DEUXIÈME PARTIE :
FAIRE FACE AUX DÉRÈGLEMENTS CLIMATIQUES
À L'HORIZON 2050

I. UNE CONDITION : CHANGER D'ÉCHELLE ET D'AMBITION DANS LA MOBILISATION SUR LES ENJEUX

A. UNE MOBILISATION ENCORE MODESTE

Les politiques d'adaptation au changement climatique ont déjà une quinzaine d'années d'existence. Les grandes étapes de leur mise en place sont la création de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) en 2001, la définition de la stratégie nationale d'adaptation en 2007, la mise en oeuvre du premier Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC 1) sur la période 2011-2015, suivie d'une période d'évaluation approfondie, et l'annonce en décembre 2018 du lancement du 2 e Plan (PNACC 2). Malgré quinze ans d'expérience, les politiques d'adaptation restent cependant très diversement appropriées par les acteurs. La mobilisation effective sur les enjeux d'adaptation est encore limitée à quelques services et opérateurs de l'État, au monde scientifique, ainsi qu'à quelques collectivités territoriales et acteurs économiques pionniers.

1. Implication des services et des opérateurs de l'État : « bien, mais peut mieux faire »
a) Une implication forte de certains services

On constate sans réelle surprise une forte implication sur les enjeux d'adaptation des acteurs administratifs qui étaient déjà culturellement et historiquement les plus proches des problématiques climatiques et environnementales avant même l'émergence des thématiques d'adaptation. Cette proximité culturelle a sans doute grandement facilité leur engagement.

Ces services et opérateurs déjà « acculturés » aux enjeux climatiques se trouvaient par ailleurs au coeur des actions du premier PNACC. Ils ont ainsi pu profiter pleinement de son effet d'entraînement pour intégrer plus complètement les enjeux d'adaptation à leur portefeuille d'activités.

Comme on l'a dit, cette forte implication dans les politiques d'adaptation concerne le monde de la recherche et de l'expertise scientifique publique (CNRS, Météo-France, BRGM, INRA, etc.), ainsi que du Ministère de la transition écologique et de ses divers opérateurs (Ademe, Cerema, AFB...). La réflexion sur les sujets d'adaptation est également bien avancée au sein du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, ainsi qu'à l'ONF ou encore dans la sphère de la santé publique, notamment grâce au travail d'expertise de Santé Publique France et de l'Anses. C'est un des mérites du premier Plan d'adaptation au changement climatique que d'avoir organisé la mobilisation de ces acteurs autour de projets concrets, qui ont permis des progrès importants dans les outils de connaissance et d'information.

b) D'autres services sont à la traîne

L'implication des autres départements ministériels semble plus fragile et lointaine. Vos rapporteurs partagent la conclusion de la mission d'évaluation du PNACC 1 qui, dans son rapport final de novembre 2015, invitait à associer plus largement certains ministères, citant notamment expressément celui de l'économie. L'exemple des politiques du tourisme permet d'illustrer la nécessité de progresser dans la prise en compte des enjeux climatiques :

- ainsi, l'objectif de faire de la France le leader mondial du tourisme avec 100 millions de visiteurs annuels est affirmé sans intégrer une réflexion prospective sur l'impact des dérèglements climatiques sur l'attractivité touristique. Une France soumise à des vagues de forte chaleur ou subissant un recul de l'enneigement pourrait pourtant voir son attractivité fortement affectée relativement à celle des autres destinations nationales. Par ailleurs, à l'intérieur même de la France, le changement climatique pourrait modifier l'attractivité relative des différentes destinations régionales. L'aridification du sud du pays peut-elle entraîner un boom du tourisme dans le nord de la France ? La baisse de l'enneigement va-t-elle entraîner un recul global du tourisme du ski ou plutôt un transfert de la fréquentation des stations de moyenne montagne vers les stations de haute montagne ? Les difficultés du tourisme de montagne hivernal vont-elles être compensées par une hausse de la fréquentation estivale de touristes en quête de fraîcheur ? Ces questions ne sont pas suffisamment explorées à ce stade ;

- la politique de développement du tourisme ne pose pas non plus de manière claire la question de la soutenabilité d'une hausse significative de la fréquentation touristique dans les zones soumises à un fort risque de stress hydrique. Il faut pourtant se demander comment penser l'accueil de plusieurs dizaines de millions de voyageurs supplémentaires chaque année pour qu'il s'accomplisse dans des conditions soutenables pour les visiteurs, les habitants et les territoires d'accueil ;

- enfin, se pose la question plus globale de la cohérence entre la politique de développement du tourisme et les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dès lors, en effet, que la France entend développer le tourisme lointain en provenance notamment des pays émergents, comme la Chine et l'Inde, cela se traduira par une hausse forte des émissions de GES liées aux trajets en avion. On peut bien sûr dire que, si les touristes extra-communautaires ne viennent pas en France, ils iront ailleurs en Europe - de sorte que les émissions liées au transport aérien auront lieu de toute manière. Il n'empêche : il existe bien une contradiction entre deux politiques publiques, mais un tel sujet reste tabou.

2. Une implication encore modeste des collectivités

Comme cela a été souligné dans l'introduction de ce rapport, du côté des collectivités, la mobilisation sur les enjeux d'adaptation est inégale et demeure globalement faible. Certaines collectivités « pionnières » ont déjà développé des stratégies de résilience face aux effets du changement climatique. C'est le cas notamment de la ville de Paris, qui a adopté en 2017 une stratégie de résilience intégrant les problématiques d'adaptation aux changements climatiques, en particulier au travers de deux enjeux cruciaux pour Paris, celui de la lutte contre l'effet d'îlot de chaleur urbain et celui du risque d'inondation majeure de la Seine.

D'autres collectivités, sans en être encore au stade d'une stratégie approuvée, ont bien progressé dans la réflexion pour en construire une. Elles ont notamment conduit des études prospectives qui permettent d'identifier les impacts du changement climatique sur leur territoire, de cerner leurs vulnérabilités et de mettre en débat des propositions pour y faire face. On pense notamment ici aux travaux de prospective réalisés en Nouvelle-Aquitaine dans le cadre du projet AcclimaTerra, dont les résultats nourrissent la réflexion de l'ensemble des acteurs régionaux en matière d'adaptation et qui devraient inspirer le futur Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).

D'autres encore ont démontré, sur des projets de construction ou d'aménagement ponctuels, une réelle sensibilité sur les enjeux d'adaptation ainsi qu'une capacité de proposition et d'innovation remarquable : on trouvera plus loin dans le rapport quelques exemples de réalisation ponctuelle de ce type.

Au-delà de ces collectivités en pointe, les auditions réalisées révèlent toutefois un discours convergent de l'ensemble des associations d'élus pour souligner que le degré d'appropriation des politiques d'adaptation est encore faible. L'AdCF résume parfaitement ce sentiment général : « Longtemps les politiques locales se sont concentrées sur le volet « atténuation » des effets du changement climatique (limitation des consommations de GES, transition énergétique, rénovation énergétique des bâtiments, des moyens de transports, développement des ENR, etc.). Le volet « adaptation » apparaît encore comme un parent pauvre des politiques publiques locales (...). Aujourd'hui, la prise en main par les communautés des questions liées au changement climatique démarre à peine. Certaines communautés sont pionnières, mais elles restent peu nombreuses. Parmi les entrées investies par les communautés et métropoles : les enjeux liés à l'eau (inondations, mais aussi question quantitative et qualitative), les enjeux de développement économique (avenir des stations de montagne...), l'aménagement, nature en ville... ».

Ces observations rejoignent donc le constat et la préconisation du rapport de la mission d'évaluation du PNACC 1, qui indiquait qu'il est temps désormais de « favoriser une réelle déclinaison territoriale » des politiques d'adaptation. Il est notable que le PNACC 2 fait de cet objectif l'un de ses objectifs prioritaires et qu'il sera jugé en grande partie en fonction de sa capacité à le réaliser.

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