EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 30 mars 2021, la commission a examiné le rapport d'information de M. Guillaume Chevrollier sur la continuité écologique des cours d'eau.

M. Jean-François Longeot , président . - Notre ordre du jour illustre l'articulation qui doit exister entre travaux de contrôle et travaux législatifs, ainsi que nous y invite le président Gérard Larcher. Après une communication sur le thème de la continuité écologique, nous examinerons une proposition de loi sur l'hydroélectricité dont un article précise les dérogations applicables en la matière. La question a également été abordée lors de l'audition de la secrétaire d'État à la biodiversité par notre commission la semaine dernière.

Notre collègue Guillaume Chevrollier a mené début mars un cycle d'auditions sur la continuité écologique, auxquelles certains d'entre vous ont participé. Ce sujet s'inscrit pleinement dans les compétences de la commission en vertu de l'acte de partage de 2012, dans la mesure où sont en jeu la biodiversité et l'intégration des contraintes environnementales.

La continuité écologique dépend des?conditions permettant une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments, afin de parvenir à un bon état écologique des cours d'eau. Or, les ouvrages présents aux abords de nos rivières peuvent perturber ces circulations.

M. Guillaume Chevrollier . - J'ai souhaité organiser deux tables rondes sur la continuité écologique des cours d'eau, pour faire le point sur l'origine scientifique et juridique de cette notion, sur la manière dont elle est présentée par les services de l'État et mise en oeuvre par les acteurs ainsi que sur les difficultés qu'elle soulève dans certains territoires.

La continuité écologique, pour les milieux aquatiques, se définit par la circulation non entravée des espèces aquatiques et le bon déroulement du transport des sédiments, en vue d'assurer la préservation de la biodiversité et le bon état des masses d'eau. Considérée à l'aune de cette définition, nous ne pouvons qu'en partager l'objectif, mais son application est source de complexité.

Nombre d'entre vous ont été, comme moi dans la Mayenne, département traversé par de nombreux cours d'eau, sensibilisés par des propriétaires de moulins hydrauliques à l'approche problématique de l'administration s'agissant de la mise en oeuvre de la politique de préservation et de maintien de la continuité écologique. Serait, en effet, favorisée la destruction au lieu de l'aménagement des ouvrages, notamment par le moyen de subventions allant du simple au double.

Les acteurs que nous avons entendus reprochent aux services instructeurs une vision selon laquelle une rivière idéale serait libre de tout ouvrage et une forme d'idéologie naturaliste : la main de l'homme ayant modifié les rivières, il conviendrait de revenir sur l'histoire anthropique des cours d'eau pour que la nature reprenne ses droits. Les cours d'eau doivent certes être préservés, mais ils ne constituent pas des sanctuaires.

Face à la colère et aux frustrations exprimées, il m'a paru nécessaire de réunir les acteurs pour engager un dialogue sain et franc, mieux comprendre les points de friction et les irritants et envisager des convergences, au besoin en faisant usage de notre pouvoir législatif.

À cette fin, j'ai réuni la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, le Comité national de l'eau et l'Office français de la biodiversité (OFB), des représentants de fédérations de moulins, des acteurs de l'hydroélectricité comme EDF, mais également des scientifiques, pour bénéficier de l'expertise et du retour d'expérience le plus large possible. Il convient, en effet, d'avoir une vision panoramique du sujet, afin de proposer des solutions pour la mise en oeuvre d'une continuité écologique apaisée, selon les mots du Comité national de l'eau.

Je retire de ce cycle d'auditions plusieurs constats. D'abord, si le souci de permettre la circulation des espèces remonte au Moyen Âge, les règles actuelles sont fondées sur la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000. Elles ont trouvé une traduction législative avec la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite « LEMA », qui a créé la possibilité d'un classement des cours d'eau en deux catégories avec des obligations relatives à la circulation des espèces aquatiques et de transport des sédiments. Aux termes de la directive européenne, la continuité écologique n'est qu'un facteur du bon état écologique des cours d'eau, alors que le législateur en a fait une modalité centrale. Il s'agit donc d'une forme de surtransposition dans notre droit national du cadre juridique communautaire. Je regrette également que l'établissement des listes des cours d'eau classés par les préfets coordonnateurs de bassin n'ait pas fait plus de place à la concertation et que ces listes ne soient pas révisées à l'aune de l'évolution des connaissances.

Mon second constat est que les hypothèses sur lesquelles reposent le maintien et la restauration de la continuité écologique sont insuffisamment étayées par la recherche scientifique. Les géographes et hydrobiologistes Christian Lévêque et Jean-Paul Bravard nous ont fait part de l'absence d'études de terrain et nous ont alertés sur l'extrapolation d'analogies liées aux impacts dus aux grands barrages sur des ouvrages de taille bien plus modeste. Selon eux, le discours public s'est figé et n'a pas évolué à la lumière des études ultérieures. Je plaide donc pour le lancement d'études européennes sur ce sujet, avec un volet national, pour étudier en détail et mieux comprendre les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité. Ce constat est partagé par le Comité national de l'eau.

Mon troisième constat est que le parti pris de l'administration pour effacer les seuils et les taux de subvention favorisant la destruction plutôt que l'aménagement - passes à poissons et solutions de franchissement - génèrent frustration et rancoeur chez les propriétaires de moulins. Il me paraît essentiel de mettre fin à cette « prime à la destruction » et de mieux accompagner les propriétaires pour l'équipement de leurs ouvrages. Je m'en suis entretenu avec Laurence Muller-Bronn : elle vous proposera une évolution pour mettre un terme à cette dérive dans le cadre de la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique.

Cette approche maximaliste de la continuité écologique peut s'illustrer par une décision de février dernier du Conseil d'État qui a annulé un décret d'août 2019, dont l'article 1 er interdisait « de manière générale, la réalisation sur les cours d'eau [...] de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d'eau », pour méconnaissance des dispositions législatives applicables. Le fait que les juges du Palais-Royal le reconnaissent démontre que les acteurs de terrain ne se trompent pas !

Ces ouvrages étant souvent coûteux - 680 000 euros en moyenne - il paraît nécessaire de favoriser l'échange de bonnes pratiques et d'appliquer un régime fiscal plus favorable et des subventions plus incitatives de la part des agences de l'eau. Les préconisations de l'OFB en matière de continuité écologique doivent mieux articuler les enjeux écologiques aux capacités des exploitants, avec des subventions plus volontaristes, et se fonder sur une expertise préalable pour déterminer les sites aux plus forts enjeux. Je salue, à cet égard, la mobilisation de 720 millions d'euros sur six ans pour la restauration de la continuité écologique dans le cadre du budget d'intervention des agences de l'eau et les 10 millions d'euros du plan de relance dédiés aux agences de l'eau pour cette politique.

Il me paraît également central d'assurer la sécurité juridique des exploitants en fixant un délai, une fois l'aménagement réalisé, pendant lequel de nouveaux travaux ne peuvent leur être demandés, par exemple pour une durée de dix ans.

Je note avec satisfaction des améliorations du côté du ministère. Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité, semble conscient du malaise qui s'exprime parfois sur le terrain et de la nécessité d'un dialogue constructif avec les acteurs. La création, en 2017, du groupe de travail du Comité national de l'eau sur la continuité écologique et la mise en oeuvre, en 2019, du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau vont également dans le bon sens. L'approche au cas par cas, l'accompagnement des propriétaires de moulins, la conciliation des usages me paraissent constituer la condition sine qua non de la reprise d'un dialogue de qualité. Il n'est plus envisageable d'exclure des instances de concertation les propriétaires de petits ouvrages hydroélectriques. La gouvernance de l'eau doit reposer sur une logique consensuelle : les représentants de moulins et les propriétaires d'étangs aspirent à être représentés dans les instances, notamment au sein des agences de l'eau. Cette revendication me semble raisonnable et de nature à apaiser les relations, afin d'atteindre l'objectif partagé d'une eau de qualité et en quantité tout en conciliant les usages : permettre le développement de la petite hydroélectricité, préserver les moulins qui présentent pour beaucoup une valeur historique, patrimoniale et paysagère et conserver l'aménité environnementale des bords de rivière.

Enfin, mon dernier constat est de bon sens. Il me paraît nécessaire d'aborder la continuité écologique en considérant aussi les services rendus à la société par les ouvrages susceptibles de l'affecter. Indispensables à la lutte contre le changement climatique et à l'atténuation de ses effets, les retenues permettent de maintenir en eau certains de nos cours d'eau. Quoi de plus triste qu'une rivière à sec l'été ? Ce phénomène s'aggravera avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues.

Le coût des mesures doit, en outre, être rapporté à l'efficacité attendue. Entre deux solutions ayant la même efficacité, il est légitime de privilégier la moins onéreuse pour la collectivité et celle qui maximise le gain écologique pour la biodiversité. Par ailleurs, il me semble utile d'établir une liste d'ouvrages prioritaires, afin d'éviter la dispersion des efforts et des gains. À cet égard, je considère l'objectif fixé par la stratégie Biodiversité 2030 de rétablissement de la continuité écologique sur 25 000 kilomètres de cours d'eau à l'échéance 2030 comme louable, mais sans doute trop ambitieux, surtout si la destruction des ouvrages est préconisée pour l'atteindre.

Il faut associer plus largement la communauté scientifique aux solutions de continuité écologique. Grâce aux connaissances scientifiques nouvelles, il sera plus aisé de déterminer finement les facteurs les plus critiques pour l'état des populations aquatiques bassin par bassin : qualité de l'eau, pollutions agricoles, industrielles et domestiques, drainage des zones humides et suppression des annexes latérales, artificialisation et érosion des sols.

Les efforts en faveur de la continuité écologique ne peuvent concerner les seuls ouvrages. Il y a un siècle, il y avait sur nos cours d'eau davantage d'ouvrages, mais aussi plus de poissons. La restauration de leur bon état écologique passe également, et surtout, par la réduction des pollutions. Certaines stations d'épuration, déficientes dans le traitement des eaux usées, les rejettent dans les cours d'eau. Il me paraît indispensable de les recenser. L'heure est à un plan d'action global pour la reconquête de la qualité de l'eau ! Sans une vision d'ensemble, qu'il importe de partager avec pédagogie, discernement et bienveillance, agir sur les seuls obstacles ne conduira pas à l'amélioration espérée de la biodiversité et au bon état écologique de nos cours d'eau.

Je vous propose l'adoption des dix recommandations suivantes : le lancement d'un programme pluriannuel de recherche européen, avec une déclinaison nationale, pour étudier les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité de la faune et de la flore aquatique ; la mise à jour périodique des listes de cours d'eau à l'occasion de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages ; l'association des représentants des moulins à eau et des propriétaires d'étangs aux instances de l'eau notamment au sein des agences de l'eau et du Comité national de l'eau ; l'homogénéisation des taux de subvention à l'équipement d'ouvrages pour le maintien ou la restauration de la continuité écologique et la suppression de la prime à la destruction qui pénalise les aménagements ; la création d'une base de données recensant chaque année le nombre d'ouvrages aménagés pour le respect de la continuité écologique ; l'exonération de la totalité de l'imposition sur la construction de passes à poissons ; les échanges de bonnes pratiques et l'aménagement de solutions moins onéreuses produisant le même résultat ; le traitement prioritaire des sites aux plus forts enjeux ; la mise en oeuvre d'une approche plus réaliste des conséquences économiques supportées par les propriétaires d'ouvrages hydrauliques et un meilleur accompagnement des propriétaires de moulins - un seuil régulièrement aménagé ne devrait plus être considéré comme un obstacle et ne plus faire l'objet de nouvelles prescriptions pendant un délai qui pourrait être fixé à dix ans ; enfin, le lancement d'une expérimentation pour évaluer l'efficacité de la pratique des arrêts de turbinage ciblés des ouvrages hydrauliques par rapport à la construction de passes à poissons.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Je vous remercie d'avoir organisé ces auditions d'un grand intérêt. Je suis élu d'un département traversé par de nombreux cours d'eau où sont installés des ouvrages, parfois depuis le treizième siècle, au bénéfice de la population, des cultures et, plus récemment, de la production d'hydroélectricité. Quel est l'avenir de vos recommandations ? Où pourraient-elles s'inscrire ? Les départements ruraux expriment une attente forte de mesures de soutien aux barrages et à la production hydroélectrique.

M. Ronan Dantec . - Je salue le travail mené sur un sujet complexe. Avez-vous eu connaissance de retours d'expérience concernant des cours d'eau sur lesquels des ouvrages ont été détruits ? Y a-t-on observé une sécheresse plus importante ? Sur quel état de l'art avez-vous fondé vos préconisations ? Il apparaît difficile de trouver un équilibre, mais l'enjeu de reconquête de la biodiversité me semble central. L'agriculture, à cet égard, conduit également à des conséquences négatives sur les cours d'eau.

M. Guillaume Chevrollier . - Le sujet apparaît effectivement aussi complexe que controversé. Aussi, ma première recommandation porte sur le lancement d'un programme de recherche à l'échelle européenne, afin de disposer d'études scientifiques. La loi « LEMA » est récente. Dans mon département, des seuils ont été détruits et, depuis, les rivières sont plus fréquemment à sec. Pour autant, le recul scientifique demeure insuffisant.

Le sujet de la continuité écologique mériterait, à mon sens, de faire l'objet d'une mission d'information et d'un travail en lien avec l'OFB. Elle devrait constituer un objectif consensuel ; hélas, les messages de l'administration et des acteurs de terrain apparaissent contradictoires. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pourrait accueillir plusieurs des recommandations présentées.

M. Jean-François Longeot , président . - Il semblerait intéressant de créer un comité de suivi sur le sujet. Sur les territoires, il faut éviter les tensions grâce à un constat partagé sur le sujet de la continuité écologique. Dans mon département, les services compétents proposent de détruire certains barrages, mais quelle sera l'incidence sur les habitations qui bordent les rivières ? Il y a encore un long travail à mener pour trouver des solutions satisfaisantes.

M. Jean-Paul Prince . - Depuis plusieurs années, je lutte pour éviter le démantèlement d'un barrage que j'ai fait construire et que l'administration a financé. Les demandes de diagnostic s'empilent, sans que rien ne soit réalisé. Les décisions de la direction départementale du territoire (DDT) semblent indiscutables... J'ai rencontré hier le nouveau directeur qui m'a dit craindre un réchauffement de l'eau mettant en danger les poissons si le barrage était conservé. Mais s'il n'y a plus d'eau, il n'y aura plus de poissons ! Les moulins risquent d'être détruits par la sécheresse des cours d'eau, tout autant que les maisons sur pilotis construites le long des berges. Souvenez-vous de l'effondrement du pont de Tours lors de la sécheresse de l'été 1976 ! Une fois le barrage démoli, il sera trop tard. Il faut un diagnostic préalable.

Autrefois, nous avions des barrages et des poissons. Le changement vient de la pollution de l'eau. Telle doit être la priorité pour faire revenir les poissons dans nos cours d'eau ! Dans la Mayenne, il n'y a plus d'eau en été : quelle est alors la continuité écologique ? Le directeur de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique dit qu'il faut discuter, mais les DDT refusent...

M. Jean-François Longeot , président . - Quand les stations d'épuration fonctionnent bien, elles permettent de lutter efficacement contre la pollution des cours d'eau.

Mme Angèle Préville . - La continuité écologique concerne certes les seuils, mais surtout la pollution de l'eau. Il faut mener des analyses régulières de la qualité des eaux et lancer un programme de recherche pluriannuel. Le phénomène est complexe : qu'il y ait ou non barrage, on observe un réchauffement des eaux - 30 degrés Celsius chaque été pour la Garonne ! - qui a un impact négatif sur les poissons. Il convient donc d'envisager le problème dans son ensemble. Autrefois, la gestion des moulins donnait satisfaction. Il faut en tirer les conséquences. Les nouvelles technologies, notamment en matière de turbines, devraient permettre de développer la production hydroélectrique.

M. Guillaume Chevrollier . - Mes recommandations abordent les sujets que vous avez évoqués ; elles ne se limitent pas à la question des seuils. Le sujet étant complexe, je souhaite que nous puissions poursuivre nos travaux après ce rapport d'étape par une mission d'information ou alors par le dépôt d'une proposition de loi, pour améliorer la politique conduite en ce domaine.

Mme Angèle Préville . - J'ai, comme nombre d'entre vous, siégé plusieurs années dans un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai été effarée par le niveau de pollution de certaines petites rivières, y compris par des métaux lourds.

M. Jean-François Longeot , président . - Nous vous remercions pour ce travail d'une grande qualité. Mes chers collègues, je vous propose d'autoriser la publication d'un court rapport d'information synthétisant nos échanges et présentant les recommandations de la commission en matière de continuité écologique.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable autorise la publication du rapport.

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