N° 104

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 octobre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) relatif à l'avis rendu sur la proposition de contrat d' objectifs et de moyens entre l' État et l'Agence française de développement pour la période 2017 - 2019 ,

Par M. Jean-Pierre VIAL et Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Robert del Picchia, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger , vice-présidents ; M. Olivier Cigolotti, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Rachid Temal , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Olivier Cadic, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

INTRODUCTION

Réunie le mercredi 31 octobre 2018, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission a examiné le rapport de M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteurs, sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'Etat et l'AFD pour la période 2017-2019 .

La commission a observé que le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD couvrait la période 2017-2019, ce qui restreint la portée de l'avis à rendre. La plus grande partie des engagements de l'AFD et de l'Etat décrits dans le document ont en effet déjà été mis en application. Il est impératif que le futur projet de COM 2020-2022 soit présenté au Parlement dans un délai qui en permette l'examen utile. En outre, la commission a souligné que le présent projet de COM se présentait sous la forme d'un texte lacunaire (certains indicateurs n'étant pas renseignés) auquel fait quelque peu défaut la cohérence d'ensemble qu'on aurait pu attendre d'un document stratégique.

Au cours des dernières années, parallèlement à une diminution des ressources budgétaires consacrées par notre pays à l'aide publique au développement, l'AFD, à la fois banque de développement et agence de coopération, a connu une croissance très rapide de ses engagements en prêts et, dans une moindre mesure, en prêts bonifiés, tandis que ses ressources en dons stagnaient à un niveau insuffisant.

Le projet de COM prévoit, pour la période 2018-2019, une trajectoire financière très ambitieuse, avec un objectif de 14 milliards d'euros d'engagements en 2019 . Pour atteindre l'objectif par ailleurs fixé par le Président de la République d'une aide publique au développement (APD) portée à 0,55% du revenu national brut (RNB) en 2022, ces engagements devront même être portés à près de 18 milliards d'euros à cette échéance.

Cette nouvelle phase de croissance diffère de la précédente dans la mesure où l'instrument des dons devrait remonter en puissance jusqu'à représenter environ un quart de l'activité de l'agence à l'horizon 2022, contre moins de 15% actuellement. La commission s'est félicitée de cette inflexion qu'elle appelait de ses voeux de longue date et qui permettra de renforcer l'envergure, la portée et l'influence de la politique d'aide au développement française, en particulier en Afrique subsaharienne. Le COM prévoit ainsi un montant de 1 milliard d'euro supplémentaire en autorisations de paiement en 2019 pour les dons de l'AFD, montant effectivement inscrit au PLF 2019. Corrélativement, le retour parmi les priorités de l'agence de l'éducation , secteur qui ne peut pour l'essentiel être financé que par subventions, constitue un autre aspect très positif du COM .

Toutefois, la commission s'est interrogée sur la capacité de l'AFD à suivre cette trajectoire de croissance très rapide dans un contexte de diminution des capacités d'emprunt des pays émergents et d'augmentation de l'endettement de certains États africains, circonstances qui vont obliger l'agence à accroître ses efforts de prospection, à étendre son champ géographique d'intervention ou encore à confier davantage de financements à des partenaires. La commission estime que cette recherche de nouveaux projets à financer ne doit pas conduire à diminuer le niveau d'exigence de l'AFD sur la pertinence des projets, sur leur conformité aux critères énoncés dans le plan d'orientations stratégiques de l'agence 2018-2022 (100% accord de Paris, 100% social, développement en 3D (diplomatie, défense, développement), priorité au non-souverain, réflexe partenarial), et surtout sur l'appropriation par les pays partenaires , première condition du succès des projets.

La montée des moyens en dons devrait toutefois favoriser l'atteinte de ces objectifs.

La commission a également observé que la montée en puissance de l'AFD contrastait avec l'austérité budgétaire imposée au réseau diplomatique pour la période 2019-2022, ce qui risque d'affaiblir la capacité du ministère de l'Europe et des affaires étrangères à maintenir un réel pilotage politique de l'AFD , en particulier au sein des pays étrangers. Dès lors, il est impératif que l'AFD se coordonne davantage, en amont des projets, avec le ministère et les ambassades, afin d'insérer son activité dans un véritable dialogue politique entre l'Etat bénéficiaire et l' « équipe de France » du développement.

S'agissant de l' « approche globale », la gestion par l'AFD de la Facilité « Vulnérabilité et réponse aux crises », dit « Fonds Minka » constitue un élément positif même si cet instrument, qui ne pourra atteindre son plein effet que si l'agence parvient à convaincre le plus grand nombre possible de partenaires de co-financer des projets afin d'en accroître l'impact, doit encore faire la preuve de son efficacité. La participation de l'AFD à l'Alliance Sahel, qui doit permettre d'améliorer la coordination des bailleurs dans les pays en crise, constitue un autre levier pour améliorer les résultats atteints dans cette région du monde. Il conviendrait toutefois d'introduire au sein du COM un objectif et un indicateur permettant de mesurer ces résultats .

La commission a pris acte du rapprochement de l'AFD et d'Expertise France annoncé par le COM pour 2019. Elle a souligné à nouveau que l'organisation qui sera retenue pour ce rapprochement doit sauvegarder l'autonomie de l'agence d'expertise et préserver sa capacité à coopérer directement avec la Commission européenne et les autres grands acteurs de l'aide au développement. En outre, elle doit permettre à Expertise France de poursuivre ses activités dans le continuum sécurité-développement. Si ces objectifs sont remplis, l'attractivité du nouvel ensemble doit conduire à un regroupement avec certains des organismes de coopération ministériels encore indépendants , notamment dans le domaine de l'agriculture.

Sur le plan de la gestion de l'agence, la commission prend acte de la diminution du résultat net prévu par le projet de COM pour la période 2018-2019 dans une phase de forte croissance des nouveaux engagements en prêts et de hausse des effectifs. En revanche, elle regrette l'absence de données sur les effectifs de l'AFD en 2019 , sur la part de résultat qu'elle pourra conserver en 2019 afin de renforcer ses fonds propres, et plus globalement l'imprécision de la partie consacrée aux moyens de l'agence .

Enfin, le projet de COM fait une place insuffisante à l'amélioration des méthodes d'évaluation , qui doivent progressivement permettre de compléter l'évaluation de contrôle et de redevabilité des projets par un pilotage par les résultats, au bénéfice de l'impact final des projets ainsi que de la « lisibilité » de l'aide au développement pour les citoyens.

Sous ses réserves, la commission a donné un avis favorable au projet de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'AFD pour la période 2017-2019 .

I. L'AFD, PRINCIPAL ACTEUR DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE

L'AFD est un organisme unique en son genre, à la fois établissement public industriel et commercial (EPIC) et établissement financier. Son poids financier s'est fortement accru au cours des dernières années.

A. UN MODÈLE SPÉCIFIQUE

1. Les missions et le fonctionnement de l'AFD

L'agence française de développement (AFD), créée en 1941 en tant que Caisse centrale de la France libre, est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de l'Etat dont les missions et l'organisation sont fixées par les articles R. 515-5 à R. 515-25 du code monétaire et financier. L'AFD a ainsi pour mission de « réaliser des opérations de tout nature en vue de contribuer à la mise en oeuvre de la politique d'aide au développement à l'étranger et de contribuer au développement des départements et collectivités d'outre-mer, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie ».

L'agence peut apporter une grande variété de concours :

- en termes d'instruments financiers : sont autorisés les prêts, les avances, les prises de participation, les garanties, les dons ou « toute autre forme de concours financier » ;

- en termes de destinataires : des États, des organisations internationales, ainsi que des personnes morales, notamment des organisations non gouvernementales (ONG) oeuvrant en matière de développement, ou les personnes physiques.

L'agence peut attribuer des concours soit pour son compte propre, soit pour le compte de l'Etat, soit même pour d'autres organismes français ou étrangers, comme la Commission européenne dans le cadre d'une délégation de gestion. Elle peut également assurer la gestion et le paiement d'opérations entrant dans des programmes de coopération décentralisée décidés et financés par des collectivités territoriales.

L'AFD est dirigée par un directeur général nommé pour trois ans par décret. Le Conseil d'administration se réunit en pratique environ une fois par mois afin de délibérer sur les sujets importants : orientations stratégiques, conventions avec différents partenaires, état prévisionnel des produits et des charges, comptes annuels et rapport de gestion, montant annuel des emprunts, etc. Il est composé de dix-sept membres :

- un Président, nommé par décret et disposant d'une voix prépondérante ;

- six membres représentant l'Etat ;

- cinq personnalités qualifiées nommés par décret en raison de leur connaissance des questions économiques et financières, ainsi que de l'écologie et du développement durable ;

- deux députés ;

- un sénateur ;

- deux représentants du personnel.

L'AFD finance des projets de développement dans quatre-vingt-dix pays ou territoires. Elle dispose d'un réseau de soixante-douze agences dans le monde, dont 9 outre-mer. En 2017, elle employait 2 227 personnes, dont 707 en poste à l'étranger.

2. Un modèle original qui a évolué en 2015-2016
a) Une banque spécialisée dans les projets de développement

L'AFD est avant tout une banque spécialisée dans le financement de projets de développement, comme en témoignent son inscription dans le code monétaire et financier et son bilan comptable. Elle emprunte ainsi des ressources sur les marchés financiers à des taux favorables, c'est-à-dire proches des conditions obtenues par l'Etat.

Jusqu'à la fin de l'année 2015, le contrôle de l'AFD était confié au superviseur national, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Le total de bilan de l'agence ayant dépassé 30 milliards d'euros à la fin décembre 2014, l'établissement a été soumis à une étude approfondie par la Banque centrale européenne. La BCE ayant estimé qu'il s'agissait d'un établissement de taille suffisamment importante, l'agence a été placée, à compter du 1 er janvier 2016, sous sa supervision directe, en lien toutefois avec l'ACPR, les équipes de supervision étant conjointes. Les règles prudentielles appliquées demeuraient les mêmes.

Cependant, le décret n° 2017-582 du 20 avril 2017 a supprimé au sein du code monétaire et financier la mention du statut d'« établissement de crédit » de l'AFD. Celle-ci a demandé à l'APCR et à la BCE de changer son statut d'établissement de crédit en droit français au statut de société de financement. En juillet 2017, la BCR a rendu un avis favorable.

Les conséquences du changement de statut financier de l'AFD

Les établissements de crédit et les sociétés de financement sont soumis à des règles prudentielles très comparables, à quelques exceptions près, telles que des exemptions aux exigences relatives à la liquidité et au levier prévues par la réglementation européenne.

Un changement de statut impliquerait cependant :

- le changement de l'autorité chargée de la supervision : ce ne serait plus la BCE mais le régulateur national, en l'occurrence l'ACPR, qui serait chargée du contrôle prudentiel de l'AFD ;

- l'absence de contribution au Fonds de résolution unique (FRU), seuls les établissements de crédit étant assujettis à celle-ci ;

- l'exclusion du mécanisme de garantie des dépôts ;

- la limitation du type d'investisseurs susceptibles de souscrire aux émissions de l'AFD, qui se limiterait aux seuls investisseurs avisés, dans la mesure où l'AFD ne serait plus autorisée à recevoir des fonds assimilables à des fonds remboursables du public ;

- l'abandon de l'accès au refinancement de la Banque centrale européenne.

Pour l'AFD, l'essentiel des conséquences de l'abandon du statut d'établissement de crédit serait sans incidence, dans la mesure où elle n'a jamais eu recours au refinancement de la BCE, n'accueille pas de dépôts et qu'elle se finance déjà, pour l'essentiel, dans des conditions compatibles avec ce statut (montant unitaire supérieur à 100 000 euros par exemple). Il faudra cependant s'assurer que l'établissement ne dispose plus de fonds remboursables du public dans son passif.

Le principal effet du changement de statut serait de revenir dans le giron du régulateur national. Cela ne doit pas être interprété comme un assouplissement des règles, qui demeurent les mêmes, dans la mesure où l'on ne peut considérer que le contrôle de l'ACPR serait laxiste par rapport à celui de la BCE. Il permettrait en revanche qu'un outil essentiel de notre diplomatie soit sous le contrôle d'une autorité nationale, comme c'est le cas en Allemagne pour la KF.

Le changement de statut nécessiterait néanmoins un accord des autorités européennes : une demande de retrait d'agrément d'établissement de crédit serait soumise à la BCE ; parallèlement, une demande d'agrément de société de financement devrait être faite à l'ACPR.

Pour un rapprochement ambitieux de l'Agence française de développement et de la Caisse des dépôts et consignations, Rapport d'information n° 532 (2015-2016) de Mme Fabienne KELLER et M. Yvon COLLIN, fait au nom de la commission des finances, déposé le 6 avril 2016
https://www.senat.fr/rap/r15-532/r15-532.html

b) Une activité mixte de dons et de prêts

L'AFD prête à des taux qui peuvent être bonifiés par rapport aux taux des marchés mais ne le sont pas nécessairement. Elle applique des marges et commissions variant selon les pays et les projets. Pour ses prêts concessionnels, l'agence reçoit de la part de l'Etat des bonifications venant compenser le « coût-Etat » défini dans la convention cadre entre le ministère de l'économie et des finances, celui des affaires étrangères et l'AFD.

Alors que ces deux modalités d'aide publique au développement sont souvent séparées dans les pays comparables, l'AFD exerce également une activité de dons, devenue très minoritaire par rapport à l'activité de prêts, mais qui connaît un nouvel élan depuis 2017, élan qui va s'accentuer à partir de 2019 (cf. ci-dessous) . L'agence attribue ainsi des dons destinés à la réalisation de projets dans les secteurs de l'agriculture et du développement rural, de la santé et de l'éducation de base, de la formation professionnelle, de l'environnement, du soutien au secteur privé, des infrastructures et du développement urbain, etc.

Comme l'a relevé la Cour des comptes, la France est pratiquement le seul bailleur important qui ait pour principal instrument une institution financière soumise au régime des établissements de crédit, puisque la Commission européenne, les États-Unis ou le Royaume-Uni utilisent quasi-uniquement l'outil des subventions, sans recourir aux prêts. Si l'Allemagne et le Japon ont pour leur part développé une importante activité de prêts, celle-ci représente cependant une part moins importante du volume d'activité que pour l'AFD.

Enfin, le mode de financement de l'agence est tout à fait spécifique : ne recevant pas de subvention pour charges de service public de la part de l'Etat, elle se rémunère sur l'ensemble des opérations qu'elle gère : commissions prélevées auprès des bénéficiaires de ses prêts et, pour les autres opérations, rémunérations versées par l'Etat et censées couvrir ses frais réels.

La Politique de tarification des prêts de l'AFD

La tarification des prêts de l'AFD est construite pour assurer la couverture des coûts associés à cette activité (coût de la ressource de marché, frais généraux, coût du risque) et un niveau de fonds propres satisfaisant les exigences réglementaires. À l'exception des concours aux pays émergents, les prêts peuvent également être assortis d'une bonification de taux d'intérêt, déterminée en fonction du projet et du pays d'intervention, et financée sur ressources budgétaires (programmes 110 et 853 pour les prêts souverains et non souverains dans les États étrangers, programme 123 pour les prêts Outre-mer). Les éléments qui composent la tarification sont le taux d'intérêt ainsi que les commissions d'instruction et d'engagement.

La grille de tarification souveraine et non souveraine est aujourd'hui composée de prêts bonifiés ou non. Les plafonds de bonification pour les concours souverains sont déterminés en fonction du pays. Dans les collectivités d'Outre-mer, la grille propose deux types de prêts bonifiés (prêt au secteur public bonifié et prêt au secteur public vert). Les autres types de prêts ne bénéficient pas de bonification et leur tarification dépend du type d'emprunteur (collectivité, entreprise, banque).

La tarification est mise à jour tous les six mois, a minima en fonction de l'évolution du coût de la ressource de marché. En 2015, l'AFD a actualisé ses marges de couverture des frais généraux et marges pour risque non souverain, avec pour objectif un meilleur ajustement aux conditions particulières de chaque concours. La tarification des prêts fait l'objet d'une actualisation complète au cours de l'année 2018, avec prise d'effet au 1 er janvier 2019.

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