B. LES IMPACTS SUR LES ORGANISMES VIVANTS

Aucun organisme marin n'échappe aux impacts de la pollution plastique. 560 espèces sont impactées à des degrés divers par les macro et les microplastiques, dont une cinquantaine sont consommées par l'Homme.

1. Le risque physique
a) Les enchevêtrements et les étranglements

De nombreux déchets plastiques présents dans l'environnement constituent un vrai danger pour les animaux . Des cas d'enchevêtrement ont été signalés pour au moins 344 espèces, toutes les espèces de tortues marines, plus des deux tiers des espèces de phoques, un tiers des espèces de baleines et un quart des oiseaux de mer. L'enchevêtrement dans des déchets plastiques concerne également 89 espèces de poissons et 92 espèces d'invertébrés.

Au Nord de l'Australie, les 8 000 filets de pêche fantômes collectés entre 2005 et 2012 auraient causé la mort de plus de 14 000 tortues 113 ( * ) .

Les enchevêtrements impliquent le plus souvent des engins de pêche abandonnés (cordes et filets) mais des cas d'enchevêtrements occasionnés par d'autres déchets plastiques sont également signalés (sacs plastiques, anneaux plastique de conditionnement des cannettes, etc.).

Dans 80 % des cas les enchevêtrements ont un effet néfaste pouvant aller jusqu'à la mort de l'animal par asphyxie (incapacité à remonter à la surface pour respirer, étranglement) ou par suite d'hémorragies.

Les effets sublétaux sont également considérables lorsqu'ils provoquent des blessures susceptibles de s'infecter ou lorsqu'ils entraînent des amputations (queue, ailerons, nageoires) réduisant l'agilité des animaux blessés.

b) L'ingestion

L'ingestion de plastique peut se produire involontairement, intentionnellement (le déchet ressemble par sa forme ou sa couleur à une proie 114 ( * ) ) ou indirectement (ingestion de proies contenant du plastique).

331 espèces seraient concernées par l'ingestion de déchets plastiques en mer, dont 40 % des oiseaux marins, la totalité des tortues marines et la moitié des mammifères marins.

Selon Jean-François Ghiglione 115 ( * ) , 1,4 million d'oiseaux et 14 000 mammifères seraient retrouvés morts chaque année en raison de l'ingestion de plastiques (sans compter les mammifères qui échappent à cette macabre comptabilité parce qu'ils ont coulé sur les fonds marins après leur mort).

Les quantités de plastique avalées peuvent être considérables. Régulièrement, les journaux signalent l'échouage de cachalots dont l'estomac est rempli de kilos de plastiques. 95 % des fulmars 116 ( * ) ont du plastique dans leur estomac. La quantité moyenne constatée par individu s'élève à 0,6 grammes. Ce qui correspond, pour un être humain, à 60 grammes de plastique.

L'ingestion peut provoquer la mort à travers l'obstruction ou la perforation de l'estomac ou des intestins.

Les conséquences peuvent être sublétales : l'ingestion de plastiques peut entraîner des inflammations ou une réduction de la prise alimentaire (par diminution du volume d'estomac disponible ou en raison d'une sensation de satiété trompeuse).

Les organismes filtreurs sont particulièrement concernés par l'ingestion de microplastiques. Néanmoins, aucune accumulation n'a été constatée jusqu'à présent et une fois passés par le transit digestif, les microplastiques sont rejetés dans l'environnement. Comme évoqué plus haut dans le rapport, le sanctuaire Pelagos héberge plus de microplastiques que de plancton (ratio de 2,8 microplastiques pour un organisme planctonique). Dès lors, les organismes qui se nourrissent de plancton n'en trouvent que 26 % parmi la totalité du nombre de particules qu'ils ont extraites de l'eau de mer par filtration.

La taille des plastiques ingérés est déterminée par la taille de l'organisme. De minuscules particules, telles que les fibres plastiques, peuvent être absorbées après filtration par de petits organismes tels que les huîtres ou les moules. Elles sont néanmoins excrétées rapidement.

Des plastiques plus gros, tels que des films, des paquets de cigarettes ou des emballages alimentaires peuvent être avalés par de grandes espèces de poissons. Ainsi, l'analyse de l'estomac d'un cachalot a révélé l'ingestion de déchets plastiques volumineux : 9 m de corde, 4,5 m de tuyau, deux pots de fleurs et de grandes quantités de bâches en plastique. Les observations de mammifères, tortues, oiseaux marins retrouvés morts remplis de plastiques attestent d'une accumulation de déchets plastiques qui n'ont pas pu être évacués.

Avant leur excrétion, lors du transit digestif, les microplastiques peuvent libérer des substances chimiques.

2. Le risque chimique

L'ingestion de microplastiques par les organismes vivants peut également engendrer des effets chimiques par libération durant le transit digestif de constituants chimiques.

a) Les plastiques sources de contaminants

Comme indiqué précédemment dans le rapport, la fabrication des plastiques associe aux polymères des additifs potentiellement toxiques et susceptibles de se diffuser lors de leur séjour dans l'environnement ou dans les organismes.

(1) La variabilité des effets toxicologiques sur les organismes vivants

Plusieurs auditions ont été consacrées à la compréhension des effets écotoxicologiques de l'exposition des organismes vivants aux microplastiques.

Selon les espèces, les microplastiques (et les contaminants chimiques qui les composent) ont des effets sur la physiologie, le métabolisme, le comportement et la reproduction.

(a) Les coraux en eau froide

Une étude en aquarium menée par l'observatoire océanologique de Banyuls a évalué l'impact des plastiques sur la physiologie des coraux. Il en ressort qu'après 86 jours d'exposition à des microplastiques, leur taux de croissance diminue de 30 % et le demeure jusqu'à 5 mois. Ce constat s'expliquerait par la dépense énergétique nécessaire à l'élimination des particules de plastique ingérées par les coraux.

(b) Les poissons

Plusieurs chercheurs auditionnés ont produit des travaux sur les effets des microplastiques sur les poissons.

Une étude de l'Ifremer 117 ( * ) s'est en particulier intéressée à la toxicité chronique des microplastiques. Trois types de microplastiques différents 118 ( * ) ont été ajoutés à l'alimentation de deux espèces de poisson 119 ( * ) . À partir de 4,5 mois, les chercheurs constatent un retard de la croissance chez les deux espèces de poisson quel que soit le type de microplastique utilisé. L'effet est accentué chez les femelles.

La reproduction est également perturbée. Chez les médakas 120 ( * ) , le nombre d'oeufs pondus diminue sensiblement. Chez les poissons-zèbres 121 ( * ) c'est le succès des pontes qui est affecté à la baisse.

Une autre étude a exposé pendant trois semaines des larves de médakas à des microplastiques collectés sur trois îles isolées 122 ( * ) et composés de polymères adsorbés par différentes substances chimiques 123 ( * ) . Après 30 jours d'exposition, les larves concernées par les microplastiques des îles de Pâques et de Guam ont vu leur croissance ralentir (diminution de la taille du corps et de la taille de la tête avec certains plastiques) et leur comportement natatoire augmenter. Par ailleurs, la mortalité a augmenté pour les larves exposées aux microplastiques d'Hawaï.

(c) Les huîtres

De nombreuses études sont menées sur les huîtres. À Tahiti, l'Ifremer s'est intéressé à l'impact de microplastiques sur l'huître perlière 124 ( * ) . Quatre valeurs de concentration en microbilles de 6 à 10 um ont été retenues 125 ( * ) . Après deux mois d'exposition en aquarium, il a été observé une diminution de l'efficacité d'assimilation, du gain d'énergie et de la gamétogénèse (diminution d'autant plus importante que la concentration en microplastiques était élevée). En parallèle aux observations de laboratoire, les chercheurs ont également suivi des huîtres dans leur milieu naturel (lagons avec présence de 75 à 140 particules de microplastiques par mètre cube d'eau). In situ il a été démontré une toxicité des phtalates contenus dans les structures perlières neuves.

D'autres recherches de l'Ifremer se sont intéressées aux impacts de l'exposition d'huîtres adultes à des microbilles de polystyrène durant deux mois. Les résultats montrent des effets négatifs sur la fonction de reproduction des huîtres . Le protocole d'exposition retenu se traduit par une diminution de 38 % du nombre d'ovocytes, une réduction de leur taille de 8 %, une baisse de 23 % de la mobilité des spermatozoïdes. Les effets constatés concernent également la descendance de la population initialement exposée.

D'autres effets sont démontrés par des travaux menés par l'Université catholique de l'Ouest à Angers. Des huîtres sont exposées durant 10 jours à différentes concentrations de particules de polyéthylène et de polypropylène. Bien que les particules soient éliminées très rapidement, les résultats démontrent que la présence des microplastiques dans l'organisme déclenche un stress oxydant avec augmentation des enzymes agissant sur les radicaux libres. La présence des microbilles de plastiques enclenche une réaction du système immunitaire qui considère les microplastiques comme des corps étrangers à éliminer de l'organisme. Le transit en quelques heures, par le tube digestif, de microplastiques peut donc avoir des effets qui vont au-delà d'une perturbation de l'alimentation et du métabolisme.

(2) Un besoin de prise en compte des expositions sur le temps long

Les recherches qui viennent d'être présentées démontrent que l'exposition des organismes vivants aux microplastiques a des conséquences variables selon les espèces, les polymères et les protocoles. Néanmoins, elles ne permettent pas de conclure avec certitude sur la nature des impacts dans le milieu naturel où l'exposition (de nature chronique 126 ( * ) ) est sensiblement différente de celle simulée au laboratoire (qui s'apparente davantage à une exposition aigüe 127 ( * ) ).

La durée d'exposition étant un facteur aggravant, des recherches sur les conséquences des expositions sur le temps long sont nécessaires. Elles restent rares à ce jour, en particulier en raison d'une prise de conscience récente du sujet.

(3) Un besoin de prise en compte des effets sur la chaîne trophique et à l'échelle des écosystèmes

Comme le souligne la synthèse des premières rencontres du groupement de recherche « Polymère et océans » : « la plupart des approches (plus de 90 % du total des publications sur les impacts environnementaux des plastiques) portent aujourd'hui sur l'étude des impacts toxiques au niveau de l'individu, du niveau infra-cellulaire à celui de l'organisme ; par contraste, les conséquences de l'exposition aux plastiques à l'échelle des populations, des communautés ou des écosystèmes restent très peu abordées par la recherche. »

(4) Une source de pollution diffuse certaine mais difficile à quantifier : les perturbateurs endocriniens

En diffusant différentes molécules chimiques dans leur environnement (plastifiants, charges, additifs), les plastiques agissent comme une source de pollution diffuse. Leurs toxicités se cumulent par « effet cocktail » sans que la science puisse, à l'heure actuelle, en déterminer avec certitude les impacts.

Les perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques illustrent parfaitement cette problématique 128 ( * ) . Ils correspondent à des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système hormonal et provoquer des dysfonctionnements des organes et de l'organisme.

De nombreux additifs utilisés pour la fabrication des plastiques sont reconnus comme perturbateurs endocriniens : il s'agit des phtalates (utilisés comme plastifiants), des retardateurs de flammes perfluorés ou polybromés, du bisphénol A.

Les perturbateurs endocriniens contenus dans les plastiques

Le bisphénol A et les autres bisphénols

Le bisphénol A (BPA) est utilisé depuis cinquante ans pour la fabrication des plastiques. Il peut entrer dans la composition de nombreux objets de la vie courante : emballages alimentaires, boîtes de conserve, revêtements en plastique, tickets de caisse, etc. La principale source d'exposition au BPA est l'alimentation par migration vers les aliments du BPA présent dans les emballages. Le BPA a fait l'objet de mesures d'interdictions successives en France (voir plus loin).

D'autres molécules, telles que le bisphénol S ou le bisphénol F, de structure très proche, utilisées en substitution au bisphénol A, soulèvent tout autant de questions (voir plus loin).

Les phtalates

Les phtalates sont notamment utilisés depuis cinquante ans pour leur propriété plastifiante permettant d'assouplir et de rendre flexible certains plastiques. Ils sont présents dans de nombreux produits de consommation courante : emballages de produits alimentaires, médicaments et cosmétiques, matériaux de construction, peintures, jouets pour enfants ou dispositifs médicaux 129 ( * ) . Le rapport de Santé publique France signale que « l'alimentation participerait à 90 % de l'exposition totale 130 ( * ) .

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) souligne que, dans la mesure où ils ont été largement utilisés, on retrouve les phtalates dans les trois types de contenants, alimentaires, cosmétiques mais aussi médicaux avec les tubulures, poches de sang et cathéters.

S'agissant des contenants alimentaires, Elipso indique que « bien qu'autorisés, les phtalates sont de moins en moins utilisés pour la fabrication de matériaux plastiques au contact alimentaire en Europe et quasiment plus en France ». La charte de l'association des producteurs de films étirables européens (EPFMA) proscrit en effet l'usage de phtalates, de même que certains grands donneurs d'ordre. « En 2011, une enquête menée par Elipso a montré que, sur l'ensemble des adhérents ayant répondu (tous les adhérents ne fabriquant pas d'emballages souples), seul un adhérent avait indiqué utiliser des phtalates. L'association européenne d'Elipso, Flexible Packaging Europe, a mené la même enquête au niveau européen et en a conclu que les phtalates n'étaient plus utilisés comme plastifiants au niveau européen. » 131 ( * )

Les composés perfluorés

Les composés perfluorés (PFOS, PFOA, etc.) sont des polluants organiques persistants utilisés depuis 1950 pour leurs propriétés chimiques (composés à la fois hydrophiles et hydrophobes). Ils peuvent être présents dans de nombreux produits de consommation courante et ont été largement utilisés dans les revêtements antiadhésifs de type Teflon (revêtement polymère fluoré) jusqu'en 2008. L'Agence nationale de la recherche (ANR) a rappelé que ces contaminants peuvent être présents dans des emballages alimentaires (cartons des fast-food , certains emballages plastiques).

Source : Rapport d'information n° 2483 sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique du 4 décembre 2019 de Mmes Claire Pitollat et Laurianne Rossi, députées.

La concentration de ces perturbateurs endocriniens dans les plastiques est variable et peut atteindre des valeurs très élevées. Ainsi, les phtalates peuvent représenter jusqu'à 70 % du poids des PVC et 20 % de la cellulose qui sert à fabriquer les gélules de médicament. De même, les retardateurs de flamme peuvent représenter 30 % du poids des mousses polyuréthane.

Les perturbateurs endocriniens sont présents dans la plupart des applications plastiques , qu'il s'agisse des matériaux à usage alimentaires, des cosmétiques, des véhicules, du mobilier, des textiles, des équipements électroniques, des dispositifs médicaux, des sols et papiers peints en PVC.

Les voies d'expositions sont donc multiples : ingestion, inhalation, contact cutané.

S'agissant des retardateurs de flammes bromés dans les véhicules, une voiture moderne peut contenir jusqu'à 200 kg de polymères ignifugés présents en particulier dans les textiles. L'analyse des textiles des véhicules en fin de vie montre qu'ils ne contiennent plus que 1 à 2 % de retardateurs de flammes bromés alors que cette proportion s'élève à 20-30 % dans les véhicules neufs. Ces molécules se photodégradent rapidement par exposition à la lumière solaire. Leur durée de demi-vie à l'intérieur d'une voiture est estimée entre 3 et 6 ans. Leur migration dans l'air de l'habitacle se produit rapidement, exposant les utilisateurs des véhicules.

Les retardateurs de flamme sont également présents dans un grand nombre de textiles, notamment les vestes polaires, qui constituent une nouvelle source d'exposition permanente pour l'Homme.

Dans le cadre du programme de biosurveillance de la cohorte Elfe, il a été montré que la population française était contaminée par les perturbateurs endocriniens dès la phase périnatale. Sur les 4 000 femmes enceintes suivies, toutes étaient imprégnées par des perfluorés, des PCB et des polybromés, 96,4 % par des phtalates et 70 % par le bisphénol A. Ces deux derniers perturbateurs endocriniens sont éliminés dans la journée, les chiffres signifient que ces femmes enceintes - et ce constat peut être étendu à l'ensemble de la population française - sont exposées de manière chronique à ces substances, par le biais des produits achetés comme par celui de l'environnement. Les représentants de Réseau environnement santé ont fait remarquer, lors de leur audition, que les phtalates étaient les premiers composants de la poussière domestique.

Compte tenu de l'impact des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine et sur l'environnement, leur ubiquité ne peut que susciter des craintes. En effet, il existe désormais un fort niveau de preuves sur leur rôle dans le développement de l'obésité, du diabète, de cancers hormono-dépendants, d'effets thyroïdiens, neurodéveloppementaux et neuroendocriniens. Ils altèrent également la fonction de reproduction autant chez l'homme que chez la femme. Des effets épigénétiques sont également évoqués avec une altération de la transcription des gènes, susceptible d'être transmise d'une génération à la suivante.

Certains perturbateurs endocriniens ont un effet dose-réponse non linéaire. Ils peuvent produire leurs effets à faibles doses et ne plus le faire à dose élevée (la dose ne crée par l'effet). Ce phénomène rend plus difficile l'établissement du lien à causalité entre une cause d'exposition et son effet.

Par ailleurs, les interactions entre substances (« effets cocktail ») posent de réelles difficultés pour identifier les risques liés à l'exposition concomitante à plusieurs substances chimiques. Selon les cas, l'effet combiné peut être additif (il correspond à la somme des deux effets isolés), antagoniste (l'effet combiné est inférieur à celui de l'une des deux substances) ou au contraire synergique (l'effet combiné est supérieur à la somme des deux effets isolés).

Plusieurs personnes auditionnées ont signalé l'inadaptation de la réglementation actuelle sur les migrations. En effet, le règlement UE n° 10/2011 concernant les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires fixe des limites de migration spécifiques. En dessous de ces seuils, la concentration est jugée suffisamment basse pour estimer que la substance n'est plus toxique. L'existence de courbes dose-réponse non linéaires montre au contraire que les effets peuvent se manifester à faible concentration. Par ailleurs, la réglementation actuelle ne prend pas en compte les effets cocktail.

b) Les plastiques vecteurs de contaminants
(1) Les plastiques vecteurs des polluants organiques persistants

Le milieu marin est le réceptacle ultime des contaminants chimiques utilisés dans le cadre des activités anthropiques. Le transfert de ces contaminants dans le milieu marin s'effectue via les ruissellements, les déversements, les apports fluviaux et les retombées atmosphériques (précipitations). Caractérisés par leur persistance et leur bioaccumulation dans les organismes, les polluants organiques persistants (POP) forment une famille chimique qui regroupe un grand nombre de molécules : pesticides organochlorés 132 ( * ) et produits ou sous-produits chimiques industriels 133 ( * ) .

Les polluants organiques persistants sont hydrophobes. Dans les océans, ils vont ainsi présenter une affinité avec les microplastiques dont la surface est également hydrophobe. Absorbés aux microplastiques, ils suivent leur dispersion dans les océans. Après ingestion des plastiques, ils sont libérés dans les organismes.

Certains scientifiques font remarquer que le nombre des microplastiques est très largement inférieur à celui d'autres vecteurs des POP comme les matières organiques particulaires.

Lors de son audition, Yann Aminot 134 ( * ) a ainsi expliqué que le bouchon vaseux de la Gironde comprenait à lui seul 4 à 5 mégatonnes de matières organiques particulaires susceptibles d'adsorber des POP.

Par ailleurs, compte tenu de la contamination généralisée de l'environnement et du biote par les polluants organiques persistants, les microplastiques ne joueraient finalement pas un rôle important dans la bioaccumulation des POP.

Il n'en demeure pas moins que les microplastiques contribuent à la dissémination des polluants organiques persistants.

Dans le cadre du rapport de synthèse sur l'étude MICROPLASTIC2 135 ( * ) , l'Ifremer a été amené à faire plusieurs campagnes de prélèvement dans les bassins versants et les rades de Brest et de Marseille. De nombreuses molécules de polluants adsorbés sur les microplastiques ont été retrouvées.

Dans le bassin versant de la rade de Brest, 24 polluants adsorbés aux microplastiques ont été détectés. 12 d'entre eux font partie de la liste des molécules prioritaires de la directive cadre sur l'eau : l'atrazine, six hydrocarbures polyaromatiques, le PCB 105, la cyperméthrine, le PPDDT, l'aldrine et la dieldrine.

Pour rappel, l'atrazine est un herbicide maïs interdit depuis les années 2000. Les autres pesticides retrouvés sont des organochlorés persistants interdits en France. L'aldrine et la dieldrine sont des insecticides organochlorés persistants également interdits en France.

Dans le bassin versant de la rade de Marseille, 57 polluants adsorbés aux microplastiques ont été détectés, dont 20 d'entre eux font partie de la liste des molécules prioritaires de la directive cadre sur l'eau : HAP, PCB, PBDE et de nombreux pesticides interdits en France.

(2) Les plastiques vecteurs d'espèces invasives et de pathogènes

Les plastiques flottants ou en suspension constituent, par leur surface et leur volume, un habitat potentiel pour les microorganismes, les bactéries, les virus, les algues microscopiques et les petits invertébrés aquatiques. Ces espèces vont rapidement coloniser les déchets plastiques en s'y fixant. C'est un véritable écosystème, baptisé « plastisphère », qui se développe à la surface des plastiques présents dans les océans.

Les plastiques vont jouer un rôle de radeau en transportant ces espèces sur de grandes échelles d'espace et de temps. Avec cette nouvelle arche de Noé, des espèces vont passer d'une aire géographique, où elles étaient présentes, à une autre, où elles étaient absentes.

À cet égard, plusieurs personnes auditionnées ont rappelé que le tsunami qui a frappé la côte Pacifique du Tôhoku, le 11 mars 2011, a généré plus d'1,5 million de tonnes de débris flottants, dont une grande partie en plastique, transportant près de 300 espèces des côtes japonaises vers les côtes ouest américaines.

Cette capacité de dispersion, démultipliée par le nombre de particules plastiques, soulève de nouveaux questionnements : les micro-organismes transportés peuvent-ils s'avérer invasifs, nuisibles ou pathogènes dans leur milieu d'arrivée ? Ces micro-organismes sont-ils des agents pathogènes pour les organismes qui ingèrent les plastiques sur lesquels ils sont fixés ? Ces sujets sont plus préoccupants que d'autres impacts, plus visibles, de la pollution plastique (emmêlements, enchevêtrement, étranglement).

Des bactéries du genre Vibrio 136 ( * ) auraient même été décelées. Les chercheurs cherchent donc à savoir si les déchets plastiques pourraient héberger des souches pathogènes et servir de vecteur aux maladies infectieuses, chez les espèces qui les ingèrent (oiseaux, poissons, etc.) et chez les humains. Des travaux récents de l'Ifremer qui n'ont pas encore été publiés montrent que des espèces à risques comme les dinoflagellés toxiques et d'autres pathogènes d'huitres se fixent sur les plastiques.

Point plus positif, cette colonisation des particules plastiques par la plastisphère est également une voie de recherche qui s'ouvre pour la découverte de micro-organismes qui dégradent les plastiques (et qui seraient présents à leur surface pour les dégrader et s'en nourrir).


* 113 UNEP : Marine Litter ; Vital Graphics.

* 114 Certains microplastiques peuvent par exemple être confondus avec des oeufs de poissons.

* 115 Directeur de recherche au CNRS à l'observatoire océanologique de Banyuls-sur-mer.

* 116 Le fulmar est une espèce d'oiseau marin appartenant à la famille des Procellariidae. Il est caractéristique des eaux froides de l'hémisphère Nord et hauturier en dehors de la saison de nidification.

* 117 Étude menée par Xavier Cousin, Ifremer.

* 118 Polyéthylène (11-13 um), PVC (125-250 um) et microplastiques récoltés sur une plage de Guadeloupe. Le PE et le PVC ont été utilisés vierges ou adsorbés avec différents polluants organiques. Le PE a été utilisé dès l'éclosion des larves, le PVC un mois après et les autres microplastiques deux mois plus tard.

* 119 Le poisson-zèbre et le médaka sont deux poissons à cycle de vie court.

* 120 Le médaka est une espèce de poissons de la famille des Adrianichthyidaese. Se reproduisant vite et facilement, il est utilisé comme animal modèle en biologie.

* 121 Le poisson-zèbre est une espèce de poissons de la famille des Cyprinidés. Il est couramment utilisé en laboratoire comme organisme modèle.

* 122 Île de Pâques, île de Guam et Hawaï.

* 123 Les microplastiques récoltés sur l'île de Pâques et l'île de Guam se caractérisent par la présence prédominante de polyéthylène et de DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), un pesticide désormais interdit. Les microplastiques sur Hawaï sont constitués de polypropylène, de HAP (hydrocarbure aromatique polycyclique) et de PCB (polychlorobisphényle), substance interdite depuis 1987.

* 124 Les lagons perlicoles sont en effet confrontés à une pollution par les microplastiques produits par la fragmentation des structures d'élevages abandonnées sur place.

* 125 Un témoin à zéro et trois concentrations à 0,25 ug par litre, 2,5 ug par litre et 25 ug par litre.

* 126 Exposition à de faibles concentrations sur une longue durée.

* 127 Exposition à de fortes concentrations sur une durée courte.

* 128 Un rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique, dont Claire Pitollat et Lauriane Rossi ont été rapporteurs, a été publié en décembre 2019 (n° 2483).

* 129 Berman T., Hochner-Celnikier D., Calafat A. M., Needham L. L. et al. Phthalate exposure among pregnant women in Jerusalem, Israel: results of a pilot study. Environ Int 2009, 35, pp. 353-357.

* 130 Ce chiffre est issu du rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, Reproduction et environnement, expertise collective. Paris, 2011.

* 131 Réponse au questionnaire adressé par la mission d'information.

* 132 Parmi lesquels on trouve le DDT, le lindane, le chlordane.

* 133 Parmi lesquels on trouve le polyclorobiphényl (PCB), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les composés perfluorés : sulfonates perfluoroalkylés (PFAS), acide perfluorooctanoïque (PFOA) et sulfonates perfluorooctane (PFOS).

* 134 Ifremer, Laboratoire de biogéochimie des contaminants organiques, unité biogéochimie et écotoxicologie.

* 135 Pollution aux microplastiques : détection, risques et rémédiation à l'interface terre-mer.

* 136 Les bactéries du genre Vibrio appartiennent à la famille des Vibrionaceae. Ce sont de petits bacilles, de formes fréquemment incurvées dites « en virgule », extrêmement mobiles. L'espèce la plus connue du genre Vibrio est Vibrio cholerae : agent responsable du choléra.

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