IV. LA QUESTION DÉLICATE ET COMPLEXE DU FINANCEMENT

La présentation par le ministre de la transition écologique et solidaire du 2 e Plan national d'adaptation au changement climatique s'est accompagnée d'une communication sur le volet financier de ce dernier : le plan bénéficiera d'un budget de 3,5 Md€ sur cinq ans, contre 17 M€ pour le précédent - sans que soit précisé cependant comment ces chiffres ont été construits ni ce qu'ils visent à financer précisément. Rappelons que le PNACC 2 à proprement parler ne comprend aucun élément de chiffrage financier, ni même d'indication méthodologique sur lesquelles on pourrait s'appuyer pour construire une estimation financière des besoins liés au déploiement des politiques d'adaptation. Plus largement, au cours des auditions réalisées, aucun des acteurs entendus n'a été en mesure de présenter une vision globale de ce à quoi devait ressembler le financement des politiques d'adaptation. Ce sujet fondamental pour la transition climatique reste donc très largement ouvert. Il est indispensable que la réflexion collective se saisisse désormais pleinement de la question.

A. UN FLOU SUR LE NIVEAU DES BESOINS

Avant de se demander quelles sont les ressources fiscales et les canaux financiers qui pourraient alimenter les politiques d'adaptation au changement climatique, la première question qui se pose est celle de l'estimation des besoins financiers suscités par ces politiques.

La difficulté de l'estimation tient en premier lieu au fait que l'adaptation au changement climatique consiste avant tout à faire évoluer des politiques sectorielles déjà existantes (politique de l'eau, politique de prévention et de gestion des risques naturels, politique de santé publique, politique de la recherche, politiques économiques sectorielles de soutien à l'agriculture ou au tourisme, politiques de construction et d'entretien des infrastructures dans les domaines du transport ou de l'énergie, etc.). L'adaptation au changement climatique n'est pas une politique de plus qui s'ajoute à cette liste : elle est avant tout un nouveau regard sur chacune d'elles. Avant d'être une charge supplémentaire, elle est un prisme différent à travers lequel elles sont repensées.

Il faut donc déterminer si l'intégration des enjeux d'adaptation dans ces politiques entraîne des coûts supplémentaires ou bien si cette intégration se traduit seulement par un changement dans la manière de consommer les enveloppes budgétaires existantes - sans effet notable sur leur montant global. Si l'on se situe dans le second cas, la question de trouver de nouvelles sources de financement ne se pose pas. Dans le premier cas, en revanche, il faut prévoir des ressources spécifiques nouvelles ou alors il faut réaffecter certains crédits existants vers l'adaptation au détriment d'autres politiques.

La réalité se situe vraisemblablement quelque part entre ces deux hypothèses opposées. Nombre d'actions adaptatives ne génèrent en effet aucun surcoût manifeste ; d'autres au contraire peuvent induire un surcoût mesurable. Relèvent de ce dernier cas par exemple :

- l'intégration d'un volet adaptation dans les PCAET, qui implique un coût supplémentaire lié notamment au travail d'expertise et de diagnostic des vulnérabilités du territoire au changement climatique ;

- la mise en place de nombreux observatoires nécessaires à la définition et au suivi des politiques d'adaptation (du trait de côte, de la montagne, de l'agriculture, etc.) ;

- certaines dépenses d'aménagement clairement attribuables au changement climatique (déplacement d'une route menacée de submersion, surélévation d'une digue...) ;

- la réalisation d'études prospectives territoriales ou sectorielles sur les effets du changement climatique, de type Garonne 2050 ;

- les travaux de mise à jour des documents de prévention et de gestion des risques climatiques ;

- la création de cellules administratives dédiées aux problématiques d'adaptation ou l'animation de programmes de recherches centrés sur l'adaptation (type méta programme ACCAF au sein de l'Inra) ;

- le financement de l'adaptation ou du repli de l'urbanisation dans les secteurs menacés par le repli du trait de côte ;

- le financement des dispositifs de stockage de l'eau en surface ou dans les nappes pour faire face aux tensions sur la ressource hydrique ;

- le coût des politiques sociales d'aide aux ménages les plus modestes pour les accompagner dans leur adaptation au nouveau contexte climatique.

La deuxième difficulté que rencontre le chiffrage des besoins financiers de l'adaptation est que les mesures d'adaptation relèvent de la responsabilité d'un très grand nombre d'acteurs publics : l'État et ses multiples opérateurs bien sûr, mais aussi les différents niveaux de collectivités, les agences de l'eau, etc. Estimer les besoins implique donc une collecte des données et une remontée des besoins qu'aucun outil actuel ne permet de réaliser.

Une troisième difficulté est que de nombreuses mesures d'adaptation au changement climatique sont multifonctionnelles ou pluri-objectifs. C'est le cas, par exemple, de l'isolation thermique d'un bâtiment. Selon que l'on impute le coût de ces mesures sur une thématique d'« atténuation » ou d'« adaptation », on obtient des ordres de grandeur financiers totalement différents pour le coût de ces politiques. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on doit prendre avec prudence l'annonce d'une enveloppe de 3,5 Md€ pour le PNACC 2. Il ne s'agit en effet pas, pour l'essentiel, de nouveaux financements, mais de la réorientation d'une partie des budgets des six agences de l'eau. Le chiffre annoncé par le ministre inclut en effet 3 Md€ issus des programmes « Eau et climat » qui ont été votés par les différents bassins pour la période 2019-2024. Parmi ces actions d'adaptation, on retrouve les économies d'eau, l'infiltration des eaux pluviales à la source, le retour au bon état des eaux afin que les milieux aquatiques soient mieux armés face au changement climatique - autant d'actions qui relèvent traditionnellement des missions des agences de l'eau qui sont désormais labélisées « adaptation au changement climatique ».

Pour toutes ces raisons, le chiffrage de l'incidence des politiques d'adaptation sur les finances publiques est extrêmement ardu. Il n'existe pour l'instant aucune méthodologie permettant de le mener à bien. C'est pourquoi il est demandé au Gouvernement de mettre en place les conditions d'un chiffrage transparent et crédible des besoins financiers associés aux politiques d'adaptation au changement climatique . Ce chiffrage devra inclure non seulement l'estimation du coût des mesures portées par l'État et ses opérateurs, mais également l'estimation des dépenses opérées par les collectivités territoriales, afin de pouvoir poser clairement la question de la compensation de ces dépenses par l'État, ainsi que la question de la correction des inégalités entre les territoires face au changement climatique. Par ailleurs, ce chiffrage ne devra pas se contenter d'évaluer l'existant, mais bien comporter des estimations prospectives, l'objectif étant d'accompagner le déploiement de politiques d'adaptation qui sont encore embryonnaires.

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