B. LA DISPERSION ET LE DEVENIR DE LA POLLUTION PLASTIQUE : DES CERTITUDES ET DES QUESTIONNEMENTS

1. Des voies de transfert qui peuvent devenir des zones d'accumulation

La pollution plastique obéit à un processus dynamique qui peut être schématiquement divisé en trois étapes.

La première étape correspond aux pertes ou aux fuites de plastiques sur l'ensemble de leur cycle de vie, depuis leur production jusqu'à leur traitement lorsqu'ils deviennent des déchets, en passant par leur utilisation. Ces pertes ou ces fuites peuvent l'être sous les formes macro ou microplastiques, à terre ou dans l'espace maritime.

L'intensité des pertes ou des fuites dépend de différents paramètres : l'infrastructure de gestion des déchets, le domaine d'utilisation des polymères (un plastique à usage médical dans un hôpital risque moins d'être relargué dans le milieu naturel qu'un emballage alimentaire pour une consommation hors domicile).

Les facteurs explicatifs des déchets « gérés inadéquatement »

L'audition de Matéo Cordier a permis à vos rapporteurs de prendre connaissance de recherches portant sur les facteurs explicatifs des déchets « gérés inadéquatement » 70 ( * ) . Ces travaux s'appuient sur une modélisation 71 ( * ) effectuée à partir des données de 141 pays, comparant la quantité de déchets « gérés inadéquatement » avec le PIB, l'urbanisation, le contrôle de l'influence des lobbies, l'éducation, etc. Les résultats de ces travaux montrent que la prise en compte, dans le modèle, de plusieurs facteurs offre une meilleure compréhension de la pollution plastique. Trois résultats sont importants à souligner :

- si rien n'est fait, les fuites de déchets plastiques mal gérés sur la période 1990-2050 et accumulés dans l'écosystème mondial vont doubler entre 2017 et 2050 ;

- l'augmentation de la scolarité à 12 années dans les 43 pays les plus polluants réduirait de 44 % la quantité mondiale de déchets plastiques rejetés dans l'écosystème en 2050 (par rapport à 1990) ;

- la diminution de l'influence des lobbies auprès des politiques, au niveau de l'Uruguay ou de la France, dans les 43 pays les plus polluants réduirait de 28 % la quantité mondiale de déchets plastiques rejetés dans l'écosystème en 2050 (par rapport à 1990).

Source : Cordier M., Uehara T., Baztan J., Jorgensen B., Yan H. (2021, à paraître). Plastic pollution and economic growth: the influence of corruption and lack of education. Ecological Economics.

La deuxième étape correspond au transfert des plastiques dans l'environnement. Les voies de transfert sont essentiellement :

- les réseaux d'eaux usées ou pluviales : les fibres textiles, les microplastiques issus des cosmétiques et des détergents, certains macroplastiques comme les textiles sanitaires sont transportés par les réseaux d'eaux usées. Les déchets plastiques jetés sur la voie publique vont rejoindre les réseaux d'eaux pluviales, entrainés par les pluies. Ces réseaux sont également la voie de transfert privilégiée des microplastiques issus de l'abrasion des pneumatiques, des freins et des chaussées routières ;

- l'air et le vent : sont concernées par cette voie de transfert les fibres textiles relarguées par frottement, mais également les poussières urbaines et les particules de pneumatiques. Certaines études ont montré que des particules de pneumatiques étaient retrouvées à 50 mètres de distance des routes. Cette voie de transfert concerne autant les macro que les microdéchets ;

- la pluie et la neige : une fois mobilisées dans l'atmosphère sous l'effet du vent, les particules plastiques peuvent retomber à terre avec la pluie ou la neige ;

- les fleuves et les rivières (voir infra ) ;

- les courants marins (voir infra ).

Le rôle des systèmes de gestion des eaux usées et des
eaux pluviales dans le transport de la pollution plastique en France

Deux systèmes de gestion des eaux cohabitent sur le territoire national : les systèmes unitaires et les systèmes séparatifs.

Dans les systèmes unitaires, les eaux usées et les eaux pluviales sont gérées dans le même réseau. Les canalisations sont dimensionnées pour accepter d'importants débits. Toutefois, les capacités des réseaux et des stations d'épuration qui leur sont associées peuvent être amenées à rencontrer des débits très supérieurs aux débits de dimensionnement. Dans de telles situations, une partie du débit est évacuée par des ouvrages (appelés « déversoirs d'orage »), directement dans le milieu naturel avec les déchets solides présents (dont les déchets en plastique). Cette situation correspond aux systèmes les plus anciens, qui ne respectent pas les normes actuelles de conception et de dimensionnement des réseaux de gestion des eaux usées.

Dans les systèmes séparatifs, deux réseaux distincts prennent en charge respectivement les rejets d'eaux usées (réseau d'assainissement) et les eaux pluviales. Les réseaux d'assainissement sont connectés à des stations d'épuration. Les réseaux d'eaux pluviales débouchent le plus souvent sur des bassins de filtration où les déchets vont sédimenter. Les eaux sont ensuite restituées au milieu naturel sans traitement spécifique.

Dans les communes en bord du littoral, les eaux usées et les eaux pluviales sont le plus souvent rejetées dans la mer malgré le renforcement régulier de la réglementation en la matière.

Les eaux usées, aussi bien que les eaux pluviales, emportent avec elles des déchets plastiques (jetés dans les toilettes, dans l'espace public, dans les fossés). Les avaloirs 72 ( * ) sont malheureusement utilisés comme des réceptacles à déchets par de trop nombreuses personnes, mais parfois également par des agents publics de la propreté dans le cadre du nettoyage des caniveaux.

Les grilles présentes en entrée des stations d'épuration « arrêtent » les macrodéchets, mais une partie d'entre eux peut être déroutée vers le milieu naturel via des déversoirs, en cas de très fortes pluies.

Le CEREMA a réalisé une étude sur les flux de macrodéchets dans les systèmes d'eaux usées en France métropolitaine. Il en ressort les conclusions suivantes :

- les flux de déchets seraient compris entre 2 000 et 10 000 tonnes par an, soit entre 40 et 110 grammes par an et par habitant (la fourchette est grande en raison de la diversité des équipements de traitement des eaux usées) ;

- les textiles sanitaires (serviettes hygiéniques, lingettes, tampons, etc.) représenteraient entre 78 et 93 % des macrodéchets ;

- la proportion de plastiques dans ces macrodéchets varierait entre 1 et 6 % (en comptabilisant uniquement les textiles sanitaires alors que d'autres déchets comportent du plastique).

La réglementation sur les eaux résiduaires urbaines prévoit que les rejets par débordement des capacités doivent représenter moins de 5 % des volumes d'eaux usées produits durant l'année. Si cette réglementation était appliquée à l'ensemble du territoire national, le flux global de déchets déversés dans l'environnement par les eaux usées et les eaux pluviales pourrait être réduit de 20 à 30 %.

Source : Florian Rognard, Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).

La troisième étape correspond à l'arrivée et à l'accumulation des plastiques dans l'un des quatre compartiments environnementaux que sont les eaux douces, le sol, l'air et les mers et océans. Cette « arrivée » peut se produire indirectement, en suivant les voies de transfert décrites précédemment, ou directement (la fuite se produit directement dans le compartiment : cas des macroplastiques jetés « dans la nature »). La fragmentation en microplastiques peut également se produire directement dans l'un des quatre compartiments environnementaux (dégradation de la peinture des navires dans l'eau, relargage de particules pneumatiques d'un pont traversant un fleuve ou la mer, etc.).

Cette « arrivée » dans un compartiment environnemental n'est pas toujours définitive et les plastiques peuvent passer d'un compartiment à l'autre. Ainsi, une bouteille jetée à la mer peut venir s'échouer sur un rivage. De même, des microplastiques accumulés dans les couches sédimentaires des fleuves peuvent être remobilisés au moment des crues 73 ( * ) et finir dans les océans. La pluie et la neige peuvent également faire « retomber » sur les sols des particules accumulées dans l'atmosphère.

Le cycle de vie des plastiques

Source : Le Bihanic et al, 2019.

2. Une recherche historiquement focalisée sur les océans

Jusqu'à très récemment, les chercheurs, la communauté internationale et le grand public ont focalisé leur regard sur la pollution plastique dans les mers. Plusieurs raisons expliquent ce comportement.

Certains scientifiques comme les océanographes et les biologistes marins s'intéressent de longue date à l'impact des activités humaines sur les océans en tant qu'écosystème, mais également en tant que source majeure d'alimentation pour une grande majorité de la population mondiale.

Dès 1972, deux scientifiques évoquent la présence de plastiques à la surface de la mer des Sargasse 74 ( * ) .

En France, la première étude sur les déchets concernait l'origine espagnole des déchets trouvés sur les plages du Pays Basque et plus au nord. Dix ans après, l'Ifremer a lancé la première étude en mer et commencé à quantifier systématiquement les déchets dans les fonds marins en profitant des campagnes d'analyse des stocks de poissons organisées pour fixer les quotas de pêche au niveau de l'Union européenne.

Au-delà de la communauté scientifique, la forte sensibilité de l'opinion publique à la pollution plastique s'explique par la place symbolique qu'occupent les océans dans l'imaginaire collectif. Comme le faisait remarquer le sociologue Denis Blot lors de son audition, les océans sont associés à des zones vierges qui devraient rester intactes.

La pollution plastique des océans a également concentré l'attention de l'opinion publique au travers d'images devenues symboliques , comme celles par exemple de mammifères marins emprisonnés dans des filets de pêche, de tortues blessées par une paille plastique bloquée dans leur narine ou asphyxiées par des sacs plastiques (voir infra ).

Le milieu maritime apparaît comme le principal domaine de recherche sur la pollution plastique avec une focalisation sur les thématiques environnementales (impacts de la pollution plastique sur les organismes vivants et les écosystèmes) et sur sa caractérisation (en termes de sources et de devenir).

a) La concentration des plastiques dans les gyres

L'association de la présence des déchets en mer aux zones de convergence océanique des courants (gyres) a été faite en 1997 par l'océanographe Charles J. Moore. Cette accumulation de déchets de plastiques au milieu du Pacifique Nord a marqué les esprits. Sur une surface trois fois supérieure à la France (1,6 million de km²), des débris s'accumulent sous l'effet des courants circulaires formant des gyres.

(1) L'explication de ce phénomène

En fonction de leur densité, les déchets déversés dans l'océan vont soit couler vers les fonds marins (comme les PVC de densité supérieure à celle de l'eau de mer), soit flotter et être entraînés par les vents et les courants marins (c'est le cas du polyéthylène PE).

Les directions et les vitesses de déplacement dépendent de l'organisation générale des circulations atmosphériques et océaniques. Celles-ci sont liées et ont pour « moteur » l'énergie solaire. Les disparités d'énergie solaire reçue par la surface terrestre selon les latitudes, couplée à la rotation de la Terre autour de son axe (force de Coriolis) entraînent la formation de grandes cellules de convection atmosphérique 75 ( * ) et des vents. Ces derniers provoquent des mouvements d'eau, de la surface jusqu'à plus de 100 m en profondeur. Les déplacements des déchets plastiques résultent de la cinétique de ces vents et courants marins de surface.

À l'échelle du globe, les courants marins de surface, déviés par la rotation de la Terre, présentent une circulation « en tourbillons », appelés gyres. Les gyres montrent un mouvement en spirale avec enroulement sur la droite dans l'hémisphère nord et sur la gauche dans l'hémisphère sud. Ces vastes mouvements tourbillonnaires s'accompagnent d'un lent flux convergent en surface qui concentre les particules flottantes.

Depuis 1997, quatre autres zones d'accumulation ont été mises en évidence dans le Pacifique Sud, l'Atlantique Nord, l'Atlantique Sud et l'Océan Indien.

(2) Les caractéristiques des déchets dans les gyres

De nombreuses études scientifiques portent sur la quantification et la caractérisation des déchets plastiques accumulés dans les gyres. Une étude de 2018 consacrée au gyre du Pacifique Nord 76 ( * ) apporte les résultats suivants :

- les plastiques représentent 99,9 % des déchets retrouvés dans ce gyre ; près de 1 800 milliards de déchets plastiques y seraient accumulés (la fourchette est comprise entre 1 100 et 3 600 milliards) , correspondant à un poids total de 78 400 tonnes ;

- les déchets plastiques sont répartis en quatre catégories :

> les microplastiques (compris entre 0,5 et 5 mm) : ils représentent 6 400 tonnes (soit 2,5 kg par km²) et 1 700 milliards de déchets, soit une concentration de 678 000 déchets par km² ;

> les mésoplastiques (compris entre 0,5 et 5 cm) : ils représentent 10 000 tonnes (soit 3,9 kg par km²) et 56 milliards de déchets , soit une concentration de 22 000 déchets par km² ;

> les macroplastiques (compris entre 5 et 50 cm) : ils représentent 20 000 tonnes (soit 16,8 kg par km²) et 821 millions de déchets , soit une concentration de 690 déchets par km² ;

> les mégaplastiques (plus de 50 cm) : ils représentent 42 000 tonnes et 3,2 millions de déchets , soit une concentration de 3,5 déchets par km².

En conséquence, si les plastiques de plus de 5 cm représentent près de 80 % des déchets (62 000 tonnes rapportées à 79 000 tonnes), ce sont les plastiques compris entre 0,5 et 5 mm qui sont les plus nombreux (97 % du total).

Lors de la découverte de l'accumulation de plastiques dans le gyre du Pacifique Nord, certains l'ont comparé avec un septième continent, à la fois en raison de sa taille, mais également du nombre considérable de déchets présents. En réalité , il s'agit plutôt d'une « soupe » de plastiques invisible à l'oeil nu (les concentrations de plastiques varient de 678 particules par m² pour ceux compris entre 0,5 et 5 mm à 3,5 par km² pour les déchets dont la taille dépasse 50 cm).

Toujours dans le gyre du Pacifique Nord, les polymères fréquemment retrouvés sont le polyéthylène et le polypropylène 77 ( * ) . Dans la mesure où il s'agit de débris, il est difficile de savoir de quels objets ils proviennent. Toutefois, lorsque les dates de production peuvent être repérées, on constate une certaine ancienneté (de 1977 pour les plus anciens à 2010 pour les plus récents).

En ce qui concerne le stock de plastiques dans ce gyre, les études sont contradictoires. Certaines estiment que la concentration moyenne de plastiques dans ce gyre semble augmenter au fil du temps, alors que d'autres études affirment le contraire.

Les concentrations des déchets plastiques dans les autres gyres ont également fait l'objet d'évaluations . Le gyre du Pacifique Sud contiendrait 19 000 tonnes de déchets ; celui de l'Atlantique Nord 51 300 tonnes ; celui de l'Atlantique Sud 11 600 tonnes et celui de l'Océan Indien 53 600.

Au total, les déchets plastiques accumulés dans les cinq gyres représenteraient près de 215 000 tonnes.

(3) Les autres zones d'accumulation

Au-delà des cinq gyres, plusieurs personnes auditionnées ont insisté sur l'existence d'autres zones d'accumulation.

En mer Méditerranée , la concentration moyenne de plastiques s'élèverait à 115 000 fragments par km², atteignant 600 000 fragments par km² au large de Nice et 2,5 à 8 millions de microplastiques par km² au large du cap Corse 78 ( * ) (alors même que cette zone fait partie du sanctuaire Pelagos créé par la France, l'Italie et Monaco pour protéger les mammifères marins). Elle atteint 64 millions de microplastiques/km² dans le bassin oriental !

Au total, entre 259 à 680 milliards de débris plastiques flotteraient en Méditerranée (469 milliards en moyenne), représentant entre 515 et 3 999 tonnes de microplastiques (2 257 tonnes en moyenne).

68,9 % des débris plastiques collectés et analysés sont en polyéthylène, 20,2 % sont en polypropylène, 3,2 % en polystyrène et 2,6 % en polyamide.

La mer Méditerranée serait la plus polluée au monde puisqu'elle représente seulement 1 % des océans mais concentrerait 7 % des microplastiques.

Les causes de cette situation sont multiples :

- la Méditerranée est une mer semi-fermée dont les eaux mettent 90 ans à se renouveler ;

- elle accueille 30 % du tourisme mondial ;

- 30 % du trafic maritime mondial l'emprunte pour effectuer la route entre le détroit de Gibraltar et le canal de Suez ;

- le pourtour méditerranéen connait une forte pression démographique. Dans de nombreux pays riverains les infrastructures de traitement de l'eau sont déficientes, la collecte des ordures ménagères souvent absente et les rejets de déchets à la mer chroniques ;

- d'importants fleuves se déversent dans la méditerranée (Nil, Rhône, Pô, etc.) charriant 700 tonnes de déchets plastiques chaque année.

La mer du Groenland et la mer de Barents seraient également des zones d'accumulation de déchets plastiques en provenance du gyre de l'Atlantique Nord. Lors de son expédition autour du cercle polaire en 2013, Tara Océans avait découvert une zone d'accumulation de 300 milliards de débris dans l'Arctique, représentant environ 400 tonnes.

Le golfe du Bengale serait également une zone d'accumulation de déchets plastiques, notamment en raison de l'apport de plastiques par le Gange.

b) La théorie du plastique manquant

Source : Alexandra Ter Halle, CNRS.

Comme indiqué précédemment, entre 1,8 million et 5 millions de tonnes de microplastiques seraient relargués dans l'environnement chaque année. Entre 0,8 et 2,5 millions de tonnes entreraient dans les océans 79 ( * ) .

Outre les microplastiques, l'océan est également le réceptacle de macroplastiques :

- entre 8 et 15 millions de tonnes s'y déverseraient chaque année en provenance de la terre ; entre 1,5 et 2 millions de tonnes issues des activités maritimes s'y ajouteraient annuellement.

Au total, entre 10 et près de 20 millions de tonnes de plastiques seraient rejetés dans les océans chaque année.

Pourtant, les mesures et les observations, tout comme les modélisations concluent à une masse de débris flottant à la surface des océans bien inférieure, comprise entre 150 000 et 250 000 tonnes (soit entre 0,75 et 2,5 % 80 ( * ) seulement de la masse totale des plastiques qui arriveraient dans les océans) . L'écart important entre ces deux bilans massiques suscite de nombreuses interrogations au sein de la communauté scientifique. Il interroge en particulier sur le devenir des plastiques dans les océans. Un film-documentaire 81 ( * ) a été consacré au sujet intitulé « Océans, le mystère plastique ».

Plusieurs hypothèses sont avancées pour tenter d'expliquer cette apparente anomalie comptable.

Certains experts estiment qu'une partie non négligeable des microplastiques pourrait être ingérée par des organismes marins . Cette thèse s'appuie sur les observations réalisées sur le terrain qui constatent que de très nombreuses espèces avalent du plastique (des invertébrés aux mammifères marins en passant par les poissons, les oiseaux et les tortues - voir infra ). La quantité de plastique ingérée par le biota reste très difficile à évaluer. En outre, la plupart des microplastiques ingérés par les organismes vivants sont excrétés rapidement et retournent donc dans la mer.

D'autres avancent qu'une grande partie des microplastiques sédimentent. Dès leur arrivée dans l'océan, les particules plastiques de faible densité ont tendance à flotter à la surface de la mer ou dans la colonne d'eau tandis que les microplastiques ayant une densité supérieure à celle de l'eau de mer (1,02 g/cm) vont couler et s'accumuler dans les sédiments. La colonisation des particules plastiques par des organismes vivants augmente leur densité provoquant leur sédimentation ; ce phénomène porte le nom de biofouling. Des observations confirment l'accumulation de plastiques sur les fonds marins mais restent rares en raison de leur complexité et de leur coût. Récemment, des plastiques ont même été découverts dans la fosse des Mariannes, à 11 000 mètres de profondeur. Une étude récente 82 ( * ) montre que les courants thermohalins 83 ( * ) , qui provoquent de vastes accumulations de sédiments sur le fond marin, jouent un rôle considérable dans la distribution des microplastiques, générant des zones d'accumulation avec des concentrations très élevées (190 débris par 50 grammes de sédiment).

Le processus de dégradation auquel seraient soumis les microplastiques est également avancé pour expliquer leur « disparition » comptable des bilans massiques. Plusieurs hypothèses coexistent. La première avance qu'une partie des microplastiques ferait l'objet d'une biodégradation par des bactéries . La seconde évoque un processus de dégradation transformant les microplastiques en nanoplastiques (ces derniers étant difficilement repérables et quantifiables par défaut d'outils d'identification à la disposition des chercheurs).

Une partie des microplastiques présents dans l'eau de mer pourrait être aérosolisée par les vagues déferlantes et ainsi rejoindre les neiges, les glaciers et les lacs de montagne via le grand cycle de l'eau.

Certains scientifiques considèrent que l'agrégation des microplastiques avec la matière organique serait la principale voie de leur migration vers les sédiments des fonds marins. Ces sédiments constitueraient dès lors un important réservoir de microplastiques. D'autres font remarquer que l'agrégation des microplastiques avec la matière organique peut expliquer leur transport au fond des mers. Toutefois, cette matière a vocation à se dégrader. Les microplastiques devraient donc être libérés et remonter dans la colonne d'eau.

Ajoutant du flou aux suppositions qui viennent d'être énoncées, d'autres chercheurs expliquent le plastique manquant comme la résultante de leur va-et-vient et de leur échouage sur les côtes. C'est le cas de deux d'entre eux auditionnés par vos rapporteurs.

Au cours de son audition, Laurent Lebreton a insisté sur le fait que les gyres sont constitués de plastiques plutôt anciens, ce qui exclurait l'hypothèse selon laquelle une grande partie des plastiques coulerait rapidement. Selon lui, une partie du plastique manquant s'expliquerait par les allers-retours effectués par les déchets plastiques entre la mer et les plages.

Lors de son audition, Christophe Maes 84 ( * ) , spécialiste de la modélisation de la dispersion des microplastiques à l'échelle des océans, a fait remarquer que les modèles actuels ne prenaient pas en compte l'échouage des plastiques sur les îles. Ce phénomène pourrait, selon lui, contribuer à l'explication du plastique manquant.

La pollution plastique dans les îles inhabitées et isolées

Le projet de recherche MICMAC 85 ( * ) (2018-2020) vise à évaluer la pollution plastique dans les Iles Eparses, îles inhabitées et isolées de l'Océan Indien situées autour de Madagascar. Quatre îles ont été retenues dans le cadre de ce projet (Europa, Juan de Nova, Glorieuses et Tromelin) où 13 sites d'observation ont permis de collecter 14 455 déchets.

Le bilan de cette étude est sans appel : les plastiques sont omniprésents sur ces îles. S'agissant plus particulièrement des déchets supérieurs à 2,5 cm, les quantités retrouvées sont du même ordre de grandeur que celles observées en métropole (à la différence près que ces îles, inhabitées, ne produisent pas de déchets plastique).

Ainsi, 929 déchets ont été récoltés sur 100 m de côte en moyenne et 417 déchets sur 100 m en médiane dans les îles éparses contre respectivement 982 et 547 en métropole.

Sur Tromelin, 6 076 plastiques supérieurs à 2,5 cm ont été récoltés sur 100 m, soit 6 fois plus qu'en Métropole.

Source : Centre de documentation, de recherches et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre).

En conclusion, la connaissance et la compréhension du devenir des plastiques dans les océans restent encore floues et partielles . S'il existe bel et bien une répartition verticale des plastiques entre la surface des océans, la colonne d'eau et les sédiments, ni les processus de passage d'un compartiment à l'autre, ni la quantification des microplastiques dans chacun de ces compartiments ne sont connus.

En raison des connaissances parcellaires, de nombreux scientifiques plaident pour la mise en place de réseaux d'observation et de surveillance des plastiques dans les océans.

3. Des études récentes sur les fleuves et les rivières
a) Le rôle prépondérant des fleuves

Plusieurs études ont mis en exergue le rôle des fleuves et des rivières dans le transport des plastiques vers les océans.

Deux études publiées en 2017 ont établi la responsabilité des grands fleuves asiatiques et, dans une moindre mesure, africains, en matière de pollution plastique.

L 'étude du Helmoltz Centre for Environmental Research 86 ( * ) a établi que 88 à 95 % des déchets plastiques des océans provenaient de seulement dix cours d'eau , dont huit situés en Asie et deux en Afrique. Le fleuve chinois Yang-Tsé est considéré comme celui qui transporte le plus de déchets plastiques au monde. Il charrierait 1,5 million de tonnes de plastiques par an.

La seconde étude 87 ( * ) menée conjointement par la fondation néerlandaise The Ocean Cleanup et l'université de Caroline du Nord confirme la responsabilité des fleuves asiatiques, mais dans une moindre mesure. Selon cette étude, ce sont 20 fleuves, principalement asiatiques, qui sont responsables de 67 % des déchets plastiques déversés dans les océans . Quant au Yang-Tsé, il reste le fleuve le plus pollueur, mais il ne transporterait « que » 300 000 tonnes de déchets plastiques par an, soit cinq fois moins que le chiffrage obtenu par l'étude allemande.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont entendu deux scientifiques du Centre de formation et de recherche sur les environnements méditerranéens 88 ( * ) (CEFREM) de Perpignan. Sans remettre en cause le rôle important des fleuves asiatiques dans le transport des plastiques vers les océans, ils insistent également sur la responsabilité des fleuves européens et américains .

Selon leurs estimations, au niveau mondial, les fleuves rejetteraient entre 6 000 à 7 000 tonnes de microplastiques par an dans les océans avec une répartition équilibrée entre les océans : 28 % des rejets se feraient vers le Pacifique Nord par le biais des fleuves d'Asie et d'Amérique du Nord, 24 % des rejets atteindraient l'Atlantique Nord via des fleuves d'Europe et d'Amérique du Nord, 23 % des rejets se feraient vers l'Océan Indien, 12 % des rejets concerneraient le Pacifique Sud et 13 % l'Atlantique Sud.

Ces différences dans les estimations s'expliquent par les critères retenus. Dans l'étude du CEFREM, le critère de mauvaise gestion des déchets plastiques a été écarté au profit d'un critère de densité de population. Ce critère de mauvaise gestion des déchets plastiques a été introduit par l'étude précitée de Jambeck et al de 2015. Selon les scientifiques du CEFREM, c'est un paramètre statistique fondé sur des données nationales de gestion des déchets (taux de recyclage, site d'enfouissement, décharges) dont la fiabilité est remise en question à très grande échelle pour les modèles d'apport fluviaux.

D'autres études se sont attachées à quantifier la responsabilité des fleuves dans le transport des microplastiques.

Une étude de 2015 89 ( * ) évalue le flux annuel de microplastiques dans la Seine à la sortie de Paris à environ 800 milliards de particules.

En 2020, une autre étude 90 ( * ) évalue à 22 tonnes par an la masse de microplastiques rejetés par le Rhône en Méditerranée.

Globalement, les recherches actuelles montrent que l'on retrouve systématiquement des microplastiques dans tous fleuves étudiés. Elles concluent également à des flux de l'ordre de plusieurs milliards de particules par an pour les microplastiques compris entre 0,3 et 5 mm.

Les volumes de microplastiques transportés par les fleuves sont fortement corrélés à leurs débits et aux densités de population de leur bassin versant. L'importante variabilité de ces deux paramètres d'un fleuve à l'autre déclenche les écarts importants entre les différentes estimations.

L e recueil de données est primordial pour remédier à cet écueil. À cet égard, l'expédition de Tara Océans sur les dix plus grands fleuves européens, menée entre mai et novembre 2019, devrait apporter de précieuses informations. En effet, plus de 2 700 échantillons ont été prélevés en surface et dans la colonne d'eau. S'ils n'ont pas encore été analysés, l'expédition a déjà permis de confirmer un résultat décisif pour la compréhension de la pollution plastique. Contrairement aux idées reçues, le processus de fragmentation ne commence pas lors de l'arrivée des plastiques dans les océans. Il a déjà lieu dans les fleuves ou sur le sol ou sur les plages à cause de l'effet des rayons solaires, et la majorité des plastiques transportés par ces derniers sont sous forme de microplastiques.

Si les rivières jouent elles aussi un rôle déterminant dans le transport des plastiques, leur contribution encore inconnue. Selon Laurent Lebreton, elle est comprise entre 9 et 50 %, ce qui laisse une marge d'incertitude considérable.

b) Un processus complexe qui reste à approfondir

Le transport des plastiques par les fleuves est un processus dynamique complexe qui doit faire l'objet de recherches complémentaires. De nombreuses équipes scientifiques se sont saisies du sujet. Le projet MacroPLAST 91 ( * ) illustre ces nouvelles voies de recherche. Il porte sur l'estimation des flux de macrodéchets issus du bassin de la Seine et rejetés à la mer. Il a notamment analysé le rôle des crues dans le transport des déchets plastiques.

Les résultats montrent que les déchets circulent trois fois plus vite en période de crue qu'en régime de basses eaux.

D'une manière générale, l'apport annuel de débris microplastiques aux océans par les cours d'eau relève d'une dynamique saisonnière marquée par des déversements jusqu'à dix fois plus élevés après de fortes pluies.

Les crues impactent également le transport des microplastiques, à travers le phénomène de remobilisation : alors qu'en hydrologie de basses eaux, les microplastiques s'accumulent dans les sédiments et au niveau des berges des rivières, les crues les détachent de leurs zones d'accumulation pour les remettent en suspension, et donc en mouvement.

Dans le cadre du projet MacroPLAST, des déchets plastiques ont été « tagués » afin de décrire les phénomènes d'échouage, l'influence de la marée ainsi que l'apparition de zones d'accumulation préférentielles. Les flux de déchets ne sont pas linéaires et certains déchets restent plusieurs années dans la Seine avant d'atteindre l'estuaire.

Le tableau suivant réunit les principaux résultats de deux recherches effectuées sur le transport de déchets plastiques par les fleuves (les chercheurs cités ayant été auditionnés par vos rapporteurs).

Équipe

Fleuve

Flux de plastiques

Autres résultats

J. Gaspéri

Seine

100 à 200 t / an

6 à 11 g / hab /an

soit 0,01 à 0,02 % des 52 kg de plastiques consommés par habitant

P. Kerhervé

Têt

1 à 3 t /an

Plastiques flottants uniquement (mégots, fragments de polystyrène expansé, emballages, cotons-tiges)

4. Une connaissance très partielle du devenir des plastiques dans le sol
a) Une pollution mal connue

Le comportement des microplastiques dans les sols est mal connu autant sur le sujet de leur mobilité que sur celui de leur évolution. Ces informations s'avèrent pourtant cruciales à la bonne connaissance de la pollution des sols par les microplastiques.

Selon Christian Mougin 92 ( * ) , la communauté scientifique française ne s'est véritablement saisie de la question de la pollution plastique des sols que depuis 2016 à la faveur de l'organisation d'un premier colloque sur le sujet 93 ( * ) .

Différents obstacles freinent la connaissance sur la dynamique des microplastiques dans les sols.

En premier lieu, les méthodes habituellement utilisées pour étudier les microplastiques dans les milieux aquatiques (digestion de la matière organique, séparation densimétrique, filtration, comptage, caractérisation) ne sont pas adaptées à leur suivi dans les sols. Il est donc nécessaire de créer des outils d'analyse spécifiques.

En second lieu, alors que les sources de la pollution plastique des sols sont en nombre limité, les méthodes d'estimation des apports de microplastiques ne sont pas harmonisées et les unités de comptage sont hétérogènes et difficilement comparables d'une étude à une autre, ou d'une source de pollution à une autre.

Le schéma suivant illustre la très grande hétérogénéité des unités retenues pour caractériser les flux de microplastiques associés aux différentes sources de pollution.

Les sources d'apports de microplastiques aux sols
et l'estimation des flux associés

Sources de microplastiques

Flux estimés

Auteurs

Pays

Retombées atmosphériques

13 à 110 particules/m²/j
27 ug/kg sol/an

Dris et al. 2016

France

Films plastiques

0,03 à 10,82 kg/ha/an

Huang 2020

Chine

Irrigation

3 900 à 17 000 p 94 ( * ) /m 3 »

Zhou 2020

Chine

Engrais organiques et composts

0,08 à 6,3 kg/ha/an

Blasing 2018

Slovénie

Épandage des boues de stations d'épuration

0,2 à 8 mg/ha/an/hab

Nizetto 2016

Europe

1,68 à 40,8 x 10 6 p/ha/an

Blasing 2018

États-Unis

10 6 à 10 9 p/ha/an

Qi 2020

Chine

Source : Christian Mougin, INRAe.

Cinq sources de microplastiques sont identifiées : les précipitations atmosphériques ; les boues d'épuration des stations d'épuration ; les films plastiques utilisés pour l'agriculture ; les engrais et composts ; l'irrigation. Compte tenu de l'hétérogénéité des unités de mesure associées à chaque des sources, il est difficile de pouvoir établir des comparaisons solides et de hiérarchiser les contributions.

Au-delà de la quantification des apports de microplastiques, il existe peu d'analyses sur l'exposition des organismes du sol à la pollution plastique . Les expérimentations sont menées sur un temps court. Pour une bonne compréhension de l'impact de la pollution plastique du sol sur les écosystèmes, il est nécessaire de développer un biomonitoring permettant le suivi des sols.

Des métaux tels que le zinc, le plomb, l'arsenic ou le chrome et des molécules issues de la dégradation des produits phytosanitaires ont la capacité à s'adsorber sur les microplastiques sous des formes toxiques s'accumulant dans les sols. Cette combinaison serait à l'origine de la toxicité des macroplastiques, davantage que les polymères.

Actuellement, seuls quelques articles isolés ont été publiés, dont l'un sur les invertébrés du sol 95 ( * ) . Il montre un effet négatif de la pollution plastique sur leur taux de reproduction, sur leur masse corporelle et sur leur mortalité.

S'agissant des impacts sur les micro-organismes, la présence de microplastiques dans les sols est de nature à perturber la diversité et l'abondance des communautés microbiennes avec des effets indirects, par exemple, sur le cycle de l'azote. Les bactéries fixatrices de l'azote sont susceptibles d'être sensibles aux microplastiques en fonction de leur durée d'exposition.

Les effets sur les végétaux ne sont pas plus étudiés. Il serait pourtant pertinent de s'y intéresser considérant l'influence des paramètres édaphiques susceptibles d'être impactés par les microplastiques, sur les phases clés du développement végétal que sont la germination et la disponibilité en éléments nutritifs. La translocation des particules plastiques dans les plantes, et en particulier dans les organes consommés, n'est pas non plus étudiée.

L'évolution des microplastiques dans les sols est un autre sujet important. Leurs tailles et leurs formes influencent leur mobilité et leur faculté, ou non, à migrer en profondeur vers les nappes phréatiques.

S'il existe peu de travaux de recherche sur les plastiques dans les sols en France, des dispositifs existants pourraient être utilisés pour leur intégrer la problématique des plastiques. C'est le cas du dispositif in natura , mis en place il y a 30 ans, pour surveiller la qualité des sols. De manière identique, le réseau Recotox 96 ( * ) pourrait élargir son action aux polluants compris dans les microplastiques. Les personnes auditionnées ont signalé la difficulté à obtenir des crédits à long terme pour financer des observatoires (alors même qu'il existe un important besoin de données chiffrées sur de longues périodes).

b) Une pollution majeure

Selon différentes publications, la pollution des écosystèmes terrestres (sols et cours d'eau) par les microplastiques pourrait être plus importante que celle du milieu marin.

Lors de son audition, Nathalie Gontard 97 ( * ) a précisé que 90 % des plastiques finissent dans l'environnement (soit 70 kg par personne et par an), dont seulement 3 % dans les océans, mais 87 % dans les sols.

En 2017, au niveau européen, environ 6 millions de tonnes de films de plastiques agricoles ont généré 11 millions de tonnes de déchets. À l'horizon 2030, la filière agricole devrait utiliser 15 millions de tonnes de films plastiques, générant une importante quantité de déchets 98 ( * ) . Si en France, les acteurs privés de l'agrofourniture (les metteurs en marché, les distributeurs, les agriculteurs) ont créé, à travers Adivalor, une filière efficace de collecte et de traitement des déchets 99 ( * ) , c'est loin d'être le cas dans la plupart des pays de l'Union européenne. Les films de paillage pourraient constituer la principale source de pollution plastique des sols sur lesquels ils sont utilisés.

Une autre source importante de microplastiques dans les sols est attribuée aux boues des stations d'épuration principalement valorisées par épandage pour la fertilisation des terres agricoles. Ces boues d'épuration des eaux usées contiennent, en quantité importante, des microfibres synthétiques issues des lessives (cf. supra partie relative à la formation des microplastiques) .

La production de boues d'épuration des eaux urbaines avoisine les 10 millions de tonnes de matières sèches en Europe. 42 % font l'objet d'un épandage agricole, 14 % d'un compostage, 32 % sont incinérées et 12 % sont enfouies.

En France, 70 % des boues sont valorisées dans la filière agricole dont 30 % sont compostées.

Selon les études, les boues d'épuration concentrent entre 1 000 et 100 000 particules de plastiques par kg de matière sèche, ce qui équivaudrait pour la France au rejet dans les sols de 100 000 tonnes de microplastiques par an 100 ( * ) .

5. Une recherche sur la pollution de l'air par les microplastiques à construire

Les connaissances sur la pollution de l'air par les microplastiques sont clairsemées. À ce jour, seules quelques études ont été publiées sur les retombées de particules plastiques en provenance de l'atmosphère 101 ( * ) , avec des résultats sensiblement différents.

La première concerne Paris 102 ( * ) . Seules les particules supérieures à 100 um ont été étudiées. Les résultats peuvent être résumés de la manière suivante. Le nombre de particules observées est de 118 par m 2 et par jour (avec une variabilité qui oscille entre 29 et 280 particules par m 2 et par jour). 90 % des microplastiques sont des fibres. L'étude conclut également à un dépôt annuel de 6 à 17 tonnes de fibres dans la métropole parisienne.

La deuxième étude 103 ( * ) a été réalisée à Hambourg et évalue le nombre de particules à 275 par m 2 et par jour (avec une fourchette comprise entre 136 et 512 particules). Les petites particules (taille inférieure à 63 um) sont prédominantes.

La troisième étude 104 ( * ) réalisée à Donggang en Chine évalue le nombre de particules par m 2 et par jour à 244 (fourchette des résultats entre 175 et 313).

Enfin, une étude 105 ( * ) réalisée à la station météorologique de Bernadouze, dans les Pyrénées, évalue le nombre de particules par m 2 et par jour à 365 avec une prédominance des particules inférieures à 25 um. Cette étude a également révélé la capacité des microplastiques à être transportés par les airs. En effet, les concentrations de particules retrouvées dans ce lieu isolé en altitude sont comparables, voire supérieures à celles observées dans les grandes métropoles. Cela démontre le transport des microplastiques par la voie atmosphérique.

S'agissant plus particulièrement de l'observation des particules en suspension, seules les études réalisées à Paris, à Hambourg et dans les Pyrénées s'y sont intéressées.

Vos rapporteurs ont également été informés de l'existence de deux études françaises mesurant les retombées de fibres textiles dans les atmosphères intérieure et extérieure.

Cette première compilation des études sur la pollution atmosphérique par les microplastiques souligne que la thématique reste encore peu explorée par la communauté scientifique . Les instruments, autant que les méthodologies restent à développer. Si, jusqu'à une date récente, seules les fibres d'une taille supérieure à 50 um ont été recherchées, il semblerait que la majorité des particules plastiques présentes dans l'atmosphère sont plus petites, soulevant les enjeux de leur détection et des précautions à prendre afin d'éviter la contamination des échantillons (par les microfibres textiles produites par les vêtements des opérateurs par exemple).

Les études disponibles privilégient les investigations sur la taille des microplastiques présents dans l'air au détriment de leur composition chimique. Il est donc difficile de connaître l'origine des microfibres retrouvées dans l'atmosphère (textiles, lingettes, cordages, etc.). Les chercheurs ignorent également leurs impacts sur l'environnement et sur la santé humaine. Toutefois, considérant le diamètre des fibres observées, compris entre 7 et 15 um, une partie d'entre elles peuvent être assimilées à des PM10 106 ( * ) . Les directives de l'Union européenne relatives à la qualité de l'air ambiant extérieur contiennent des dispositions détaillées en ce qui concerne les PM10. Étant donné qu'aucun type, ni aucune composition de matériau, ne sont spécifiés, tous les microplastiques en suspension dans l'air dont la taille correspond aux PM10 sont automatiquement concernés.

Compte tenu de leur taille, les microplastiques en suspension dans l'air pourraient avoir un impact sur la santé humaine puisqu'ils sont susceptibles d'être inhalés.

Les études sur les microplastiques en suspension dans l'air libre et dans des environnements intérieurs tendent à démontrer que l'atmosphère est une voie importante de diffusion des microplastiques vers les autres compartiments environnementaux.

Sous l'effet du transport atmosphérique, les microplastiques peuvent parcourir de très longues distances en raison de leur légèreté. Les observations de microplastiques dans les Alpes, mais également sur de la glace flottante au large du Groenland, montrent leur capacité à être transportés sur des milliers de kilomètres puis à se déposer sous les effets du vent, de la pluie ou de la neige.


* 70 Les déchets « gérés inadéquatement » correspondent aux déchets entreposés dans des décharges à ciel ouvert ou non contrôlées, ou encore rejetés dans l'environnement, dans les cours d'eau ou dans la mer.

* 71 Le modèle développé est basé sur la théorie de la courbe environnementale de Kuznets en U-inversé. Appliquée au domaine des macrodéchets plastiques mal gérés, cette théorie repose sur les deux postulats suivants : 1) dans la phase de croissance d'un pays, la quantité de déchets mal gérés augmente à mesure que le revenu par habitant croît et 2) passé un certain niveau de revenu par habitant, la quantité de déchets mal gérés par habitant diminue en raison d'une augmentation des investissements environnementaux (préoccupation vis-à-vis des conditions d'existence et moyens économiques plus importants pour investir dans les technologies vertes). Le modèle simule comment les variables prises en compte modifient cette théorie.

* 72 Ouverture le long d'un trottoir servant à évacuer les eaux de ruissellement vers l'égout.

* 73 Plus généralement, les phénomènes climatiques extrêmes (comme les tempêtes ou les submersions marines) favorisent la mobilisation, le transfert et le brassage des déchets plastiques entre les différents continents.

* 74 Edward Carpenter, K.L. Smith: « Plastics on the Sargasso Sea surface » ; Sciences, 1972.

* 75 Cellules « de Hadley » à l'équateur, « de Ferrel » dans les zones tempérées et cellules polaires aux pôles.

* 76 Laurent Lebreton et al: Evidence that the Great Pacific Garbage Patch is rapidly accumulating plastic, scientific reports, 22 mars 2018.

* 77 C'est le cas dans toutes les autres zones de concentration.

* 78 En comparaison à la densité d'organismes planctonique, cette concentration revient à dire que l'on compte 2,7 particules de plastique pour 1 organisme planctonique.

* 79 Ce chiffre ne concerne que six sources de pollution par les microplastiques : l'abrasion des pneus, le relargage de fibres synthétiques, les peintures utilisées pour les bateaux, les cosmétiques, les granulés industriels et les poussières urbaines.

* 80 Le pourcentage varie selon les hypothèses retenues. Le chiffre d'1 % est souvent avancé. Il repose sur l'hypothèse d'un relargage dans l'océan de 15 millions de plastiques par an et la présence de 150 000 tonnes de plastiques à la surface des océans.

* 81 Film de Vincent Pérazio sorti en 2016.

* 82 Ian Kane et al: « Seafloor microplastic hotspots controlled by deep-sea circulation », Science, 5 juin 2020.

* 83 La circulation thermohaline est la circulation océanique engendrée par les différences de densité de l'eau de mer, qui proviennent des écarts de température et de salinités des masses d'eau.

* 84 Institut de recherche pour le développement.

* 85 Projet de recherche porté par le Centre de documentation, de recherches et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), l'IMRCP (laboratoire des interactions moléculaires et réactivité chimique et photochimique) et le LOMIC (laboratoire d'océanographie microbienne).

* 86 Schmidt C, Krauth T, Wagner S (2017): Export of Plastic Debris by rivers into the sea; Environmental Science & Tecnology.

* 87 Laurent Lebreton et al (2017): « River plastic emissions to the world's oceans; Nature communications.

* 88 Wolgang Ludwig, directeur du CEFREM, et Lisa Weiss, doctorante.

* 89 Dris et al., 2015.

* 90 Constant et al., 2020.

* 91 Projet commandé par le ministère de la transition écologique et solidaire qui s'est déroulé entre octobre 2017 et septembre 2019.

* 92 Directeur de recherche à l'INRAe.

* 93 Colloque organisé à l'initiative de l'Association pour la Recherche en Toxicologie (ARET).

* 94 Particules.

* 95 Sanchez Hernandez et al 2020.

* 96 Réseau de sites de recherche en écotoxicologie pour suivre, comprendre et atténuer les impacts éco-toxicologiques des polluants dans les écosystèmes.

* 97 Directrice de recherche à l'INRAe de Montpellier.

* 98 Cette quantité est difficile à estimer considérant le développement actuel de films biodégradables et biosourcés à base de PLA.

* 99 7 000 tonnes de films de paillage ont toutefois été enfouis en 2019 en raison de l'absence de débouchés sur le marché du recyclage.

* 100 Luca Nizzetto et al: Are Agricultural Soils Dumps for Microplastics of Urban Origin?, Environmental Science & Technolog, mai 2019.

* 101 S'agissant d'études centrées sur les retombées des microplastiques et non sur leur concentration en suspension dans l'air, les résultats sont exprimés en nombre de particules par m² et par unité de temps.

* 102 Dris et al, 2015.

* 103 Klein et Fischer, 2019.

* 104 Cail et al, 2017.

* 105 Allen et al, 2019.

* 106 Les PM 10 sont des particules en suspension dans l' air dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, d'où leur nom anglais de particulate matter 10, ou PM 10 en abrégé.

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