoute que si certains Français semblent estimer que la Russie se mêle des intérêts de la France, d'aucuns pensent, à l'intérieur de nos frontières, que c'est plutôt l'inverse qui se produit.

Là encore, et plus que jamais, le dialogue devra être maintenu entre nos deux pays, afin d'éviter les malentendus, en vue de favoriser une coopération culturelle, affirmée et fructueuse, entre la France et la Russie, au-delà de nos différences qui sont réelles et le resteront.

M. Christian Cambon, Sénat

Pour rebondir sur ce que vous venez de dire, sachez que notre Parlement s'apprête à examiner un projet de loi visant à sanctionner les fake news .

M. Joël Guerriau, Sénat

Vous l'avez souligné, une longue tradition d'amitié lie le peuple français et le peuple russe, fondée sur le partage de moments forts dans l'histoire et sur une considération réciproque pour la culture de l'autre. Cet attachement et cette sympathie se manifestent spontanément en de multiples occasions et particulièrement lorsque nos deux pays subissent des tragédies ou des attentats, comme c'est malheureusement trop souvent le cas.

Le champ culturel a toujours été l'une des facettes les plus dynamiques de nos relations. Saluons, à cet égard, la vitalité et la richesse de la programmation culturelle croisée mise en oeuvre conjointement par nos deux pays. L'année croisée 2018, inaugurée en mars dernier avec un Salon du Livre de Paris, a mis la Russie à l'honneur, occasion de commémorer le bicentenaire de la naissance de l'écrivain Ivan Tourgueniev, qui a longtemps vécu en France, et celle du centenaire de la naissance d'Alexandre Soljenitsyne, dont le livre L'Archipel du Goulag fut publié pour la première fois en France. En 2020, le Musée du Luxembourg, dans l'enceinte du Sénat, devrait, ici même, accueillir une exposition consacrée au fameux joaillier russe Fabergé, fournisseur officiel de la cour des tsars. Un événement rare, d'ores et déjà promis à un grand succès !

En matière de coopération universitaire, l'entrée en vigueur récente en 2016 d'un accord sur la reconnaissance mutuelle des diplômes devrait augmenter le nombre d'étudiants russes suivant des études longues en France - lesquels sont actuellement au nombre de 6 000 -, ce dont nous nous félicitons.

Il faut également se réjouir du dynamisme de la coopération scientifique et technique entre nos deux pays, la France étant le troisième partenaire scientifique de la Russie. Cette coopération étroite, héritage d'une tradition ancienne, repose notamment sur l'implication d'organismes publics de renom, comme le CNRS, l'INSERM ou l'Institut Pasteur, côté français.

Il n'empêche que les tensions politiques ou les représentations parfois déformées, véhiculées par les médias, ont éloigné nos sociétés l'une de l'autre.

Pour éviter qu'un fossé trop grand ne se creuse et pour corriger des perceptions erronées, il est indispensable de renforcer et d'intensifier les échanges culturels, intellectuels et humains, à tous les niveaux.

C'est pourquoi nous insistons pour que la France et la Russie se soutiennent et s'accompagnent mutuellement dans leurs efforts de promotion des langues française et russe. Ceux-ci reposent, bien sûr, en premier lieu, sur les établissements scolaires, mais il faut aussi mettre en valeur le rôle actif joué par les réseaux culturels. On ne peut donc que souhaiter, à cet égard, l'aboutissement des négociations en cours visant à conforter le statut des alliances françaises - qui sont au nombre d'une dizaine - présentes en Russie, de même que celui de l'Institut Pouchkine en France.

Par ailleurs, c'est une évidence, nos deux pays doivent s'efforcer de faciliter les contacts entre leurs ressortissants. Le déroulement en Russie de la prochaine Coupe du monde de football sera, à coup sûr, une occasion de rencontres et de moments partagés. Mais à côté de l'organisation d'événements de ce type, il faut aussi améliorer le cadre juridique de nos échanges. De ce point de vue, la récente entrée en vigueur de l'accord sur les échanges de jeunes, signé en 2008, constitue une avancée. On espère aussi que l'accord de 2009 sur les migrations professionnelle pourra être prochainement redynamisé, notamment en ce qui concerne le dispositif « visas vacances travail », en général très apprécié des jeunes.

S'agissant des visas de court séjour, je rappelle que nous sommes, sur le principe, favorables - sous réserve, bien entendu, de réciprocité - à un régime d'exemption en faveur des citoyens russes. Cependant, vous le savez, la reprise des négociations à ce sujet reste conditionnée à la levée des sanctions contre la Russie et donc à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous y préparer en exploitant au mieux toutes les possibilités offertes par l'accord de facilitation (sur la délivrance de visas) de 2007, actuellement en vigueur. En ce qui concerne la Russie, il semble exister une marge de progression importante, qu'il s'agisse de la durée de validité ou des délais de traitement. La France, pour sa part, se montre diligente, en délivrant ses visas en principe en 48 heures et en développant les visas « à entrées multiples », permettant à une même personne d'effectuer plusieurs séjours.

Enfin, il faut, bien sûr, encourager la montée en puissance du « dialogue de Trianon », lancé à la suite de la rencontre entre les présidents Macron et Poutine le 29 mai 2017, à Versailles. Ce dialogue vise à susciter, au moyen de plateformes numériques, des échanges directs entre les citoyens et acteurs des sociétés civiles des deux pays sur des sujets éloignés des préoccupations politiques, à l'instar du premier thème retenu, la « ville du futur ». Cette méthode originale, qui évite la mise en place d'une structure bureaucratique et réservée à des élites, permettra, nous l'espérons, d'inventer des coopérations innovantes, à partir des idées ainsi collectées.

LES LIENS INTERRÉGIONAUX

Mme Tatyana Lebedeva, Conseil de la Fédération de Russie

Nous sommes enfin arrivés au chapitre 6 et c'est sans doute le domaine le plus réjouissant de la coopération entre nos deux pays.

Parmi les 85 régions de notre pays, 80 entretiennent des relations commerciales avec la France. Et si certaines d'entre elles ont développé des liens très forts avec des entités régionales françaises, cela ne signifie pas, pour autant, que les autres régions ne développent aucun projet avec la France.

Si l'on interroge les Russes sur le regard que ceux-ci portent sur la France, la plupart d'entre eux parlent d'amitié et de partenariats. Tout devra donc être mis en oeuvre pour favoriser le développement de relations interrégionales entre nos deux pays, en veillant à faire vivre les accords déjà conclus.

A titre personnel, je représente ici la ville de Volgograd et je ne résiste pas à l'envie d'évoquer les liens étroits que le maire de notre ville a tissés avec la France. Il a ainsi récemment inauguré une exposition consacrée à la bataille de Stalingrad qui se tiendra d'abord à Dijon, puis à Montpellier et à Dunkerque.

Le Conseil de la Fédération de Russie et le Sénat pourraient également s'atteler à l'organisation d'un « forum des régions » qui permettrait une présentation réciproque des régions de nos deux pays. Tout ce qui touche à la jeunesse nous intéresse, en outre, au plus haut point et nous verrions d'un très bon oeil la conclusion de partenariats dans ce domaine, notamment avec nos homologues français.

Nous avons la volonté de donner un prolongement à la réunion sur la coopération décentralisée qui s'était tenue à Nice en 2012. À cet égard, il pourrait être envisagé d'organiser une grande rencontre interrégionale entre nos deux pays, qui se tiendrait dans une ville de Russie afin de faire mentir la réputation selon laquelle les Russes seraient des gens fermés, qui ne souriraient jamais.

M. Jean-Noël Guérini, Sénat

La coopération décentralisée entre la France et la Russie est un champ de notre relation qui mériterait d'être développé. En effet, au-delà d'une intensification des relations institutionnelles entre acteurs locaux, elle est aussi de nature à favoriser et à diversifier les occasions de contacts (jumelages, voyages, etc.) entre les peuples.

Bien sûr, des échanges suivis existent déjà entre collectivités russes et françaises et l'on ne peut que s'en réjouir.

Pourtant, force est d'admettre que la coopération décentralisée entre nos deux pays est loin d'épuiser son potentiel. Ainsi, il semblerait que moins de la moitié de la quarantaine de partenariats recensés entre collectivités françaises et russes seraient effectivement actifs. Les difficultés économiques et budgétaires de nos deux pays ainsi que la récente réforme régionale en France - qui a conduit à geler temporairement certains projets - ont sans doute contribué à cette situation.

S'ajoutent à cela la barrière de la langue et la différence des structures institutionnelles compétentes, d'un pays à l'autre. Ainsi, ces structures sont diverses et spécifiques aux différentes formes de coopération décentralisée en France (Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, Commission nationale de la coopération décentralisée, l'association Cités Unies France...) alors qu'en Russie, c'est le Ministère de l'Economie qui est compétent. Il en résulte, de la part de la Russie, une forte appétence pour des coopérations dans le champ économique, alors que pour la France, la coopération décentralisée a vocation à s'intéresser aussi à des sujets « sociétaux » comme la jeunesse, l'éducation, les questions environnementales, la sauvegarde du patrimoine...Un élargissement de l'approche russe permettrait sûrement de dynamiser notre coopération décentralisée. De même, nous suggérons que, côté russe, elle ne concerne pas seulement les régions mais également les villes.

Une manière d'avancer serait de donner une suite - sans doute cette fois en Russie - aux assises franco-russes de la coopération décentralisée qui se sont tenues à Nice en 2012.

Par ailleurs, de préférence à l'organisation d'un « forum des régions » qui ne serait pas forcément très opérationnel, il nous semble qu'une réunion de la commission mixte de coopération décentralisée, prévue par l'accord de 2011 relatif au soutien à la coopération décentralisée - qui, soulignons-le, n'a jamais été programmée - pourrait s'avérer utile.

CONCLUSION

M. Christian Cambon, Sénat

Nous avons voulu donner une dimension constructive à ce dialogue, pour la partie française. Je pense notamment à la reprise par notre collègue Robert del Picchia de la proposition de conduire une opération de maintien de la paix dans le Donbass, pour permettre un règlement de la crise ukrainienne. Nous continuons aussi à plaider pour une levée graduée et proportionnée des sanctions, en fonction des progrès réalisés dans la mise en oeuvre des accords de Minsk.

Concernant la Syrie, il conviendra de mettre en place, dans le cadre du processus de Genève, le comité constitutionnel issu du Congrès de Sotchi, en vue d'enclencher un règlement politique de la crise.

Il conviendra également d'accompagner et de soutenir la montée en puissance du dialogue de Trianon entre les sociétés civiles et d'organiser, à moyen terme et après le règlement du conflit ukrainien, un sommet sur la sécurité européenne.

Le rapport que nous allons rendre public est en soi un message : il atteste en effet de la volonté des parlementaires russes et français de mieux se comprendre et de se parler, malgré des désaccords profonds. Dans le contexte difficile que nous traversons - aggravé ces derniers jours par l'affaire de l'espion empoisonné sur le sol britannique et ses conséquences diplomatiques -, rien ne serait pire, en effet, que de rompre le dialogue. Il est essentiel de maintenir les canaux ouverts et c'est ce que nous faisons en nous rencontrons aujourd'hui.

Le message délivré est d'autant plus fort que ce rapport, écrit « à quatre mains », est publié simultanément, dans un même document, en français et en russe. Cela devrait faciliter sa diffusion, que nous espérons la plus large possible.

Enfin, puisque le président Macron doit se rendre dans quelques semaines en Russie pour y rencontrer le Président Poutine, nous espérons que ce rapport contribuera utilement à préparer cette visite et sera une étape sur le chemin du rétablissement de la confiance.

En conclusion, je voudrais redire ce que j'ai écrit dans la partie française du rapport : pour la France, la Russie est un interlocuteur essentiel, qui joue un rôle stratégique au plan international et a la capacité de résoudre de nombreux problèmes. Notre pays, c'est notre conviction, aimerait renouer avec la Russie une relation forte et sincère. Nous espérons que ce dialogue pourra aider à ce rapprochement.

De manière générale, nous voulons aller de l'avant et je souhaite vivement que la visite du Président Macron soit couronnée de succès.

Je voudrais que ce travail se poursuive dans le temps et qu'une prochaine rencontre entre nos deux délégations suive la visite d'Etat en mai. Il faudrait en effet que nous continuions de nous voir au moins une fois par an. Nous avons en effet besoin de nous parler et de comprendre.

M. Konstantin Kossatchev, Conseil de la Fédération de Russie

Avant de nous quitter, je voudrais vous faire une confidence.

Quand nous avons décidé il y a dix-huit mois de préparer un rapport conjoint, nous avons éprouvé, côté russe, un profond scepticisme quant à l'issue d'une telle démarche et je pense qu'il en a été de même du côté français. Nous pensions en effet que nos points de désaccords étaient beaucoup trop profonds et que nous ne parviendrions jamais à trouver des formulations communes.

Après dix-huit mois d'intenses travaux, je peux dire à quel point je suis satisfait d'avoir traité par le mépris tous les avis qui nous disaient que nous n'arriverions à rien et que se lancer dans un tel chantier n'était que peine perdue. Certes, nous ne sommes pas parvenus à produire des textes communs mais nous avons collaboré de manière intense avec nos homologues français et cette collaboration réciproque servira d'exemple à tous les acteurs en présence qui s'intéressent, de près ou de loin, au renforcement des liens entre nos deux pays.

Tous les Russes qui s'intéressent à ces questions pourront prendre connaissance des suggestions que nous avons faites dans ce rapport, lequel sera lu également en France par tous ceux qui souhaiteraient mieux comprendre les difficultés qui se sont accumulées au fil du temps entre nos deux pays.

Notre travail conjoint a porté ses fruits ; il s'est révélé très utile mais n'est pas encore achevé. Nous avons fait la démarche d'aller de l'avant car nous avons eu la possibilité de le faire avec nos collègues français, sachant la France a toujours occupé une place particulière dans le coeur des Russes et inversement.

À cet égard, nous espérons que la France sera toujours en mesure de défendre son point de vue, même quand celui-ci est susceptible de déplaire aux autres membres de l'OTAN ou à la Russie elle-même. Nous nous réjouissons toujours quand la France adopte une vision indépendante, comme elle vient de le faire en s'opposant à l'extension de l'OTAN à la Géorgie. Nous avions été satisfaits également lorsque le Président Sarkozy s'était interposé en 2008 dans le cadre de la gestion de la crise géorgienne.

Vous nous dites que vous êtes très exigeants vis-à-vis de l'Ukraine et nous espérons que cela portera ses résultats car nous déplorons que la France ne parvienne pas toujours à faire entendre sa voix. À cet égard, nous ne pouvons que regretter vivement la solidarité qui s'est exprimée entre l'OTAN et l'UE sur l'affaire Skripal. Personne n'a le droit de développer des positions si arrêtées sans preuves et nous déplorons que la France ne se soit pas davantage élevée pour protester contre la position du Royaume-Uni sur ce dossier.

Mme Ekaterina Zakharieva, ministre des affaires étrangères de la Bulgarie, a récemment indiqué que la Bulgarie n'avait pas de relations bilatérales avec la Russie et que tout se jouait avec l'Union européenne. Nous espérons ne jamais en arriver là avec la France.

Nous souhaitons que nos relations internationales soient impulsées par des pays ayant envie de coopérer avec nous et non par des Etats ayant des positions russophobes. À cet égard, il faut que nos relations bilatérales avec la France deviennent un repère, un point de ralliement.

Je vous remercie d'avoir organisé la présente rencontre, car je me doute que vous avez dû essuyer des résistances pour y parvenir. Je me réjouis par conséquent que cette réunion ait malgré tout pu se tenir.

Nous vous attendons en Russie pour une prochaine visite, en vue de préparer un nouveau rapport, qui ira encore plus loin. Nous devons nous rencontrer le plus souvent possible afin de mieux nous comprendre et de ne pas laisser de fausses idées s'immiscer dans nos relations.

À cet égard, nous pourrions certes nous rencontrer dans nos capitales respectives mais également dans des lieux d'intérêts communs économiques et culturels entre nos deux pays. Que diriez-vous de vous rendre avec nous entre Kaliningrad et la presqu'île du Kamchatka, pour impulser un nouvel élan à notre dialogue bilatéral ?

Enfin, je conclurai en remerciant tous ceux qui nous ont aidés à organiser cette journée et nous soutiennent depuis le début de nos travaux.


* 1 « France Russie : dialogue parlementaire pour rétablir la confiance », rapport d'information n° 387 (2017-2018) de MM. Christian CAMBON et Konstantin KOSSATCHEV, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et du comité des affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, déposé le 28 mars 2018.

* 2 « France-Russie : pour éviter l'impasse », rapport d'information de M. Robert del PICCHIA, Mme Josette DURRIEU et M. Gaëtan GORCE, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 21 (2015-2016) - 7 octobre 2015.

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