II. UNE MENACE « DRONES » ENCORE INSUFFISAMMENT PRISE EN COMPTE

A. UNE « MENACE DRONES » QUI NE CESSE DE PRENDRE DE L'AMPLEUR

1. Une explosion des drones aériens civils en circulation

Apparus historiquement dans le champ militaire pendant la Seconde guerre mondiale, les drones ont conquis le domaine civil depuis dix ans, à la fois pour des usages professionnels et de loisir.

Toutes sortes de drones sont aujourd'hui proposées à la vente alors qu'il est possible de trouver sur internet toutes les ressources (pièces, tutoriels...) pour en fabriquer sur mesure.

Le nombre de drones sur le territoire national est passé de 400 000 en 2017 à 2,5 millions aujourd'hui . Parmi ceux-ci, on compte plus de 40 000 drones de plus de 800 g.

Et cette tendance n'est pas près de s'arrêter, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques dans ce domaine. On s'attend ainsi à une explosion du recours aux drones civils dans les années à venir dans les domaines de la logistique (Amazon envisage de les utiliser pour ses livraisons), de la mobilité urbaine (taxis), la surveillance de sites et d'emprises, voire d'approvisionnement d'urgence et de gestion des crises...

Il va en résulter une densification de la circulation des aéronefs non habités dans l'espace aérien de basse altitude , avec comme conséquences un risque plus élevé d'incidents et une plus grande difficulté à discriminer les drones intrus ou malveillants.

De fait, ces drones , qu'ils soient du commerce, modifiés ou non, peuvent représenter une menace , que ce soit de manière intentionnelle (espionnage, sabotage, terrorisme) ou sans intention de nuire (drone qui s'égare, qui tombe accidentellement sur la foule...).

La perspective de l'organisation prochaine de grands événements sportifs sur le territoire national (Coupe du Monde de Rugby en 2023, Jeux Olympiques de 2024) met particulièrement en lumière cet enjeu.

Depuis l'incident de l'aéroport de Londres Gatwick en décembre 2018 (survol illégal par une centaine de drones) qui avait entraîné la paralysie totale du trafic pendant plusieurs jours, bloquant 140 000 personnes, l'intrusion des drones est devenue l'une des principales craintes des autorités aéroportuaires . De fait, l'arrêt du trafic pendant une heure dans un aéroport international représente un coût de plusieurs millions d'euros.

Selon l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), quelques 2 000 incidents liés aux drones se sont produits en 2019 dans le ciel européen.

Jusqu'à présent, aucune attaque terroriste au moyen de drones n'a été relevée sur le territoire national mais les cibles potentielles ne manquent pas : installations industrielles de type Seveso, infrastructures essentielles et réseaux de distribution, lieux de pouvoir ou grands rassemblements....

2. Une prolifération des drones militaires sur les théâtres extérieurs

Parallèlement, dans le champ militaire, nous sommes entrés dans une « deuxième ère des drones » caractérisée par l'introduction de ces systèmes dans l'ensemble des doctrines et tactiques des acteurs militaires , qu'ils soient étatiques ou non 13 ( * ) .

? Des puissances moyennes comme la Turquie et l'Iran se sont lancées il y a quelques années dans la production à grande échelle de drones de technologie moyenne à coût raisonnable, d'abord pour leurs besoins propres, mais aussi pour les vendre à leurs « proxys ».

Le marché étant aussi alimenté par la Chine ou par une puissance historiquement présente sur le marché des drones comme Israël, on assiste aujourd'hui à une prolifération des drones militaires , armés ou susceptibles de l'être, au Moyen-Orient .

La Turquie a développé des capacités de production mobiles, projetables au plus près des zones de conflits, destinées à les alimenter en flux tendus. Ces drones sont largement utilisés par la Turquie dans le nord de la Syrie (où 60 attaques coordonnées de drones auraient été menées en 2019), mais aussi en Libye. L'Azerbaïdjan les a récemment mis en oeuvre contre l'Arménie au Haut-Karabagh.

Les drones iraniens (tel le drone tactique armé Abalil) alimentent les milices houthies au Yémen mais aussi le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza (où ils ont été très utilisés lors de la récente crise, en avril-mai 2021) mais aussi des milices en Irak, en Syrie, au Soudan qui les utilisent pour des actions commanditée par Téhéran.

Les drones permettent à ces groupes armés de mener à peu de frais des attaques ciblées très efficaces, occasionnant des dommages très importants . L'attaque massive menée en septembre 2019 par les Houthis, avec des drones peu élaborés et à charge militaire limitée, probablement fournis par l'Iran, contre des raffineries du géant pétrolier Aramco en Arabie saoudite a ainsi entraîné une réduction d'un tiers de la capacité de production de l'Arabie saoudite pendant plusieurs mois et provoqué des tensions sur le marché pétrolier mondial.

Depuis six ans, les Houthis auraient ainsi revendiqué plus de 500 opérations avec des drones suicides . En Mer rouge, ils lancent des drones kamikazes marins (de petites vedettes chargées d'explosifs, appelées « water borne improvised explosive devices » ou WBIED, qui sont la version nautique des engins explosifs improvisés) contre des pétroliers et des bâtiments de guerre : neuf attaques de ce type auraient été réalisées depuis le début du conflit.

De grande portée et très mobiles , les drones des milices soutenues par l'Iran pullulent dans la région et multiplient les actions visant les Etats-Unis (par exemple à Erbil en Irak, en avril dernier, où un drone chargé d'explosifs a visé les troupes américaines stationnées près de l'aéroport) et ses partenaires (multiplication des attaques de drones suicides houthies contre l'Arabie saoudite ces derniers mois) qui ne cachent plus leur inquiétude. Ces drones, qui visent davantage des cibles économiques ou symboliques que des objectifs militaires, contournent aisément les défenses sol-air sophistiquées des alliés des Etats-Unis et constituent une menace permanente dans un théâtre sans profondeur stratégique.

Par ailleurs, l'Iran utilise ses propres drones pour marquer sa présence dans la région et passer des messages .

Ses nombreux drones, aériens mais aussi maritimes, sans charge militaire mais « armables », quadrillent le Golfe persique pour des missions d'ISR , lui permettant de réduire l'engagement de ses moyens maritimes.

Téhéran met aussi en scène ses capacités lors de rassemblements et d'exercices impliquant des centaines de drones , qui sont filmés et largement diffusés.

De fait, les drones sont aussi utilisés comme un instrument de propagande , destiné à frapper les esprits.


* 13 Lutte contre les drones : à la recherche de la solution miracle, Claudio Palestini, Revue de l'OTAN, 16 décembre 2020.

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