III. AVEC UN ACCOMPAGNEMENT RENFORCÉ ET DE NOUVEAUX OUTILS, AMPLIFIER LES DYNAMIQUES TERRITORIALES

Pour atteindre les objectifs ambitieux que se fixent les territoires, l'accompagnement des projets et des acteurs sera clef. Le cadre légal et réglementaire n'est qu'une partie de la réponse : pour un changement réel, il s'agit surtout de susciter les projets, de faciliter l'émergence de solutions nouvelles et innovantes, et de mieux diriger les énergies vers des zones ou des projets à fort impact. La transition vers la sobriété foncière ne doit pas s'arrêter aux documents d'urbanisme, mais être déployée jusqu'au « dernier kilomètre ». Les collectivités sont aujourd'hui en première ligne de cet effort concret.

La lutte contre l'artificialisation et la consommation d'espace, pour s'inscrire dans le temps, doit s'appuyer sur les outils, l'accompagnement et le financement adéquats.

L'atteinte des objectifs passera d'abord par une rénovation des outils réglementaires des collectivités territoriales .

Le concept même d'artificialisation doit être précisé et rendu plus opérationnel , afin de faciliter son intégration par les documents d'urbanisme comme les SCoT et les PLU(i). La logique de bilan et d'auto-évaluation des documents d'urbanisme , déjà mise en place par les textes législatifs précédents, pourrait être approfondie. Le zonage traditionnel pourra être affiné afin de cibler plus finement des quartiers à réaménager, des zones à renaturer, ou des potentiels de densification. En matière de friches , les collectivités doivent être capables de mobiliser les terrains abandonnés ou vacants dans leurs opérations globales de réhabilitation et d'aménagement. Pour davantage de souplesse, les maires pourraient être autorisés à délivrer, au cas par cas, des « bonus » de constructibilité pour des opérations de construction vertueuses. Enfin, l'outil fiscal pourrait être mieux mobilisé, et adopter un caractère incitatif qu'il n'a pas aujourd'hui.

Au-delà des outils, il s'agira d'accompagner et de sensibiliser l'ensemble de l'écosystème pour amplifier l'effort de sobriété foncière.

D'abord, les partenariats existants, tant en matière d'ingénierie que du point de vue opérationnel ou financier, doivent être approfondis . L'action des EPF et EPFL bénéficiera de la stabilisation de leur financement et d'une meilleure couverture du territoire national. Plus généralement, la lutte contre l'artificialisation s'appuiera sur un modèle économique qu'il faut inventer. Au niveau local, l'impact de l'effort de sobriété foncière sur les ressources fiscales des collectivités , devra être précisément évalué, afin de garantir qu'il n'emporte pas de risque sur la solidarité ou la cohésion territoriale. Enfin, les collectivités et l'État doivent participer de l'effort de sensibilisation et d'évolution des habitudes collectives .

A. INVENTER LES OUTILS CONCRETS DE DEMAIN EN MATIÈRE DE RÉGLEMENTATION LOCALE

1. Faire de l'artificialisation un concept opérationnel en droit de l'urbanisme

La définition de l'artificialisation n'est aujourd'hui pas fixée au niveau législatif ni réglementaire. Elle fait l'objet de traductions divergentes, souvent fondées sur des instruments de mesure distincts ( voir partie 1-I-A-b de ce rapport ). Avant toute intégration de la notion d'artificialisation dans le droit de l'urbanisme et les documents locaux, il est nécessaire d'en établir une définition claire et partagée .

Tant les élus locaux que les acteurs de l'aménagement ou les habitants doivent pouvoir identifier et quantifier sans difficulté les surfaces considérées comme « artificialisées » au sein de leur territoire. Cela implique soit de définir une nomenclature partagée des différents types de sols artificialisés, comme c'est le cas aujourd'hui pour les études Teruti-Lucas ou CLC par exemple ; soit de définir législativement et réglementairement des critères assez objectifs, simples et transparents pour qu'ils puissent être immédiatement appliqués. La multi-dimensionnalité du phénomène d'artificialisation et ses impacts différenciés sur les sols complique cependant travail de définition.

Le projet de loi « Climat et résilience » présenté par le Gouvernement propose la définition suivante à l'article 48 : « Un sol est regardé comme artificialisé si l'occupation ou l'usage qui en est fait affectent durablement tout ou partie de ses fonctions » . Il renvoie en outre au pouvoir réglementaire l'élaboration d'une nomenclature, ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation sera mesurée.

Les rapporteurs estiment que cette définition n'est pas opérationnelle . Si elle mentionne l'occupation et l'usage, notions déjà utilisées en droit de l'urbanisme, elle renvoie également à l'atteinte aux fonctions des sols . Le « degré » d'artificialisation des sols peut effectivement varier en fonction des atteintes aux propriétés hydriques ou biologiques par exemple, mais une telle caractérisation relève davantage d'un examen par un écologue, que d'une classification opérationnelle. Les élus locaux ne sont pas outillés pour pouvoir juger du degré d'atteinte aux sols effectivement causé par un acte d'aménagement. La définition proposée introduit donc une fragilité juridique et complique la prise en compte opérationnelle de l'artificialisation par les acteurs et les documents locaux.

Par ailleurs, les rapporteurs estiment que tout acte artificialisant ne peut être regardé de la même manière. Particulièrement, l'objectif de sobriété foncière implique une certaine densification des zones déjà habitées et urbanisées, et le comblement de certaines « dents creuses ». Or, du point de vue de l'artificialisation telle que définie, les actes de densification - c'est-à-dire d'optimisation de l'occupation de l'enveloppe urbaine - seraient pénalisés car pris en compte dans le calcul de l'artificialisation totale . La définition opérationnelle de l'artificialisation dans le code de l'urbanisme devra concilier ces injonctions contradictoires.

Le travail de définition de l'artificialisation doit donc se poursuivre , afin d'établir une notion partagée et opérationnelle.

2. Renforcer la logique de bilan des documents de planification

Afin d'adapter au mieux les objectifs et les politiques locaux de sobriété foncière, la logique de bilan et d'évaluation des documents d'urbanisme, qui prévaut déjà, pourrait être renforcée.

Une « analyse des résultats de l'application » de chaque plan local d'urbanisme doit être conduite tous les neuf ans par le conseil municipal ou communautaire, au regard notamment des objectifs du code de l'urbanisme. Le conseil délibère ensuite sur l'opportunité de le réviser (article L. 153-27 du code de l'urbanisme). Un bilan renforcé est prévu pour les PLU valant PLH, puisque la périodicité est alors portée à six ans, et que l'analyse porte plus précisément sur les objectifs en matière de logement.

Les SCoT sont également soumis à des obligations similaires . Six ans après leur dernière modification, leurs résultats doivent être analysés, et plus particulièrement en matière de maîtrise de la consommation de l'espace. Une révision peut alors être décidée (article L. 143-28).

Au regard des enjeux de lutte contre la consommation d'espace, la périodicité de ces évaluations pourrait être portée à six ans dans les deux cas, tant pour l'ensemble des PLU(i) que pour les SCoT.

En outre, la même logique de bilan pourrait également être appliquée aux communes disposant d'une carte communale, sous une forme simplifiée cohérente avec le formalisme réduit des cartes, et sans impliquer de révision automatique.

3. Affiner l'échelle et les outils des SCoT et PLU

La planification au sein des SCoT et des PLU pourrait également être déclinée de manière plus précise et plus fine. Le zonage du règlement permet aujourd'hui de distinguer entre zones urbanisées et à urbaniser, zones agricoles, zones naturelles et forestières. Toutefois, les enjeux de densification, de réhabilitation ou encore d'intégration de nature en ville impliquent d'employer des outils plus ciblés sur des périmètres précis.

Les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) , créées par la loi Grenelle II, permettent de définir de manière plus souple les grandes orientations de l'aménagement de certaines zones de la commune ou de l'intercommunalité. Elles peuvent notamment (article L. 151-7 du code de l'urbanisme), dans le cas des OAP dites « sectorielles », viser la réhabilitation de certains quartiers ou l'aménagement des entrées de ville. Elles peuvent aussi porter sur une thématique déclinée sur l'ensemble de la commune, par exemple en matière de continuités écologiques.

L'outil des OAP pourrait encore être développé afin de définir des politiques spécifiques. Par exemple, elles pourraient permettre aux communes d'identifier des terrains ou zones à renaturaliser ou désartificialiser, tandis que le SCoT pourrait aussi fixer de grandes orientations en la matière. Elles gagneraient également à être mieux mobilisées en matière de densification . La jurisprudence a admis que les OAP puissent fixer des orientations relatives, par exemple, à des densités minimales : cela pourrait être consolidé dans la loi. Ainsi, des OAP portant sur des quartiers où l'espace peut être optimisé, sur des zones à « dents creuses » ou sur des zones à aménager seraient explicitement permises.

4. Faciliter la mobilisation des terrains et bâtiments disponibles

L'effort de sobriété foncière passera, dans la mesure du possible, par la réutilisation prioritaire des zones vacantes et enfrichées .

Cependant , les friches ne sont aujourd'hui pas définies par le code de l'urbanisme , et les procédures existantes en matière de biens sans maître et de biens en état d'abandon manifeste sont parfois complexes à mobiliser pour les communes et intercommunalités.

Dans son rapport, la commission d'enquête sénatoriale relative à la pollution des sols proposait de définir la friche comme un « bien ou droit immobilier, bâti ou non-bâti, quel que soit son affectation ou son usage, dont l'état, la configuration ou l'occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans une intervention préalable ». Les rapporteurs souscrivent à cette définition, qui reflète bien les difficultés que les friches engendrent pour les collectivités.

Les efforts de recensement et d'identification des friches et du foncier disponible doivent être poursuivis . La situation apparaît aujourd'hui inégale sur le territoire français.

Dans des conditions encadrées, des outils permettant de contraindre les propriétaires de friches à remettre celles-ci en état , ou à défaut, de les exproprier au profit de la puissance publique pourraient être mis en oeuvre.

PÉRIMÈTRE COUVERT PAR LES INVENTAIRES DE FRICHES EN FRANCE EN 2018

Source : Centrale Lille Projets, Lifti, « Inventaire des inventaires de friches »

Les « dents creuses » et zones d'urbanisation diffuse, hors zones urbanisées, sont également un important gisement de foncier disponible et déjà en partie artificialisé. La loi ELAN a permis aux SCoT et aux PLU(i) d'identifier des « secteurs déjà urbanisés » au sein des communes soumises à la loi Littoral, dans lesquels les « dents creuses » pourront être densifiées par la construction de logements, y compris en discontinuité de l'urbanisation existante.

Dans la même logique, un droit de préemption pourrait être instauré par les communes dans les secteurs à urbanisation diffuse des zones agricoles, dans l'objectif d'y mener des opérations visant notamment à réhabiliter ou densifier les bâtiments existants. En effet, le droit de préemption urbain (DPU) des communes ne peut aujourd'hui être instauré qu'en zone urbaine ou d'urbanisation future.

5. Favoriser les opérations vertueuses

Le droit de l'urbanisme pourrait offrir davantage de souplesse pour favoriser les opérations vertueuses au regard de l'artificialisation des sols.

Ainsi, les dérogations au PLU pouvant être octroyées par le maire - en matière de gabarit et d'espacement notamment - pourraient être élargies à de nouveaux types d'opération, comme celles visant à la densification.

Les rapporteurs estiment toutefois que ces dérogations doivent rester limitées et octroyées au cas par cas par l'autorité compétente , sous peine d'affaiblir la portée du document d'urbanisme local, de risquer des incohérences avec le projet de territoire, et d'entraîner une densification mal maîtrisée.

Le levier fiscal pourrait également être mieux mobilisé. Une exonération ou un taux réduit de taxe d'aménagement pourraient être instaurés sur les opérations de réhabilitation de friches ou de renaturation de terrains artificialisés. En limitant le coût additionnel lié à la dépollution et à la réhabilitation, une telle mesure équilibrerait le modèle économique du recyclage urbain. De même, des taux réduits de droits de mutation pourraient être appliqués aux acquisitions de friches en vue de les réhabiliter. L'impact de telles incitations sur les ressources fiscales des collectivités serait nécessairement compensé.

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