TABLE RONDE N° 1 : UN SÉISME ANNONCÉ

L'analyse des acteurs économiques à moins de 10 jours du Brexit

Intervenants :

• François GAUTHEY, Directeur général délégué de GetLink SE (Eurotunnel) ;

• Robert LAUNAY, vice-Président de Crystal Group ;

• Jean-Marc ROUÉ, président de Brittany Ferries et président d'Armateurs de France ;

• Marc MORTUREUX, directeur général de la Plate-forme automobile (PFA).

La table-ronde était animée par Catherine FOURNIER, Sénateur du Pas-de-Calais.

Mme Catherine FOURNIER, Sénateur du Pas-de-Calais

Les dernières auditions menées par le groupe de suivi du Sénat sur le Brexit ont fait ressortir une certaine inquiétude de la part des principaux secteurs économiques à la veille de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Les questions liées au ralentissement des passages aux frontières, aux difficultés d'approvisionnement ou à l'impréparation de la partie britannique reviennent régulièrement dans les échanges que nous pouvons avoir avec les parties concernées. Certains prédisent même un chaos du jour au lendemain. Le Pas-de-Calais, dont je suis l'élue, en serait la première victime.

Concernant le maintien d'une certaine fluidité, le Gouvernement se montre résolument optimiste quant à l'accomplissement des travaux d'infrastructures, qu'il s'agisse de la construction de parkings tampons ou de la mise en place d'installations préfabriquées et de zones de filtrage, afin d'éviter l'embolie. C'est donc dans ce contexte que nous voulons faire le point avec la plupart des acteurs directement concernés : secteur du transport routier de marchandises, industrie automobile, armateurs et bien évidemment gestionnaires du tunnel sous la Manche. C'est d'ailleurs avec vous, François Gauthey, que je propose d'entamer notre discussion. Vous être directeur général délégué de GetLink, nouveau nom d'Eurotunnel. 1,7 million de camions ont emprunté le tunnel en 2018, soit plus qu'en 2017. La gestion de ce flux, alors qu'un renforcement des contrôles douaniers est prévisible, n'est pas sans susciter de nombreuses interrogations. Votre président, Jacques Gounon, semble pourtant dédramatiser la situation en rappelant que la Manche n'est pas une « frontière entre la terre et la lune ». Quels sont, selon vous, les motifs d'optimisme ?

M. François GAUTHEY, Directeur général délégué de GetLink SE (Eurotunnel)

Le tunnel sous la Manche est un élément important dans les relations commerciales entre la France et le Royaume-Uni puisque 25 % des échanges entre le Royaume-Uni et le continent y transitent. Le trafic s'entend à flux tendu. Le service du tunnel sous la Manche a largement favorisé l'interpénétration des deux économies. Malgré le Brexit, les relations entre nos deux pays vont rester importantes. Le pari que nous faisons est que le Brexit ne signifiera pas davantage de contrôles. Il n'y aura pas de contrôle de chaque camion qui passe la frontière. Nous recourrons pour ce faire à des procédures automatisées, qui vont préserver le trafic. Nous y travaillons depuis de nombreux mois. Le process qui a été établi garantira la fluidité de ce trafic. D'un point de vue pratique, le process prévoit donc qu'une déclaration soit faite préalablement au passage de la frontière. La plaque d'immatriculation est photographiée et le cliché est immédiatement transmis aux douanes britanniques et françaises, prouvant le passage de la frontière. Les contrôles seront assurés, nous ont dit les Britanniques, non pas à la frontière, c'est-à-dire à la sortie du tunnel, mais à l'intérieur du pays. La question de la fluidité ne se pose donc pas. Il en va de même dans l'autre sens : la plaque d'immatriculation est également photographiée à l'entrée du tunnel. Les douanes françaises traitent l'information alors que le camion est dans le tunnel. Trois cas de figure sont envisageables. Dans un premier cas, le camion a déclaré les matières qu'il embarque à son bord. Il ne transporte pas de matières donnant lieu à un contrôle phytosanitaire ou sanitaire. Dans ce cas, les douanes considèrent que le camion est en règle et qu'il n'a pas à être contrôlé. Dès lors, il sort du terminal de Calais et poursuit sa route. Dans un second cas, les douanes estiment nécessaire de contrôler le camion. Dès lors, il est immobilisé à la sortie du tunnel et rejoint une aire spéciale où le contrôle est opéré. Le troisième cas est celui des camions transportant des denrées nécessitant un contrôle phytosanitaire ou sanitaire. Ils représentent 10 à 15 % du trafic. Dans ce cas, une procédure de vérification des documents est alors prévue. La marchandise peut être également contrôlée, mais cela reste relativement rare.

Le process garantit une fluidité parfaite. Celle-ci est conditionnée aux investissements que nous conduisons pour les travaux d'aménagement des terminaux et les contrôles. Elle est aussi conditionnée à la présence d'effectifs en nombre suffisant pour assurer ces contrôles aux frontières. Nous savons que les effectifs des douanes françaises sont en hausse et il en sera de même pour les services vétérinaires. Elle est enfin conditionnée au fait que les entreprises du transport et du chargement aient elles-mêmes intégré dans leurs processus les nouvelles procédures qui s'appliqueront à l'entrée du tunnel. C'est le rôle des agences économiques que de les accompagner. Nous pensons que quelques semaines vont être a priori nécessaires pour cette adaptation. In fine il est essentiel de conserver la fluidité de la frontière. Il est donc essentiel que nos clients soient prêts et que leurs services le soient.

Mme Catherine FOURNIER

Je passe désormais la parole à Robert Launay, vice-président de Crystal Group, acteur du secteur du transport et membre de la commission « douanes » de Transport et Logistique de France - TLF, l'union professionnelle qui réunit tous les métiers du transport. TLF insiste régulièrement sur les difficultés que suscitera le Brexit pour les industriels, du fait de l'absence de points de contrôle dans tous les ports ou de la sortie du Royaume-Uni du processus de certification européen. Ces sujets sont particulièrement cruciaux pour votre secteur puisqu'en France, les transporteurs ont une responsabilité dans les relations entre clients importateurs et exportateurs. Pouvez-vous nous indiquer si les mesures annoncées par la Commission européenne sur le maintien d'une connectivité de base entre l'Union et le Royaume-Uni en matière de transport vont dans le bon sens et permettent au secteur d'être mieux préparé au Brexit ? Partagez-vous l'optimisme des pouvoirs publics français à propos de la mise en oeuvre des mesures d'urgence ?

M. Robert LAUNAY, vice-Président de Crystal Group

Nous sommes commissionnaires en transport. Nous organisons des transports par la route, des transports aériens et des transports maritimes. Le transport aérien entre l'Union européenne et le Royaume-Uni est évidemment une solution marginale.

Pour en venir à votre première question, oui, nous sommes confiants. Nous travaillons avec les douanes françaises. Elles ont anticipé les risques d'encombrement du trafic à la frontière en prévoyant de déployer à très brève échéance un dispositif de contrôle automatisé. Si nous restons sereins quant à l'efficacité de ce système, encore faut-il qu'il fonctionne effectivement. Un report de trois mois nous conviendrait car il nous permettrait de mieux nous préparer. La question qui se pose aussi est celle de l'état de préparation de nos amis anglais. Qu'en sera-t-il une fois la frontière franchie ? Y a-t-il un risque que des camions soient bloqués à la sortie du tunnel ? Évidemment nous nous inquiétons pour les sociétés de notre secteur qui travaillent avec des entreprises britanniques et qui n'ont pas à opérer de formalités au moment de passer la frontière. Ces sociétés travaillent avec des TPE dont la flotte se limite à un, deux ou trois camions. Ces TPE ne sont nullement préparées aux effets du rétablissement de la frontière entre la France et le Royaume-Uni.

Je voudrais également ajouter que deux guides ont été publiés respectivement par la Direction générale des Douanes et par le MEDEF. Ces deux guides illustrent les effets du Brexit sur les entreprises travaillant au Royaume-Uni.

Mme Catherine FOURNIER

Jean-Marc Roué, vous êtes président de Brittany Ferries et des Armateurs de France. Vous avez indiqué, à l'automne dernier, qu'avec la signature d'un accord de retrait, le pire n'était pas encore certain. Faute de ratification de cet accord, considérez-vous aujourd'hui que le pire est redevenu une certitude ? Vous êtes relativement inquiet du rétablissement des frontières et vous rappelez régulièrement ses conséquences. Vous vous alarmez de la situation à Calais. Là encore, les mesures annoncées par la Commission européenne et le plan de contingence français vous rassurent-ils ? Au-delà, comment imaginez-vous, pour votre secteur, les contours de la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ?

M. Jean-Marc ROUÉ, Président de Brittany Ferries et Président d'Armateurs de France

Le message qui nous est délivré depuis l'automne 2018 est celui du « pire scénario » et de l'absence d'accord le 29 mars prochain. Les entreprises de très grande taille se sont préparées parce qu'elles en ont les moyens. Ce n'est pas le cas des établissements de taille intermédiaire, les ETI, qui vont devoir se doter de moyens dédiés aux compétences douanières, mais qui ne seront véritablement utiles qu'à compter du 1 er janvier 2021. Financièrement, ces ETI vont être incapables de supporter des coûts qui ne leur serviront à rien d'ici cette date. Je crains que cela n'ait des conséquences fatales sur leur trésorerie. Le monde de l'entreprise en France ne se porte pas si bien que cela. Les investissements rendus nécessaires dans les entreprises par ce Brexit vont obliger ces dernières à restreindre les recrutements qu'elles envisagent ainsi qu'à générer des économies sur la masse salariale. C'est là où le rôle de l'État est tout à fait nécessaire. Il aurait fallu que l'État mette en place un plan d'urgence en la matière. On nous dit que 700 douaniers supplémentaires vont être recrutés. Est-ce suffisant ? Je ne le sais pas. Je sais, en revanche, qu'à l'échelon de la Bretagne et de la Normandie, cet effort représente 47 douaniers. Ce faible nombre est justifié par la Direction générale des Douanes par le fait que la priorité doit être donnée aux Hauts-de-France où le Brexit pose des problèmes majeurs du fait des volumes de transit. Cela expliquerait que la Normandie et la Bretagne ne soient concernées que dans un second temps. Je sais également que ce recrutement court sur trois ans : 300 en 2018, 200 en 2019 et 200 en 2020. Ne nous dit-on pourtant pas qu'il nous faut être prêts à la fin de ce mois ? On nous dit aussi la nécessité de préserver un état de fluidité « approchant l'équivalence ». Ce n'est pas d'équivalence dont il convient de parler. Toute difficulté que nous rencontrerions aux passages portuaires aura un impact sur l'activité économique de nos entreprises qui perdront des parts de marché au profit de leurs concurrents du nord de l'Europe.

Le secteur du transport trans-Manche a connu deux étapes importantes. La première a été le 1 er janvier 1993 et l'entrée dans le Marché unique du Royaume-Uni. En 1993, le transport de véhicules industriels de Dunkerque à Roscoff représentait 800 000 camions. Il en représente aujourd'hui 1,8 million. Cela a généré un impact formidable pour l'emploi, en dépit de l'ouverture du tunnel sous la Manche. L'ouverture du tunnel est la seconde étape importante : elle créé un outil complémentaire de transport. Le transport trans-Manche a ainsi connu un essor, puis un déclin. Je vous confirme que le Brexit générera un impact sur le marché qui ne sera pas similaire à ce qu'il est aujourd'hui. Je suis conscient que l'État a ses propres contraintes, notamment budgétaires. Cependant si nous ne saisissons pas de l'opportunité que constitue le Brexit, alors nous ne relèverons pas le défi qu'il constitue.

De ce point de vue, un report de trois mois de la sortie du Royaume-Uni n'est pas utile, mais nécessaire. Nous avons aussi une responsabilité de nature environnementale et sociale. À ce propos, sachez que, dans un souci de préservation de l'environnement, nous avons en 2003 pris la décision de réduire la vitesse de nos navires, réduction que nous avons compensée en limitant les temps d'escale et en optimisant le transfert des marchandises entre la terre et les navires. Nous ne pourrons pas augmenter le temps d'escale à nouveau car cela impactera nos objectifs en termes de nombre de traversées. La compagnie que je préside a investi plus de 400 millions d'euros depuis 2016 pour rénover sa flotte maritime, prouvant sa confiance dans la préservation des relations économiques entre le Royaume-Uni et la France. Je ne suis donc pas aussi optimiste que mes prédécesseurs. Je me veux réaliste, notamment en alertant sur les effets potentiels du Brexit. La démonstration que nous font les opérateurs régaliens dans le contrôle douanier montre ce à quoi nous pouvons nous attendre.

Mme Catherine FOURNIER

Je vous remercie pour votre propos qui illustre la nécessité de la préservation de l'activité de nos ports. Le dernier intervenant, Marc Mortureux, est directeur général de la Plate-forme automobile, organisation qui rassemble la filière automobile en France. Elle définit et met en oeuvre la stratégie de cette filière en matière d'innovation, de compétitivité, d'emploi et compétences. La filière automobile nourrit de réelles inquiétudes et identifie cinq risques liés au Brexit, à court et moyen terme : le risque logistique, le rétablissement des tarifs douaniers, la mise en place de barrières non tarifaires, le risque pesant sur les filiales financières de crédit et les interrogations sur la mobilité des travailleurs. Quelles sont aujourd'hui, parmi ces cinq menaces, celles qui vous semblent être les plus importantes une fois le retrait effectif ? Pouvez-vous aborder les conséquences en matière logistique ? Je pense notamment à la question de l'approvisionnement en pièces détachées.

M. Marc MORTUREUX, Directeur général de la Plate-forme automobile (PFA)

L'industrie automobile se prépare aux conséquences du Brexit, mais elle est inquiète. Comme tous les secteurs économiques, l'industrie automobile n'aime pas l'incertitude. Je rappelle que le niveau d'intégration industrielle automobile entre le Royaume-Uni et l'Union européenne est très élevé. Le marché du Royaume-Uni est un marché très important et rémunérateur : il attire à lui des voitures de moyenne et haute gamme. Sur ce marché, les constructeurs de l'Hexagone représentent près de 20 %. Leur part dans les véhicules utilitaires est encore plus forte. Les constructeurs et équipementiers français détiennent des usines installées au Royaume-Uni. Les incertitudes qui planent depuis plus de trois ans ont généré beaucoup de dégâts en termes économiques. Le marché automobile se portait bien. Il est affecté par ces incertitudes, en particulier du point de vue des investissements qui sont quasiment tous gelés. On peut citer les 4 500 suppressions de postes prévues par Jaguar ou la décision prise par Honda de transférer la chaîne de fabrication de son dernier SUV hors du Royaume-Uni. Les risques sont importants pour la filière automobile, ceci à un moment où les nuages s'accumulent. Je pourrais évoquer l'Iran, la menace d'instauration de barrières douanières par l'administration Trump et les menaces chinoises sans cesse croissantes - du point de vue économique.

Vous avez évoqué les cinq risques que nous avons identifiés. Le premier d'entre eux est le risque logistique. Je rappelle que 1 000 camions passent la frontière chaque jour afin de fournir le Royaume-Uni en composants. La moindre perturbation est fatale au trafic. Elle génère par ricochet des arrêts de production. Cette fluidité doit être garantie. Des mesures ont certes été prises (constitution de stocks, notamment), mais elles s'entendent à moyen et à court terme. Un autre risque est celui des barrières douanières. Ce risque est loin d'être négligeable. Au regard du nombre d'allers-et-retours des composants, ces barrières vont augmenter le prix de vente et impacter les volumes de vente. PSA évalue à plusieurs centaines de millions d'euros le montant des taxes que ce groupe automobile devra payer. Je dois aussi évoquer l'impact du cours de la livre. Nous plaidons en faveur de l'absence de tarifs douaniers. Le troisième risque est celui des barrières non tarifaires. Nous souhaitons éviter des divergences réglementaires. Le risque suivant est celui des filières financières de crédit. Des mesures ont été prises pour éviter de constituer de telles filiales dont le coût serait non négligeable. J'aborderai enfin le risque lié à la mobilité des travailleurs. En effet, le secteur automobile a recours à la pratique du détachement, généralement de très courte durée. Si des solutions ad hoc ne sont pas trouvées, ces détachements vont très clairement poser problème.

Pour conclure, si nous nous sommes préparés et continuons de nous préparer au Brexit, nous demeurons très vigilants. Nous avons besoin de clarté et de visibilité dans une industrie se caractérisant par son extrême compétitivité.

Mme Catherine FOURNIER

Avez-vous évalué l'impact du Brexit en termes d'investissements ?

M. Marc MORTUREUX

À ce stade, de nombreuses décisions ont été prises, mais elles participent de l'attente. On ne peut pas dire que le Brexit va se traduire par une perte durable de l'activité industrielle au Royaume-Uni et que le continent pourrait en bénéficier ou vice-versa. Il y a une accumulation d'incertitudes sur nombre de sujets. Le Brexit s'inscrit dans ce cadre et il ne participe pas à rassurer les marchés. Je ne parlerai pas à la place des constructeurs. Il me semble toutefois que la prolongation de ces incertitudes accroît les dégâts.

Mme Catherine FOURNIER

Le Brexit génère des impacts directs et des impacts indirects.

M. Marc MORTUREUX

La filière automobile est un ensemble très complexe qui se constitue d'équipementiers, de fournisseurs et de constructeurs. Il est impossible que le Royaume-Uni se dote à brève échéance de fournisseurs automobiles. L'interdépendance qui caractérise actuellement les relations industrielles entre le secteur automobile britannique et le secteur automobile européen va perdurer. J'ignore ce qu'il en sera à moyen ou à long terme.

M. Robert LAUNAY

Sur la question des droits de douane et des questions tarifaires, je rappelle qu'en cas de no deal , nous serons contraints d'appliquer au Royaume-Uni la réglementation imposée aux pays tiers, ce qui suppose des droits de douane significatifs. C'est la raison pour laquelle le délai supplémentaire de trois mois est absolument indispensable.

M. Marc MORTUREUX

BMW réalise 10 % de ses ventes mondiales au Royaume-Uni. BMW estime à 15 000 le nombre d'emplois directement menacés en cas de hard Brexit . Pour la France, l'impact sera plus faible, mais il sera réel.

M. François GAUTHEY

A moyen terme, le plus important est le futur accord économique qui va être signé avec ce grand pays qu'est le Royaume-Uni. Qu'il le soit dans la douleur suite à la rupture des négociations ou dans le cadre des discussions actuelles, cet accord consacrera le maintien de nos relations avec le Royaume-Uni sur le plan commercial. Du point de vue pratique, des solutions peuvent être mises en oeuvre.

Mme Catherine FOURNIER

La question est de savoir si trois mois de délais supplémentaires sont suffisants.

M. Robert LAUNAY

Voilà deux ans que nos entreprises travaillent sur un no deal . Nous avons beaucoup d'entreprises qui travaillent avec nous. Nous savions qu'il ne fallait pas attendre le dernier moment pour nous préparer au Brexit. On parle de 700 douaniers supplémentaires. Dans notre domaine d'activité, nous avons besoin de 1 000 déclarants supplémentaires.

Mme Catherine FOURNIER

On parle de 700 agents des douanes et vétérinaires supplémentaires.

M. Robert LAUNAY

Nous évoluons dans un monde digital. Nous devons travailler à des solutions digitales. Nous ne pouvons pas les renier.

M. Jean-Marc ROUÉ

Deux entreprises adhérentes aux Armateurs de France sont concernées par le Brexit du fait des activités qu'elles exercent. Il s'agit de DFDS qui dessert les ports de Calais, de Dieppe et de Dunkerque ainsi que des ports situés sur les côtes du Benelux. Il s'agit aussi de Britanny Ferries - que je préside - et qui dessert cinq ports français. Ma compagnie travaille en Espagne. Aucune des questions que nous abordons actuellement ne s'y pose. J'ai conscience de la nécessité de travailler sur la dématérialisation. Les Hauts-de-France travaillent sur ce sujet depuis novembre. Nous y travaillons en Bretagne et en Normandie depuis février, pourtant sur la base de la même spécification informatique. Je regrette cette différence de traitement. Elle se traduit de différentes manières. Par exemple, nos ports ne disposent pas tous d'une police de l'air et des frontières. Le rétablissement de la frontière concerne pourtant tous les ports. Est-il légitime qu'une telle police soit installée dans tous les ports ? La réponse est évidemment positive.

M. Olivier CADIC, Sénateur représentant les Français établis hors de France

Xavier Bertrand nous a fait part tout à l'heure de son inquiétude quant à l'impréparation des entreprises britanniques. Cette inquiétude est légitime. Nous avons un bon avant-goût de ce qui pourrait se passer à la frontière avec la grève du zèle qu'observent les douaniers français. Elle génère des effets désastreux que nous pourrions éventuellement connaître à l'avenir. Il est un point que nous n'avons pas encore abordé. Il concerne la situation des Européens vivant au Royaume-Uni et des Britanniques vivant en Europe. Il faut apporter à ces personnes des réponses à leurs interrogations et à leurs inquiétudes.

Mme Claire LE TERTRE, Conseil régional de Bretagne

On parle beaucoup de l'économie, mais on ne parle pas beaucoup des personnes. Je m'étonne que la question des visas ne soit toujours pas tranchée à cette heure. J'estime qu'elle est une priorité parce qu'elle renvoie à la mobilité.

M. Thierry GRUMIAUX, Fédération nationale des transports routiers

Je représente la Fédération nationale des transports routiers. Je souhaitais vous faire part de mon opinion sur le Brexit. Le transporteur routier est en première ligne pour affronter les effets du Brexit. Actuellement, le transport de marchandises entre le Royaume-Uni et le continent est régi par trois acteurs, l'expéditeur, le transporteur et le destinataire. À l'issue du Brexit, ce ne sont pas trois, mais cinq acteurs qui régiront le transport de ces marchandises : l'exportateur, le douanier, le transporteur, le conducteur et le destinataire. Or le conducteur ou le transporteur ne peuvent pas avoir la responsabilité de la rédaction des déclarations en douane. Cette responsabilité incombe au douanier comme le prévoit le Code des douanes de l'Union. 80 % des entreprises françaises du secteur routier sont des TPE et des PME de moins de 50 salariés. 99 % des besoins des citoyens européens sont transportés par un camion. Nous ne disposons pas de toutes les informations nécessaires. Je pourrais par exemple citer le cas du permis de conduire européen au sujet duquel nous n'avons pas d'informations. En conclusion, nous sommes inquiets pour les entreprises du transport routier.

M. Vincent LAGARDE, chercheur à l'Université de Limoges

Je travaille depuis deux ans sur les conséquences du Brexit sur les territoires ruraux. Il s'y trouve une économie qui bénéficie depuis longtemps de la présence des Britanniques, en particulier sur le plan immobilier. On mesure mal les conséquences du Brexit sur toutes ces communes.

Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM

Je souhaite intervenir sur les droits des ressortissants européens au Royaume-Uni et en France. Sur ce point, nous n'avons pas obtenu de réponse dans le climat d'incertitude actuel. On a trop tendance à oublier les Britanniques résidant en France. La réciprocité va être le principe majeur qui sera mis en place en cas de no deal . Il consistera à instituer un comité de suivi au sein duquel siégeront des parlementaires, des représentants de la société civile ou des représentants de Français résidant au Royaume-Uni, notamment. La mission du comité consistera à s'assurer de la parfaite réciprocité entre les deux parties.

Mme Catherine FOURNIER

La loi d'habilitation votée au Sénat prévoit la simplification des procédures s'appliquant aux ressortissants britanniques installés en France. Une mesure similaire est aussi prévue en Grande-Bretagne. La réciprocité se fera donc par le biais d'ordonnances. Nous sommes actuellement en négociations. Les Britanniques sont nos voisins. Nous avons besoin d'eux comme ils ont besoin de nous. Nous devrons subir un hard Brexit si tel doit être le cas. Il a été fait allusion à la possibilité d'un délai supplémentaire. Pourquoi ne pas en profiter pour régler les sujets posant problème ? Ce délai supplémentaire nous permettrait également de finaliser certaines discussions en cours avec nos amis britanniques.

M. François GAUTHEY

Le Brexit change les choses du point de vue de l'accueil des personnes dans un pays comme dans l'autre. Le Brexit présente de véritables enjeux en termes de passage à la frontière. Comment s'assurer donc que le passage à la frontière reste fluide en dépit des règles et des processus qui vont s'y appliquer ?

M. Robert LAUNAY

Nous avons conscience de la difficulté que représente le Brexit. Il est absolument sûr que les choses ne seront plus comme avant. Nous devons nous préparer à la multiplication des interlocuteurs et des intermédiaires comme à la hausse des tarifs douaniers.

M. Jean-Marc ROUÉ

Le peuple britannique a choisi de quitter l'Union européenne. Le Royaume-Uni a été un modèle pour les pays du Vieux Continent. Il est le premier qui a industrialisé son économie au bénéfice de la machine à vapeur. Il est le premier à avoir fait évoluer ses transports par la création du chemin de fer. Il a fait face de façon héroïque aux assauts allemands durant la Bataille d'Angleterre. Il est enfin le premier à avoir choisi le chemin de la décolonisation pacifique. Le peuple britannique est bien plus organisé qu'on ne le dit et qu'on ne le pense, en particulier de ce côté-ci de la Manche. Il va organiser son propre avenir. Le Brexit peut être l'occasion de saisir des opportunités. Je suis inquiet quant aux moyens régaliens que la France va mettre en place. Le Royaume-Uni est une grande nation sur le plan maritime. Il le sait. Il va probablement reconstituer une grande flotte de commerce parce qu'il en aura besoin pour reconnecter son territoire à d'autres pays présents sur la surface du globe. La France va devoir gagner en imagination, en innovation, en compétitivité.

M. Marc MORTUREUX

L'essentiel est que nous conservions d'étroits liens avec nos partenaires britanniques. La filière automobile en constitue un excellent exemple. Il ne faut donc pas que ces liens se cassent.

Mme Catherine FOURNIER

Vos témoignages sont très importants pour permettre la diffusion de l'information. Le Sénat pratique régulièrement des auditions. Considérons ce colloque comme une audition à destination des Sénateurs et l'occasion pour eux de mieux appréhender le Brexit et ses impacts sur l'économie française.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page