EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 mai 2021 à 10h45, la commission a examiné le rapport d'information du groupe de travail de sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires, présenté par M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Christian Redon-Sarrazy.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous propose d'entendre à présent nos collègues Jean-Baptiste Blanc, Anne-Catherine Loisier et Christian Redon-Sarrazy pour la présentation de leur rapport à trois voix sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » à l'épreuve des territoires. C'est bien sûr un sujet que nous aurons l'occasion de discuter lors de l'examen du projet de loi Climat et Résilience.

M. Jean-Baptiste Blanc . - Nous avons travaillé tous les trois sur l'objectif de zéro artificialisation nette à l'épreuve des territoires, et vous constaterez que nous proposons de développer le titre de ce rapport en reprenant trois propositions : territorialiser, articuler et accompagner. Au cours des auditions, nous avons rencontré des acteurs d'un bout à l'autre de la chaîne. Ce rapport vous est proposé comme une feuille de route, un outil préalable au travail législatif que nous allons mener sur le projet de loi Climat et Résilience.

M. Christian Redon-Sarrazy . - La mission qui nous était confiée était de mettre l'objectif de « zéro artificialisation nette », porté par le Gouvernement, à l'épreuve de nos territoires. Nous avons mené pendant près de deux mois une trentaine d'auditions. Sur ce sujet si vaste, nous avons reçu les associations d'élus, les représentants du Gouvernement et de la Convention citoyenne bien sûr ; mais aussi des urbanistes, des aménageurs publics et privés, les principaux syndicats agricoles, l'Office de la biodiversité, les représentants de la grande distribution et les logisticiens, les architectes, des professeurs de droit, des organismes de logement social, des bureaux d'études... Nous avons souhaité entendre toutes ces voix, car elles permettent de prendre la mesure de l'ampleur des enjeux soulevés. Elles reflètent aussi le dynamisme et la diversité des écosystèmes locaux. Ce sont tous ces acteurs qui font vivre les projets de territoire au quotidien, avec comme fers de lance, les collectivités locales qui sont chargées de la planification en matière d'urbanisme et d'aménagement et de sa mise en oeuvre concrète. Un dernier mot sur la méthode : notre commission examinera dans quelques semaines le projet de loi Climat et Résilience, qui comporte désormais près d'une trentaine d'articles relatifs à la lutte contre l'artificialisation. Notre rapport d'information n'a pas pour objet de se substituer au travail législatif que la commission mènera sur le texte. Il ambitionne de préparer ce travail en tirant les constats, en nuançant parfois les chiffres mis en avant par le Gouvernement, et à offrir une grille d'analyse. Il entend surtout proposer un « fil conducteur », c'est-à-dire des orientations sur lesquelles nous pourrions tous nous accorder pour entamer l'examen du projet de loi et y imprimer la marque de notre assemblée sénatoriale.

Venons-en tout d'abord aux constats. Sans vouloir citer trop de chiffres, voici les principaux : la France artificialise en moyenne 28 000 hectares par an. Selon les données, entre 5 % et 9,5 % du territoire français seraient aujourd'hui considérés comme artificialisés. Comment expliquer cette dynamique d'artificialisation ? Un temps tirée par la croissance des villes et de l'activité économique, la consommation d'espace agricoles, naturels et forestiers est aujourd'hui très majoritairement liée à la construction de logements dans les zones périurbaines. L'artificialisation est en effet le reflet des évolutions de la société : le développement des périphéries des métropoles, des zones littorales, la forte demande de logement individuel, la relative déprise agricole, mais aussi la cherté des prix du foncier qui éloigne de plus en plus les ménages.

Le rythme d'artificialisation soulève des inquiétudes légitimes. Du point de vue environnemental, elle affaiblit les continuités écologiques et détruit des réserves de biodiversité. Elle augmente le ruissellement de l'eau et appauvrit les sols du point de vue organique. Le revêtement des sols entraîne la création « d'îlots de chaleur ». D'un point de vue économique, elle pourrait interroger, à terme, la capacité de la France à assurer sa souveraineté alimentaire, alors que la surface agricole utile ne cesse de décroître. L'artificialisation peut aussi générer des « inefficacités », car l'espace n'est pas optimisé et les distances s'allongent. Or, ce sont souvent les collectivités qui portent, ensuite, l'extension des réseaux, des transports ou de certains équipements. Nous partageons bien entendu ces inquiétudes. Les modèles de développement urbain hérités des années 1970 ne sont pas durables : on ne peut pas uniquement compter sur les lotissements en zone agricole pour faire la ville. Il faut réduire non seulement le rythme de consommation d'espaces, mais aussi les actes d'artificialisation au sein même des espaces. Les Français demandent aujourd'hui davantage de responsabilité lorsque l'on fait la ville à la compagne, et ils souhaitent intégrer davantage de nature en ville.

La Convention citoyenne s'est fait l'écho de ces préoccupations légitimes. Elle a formulé treize propositions en matière de lutte contre l'artificialisation des sols, allant d'un objectif chiffré de réduction de l'artificialisation nouvelle, au gel de l'implantation de nouvelles zones commerciales et artisanales, en passant par une obligation d'étudier la réversibilité des bâtiments avant leur démolition. Certaines de ces mesures sont traduites dans le projet de loi Climat et Résilience. Sans rentrer dans les détails, nous souhaitons toutefois souligner qu'il existe d'importantes divergences entre les propositions de la Convention et celles du Gouvernement, à la fois sur la méthode, les outils et les cibles. Deux exemples : si la Convention propose de réduire de 25 % l'artificialisation par rapport aux vingt ans passés, le Gouvernement propose 50 % par rapport aux dix ans passés. De plus, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050, qu'il défend depuis 2018 ; alors que cet objectif n'est pas explicitement porté par la Convention citoyenne.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Nous avons conçu ce rapport comme un outil d'aide à la réflexion qui permette à nos collègues de s'appuyer sur une analyse récente et factuelle de ce qui a été fait, ou pas, jusqu'à aujourd'hui pour lutter contre l'artificialisation. Notre rapport souligne que les propositions de la Convention citoyenne ne s'écrivent pas sur une page blanche, loin de là. L'effort de sobriété foncière est déjà enclenché depuis de nombreuses années dans nos territoires. Certains de nos collègues se souviendront sans doute des débats parlementaires passionnés lors des lois Grenelle II ou ALUR, textes qui avaient considérablement renforcé les volets environnementaux des documents d'urbanisme. Nous avons vécu, dans chacun de nos territoires, l'élaboration des premiers PLU, des premiers SCoT, et la longue liste d'exigences de diagnostics, d'études préalables à conduire pour chacun d'entre eux ; la fixation d'objectifs chiffrés ; les bilans périodiques... De fait, le cadre législatif a été considérablement renforcé au cours des vingt dernières années, et il est impossible aujourd'hui, pour une commune ou un EPCI, d'ignorer l'impératif de réduction de la consommation d'espaces agricoles, naturels et forestiers. Plus récemment, vous avez peut-être déjà ressenti au niveau local l'impact de la circulaire de 2019, qui a demandé aux préfets la plus grande fermeté sur le contrôle de l'urbanisation nouvelle. Ainsi, près de 60 % des SCoT se sont déjà fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50 % au moins. Dans les PLU, les ouvertures à l'urbanisation sont strictement encadrées : des études de densification doivent être conduites et les ouvertures dûment justifiées. Le rapport présente de nombreux exemples de communes et EPCI qui ont déjà « rétrozoné » en zones naturelles ou agricoles des centaines d'hectares auparavant classés « à urbaniser ».

Au niveau des projets individuels, les exigences d'évaluation environnementale et de compensation ont été significativement renforcées. Les règles de constructibilité liées au zonage sont aujourd'hui assez restrictives, ce que déplorent d'ailleurs nombre de nos élus ruraux. Les initiatives concrètes se multiplient en faveur de la densification, de la revitalisation des bourgs, de la rénovation de logements, de la maîtrise des surfaces commerciales, du recyclage de friches ou encore de la végétalisation des villes. Bien sûr, tous ces efforts ne produiront leur plein effet que dans le temps long de l'urbanisme : les documents ont mis du temps à se transformer, et les projets émergent. Mais une évolution favorable du rythme d'artificialisation se dessine depuis 2009. La consommation des terres agricoles a ralenti de 58 % depuis 1990. Nos territoires sont donc déjà fortement responsabilisés à la sobriété foncière, et construisent les villes de demain, pas celles d'hier. Il n'en reste pas moins que ces efforts doivent se poursuivre.

Notre travail révèle toutefois que la lutte contre l'artificialisation peut mettre les collectivités face à de vrais dilemmes. En effet, les sols sont le carrefour des politiques publiques. Dans notre pays, qui connaît toujours une importante crise du logement, le foncier est au centre de l'attention. C'est sa rareté et sa cherté qui contraint souvent l'offre de logement. Dans les communes de zones tendues ou soumises à la loi SRU, une forte restriction de la constructibilité nouvelle pourrait rentre très difficile l'atteinte des objectifs de mixité sociale. En outre, les maires nous alertent sur l'empilement de législations, dont les effets cumulés pourraient conduire à « geler » le développement de certains territoires : quelles seront les marges de manoeuvre dans les communes soumises à la fois à la loi Montagne, la loi Littoral, la loi SRU, et à des objectifs très ambitieux de lutte contre l'artificialisation ? Il y a là d'importants enjeux de cohésion territoriale et sociale. Nous savons que des pans de nos territoires sont trop souvent regardés comme « périphériques ». Il faut garantir à tous les territoires les mêmes opportunités de développement démographique et économique et répondre au besoin fort de proximité. Il est vital de permettre l'installation de jeunes ménages dans les communes rurales, qui trouvent aujourd'hui un regain d'attractivité qu'il faut encourager. Il faut permettre à l'activité économique, notamment industrielle, de se réimplanter dans les bassins locaux. À défaut, le risque serait de créer des « laissés pour compte », voire des gilets jaunes de la lutte contre l'artificialisation... Rappelons au passage que plus de la moitié des Français sont propriétaires fonciers et souhaitent construire. Or nous calculons que ce pourraient être jusqu'à 100 000 terrains, chaque année, qui deviendraient inconstructibles si l'on applique l'objectif de réduction proposé par le Gouvernement. Cela pourrait avoir un impact énorme sur le patrimoine de nos concitoyens et leurs projets de vie. Tout le monde ne souhaite pas vivre dans les métropoles, et le besoin de proximité à la nature est très fort.

M. Jean-Baptiste Blanc . - Alors, partageant une ambition forte de sobriété foncière, mais ayant à l'esprit les nombreux enjeux que nous venons de décrire, quelle est notre « feuille de route » pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation ? Nous la résumons en trois principes : territorialiser, articuler, accompagner.

Territorialiser d'abord, car il nous semble que c'est l'échelon de proximité qui est le plus pertinent pour mener cette bataille. Les élus connaissent leur territoire et la multiplicité d'enjeux. Les taux d'artificialisation varient de 4 à 20 % selon les régions, et les rythmes aussi. Les différences sont encore plus marquées entre intercommunalités. Or, le Gouvernement entend fixer, au niveau régional, un objectif uniforme de 50 % de réduction sur dix ans, inscrit dans les SRADDET et prescriptif pour les SCoT, PLU et cartes communales. Cette approche comptable et centralisée n'est pas acceptable. Respectons les compétences décentralisées des collectivités, qui fixent, en responsabilité, les objectifs les plus adaptés à leur réalité. Les discussions à l'Assemblée se sont empêtrées sur une liste de critères de répartition de ces « quotas » d'artificialisation : on se trompe de débat. Plutôt que d'instaurer des dérogations sans fin, appuyons-nous sur la connaissance du territoire et les dynamiques locales déjà enclenchées. En outre, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce que cela impliquerait : réviser une grande partie des documents d'urbanisme de France dans des délais intenables et des coûts toujours plus importants... Nous savons le temps et le coût que ces évolutions représentent. Si l'on veut que les efforts de sobriété foncière payent, il faut s'assurer de l'adhésion tant des élus que des citoyens, sur la méthode et sur le fond.

Articuler ensuite, car nous avons vu que l'artificialisation est le symptôme de tendances de fond. Il est impensable de chercher à la réduire sans traiter le vrai sujet de la rareté du foncier, sans prendre en compte les objectifs en matière de logement. Nous estimons que la construction de logement pourrait être réduite d'un quart si l'on applique la cible fixée par le Gouvernement. A l'heure où l'on parle de relocalisation, de revitalisation des territoires, il ne faut pas traiter les sujets en silo. L'approche décentralisée que nous défendons permet de réaliser cette articulation des politiques publiques à un niveau de proximité. Les documents d'urbanisme existants doivent déjà opérer cette conciliation entre protection des espaces, développement économique, logement, mobilités... Nous recommandons d'ailleurs de faire une revue des « injonctions contradictoires » de politique publique. La fiscalité par exemple, en matière de logement et d'aménagement, a souvent des effets incitatifs à l'artificialisation. A l'inverse, il ne faudrait pas réduire à néant les efforts en faveur des zones de revitalisation rurale par un gel de la construction.

Accompagner enfin, car il nous semble que les propositions du Gouvernement doivent entrer dans le concret : il ne suffit pas de fixer un objectif surplombant aux collectivités, il faut s'assurer que les moyens sont là. Nous relevons par exemple que personne ne s'accorde sur la définition même des terres artificialisées. Celle proposée dans le projet de loi nous semble inopérante et incompréhensible pour les maires. Il faut fournir une définition opérationnelle du point de vue de l'urbanisme, pour intégrer cet enjeu à la planification locale. Accompagner, c'est évoquer les outils réglementaires qui doivent être complétés, voire inventés, pour répondre aux besoins des maires. L'ensemble des documents d'urbanisme doit s'inscrire dans une logique d'évaluation périodique au regard des objectifs fixés. Le ciblage du zonage pourrait être affiné, pour mieux identifier par exemple les zones à « désartificialiser » ou à réhabiliter. Le traitement des friches doit être facilité, et les opérations vertueuses encouragées tant par la fiscalité que par des « bonus » réglementaires. Le recours aux établissements publics fonciers locaux (EPFL) doit être facilité et leur couverture territoriale améliorée. Ensuite, le modèle économique de la lutte contre l'artificialisation doit être repensé. Trop souvent, la charge en incombe aux seules collectivités, déjà impactées par la réforme de la fiscalité locale et l'extension de leurs champs d'action. Certains programmes partenariaux pourraient être étendus, comme Petites villes de demain, pour aider à concrétiser les projets de territoires. Nous demandons aussi la pérennisation du « Fonds friches » créé dans le cadre de la relance, qui ne pourra financer que 150 hectares de réhabilitation. Il nous semble par ailleurs que l'impact des objectifs de lutte contre l'artificialisation sur les budgets locaux devra être précisément évalué et suivi. Enfin, la sensibilisation, tant des élus que des citoyens, sera clef pour assurer l'adhésion de tous et l'acceptabilité des nouveaux efforts.

Voici donc, chers collègues, les trois principes que nous défendons pour un effort supplémentaire de lutte contre l'artificialisation. La prise de conscience est là et l'ambition est partagée. Mais l'approche centralisée et uniforme défendue dans le projet de loi Climat et résilience n'est pas, selon nous, la bonne, elle ne sera pas opérationnelle. Nous proposons donc une alternative : une politique de lutte contre l'artificialisation co-construite avec les collectivités, qui la porteront, en responsabilité, dans les territoires. Alors que le projet de loi « 4D » devrait être soumis au Sénat en juillet prochain, nous souhaitons mettre en application dès maintenant ses objectifs : différencier, décentraliser, déconcentrer et décomplexifier.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour la qualité de votre travail. J'abonde dans votre sens : nous aurons effectivement ces discussions sur l'objectif de « zéro artificialisation nette » en séance publique dans le cadre du projet de loi Climat tandis que le projet de loi 4D sera simultanément examiné en commission.

Mme Valérie Létard . - Ce travail synthétise tous les enjeux, interrogations, préoccupations des élus et acteurs économiques et institutionnels dans nos territoires. Si cet objectif de zéro artificialisation nette est louable et partagé, sa mise en oeuvre suscite de vraies inquiétudes du fait d'une approche très normative et descendante.

Dans mon territoire, nous avons appliqué dans les années 2008-2010 un SCoT « grenellisé » qui prévoyait une réduction de la consommation d'espace par un facteur 4. Demain, qui sait quelle période sera prise en compte pour comptabiliser ce qui a déjà été fait ? Nous avons mené un vrai travail de requalification et Toyota est aujourd'hui le poumon économique de notre territoire, avec 4000 emplois et le double d'emplois induits. L'implantation a nécessité 250 hectares de terres agricoles qui ont été intégralement compensés. S'il avait fallu aujourd'hui appliquer des règles prescriptives et descendantes avant de pouvoir mobiliser ces terres, Toyota se serait installé ailleurs et la mutation industrielle de notre territoire sur des véhicules propres n'aurait pas eu lieu. J'irai même plus loin : aujourd'hui, nous avons prévu dans notre SCoT une réserve qui n'est pas urbanisée mais identifiée pour la relocalisation potentielle d'une entreprise industrielle. C'est capital car nous sommes dans un territoire où il existe une culture industrielle, une main d'oeuvre et des capacités. Pour trouver un équilibre entre les enjeux sociaux et environnementaux, économiques et écologiques, les territoires doivent conserver des marges de manoeuvre. Ce qui a été dit sur les zones de redynamisation rurale est également vrai pour la production de logements sociaux : dans certaines zones tendues avec peu de surface disponible, pour atteindre les objectifs de la loi SRU, les communes doivent racheter des logements individuels pavillonnaires et les raser pour reconstruire des logements collectifs : c'est une politique d'urbanisme qui interroge.

Nous devons être vigilants : le texte qui nous vient de l'Assemblée est prescriptif. Dans les SRADDET, l'objectif est dans le fascicule du schéma, il s'impose strictement à tous les territoires. Comment va-t-il être mis en oeuvre et décliné sur le plan territorial ? Certains territoires vertueux, mais très denses, ne pourront pas satisfaire leurs besoins de surfaces.

L'objectif est vertueux et fait consensus, mais n'excluons pas les territoires de la règle du jeu. Ne laissons pas l'État arriver avec sa feuille de route et ses exigences sans prendre en compte la réalité du terrain. Il faut conjuguer vertu et adaptation territoriale.

Mme Sophie Primas , présidente . - Cela posera évidemment la question de la déconcentration et du soutien local de l'État dans chaque territoire.

M. Daniel Gremillet . - Pour avoir assisté à quelques auditions, je souhaite remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail, mené avec beaucoup de raison. Effectivement, il faudra traduire ce travail dans le texte qui arrive, et prendre en compte ce qui a déjà été fait dans les territoires par les élus locaux. Ce sujet de l'artificialisation des sols doit tous nous rassembler, car il concerne tant le milieu rural que le milieu urbain, la production agricole tant alimentaire que forestière. Si ce sujet est mal traité, le développement économique et la présence humaine seront menacés. Quand les enfants du village ne peuvent pas y construire, on s'achemine vers la mort du village ! Il nous faut une capacité d'intervention sur le droit de propriété et cela nécessite des moyens.

Mme Sylviane Noël . - Avec Jean-Baptiste Blanc, nous avons eu l'occasion de mener avec les élus de mon département une réunion très constructive sur le sujet. Ils sont extrêmement inquiets des conséquences de ce dispositif, ne serait-ce que pour répondre aux injonctions nombreuses de l'État en matière d'objectifs de construction de logements sociaux, de réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage, d'application de la loi Montagne et de la loi Littoral. Il y a une véritable schizophrénie qu'il faut dénoncer. Cela pose également la question du mode de financement futur de nos collectivités locales, puisque les ressources propres de nos communes sont encore dépendantes du foncier. Qu'en sera-t-il demain si ce n'est plus le cas ? Enfin, je crains vraiment que nos territoires ruraux paient un lourd tribut à ce dispositif et ne deviennent que les cautions environnementales du développement des grandes métropoles.

Mme Valérie Létard . - Je souhaite compléter mon propos par la question des moyens. Reconquérir la ville sur la ville, requalifier des friches industrielles polluées pour les réaffecter à une seconde vie coûte très cher. Dans ma région, le « Fonds friches » s'élève à 8 millions d'euros par an, soit la moitié de la somme nécessaire pour requalifier une seule des huit friches du site de Vallourec à Valenciennes. Ce fonds est donc notoirement insuffisant : l'État ne peut instruire que les petits dossiers de reconquête de friches car l'enveloppe n'est pas dimensionnée pour des projets de grande envergure, alors même qu'il serait plus utile de se concentrer sur ces derniers. Il faudra dégager des moyens à la hauteur des ambitions, pour sortir de ces injonctions contradictoires et aller plus loin dans la reconquête des friches.

M. Daniel Salmon . - Nous sommes face à la quadrature du cercle, avec cette nécessité d'arrêter l'hémorragie des terres agricoles et l'expansion infinie des villes qui les grignotent. Toutefois on ne peut pas partir d'une page blanche pour des territoires historiquement très différents. Certains d'entre eux possèdent des centaines, voire des milliers d'hectares de friches industrielles, d'autres très peu voire aucune. « Le Fonds friches » de 300 millions d'euros permet la réhabilitation de 600 hectares ce qui est très peu. Développer ce fonds sera une obligation, car nous ne pouvons pas continuer à voir des zones d'activités s'étendre tout en étant à moitié vides. Il faudra également différencier l'affectation des sols entre le logement, l'utilisation commerciale ou industrielle. Nous nous abstiendrons sur ce rapport.

M. Henri Cabanel . - Nous devons être conscients des abus en matière d'artificialisation. En 40 ans dans l'Hérault, 25 % de la surface agricole utile a été perdue. Toutefois, il est incompréhensible que la même méthode soit imposée à tous. Les études d'impact ne sont pas les mêmes dans la métropole montpelliéraine qu'à La Salvetat-sur-Agout ! De plus, il est impératif de différencier les communes vertueuses de celles qui ont abusé de l'artificialisation. Un changement de méthode s'impose, d'autant que l'inquiétude des élus est vive.

M. Daniel Salmon . - Je souhaite revenir sur la question du logement. Nous devrons nous saisir du sujet des trois millions de logements vacants en France, lié au sujet de la nécessaire rénovation thermique. Enfin, une autre situation interroge : celle des territoires comme certaines zones littorales de Bretagne qui comprennent 80 % de résidences secondaires occupées un mois dans l'année. Ceux qui travaillent sur le littoral et dont les revenus sont souvent peu élevés, doivent résider à l'intérieur des terres à 40 km de là, cela pose un problème d'égalité.

M. Joël Labbé . - Notre groupe va s'abstenir pour le vote de ce rapport, mais il s'agit d'une abstention positive. Je reconnais le travail de fond mené par les trois rapporteurs, avec une recherche d'objectivité et d'efficience. Les compléments apportés par Valérie Létard étaient également pertinents. La question de la territorialisation se pose de façon majeure : certes, il y a les grandes lignes de l'État, mais la déclinaison dans les territoires doit s'opérer dans un cadre bien défini. Sur ce type de débat, nous pourrions arriver à une expression du Sénat, avec peut-être certaines adaptations. La consommation d'espace ces vingt dernières années a été terrible ; sans passer d'un excès à un autre, il faut en tirer les leçons.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je souhaiterais insister sur le triptyque développé par Jean-Baptiste Blanc, car il s'agit d'une inversion de la méthode aujourd'hui proposée dans le projet de loi Climat et Résilience, avec une logique ascendante qui part des territoires et non l'inverse. Ce mouvement a du sens, nous le retrouverons également dans la loi « 4D ».

Je voudrais également évoquer la sensibilisation des territoires. Il est souvent question de la réalité des élus, mais l'approche des populations me semble sous-estimée, car derrière la lutte contre l'artificialisation se cache la problématique d'un nouvel habitat et d'une autre façon de vivre en ville et à la campagne. Un travail en lien avec nos concitoyens permettra une meilleure acceptation sur les territoires.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous n'avons pas épuisé le sujet, car nous auditionnerons cet après-midi Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement. Je vais mettre au vote ce rapport, dont l'intitulé est le suivant : « La lutte contre l'artificialisation à l'épreuve des territoires : territorialiser, articuler, accompagner ».

Le rapport est adopté et je remercie les rapporteurs pour leur travail.

La commission des affaires économiques autorise la publication du rapport d'information.

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