Rapport d'information n° 724 (2021-2022) de M. Teva ROHFRITSCH , fait au nom de la MI Fonds marins, déposé le 21 juin 2022

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N° 724

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur « L' exploration , la protection et l' exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? »,

Président
M. Michel CANÉVET,

Rapporteur
M. Teva ROHFRITSCH,

Sénateurs

(1) Cette mission est composée de : M. Michel Canévet, président ; M. Teva Rohfritsch, rapporteur ; MM. Stéphane Artano, Alain Cadec, Jacques Fernique, Joël Guerriau, Jean-Michel Houllegatte, Mme Micheline Jacques, M. Gérard Lahellec,
Mme Angèle Préville, vice-présidents ; Mme Vivette Lopez, M. Pascal Martin, secrétaires ; MM. Hussein Bourgi, Laurent Duplomb, Philippe Folliot, Mme Muriel Jourda, M. Didier Mandelli, Mmes Laurence Muller-Bronn, Catherine Procaccia.

L'ESSENTIEL

La politique des grands fonds marins a connu une nouvelle impulsion dans le cadre du plan d'investissement France 2030. Pour la France, dont la superficie maritime représente dix-sept fois la superficie terrestre, grâce à ses outre-mer, les enjeux sont essentiels. C'est pourquoi, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), le Sénat a créé une mission d'information sur « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ». À l'issue de cinq mois de travail, la mission formule vingt recommandations pour donner un nouveau départ à la stratégie nationale pour les grands fonds marins.

1. GOUVERNANCE : UNE NÉCESSAIRE RÉVOLUTION COPERNICIENNE

La politique des grands fonds marins est, à l'heure actuelle, abordée principalement sous le prisme de l'État et des experts. Il en résulte un climat d'incompréhension , voire de méfiance, à l'encontre de politiques publiques parfois suspectées de conduire subrepticement mais inexorablement à l'exploitation des ressources minières des grands fonds.

Or, la question des fonds marins concerne tous les citoyens , notamment dans les régions où les modes de vie, l'économie et la culture sont très marqués par un environnement maritime qui subit déjà de plein fouet le réchauffement climatique et une réduction drastique de la biodiversité.

C'est pourquoi il faut adopter une démarche beaucoup plus politique, dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie pour les grands fonds marins, en associant le Parlement et les outre-mer au pilotage et au suivi .

La multiplicité des acteurs impliqués impose par ailleurs de définir un leadership clair, de fixer un cap, un calendrier, d'allouer les moyens annoncés , c'est-à-dire de remplacer ce qui s'apparente aujourd'hui à une politique « stop and go » par une feuille de route précise et effective .

Les principales recommandations de la mission d'information concernant la gouvernance sont les suivantes :

Ø Nommer un délégué interministériel aux fonds marins , personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue, placée auprès du Premier ministre et chargée de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer par bassin océanique et de la bonne application de la stratégie nationale pour les grands fonds marins ;

Ø Reconstituer un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et renforcer la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture en soutien de cette politique ;

Ø Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la stratégie et associer les délégations parlementaires aux outre-mer , ainsi que les exécutifs ultramarins , à chaque étape de mise en oeuvre de cette stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats.

2. EXPLORATION OU EXPLOITATION : UN DÉBAT PRÉMATURÉ

La mission d'information estime prématuré de se prononcer sur la prospection et l'exploitation des ressources minières des fonds marins, en l'absence de connaissances scientifiques suffisantes sur les grands fonds et leurs écosystèmes . Cette situation ne doit toutefois pas conduire à l'immobilisme, bien au contraire.

De nombreux travaux de recherche sont nécessaires, le fonctionnement des grands fonds marins et leur rôle dans le système océanique global demeurant très mal connus. L'État doit pleinement s'impliquer dans la structuration d'une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international.

C'est pourquoi la mission propose une feuille de route réaliste. Ses principales recommandations à ce sujet sont les suivantes :

Ø Relancer la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021 , sous l'impulsion du délégué interministériel, dans le cadre de partenariats avec les collectivités compétentes sur les ressources minières , conformément à leurs lois statutaires, notamment en concrétisant, en cinq ans, le projet de démonstrateur afin d'évaluer l'impact environnemental, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins, d'abord en zone internationale puis éventuellement dans la ZEE des collectivités d'outre-mer qui y seraient favorables ;

Ø À l'issue de ces tests, réunir l'ensemble des parties prenantes (chercheurs, élus, ONG, entreprises...) pour examiner l'opportunité de poursuivre ou non l'objectif d'une exploration en vue d'une exploitation industrielle et en déterminer le cas échéant les conditions techniques, le cadre juridique ainsi que les différentes étapes : à l'issue de chacune de ces étapes, un bilan permettra de décider de poursuivre, ou au contraire de renoncer au processus en fonction des risques identifiés ;

Ø Conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière à un débat parlementaire transparent ayant préalablement associé les collectivités d'outre-mer, ainsi qu'à une clarification juridique en introduisant notamment des normes environnementales propres aux grands fonds marins qui permettraient de définir un régime de responsabilité, en prévoyant la réalisation d'études d'impact préalablement à tout projet d'extraction et en créant d'un corps d'inspecteurs chargé de veiller au respect des normes par les exploitants ;

Ø Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique, compte tenu des ressources alternatives potentielles ;

Ø Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer , pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française ;

Ø Créer un pôle d'excellence « fonds marins » , sur le modèle du pôle d'excellence cyber, associant acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de favoriser les synergies et de structurer une filière industrielle qui ne pourra se développer, en tout état de cause, que grâce à la commande publique . Le pôle d'excellence aura également pour fonction de renforcer l'offre de formation en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer.

Concombre de mer dans un champ de nodules (c) Ifremer/Nautile, Nodinaut (2004)

3. ENTRE COOPÉRATION ET COMPÉTITION : DES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ

Si la France doit se tenir prête, c'est aussi parce que les ressources des grands fonds marins font l'objet de convoitises à peine voilées de la part de la plupart des puissances mondiales. C'est manifeste dans le Pacifique , où l'implication des États-Unis et de la Chine est visible. Si la France continue à temporiser, d'autres puissances n'hésiteront pas, quant à elles, à creuser l'écart sur le plan technologique et à s'approprier le sujet de façon difficilement contrôlable. Les principales recommandations de la mission d'information pour répondre aux enjeux de la coopération et de la compétition internationales sont les suivantes :

Ø Accompagner la mue de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour que celle-ci dispose des moyens humains et matériels nécessaires au développement d'une véritable expertise scientifique et à la réalisation de contrôles efficients sur les sites d'exploration et, éventuellement, d'exploitation ;

Ø Associer le Parlement à la définition de la position française relative à l'exploitation minière des fonds marins internationaux . Élargir le débat sur les positions françaises à l'AIFM à la communauté scientifique et aux ONG.

Ø En matière de défense, confirmer dans la prochaine loi de programmation militaire la feuille de route présentée le 14 février 2022 par le ministère des armées, s'agissant de l'acquisition de capacités à - 6000 m et à - 3000 m. Prévoir une première projection outre-mer de ces capacités d'ici à 2025. Remplacer d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre des AUV/ROV profonds dans le cadre du programme European patrol corvette . Permettre une montée en puissance de la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins comme la France a manqué, il y a quelques années, le tournant des drones militaires aériens .

La compétition internationale appelle toutefois aussi des coopérations : au plan européen, l'Allemagne et la Norvège sont les deux pays les plus avancés. Loin de constituer des exemples à suivre sans discernement, ces pays sont néanmoins des partenaires incontournables en Europe. L'écueil principal au développement de partenariats réside toutefois dans le manque de détermination et de moyens dans la mise en oeuvre de la stratégie française. Par ailleurs, les bassins ultramarins présentent aussi des perspectives de partenariats internationaux, qui ne sauraient être sacrifiés sur l'autel d'un tropisme trop exclusivement européen.

Fonds marins : de quoi parle-t-on ?

La mission d'information s'est concentrée sur les « grands » fonds marins, et plus particulièrement sur les milieux abritant des ressources minérales, essentiellement en-deçà de 1000 m, en zone aphotique c'est-à-dire dépourvue de lumière. La mission s'est également intéressée à la colonne d'eau attenante, à la vie qui y est hébergée et aux risques environnementaux induits par une éventuelle activité anthropique non maîtrisée dans les fonds marins.

LES RECOMMANDATIONS

La mission d'information estime prématuré de se prononcer sur la prospection et l'exploitation des ressources minières des fonds marins, en l'absence de connaissances scientifiques suffisantes sur les grands fonds et leurs écosystèmes. Ce constat ne doit toutefois pas conduire à l'immobilisme , bien au contraire. La recherche sur les grands fonds marins doit être relancée, dans le cadre d'une Stratégie nationale, fusionnant et renforçant les dispositifs déjà existants ou annoncés . Cette Stratégie doit être assortie d'un calendrier et de mécanismes de suivi . Elle doit associer le Parlement et toutes les parties prenantes, notamment les outre-mer qui sont concernés au premier chef : c'est à une révolution copernicienne qu'il faut procéder.

Après plusieurs « faux départs », il n'y a plus de temps à perdre. Grâce à ses outre-mer, la France est présente dans tous les océans. Sa superficie maritime (ZEE) est égale à dix-sept fois sa superficie terrestre , ce qui est singulier et souvent méconnu. Or, aucune puissance maritime ne saurait aujourd'hui négliger la question des grands fonds marins. Si la France continue à temporiser, d'autres puissances n'hésiteront pas, quant à elles, à creuser l'écart sur le plan technologique et à s'approprier le sujet de façon difficilement contrôlable.

Les recommandations de la mission d'information sont les suivantes :

1) Nommer un délégué interministériel aux fonds marins, personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue , placée auprès du Premier ministre et chargée de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer par bassin océanique, de la sensibilisation du grand public aux différents enjeux et de la bonne application de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins.

2) Placer le « comité de pilotage » de l'objectif « grands fonds marins » de France 2030 sous la coordination du délégué interministériel et élargir ses compétences à l'ensemble de la Stratégie nationale, issue à la fois de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins du 5 mai 2021 et de l'objectif 10 du plan d'investissement France 2030.

3) Reconstituer un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et renforcer la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture en la dotant d'un service administratif de référence en charge de la politique des fonds marins , clairement identifié et suffisamment doté en ressources humaines.

4) Relancer la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021, sous l'impulsion du délégué interministériel, dans le cadre de partenariats avec les collectivités compétentes sur les ressources minières conformément à leurs lois statutaires, à l'initiative de ces collectivités, et en déterminant un calendrier de réalisation des 8 projets identifiés, comportant des rapports d'étape réguliers.

5) Clarifier, préciser et sanctuariser les modalités de financement de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins afin d'atteindre le montant total annoncé de 600 millions d'euros (hors défense).

6) Concrétiser en cinq ans le projet de démonstrateur afin d'évaluer l'impact environnemental, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins, par exemple sur les nodules polymétalliques de la zone de Clarion-Clipperton. Si les premiers résultats sont concluants, élargir les tests à la ZEE de collectivités d'outre-mer qui y seraient favorables afin de rééquilibrer les investissements déjà importants vers la Zone internationale.

7) À l'issue de ces tests, réunir l'ensemble des parties prenantes (chercheurs, élus, ONG, entreprises...) pour examiner l'opportunité de poursuivre ou non l'objectif d'une exploration en vue d'une exploitation industrielle et en déterminer le cas échéant les conditions techniques, le cadre juridique ainsi que les différentes étapes : à l'issue de chacune de ces étapes, un bilan permettra de décider de poursuivre, ou au contraire de renoncer au processus en fonction des risques identifiés.

8) Combler le vide juridique partiel entourant l'exploration et l'exploitation éventuelle des grands fonds marins en :

ü distinguant davantage le cadre juridique relatif aux hydrocarbures et celui des substances minérales ;

ü adoptant des normes environnementales propres aux grands fonds marins qui permettraient de définir un régime de responsabilité en cas d'anomalies ou de manquements ;

ü prévoyant la réalisation d'études d'impact préalablement à tout projet d'extraction ;

ü aménageant un cadre normatif et financier attractif distinct de l'exploration et la prospection pétrolières (et inexistant à cette date) pour inciter les acteurs privés à participer aux efforts d'exploration de nos grands fonds marins.

9) Conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière des grands fonds marins à une réécriture par voie législative (et non par ordonnances) du chapitre III du titre II du livre I er du code minier, relatif à l'exploitation en mer , pour en clarifier les modalités techniques, financières et fiscales et les retombées pour les populations locales, à l'issue d'un débat parlementaire transparent ayant préalablement associé les collectivités d'outre-mer.

10) Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la Stratégie, précédemment mentionné, et associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins à chaque étape de mise en oeuvre de la Stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats (notamment : planeur sous-marin, AUV et ROV à 6000 m, issus du CIMER 2022, et démonstrateur).

11) Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer , pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française.

12) En association avec les laboratoires pharmaceutiques volontaires, consacrer une partie des crédits du plan d'investissement France 2030 dédiés aux grands fonds marins à l'étude des potentialités biologiques des organismes des grands fonds marins et des adaptations médicales qui pourraient en résulter.

13) Associer davantage l'Office français de la biodiversité à l'acquisition des connaissances scientifiques sur la vie marine profonde ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français en faisant de l'OFB un pôle d'expertise de référence sur la biodiversité des grands fonds marins, chargé de conseiller les pouvoirs publics en vue de la protection de la biodiversité ainsi référencée.

14) Conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable et à la mise en place d'un corps d'inspection , chargé de vérifier le respect par les exploitants des normes environnementales qui encadreront cette éventuelle exploitation. Moyennant un réagencement des missions et des ressources de l'OFB, cette mission pourrait être confiée aux inspecteurs de l'environnement de ce dernier, lesquels seraient formés aux problématiques propres à la vie marine profonde et aux conséquences de l'activité humaine sur ces écosystèmes.

15) Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique , compte tenu des ressources alternatives potentielles. Le secrétariat de ce conseil scientifique pourrait être assuré par le service administratif de référence dont il est proposé la création au sein du ministère de la mer.

16) Créer un pôle d'excellence « fonds marins » , sur le modèle du pôle d'excellence cyber, associant acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de favoriser les synergies, de structurer une filière industrielle qui ne pourra se développer que grâce à la commande publique, et de renforcer l'offre de formation en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer. Créer des classes « enjeux maritimes » dans l'enseignement secondaire.

17) Accompagner la mue de l'AIFM pour que celle-ci dispose des moyens humains et matériels nécessaires au développement d'une véritable expertise scientifique et à la réalisation de contrôles efficients sur les sites d'exploration et, éventuellement, d'exploitation.

18) Associer le Parlement à la définition de la position française relative à l'exploitation minière des fonds marins internationaux. Élargir le débat sur les positions françaises à l'AIFM à la communauté scientifique et aux ONG.

19) En matière de défense, inscrire dans la prochaine loi de programmation militaire la feuille de route suivante :

ü Acquisition d'une première capacité exploratoire avant 2025 constituée d'un AUV 6000m et d'un ROV 6000m ainsi que d'un AUV 3000m et un ROV 3000m ;

ü Acquisition d'ici à 2028 d'un complément constitué d'un AUV 6000m, d'un ROV 6000m, d'un AUV 3000m et d'un ROV 3000m ;

ü Première projection outre-mer d'une telle capacité d'ici à 2025 et possibilité d'un troisième incrément capacitaire en fonction des retours d'expérience ;

ü Remplacement d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre des AUV/ROV profonds dans le cadre du programme European patrol corvette ;

ü Optimisation des retombées économiques pour les territoires où ces capacités seront stationnées , grâce à un soutien décentralisé outre-mer.

ü Mise à contribution et montée en puissance de la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins comme la France a manqué, il y a quelques années, le tournant des drones militaires aériens.

20) Accentuer l'effort de l'Agence française de développement en faveur de projets portant sur les grands fonds marins , qui sont au coeur de problématiques économiques, environnementales et culturelles à l'intersection de plusieurs préoccupations de l'Agence (biodiversité, changement climatique, transition énergétique...).

INTRODUCTION

« Sur tous les chemins du monde des millions d'hommes nous ont précédés et leurs traces sont visibles. Mais sur la mer la plus vieille, notre silence est toujours le premier. »

Albert Camus, Carnets

De l'Antiquité à nos jours, les fonds marins ont peuplé l'imaginaire humain de créatures aussi fascinantes qu'inquiétantes, témoignages de la méconnaissance par l'homme de ce milieu mais aussi du puissant attrait qu'il a toujours suscité. L'abysse - mot provenant du grec et signifiant « sans fond » - est d'abord un gouffre vers l'inconnu. Profonds, obscurs et froids, les fonds marins semblent peu propices à la vie. L'exploration humaine, rêvée par Jules Verne, y a longtemps paru impossible, jusqu'au record établi le 23 janvier 1960 par Jacques Piccard et Don Walsh à 10 916 mètres de profondeur. Non seulement ces premiers explorateurs ont constaté l'existence de la vie dans les fonds abyssaux, mais des études plus récentes ont montré que celle-ci y était peut-être même apparue et, en tout état de cause, que de riches écosystèmes y prospéraient.

Les grands fonds marins restent de nos jours perçus de façon ambivalente, tantôt comme un milieu très hostile pour l'homme, représentant une menace potentielle du fait de leur possible militarisation, tantôt comme un possible eldorado biologique et minéral , susceptible de contribuer au progrès dans le domaine médical et de fournir des solutions à l'équation énergétique.

Mais, alors que 71 % de la surface terrestre est couverte par des océans dont la profondeur moyenne est de 3 800 mètres , les fonds marins demeurent très mal connus. Ils constituent la dernière frontière de la conquête par l'homme de sa propre planète.

Pour la France, dont la surface maritime représente dix-sept fois la surface terrestre, les enjeux écologiques, économiques et géopolitiques ne sauraient être ignorés, dans un contexte où la conquête des fonds marins s'accélère au niveau mondial .

Fonds marins : de quoi parle-t-on ?

À la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), le Sénat a créé une mission d'information sur « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » .

Cette mission fait suite à l'impulsion donnée à la politique des grands fonds marins par le plan d'investissement France 2030 , présenté par le Président de la République le 12 octobre 2021. La mission s'est par conséquent concentrée sur les « grands » fonds marins , et plus particulièrement les milieux abritant des ressources minérales, donc essentiellement en-deçà de 1 000 mètres, en zone aphotique c'est-à-dire dépourvue de lumière (la pénétration de la lumière étant minimale en deçà de 200 mètres). La mission s'est également intéressée à la colonne d'eau afférente à ces fonds, à la vie qui y est hébergée et aux risques environnementaux induits par une éventuelle activité anthropique non maîtrisée dans les fonds marins.

Fonds marins : de quoi parle-t-on ?

La mission a par ailleurs traité des enjeux de sécurité et de défense , qui font l'objet d'une stratégie distincte du gouvernement, présentée le 14 février 2022 par Mme Florence Parly, ministre des armées. Cette stratégie comporte des points de convergence avec les objectifs du plan France 2030 dans le domaine des fonds marins, notamment la volonté de développer des moyens technologiques permettant de descendre à 6 000 mètres de profondeur .

La mission n'a, en revanche, pas traité de la production d'hydrocarbures en mer, ni des autres activités offshore (champs éoliens). Elle a aussi exclu de son champ la pêche en eaux profondes. Chacun de ces sujets répond, en effet, à des logiques et à des temporalités distinctes, et aurait mérité un rapport en soi.

Une nécessaire révolution copernicienne

La mission a procédé, entre janvier et mai 2022, à de nombreuses auditions, s'efforçant d'entendre des parties prenantes de tous horizons. Il est en effet apparu que la question des fonds marins impliquait un très grand nombre d'acteurs et que la question de la concertation était primordiale.

Les problématiques inhérentes aux fonds marins couvrent en effet de multiples champs disciplinaires (géologie, biologie, océanographie...) ; elles intéressent de nombreux types d'acteurs (État, collectivités, entreprises, organisations non gouvernementales...) ; au-delà, la question des fonds marins suscite un questionnement de tous les citoyens , notamment là où les modes de vie et la culture sont très marqués par l'environnement maritime . Il est donc nécessaire de croiser les regards , ce que la mission a tenté de faire, dans les délais impartis.

Que souhaitons-nous faire, collectivement, de nos fonds marins ? La réponse à cette question relève de l'ensemble de la collectivité nationale. Au regard des enjeux et de la multiplicité des parties prenantes, il est inconcevable que le Parlement ne soit pas davantage impliqué dans les stratégies élaborées pour les grands fonds marins (GFM) . Les élus territoriaux doivent également être étroitement associés, dans les territoires concernés, donc principalement outre-mer où se situe 97 % de notre zone économique exclusive . Rien ne se fera sans un consensus sociétal, comme l'a montré le précédent de Wallis-et-Futuna, où la population et les chefs coutumiers se sont opposés, en 2018, à la poursuite de travaux d'exploration.

C'est pourquoi la mission estime nécessaire de procéder à une révolution copernicienne sur une question, certes, très technique, mais aussi profondément politique, appelant des choix structurants.

Une politique de « stop and go »

La mission a, par ailleurs, effectué deux déplacements : l'un à Brest et, l'autre, en Norvège, pays qui figure parmi les plus avancés sur la voie de l'exploration et, peut-être, d'ici à la fin de la décennie, de l'exploitation des ressources minérales de ses grands fonds marins. Par comparaison avec la Norvège, la politique française des fonds marins s'apparente à une politique de « stop and go » , suivant un cap variable, avec des moyens incertains .

La France a joué un rôle précurseur au niveau mondial, grâce à l'Ifremer. Son expertise scientifique est unanimement reconnue depuis les années 1960. Mais des ambiguïtés - ou incompréhensions - sur les objectifs poursuivis, et le constat du décalage existant entre les annonces et leur mise en oeuvre, entravent l'essor de la politique française des fonds marins et sa capacité à fédérer des initiatives au niveau international.

L'objectif 10 du plan d'investissement France 2030 , « investir le champ des fonds marins », est doté de 300 millions d'euros. Dans le sillage de l'annonce présidentielle, le comité interministériel de la mer (CIMER) 2022 a pris des décisions importantes, de nature à consolider la base industrielle et technologique française et à démultiplier nos capacités d'acquisition de connaissances dans les grands fonds.

Le plan France 2030 a ainsi réinstauré une dynamique appréciable , mais au risque de venir se substituer à la stratégie préexistante . L'articulation entre l'objectif 10 précité et la « stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins », publiée par circulaire du Premier ministre le 5 mai 2021, est d'emblée apparue comme incertaine.

Faisant suite à un rapport de M. Jean-Louis Levet en date de juillet 2020, la stratégie définie par le Premier ministre il y maintenant un peu plus d'un an devait elle-même être dotée de 310 millions d'euros sur dix ans, soit un investissement relativement modeste compte tenu des enjeux. Le Secrétariat général de la mer (SGMer) a d'emblée fait savoir à la mission d'information que la somme des deux stratégies n'atteindrait pas 600 millions d'euros .

Au fil des auditions, la mission d'information a constaté que la stratégie de 2021 était en réalité à l'arrêt, comme l'avait été, avant elle, une feuille de route élaborée en 2015. À ce jour, le projet de « démonstrateur », qui est au coeur de la stratégie de 2021, afin de tester l'impact, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière, est enlisé . Or ce projet représente la moitié des financements totaux envisagés, soit 150 millions d'euros sur dix ans, de la part de l'État mais aussi d'éventuels partenaires privés ou européens. Dans un secteur où la visibilité des débouchés commerciaux est faible, l'implication de l'État doit être totale. La mission a d'ailleurs pu constater le rôle moteur de l'État en Norvège pour accompagner un secteur pétrolier et gazier en recherche de domaines de reconversion.

L'abandon de la stratégie de 2021 serait d'autant plus préjudiciable que celle-ci constituait une feuille de route plus exhaustive que le plan d'investissement France 2030 . La stratégie élaborée par le groupe de travail conduit par Jean-Louis Levet porte en effet tant sur l'acquisition de connaissances et l'amplification des travaux d'exploration que sur les efforts de protection, le renforcement des partenariats et l'information des populations et de toutes les parties prenantes. Cette feuille de route est issue d'un remarquable travail d'analyse. Elle constitue une réflexion approfondie sur les échecs passés, comme sur les conditions de réussite d'une politique des grands fonds marins . La poursuite de la stratégie est aussi un enjeu de confiance dans l'action publique .

Un débat prématuré sur l'exploitation ?

Cette confiance est d'autant plus essentielle que l'opportunité d'explorer et, plus encore, d'exploiter les fonds marins est très discutée . L'appel de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en faveur d'un moratoire sur l'exploitation minière, lors de son Congrès mondial de septembre 2021 à Marseille, est venu illustrer l'inquiétude suscitée par la perspective de l'exploitation et ses conséquences possibles sur le milieu marin, alors que les écosystèmes des grands fonds, et leurs liens avec le système océanique global et les grands équilibres terrestres (notamment le climat) demeurent très mal connus .

Le Président de la République, puis le CIMER, et, enfin, la ministre de la mer, Mme Annick Girardin, lors de son audition par la mission, ont pris bien soin de préciser qu'il n'était pas question d'exploitation à ce stade, mais seulement d'exploration .

Ce terme d' « exploration » ne suffit toutefois pas à lever toute ambiguïté : en effet, il peut être synonyme de prospection , s'il s'agit d'évaluer des ressources, ou désigner l'acquisition de connaissances en vue d'une meilleure compréhension du fonctionnement des fonds marins. Les associations de protection de l'environnement craignent que les pouvoirs publics ne jouent de cette ambiguïté entre recherche scientifique et prospection minière pour poursuivre une démarche qui conduirait inexorablement à l'exploitation des ressources minérales des fonds marins.

De l'avis général toutefois, une exploitation des fonds marins, à l'échelle industrielle, avant la fin de la décennie, est une perspective peu réaliste. Mais, de nombreux pays se lançant dans la « course » aux fonds marins, il est nécessaire de maîtriser ce qui s'y passe, ce qui nécessite d'investir, et d'adopter une démarche proactive. Mieux connaître, maîtriser et protéger les fonds marins est en effet avant tout un enjeu de souveraineté.

I. LA STRATÉGIE FRANÇAISE DES GRANDS FONDS MARINS : UN FAUX DÉPART ?

A. UNE GOUVERNANCE ÉCLATÉE ENTRAVANT LA MISE EN oeUVRE DE LA STRATÉGIE

1. Un leadership à redéfinir face à la multiplicité des acteurs
a) L'action de l'État dédiée aux grands fonds marins mobilise de nombreux acteurs institutionnels

L'action de l'État pour les grands fonds marins est ancienne et fait de la France l'un des États précurseurs dans la recherche et l'exploration de ces zones à l'importance stratégique pour un pays disposant d'une zone économique exclusive (ZEE) de 11 millions de kilomètres carrés. Dès les années 1960, des campagnes d'exploration sont lancées 1 ( * ) , positionnant la France parmi les États pionniers. Dans les années 1970, la France est également l'un des premiers pays à étudier la présence dans les grands fonds marins de nodules polymétalliques. Fort de cette expérience, l'IFREMER, patronné par l'État, bénéficia par la suite des premiers contrats d'exploration octroyés par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), en 2001.

Néanmoins, ce volontarisme affiché depuis plus d'une soixantaine d'années n'a pas été constant 2 ( * ) et n'a pas eu pour corollaire une structuration de la mobilisation de l'État proportionnée aux enjeux des grands fonds marins.

En raison du caractère transversal des enjeux, la gouvernance nationale des grands fonds marins sous juridiction française est disséminée entre de nombreux acteurs institutionnels , à la capacité décisionnaire variable et dont l'investissement politique et matériel sur le sujet est fortement hétérogène .

La circulaire du Premier ministre n° 6266/SG du 5 mai 2021 mettant en oeuvre la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ( cf . infra ) identifie sept 3 ( * ) ministères directement concernés par la supervision des grands fonds marins sous juridiction française :

Ø Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères , outre la défense des intérêts français à l'international et la représentation de la France au sein de l'AIFM 4 ( * ) , est chargé de la mise en place d'une stratégie internationale « multipartenaires » pour « promouvoir une vision de l'exploration et de l'exploitation des grands fonds marins intégrant pleinement la responsabilité sociale et environnementale des acteurs impliqués » ;

Ø Le ministère de la transition écologique :

Le ministère de la transition écologique participe à la définition des règles environnementales entourant l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins. Il est également le ministère de référence, par le biais de la direction de l'eau et de la biodiversité, pour les substances minérales non énergétiques, ce qui inclut les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les sulfures polymétalliques.

Au titre de ces fonctions, il a été chargé de la récente réforme du code minier par ordonnances (cf. loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets) ayant entraîné une redéfinition partielle du cadre juridique s'appliquant à la recherche et à l'exploitation des granulats marins et substances de mines dans les fonds marins du domaine public.

En outre, dans le cadre de la stratégie nationale sur les grands fonds marins, le ministère de la transition écologique doit rédiger une cartographie des espaces à protéger et des espaces ouverts à une éventuelle exploitation durable ;

Ø Le ministère de l'économie, des finances et de la relance et le ministère délégué chargé de l'industrie :

Le ministère de l'économie, des finances et de la relance et le ministère délégué chargé de l'industrie mettent en oeuvre la politique des matières premières et des mines, conjointement avec le ministère de la transition écologique en ce qui concerne les matières énergétiques et, en outre, avec le ministère de la mer pour les matières énergétiques issues de ressources minérales et fossiles en eau profonde.

Les ministères en charge de l'économie et de l'industrie sont compétents pour délivrer les autorisations d'exploitation minière et pour les matières industrielles liées à l'exploration et à l'exploitation des ressources sous-marines (structuration d'une filière industrielle, accompagnement des acteurs).

L'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins n'étant pas à ce jour autorisée, l'investissement de ces ministères sur le sujet spécifique des grands fonds marins est cependant modeste, contrairement à la Norvège où les enjeux liés aux grands fonds marins sont principalement suivis par le ministère du pétrole et de l'énergie. Par ailleurs, le projet de « démonstrateur » destiné à « tester l'impact, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds » que ces ministères sont censés porter est, à la date de publication du rapport de la mission d'information, au point mort.

Dans un premier temps, l'implication du ministère chargé de l'industrie pourrait être accrue à travers le pilotage d'une étude auprès du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET), qui dépend du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Ø Le ministère des outre-mer :

Dans la mesure où 97 % de la ZEE française est située dans les territoires d'outre-mer, le ministère des outre-mer est directement intéressé par les thématiques liées aux grands fonds marins. En ce qui concerne ces derniers, il semble néanmoins cantonné à un rôle d'observateur et, éventuellement, d'accompagnateur des collectivités territoriales concernées.

En effet, celles-ci sont soit compétentes en matière minière (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna 5 ( * ) ) sauf pour les métaux « stratégiques » nécessaires aux activités nucléaires et disposent alors de leur propre code minier, soit, pour les régions ultramarines, soumises au droit national qui leur accorde néanmoins une compétence en matière de délivrance des titres miniers en mer (article L. 611-19 du code minier).

L'accompagnement des collectivités d'outre-mer sur le sujet des grands fonds marins apparaît cependant minimaliste voire inexistant. L'ensemble des collectivités auditionnées par la mission d'information a regretté un manque d'association de l'État ainsi qu' une absence de partage des informations et données dont dispose l'État ( cf . I-B).

De façon significative, le ministère des outre-mer n'a été désigné porteur d'aucun des huit « projets » de la stratégie nationale sur les fonds marins. Le ministre des outre-mer ne faisait pas partie non plus des trois ministres 6 ( * ) ayant lancé le 23 février 2022 le comité ministériel de pilotage de l'objectif « Grands fonds marins » de France 2030. Outre la stratégie nationale, aucune politique spécifique aux grands fonds marins n'a en outre été initiée par ce ministère ;

Ø Le ministère de la mer 7 ( * ) :

Le ministère de la mer est responsable de la planification de l'espace en mer et de la politique des ressources minérales et des substances de mines en mer pour laquelle il est compétent, conjointement avec le ministère de l'économie, des finances et de la relance ainsi que le ministère de la transition écologique.

Plus globalement, le ministère est censé porter la politique maritime française et, pour ce qui est des grands fonds marins, est désigné par le Premier ministre comme coordinateur d'ensemble, aux côtés du Secrétariat général de la mer (SGmer). À ce titre, la Ministre de la mer était chargée de piloter les comités politiques pour mettre en oeuvre la stratégie nationale sur les fonds marins. Ces comités, d'après les informations réunies par la mission d'information, ne se sont cependant jamais réunis.

Le ministère de la mer est en outre le ministère « porteur » de deux des huit projets de la stratégie nationale pour les fonds marins. Il s'agit du projet n° 5 qui prévoit l'élaboration d'une étude pluridisciplinaire destinée à fournir aux autorités publiques une compréhension globale de l'ensemble des enjeux relatifs aux fonds marins et du projet n° 8 qui vise à étudier et échanger sur les expériences en matières de gouvernance et de participation des populations locales réalisées dans les autres pays. Le ministère a confié ces deux projets à l'Institut de recherche et de développement (IRD), pour un coût annoncé de 1,25 million d'euros.

Les auditions réalisées par la mission d'information ont néanmoins mis en exergue un manque manifeste de portage politique de la stratégie nationale, symbolisé par l'absence de comité politique et par la structure administrative du ministère, qui ne prévoyait pas, jusqu'à récemment, de service dédié spécifiquement aux grands fonds marins , malgré l'importance du sujet affichée ces dernières années et l'opportunité que représentait la restructuration administrative du ministère en mars 2022. Lors de son audition par la mission d'information, le 18 janvier 2022, la ministre de la mer a indiqué que ces « questions » seraient traitées par la sous-direction de la planification maritime au sein du service des espaces maritimes et littoraux de la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture. Les ressources humaines consacrées à l'animation de la politique des fonds marins demeurent toutefois très limitées.

En outre, malgré son rôle politique premier, le ministère de la mer semble peu décisionnaire lorsqu'il s'agit des grands fonds marins . À titre d'exemple, le représentant permanent de la France auprès de l'AIFM a indiqué que ce n'était pas auprès du ministère de la mer qu'il prenait ses directives pour définir la position française au sein de l'institution. De façon plus problématique, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fait savoir que le ministère de la mer n'était pas même convié aux réunions d'instruction qui servent à arrêter la position française à l'AIFM. De même, la ministre de la mer a reconnu lors de son audition que son ministère n'est pas compétent pour délivrer les autorisations d'exploration ou, si et lorsque cela sera possible, d'exploitation ;

Ø Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation , en tant que principal ministère de tutelle des organismes publics de recherche, notamment l'IFREMER, est chargé de coordonner la recherche publique française dans le domaine des grands fonds marins. À ce titre, la priorité n° 1 de la stratégie nationale sur les fonds marins, concernant « l'amplification » des actions d'exploration et comportant deux projets (mise en oeuvre d'un programme de recherche et d'amélioration des connaissances sur les grands fonds marins et amplification des travaux d'exploration dans la ZEE française et dans la Zone), lui a été confiée. Le budget prévisionnel initial de ces deux projets était de 155 millions d'euros pour la période 2021-2031.

À ces sept ministères identifiés par la circulaire du Premier ministre n° 6266/SG du 5 mai 2021 s'ajoutent le ministère de la défense , qui a élaboré sa propre stratégie de « maîtrise des grands fonds marins » 8 ( * ) et le Secrétariat général de la mer , placé auprès du Premier ministre et chargé principalement de coordonner l'action de l'État relative aux affaires maritimes.

Au total, l'action de l'État dédiée aux grands fonds marins sous juridiction française est donc confiée, en sus du Secrétariat général de la mer, à huit ministères. Si cette multiplicité des acteurs institutionnels n'est pas un problème per se dans la mesure où elle illustre à première vue la mobilisation des services l'État en faveur d'un enjeu défini comme stratégique, la gouvernance des grands fonds marins français pourrait être mieux agencée afin de gagner en lisibilité et favoriser la coordination des acteurs concernés.

b) La gouvernance des grands fonds marins français gagnerait en efficience et en lisibilité par l'identification d'un ministère de référence

La coordination des ministères concernés par la gouvernance des grands fonds marins est théoriquement partagée entre le SGmer et le ministère de la mer. À cette date, aucun ne semble cependant avoir l'envergure politique et matérielle pour insuffler une dynamique capable de mobiliser pleinement l'ensemble des parties prenantes .

Le SGmer , qui a rédigé la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, semble sous-dimensionné pour assurer une véritable action coordinatrice dans ce domaine. Parmi la trentaine d'agents travaillant en son sein, un chargé de mission, M. Xavier Grison, assure le suivi de la mise en oeuvre de cette stratégie et les questions relatives aux grands fonds marins, tout en étant chargé parallèlement d'autres sujets (notamment le schéma directeur de la fonction garde-côtes).

Il a été indiqué à la mission d'information qu'il n'avait pas été donné suite aux demandes de personnels supplémentaires pour disposer d'une véritable équipe chargée des grands fonds marins. Ces raisons expliquent partiellement les difficultés rencontrées par le SGmer pour mettre en oeuvre la stratégie nationale, pourtant validée par le comité interministériel de la mer du 22 janvier 2021.

Le ministère de la mer , qui dispose de moyens humains plus importants et d'une dimension politique plus prononcée, commence tout juste à s'emparer du sujet et n'a pas saisi l'occasion que représentait l'élaboration d'une stratégie nationale dédiée aux grands fonds marins pour endosser un rôle fédérateur et proactif dans ce domaine. Aucune des personnes auditionnées par la mission d'information n'a identifié spontanément le ministère de la mer comme ministère de référence sur ces sujets.

Une certaine confusion ressort de l'imbrication des compétences entre ces deux entités en matière de coordination , comme l'illustre le pilotage du « plan d'action » appliquant la stratégie nationale sur les grands fonds marins, confié par le Premier ministre au SGmer et au ministère de la mer sans davantage de précisions sur leur rôle effectif.

Par ailleurs, la superposition de comités ayant pourtant des objectifs similaires entrave la clarté de l'action de l'État dédiée aux fonds marins.

Ainsi, les ministères identifiés pour la mise en oeuvre de la stratégie minière pour les fonds marins, et censés participer aux comités politiques afférents, sont les mêmes que ceux qui participent au pilotage du volet « fonds marins » du plan d'investissement France 2030 : il s'agit des ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la mer, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, de l'industrie, des armées, de la transition écologique et des outre-mer. Ce pilotage de l'objectif 10 de France 2030 prend la forme d'un « comité de pilotage ministériel », lancé en février 2022, s'appuyant sur six personnalités qualifiées des mondes industriel, scientifique et maritime 9 ( * ) . Néanmoins, les décisions directrices relatives à la stratégie nationale sur les grands fonds marins et au volet grands fonds marins du plan d'investissement France 2030 ne sont pas prises au sein du comité politique ou du comité de pilotage, mais lors des comités interministériels de la mer (Cimer), le dernier s'étant tenu le 17 mars 2022 et ayant acté les quatre premières missions relatives aux grands fonds marins ( cf . infra ).

Il résulte de cette multiplicité des acteurs et des structures décisionnelles un déficit de lisibilité quant à la coordination de l'action de l'État dans le domaine des grands fonds marins, qui freine les initiatives locales, notamment dans les collectivités d'outre-mer. Ainsi, plusieurs d'entre elles ont fait part à la mission d'information de leur difficulté à « identifier » 10 ( * ) l'interlocuteur adéquat et à savoir « qui fait quoi » 11 ( * ) au sein de l'administration lorsqu'il s'agit des grands fonds marins.

Cet éclatement de la gouvernance entre divers ministères dont aucun ne paraît jouer de véritable rôle fédérateur et divers comités pas toujours coordonnés ne semble pas refléter la dimension hautement stratégique des grands fonds marins, telle qu'énoncée par le Président de la République lors de la présentation du plan d'investissement « France 2030 » en octobre 2021.

Recommandations

1) Nommer un délégué interministériel aux fonds marins, personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue, placée auprès du Premier ministre et chargée de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer par bassin océanique, de la sensibilisation du grand public aux différents enjeux et de la bonne application de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins.

2) Placer le « comité de pilotage » de l'objectif « grands fonds marins » de France 2030 sous la coordination du délégué interministériel et élargir ses compétences à l'ensemble de la Stratégie nationale, issue à la fois de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins du 5 mai 2021 et de l'objectif 10 du plan d'investissement France 2030.

3) Reconstituer un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et renforcer la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture en la dotant d'un service administratif de référence en charge de la politique des fonds marins, clairement identifié et suffisamment doté en ressources humaines.

2. Une stratégie ambitieuse dont la mise en oeuvre doit s'accélérer
a) Une stratégie tridimensionnelle actant la prise de conscience par l'État de l'importance des grands fonds marins

Le Gouvernement a dévoilé lors du Cimer du 24 janvier 2021 une stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins , dont l'application a été précisée par la circulaire du Premier ministre n° 6266/SG du 5 mai 2021. Cette stratégie minière a été suivie en octobre 2021 de l'annonce du plan d'investissement France 2030 , dont le dixième objectif prévoit un investissement de 300 millions d'euros consacré à l'exploration des grands fonds marins. Enfin, en février 2022, le ministère des armées a rendu publique une stratégie de maîtrise des grands fonds , devant permettre à la marine française d'opérer jusqu'à 6 000 mètres de profondeur.

La politique française dédiée aux grands fonds marins comporte donc trois supports, présentés comme indépendants, mais aux objectifs proches et concordants : permettre à la France de connaître et, par conséquent, maîtriser et protéger ses grands fonds marins pour, éventuellement, pouvoir en valoriser les ressources biologiques et minérales .

Bien que ces trois stratégies marquent un tournant indiscutable pour la France, dans le sens d'une récente et forte prise de conscience de l'intérêt géopolitique, environnemental et économique de nos grands fonds marins, l'investissement de la France dans ce domaine est néanmoins ancien, comme en témoignent les travaux de l'IFREMER depuis la fin des années 60 et l'obtention dès 2001 de permis d'exploration auprès de l'AIFM.

La nouveauté des années 2021 - 2022 consiste en l'élaboration de stratégies plus structurées et plus volontaristes , initiées depuis le sommet de l'État 12 ( * ) et couplées à une volonté plus forte de mise en oeuvre à travers l'identification de projets concrets et des besoins de financement évalués en amont.

La nouvelle stratégie minière fait suite à une première stratégie élaborée en 2015, laquelle, de l'avis général des personnes auditionnées par la mission d'information, fût un « échec » malgré le « gros espoir » qu'elle a suscité. Cette stratégie s'apparentait davantage à une « feuille de route » sans réel contenu, ni suivi matériel ou volonté politique, traduisant un « manque de prise de conscience » de la France quant à l'importance des enjeux liés aux grands fonds.

La nouvelle stratégie diffère en définissant cinq priorités 13 ( * ) auxquelles sont attachés huit objectifs concrets avec un calendrier sur dix ans (2021 - 2031), des ministères « porteurs » clairement identifiés et un budget prévisionnel de 310 millions d'euros sur la période.

Ces cinq priorités ont pour objectifs de permettre à la France :

Ø de poursuivre et d'amplifier l'acquisition des connaissances sur les écosystèmes des grands fonds et les ressources minérales sous-marines, tant dans notre ZEE que dans la Zone (priorité I), à travers un programme de recherche et d'amélioration des connaissances sur les grands fonds marins (projet 1) et des chantiers d'action en mer (projet 2) ;

Ø d'amplifier les efforts de protection des fonds marins et de déterminer leur compatibilité avec une éventuelle exploitation, en réalisant une cartographie des espaces à protéger et des espaces ouverts à une éventuelle exploitation « durable » (priorité II) ;

Ø de valoriser les ressources des grands fonds marins en associant la filière industrielle française, en créant un « démonstrateur » oeuvrant en conditions réelles (priorité III) ;

Ø de renforcer les partenariats avec les collectivités d'outre-mer et d'engager une stratégie multipartenaires aux niveaux européen et mondial (priorité IV) ;

Ø d'informer et d'associer les populations locales et toutes les parties prenantes pour toute décision en matière d'exploration ou d'exploitation des grands fonds marins (priorité V).

Le fil directeur de ces cinq priorités repose sur l'idée que la France doit connaître ses grands fonds et leurs ressources vivantes et minérales avant de prendre la moindre décision sur l'opportunité ou non d'autoriser une éventuelle exploitation. Elle doit cependant se tenir prête et rester un acteur international de référence dans le domaine des fonds marins en favorisant l'innovation technique dans ce secteur.

En effet, sans l'autoriser, cette stratégie ne ferme pour autant pas la porte à une potentielle exploitation, comme l'illustre la priorité III qui consiste à doter la France d'un tissu industriel capable à la fois de se positionner sur les marchés ouverts par la quête de connaissances sur les grands fonds, mais aussi de se mobiliser rapidement et de disposer des outils nécessaires en cas de décision en faveur de l'exploitation, que ce soit dans notre propre ZEE, dans la zone internationale ou dans les ZEE de nos partenaires.

À l'exception des associations de protection de l'environnement, lesquelles ont dénoncé « l'ambiguïté » ou « l'imprécision » de la finalité de l'exploration (celle-ci est considérée comme une exploration en vue d'une exploitation et non comme une exploration à visée scientifique), la stratégie nationale a été reçue positivement et a été jugée « ambitieuse » et correctement calibrée par l'ensemble des intervenants que la mission d'information a auditionnés, qu'ils soient institutionnels ou du secteur privé. Le secrétaire général de la mer, lors d'une intervention publique à l'occasion d'un colloque organisé par le Centre d'études stratégiques de la Marine 14 ( * ) , a néanmoins qualifié l'intitulé de la stratégie « d'erreur tactique » car fondé sur les ressources minérales alors qu'il s'agit d'étudier également l'écosystème des grands fonds.

Cette même réserve des associations environnementales s'applique au plan d'investissement France 2030, dont le dixième objectif concerne l'exploration des grands fonds marins. Le comité interministériel de la mer du 17 mars 2022 a défini quatre premières « missions » pour « mieux connaître » les grands fonds marins :

Ø Effectuer une cartographie multi-paramètrique de haute précision des zones concernées par les contrats français de l'AIFM. Cette mission sera l'occasion de mettre au point et de démontrer les capacités d'un drone sous-marin français par grandes profondeurs (mission 1) ;

Ø Surveiller par des planeurs sous-marins à grande profondeur les risques géologiques et sismiques du volcan sous-marin apparu à 3 000 mètres de fond au large de l'île de Mayotte (mission 2) ;

Ø Explorer des zones de grandes profondeurs (6 000 mètres), par drone sous-marin 15 ( * ) avec un large éventail de capteurs (mission 3) ;

Ø Effectuer une investigation détaillée de zones de grandes profondeurs par moyens robotisés pilotés depuis un navire 16 ( * ) , capable de réaliser des prélèvements (mission 4).

b) Une stratégie à concrétiser

S'il est trop tôt pour évaluer l'application du plan France 2030 (annoncé en octobre 2021 et précisé en mars 2022 en ce qui concerne les grands fonds marins) et de la stratégie militaire (annoncée en février 2022), la stratégie minière fait quant à elle l'objet d'une vive inquiétude quant à sa mise en oeuvre effective , à la mise en place des ressources humaines nécessaires ( cf . supra ) et au déblocage des financements arbitrés par le Premier ministre. En outre, sa réelle complémentarité avec le plan France 2030, qui semble empiéter sur la priorité I de la stratégie, est incertaine.

Le financement de la stratégie minière et du dixième objectif du plan d'investissement France 2030 ne paraît ni stabilisé, ni sanctuarisé , tandis que le budget total des deux stratégies a été fortement réduit par rapport aux premiers besoins estimés. Dès les premières auditions de la mission d'information, le SGmer a reconnu que les grands fonds marins ne bénéficieraient pas d'un investissement public total de 600 millions d'euros, comme pourrait le laisser entendre à première vue l'addition des 300 millions d'euros du dixième objectif de France 2030 et des 310 millions d'euros de la stratégie minière.

En effet, une part non négligeable mais imprécise de ces 600 millions d'euros est censée reposer sur les acteurs privés et sur un « cofinancement européen » . Les premiers ont néanmoins reproché à plusieurs reprises au gouvernement un « manque de visibilité » quant aux véritables objectifs de l'État et un déficit d'informations quant aux modalités financières des projets qui freineraient leurs investissements, tandis qu'aucune précision sur les montants envisagés de cofinancement européen n'a été fournie à la mission d'information.

La mission d'information a été alertée sur l'absence de constitution de budgets triennaux (2021 - 2022 - 2023) au sein des ministères, et sur l'existence de « tensions budgétaires » et de « difficultés pour obtenir les financements », rendant tous deux aléatoire la mobilisation de la totalité des crédits validés par le Premier ministre dans sa circulaire du 5 mai 2021, a fortiori dans un contexte de renouvellement des équipes ministérielles.

Selon les informations fournies par les services du SGmer, la stratégie minière n'a pas pu bénéficier du programme d'investissement d'avenir (PIA) 4 et a fait l'objet d'un refus après une candidature aux programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoires (PEPR) de l'Agence nationale de la recherche (ANR), malgré l'arbitrage favorable du Premier ministre.

À l'occasion du Cimer du 17 mars 2022, il a finalement été décidé que les deux projets de la priorité I de la stratégie minière, dont le montant total était estimé à 155 millions d'euros, soit la moitié de cette stratégie, seront intégrés au plan France 2030 , au prix d'une réduction substantielle des crédits alloués à la recherche dans les grands fonds marins .

Selon les informations communiquées à la mission d'information par le Secrétariat général de la mer et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI), le premier projet, relatif au programme de recherche et dont le besoin de financement était évalué à 90 millions d'euros, prendra la forme d'un PEPR financé par les crédits de France 2030, mais seulement à hauteur de 50 millions d'euros, au prix d'un « repérimétrage » (MESRI) et d'une « réduction de son périmètre » (SGmer). Le deuxième projet, évalué à 68 millions d'euros dans la stratégie minière et lié aux deux contrats d'exploration détenus par la France auprès de l'AIFM, correspond désormais à la première mission du dixième objectif de France 2030. Quant à l'objectif énoncé dans la stratégie minière de financer des chantiers en mer dans notre ZEE nationale en sus des permis d'exploration dans la zone internationale, il semble pour le moment avoir été abandonné, l'IFREMER n'ayant connaissance d'aucun projet en la matière.

Ces annonces signifient que les projets de la stratégie minière liés à l'exploration et à la recherche ne sont pas complémentaires de ceux de France 2030, mais se confondent et font l'objet d'un seul financement 17 ( * ) .

En parallèle, le projet de « démonstrateur » 18 ( * ) , fondamental dans la stratégie, ne semble à cette date pas encore initié ni même avoir fait l'objet d'un arbitrage quant à sa localisation éventuelle, bien que le choix du SGmer s'oriente davantage vers la zone internationale, et plus précisément la dorsale médio-atlantique. Le financement du projet, évalué à 150 millions d'euros, constitue un « point dur » au sujet duquel « aucune solution » n'a été « identifiée ». Ce blocage est d'autant plus regrettable que de nombreuses collectivités d'outre-mer ont déclaré à la mission d'information être intéressées par ce projet de démonstrateur, comme la région de La Réunion, la collectivité de Martinique et la collectivité de Saint-Martin. En outre, la ZEE de Clipperton serait richement dotée en nodules polymétalliques. Elle pourrait accueillir dans un premier temps le projet de démonstrateur afin de mieux connaître les fonds marins de cette zone encore très largement inconnue tout en observant les conséquences environnementales d'une simulation d'exploitation, permettant, dans un second temps, des tests dans les ZEE au large des collectivités d'outre-mer habitées et intéressées par le projet de démonstrateur.

Enfin, le projet n° 6, relatif à la mise en place d'une stratégie internationale multipartenaires au niveau européen et dans la zone indopacifique se « heurte » à « l'absence de financements français [et] de financements européens ». En conséquence, le délai de dix-mois assigné par le Premier ministre au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne « sera pas respecté » 19 ( * ) .

Seuls les projets n° 3 (cartographie des espaces à protéger et des espaces ouverts à une éventuellement exploitation durable) et n° 7 (veille sur l'évolution des besoins et des ressources, et capitalisation des informations sur les grands fonds marins) portés par le ministère de la transition écologique, et les projets n° 5 (réalisation d'une étude multidisciplinaire pour une compréhension de l'ensemble des enjeux liés aux grands fonds marins) et n° 8 (réalisation d'une étude comparative sur la gouvernance des fonds marins étrangers et situés dans la zone internationale), portés par le ministère de la mer, ont été pleinement initiés et budgétés , pour un total d'un peu plus de 1,5 million d'euros pour les années 2021 et 2022. Les résultats des projets n° 3, 5 et 8 sont attendus au cours de l'année 2022, tandis que le projet n° 7 relatif à la veille sur les ressources des grands fonds doit durer jusqu'en 2031.

En définitive, l'investissement total pour les grands fonds marins , hors stratégie militaire, est plus proche des 400 millions d'euros - dont 150 millions d'euros en suspens pour le projet de démonstrateur - que des 600 millions d'euros que laissaient entendre les annonces gouvernementales.

Recommandations

4) Relancer la mise en oeuvre de la stratégie publiée le 5 mai 2021, sous l'impulsion du délégué interministériel, dans le cadre de partenariats avec les collectivités compétentes sur les ressources minières conformément à leurs lois statutaires, à l'initiative de ces collectivités, et en déterminant un calendrier de réalisation des 8 projets identifiés, comportant des rapports d'étape réguliers.

5) Clarifier, préciser et sanctuariser les modalités de financement de la Stratégie nationale pour les grands fonds marins afin d'atteindre le montant total annoncé de 600 millions d'euros (hors défense).

6) Concrétiser en cinq ans le projet de démonstrateur afin d'évaluer l'impact environnemental, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins, par exemple sur les nodules polymétalliques de la zone de Clarion-Clipperton. Si les premiers résultats sont concluants, élargir les tests à la ZEE de collectivités d'outre-mer qui y seraient favorables afin de rééquilibrer les investissements déjà importants vers la Zone internationale.

7) À l'issue de ces tests, réunir l'ensemble des parties prenantes (chercheurs, élus, ONG, entreprises...) pour examiner l'opportunité de poursuivre ou non l'objectif d'une exploration en vue d'une exploitation industrielle et en déterminer le cas échéant les conditions techniques, le cadre juridique ainsi que les différentes étapes : à l'issue de chacune de ces étapes, un bilan permettra de décider de poursuivre, ou au contraire de renoncer au processus en fonction des risques identifiés.

3. Un encadrement juridique insuffisant malgré la récente réforme du code minier
a) Le code minier est peu disert en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins

Bien que les grands fonds marins fassent l'objet d'une attention accrue depuis, a minima , la création de l'AIFM en 1994 et l'obtention du premier permis d'exploration par l'IFREMER en 2001, le code minier se démarque par une certaine pauvreté concernant le régime juridique encadrant leur exploration tout comme leur exploitation .

À plusieurs reprises au cours des auditions que la mission d'information a menées, les fonds marins français ont été qualifiés de « vide juridique », aussi bien par des entreprises ou groupements d'entreprises du secteur maritime et minier que par des associations de défense de l'environnement. Toutes ont plaidé pour une « sécurisation juridique » afin que les règles soient clairement définies pour tous les acteurs concernés et que les exigences environnementales prennent en compte explicitement les spécificités des grands fonds marins, en dissociant les ressources minérales des hydrocarbures.

La récente réforme du code minier constitue à ce titre une occasion manquée de clarifier un régime juridique largement lacunaire.

Alors que le code minier était unanimement considéré comme vieillissant, sa dernière réforme d'ampleur datant de 1994 20 ( * ) , et qu'un projet de réforme était annoncé depuis le début des années 2010, le principe d'une actualisation du code minier a été finalement voté à l'article 81 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, notamment pour préciser « le cadre juridique s'appliquant à la recherche et à l'exploitation des granulats marins et substances de mines dans les fonds marins du domaine public, notamment pour garantir un haut niveau de protection des écosystèmes marins et en assurer une meilleure connaissance scientifique ».

Conformément à cette habilitation, le Gouvernement a publié en avril 2022 quatre ordonnances 21 ( * ) modifiant le régime juridique de l'exploitation minière. Les modifications concernant l'exploration et l'exploitation des fonds marins sont cependant marginales et maintiennent les activités de recherche et d'éventuelle exploitation des fonds marins dans un environnement juridique imprécis.

Si les articles L. 123-1 à L. 123-15 du code minier traitent de la recherche de gisements miniers en mer et les articles L. 133-1 à L. 133-13-2 de l'exploitation de gisements miniers en mer , ces deux séries d'articles renvoient lapidairement au régime « applicable [...] aux substances de mines 22 ( * ) » (articles L. 123-1, L. 133-1-1, L. 133-6), sans adaptation significative relative aux spécificités de l'environnement sous-marin. Les quelques précisions présentes concernent davantage les hydrocarbures (articles L. 123-2-1 et L. 133-2-1) que les substances minérales ou s'attachent à définir le régime applicable aux substances de carrière et aux substances de mines des fonds marins du domaine public maritime (articles L. 133-5 à L. 133-13-2), c'est-à-dire situés jusqu'à 12 miles de la côte, ce qui exclut donc les grands fonds marins.

Catégorisation juridique des différentes zones composant l'espace maritime français - Source de l'infographie : atelier de cartographie de Sciences Po Paris

La section 2 du chapitre III du titre III du livre I er du code minier, relative à l'exploitation des substances minérales ou fossiles sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive ne comprend que 5 articles (articles L. 133-1-1 à L. 133-4) à portée générale, à l'exception de l'article L. 133-2-1, spécifique aux hydrocarbures. Aucun ne traite en particulier des ressources minérales des grands fonds.

De façon plus problématique puisque, contrairement à l'exploitation, des activités d'exploration ont déjà eu lieu, la même concision caractérise la section 1 du chapitre III du titre II du livre I er du même code, relative à la recherche de toute substance minérale ou fossile sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive, qui ne comprend elle aussi que 5 articles à portée générale (articles L. 123-1 à L. 123-4).

Ces dispositions sont complétées par le livre VI du code minier, qui octroie la compétence de la délivrance des titres miniers en mer aux régions d'outre-mer, « à l'exception des minerais ou produits utiles à l'énergie atomique » (article L. 611-19), eux-mêmes définis par les décrets n° n°56-992 et n° 56-993 du 28 septembre 1956. Ces substances sont l'uranium, le lithium, le thorium, l'hélium et le béryllium.

La répartition des compétences entre l'État et les collectivités d'outre-mer en matière de ressources minérales

Contrairement aux régions d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie-française et, dans une moindre mesure, Wallis-et-Futuna 23 ( * ) disposent de la compétence minière : le code minier national n'y est donc pas applicable.

S'agissant de la Nouvelle-Calédonie , le titre VIII du livre VI du code minier ainsi que le 7° du I de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie disposent que l'État est compétent pour réglementer les « matières mentionnées au 1° de l'article 19 du décret n° 54-1110 du 13 novembre 1954 portant réforme du régime des substances minérales dans les territoires d'outre-mer ». Ce décret fait référence aux « substances utiles aux recherches et réalisations concernant l'énergie atomique », mais renvoie à un second décret pour la définition de ces substances (il s'agit du décret n° 56-992 précité).

Concernant la Polynésie française , le 4° de l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française et le titre VII du livre VI du code minier disposent tous deux que l'État reste compétent pour « les matières premières stratégiques telles qu'elles sont définies pour l'ensemble du territoire de la République, à l'exception des hydrocarbures liquides ou gazeux ». Il s'agit donc d'une définition moins précise que « les substances concernant l'énergie atomiques » mentionnées pour la Nouvelle-Calédonie. La décision du 14 avril 1959 fixant la liste initiale des matières premières stratégiques précise en ricochet que ces matières premières stratégiques sont « les minerais ou produits utiles aux recherches ou réalisations applicables à l'énergie atomique », ces derniers étant eux-mêmes définis par le décret n° 56-992 précité.

Trois observations découlent de ces éléments juridiques.

En premier lieu, force est de constater la forte illisibilité de la répartition des compétences en matière de minerais stratégiques, en raison de renvois multiples à des textes anciens.

En second lieu, la différenciation entre la Nouvelle-Calédonie (non compétente pour « les substances utiles [...] à l'énergie atomique ») et la Polynésie française (non compétente pour les « matières premières stratégiques ») est une différenciation de façade, qui semble obsolète dans la mesure où ces deux régimes juridiques renvoient dans les faits à un même type de substances. Ces textes ne traitent pas du cas des terres rares , l'État n'étant compétent, pour ces deux collectivités, que pour les substances utiles à l'énergie atomique.

En troisième lieu, la liste des « matières premières stratégiques » et « des substances utiles [...] à l'énergie atomique » résultant de décrets, la compétence de l'État est évolutive , ce que reconnaît l'article 3 de la décision du 14 avril 1959 fixant les principes généraux des matières premières stratégiques, qui dispose que « la liste des matières premières stratégiques et la réglementation applicable à ces matières sont établies et révisées en fonction de la conjoncture internationale et de l'évolution de la technique ».

Rien toutefois, dans les auditions de la mission d'information, ne laisse à penser que le gouvernement souhaiterait modifier la répartition des compétences inscrite dans le droit de longue date.

Concernant l'exploitation des ressources minérales des grands fonds, la principale modification apportée par la récente réforme du code minier repose dans la suppression des permis d'exploitation au profit d'une généralisation des autorisations d'exploitation , dont le périmètre est dorénavant étendu à la ZEE et au plateau continental, par le biais de l'abrogation de l'ancien article L. 611-2 ainsi que des anciens articles L. 611-17 à L. 611-28 du code minier. La principale différence entre ces deux régimes d'exploitation résidait dans la création, pour le permis d'exploitation, d'un droit immobilier non susceptible d'hypothèque. L'article L. 611-2 du code minier, dans sa rédaction antérieure aux ordonnances du 13 avril 2022, opérait une distinction entre les fonds marins du domaine public, dans lesquels ne pouvaient être accordés que des permis d'exploitation, et le plateau continental ou la ZEE, dans lesquels seules des autorisations d'exploitation pouvaient être octroyées.

Dans la même logique de suppression des droits immobiliers, un nouvel article L. 133-1 A a été ajouté au chapitre III du titre II du livre I er du code minier, relatif à l'exploitation en mer, pour préciser que « lorsque la concession porte sur le domaine public maritime, le plateau continental ou la zone économique exclusive, elle ne confère qu'un droit exclusif d'exploitation des ressources », sans droit de propriété des substances du sous-sol.

Quant aux exigences environnementales, elles sont globalement alignées sur les mines terrestres et prennent peu en compte les spécificités des fonds marins. À titre d'exemple, aucune disposition ne fait référence au problème du panache de sédiments pouvant fragiliser l'environnement marin lors des activités d'exploration et, a fortiori , d'exploitation. De même, aucune disposition n'encadre le régime de responsabilité des véhicules autonomes ou semi-autonomes opérant dans les grands fonds marins. Or, des accidents sont possibles, comme l'a illustré le décrochage du robot Patania II de la compagnie belge GSR lors d'essais en mer en avril 2021.

La récente réforme du droit minier a néanmoins unifié les exigences environnementales encadrant les activités humaines dans les grands fonds marins, sans pour autant les préciser . L'article L. 181-1 du code de l'environnement est modifié afin de faire relever les travaux de recherche et d'exploitation des substances de mines contenues dans les fonds marins du domaine public, sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive du régime de l'autorisation environnementale et des sanctions administratives qui lui sont applicables . L'autorisation environnementale est une procédure unique d'autorisation permettant, dans un souci de simplification et de meilleure lisibilité, de regrouper, pour un même projet, plusieurs procédures issues de divers champs environnementaux (eau, risques, énergie, paysage, biodiversité, déchets, etc.). Cependant, le nouvel article L. 181-28-5 du code de l'environnement introduit la réalisation d'une « étude de dangers » 24 ( * ) telle que définie à l'article L. 181-25 du même code avant toute demande d'exploration ou d'exploitation.

Le régime juridique encadrant l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins est donc peu défini et insuffisamment distinct du droit minier terrestre.

Recommandation

8) Combler le vide juridique partiel entourant l'exploration et l'exploitation éventuelle des grands fonds marins en :

- distinguant davantage le cadre juridique relatif aux hydrocarbures et celui des substances minérales ;

- adoptant des normes environnementales propres aux grands fonds marins qui permettraient de définir un régime de responsabilité en cas d'anomalies ou de manquements ;

- prévoyant la réalisation d'études d'impact préalablement à tout projet d'extraction ;

- aménageant un cadre normatif et financier attractif distinct de l'exploration et la prospection pétrolières (et inexistant à cette date) pour inciter les acteurs privés à participer aux efforts d'exploration de nos grands fonds marins.

b) Une indétermination juridique pouvant justifier l'exploitation des ressources minérales

Cette imprécision d'ensemble pourrait justifier l'exploitation minière des grands fonds marins. Bien que l'exploitation minière ne soit pas autorisée par le Gouvernement, le code minier donne en effet une base juridique à une potentielle exploitation, du moins dans les zones dans lesquelles il s'applique 25 ( * ) . En effet, aucune disposition du code minier n'interdit formellement l'exploitation des ressources minérales des fonds marins de la ZEE et du plateau continental étendu.

Au contraire, l'article L. 133-1-1 du code minier dispose sobrement que « l'exploitation [...] de l'ensemble des substances minérales ou fossiles contenues dans le sous-sol du plateau continental, [...] dans le fond de la mer et le sous-sol de la zone économique exclusive [...], ou existant à leur surface, [est] soumis au régime applicable en vertu du présent livre aux substances de mine. »

S'il est donc considéré pour l'heure que l'exploitation minière des grands fonds marins est interdite 26 ( * ) , ce n'est pas en raison d'un fondement juridique explicite mais sur la base d'une politique assumée consistant à ne pas répondre favorablement aux éventuelles demandes d'exploitation.

À ce titre, le Gouvernement n'aurait pas nécessairement besoin de modifier le code minier en cas de changement de politique concernant l'exploitation minière des grands fonds marins.

Recommandation

9) Conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière des grands fonds marins à une réécriture par voie législative (et non par ordonnances) du chapitre III du titre II du livre Ier du code minier, relatif à l'exploitation en mer, pour en clarifier les modalités techniques, financières et fiscales et les retombées pour les populations locales, à l'issue d'un débat parlementaire transparent ayant préalablement associé les collectivités d'outre-mer.

B. UNE ASSOCIATION INSUFFISANTE DES TERRITOIRES ULTRAMARINS

1. Un processus mal engagé
a) Une évidence oubliée : les outre-mer sont au coeur des enjeux

Grâce à ses outre-mer, la France possède le deuxième espace maritime au monde et abrite 10 % de la diversité des espèces connues.

Couvrant au total près de 11 millions de km², la ZEE française est principalement située en Polynésie (44 %) , autour des terres australes et antarctiques française (20 %), en Nouvelle-Calédonie (13 %) et dans l'ouest de l'océan Indien (10 %). La France métropolitaine ne représente que 3 % de cette ZEE .

Le milieu marin ultramarin abrite une richesse exceptionnelle, notamment par la présence de 55 000 km² de récifs coralliens et lagons, 10 % des écosystèmes récifo-lagonaires de la planète et 20% des atolls du monde.

La question de l'exploration des fonds marins dans la ZEE française, en vue d'une éventuelle exploitation des ressources minérales est de facto une question exclusivement ultramarine. Aucun des interlocuteurs de la mission n'a évoqué la présence d'éventuelles ressources autour de l'Hexagone, où les enjeux sont autres (notamment la protection des câbles sous-marins et des bâtiments de la marine, en particulier les sous-marins nucléaires).

Les principaux acquis de la recherche concernent en effet la présence de minéralisations hydrothermales et d'encroûtements cobaltifères dans la ZEE du Pacifique. Ces ressources ont été identifiées mais des campagnes d'exploration supplémentaires seraient nécessaires pour évaluer leur exploitabilité et leur intérêt économique qui est très incertain. Le potentiel des bassins atlantique et de l'océan indien est moins bien connu encore que celui du Pacifique. Certaines zones volcaniques sont jugées prometteuses, mais leur potentiel n'en a pas été vérifié ni quantifié.

Pour mémoire, d'après les travaux réalisés par l'Ifremer, si les richesses géologiques de nos fonds marins ont été peu explorées, il existe néanmoins quelques certitudes, ou de fortes présomptions concernant la présence de minéraux dans notre ZEE outre-mer :

- S'agissant des minéralisations hydrothermales (associées à des volcans actifs ou récents) : la zone jugée la plus favorable est située autour de l'île de Futuna. Une dorsale volcanique y a été identifiée lors des campagnes d'exploration menées au début des années 2010. C'est dans cette zone qu'ont été découverts les premiers champs hydrothermaux de la ZEE française. Les îles de Saint-Paul et Amsterdam (TAAF), les îles de Hunter et Matthews (Nouvelle-Calédonie), et les Antilles disposent d'un potentiel à explorer.

- L'existence d'encroûtements cobaltifères (associés à des volcans anciens et atolls immergés) est attestée en Polynésie française, notamment sur les reliefs sous-marins du plateau des Tuamotu qui contiennent des encroûtements parmi les plus concentrés en cobalt connus sur le plancher océanique au niveau mondial. Outre la Polynésie française, les îles Kerguelen, Mayotte et les îles Éparses possèdent un environnement favorable à ce type de formation géologique.

- La présence de nodules à de grandes profondeurs est également attestée : des nodules enrichis en cobalt sont connus à l'ouest de la Polynésie et des nodules polymétalliques ont été trouvés au nord de l'île de Clipperton. À ce stade toutefois, les concentrations en métaux ne paraissent pas suffisantes pour constituer des réserves économiques.

Chacun de ces milieux est associé à une riche biodiversité (voir ci-après, II.A)

D'un point de vue juridique, hors minerais ou produits utiles à l'énergie atomique, les collectivités d'outre-mer sont compétentes en matière de droit minier, tandis que les régions d'outre-mer le sont pour la délivrance des titres miniers en mer . Par conséquent, rien ne pourra se faire sans un consensus politique et sociétal dans les territoires concernés. Ce sont ces territoires qui ont vocation à porter et à mettre en oeuvre les projets, avec l'aide de l'État.

Il convient de privilégier le développement de projets dont l'initiative viendrait des territoires dans leurs domaines de compétence . Tenter d'y mettre en oeuvre des plans préétablis à Paris ne peut déboucher que sur un échec.

b) Le « précédent » de Wallis-et-Futuna montre qu'une co-construction est nécessaire

Les campagnes d'exploration menées à Wallis-et-Futuna et leurs suites ont illustré les conséquences de l'absence d'une gouvernance participative des projets suffisamment en amont , comme l'ont souligné un grand nombre de personnes auditionnées par la mission d'information.

Le « précédent » de Wallis et Futuna est considéré par tous comme un échec majeur, causé par un manque d'anticipation des réactions suscitées par la perspective de l'exploration des ressources des fonds marins, en vue de leur exploitation éventuelle. Plus fondamentalement, cet échec a révélé une compréhension insuffisante des réalités économiques, sociales et culturelles des îles du Pacifique .

Une première campagne d'exploration a été menée à Wallis-et-Futuna en 2010 afin de rechercher des sites hydrothermaux et d'en étudier la biodiversité, dans le cadre d'un partenariat associant plusieurs établissements publics (Ifremer, BRGM, agence des aires marines protégées) à des acteurs privés (Technip, Eramet et Areva). Cette campagne a été très riche d'enseignements puisqu'elle a permis de découvrir la dorsale volcanique précédemment évoquée, notamment le volcan sous-marin de Kulo Lasi, et de localiser plusieurs dépôts hydrothermaux. Jugée très prometteuse, elle a été suivie de deux autres campagnes (2011, 2012) puis d'un projet de réforme du code minier applicable à Wallis-et-Futuna (2014), en vue d'accorder d'éventuels permis d'exploration.

La campagne de 2010 a toutefois été engagée à l'initiative de l'État et de ses partenaires, sans consultation préalable de la population locale et des chefs coutumiers.

Le projet nécessitait une réforme du code minier applicable à l'archipel, considérée par l'État comme un simple ajustement technique à réaliser pour pouvoir poursuivre les recherches entamées sur le potentiel de la zone. Cette péripétie juridique a toutefois conduit à un blocage de l'ensemble du processus , après que l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna eut émis un avis réservé et exprimé le souhait d'être pleinement associée aux projets d'exploration des richesses minières sous-marines.

En 2016, l'Assemblée territoriale a demandé une mission d'expertise afin d'examiner la question des ressources minérales profondes dans sa globalité. Une mission de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) a par conséquent été envoyée sur place, en 2018. Une présentation à la société civile a eu lieu. Mais cette mission n'a pas pu se poursuivre , en raison de l'opposition de la population et des chefs coutumiers de Wallis-et-Futuna, en particulier en raison de la réaction défavorable de la chefferie de Futuna à une éventuelle exploitation des fonds à proximité du volcan de Kulo Lasi en raison des incertitudes sur les impacts d'une telle opération en termes de pollution et de recul de la biodiversité.

Les causes de cet échec sont multiples. Aux représentations culturelles, plaçant « sous le signe du sacré la mer, le ciel et la terre conçus comme un tout indivisible », viennent s'ajouter des représentations mémorielles, résumées dans un slogan, opposé en 2018 aux chercheurs de l'IRD : « Nous ne voulons pas être détruits comme Moruroa-Nauru », faisant évidemment référence d'une part, au désastre économique et environnemental causé à Nauru par la fin de l'exploitation du phosphate, et, d'autre part, aux mensonges passés de l'État quant aux effets sanitaires et environnementaux des essais nucléaires réalisés pendant trente ans en Polynésie 27 ( * ) .

L'incompréhension profonde qui s'est installée a ensuite empêché toute avancée des travaux d'exploration. En 2019, l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a émis un voeu relatif à la protection et la gestion durable de la zone maritime, formant le projet d'une « Déclaration sur l'Océan ». Par cette déclaration, la collectivité souhaite plaider, d'une part, pour un moratoire de 50 ans sur l'exploitation des ressources minérales profondes et, d'autre part, pour l'intégration de son espace maritime dans des stratégies de développement durable semblables à celles qui se développent ailleurs dans le Pacifique, par exemple avec la mise en place du parc naturel de la mer de corail en Nouvelle-Calédonie.

Lors de la table ronde organisée par la mission d'information le 3 mai 2022, M. Munipoese Muliakaaka, président de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, a confirmé cette position : « Les campagnes d'exploration, dans l'optique d'une exploitation future de nos fonds marins, suscitent des avis très réservés dans nos territoires, notamment de la part de nos chefferies. Nous souhaitons établir un moratoire de cinquante ans sur l'exploitation de nos fonds marins. Notre population demande à être associée à toutes les démarches et à devenir partie prenante des débats. Il s'agit de trouver des compromis avant toute décision. »

Les principales craintes demeurent d'ordre environnemental , étant donné le lien indissoluble des habitants des îles avec la terre et l'océan : « Nos océans sont notre mère nourricière : le fait de vouloir concilier l'exploration et l'exploitation des fonds marins, tout en respectant l'océan comme source de vie pour nos populations nous paraît quelque peu contradictoire sur un plan culturel ».

L'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a par ailleurs indiqué par écrit à la mission qu'une réflexion était en cours sur l'opportunité de protéger le milieu maritime dans le cadre d'une aire marine gérée . L'objectif est de rejoindre le mouvement en cours dans le Pacifique depuis la création par l'Australie dans les années 1980 du Parc marin de la Grande barrière de corail ou encore la création en Nouvelle-Zélande de 44 aires protégées depuis 1971. Des coopérations régionales sont envisagées notamment avec Fidji et Tuvalu. Le territoire se verrait bien constituer un « parc marin d'importance écologique et biologique » constituée des trois ZEE sud de Tuvalu / Wallis-et-Futuna / nord du plateau des Fidji » d'une superficie totale de 325 000 km 2 .

Mme Sandrine Ugatai et M. Paino Vainai, conseillers de cette même assemblée territoriale, ont regretté, pour leur part, lors de cette table ronde, le manque d'information de la population et des élus sur les résultats des travaux menés par l'Ifremer et par l'IRD dans l'espace maritime de l'archipel.

L'interruption des travaux d'exploration menés à Wallis et Futuna a eu des conséquences sur l'ensemble de la stratégie poursuivie par la France dans le domaine des grands fonds marins. C'est l'une des raisons de l'échec de la stratégie issue du Cimer d'octobre 2015, dont l'une des priorités était la recherche d'amas sulfurés dans l'archipel.

Suite à cette déconvenue, une démobilisation des acteurs privés , qui s'étaient fortement impliqués, est logique et compréhensible. L'acceptabilité sociale se révèle désormais un facteur déterminant dans la viabilité de projets dont la visibilité sur les plans économique, juridique, technologique était déjà problématique.

Au même moment, dans un contexte distinct et pour des raisons complètement différentes, un autre projet très attendu s'est également conclu sur un échec : celui de l'entreprise canadienne Nautilus minerals en Papouasie Nouvelle-Guinée, qui devait être la première mine exploitée en eau profonde au niveau mondial (Solwara-1) avant que l'entreprise ne fasse faillite.

Au-delà des risques propres au secteur des grands fonds marins, des entreprises craignent, plus largement, les répercussions en termes d'image sur l'ensemble de leurs activités et sur les métiers de la mine en général , ce qui les incite à la plus grande prudence. Lors de son audition par la mission d'information, le représentant de la société Eramet a ainsi estimé qu' « il ne faudrait pas renforcer encore la méfiance des communautés locales ou celle du consommateur final à l'égard de nos métiers. Je crains que le développement de nouvelles activités minières, dont l'impact environnemental est encore flou, ne nuise à la mise en place de l'amont minier essentiel pour tenir notre trajectoire de lutte contre le réchauffement climatique. »

Dès lors, une très forte implication des pouvoirs publics - collectivités et État - sera nécessaire pour relancer une démarche d'exploration conçue comme très risquée , tant financièrement à court terme, que pour l'image et l'avenir même de l'activité minière à long terme.

2. Une nécessaire révolution copernicienne
a) Des enseignements qui tardent à être tirés

Le rapport de M. Jean-Louis Levet analyse les raisons de l'échec de la stratégie de 2015, en revenant notamment sur les causes et les conséquences du fiasco de la mission de l'IRD à Wallis-et-Futuna. Il en déduit fort justement la nécessité de construire un dispositif de gouvernance participatif dès l'amont des projets.

La stratégie nationale issue de ce rapport, et formulée dans la circulaire du 5 mai 2021, intègre ces enseignements :

- C'est l'objet, en premier lieu, de la priorité IV : « Renforcer le partenariat avec les collectivités d'outre-mer en particulier dans le Pacifique et engager une stratégie multipartenaires aux niveaux européen et mondial ».

La formulation de cette priorité est toutefois très imparfaite :

Ø D'une part, était-il opportun de lier « partenariat outre-mer » et « coopération internationale » ? Si le partenariat avec les élus doit être renforcé, c'est dans la conception et la construction même des projets, et non au titre d'une obligation de coopération.

Ø D'autre part, fallait-il ne mentionner qu'une partie des territoires d'outre-mer (« les collectivités d'outre-mer en particulier dans le Pacifique ») ? Les auditions de la mission ont montré que tous les territoires ultramarins souhaitaient être mieux informés et davantage associés à cette question qui est l'un des volets de la politique française des océans.

- En second lieu, la priorité V invite à « travailler à la future et indispensable information des populations et des décideurs sur les ressources de l'océan profond, leur utilisation durable au service d'une prospérité commune, ainsi qu'à l'implication de toutes les parties prenantes dans les choix éventuels en matière d'exploration ou/et d'exploitation responsable des grands fonds marins . ».

On ne peut qu'approuver cet objectif, tout en remarquant :

- que le groupe de travail qui a élaboré la stratégie ne comprenait aucun représentant des territoires ultramarins et n'en a auditionné qu'un très petit nombre ;

- que le rapport de M. Jean-Louis Levet n'a pas été publié dans son intégralité , au risque de nourrir le soupçon de la part des acteurs locaux et ONG (que nous cache-t-on ?) alors même que rien dans ce rapport ne justifie qu'il soit gardé secret ;

- et, enfin, qu'à notre connaissance, la stratégie n'a pas été présentée aux collectivités concernées, ni en amont ni en aval de sa publication .

b) Des collectivités qui demandent à être mieux associées et mieux informées

Lors des tables rondes organisées par la mission avec des représentants des collectivités ultramarines 28 ( * ) , et dans leurs contributions écrites, le manque de transparence de l'État sur le sujet des grands fonds marins a été souligné à de multiples reprises :

- « Les éléments que vous nous avez transmis sont les premiers à évoquer cette stratégie relative aux grands fonds marins » (M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre et Miquelon) ;

- « Nous sommes très heureux de pouvoir être associés à ces stratégies nationales. Il est assez rare que nous disposions d'informations en amont. La question des concertations est essentielle » (M. Frédéric Blanchard, directeur biodiversité au sein de la collectivité territoriale de Guyane) ;

- « Concernant la participation à l'élaboration de la stratégie nationale, la collectivité de Saint-Martin n'a jamais été associée » (Mme Annick Pétrus, sénatrice de Saint-Martin) ;

- « La stratégie nationale n'a pas fait l'objet d'une consultation au niveau du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous l'avons découverte lorsqu'elle a été publiée, ce qui est regrettable » (M. Joseph Manaute, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie). S'agissant du projet d'observatoire franco-japonais 29 ( * ) , le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a indiqué à la mission : « La Nouvelle-Calédonie est toutefois très réservée sur ce projet auquel elle n'a pas du tout été associée, alors qu'elle jouit, en matière de relations extérieures, de compétences très élargies » ;

- « Dans le cadre de la stratégie nationale, l'assemblée territoriale de Wallis et Futuna n'a pas été consultée (...). Nous n'avons manifestement pas été considérés comme étant à la hauteur de ces enjeux industriels » (Mme Sandrine Ugatai, conseillère de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna).

- « J'estime que nos territoires doivent être associés à cette stratégie. Il est anormal que nous ayons découvert la stratégie de protection des récifs coralliens de l'État au moment même où le Président de la République l'a dévoilée à Marseille, et ce alors même que 98 % des récifs coralliens se trouvent en outre-mer. Sur ces sujets, nos territoires disposent de compétences qu'il convient de ne pas ignorer » (M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française).

- Dans ce contexte, un moratoire est envisagé en Nouvelle-Calédonie. Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, M. Louis Mapou, s'est exprimé en ce sens, de même que le comité consultatif de l'environnement du Congrès. Un avant-projet de loi du pays a été rédigé, prévoyant de borner ce moratoire dans le temps et permettant la poursuite d'activités de recherche scientifique selon des méthodes non destructives. Ce moratoire en projet est considéré comme le moyen « de reprendre les discussions sur le fondement d'une méthode de travail reposant sur une concertation dès l'amont » (M. Joseph Manaute).

Il est ainsi regrettable que les collectivités n'aient été ni associées ni même informées, en amont ou en aval , à l'élaboration d'une stratégie qui les concerne au premier chef, alors même que l'expérience passée avait mis en évidence la sensibilité de cette question de la concertation. Comme l'a indiqué par écrit l'une des collectivités consultées, le sentiment général est que « l'élaboration de cette stratégie nationale s'est faite en vase clos, au sein des services de l'État ». Ceci est d'autant plus absurde que les collectivités d'outre-mer disposent de la compétence minière et que rien ne pourra se faire sans elles dans la ZEE.

Les représentants des collectivités regrettent par ailleurs, plus généralement, un manque d'information sur les données disponibles , soit parce que ces données n'existent pas, soit parce qu'elles ne leur seraient pas toujours transmises. La connaissance de l'environnement marin est jugée très insuffisante, les grands fonds ne constituant qu'un aspect de la question.

Les collectivités souhaitent mieux connaître leur environnement maritime et en particulier leurs grands fonds marins , préalablement à tout questionnement sur l'exploration ou l'exploitation de leurs richesses minières éventuelles :

- « Nous ne disposons d'aucune donnée sur les ressources disponibles au large de nos côtes » (M. Roger Alain Aron, vice-président de l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane) ;

- « Nous disposons d'un relevé cartographique bathymétrique datant de 2020. Cependant, ce relevé ne dit rien sur la nature des sols ; malheureusement, il ne couvre pas l'ensemble de la ZEE et s'étend seulement jusqu'à 50 mètres du rivage. » (Mme Annick Pétrus, sénatrice de Saint-Martin) ;

- « L'Ifremer, qui est basé à la Martinique depuis des décennies, effectue un travail important, mais cela concerne essentiellement les ressources biologiques, et très peu la flore ; il n'y a pas de recherche sur la minéralogie » (Mme Patricia Telle, vice-présidente de la collectivité territoriale de Martinique) ;

- « De nombreuses études ont été réalisées à Mayotte sur les fonds marins, mais nous n'y sommes pas toujours associés. Pourtant, nous avons besoin d'accéder à ces données afin de pouvoir construire un avenir pour notre île et protéger notre environnement, ce qui passe par une meilleure connaissance de nos fonds marins. [...] L'apparition du volcan, voilà quelques années, a fait naître le besoin d'une meilleure information dans la population locale. » (Mme Zaminou Ahamadi, conseillère départementale de Mayotte). S'agissant du volcan, « le problème, c'est le manque d'information des Mahorais, notamment des élus de la collectivité. C'est devenu une affaire de scientifiques, qui communiquent parfois à travers les médias. S'agissant d'une telle menace, les élus devraient être plus étroitement associés » (M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte).

- « C'est l'État qui dispose de l'ensemble de l'information et qui la monopolise (...). Il reste que l'information est tellement technique qu'elle nécessite d'être interprétée si l'on veut que les populations la comprennent vraiment. » (Mme Sandrine Ugatai, conseillère de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna).

- « Nous souhaitons qu'un rapport synthétique sur l'intérêt qu'il y aurait à explorer et à exploiter ces minéraux [...] soit présenté à nos institutions respectives » (M. Gaston Tong Sang, président de l'Assemblée de la Polynésie française).

- La Nouvelle-Calédonie a été associée à un inventaire des ressources marines des grands fonds principalement entre 1991 et 2014 au travers du programme Zoneco. Les connaissances demeurent toutefois insuffisantes : « Seule 30 % de la bathymétrie de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie est connue. Pour ne prendre que cet exemple, seuls deux nodules polymétalliques y ont été analysés à ce jour » (M. Joseph Manauté, membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie). Dans sa contribution écrite, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie précise par ailleurs que 104 échantillons d'encroûtements ferro-manganésifères ont été étudiés entre 2019 et 2022 (soit seulement un échantillon pour 15 000 km 2 ). Un moratoire est souhaité pour avoir le temps de faire la synthèse des connaissances existantes et d'identifier les champs de connaissance qui doivent être approfondis.

- « Il faut faire avancer l'acquisition de la connaissance ainsi que la cartographie bathymétrique pour le contexte géologique et biologique [...]. Soyons ambitieux et proposons à la Nation que nos bassins océaniques respectifs - wallisiens, futuniens, calédoniens et polynésiens - deviennent les premiers bassins de recherche pour la maîtrise de la connaissance océanique, tant au niveau national qu'au niveau européen. Il faut aussi attirer le privé dans notre stratégie » (M. Tearii Alpha, ministre de l'agriculture et du foncier du gouvernement de la Polynésie française).

La connaissance de leurs grands fonds marins constitue un levier essentiel pour les territoires ultramarins, d'un point de vue géopolitique, économique mais aussi social et éducatif :

- La dimension géopolitique est importante : « Si nous avions une meilleure connaissance de nos grands fonds marins et de leurs richesses durables possiblement exploitables, nous disposerions ainsi de leviers géopolitiques pour négocier avec le Canada sur les enjeux de développement économique » (M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre et Miquelon). Dans l'océan Indien, « les deux plus gros compétiteurs auxquels nous sommes confrontés sont la Chine et la Russie. La Chine a énormément investi en Afrique en finançant des infrastructures, en contrepartie d'un accès privilégié aux ressources minières, alimentaires et forestières de ces pays [...]. Madagascar, qui dispose d'importantes ressources minières, a signé en janvier un accord de coopération militaire avec la Russie. Il est vraiment fondamental de prendre en considération la protection de notre ZEE face à ces prédateurs » (M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de la Réunion). Dans le Pacifique, « sur l'exemple des îles Cook, la Polynésie française, Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie ne pourraient-ils pas être les porte-parole d'une politique française commune avec nos voisins du Pacifique ? À défaut, c'est la Chine, l'Inde ou l'Australie qui prendra les devants » (M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française). Par ailleurs, la question de la sécurité des câbles sous-marins est également un sujet de préoccupation notamment pour les collectivités qui ne sont reliées aux communications du reste du monde que par un seul et unique câble (Saint-Pierre et Miquelon, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna).

- La dimension économique, c'est-à-dire la nécessité de trouver des leviers de développement endogènes pour les territoires a également été évoquée à plusieurs reprises : bénéficier d'un retour économique pour les territoires nécessite de « favoriser une participation des acteurs économiques locaux au capital des structures concernées » par d'éventuels projets dans les grands fonds, (M. Ferdy Louisy, président de la commission eau du conseil départemental de Guadeloupe). À ce titre, un renforcement des implantations de l'Ifremer outre-mer est généralement souhaité. L'implantation récente de filiales de sociétés de services spécialisées , telles qu'Abyssa, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, pourrait permettre de poursuivre l'inventaire du patrimoine sous-marin en s'appuyant sur un écosystème de compétences locales étoffées. Les acteurs économiques doivent toutefois prendre leur essor grâce à des commandes publiques permettant de consolider leur modèle économique .

- Il s'agit également de renforcer les compétences locales , grâce à la présence de structures de formation adaptées : « il n'y a pas ici d'université des grands fonds marins. Je ne trouverais pas aberrant d'avoir une dizaine de spécialistes sur les fonds marins chez nous : cela créerait en outre des perspectives pour nos jeunes » (M. Frédéric Blanchard, directeur biodiversité au sein de la collectivité territoriale de Guyane). « Je suis pour une université des fonds marins » (M. Ferdy Louisy). « Nous devons créer des chaires internationales dans les universités et demander à ce que nos bassins deviennent des bassins d'application et de référence de l'innovation pour le compte de la France et de l'Union européenne » (M. Tearii Alpha, ministre de l'agriculture et du foncier du gouvernement de la Polynésie française)

Les craintes sont toutefois très vives quant à l'effet délétère des activités humaines sur cet environnement dans des contextes ou nature et culture sont profondément reliées :

- L'inquiétude porte sur la préservation de l'environnement et des activités économiques qui lui sont associées : pêche, tourisme, énergie, ou encore économie de la connaissance liée à la biodiversité. Préserver cet environnement est considéré comme d'autant plus fondamental qu'il est déjà fragilisé par le changement climatique. « Avant d'examiner toute la matière inerte, nous souhaitons développer et valoriser la connaissance du vivant. De ce vivant sous-marin, de l'endémisme qui existe en Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna, découleront certainement des innovations pharmacologiques, des solutions pour préserver notre sécurité alimentaire » (M. Tearii Alpha).

- Plus fondamentalement, la dimension culturelle de cet environnement est soulignée, notamment dans les collectivités du Pacifique : « Nous avons tous un même lien extrêmement particulier à la terre et à la mer, peut-être parce que nous sommes de petits archipels au milieu d'un immense océan » ; « Il est souvent question de spiritualité quand on aborde ces sujets » (M. Joseph Manaute, membre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie).

c) Des collectivités à impliquer dans la mise en oeuvre de la stratégie

Le comité ministériel de pilotage de l'objectif ministériel « grands fonds marins » de France 2030 est constitué de représentants des ministères, d'organismes spécialisés (Ifremer, Shom) et de personnalités qualifiées des mondes industriels, scientifiques et maritimes. Dans le prolongement des constats du rapport de Jean-Louis Levet, afin d'éviter le phénomène de « vase clos » et d'ouvrir d'emblée le débat à la société, il serait utile d'élargir ce conseil en nommant, au sein de ce comité de pilotage, deux parlementaires représentant les outre-mer (un député et un sénateur).

Selon la même logique, la mise en oeuvre de la Stratégie nationale et du plan France 2030 doit être parfaitement transparente vis-à-vis des élus et populations de l'outre-mer . Il s'agit moins de « faire de la pédagogie » ou de « vulgariser » les connaissances que d'associer réellement toutes les parties prenantes aux processus de décision, à la mise en oeuvre et à la diffusion des résultats. C'est l'une des missions assignées au délégué interministériel en charge des grands fonds marins ( cf recommandation n°1).

Enfin, il serait légitime de renforcer les moyens de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité (OFB) dans les territoires d'outre-mer , afin de leur permettre de synthétiser et diffuser les connaissances existantes et de mener des recherches nouvelles sur les grands fonds marins, en lien avec les acteurs locaux et à leur demande sur les sujets relevant de leurs compétences.

L'OFB pourrait ainsi, par exemple, réaliser outre-mer des actions telles que celle menée actuellement dans les grands fonds marins corses, dans le cadre d'une mission d'exploration de monts sous-marins grâce à un AUV de la société Abyssa.

Les moyens de l'Ifremer et de l'OFB outre-mer

Pour mémoire, les laboratoires ultramarins de l'Ifremer sont aujourd'hui présents : dans l'océan Pacifique en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ; dans l'océan Indien à l'Ile de La Réunion ; dans l'océan Atlantique, en Martinique, en Guyane et à Saint-Pierre et Miquelon. Ces laboratoires hébergent une centaine de salariés de l'Ifremer dont environ cinquante de façon permanente. Ils accueillent également des chercheurs, ingénieurs et techniciens d'autres laboratoires pour des missions temporaires. L'Ifremer dispose d'équipements particulièrement remarquables tels que des plateformes aquacoles (Martinique, Polynésie française et Nouvelle Calédonie) et des systèmes d'observation et de surveillance du milieu côtier et des lagons (Martinique, La Réunion).

Plusieurs de ces laboratoires s'inscrivent dans des dispositifs mixtes avec d'autres organismes de recherche (CNRS ou IRD), avec des universités ou encore avec des acteurs socioéconomiques locaux.

Pour chacune des implantations de l'Ifremer, prise séparément, les effectifs permanents sont toutefois assez réduits, comme le montre le tableau ci-dessous. Les laboratoires outre-mer sont rattachés au département « Ressources Biologiques et Environnement » de l'Ifremer. Le département « Ressources physiques et Écosystèmes de fond de Mer », compétent sur les sujets relatifs aux grands fonds, intervient quant à lui depuis la métropole .

Effectifs de l'Ifremer au 31 mars 2019

Source : Ifremer

L'Office français de la biodiversité est lui aussi implanté dans la plupart des territoires ultramarins.

Source : OFB

Le renforcement des moyens de l'Ifremer et de l'OFB doit permettre de de développer les dynamiques et écosystèmes locaux de recherche dans le domaine des grands fonds marins.

Recommandations

10) Nommer un député et un sénateur représentant les outre-mer au sein du comité de pilotage de la Stratégie, précédemment mentionné, et associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins à chaque étape de mise en oeuvre de la Stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d'exploration ainsi qu'à la diffusion de leurs résultats (notamment : planeur sous-marin, AUV et ROV à 6000 m, issus du CIMER 2022, et démonstrateur).

11) Renforcer les moyens humains et financiers de l'Ifremer et de l'Office français de la biodiversité notamment dans leurs implantations outre-mer, pour synthétiser les connaissances acquises, assurer leur diffusion auprès des élus et des populations et mener de nouvelles recherches sur les grands fonds marins dans le cadre de partenariats avec les acteurs locaux. Mettre également l'accent sur le renouvellement et la modernisation de la Flotte océanique française.

II. UNE ACCÉLÉRATION NÉCESSAIRE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE QUI DOIT ACCOMPAGNER LA STRUCTURATION DU TISSU INDUSTRIEL

A. EXPLORATION OU EXPLOITATION : UN DÉBAT PRÉMATURÉ

1. Les grands fonds marins : un milieu peu connu mais aux potentialités nombreuses
a) Les grands fonds marins s'apparentent à une « terra incognita »

Cela a été rappelé à de nombreuses reprises lors des auditions menées par la mission d'information : nous connaissons mieux la surface de la lune que celle des grands fonds marins. Alors qu'il est désormais possible d'envoyer des touristes dans l'espace, seuls 4 êtres humains sont allés en deçà de 10 000 mètres de profondeur.

Les grands fonds marins, soumis à une pression décuplée par rapport à la pression atmosphérique, privés de lumière à partir de 200 mètres de profondeur et dans lesquels les ondes satellitaires passent très mal, représentent « une des dernières frontières de la connaissance » 30 ( * ) , quel que soit l'indicateur choisi (bathymétrie, connaissance du vivant, cartographie des ressources minérales, etc.).

L'indicateur le plus aisément quantifiable est celui de la bathymétrie 31 ( * ) . Or le niveau de connaissances estimé du relief des fonds marins varie très fortement en fonction de la résolution retenue et donc de la précision des données attendues. Sans surprise, les fonds les plus profonds sont ceux pour lesquels nous disposons du moins de données, sachant que la profondeur moyenne de l'océan mondial est de l'ordre de 3 800 mètres et que 75 % des fonds marins se situent à des profondeurs supérieures à 3 000 mètres.

Si 100 % des fonds marins ont été cartographiés par satellite, la résolution obtenue par ce moyen inadapté aux fonds marins est de l'ordre du kilomètre voire, pour les zones les plus profondes, de l'ordre de la dizaine de kilomètres, ce qui est évidemment insuffisant pour de l'exploration fine. En effet, pour avoir une résolution fine, la pénétration des ondes satellitaires est limitée à une profondeur de 20 mètres. En outre, s'il est possible d'effectuer des relevés bathymétriques depuis la surface (par exemple avec des sondeurs multifaisceaux opérant depuis la coque du navire, un outil privilégié par le SHOM), en l'état actuel de la technologie, ceux-ci n'offrent qu'une faible résolution pour les grands fonds. Obtenir des relevés précis nécessite donc de s'approcher du plancher océanique, notamment grâce aux drones autonomes ou téléopérés.

Le chiffre de 20 % des fonds marins cartographiés , souvent mis en avant dans le débat public et dans la presse, est quant à lui sujet à précautions. Il fait référence aux critères de l'Organisation hydrographique internationale, qui fixe la résolution minimale attendue par gamme de profondeur : la cartographie d'une zone est considérée comme convenable si elle atteint une résolution de 100 mètres jusqu'à 1 500 mètres de profondeur, de 200 mètres entre 1 500 et 3 000 mètres de profondeur, de 400 mètres entre 3 000 et 5 750 mètres de profondeur et enfin de 800 mètres à partir de 5 750 mètres de profondeur. Ces mesures sont certes précieuses compte tenu des difficultés et du coût inhérents aux travaux de cartographie sous-marine, mais restent rudimentaires. En outre, elles ne donnent aucune indication sur la nature du sol marin ou sur les espèces y vivant.

Suivant ces normes internationales, très peu de zones de grands fonds sont connues avec une haute résolution. Au mieux, la connaissance de la bathymétrie dans les zones de grands fonds n'est connue qu'avec une résolution supérieure à 50 mètres. Lorsqu'elle existe, la connaissance de la bathymétrie dans les grands fonds se limite donc à la description de la morphologie générale à basse résolution.

En définitive, il est estimé que nous ne disposons de bonnes connaissances bathymétriques , c'est-à-dire ayant fait l'objet d'une cartographie multi-paramètres et avec une résolution inférieure à 50 mètres, que pour approximativement 2 à 5 % du plancher océanique , une proportion « anecdotique en termes de surface au regard de l'immensité des fonds marins », selon les mots de M. Christophe Poinssot, directeur scientifique du BRGM.

Cette proportion est similaire pour l'ensemble de l'océan et pour les zones sous juridiction française. Comme l'a indiqué le SHOM à la mission d'information, « contrairement à ce que beaucoup imaginent, des zones entières sous juridiction française sont actuellement inconnues, même à quelques kilomètres au large des côtes françaises ». Au rythme actuel de l'avancée des travaux de cartographie et des moyens dont il dispose, le SHOM évalue à 60 ans la durée qu'il lui faudra pour obtenir une « description pertinente » du territoire national sous-marin au large de la métropole . Pour l'ensemble de la ZEE française, il faudrait 3 500 ans à un robot autonome de type AUV fonctionnant sans interruption pour couvrir tous nos fonds marins.

Si la quasi-totalité des façades maritimes hexagonales a fait l'objet a minima d'une exploration partielle du fond, même avec une « faible précision » selon le référentiel du SHOM, au sein de notre ZEE ultramarine le degré de connaissance du relief des fonds marins est fortement lacunaire . Ainsi, en 2020, moins de 0,1% des fonds marins ultramarins avaient fait l'objet d'une exploration totale du fond et environ 20 % avaient fait l'objet d'une exploration partielle avec un faible degré de précision, selon les critères du SHOM :

Zone concernée

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration totale du fond 32 ( * )

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration partielle du fond, avec une bonne justesse de mesure de la profondeur 33 ( * )

Proportion de la zone ayant fait l'objet d'une exploration partielle du fond, avec une faible justesse de mesure de la profondeur 34 ( * )

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,04 %

0,4%

17,1%

Antilles françaises

0,01%

1,8%

31,6%

Guyane

0,001%

0,6%

49,2%

Clipperton

0%

0,0003%

3,2%

Polynésie française

0,0003%

0,03%

19,2%

Wallis-et-Futuna

0,003%

0,015%

12,7%

Nouvelle-Calédonie

0,08%

0,8%

11,4%

Océan indien

0,003%

1%

18,7%

Terres australes et Terre-Adélie

0%

0,005%

23,4%

Source : SHOM 35 ( * ) - données pour l'année 2020

Ces chiffres corroborent le constat effectué par l'ensemble des collectivités d'outre-mer auditionnées par la mission d'information, qui ont toutes déclaré à regret avoir une connaissance très parcellaire, voire inexistante, des grands fonds marins constituant leur ZEE (cf I. B).

En ce qui concerne les zones explorées biologiquement, elles se limitent à 0,0001 % du plancher océanique, soit une part par million. Selon l'IFREMER, nous ne connaîtrions, en étant « très optimistes » 36 ( * ) , que 5 % de la biodiversité de l'océan profond . Comme l'écrivent conjointement l'IFREMER et le CNRS, « d'une manière générale, l'inventaire de la diversité des espèces dans les environnements profonds, miroir de la diversité des habitats, [est] largement incomplet » 37 ( * ) . Chaque campagne d'exploration permet néanmoins de découvrir une centaine d'espèces biologiques inconnues.

Bien que les caractéristiques des principales ressources minérales commencent à être connues ( cf . infra ), permettant aux géologues d'appréhender dans quels types d'environnement se situent les potentiels gisements de nodules polymétalliques (plaines abyssales), d'amas sulfurés (rides médio-océaniques actives, zones volcaniques à hydrothermalisme actif ou fossile) et les encroûtements cobaltifères (monts sous-marins), leur localisation précise est encore à déterminer. En tout état de cause, il n'existe pas de cartographie des ressources minérales sous-marines dans notre ZEE, ni même dans la zone internationale . Les cartes existantes ne présentent que des potentiels métallogéniques.

Ainsi, nous ne sommes qu' au stade de la description des grands fonds marins. L'état actuel des connaissances ne nous permet pas de comprendre avec finesse le fonctionnement de ces milieux, notamment les interdépendances et les interactions entre leurs différentes composantes, ni leur rôle dans l'écosystème global de notre planète.

b) Les connaissances recueillies jusqu'à présent préfigurent néanmoins une grande richesse des écosystèmes de l'océan profond

Un des résultats majeurs des campagnes d'exploration des grands fonds marins est la mise en évidence du fait que les fonds marins « ne sont pas des déserts vierges » 38 ( * ) : ces milieux a priori hostiles accueillent de nombreuses espèces vivantes et seraient riches en ressources minérales 39 ( * ) .

(1) La vie est abondante dans les grands fonds marins et peut trouver des applications dans le domaine des biotechnologies

Bien que nous ne connaissions que peu la biodiversité sous-marine profonde (5 % au mieux, cf . supra ), il est avéré que les abysses abritent une grande diversité biologique , qui a réussi à se développer malgré un environnement difficile (absence de lumière, forte pression, rareté de l'oxygène, etc.).

La découverte des sources hydrothermales sous-marines dans les années 70 a même « révolutionné » 40 ( * ) la biologie et nos connaissances sur le développement de la vie sur Terre puisque, sous des températures extrêmes et sans oxygène à ces profondeurs, la vie s'est développée autour du cycle du soufre et des écosystèmes abondants ont été mis à jour. Des bactéries chimiotrophes (oxydant les sulfures) sont à la base de la chaîne trophique des abysses qui a permis le développement d'organismes (mollusques et vers géants pouvant atteindre 2 mètres, crevettes, crabes, moules, etc.) aux dimensions « incroyables » 41 ( * ) compte tenu des conditions extrêmes et aux capacités inhabituelles. Par exemple, l'hémoglobine du ver Riftia pachyptila permet de transporter à la fois de l'oxygène et des sulfures.

Vers géants Riftia Pachyptila photographiés par le ROV Victor 6000 dans leur habitat par 2 630 mètres de fond, sur la dorsale du Pacifique oriental - source : océanothèque de l'IFREMER

Aujourd'hui, plus de 500 espèces animales évoluant prés de sources hydrothermales profondes ont été décrites, dont 75 % sont des espèces endémiques de ce milieu .

Dans les plaines abyssales où gisent les nodules polymétalliques, les écosystèmes se développent plus lentement en termes de biomasse, en raison du peu d'énergie disponible. La vie y est néanmoins existante : des organismes, tels des coraux et des éponges, se fixent aux nodules qui offrent un support solide au milieu des sédiments des plaines abyssales. Ils vivent de matière organique en provenance de la colonne d'eau. D'autres organismes comme les holothuries ou les vers polychètes vivent dans les sédiments du plancher océanique. 90 % des espèces trouvées dans ces milieux sont nouvelles 42 ( * ) . Une étude de l'IFREMER parue en 2018 43 ( * ) a par exemple décrit 17 nouvelles espèces de vers marins, découvertes dans la zone de Clarion-Clipperton à 5 000 mètres de profondeur.

Les microorganismes des abysses présentent en outre une réelle stabilité à l'agression physique et chimique dont les caractéristiques peuvent être déclinées dans le domaine des biotechnologies . Les « extrêmozymes », c'est à dire les enzymes de l'extrême, pourraient apporter des réponses à des questions industrielles anciennes qui nécessitent l'utilisation d'enzymes à des températures élevées pour diminuer la viscosité ou augmenter la solubilité de certains constituants, ou pour éviter les contaminations par des bactéries pathogènes mésophiles. Ils peuvent aussi être employés dans des filières plus récentes, telles que les techniques d'amplification des acides nucléiques utilisées, entre autres, pour le diagnostic médical ou pour les recherches génétiques. Les tests PCR utilisés pour détecter la covid-19 sont notamment constitués de molécules récupérées dans les écosystèmes des grands fonds.

Aucun grand laboratoire français ne travaille cependant sur les adaptations médicales qui pourraient être faites à partir des caractéristiques spécifiques aux espèces vivant dans l'océan profond 44 ( * ) . Depuis les années 2000, seuls huit médicaments venant de la mer ont reçu une autorisation de mise sur le marché 45 ( * ) .

Recommandation

12) En association avec les laboratoires pharmaceutiques volontaires, consacrer une partie des crédits du plan d'investissement France 2030 dédiés aux grands fonds marins à l'étude des potentialités biologiques des organismes des grands fonds marins et des adaptations médicales qui pourraient en résulter.

Afin d'agréger et de valoriser davantage les connaissances acquises par la France sur la biodiversité présente dans les grands fonds marins et de signifier un intérêt public égal à celui apporté à l'étude des ressources minérales, le rôle de l'Office français de la biodiversité (OFB) doit être réévalué . Jusqu'à présent peu associé aux groupes de travail et décisions relatives à la politique française dédiée aux grands fonds marins, l'OFB est pourtant gestionnaire des parcs naturels marins, commande de nombreuses études sur la biodiversité marine et souhaite participer autant que possible aux réflexions entourant la valorisation des grands fonds marins 46 ( * ) .

Recommandation

13) Associer davantage l'Office français de la biodiversité à l'acquisition des connaissances scientifiques sur la vie marine profonde ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français en faisant de l'OFB un pôle d'expertise de référence sur la biodiversité des grands fonds marins, chargé de conseiller les pouvoirs publics en vue de la protection de la biodiversité ainsi référencée.

(2) Les grands fonds marins recèleraient d'importantes ressources minérales

Les campagnes d'exploration du plancher océanique ont permis d'y déceler et de catégoriser trois principaux types de ressources minérales non énergétiques , ayant chacune leur composition et leur localisation propres. Il s'agit des sulfures polymétalliques, ou sulfures hydrothermaux, des encroûtements cobaltifères et des nodules polymétalliques.

Les sulfures polymétalliques , dont la présence est liée aux sorties de fluides hydrothermaux, se rencontrent dans des zones volcaniques et tectoniques actives ou récentes, comme les dorsales océaniques. Les sites hydrothermaux favorables à la formation des sulfures polymétalliques se trouvent à des profondeurs très variables, allant de 1 000 à 5 000 mètres, tandis que les zones moins profondes ne contiennent généralement que des dépôts d'oxyde de fer.

Les sulfures hydrothermaux sont très localisés et couvrent des surfaces généralement limitées à moins d'un kilomètre carré. Ils ont en moyenne des teneurs en métaux sensiblement supérieures à celles des mines exploitées à terre, notamment en cuivre et en zinc. Ils peuvent également présenter de fortes teneurs en métaux précieux, tels l'or et l'argent, et en métaux rares (indium, sélénium, germanium...).

Les encroûtements cobaltifères sont présents dans les volcans anciens et les atolls immergés. Ils peuvent recouvrir des surfaces de plusieurs milliers de kilomètres carrés, pour une épaisseur pouvant atteindre 25 centimètres, et ont été découverts à des profondeurs allant de 400 à 4 000 mètres. Ils contiennent principalement de l'oxyde de fer et du manganèse et, comme leur nom l'indique, sont en moyenne trois fois plus riches en cobalt que les autres minerais (près de 2% de cobalt dans les encroûtements de la Polynésie française), notamment les nodules. Ils peuvent en outre contenir une forte concentration de platine et de terres rares (yttrium, lanthane, cérium).

Enfin, les nodules polymétalliques sont des boules d'une dizaine de centimètres de diamètre, formées à partir des sédiments marins, qui peuvent tapisser les plaines abyssales de l'ensemble des océans à des profondeurs allant de 4 000 à 6 000 mètres. L'abondance et la composition des nodules polymétalliques varient selon les zones. Des champs de nodules peuvent s'étendre sur des surfaces de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés mais, à la différence des sulfures polymétalliques et des encroûtements cobaltifères, leur concentration sur leurs zones de présence est hétérogène et leur recensement nécessite donc un fin travail de cartographie, particulièrement difficile à cette profondeur.

Ils sont riches en fer et manganèse, mais les métaux valorisables sont surtout le manganèse (26%), le nickel (1,2%), le cuivre (1,1%) et le cobalt (0,3%). Cette ressource n'est pas nécessairement plus riche qu'à terre, mais elle combine de nombreux minerais utilisés pour les activités humaines et serait présente en grande quantité dans les fonds marins. Le CNRS et l'Ifremer estiment que les réserves contenues dans les champs de nodules polymétalliques de la seule Zone de Clarion-Clipperton s'élèvent à 34 milliards de tonnes, ce qui représente 6 000 fois plus de thallium, trois fois plus de cobalt, et plus de manganèse et de nickel que toutes les ressources avérées hors des océans.

Au total, ces trois types de ressources minérales contiendraient au moins 27 métaux différents .

Teneur en métaux des nodules polymétalliques, des sulfures hydrothermaux et des encroûtements cobaltifères - Source : IFREMER (2011)

Si les caractéristiques de ces ressources minérales sont globalement identifiées, la localisation précise de leurs gisements est encore largement inconnue, y compris pour la ZEE française pour laquelle la connaissance des richesses minérales est très lacunaire.

Au vu des potentialités métallogéniques ainsi que des campagnes d'exploration qui ont été menées jusqu'à présent, il semblerait que la France soit très substantiellement dotée des trois types de ressources . Il existerait un fort potentiel s'agissant des sulfures hydrothermaux dans la ZEE de Wallis-et-Futuna, mais également au large de la Nouvelle-Calédonie, de La Réunion, des Antilles, des îles Kerguelen et de la Polynésie française. Les eaux de la Polynésie française se démarqueraient par la présence de riches gisements d'encroûtements cobaltifères. Enfin la zone Clarion-Clipperton étant considérée comme la plus prometteuse en matière de nodules polymétalliques, la ZEE de Clipperton pourrait en être particulièrement pourvue, bien que dans cette zone les campagnes d'exploration, y compris françaises, ne se soient concentrées jusqu'à présent que sur les fonds des eaux internationales.

Carte synthétique des ressources minérales des grands fonds - Source : IFREMER (2017)

Les nodules polymétalliques, qui peuvent être prélevés sans forage ni galeries, ont fait l'objet de beaucoup d'intérêt à partir des années 70, avant que chercheurs et industriels ne prennent conscience de la complexité de leur récolte, et notamment de l'identification des zones dans lesquelles les nodules sont à la fois nombreux et dont la teneur en métal est la plus forte, dans un contexte de rentabilité économique incertaine ( cf . infra ). Néanmoins, plusieurs entreprises travaillent sur l'élaboration de robots récolteurs de nodules, comme l'entreprise belge GSR qui table sur un début d'exploitation en 2028, à l'aide de son robot le Patania II .

Concernant les encroûtements cobaltifières, la surface à couvrir sera importante et le fond pentu. Ils seront donc, a priori, complexes à extraire, d'autant que leur potentiel est à ce jour insuffisamment connu, expliquant le faible investissement sur cette ressource.

En conséquence, ce sont désormais les sulfures hydrothermaux qui sont considérés comme les ressources les plus immédiatement disponibles et dont la teneur en métal pourrait justifier les lourds investissements nécessaires à leur exploitation. En France, l'entreprise TechnipFMC, l'un des leaders des équipements industriels sous-marins, travaille depuis plus d'une dizaine d'années sur cette ressource. Jusqu'à présent, la seule tentative sérieuse d'exploitation de ressources minérales des grands fonds marins a d`ailleurs été consacrée aux sulfures hydrothermaux, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais le projet est à l'arrêt à la suite de la faillite son promoteur, l'entreprise minière canadienne Nautilus.

2. La recherche scientifique française doit être soutenue
a) La France dispose d'acteurs reconnus et actifs dans le domaine de l'exploration des grands fonds marins
(1) Une filière scientifique de premier plan

La France est dotée d' une filière scientifique de premier plan pour la recherche sur les grands fonds marins, investie de longue date sur le sujet et dont l'expertise est reconnue au sein de la communauté scientifique internationale. Selon le décompte de l'IFREMER, la France se classe en effet en 5 e position mondiale en termes de publications scientifiques en rapport avec les ressources minérales profondes dans les domaines de l'environnement et des géosciences, derrière la Chine, les Etats-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. 5 % de ces publications scientifiques ont la France pour pays d'affiliation du premier auteur 47 ( * ) .

Cette filière est principalement articulée autour de cinq organismes publics de recherche assez complémentaires, qui travaillent fréquemment ensemble, notamment au sein d' unités mixtes de recherche (UMR), ainsi qu'avec des pôles universitaires bien positionnés dans la recherche marine tels que l'université de Bretagne occidentale ou Sorbonne Université. Il s'agit de l'Institut français de la recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et, dans une moindre mesure, du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

L'IFREMER est identifié comme principal opérateur de la recherche scientifique française consacrée aux grands fonds marins, notamment grâce à son département dédié spécifiquement à l'étude des ressources physiques et des écosystèmes de fond de mer. Selon son président-directeur général, M. François Houllier, l'IFREMER est ainsi à l'origine de 25 % des connaissances produites en France sur les écosystèmes marins. À ce titre, c'est à lui qu'ont été attribués avec le soutien de l'État les deux permis d'exploration dont bénéficie la France dans la zone internationale, l'un destiné à l'étude des nodules polymétalliques dans la zone Clarion-Clipperton et l'autre aux sulfures hydrothermaux dans la zone de la dorsale médio-Atlantique.

C'est également l'IFREMER, par le biais de sa filiale Genavir, qui assure la gestion, l'exploitation et la maintenance de la flotte océanique française . Celle-ci est constituée de quatre navires hauturiers ( Marion Dufresne, Pourquoi pas ?, L'Atalante, Thalassa ) capables de réaliser des campagnes océanographiques sur tous les océans, hors zones polaires. De 30 à 120 mètres de long, ils peuvent effectuer des levés bathymétriques des fonds marins, déployer des systèmes sous-marins profonds afin de prélever des échantillons, réaliser des mouillages et des prélèvements dans des colonnes d'eau ou encore effectuer des carottages sédimentaires. À ces navires amiraux s'ajoutent deux navires semi-hauturiers ( Antea et Alis ) réalisant des missions océanographiques de physique, chimie, halieutique, d'exploration de la colonne d'eau et de cartographie sous-marine, cinq navires côtiers ( L'Europe, Thalia, Côtes de la Manche, Tethys II et Haliotis ) et sept navires de station (pour des sorties en mer de 1 à 3 jours). L'IFREMER dispose en outre d'engins sous-marins profonds uniques en Europe, comme le sous-marin Nautile , le robot télé-opéré Victor 6000 , et, bientôt, le robot autonome UlyX , capables d'opérer jursqu'à 6 000 mètres de profondeur.

Cette flotte océanographique française constitue un patrimoine essentiel à la recherche, qui doit être constamment renouvelé et modernisé. Le navire Alis doit en particulier être remplacé. « Dans les années à venir, il faudra un navire moderne de type semi-hauturier d'une quarantaine de mètres pour pouvoir intervenir en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. C'est vital si l'on veut notamment déployer des drones », a indiqué à la mission le directeur délégué à la science de l'IRD, M. Philippe Charvis.

Au sein du CNRS , environ 2 000 scientifiques travaillent sur le monde marin au sens large, notamment grâce à un vaste réseau de 40 laboratoires de recherche sur le milieu marin. Concernant plus spécifiquement les grands fonds marins, le CNRS a une approche pluridisciplinaire et participe à de nombreux projets, comme par exemple l'observatoire européen sous-marin au large des Açores qui lui permet d'effectuer du monitoring (mesure dans le temps de l'écosystème marins sur une zone fixe). Le CNRS s'associe régulièrement à l'IFREMER, comme par exemple en 2014 lors de la publication d'une expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux résultant de l'exploration et de l'exploitation des ressources minérales profondes ou plus récemment pour le pilotage du programme prioritaire de recherche « océan et climat », doté de 40 millions d'euros et dont le quatrième des sept « défis » concerne l'exploitation des grands fonds marins et de leurs réserves en ressources minérales.

Bien que le SHOM n'ait pas pour vocation l'exploration des grands fonds marins afin d'en évaluer les ressources vivantes et minérales, il apparaît comme un acteur essentiel dans le domaine de la cartographie bathymétrique des fonds marins dans le cadre de sa mission de réalisation et de mise à jour des cartes de navigation. Il produit un grand nombre de données grâce au partage du navire océanographique Pourquoi pas ? avec l'IFREMER et à l'accès aux 3 navires hydrographiques ( La Pérouse , Borda et Laplace ) et au navire hydro-océanique ( Beautemps-Beaupré ) de la marine nationale. En outre, dans le cadre des accords internationaux sur la recherche scientifique marine, il est destinataire de toutes les données bathymétriques acquises dans les eaux françaises, y compris lorsqu'elles sont produites par des entités privées ou étrangères.

Au titre de sa mission de gestion et de référencement des ressources et des risques du sol et du sous-sol français, le BRGM , qui emploie environ 700 chercheurs et ingénieurs, est également actif dans l'acquisition de connaissances sur les grands fonds marins, avec cette fois-ci une attention particulière sur leur géologie et les ressources minérales qu'ils contiendraient. Il est associé aux diverses campagnes d'exploration pour apporter un soutien technique à la caractérisation des ressources minérales qui y sont décelées et pour évaluer, à partir des résultats et données obtenus par l'IFREMER, le potentiel minier et économique des gisements.

Enfin, l' IRD , qui rassemble une communauté de plus 7 000 personnes dont de nombreux chercheurs, est fréquemment sollicité pour coordonner ou participer à des expertises sur les grands fonds marins. À titre d'exemple, il a participé à plusieurs campagnes d'exploration, notamment au large des îles Wallis et Futuna dans les années 2010 et, dans le cadre de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins, a été missionné par le ministère de la mer pour effectuer deux études pluridisciplinaires liées aux enjeux relatifs aux grands fonds marins et à leur gouvernance.

Le dynamisme de ces instituts permet à la France de se placer parmi le « top 10 des grands pays océaniques » 48 ( * ) et de participer à de nombreux programmes internationaux qui valorisent la recherche française, comme par exemple les programmes Seabed 2030 et EMODnet qui visent à agréger les données bathymétriques des fonds marins, respectivement au niveau mondial et européen. En effet, les moyens profonds français sont « parmi les plus innovants et efficaces du monde » 49 ( * ) et seule une dizaine de pays maîtrise l'intervention scientifique profonde de façon intégrée comme en France. La recherche scientifique française peut s'appuyer pour cela sur de rapides avancées technologiques portées en collaboration avec un secteur industriel encore balbutiant mais mobilisé pour proposer des solutions innovantes en matière d'exploration sous-marine profonde.

(2) Des avancées technologiques portées en collaboration avec une filière industrielle investie dans le domaine de l'exploration des grands fonds marins

L'exploration des grands fonds marins a été facilitée par les avancées technologiques dans le domaine des capteurs ou de l'autonomie des robots sous-marins, dont une partie relève des travaux de recherche et développement du secteur industriel français.

L'amélioration continue des sondeurs acoustiques et des sonars offre désormais aux chercheurs français des capacités d'analyse des fonds marins « stupéfiantes » 50 ( * ) lorsque ces outils sont embarqués sur des vecteurs performants, comme un navire océanique ou un drone, et qu'ils sont associés à des algorithmes d'intelligence artificielle.

L'usage des drones sous-marins s'est banalisé à mesure que ceux-ci ont gagné en performance et en autonomie . Pour l'étude des grands fonds, l'IFREMER dispose depuis 1999 du Victor 6 000 , un ROV ( remotely operated vehicle ), c'est-à-dire un robot lié au navire océanographique par un câble, qui peut opérer jusqu'à 6 000 mètres de profondeur et d'un sous-marin habité, le Nautile , mis en service en 1984 mais dont l'arrêt est programmé pour 2024. Un deuxième ROV pouvant atteindre 6 000 mètres de profondeur est par conséquent en projet. En effet, les autres drones sous-marins que possède l'IFREMER (l' Ariane , l' IdefX et l' AsterX ) ne peuvent quant à eux descendre qu'à 3 000 mètres de profondeur, ce qui réduit fortement la capacité exploratoire de l'IFREMER puisque 65 % des fonds marins sont situés à plus de 3 000 mètres de la surface.

2022 devrait néanmoins marquer une rupture puisqu'en juillet est prévue la mise en service de l' UlyX , développé en collaboration avec les entreprises française iXblue et ECA (faisant partie aujourd'hui d'un seul et même groupe) , l'un des seuls AUV ( autonomous underwater vehicle ) au monde à pouvoir descendre à 6 000 mètres de profondeur , sans être lié au navire. Il est capable d'accomplir à cette profondeur une mission en autonomie de 24 à 48h de durée, une prouesse à l'échelle planétaire. En revanche, le drone UlyX ayant vocation à remplacer le Nautile , à partir de 2024 la France n'aura plus de sous-marin habité dédié à la recherche.

Dans le domaine des planeurs sous-marins , dans lequel l'entreprise française Alseamar s'est positionnée, le SeaExplorer n'est pour l'instant capable d'opérer que jusqu'à 1 000 mètres de profondeur. Les planeurs sous-marins présentent l'avantage de collecter des données en toute autonomie sur une longue période pouvant aller jusqu'à 4 mois. Les innovations dans ce domaine pourraient néanmoins être rapides, le plan d'investissement France 2030 prévoyant le soutien à la conception d'un planeur sous-marin français pouvant atteindre 3 500 mètres de profondeur.

Les avancées technologiques les plus « spectaculaires » 51 ( * ) dans le domaine des sciences de l'océan concernent le monitoring , c'est-à-dire la capacité de mesurer sur le long terme (10 ans) en continu et de façon multiparamétrique une zone d'étude. Ces mesures peuvent être faites à point fixe, par des instruments dérivants ou par des robots. Dans cette logique, deux projets d'observatoires sous-marins ont été initiés dans les eaux françaises, l'un en Nouvelle-Calédonie, l'autre à Mayotte.

À terme, les capacités de monitoring pourraient être fortement accrues par l'usage des câbles sous-marins , sur lesquels des capteurs pourraient être fixés pour effectuer des mesures géophysiques. L'IFREMER et le CNRS travaillent avec des entreprises de tailles diverses (Sercel, Orange Marine, Thalès, ASN) pour concrétiser cette avancée « prometteuse » 52 ( * ) .

Ces innovations ont, pour la plupart, été portées en étroite collaboration entre les organismes de recherche scientifique , en premier lieu l'IFREMER, et les industriels français qui s'investissent et investissent dans les systèmes et équipements dédiés à l'exploration des grands fonds marins. Si certaines de ces entreprises sont historiquement liées à l'offshore pétrolier, comme par exemple TechnipFMC qui travaille depuis une dizaine d'années sur les sulfures hydrothermaux, de nouveaux acteurs se mobilisent pour se concentrer sur les enjeux liés directement aux grands fonds marins. Dans cette catégorie, peut être citée l'entreprise Abyssa, l'une des rares entreprises au monde spécialisée dans la cartographie des fonds marins.

Les Pôles mer, qui rassemblent un millier d'entreprises du monde marin pour soutenir l'innovation dans ce secteur, ont ainsi recensé parmi leurs adhérents 94 acteurs industriels impliqués dans l'exploration des fonds marins . Ceux-ci se répartissent en cinq catégories : les dronistes, les équipementiers de la détection, les acteurs de la navigation et du management des missions d'exploration, les spécialistes du recueil et du traitement des données et enfin ceux du secteur de l'ingénierie sous-marine.

Le Cluster maritime français a quant à lui identifié une « cinquantaine » d'entités de toutes tailles « prêtes à s'investir » dans l'exploration des grands fonds marins 53 ( * ) parmi ses 430 membres.

En ce qui concerne les systèmes et équipements nécessaires à l'exploration des grands fonds marins, la France est donc dotée d'un tissu économique de qualité , ce qui ne peut être qu'un atout dans un contexte de fort déficit de connaissances sur ces écosystèmes qui nécessitera inévitablement des investissements aussi bien en France que chez nos partenaires commerciaux. Néanmoins, bien que certaines de ces entreprises se trouvent au premier rang mondial sur ces sujets, elles restent de taille modeste et ne couvrent pas l'intégralité des besoins . L'IFREMER a ainsi regretté ne pas pouvoir s'appuyer sur des entreprises françaises pour se procurer des sondeurs multifaisceaux ou encore des moteurs pour les petits engins. En tout état de cause, la France n'est pas en mesure de concurrencer la Norvège, unanimement considérée comme le leader européen dans le domaine industriel de l'exploration sous-marine.

b) Adapter les moyens de la recherche française aux objectifs ambitieux qui lui ont été fixés

« Mieux connaître les grands fonds, c'est faire preuve d'humilité » 54 ( * ) , tant l'ampleur de la tâche parait grande face au degré d'ignorance que nous avons de ces milieux.

Pourtant, la France s'est fixé des objectifs ambitieux : à long terme, une cartographie de 100 % de nos fonds marins 55 ( * ) , un inventaire précis du vivant et des ressources minérales présentes dans les fonds marins de nos ZEE 56 ( * ) , un rôle actif au sein de la communauté scientifique internationale par le biais de nos deux contrats d'exploration auprès de l'AIFM et, surtout, pouvoir comprendre le fonctionnement, le rôle et les interactions de l'écosystème des grands fonds marins 57 ( * ) .

En l'état actuel des progrès technologiques et des moyens humains et matériels alloués à la recherche publique scientifique consacrée aux grands fonds marins, l'atteinte même très partielle de ces objectifs semble lointaine .

À titre d'exemple, une cartographie des fonds marins des eaux française à haute résolution, qui nécessite des drones capables de s'approcher du fond, prendrait 3 500 ans avec un AUV fonctionnant de façon continue, sachant que le prix d'un tel engin est approximativement de 2 millions d'euros, hors maintenance et hors traitement des données récoltées. Pour rappel, l'IFREMER ne sera doté de son tout premier AUV capable de descendre à 6 000 mètres de profondeur qu'en juillet 2022. Sans compter les moyens humains nécessaires au traitement des données, il faudrait donc multiplier par cent cet investissement pour pouvoir disposer d'une connaissance fine de la bathymétrie de nos fonds marins à l'horizon 2060.

Pour maintenir la France parmi les nations de référence dans la production de connaissances sur les fonds marins, de nombreux projets ont été initiés, comme la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, le plan d'investissement France 2030, le programme prioritaire de recherche océan et climat ( cf . supra ), mais également plusieurs initiatives de plus petite envergure, pas forcément coordonnées avec le reste des projets, comme les 21 projets de recherche centrés sur les fonds marins financés par l'Agence nationale de la recherche (ANR) entre 2008 et 2021, pour un montant total de 9,25 millions d'euros.

Ce volontarisme d'ensemble se heurte à des limites matérielles et de ressources humaines . Ainsi, bien que l'IFREMER soit titulaire depuis 2001 d'un permis sur les nodules polymétallique dans la zone Clarion-Clipperton et depuis 2014 d'un permis sur les sulfures polymétalliques dans la zone de la dorsale médio-Atlantique, il n'est en mesure d'effectuer sur chacune de ces zones qu'une campagne d'exploration tous les cinq ans , quand des pays comme la Chine ou certains industriels en accomplissent jusqu'à 4 par an. L'IFREMER n'est pas en mesure de mener de front les campagnes d'exploration dans la zone internationale et des campagnes d'exploration d'envergure dans notre ZEE 58 ( * ) . Celle-ci est donc largement inexplorée, le Secrétaire général de la mer adjoint, M. Thierry de la Burgade, ayant reconnu lors de son audition que la France priorisait la zone internationale pour mener des campagnes d'exploration, en contradiction avec l'objectif n° 2 de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, qui préconise d'effectuer des chantiers en mer aussi dans notre ZEE.

Au cours des dernières années, seuls les fonds marins au large de Wallis-et-Futuna ont fait l'objet d'une campagne d'exploration poussée . Celle-ci n'a cependant pas pu arriver à son terme en raison de l'opposition de la population locale et des chefferies coutumières, qui ont estimé ne pas avoir été suffisamment associés en amont, résultant en plusieurs prises de position en faveur d'un moratoire sur toute activité d'exploitation minière pour au moins 50 ans. Moins récemment, des campagnes d'ampleur ont eu lieu au cours des années 1990 en Nouvelle-Calédonie (campagnes Zonéco) et en Polynésie française (campagnes Zepolyf). En 2019, l'entreprise française Abyssa a mené une étude sur le potentiel minier des encroûtements cobaltifères de Polynésie française, mais il s'agissait moins d'une campagne d'exploration que d'un projet préparatoire en vue de déterminer les conditions et les méthodologies permettant à la Polynésie française de programmer des campagnes d'exploration de ses grands fonds marins.

À court et moyen termes, les capacités exploratoires françaises ne pourront qu'être peu augmentées, puisqu'il n'est prévu que de renouveler progressivement la flotte océanique française à horizon 2035, sans l'étendre. Les sommes en jeu sont en effet significatives pour l'IFREMER, le remplacement ou la rénovation d'un navire hauturier se chiffrant en dizaines de millions d'euros.

Dans ce contexte contraint et consciente des coûts que représentent les campagnes d'exploration pour les organismes publics de recherche, la mission d'information ne peut que réitérer son appel à une application dans leur entièreté de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins et du plan France 2030 qui fixent des objectifs ambitieux mais accessibles, afin que les investissements réalisés pour mieux connaître nos fonds marins représentent bien une enveloppe totale de 600 millions d'euros comme annoncé initialement et que tous les projets qui y sont associés, pourtant validés par les Cimer de 2021 et de 2022, voient le jour.

3. L'objectif de protection des fonds marins n'impose pas de tout arrêter
a) Les grands fonds marins sont sensibles à l'activité humaine

En raison de l'inertie et de la faible résilience des milieux marins profonds, « il serait vain de penser qu'une éventuelle exploitation n'aurait pas d'impact notable sur ces écosystèmes » 59 ( * ) . Ce constat, qui s'applique également aux activités d'exploration, fait l'unanimité auprès des scientifiques que la mission d'information a auditionnés, bien que l'ampleur et la nature précises de ces effets sur l'environnement marin soient encore indéterminées.

Malgré le caractère balbutiant de la recherche en la matière, l'IFREMER a d'ores et déjà découvert que des traces de dragage dans une zone riche en nodules explorée dans les années 80 n'avaient pas été restaurées au bout de 37 ans, alimentant l'hypothèse de milieux marins profonds fragiles et sensibles à l'activité humaine .

En l'état actuel des connaissances, les variables définissant le degré de sensibilité sont nombreuses. En tout état de cause, les fonds marins n'étant pas un espace homogène, les effets de l'activité humaine sur l'écosystème marin profond ne peuvent être que multiples. Comme le notaient en 2014 l'IFREMER et le CNRS dans un rapport commun consacré aux impacts environnementaux de l'exploitation des ressources maritimes profondes 60 ( * ) , ces impacts « pourront être très localisés ou, au contraire, très étendus, d'une durée plus ou moins longue, et [ils] seront plus ou moins spécifiques selon la nature de la ressource exploitée, les spécificités des communautés biologiques associées à cette ressource, les caractéristiques de l'environnement, la vulnérabilité et les capacités d'adaptation des écosystèmes face à ces impacts. »

Un premier panorama des conséquences principales d'une potentielle exploitation des ressources minérales sous-marines peut néanmoins être dès à présent dressé 61 ( * ) .

Représentation des impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes - Source : IFREMER

En premier lieu, malgré les progrès promis en la matière, l'activité extractive elle-même pourrait difficilement s'exempter de la destruction de la structure géologique et de l'écosystème proche qui lui est associé lors de la récupération des minéraux. Par ailleurs, au cours de l'opération, du sédiment et des particules seront mis en suspension, formant un panache affectant la composition de l'eau , aussi bien sur la zone d'extraction que dans des zones plus éloignées et dans la colonne d'eau, ce qui aura un impact sur les communautés microbiennes et animales présentes. En se redéposant, ces sédiments ainsi que les déchets miniers laissés sur place, transformeront inévitablement le sol océanique autour de la zone exploitée, modifiant significativement les conditions d'existence dans la zone concernée, et notamment son apport en nutriments pour les espèces s'y développant. En outre, le mouvement, le bruit, les vibrations et la lumière des machines extractives ont une influence sur les organismes sous-marins et risquent de déséquilibrer un écosystème habitué à un environnement stable.

En second lieu, la libération dans l'environnement marin des métaux contenus dans les sédiments ou de produits nécessaires à l'extraction peut être toxique pour certaines espèces.

Enfin, les effets de l'exploitation ne seront pas limités au fond océanique, mais peuvent affecter l'ensemble de la colonne d'eau ainsi que la surface en raison du rejet des déchets miniers et de l'eau pompée en même temps que le minerai. Ces rejets changeront la composition de la colonne d'eau, son acidité et sa température .

Aussi bien dans les fonds marins que dans la colonne d'eau, les nuisances sonores et lumineuses , en attirant ou en repoussant certaines espèces, peuvent en outre déstabiliser la faune locale et, partant, la flore.

En conséquence de ces craintes sur la préservation de l'environnement marin en cas d'exploitation des ressources minérales sous-marines, de nombreuses associations de défense de l'environnement 62 ( * ) ont appelé publiquement à un moratoire sur l'exploitation , mais également sur l'exploration lorsque celle-ci a pour objectif l'évaluation de gisements miniers. À titre d'exemple, lors d'un congrès s'étant tenu à Marseille en septembre 2021, l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a fait adopter une résolution appelant à « soutenir et mettre en oeuvre un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins, la délivrance de nouveaux contrats d'exploitation et de nouveaux contrats d'exploration » tant que « les risques environnementaux, sociaux, culturels et économiques de l'exploitation minière des grands fonds marins [n'auront pas] été exhaustivement compris, et [que] la protection efficace du milieu marin [ne sera pas] garantie ».

Pour des raisons similaires, le président de la Nouvelle-Calédonie, Monsieur Louis Mapou, ainsi que le comité consultatif de l'environnement du congrès de la Nouvelle-Calédonie se sont également déclarés favorables à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des fonds marins calédoniens.

Recommandation

14) Conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable et à la mise en place d'un corps d'inspection, chargé de vérifier le respect par les exploitants des normes environnementales qui encadreront cette éventuelle exploitation. Moyennant un réagencement des missions et des ressources de l'OFB, cette mission pourrait être confiée aux inspecteurs de l'environnement de ce dernier, lesquels seraient formés aux problématiques propres à la vie marine profonde et aux conséquences de l'activité humaine sur ces écosystèmes.

En sus de ces préoccupations environnementales, des considérations plus culturelles peuvent justifier les appels à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins. En France notamment, plusieurs élus et les représentants coutumiers de Wallis-et-Futuna se sont prononcés en faveur d'un moratoire de 50 ans pour toutes les activités extractives dans les grands fonds marins de sa ZEE ( cf . supra ), en mettant en avant - notamment - l'opposition des chefferies coutumières en raison de leur attachement à la valeur culturelle de leur patrimoine maritime et du lien fort les unissant à la mer. Ces considérations sont partagées par les gouvernements de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, également auditionnés par la mission d'information.

b) Une protection éclairée et proactive des fonds marins nécessite de les comprendre et de maintenir les efforts de recherche

Si la communauté scientifique s'accorde sur la fragilité des milieux sous-marins profonds et leur sensibilité aux activités humaines, l'état actuel des connaissances ne permet pas pour autant de mesurer pleinement le coût environnemental qu'aurait l'ouverture potentielle de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins.

Comme l'a indiqué lors de son audition M. Joachim Claudet, conseiller océan au CNRS, « on ne peut établir de façon argumentée et scientifique le ratio coût-bénéfice » d'une éventuelle exploitation .

Comme énoncé précédemment, la connaissance des grands fonds marins est encore parcellaire et s'apparente davantage à la description de ces milieux qu'à leur compréhension. Il n'est par conséquent pas possible, à l'heure actuelle, de définir une position raisonnée sur l'opportunité d'ouvrir ou non les fonds marins français à une éventuelle exploitation et, a fortiori , de prévoir des règles de protection d'un environnement largement inconnu. À l'opposé de la position de certaines associations environnementales prônant une sanctuarisation totale des grands fonds marins qui inclurait la recherche scientifique, il semble au contraire que c'est en prouvant scientifiquement le rôle moteur que joueraient les grands fonds marins dans l'équilibre naturel de la Terre que la France pourrait peser dans les négociations internationales et freiner, le cas échéant, les velléités d'exploitation de certains États.

La mission d'information estime par conséquent indispensable que la France investisse davantage pour une meilleure connaissance physique, géologique et biologique des grands fonds marins et de leurs écosystèmes . Elle s'oppose donc à une protection « à l'aveugle » et passive des grands fonds marins au profit d'une protection éclairée et proactive qui nécessite une meilleure compréhension de ces milieux : c'est en connaissant quelles sont les espèces les plus fragiles qu'il sera par exemple possible de déterminer les moyens de les protéger, y compris en l'absence d'exploitation.

Faute d'une filière de recyclage pleinement efficiente qu'il conviendrait de soutenir davantage et dans le contexte d'une transition écologique fortement consommatrice en certains métaux rares, l'enjeu de protection de l'environnement ne doit par ailleurs pas écarter par principe la question de la comparaison de l'impact environnemental de l'exploitation d'un gisement en mer par rapport à un équivalent à terre , en particulier si les densités en métaux diffèrent. Le BRGM estime par exemple que les étapes de creusement et de broyage représentent approximativement 50 % de l'impact environnemental d'une mine terrestre, le reste étant porté par le traitement du minerai et l'extraction des métaux d'intérêt. Dans le cas des nodules polymétalliques, qui sont dispersés sur la plaine abyssale, il est envisageable de penser que l'action extractive en elle-même aura un impact agrégé moindre qu'une vaste mine terrestre à ciel ouvert, bien que cela ne soit qu'une hypothèse à ce stade.

En tout état de cause, la connaissance aussi bien de la biodiversité que des ressources minérales des milieux marins profonds est indispensable pour assoir une évaluation raisonnée de l'impact d'une éventuelle exploitation des ressources qui y sont présentes. À court et moyen termes, cette exploitation ne prendrait tout son sens que s'il était avéré que son impact global sur l'environnement et la biodiversité était inférieur à celui d'une exploitation à terre. C'est pourquoi la recherche française ne doit ni se concentrer uniquement sur les ressources minérales au détriment de la recherche sur le vivant, ce qui aurait pour conséquence de résumer l'exploration à des activités de prospection, ni écarter d'office les études des gisements miniers sous-marins car celles-ci représentent un pan de la connaissance nécessaire à une compréhension globale de nos fonds marins.

En l'absence de réponse étayée à cette question primordiale , toute décision sur l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins français est donc prématurée et la mission d'information soutient la position de prudence adoptée jusqu'à présent par la France.

Recommandation

15) Créer un conseil scientifique réunissant des représentants de l'ensemble des disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins (océanographes, géologues, biologistes, ingénieurs des mines, économistes, etc.) afin de favoriser le dialogue entre les différentes disciplines et d'éclairer les politiques publiques notamment sur le besoin en minerais d'origine marine pour la transition énergétique, compte tenu des ressources alternatives potentielles. Le secrétariat de ce conseil scientifique pourrait être assuré par le service administratif de référence dont il est proposé la création au sein du ministère de la mer.

B. UNE FILIÈRE INDUSTRIELLE À STRUCTURER

1. Des perspectives qui doivent être éclaircies faute de pouvoir proposer un « business model »
a) À court terme, l'intérêt économique d'une exploitation des ressources minérales des grands fonds marins est encore à prouver

Constatant le fort potentiel minier que recèleraient les fonds marins, la Commission européenne avait estimé possible, dans une communication du 13 septembre 2012 consacrée à la croissance bleue 63 ( * ) , un développement rapide de l'exploitation minière des ressources des grands fonds marins, présumant à l'époque que le marché mondial pourrait atteindre 5 milliards d'euros en 2022 et 10 milliards d'euros à l'horizon 2030 :

« Les progrès technologiques ainsi que les préoccupations relatives à la sécurité de l'approvisionnement ont encouragé les sociétés minières à considérer ce que la mer peut apporter. [...] D'ici à 2020, 5 % de la quantité mondiale de minéraux, y compris le cobalt, le cuivre et le zinc, pourraient provenir des fonds marins. Ce chiffre pourrait passer à 10 % d'ici à 2030. Le chiffre d'affaires annuel mondial de l'exploitation minière marine pourrait passer de pratiquement zéro à 5 milliards d'euros dans les 10 prochaines années et atteindre jusqu'à 10 milliards d'euros d'ici à 2030. »

Dix ans plus tard, force est de constater que le marché de l'extraction minière en mer , à l'exception du sable et du gravier dans les fonds côtiers peu profonds, est resté au niveau « pratiquement zéro » , aucun groupe minier n'ayant encore initié de projet d'extraction commerciale. L'entreprise canadienne Nautilus, qui avait obtenu un permis d'exploitation de sulfures hydrothermaux dans les eaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée a fait faillite, tandis que l'AIFM n'autorise pas les activités extractives dans la zone internationale tant qu'un règlement régissant l'exploitation n'a pas été adopté, ce qui ne devrait pas être le cas avant mi-2023 au plus tôt.

À l'échelle française comme internationale, la rentabilité des activités d'extraction sous-marine par rapport à l'exploitation des ressources terrestres est encore à déterminer . S'il est prêté à la Chine le souhait de transformer d'ici quelques années les contrats d'exploration qu'elle détient auprès de l'AIFM en contrats d'exploitation, il semble que les raisons soient davantage stratégiques (sécuriser des approvisionnements en métaux et se positionner sur de futurs marchés) que pour en tirer un bénéfice financier.

De même, en l'état des avancées technologiques, il est encore prématuré de considérer comme techniquement réalisable une exploitation minière des fonds marins à l'échelle industrielle , du moins à court terme (10 ans).

L'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins constitue en effet une « équation à quatre inconnues » 64 ( * ) composée de l'impact environnemental, la technique, la rentabilité économique et l'acceptabilité sociale.

Sur la faisabilité technique de l'exploitation, l'intervenant le plus optimiste parmi ceux que la mission d'information a auditionnés est le directeur général de l'entreprise belge GSR, qui a estimé possible l'exploitation commerciale des nodules polymétalliques à partir de « 2028-2029 ». Le robot extracteur sur lequel travaille GSR, le Patania , a effectué des essais en 2021 qui ont permis à GSR d'atteindre une profondeur de 4 443 mètres et de collecter 1 535 tonnes de nodules à un taux de récupération de 120-135 t/h 65 ( * ) . Des tests plus poussés doivent cependant encore avoir lieu en 2024, en particulier pour améliorer le système de remontée.

Les sociétés minières anglo-saxonnes The Metals Company et Lockheed Martin UK prévoient également d'effectuer des tests sur des prototypes de collecteurs de nodules polymétalliques dans la zone internationale en 2022-2023, tandis que des entreprises japonaises et chinoises ont expérimenté des collecteurs dédiés aux amas sulfurés et aux encroûtements cobaltifères dans leurs ZEE respectives en 2017 et en 2020. Néanmoins, tous ces projets ne sont encore que des prototypes, testés sur de petites surfaces.

Lors de son déplacement en Norvège, la mission y a constaté le dynamisme de la recherche et développement sur la mine en eau profonde, sous l'impulsion de l'État. La plupart des acteurs s'accordent toutefois sur le fait que les technologies d'extraction et de transformation du minerai ne sont pas, à ce stade, arrivées à maturité et qu'il serait irréaliste d'envisager une production à l'échelle industrielle avant la fin de la décennie .

L'expérience acquise en Norvège par les entreprises du secteur des hydrocarbures est mise à profit et constitue un avantage important. La profondeur des gisements n'est pas un obstacle pour ces entreprises : cette profondeur a doublé tous les cinq ans dans le secteur oil and gas . Les entreprises norvégiennes ont par ailleurs pleinement conscience qu'il leur faut surmonter le défi environnemental de l'extraction en développant des collecteurs minimisant les panaches de sédiments (Loke minerals développe par exemple un engin qui réduirait de 95 % le volume de sédiments déplacés lors de l'extraction de nodules). La question du coût du transport et de la logistique se pose, notamment lorsque les ressources sont loin des côtes (nodules). Enfin, des unités terrestres de transformation du minerai sont également nécessaires, ainsi qu'une réflexion sur la gestion ou le recyclage des déchets issus de cette transformation. Des procédés de transformation propres à chaque type de ressource restent à développer. Le secteur minier pourrait apporter des réponses à cette question qui demeure toutefois, à ce jour, irrésolue .

La plupart des personnes que la mission d'information a auditionnées, qu'elles soient issues du monde de la recherche, du secteur privé ou des ministères intéressés par le sujet, s'accordent ainsi sur le caractère « immature » 66 ( * ) du marché de l'extraction minière sous-marine et l'ampleur des progrès techniques encore à réaliser avant de pouvoir considérer qu'une exploitation commerciale est possible.

Sachant qu'il n'est « pas réaliste économiquement d'envisager de petits chantiers » d'exploitation 67 ( * ) , les investissements à effectuer sont considérables. Bien que la méconnaissance générale que nous avons des grands fonds marins ait pour conséquence qu' il « est très difficile d'établir une évaluation réaliste et raisonnable de l'intérêt économique » 68 ( * ) d'une exploitation sous-marine, une première estimation effectuée par les Pôles mer évalue l'investissement nécessaire pour monter un chantier d'exploitation de nodules polymétalliques en haute mer à approximativement deux milliards d'euros, couplé à des coûts opérationnels annuels compris entre 500 et 700 millions d'euros. À ces coûts s'ajoute le transport vers les sites de transformation des métaux, par définition fortement éloignés des lieux d'extraction.

D'un point de vue technique, les principales difficultés ont trait à la remontée sur plusieurs kilomètres des matériaux extraits sur le plancher océanique et à la résistance sur le long terme des dispositifs de collecte aux contraintes du milieu profond. En outre, l'activité minière sous-marine exige une plus grande intervention mécanique et humaine que l'exploitation d'hydrocarbures en mer. Contrairement à cette dernière pour laquelle le gisement peut être exploité sans grande intervention technique une fois que les pipelines sont posés, l'activité minière est en effet moins automatisée et concerne une plus grande zone d'intervention, exigeant des dispositifs d'extraction plus mobiles.

Le coût de l'extraction minière sous-marine devra également prendre en compte les futures garanties environnementales exigées aussi bien par la plupart des États dans leur ZEE que par l'AIFM dans la zone internationale. Les dispositifs de mitigation des impacts sur l'environnement marin et l'application du principe de pollueur-payeur sur lesquels travaille l'AIFM pour rédiger son règlement d'exploitation rendent plus élevées les conditions de rentabilité des chantiers d'exploitation en mer.

En outre, conformément à la Convention de Montego Bay qui fait appartenir les ressources sous-marines de la zone internationale au « patrimoine commun de l'humanité » (article 136), une part des bénéfices issus de l'exploitation de ces ressources devra être partagée, selon des modalités restant encore à préciser lors des négociations au sein de l'AIFM. C'est d'ailleurs pour cette raison que les associations de protection de l'environnement estiment que « les plus grands dangers d'exploitation semblent se situer sur le plateau continental des États et non dans la Zone » 69 ( * ) , puisque les premiers ne seront pas soumis au régime international de partage des bénéfices.

Enfin, la teneur en métaux des ressources minérales des grands fonds marins n'est pas nécessairement significativement plus élevée que celle des mines terrestres, à l'exception des sulfures hydrothermaux pour le cuivre et le zinc et des encroûtements cobaltifères pour le cobalt.

En définitive, le coût d'une exploitation sous-marine est unanimement estimé comme supérieur à celui d'une mine terrestre , bien que cette assertion puisse évoluer rapidement en fonction des avancées technologiques en matière d'extraction et de transformation des métaux, de l'ampleur des protections environnementales imposées aux exploitants et de l'évolution du cours des matières premières.

En l'état actuel du marché des matières premières, ces coûts élevés ne pourraient pas être compensés de façon certaine par la rentabilité des activités d'extraction sous-marine.

En effet, le marché des matières premières minérales se caractérise par une forte volatilité des prix , qui rend incertain l'intérêt économique d'une exploitation en mer et freine par conséquent les lourds investissements que cela nécessiterait pour les opérateurs miniers. À titre d'exemple, le prix du cuivre est passé en vingt ans de 2 000 à 10 000 dollars la tonne, selon une courbe très irrégulière. Celui du cobalt a oscillé entre 20 000 et 80 000 dollars la tonne. Le lithium a vu son prix multiplié par cinq en un an 70 ( * ) . Inversement, le prix à l'export de l'oxyde de néodyme, qui fait partie des terres rares, est passé d'un peu moins de 400 000 dollars la tonne en 2011, après la décision chinoise d'imposer des quotas, à une moyenne d'environ 50 000 dollars sur les dernières années 71 ( * ) .

À court et moyen termes, et malgré les difficultés inhérentes au calcul des ressources (le stock de minerais) et des réserves (les ressources techniquement et économiquement exploitables ), la disponibilité terrestre des principaux minéraux semble assurée pour, a minima , un peu plus d'une quarantaine d'années concernant le cuivre, le cobalt et le nickel et de quatre-vingt ans pour le manganèse. Ces évaluations sont néanmoins sujettes à précautions puisqu'elles dépendent de l'évolution de la demande mondiale, dont l'ampleur de la tendance haussière reste incertaine à long terme en fonction des efforts qui seront faits en faveur de la transition écologique et des progrès technologiques qui pourraient permettre de faire mieux avec moins (par exemple dans le domaine des batteries électriques). Surtout, les réserves comme les ressources sont un élément dynamique qui a augmenté autant voire plus rapidement que la consommation de ces métaux , à la suite des travaux de prospection que la demande en matières premières a pu inciter. À titre d'exemple, l'indicateur d'épuisement du cuivre (44 ans) est resté relativement statique depuis les années 1950 malgré une forte hausse de sa consommation 72 ( * ) . Les réserves de lithium, un composant nécessaire à l'électrification du parc automobile, sont passées de 4 millions de tonnes en 2008 à 14 millions de tonnes dix ans plus tard, à mesure que la demande de lithium croissait.

Bien que cela soit insuffisant à long terme dans un contexte de ressources limitées, l'indicateur d'épuisement des ressources minérales pourrait par ailleurs être accru à la faveur de nets progrès en matière de recyclage des métaux , par exemple dans le secteur de la construction et, plus précisément, de la démolition de bâtiments anciens dont la tuyauterie et le câblage électrique sont rarement recyclés. Au total, le cuivre n'est actuellement recyclé qu'à hauteur de 28 %, tandis que le recyclage des métaux compris dans les terres rares n'atteint pas 10 % 73 ( * ) .

Tous ces éléments permettent d'affirmer qu' il n'y a pas d'urgence à démarrer une exploitation précipitée des ressources minérales de nos fonds marins qui pourrait entraîner des effets irréversibles sur l'écosystème profond. Non seulement la complexité d'une exploitation éventuelle à grande profondeur et loin de toute zone habitée rend difficile l'évaluation des coûts d'exploitation et de son hypothétique rentabilité, mais la disponibilité actuelle des gisements terrestres apparaît suffisante pour prendre le temps d'encadrer davantage les conditions, notamment environnementales, d'une potentielle exploitation.

Il semble ainsi préférable de mettre à profit les prochaines années pour accroître la part du recyclage des métaux, accentuer les travaux d'exploration afin de disposer d'un inventaire précis des ressources vivantes et minérales que recèlent nos fonds marins et améliorer les techniques d'extraction pour limiter au maximum les effets d'une éventuelle exploitation sur l'environnement marin. Ces objectifs doivent associer autant que possible les filières scientifiques et industrielles, afin que la France reste une nation de référence sur l'exploration sous-marine et qu'elle se tienne prête dans le cas où les conditions d'une exploitation raisonnée des ressources minérales de nos fonds marins seraient réunies.

b) En l'absence de visibilité sur les véritables intentions de l'État, le secteur industriel français, pourtant bien positionné sur l'exploration, pâtit du manque d'acteurs fédérateurs

Malgré l'absence de modèle économique viable sur l'exploitation, la France dispose d'acteurs industriels reconnus dans le domaine de l'exploration sous-marine ( cf . supra ). Ces acteurs sont capables de travailler en synergie pour faire de la France l'un des rares pays capables d'explorer les fonds jusqu'à 6 000 mètres de profondeur, avec par exemple les robots Victor et UlyX .

Cette filière en devenir pâtit néanmoins de freins à l'investissement en raison du manque de visibilité sur les intentions de l'État , aussi bien en matière d'exploration que d'exploitation.

L'ensemble des acteurs industriels auditionnés par la mission d'information a mis en exergue la difficulté d'engager de lourds investissements de recherche et développement dans un contexte de fortes incertitudes sur l'ouverture ou non d'une exploitation minière des fonds marins, mais également, et de façon plus problématique, sur l'ampleur du soutien effectivement apporté par l'État aux activités de recherche scientifique et d'exploration sous-marine. Un certain décalage a été relevé entre les annonces faites par le Gouvernement en faveur de la connaissance des grands fonds marins (théoriquement, une enveloppe de 600 millions d'euros en additionnant la stratégie nationale et le plan France 2030) et le déblocage concret des crédits afférents. Comme le résume M. Jean-Marc Sornin, président d'Abyssa, le secteur privé « manque d'informations » 74 ( * ) sur l'ampleur réelle du soutien financier de l'État, ses intentions à long terme et les modalités d'accès aux projets portés par la puissance publique.

En conséquence, et comme l'illustre la difficulté à finaliser le financement du projet de démonstrateur, il existe une grande imprécision sur le partage du risque entre l'État et le secteur privé , ce dernier ne pouvant s'engager dans des projets pris en charge par l'Etat à hauteur de seulement 20 % à 30 %, en l'absence de rentabilité économique. De nombreux projets ont ainsi été abandonnés en cours de route, faute de perspectives. Ce fut le cas notamment du projet « Melodi » s'intéressant aux outils d'exploration électromagnétique et du projet « Fonasurf » qui visait à concevoir un système complet pour l'exploitation minière en eaux profondes orientées sur les sulfures polymétalliques. De nombreux prototypes n'accèdent pas à l'étape décisive de l'industrialisation, faute de clients clairement identifiés.

Le marché de l'exploration des grands fonds marins, bien qu'existant et prometteur, est donc actuellement un « marché de niche » 75 ( * ) puisque seule la science et de très rares entreprises minières étrangères s'intéressent aux fonds situés en deçà de 3 000 mètres, une profondeur à laquelle le monde du pétrole offshore ne descend pas.

En France, les entreprises positionnées sur l'exploration des grands fonds marins sont relativement nombreuses (une centaine d'après les Pôles mer) et performantes à l'export, mais il s'agit majoritairement d'équipementiers de taille intermédiaire (750 salariés pour iXblue, 700 pour ECA, 100 pour Alseamar), à l'exception de TechnipFMC, qui travaille sur les sulfures hydrothermaux mais dont le secteur d'activité historique est le monde pétrolier. Une seule entreprise, Abyssa, propose des services de cartographie.

Le secteur souffre notamment de l'absence criante d'acteurs fédérateurs capables d'insuffler une véritable dynamique en faveur de l'exploration des grands fonds marins , comme cela peut être le cas dans le secteur pétrolier autour duquel gravitent de nombreux sous-traitants, ou dans certains pays, à l'instar de la Norvège, reconnue unanimement comme le pays européen le plus en pointe sur l'exploration sous-marine, notamment grâce à l'entreprise Kongsberg.

Aucun grand groupe français susceptible de structurer naturellement la filière ne semble s'intéresser aux potentialités minières des grands fonds marins. La principale entreprise minière française, Eramet, a indiqué à la mission d'information que son « intérêt » pour les grands fonds marins « est assez limité » et qu'aucun « projet de développement, ni même étude » n'avait été prévu dans ce domaine car « les technologies ne sont pas assez mûres pour envisager une exploitation à grand volume ». Toujours selon Eramet, « les grands fonds marins ne feront pas partie des gisements intéressants avant 2040 » 76 ( * ) .

Pour pallier ces lacunes, dommageables en ce qui concerne l'exploration pour laquelle il existe de nombreuses opportunités de développement à l'international, le plan d'investissement France 2030 est censé « soutenir l'émergence de champions industriels capables de fournir des équipements ou des prestations pour agir sur les fonds marins » 77 ( * ) . Il s'agit en conséquence de veiller à ce que le volet fonds marins du plan France 2030 soit appliqué dans sa totalité, afin de redonner « confiance [aux industriels] dans les perspectives à venir ».

2. Un engagement fort de l'État nécessaire pour structurer cette filière d'avenir
a) Un tissu industriel dense qui n'attend que la commande publique pour se lancer

En parallèle du recensement effectué par le Pôle mer, le Cluster maritime français a identifié un vivier d'une cinquantaine d'entités de toute taille (PME, ETI, grandes entreprises) prêtes à s'investir dans l'exploitation.

Par ailleurs, le comité ministériel de pilotage de l'axe 10 de France 2030, dédié à l'investissement dans le champ des fonds marins, est constitué d'experts qualifiés sur la question des grands fonds comme Thomas Buret, directeur général d'iXblue ou Carine Tramier, présidente du Conseil d'orientation de la Recherche et de l'Innovation de la filière des industriels de la mer (CORIMER) 78 ( * ) , qui coordonne l'ensemble des initiatives industrielles.

M. Thierry de la Burgade, Secrétaire général de la mer adjoint, a précisé à la mission que « sur le plan technologique et industriel, l'enjeu est de constituer un écosystème d'entreprises capables de répondre aux défis de l'exploration des grands fonds et de fournir les prestations et les équipements nécessaires » 79 ( * ) . Alors que cet écosystème semble s'être constitué, comment expliquer la difficulté à faire émerger un champion industriel évoquée précédemment ?

Au-delà des intentions de l'État, il convient de questionner les impasses structurelles du système actuel du financement industriel. Le recours massif à des appels à manifestation d'intérêt est particulièrement critiqué, notamment par le GICAN, et les appels d'offres devraient être privilégiés , compte tenu du caractère très « amont » de la recherche, et de perspectives commerciales incertaines et, en tout état de cause, lointaines.

Mme Carine Tramier a indiqué, lors de son audition, que l'appel à manifestation d'intérêt de l'année 2022 avait permis de sélectionner vingt et un dossiers, dont certains dépassaient les dix millions d'euros, pour un objectif de soixante millions d'euros soit environ le double de l'année précédente. Néanmoins, les critères d'éligibilité des projets semblent parfois dirimants . En effet, « un projet collaboratif, c'est-à-dire regroupant plusieurs sociétés, doit être supérieur à 4 millions d'euros et les projets individuels doivent être supérieurs à une certaine somme comprise entre 2 et 4 millions d'euros selon le type de la société » 80 ( * ) . Afin d'encourager les initiatives des entreprises, il apparaîtrait pertinent d'assouplir ces critères .

En outre, le CORIMER qui constitue l'enceinte de dialogue entre l'État et la filière industrielle constitue une étape intermédiaire parfois critiquée. Mais surtout, l'appel à manifestation d'intérêt ne permet pas aux entreprises d'obtenir un apport financier suffisant, pour entreprendre des projets dont la viabilité économique est par essence incertaine. Le volontarisme étatique doit donc se manifester , comme pour toute création de filière industrielle non mature sur le plan technologique. La frilosité de l'État en termes de commande publique cristallise les critiques.

La mission d'information a d'ailleurs pu constater, en Norvège , que c'était bien l'État qui était à l'origine de la forte impulsion donnée à la recherche, soit par le biais d'appel d'offres, soit parce que l'État est actionnaire majoritaire d'un grand nombre d'entreprises impliquées. Les acteurs privés financent néanmoins une partie de la recherche, ce qui est facilité par l'existence d'une feuille de route claire menant probablement vers l'exploitation, et par la stabilité du cadre législatif et réglementaire .

Lors de son audition, M. Xavier Grison a souligné que « les industriels sont aujourd'hui assez réticents à consentir des investissements. Non seulement ils ne savent pas quelle sera la rentabilité des sommes investies mais une interdiction d'exploitation peut leur être notifiée sans préavis. Il revient à l'État de se substituer au secteur privé et de porter une partie du risque . Les industriels augmenteront leurs investissements avec la diminution du risque » 81 ( * ) .

M. Hervé Guillou exposait lui aussi l'impasse que connaissent les entreprises françaises : « dès lors qu'il n'existe à ce jour aucun business model en matière d'exploitation des fonds marins, il n'existe aucun business model industriel. Aussi, tant que ne seront pas créées les conditions permettant l'émergence de cycles économiques viables, nous soutenons les recommandations du Secrétaire général de la mer de recourir aux financements par la commande publique. C'est ce qui explique le retard pris : ils étaient partis avec l'idée d'un financement privé à hauteur de 50 à 70 % ; or aucun industriel ne s'engagera dans une telle proportion en l'absence de rentabilité économique » 82 ( * ) . Certes les entreprises pourraient mutualiser leurs investissements plutôt que de multiplier des projets plus difficiles à rentabiliser. Mais cela ne constituerait qu'un palliatif à l'écueil principal actuel à savoir l'insuffisant investissement public . Une telle évolution pourrait même encourager le CORIMER à ne retenir que les plus gros projets.

Or, de par les risques consubstantiels aux fonds marins, notamment les perspectives commerciales incertaines mentionnées ci-dessus, les industriels ne peuvent se contenter de la promesse d'un programme d'investissement d'avenir . Certaines entreprises ont par ailleurs précisé que l'échelle temporelle des projets susceptibles de les intéresser excédait largement celle des appels à manifestation d'intérêt ou appels d'offres, pour atteindre parfois vingt ans.

L'ensemble des industriels auditionnés a donc insisté sur l' indispensable nécessité de rendre la commande publique prioritaire , commande publique dont ne relève pas l'appel à manifestation d'intérêt. Cet effort crucial en matière de commande publique, aujourd'hui défaillante, apporterait en effet de la lisibilité au secteur industriel français. Certaines entreprises ont salué les efforts de l'État en termes d'analyse mais attendent désormais un effort dans l'exécution .

La France ne dispose pas comme d'autres pays d'un champion industriel prêt à assumer le leadership sur ce sujet, ou d'une entreprise étatique capable de supporter les risques inhérents comme Equinor en Norvège par exemple. Il est donc primordial d'accélérer dès maintenant sur le sujet de la commande publique. À défaut, il faudra probablement se résoudre au désolant constat dressé dans le rapport de 2022 de Philippe Louis-Dreyfus pour le Groupe d'Expertise Économie Maritime : l'industrie maritime n'apparaît pas comme présente au coeur des enjeux de l'État .

Cependant les responsables étatiques semblent avoir conscience de la criticité de cet enjeu. Mme Carine Tramier a ainsi indiqué que « le recours privilégié à la commande publique prend tout son sens : celle-ci permet de concrétiser le marché et de laisser entrevoir aux industriels un retour sur investissement » 83 ( * ) en rappelant que le sujet de la commande publique est au coeur des débats. Thomas Buret, directeur général d'iXblue et également membre du comité ministériel de pilotage, a lui signifié que « l'industrie se tient prête mais compte sur la commande publique pour enclencher le mouvement » 84 ( * ) tout en soulignant qu'en France le processus de commande publique et plus lent qu'ailleurs .

Enfin, M. Thierry Pineau, conseiller en charge de la recherche agronomique, de l'environnement et du développement durable au cabinet de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a indiqué que le Gouvernement tâchait « d'agir à bon rythme et d'équilibrer concours scientifiques, où la concurrence est de mise, et commande publique, où les industriels pourront s'associer ». 85 ( * )

Il faut désormais que cette prise de conscience se traduise en commandes publiques concrètes, le tissu industriel étant déjà prêt à y répondre.

Pour améliorer les synergies entre acteurs, plusieurs personnes auditionnées ont par ailleurs suggéré de trouver un mode de structuration de la filière , ce qui pourrait se traduire par la création d'un pôle d'excellence « fonds marins », sur le modèle du pôle d'excellence cyber créé en 2014 à l'initiative du ministère des armées et de la région Bretagne.

Ce pôle d'excellence associerait des acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de créer des synergies entre leurs compétences respectives. Ce pôle serait en outre chargé de structurer l'offre de formation dans le domaine des fonds marins , afin de pouvoir répondre à la demande, en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer. Ce pôle d'excellence aurait également pour mission de favoriser les coopérations à l'international.

Recommandation

16) Créer un pôle d'excellence « fonds marins », sur le modèle du pôle d'excellence cyber, associant acteurs civils et militaires, publics et privés, académiques et industriels, afin de favoriser les synergies, de structurer une filière industrielle qui ne pourra se développer que grâce à la commande publique, et de renforcer l'offre de formation en lien avec les universités, les grandes écoles et les territoires, en particulier outre-mer. Créer des classes « enjeux maritimes » dans l'enseignement secondaire.

b) L'importance de ne pas se focaliser uniquement sur l'exploitation des fonds marins

Dans la course qui se prépare à l'exploitation des ressources minérales des fonds marins, il paraît néanmoins essentiel de ne pas être obnubilé par le seul prisme de l'exploitation. En effet, le Pôle mer, dont la cartographie du tissu industriel français est particulièrement précise, a précisé que les entreprises sont prêtes pour l'exploration . De plus, certaines technologies existantes en matière de prospection pétrolière peuvent être transférées vers l'exploration des grands fonds mais seront en revanche inadaptées à l'exploration minière.

L'exploration des fonds marins résulte en de nombreuses innovations potentielles qu'il conviendrait ensuite d'industrialiser notamment grâce à l'effort en termes de commande publique évoqué précédemment. Le Pôle mer estime que, pour la réalisation de ces avancées technologiques, quelques centaines ou milliers d'emplois pourraient être créés en dix ans.

Associer davantage les entreprises privées aux travaux d'exploration peut leur permettre en outre d'intensifier leurs efforts en R et D et leur ouvrir des sources complémentaires - mais minoritaires - de financement. L'exploration ne concerne pas ainsi que le seul monde de la recherche, comme le rappelait M. Johann Rongau : « lorsque l'on mène des campagnes d'exploration, on montre aux autres pays que la France est présente et s'intéresse à ses eaux. Il y a un lien clair entre les dimensions économique, militaire et géopolitique » 86 ( * ) .

Il existe donc de fortes complémentarités entre les entreprises et les instituts de recherche dans le cadre d'une exploration auxquelles une focalisation exclusive sur les questions d'exploitation pourrait nuire. Le CNRS a par exemple évoqué la possibilité de conclure des contrats avec des entreprises pour le management d'aires marines protégées, certains chercheurs pouvant par la suite être embauchés par ces entreprises pour des conseils dans ce domaine. Le CNRS a par ailleurs souligné qu'« un des espoirs de la recherche sur les grands fonds repose sur le développement d'un écosystème d'entreprises françaises et européennes , qui existent déjà pour certaines. Le monitoring représente un fort potentiel pour ces entreprises, dans les grands fonds, comme dans les aires marines protégées » 87 ( * ) . Une meilleure association des entreprises aux questions d'exploration permettrait également de renforcer ces synergies entre le monde de la recherche et le monde industriel, au-delà naturellement de l'acteur central que constitue l'IFREMER.

De plus, cette association accrue des entreprises à l'exploration des fonds marins pourrait idéalement se traduire par un soutien renforcé à l'export , qui constitue pour certaines entreprises comme ALSEAMAR ou ECA Group près de la moitié de leur chiffre d'affaires.

Enfin l'exploration se traduit par une dronisation de l'espace maritime dont les retombées technologiques sont multiples pour les entreprises françaises. À ces profondeurs, les objectifs civils et militaires coïncident : il s'agit donc de technologies duales .

Cette dualité est historique. Par exemple, des opérations industrielles comme militaires ont pu par le passé utiliser la soucoupe Cyana , développée à l'époque par la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique et désarmée en 2003.

Aujourd'hui de nombreuses entreprises intéressées par les questions d'explorations des fonds marins espèrent donc des commandes autant civiles que militaires. ECA Group a ainsi exposé son positionnement dernièrement centré autour de la guerre des mines, tout en doutant de l'existence d'un marché de l'armée suffisamment important .

La complémentarité entre les enjeux civils et militaires du point de vue industriel a d'ailleurs été mise en exergue par la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins du ministère des armées qui évoque la possibilité de développer des partenariats avec des opérateurs civils dans de nombreux domaines présentant des synergies entre activités industrielles et activités du ministère en raison de leur dualité potentielle (plongée profonde, navigation sous-marine autonome, recherche scientifique marine, stockage d'énergie, miniaturisation des charges utiles, résistance aux très fortes pressions, utilisation de la fibre optique à des fins de surveillance,...). Il ne s'agit néanmoins que d'une perspective que se donne le ministère qui précise qu'il conviendra de définir la nature de ces partenariats potentiels, ce qui témoigne à nouveau du manque de visibilité offerte aux industriels français.

L'exploration des fonds marins, de par les perspectives duales qu'elle offre, pourrait donc constituer des retombées économiques plus immédiates qu'une exploitation dont la rentabilité et la viabilité semblent actuellement bien plus hypothétiques. Il demeure cependant possible que certains acteurs industriels ne se mobilisent totalement qu'en cas d'une ouverture à l'exploitation où les risques sont pourtant encore plus importants et l'investissement de l'État d'autant plus crucial.

3. Des investissements qui doivent profiter aux outre-mer

L'exploration comme l'éventuelle exploitation des fonds marins représentent un fort potentiel de développement économique pour les territoires d'outre-mer , bien que l'ampleur des retombées économiques soit difficilement chiffrable, comme l'a reconnu le Secrétariat général de la mer lors de son audition 88 ( * ) .

En termes d'exploration, l'installation d'équipes locales simplifie grandement la maintenance des matériels et est un mouvement à encourager lors de la passation de contrats de cartographie ou d'exploration. À titre d'exemple, l'entreprise Alseamar a embauché une personne à Mayotte pour s'occuper du planeur sous-marin chargé d'étudier le volcan apparu récemment dans les fonds marins au large de l'île. Comme mentionné précédemment, l'entreprise Abyssa, qui propose des prestations de cartographie sous-marine, a créé deux branches dans les territoires ultramarins, Abyssa Polynésie et Abyssa Nouvelle-Calédonie.

Dans le cadre d'un développement international des travaux d'exploration, les territoires ultramarins pourraient en outre jouer un rôle de hub de compétences à destination des pays voisins ou de la zone internationale, en particulier dans le Pacifique. C'est d'ailleurs l'une des raisons évoquées par le président d'Abyssa pour justifier la création d'Abyssa Polynésie : « Pour nous, la Polynésie est une base pour ensuite accéder à toute la région du Pacifique centre, par exemple aux îles Cook ou à la zone de Clarion Clipperton . » 89 ( * )

S'il semble peu probable que le matériel nécessaire à l'exploration puisse être produit à grande échelle dans les territoires d'outre-mer, les infrastructures industrielles étant peu adaptées, ceux-ci disposent en revanche d'une expertise reconnue en matière de services en mer , qu'il conviendrait de soutenir, par exemple en développant des filières spécialisées dans la connaissance des grands fonds marins au sein des universités locales. Ainsi, lorsque de vastes campagnes d'exploration seront lancées, « les outre-mer seront nécessairement une base arrière » 90 ( * ) , notamment pour la maintenance navale et l'accompagnement en mer des scientifiques, dont un vivier local devrait être favorisé en accroissant la présence ultramarine de l'Ifremer.

Pour rappel, les fonds ultramarins français représentent un fort potentiel minier ( cf . II-A). Il convient de garantir, le cas échéant, que leur exploration ou leur exploitation se fasse dans le respect des lois statutaires adoptées par le Parlement et en concertation avec les populations et les élus concernés . Une participation à la vie économique locale doit être le corollaire de toute autorisation, selon un système à adapter aux réalités de chaque territoire ( cf . I).

À ce titre, lors des auditions de la mission d'information, plusieurs collectivités d'outre-mer se sont montrées favorables à une exploitation des ressources minérales de leurs fonds marins, sous réserve d'obtenir davantage de précisions sur le cadre juridique et environnemental entourant cette exploitation. Les représentants de Saint Martin, de la Martinique et de la région de La Réunion se sont exprimés en ce sens. Ceux de la Guyane et de la Guadeloupe ont indiqué que la question les « intéress[ait] » 91 ( * ) et qu'elles étaient prêtes à « coopérer » 92 ( * ) , tandis que la Polynésie française a souhaité mettre l'accent sur l'exploration, sans pour autant fermer la porte à une potentielle exploitation « dans un second temps » 93 ( * ) .

Outre la maintenance du matériel d'exploitation et des navires afférents, cette exploitation nécessitera de forts investissements en termes d'infrastructures portuaires. Le traitement des minerais et leur transformation en métal pourraient être faits localement, sous réserve de l'adaptation du système énergétique pour que celui-ci puisse faire face à une consommation accrue. Au total, tout ceci pourrait représenter la création de « milliers d'emplois » 94 ( * ) de toutes catégories comme « des chercheurs, des navigants, des cadres, des ouvriers » 95 ( * ) , dont une grande partie pourrait travailler depuis les outre-mer, au plus près des activités extractives.

En revanche, les représentants des îles Wallis et Futuna, de la Nouvelle-Calédonie et de Saint-Barthélemy se sont déclarés opposés à toute exploitation minière dans leurs eaux. S'il était décidé d'autoriser l'exploitation minière en mer, un régime différencié pourrait être mis en place afin de respecter le souhait des populations locales et leur rapport à la mer.

III. ENTRE COOPÉRATION ET COMPÉTITION, UNE STRATÉGIE DONT LA DIMENSION INTERNATIONALE DOIT ÊTRE RENFORCÉE

A. LA GOUVERNANCE INTERNATIONALE DES FONDS MARINS EST ENCORE EN CONSTRUCTION, LAISSANT L'OPPORTUNITÉ À LA FRANCE DE MAINTENIR SON RÔLE MOTEUR

1. Le cadre normatif international suit une démarche évolutive orientée vers l'exploitation

La gouvernance des fonds marins situés dans la « Zone [internationale] », c'est-à-dire à plus de 200 ou, dans le cas du plateau continental étendu, à plus de 350 milles marins des côtes, a été confiée à l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à la suite de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite convention de Montego Bay, et de l'accord du 28 juillet 1994 relatif à l'application de la Partie XI de ladite convention.

Ces textes habilitent l'AIFM à réglementer l'exploration et, à terme, l'exploitation minières des fonds marins de la Zone, avec pour double objectif de préserver l'environnement marin (article 145) et d'oeuvrer « dans l `intérêt de l'humanité tout entière » (article 140) en veillant à répartir au mieux les bénéfices de cette exploitation. Ce second objectif donnera lieu à la création d'une entité dépendante de l'AIFM, appelée « l'Entreprise », mais dont le contour est encore indéfini dans l'attente d'une autorisation potentielle d'exploitation des grands fonds marins.

Le développement de l'AIFM suit ainsi une démarche progressive assumée.

Si l'AIFM est appelée à jouer un rôle central dans la gouvernance internationale de l'océan, son action depuis son installation effective en 1996 se limite actuellement à la délivrance, au suivi et au renouvellement de permis d'exploration (31 permis d'exploration délivrés depuis 2001) ainsi qu'à la définition des règles juridiques encadrant l'exploration (trois règlements ont été publiés au début des années 2010) et l'exploitation (un règlement est en cours de rédaction, pour une date d'adoption prévue en 2023) des ressources minérales des fonds marins de la Zone.

Carte des principales zones d'exploration dans la Zone et des 31 contractants - Source : AIFM

Outre la volonté affichée de limiter par la rédaction de règlements les impacts de l'exploration et de l'exploitation sur l'environnement marin et la publication d'études « techniques » qui peuvent concerner les enjeux environnementaux, elle n'exerce pas à cette date un rôle particulièrement proactif relatif à la préservation de l'environnement marin qui pourrait la rapprocher d'un organisme international oeuvrant explicitement pour la protection de la biodiversité des grands fonds marins. Bien que de nombreuses données environnementales soient demandées aux bénéficiaires des permis d'exploration, comme par exemple l'élaboration d'un état initial environnemental, les activités d'exploration que l'AIFM supervise s'apparentent davantage, dans leur objectif, à de la prospection minière (évaluation d'un gisement et de sa teneur en métaux) qu'à de la recherche scientifique marine ayant pour objectif d'acquérir des connaissances sur les espèces et les écosystèmes des grands fonds ( cf . II - A).

Ses moyens humains et matériels sont d'ailleurs modestes s'il s'agit de jouer un rôle international davantage structurant. Pour réaliser ses missions, l'AIFM emploie moins d' une cinquantaine de « permanents » (dont 3 Français) et dispose d'un budget annuel de 18 millions de dollars 96 ( * ) , lequel, de l'avis du Secrétaire général de l'AIFM, « ne suffit pas » bien qu'il suive une tendance ascendante (en 2010, l'AIFM comptait 35 permanents et disposait d'un budget annuel s'élevant à 6 millions de dollars 97 ( * ) ).

Comme le notait déjà en 2014 un rapport de la délégation sénatoriale à l'outre-mer 98 ( * ) , l'influence de l'AIFM sur la scène internationale reste donc embryonnaire.

Néanmoins, une phase d'accélération du développement de l'AIFM est en cours d'initiation et pourrait aboutir d'ici quelques années à l'émergence d'une organisation internationale au rôle fortement accru.

Les travaux de l'AIFM, qui dispose d'un mandat « clair » selon son Secrétaire général, semblent en effet s'orienter progressivement vers l'exploitation des fonds marins situés dans la Zone, en raison notamment de la pression exercée en ce sens par certains États, le plus déterminé étant Nauru qui a notifié l'AIFM en juillet 2021 de son intention d'autoriser dans un délai de deux ans l'exploitation de ses ressources sous-marines.

La rédaction d'un règlement d'exploitation est par conséquent qualifiée « d' urgente » par le secrétariat général de l'AIFM. Après un premier objectif d'adoption fixé à 2020, officiellement non atteint en raison de la crise sanitaire, l'adoption du règlement d'exploitation est désormais prévue en 2023 et les travaux de rédaction occupent une large part des réunions des divers organes de l'AIFM, en particulier la commission juridique et technique.

S'il existe un relatif consensus sur la nécessité de prévoir un règlement régissant l'exploitation afin que, si celle-ci dût se faire, cela soit dans le cadre du primat du droit international, pour le bénéfice de tous et en s'appuyant autant que possible sur des garanties environnementales fortes, de nombreux points restent à définir et à négocier , en particulier l'ouverture ou non de l'exploitation des fonds marins internationaux.

Ces points portent principalement sur l'étendue des garanties environnementales , notamment la portée concrète du principe de pollueur-payeur, et sur le mode répartition des bénéfices , puisque les ressources des fonds marins de la Zone appartiennent au patrimoine commun de l'humanité. Restent ainsi à trancher lors des prochaines réunions de l'AIFM le montant des redevances à verser, le mécanisme de taxation à mettre en place - ce point précis étant l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont refusé de rejoindre l'AIFM -, le mécanisme de compensation des États producteurs et exportateurs de minerais terrestres  ou encore le mécanisme de partage des avantages issus d'une telle exploitation.

Si et lorsque le règlement d'exploitation sera adopté, la prochaine étape de développement de l'AIFM sera consacrée à l'ouverture de l'exploitation des ressources minérales de la Zone, qui semble être l'objectif affiché par le secrétariat général de l'institution, comme l'illustre le titre de son dernier rapport annuel : « Parvenir à une utilisation durable des ressources minérales des grands fonds marins pour le bénéfice de l'humanité ».

Il est à noter que si aucun consensus clair n'existe à cette date parmi les États membres de l'AIFM sur cette prochaine étape, augurant des débats nourris, l'exploitation des fonds marins internationaux est déjà juridiquement permise par l'article 150 de la convention de Montego Bay relatif à la « mise en valeur » des ressources de la Zone. Le corpus juridique international n'aurait ainsi pas à être amendé pour autoriser des États, des acteurs privés ou « l'Entreprise » à exploiter les ressources minérales des fonds marins de la Zone, le seul verrou étant l'approbation de toute demande d'exploitation par l'AIFM , soit, pour le principe même de l'exploitation, par l'Assemblée de l'AIFM à une majorité des deux tiers (article 159, paragraphe 8 et article 160, paragraphe 1), puis, en ce qui concerne le détail des demandes d'exploitation, par le Conseil de l'AIFM après avis de la commission juridique et technique (article 153).

2. La France doit accompagner la mue de l'AIFM
a) La France est un acteur majeur au sein de l'AIFM

Dans ce contexte de négociations autour du cadre futur de l'exploitation, la France bénéficie d'une position reconnue au sein de l'AIFM , comme « nation maritime majeure », une nation « pionnière » 99 ( * ) dans la recherche et l'exploration des grands fonds marins. Ayant initié des campagnes d'exploration des nodules polymétalliques dès les années 1970, la France fait partie du groupe informel dit des « investisseurs-pionniers », qui réunit une fois par an sept États précurseurs (Allemagne, Corée, Chine, Russie, Pologne, Royaume-Uni et la France) pour défendre leurs intérêts communs au sein de l'AIFM.

Dans un cadre plus formel, la France fait partie des cinq principaux contributeurs financiers de l'AIFM (350 000 € sont budgétés dans la loi de finances pour 2022), y affecte depuis sa création un représentant permanent, est élue systématiquement au Conseil de l'AIFM, dispose de 2 des 31 contrats d'exploration et contribue activement aux travaux de la commission technique et juridique par la présence d'un expert français, actuellement M. Elie JARMACHE, un juriste spécialisé dans le droit de la mer.

Le rôle de la France est d'autant plus significatif que les États-Unis ne sont pas membres de l'AIFM, plaçant la France au premier rang des pays membres en termes de superficie de sa ZEE . En outre, la Chine est présentée comme « discrète » 100 ( * ) au sein de l'AIFM, bien qu'elle ait une politique exploratoire ambitieuse (elle dispose de 5 des 31 permis d'exploration octroyés) et qu'elle se positionne en faveur de l'exploitation.

Ces éléments permettent à la France de s'afficher comme l'un des pays membres les plus actifs au sein de l'AIFM et d'y défendre une position que le Gouvernement considère comme exigeante en matière de préservation de l'environnement marin.

Sans être explicitement opposée ni favorable à l'exploitation minière des fonds marins internationaux, la position française au sein de l'AIFM consiste en effet à conditionner toute ouverture de l'exploitation minière à « des garanties environnementales suffisantes » 101 ( * ) qui ne font néanmoins pas l'objet d'une définition claire et publique.

Ainsi, la France soutient officiellement les travaux actuels de l'AIFM et son projet de règlement d'exploitation « convient » 102 ( * ) dans son ensemble au Gouvernement, sous réserve notamment que soit bien prévue l'élaboration d'un plan régional de gestion de l'environnement pour chaque région susceptible d'accueillir des projets d'exploitation, comme c'est le cas pour l'exploration.

Elle soutient et approuve les projets de création de zones de protection environnementale dans lesquelles l'exploration et l'exploitation minières sont interdites - deux nouvelles zones de quatre cents kilomètres carrés viennent d'être instituées dans la zone Clarion-Clipperton - ainsi que la création d'un fonds de compensation environnemental qui sera abondé par les contributions imposées aux contractants.

Si la priorité affichée est la mise en oeuvre de normes environnementales contraignantes, la position française sur la répartition des bénéfices futurs de l'exploitation est en revanche davantage nuancée : la France privilégie une répartition non financière , en prenant en compte le partage des données, l'environnement marin comme un bien public mondial (la simple existence de l'AIFM empêche une ruée vers les fonds marins et permet de les préserver), ainsi que le renforcement des capacités des États en développement (accueil de scientifiques des pays en développement lors des campagnes d'exploration). Pour atteindre ce dernier objectif, la France promeut la création d'un fonds pour la viabilité des fonds marins permettant la mise en place de centres de recherche régionaux situés en priorité dans les pays en voie de développement.

b) La mue de l'AIFM nécessitera une clarification de la position française et un accompagnement matériel

L'investissement de long terme de la France au sein de l'AIFM est un atout qu'il s'agit de consolider d'un point de vue matériel et de mettre à profit lors des travaux de l'Autorité pour maintenir les exigences environnementales à un haut niveau , dans un contexte de pressions croissantes pour autoriser l'exploitation.

En premier lieu, il est souhaitable d'accompagner, à court et moyen termes, la transformation progressive de l'AIFM pour lui donner des capacités d'action non seulement pour assurer un suivi plus poussé des campagnes d'exploration, mais également pour garantir des contrôles fréquents et efficients dans le cas d'une éventuelle exploitation, comme le prévoient explicitement les paragraphes 4 et 5 de l'article 153 de la convention de Montego Bay. Pour faire respecter les exigences environnementales qu'elle porte lors des travaux de l'AIFM, la France ne peut se satisfaire du « principe de bonne foi » 103 ( * ) évoqué par son représentant permanent au sujet de l'examen des rapports annuels présentés par les bénéficiaires des contrats d'exploration.

En outre, la mission de préservation de l'environnement marin profond que confie à l'AIFM la convention de Montego Bay nécessite des ressources humaines et matérielles qui semblent à cette date insuffisantes ( cf . supra ) au-delà de la rédaction d'un corpus juridique établissant les règles environnementales et d'un traitement succinct des données scientifiques récoltées.

Visiblement conscient de ces lacunes, le secrétariat général de l'AIFM a présenté en 2021 un rapport au comité financier proposant une hausse du budget de fonctionnement de l'institution pour atteindre en 2030 un budget annuel de 30 millions de dollars, avec un effectif d'un peu moins de 100 personnes. Il est à noter que, selon le Secrétaire général, cette augmentation du budget sera entièrement financée par les recettes de l'exploitation, laissant entendre que celle-ci sera donc autorisée bien avant 2030 104 ( * ) .

Ce plan de financement reposant sur une exploitation qui est encore aujourd'hui incertaine et soumise à une rentabilité économique non garantie, la France doit maintenir voire augmenter son soutien financier à l'institution en veillant à ce que tout accroissement des dotations financières demandées aux États membres serve au moins partiellement à approfondir l'expertise scientifique et environnementale de l'AIFM et à prévoir des contrôles plus systématiques, conformément à l'article 153 de la convention de Montego Bay. À ce titre, en cas de non-respect avéré des clauses - notamment environnementales - des contrats, la responsabilité d'un État ou d'un contractant privé ou public peut être engagée devant la Chambre des fonds marins du Tribunal international du droit de la mer (article 187 de la convention de Montego Bay).

Recommandation

17) Accompagner la mue de l'AIFM pour que celle-ci dispose des moyens humains et matériels nécessaires au développement d'une véritable expertise scientifique et à la réalisation de contrôles efficients sur les sites d'exploration et, éventuellement, d'exploitation.

En second lieu, l'adoption vraisemblable du règlement d'exploitation au cours de l'année 2023, avec, sauf changement de politique d'ici là, le soutien du Gouvernement français, posera à court terme la question de la définition de la position française relative à l'exploitation des fonds marins internationaux . L'AIFM considérant, par la voix de son Secrétaire général, que son mandat est « clair » 105 ( * ) et qu'il l'oriente vers une exploitation « durable » des grands fonds 106 ( * ) , le soutien affiché de la France à l'action de l'AIFM nécessitera une clarification de sa position sur le sujet, qui pourrait faire l'objet d'une association du Parlement français ou, a minima , de l'élargissement du débat en parallèle des réunions interministérielles qui se tiennent pour déterminer la position française avant chaque session de l'AIFM. Il est en outre regrettable que ces réunions soient préparées sans consultation des experts scientifiques, qui pourraient orienter les travaux de la délégation française, notamment sur les impacts environnementaux 107 ( * ) .

Recommandation

18) Associer le Parlement à la définition de la position française relative à l'exploitation minière des fonds marins internationaux. Élargir le débat sur les positions françaises à l'AIFM à la communauté scientifique et aux ONG.

3. Promouvoir une AIFM plus transparente et plus ouverte à la communauté scientifique et associative

« La Zone et ses ressources [appartenant] au patrimoine commun de l'humanité » (article 136 de la convention de Montego Bay), l'AIFM est chargée de « favorise [r] et encourage [r] la recherche scientifique marine dans la Zone » et de « coordonne [r] et diffuse [r] les résultats de ces recherches et analyses » (Article 143, paragraphe 2). L'AIFM est également habilitée à effectuer elle-même des recherches scientifiques marines dans la Zone, mais elle ne semble pas avoir la volonté ou les moyens suffisants pour exercer cette prérogative ( cf . supra ).

À ce titre, depuis le début des années 2000, l'AIFM collecte « dans l'intérêt de l'humanité tout entière » (article 143) les données issues des campagnes d'exploration menées dans la Zone.

Dans un souci affirmé de transparence, elle publie régulièrement sur son site internet 108 ( * ) des études thématiques s'appuyant sur les connaissances et le savoir-faire développés au sein de l'institution, la dernière en date étant consacrée au partage équitable des bénéfices financiers résultant de l'exploitation minière des fonds marins.

Plus significativement, l'AIFM a institué en juillet 2019 une plateforme numérique, intitulée « DeepData 109 ( * ) », qui met à la disposition de tous, sous forme de carte interactive, quelques données récoltées lors des campagnes d'exploration.

Si l'initiative est louable et fait consensus parmi les personnes auditionnées par la mission d'information, la masse des informations rendues publiques reste cependant limitée .

En effet, conformément aux articles 36 et 37 du règlement relatif à la prospection et à l'exploration des nodules polymétalliques dans la Zone, seules sont rendues publiques - après un délai de quatre ans - les données environnementales, tandis que les données géologiques sont formellement identifiées comme confidentielles . En outre, la qualité et le traitement des données environnementales publiées par l'AIFM sur cette plateforme font l'objet de critiques communes de la part de l'ensemble des associations environnementales interrogées par la mission d'information 110 ( * ) , qui jugent ces données lacunaires.

Les rapports annuels rendus par les bénéficiaires des contrats d'exploration ne sont pas non plus publics, de même que les réunions de la commission juridique et technique (CJT) qui examine à huis clos ces rapports pour vérifier que les contractants respectent les clauses de leur contrat.

Les évolutions futures de l'AIFM pourraient par conséquent être l'occasion pour la France de promouvoir lors de ses prises de position davantage de transparence dans l'accès aux données récoltées par l'AIFM, en particulier à destination de la communauté scientifique .

En premier lieu, la hausse prévue du budget de fonctionnement de l'AIFM pourrait être mise à profit pour consacrer davantage de moyens humains au traitement et à la communication des données environnementales ainsi qu'à la publication d'études scientifiques propres à l'AIFM, sur la base de ces données. En second lieu, le délai minimal de quatre ans avant la publication des données relatives à la préservation de l'environnement marin pourrait être réduit. Enfin, sans forcément ouvrir ces données au grand public, il pourrait être permis aux scientifiques qui en feraient la demande de consulter les données géologiques, éventuellement après accord formel de la CJT ou du secrétariat général, sur la base de critères déterminés.

B. LA « GUERRE DES FONDS MARINS » : SCIENCE-FICTION OU RÉALITÉ ?

« Dissuader, protéger, connaître et anticiper, intervenir, prévenir », « afin d'assurer la sécurité des Français sur toutes les mers du monde » : telles sont les missions de la marine nationale, à la fois ancrées dans l'histoire et tournées vers l'avenir, en constante évolution pour s'adapter aux mutations des risques et menaces.

Depuis quelques années, la dégradation du contexte stratégique et le développement de capacités d'accès et d'intervention à de grandes profondeurs tendent à faire de l'océan profond, autrefois inaccessible, un terrain possible de conflictualité et un enjeu de souveraineté et de défense à part entière.

Ce constat a conduit le ministère des armées à présenter, en février 2022, une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, fondée sur le rapport d'un groupe de travail 111 ( * ) qui en détaille les ambitions et les moyens.

La prochaine loi de programmation militaire devra prendre toute la mesure de ce nouvel enjeu, en intégrant pleinement sa dimension ultramarine et en tirant parti des savoir-faire de l'industrie française.

1. Une concurrence croissante dans le silence des abysses
a) Des enjeux de souveraineté multiples

L'Actualisation stratégique publiée en 2021 par le ministère des armées introduit dans l'analyse des menaces la notion de « seabed warfare », la guerre des fonds marins, considérés comme un nouveau « terrain de rapports de force ».

Avec l'espace et le cyber, la mer est en effet l'un des trois espaces communs qui sont aujourd'hui les nouvelles frontières d'un monde terrestre presque entièrement connu par ailleurs et déjà largement exploité. Étant opaques, lointains, difficiles à surveiller, les fonds marins sont des terrains possibles pour des stratégies hybrides « c'est-à-dire combinant des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux ou illégaux, mais toujours ambigus, conçus pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert » 112 ( * ) .

Les stratégies de déni d'accès, l'utilisation possible de l'océan profond à des fins militaires (pour le renseignement, voire l'armement) sont autant de remises en cause du droit international, et notamment des principes fondamentaux que sont la liberté en haute mer, la non-appropriation des fonds marins de la zone internationale, et l'exercice de droits souverains des États dans leurs ZEE. Le risque est que le « fait accompli » ne se substitue au droit, et qu'à terme des stratégies d'usure ne remettent en cause des équilibres régionaux.

La maîtrise des fonds marins, c'est-à-dire leur connaissance et la capacité à surveiller et agir à de grandes profondeurs, recouvre de multiples enjeux de souveraineté :

- Préserver la liberté d'action de nos forces navales, selon le droit international en vigueur.

Cette liberté est particulièrement vitale pour la marine française, présente dans tous les océans, et qui met en oeuvre la composante océanique de la dissuasion nucléaire.

En outre, une meilleure connaissance de la cartographie des fonds marins est un facteur d'autonomie stratégique (elle permettrait par exemple de trouver des solutions alternatives à la radionavigation GPS).

- Être capable de récupérer des épaves et débris sensibles (aéronefs, navires, armements tirés en mer...).

Il s'agit d'éviter que ces débris ne tombent entre les mains d'autres puissances, concurrentes ou adverses. En mars 2022, la marine américaine a ainsi récupéré, par 3 800 m de fond, un F35C accidenté quelques semaines auparavant en mer de Chine. En 2021, c'est un F35B britannique qui a été récupéré au fond de la Méditerranée.

La France a, quant à elle, localisé en 2019 l'épave du sous-marin La Minerve qui disparut en Méditerranée en 1968. Les moyens d'une société américaine ( Ocean infinity ) ont permis de la repérer à 2 400 m de fond.

« C'est à l'occasion des opérations de recherche de l'épave du sous-marin Minerve que nous avons pris conscience du décrochage capacitaire subi ces dernières années dans ce domaine. Les moyens de l'État - c'est-à-dire ceux de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), ceux de la Marine nationale, etc. - ne permettaient d'explorer que 2 milles nautiques carrés par jour. Nous avons donc dû avoir recours à une société américaine qui en couvrait 60 par jour. Pour une puissance mettant en oeuvre des sous-marins nucléaires d'attaque ou lanceurs d'engins, disposer de capacités d'intervention et de sauvetage sur les fonds marins fait partie des outils de crédibilité. » 113 ( * )

Épave du sous-marin La Minerve (à -2400 m)

- Préserver la liberté du commerce mondial dont 90 % est maritime.

Près de 75 % du commerce extérieur de l'Union européenne s'effectue par voie maritime. La remise en cause du droit international et l'utilisation des fonds marins à des fins militaires ne pourraient que nuire à ce commerce devenu vital avec la mondialisation.

- Protéger des réseaux d'infrastructures sous-marines dont l'importance est cruciale pour l'économie.

Il s'agit notamment :

• des câbles sous-marins de communication, par lesquels transitent 98 % des données numériques au plan mondial ;

• des flux d'hydrocarbures passant par des canalisations posées au fond des mers ;

• des infrastructures offshore qui jouent un rôle crucial dans l'approvisionnement en pétrole et en gaz, avec notamment une part de 30 % dans la production mondiale de pétrole.

• et des câbles sous-marins de transport d'énergie électrique qui se développent et ont vocation à se multiplier avec le développement des énergies marines renouvelables.

- Protéger les ressources naturelles des fonds marins de notre ZEE, et de la zone internationale, conformément au droit en vigueur.

Ces ressources constituent un patrimoine qui suscite un intérêt croissant de la part d'acteurs publics et privés.

- Protéger des écosystèmes riches et mal connus, dont la fonction dans les grands équilibres terrestres est essentielle et qui sont consubstantiels aux modes de vie et à la culture des populations du littoral.

Les recherches menées au cours des dernières décennies ont révélé la richesse de la biodiversité des grands fonds marins, qui jouent très probablement un rôle majeur dans la régulation des océans, de la biomasse, et du climat. Il s'agit plus généralement de protéger un environnement marin dont le rôle est central dans les économies locales et souvent aussi dans les représentations culturelles des populations du littoral et des îles.

b) Les câbles sous-marins de communication, talon d'Achille de la révolution internet ?

La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine a fait craindre d'éventuelles opérations de sabotage qui pourraient être menées par la Russie contre des câbles sous-marins, pour répondre aux sanctions économiques et à l'aide militaire que les occidentaux fournissent à l'Ukraine, tout en restant sous le seuil du conflit armé avec les pays de l'OTAN.

La très grande majorité de nos flux « immatériels » repose en effet sur l'intégrité d'infrastructures physiques bien tangibles, les câbles sous-marins de communication, qui existent depuis les années 1850 et continuent à assurer la très grande majorité des flux de données, malgré le développement des technologies spatiales.

450 câbles sous-marins assurent le transit de 98 % des données numériques dans le monde. Une vingtaine de câbles desservent l'Hexagone et 26 sont actifs outre-mer. Dans ce réseau mondial très hétérogène, la France constitue un « hub » pour l'Europe. Pour les outre-mer, la question de la résilience se pose, en raison du faible nombre de câbles qui les desservent et des risques pesant sur ces câbles.

Les câbles sous-marins de communication : un réseau hétérogène

Source : https://www.submarinecablemap.com/

Les câbles sous-marins sont soumis à des risques de plusieurs types :

- Des risques d'accident : Les dommages observés résultent majoritairement d'interactions avec des ancres de navires ou des filets de pêche. Ainsi par exemple, la Somalie a subi une panne d'internet de plusieurs semaines en 2017, en raison de la rupture de son seul câble international de communication, accidentellement coupé par l'ancre d'un navire de commerce.

- Des risques naturels (volcans, séismes, tsunamis) : les îles sont particulièrement vulnérables à ces risques naturels, auxquels on peut ajouter ceux que fait peser le réchauffement climatique qui cause une montée des eaux. Les îles Tonga ont ainsi été déconnectées de l'internet mondial pendant plusieurs semaines à la suite de l'éruption volcanique du 15 janvier 2022.

- Des risques de vol : les câbles de communication sont constitués de fibres optiques insérées dans une armature métallique. La présence de cuivre entraîne des vols, à terre comme en mer. En 2007, des pêcheurs vietnamiens, autorisés à récupérer d'anciens câbles sous-marins, ont également prélevé des dizaines de kilomètres sur un câble actif, privant une partie du Vietnam de communications internationales. Le réseau peut ainsi être mis à mal par des acteurs privés ne disposant d'aucune technologie particulièrement sophistiquée ;

- Des risques de malveillance (dégradations, espionnage). Les câbles sont plus vulnérables à terre, mais se prêtent à des actions discrètes, non attribuables, en mer, tels que de faux « accidents » d'ancrage.

Le risque principal est celui d'une atteinte à l'intégrité des infrastructures qui assurent l'essentiel des flux de données mondiaux, causant une interruption ou une dégradation du service.

Mais d'autres objectifs pourraient également être visés, notamment l'écoute et le piratage de données . Edward Snowden a ainsi révélé en 2013 que la NSA ( National security agency ) américaine surveillait les câbles sous-marins. En 2021, des journalistes danois ont affirmé que les États-Unis auraient écouté des dirigeants européens, avec la complicité des services secrets danois qui leur aurait ouvert l'accès à des câbles sous-marins. L'écoute paraît toutefois, à l'heure actuelle, plus plausible en milieu terrestre que dans les fonds marins.

Par ailleurs, dans le domaine militaire, les fibres optiques permettent de détecter des séismes d'amplitude très faible, ce qui leur donnerait aussi la faculté de détecter le passage de sous-marins 114 ( * ) .

La plupart des incidents recensés sur les câbles sous-marins ont une cause naturelle ou accidentelle bien identifiée. D'autres sont plus ambigus. Le 7 janvier dernier, par exemple, une section de câble sous-marin a été endommagée au large de l'archipel norvégien du Svalbard à une profondeur de 2 700 m. Un autre incident du même type avait eu lieu en novembre 2021 dans l'archipel des Lofoten.

Au cours des années récentes, la Russie et la Chine ont semblé s'intéresser de près aux routes suivies par les câbles sous-marins de communication. Ainsi, le navire océanographique russe Yantar, collecteur de renseignement, est régulièrement repéré sur la route de câbles sous-marins. Des navires chinois se livrent également à des activités suspectes au-dessus de câbles sous-marins. Des câbles ont été endommagés dans des circonstances mal élucidées. Des navires masquent régulièrement leurs positions, ce qui suscite des interrogations sur leurs activités.

Une centaine d'incidents sont répertoriés chaque année , toutes causes confondues, nécessitant des réallocations de flux et des réparations sur place.

Dans ce contexte, la redondance des capacités, c'est-à-dire le fait d'être alimenté par plusieurs câbles, et non pas un câble unique, est un enjeu de sécurité essentiel. Cette redondance est assurée en France métropolitaine mais elle est plus fragile voire parfois inexistante dans les outre-mer. La Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre et Miquelon ne sont, en effet, reliés que par un câble.

Câbles sous-marins de communication outre-mer

Océan Atlantique

Nombre de câbles internationaux actifs

Nombre de câbles en projet

Guadeloupe

3

Guyane

2

1 (2024)

Martinique

4

Saint-Barthélemy

3

Saint-Martin

3

Saint-Pierre et Miquelon

1

Océan Indien

La Réunion

3

Mayotte

3

Océan Pacifique

Nouvelle-Calédonie

1

1 (2022)

Polynésie française

2

Wallis et Futuna

1

Source : https://www.submarinecablemap.com/

Des risques pèsent également sur la réalisation des projets câbliers . Si la pose de câbles dans les ZEE est libre, en application de l'article 58 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, l'obtention d'autorisations dans les eaux territoriales est un processus souvent long et complexe, notamment aux États-Unis, en raison de la multiplicité des acteurs compétents.

Certains États mettent en place des lois dites de « cabotage » restreignant l'activité de pose des câbles aux navires battant leur pavillon.

La sécurité des infrastructures sous-marines pose également des questions de souveraineté industrielle et numérique .

Le maintien d'une capacité industrielle française dans le domaine des infrastructures sous-marines est un impératif. Le leader mondial de la réalisation, de l'installation et la maintenance des câbles sous-marins est Alcatel submarine Networks (ASN), entreprise française appartenant au groupe finlandais Nokia. Orange Marine, l'opérateur maritime au service des infrastructures d'Orange, est également un acteur important. Les acteurs du secteur sont peu nombreux. Ils ont un rôle stratégique et sont confrontés à une concurrence croissante de la part d'acteurs qui bénéficient souvent d'un soutien public dans leur pays.

La question de la souveraineté numérique reste non résolue . Les révélations d'Edward Snowden en 2013 ont entraîné une prise de conscience, mais sans effet réel. Les câbles sont généralement la propriété d'acteurs privés. La majorité des investissements est aujourd'hui réalisée par les géants d'internet, notamment sur le réseau transatlantique, avec la mise en service de câbles de très grande capacité.

Ainsi, par exemple, le câble « Dunant », financé par Google, a été activé en 2021 entre Virginia Beach aux États-Unis et Saint-Hilaire-de-Riez en France. Le câble « Amitié », qui doit devenir actif en 2022, appartient quant à lui à un consortium constitué de Facebook (Meta), Microsoft, Aqua Comms, Orange et Vodafone. Il reliera Lynn aux États-Unis à Le Porge en France (et Bude au Royaume-Uni).

Aujourd'hui le domaine des câbles sous-marins obéit à une logique purement commerciale qui n'intègre pas les aspects souveraineté ou sécurité. Les enjeux économiques sont importants - le SGMer a d'ailleurs entrepris de rationaliser les procédures administratives afin de renforcer l'attractivité du territoire français en matière de câbles sous-marins de communication 115 ( * ) .

Dans ce contexte, si l'autonomie de la France seule paraît utopique, d'autant plus qu'elle occupe cette position de « hub » précédemment évoquée, il serait souhaitable que l'Union européenne prenne l'initiative de développer un réseau souverain de câbles pour le raccordement de ses États membres.

c) Une concurrence croissante

Comme le souligne le rapport du groupe de travail sur la stratégie de maîtrise des fonds marins du ministère des armées, toutes les grandes puissances militaires développent aujourd'hui des capacités de surveillance et d'intervention dans les fonds marins . Pour les États-Unis et la Russie, le seabed warfare était déjà une réalité pendant la guerre froide.

Ces programmes s'inscrivent, plus généralement, dans le cadre d'un réarmement naval, avec de plus en plus de pays souhaitant affirmer leur présence sur (et sous) les océans. L'investissement de la Chine est particulièrement impressionnant puisque ce pays met à l'eau, tous les quatre ans, l'équivalent de la marine française.

Certains de ces programmes connaissent d'ailleurs des aléas. Ainsi, d'après des informations publiées sur internet 116 ( * ) , le programme américain de drone multi-missions de grande taille Snakehead , conçu pour être déployé depuis un sous-marin, qui a démarré il y a quatorze ans, semble en voie d'être abandonné, ce qui montre la difficulté à concevoir ces objets complexes relevant encore très largement de la recherche et de l'expérimentation.

Plus proche de notre format et de nos préoccupations, le Royaume-Uni souhaite s'équiper d'un navire équipé d'engins capables d'intervenir dans les grandes profondeurs pour surveiller et protéger ses câbles sous-marins. Avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, le chef d'état-major britannique s'était déclaré particulièrement inquiet de l'augmentation de l'activité des Russes dans les fonds marins et de la menace que ferait peser la Russie sur les infrastructures sous-marines de communication sur lesquelles repose le système économique et financier mondial.

Fonds marins : des stratégies convergentes

Russie

Créée en 1965, la Direction principale pour la recherche en grande profondeur (GUGI) est directement rattachée à l'état-major des armées russes. Elle réunit tous les moyens d'investigation et d'intervention sur les fonds marins jusqu'à une profondeur de 7 000 m et met en oeuvre un panel complet de moyens comprenant des sous-marins d'intervention opérant à partir d'autres sous-marins « porteurs », des navires hydrographiques et océanographiques, mais aussi des mini-sous-marins habités, des AUV et des ROV (...).

À un horizon plus prospectif, la Russie mise sur le développement de drones lourds pour assurer certaines missions de lutte sous la mer, principalement dans les nouveaux espaces maritimes du Grand Nord. Les systèmes de propulsion à base de pile à combustible ou d'énergie nucléaire permettront aux drones de naviguer plus d'un mois (...).

Enfin, en mars 2018, le président Poutine a annoncé le développement du système Poséidon, une torpille à propulsion nucléaire qui aurait l'autonomie d'un drone et qui porterait une charge nucléaire (...).

Chine

La Chine développe des projets qui témoignent de son intérêt pour l'exploitation des fonds marins à des fins militaires. Elle investit massivement dans la recherche scientifique marine à travers un programme de collecte de données océaniques dont les finalités sont l'exploitation des ressources naturelles, le soutien du développement des capacités navales militaires et la diplomatie maritime.

Depuis mars 2018, le Ministère des ressources naturelles et la Chinese academy of sciences sont devenus les principaux acteurs chinois dans la recherche océanographique hauturière. En raison d'un investissement massif, le nombre de navires et le rythme de leurs activités n'ont cessé de progresser. Ces entités possèdent leurs propres capteurs et auraient la capacité de mettre en oeuvre des sous-marins d'intervention habités, mais aussi des ROV, des AUV et des gliders . La Chine dispose aussi de la Flotte d'étude géologique chinoise dont la vocation est l'exploration des ressources sous-marines dans les zones revendiquées.

Depuis 2015, un important projet de réseau de détection sous-marine nommé « Grande Muraille sous-marine » est testé. Il s'agit d'un réseau d'infrastructures de surveillance sous-marine et de renseignement.

Concernant la recherche et l'intervention sous la mer, la robotique navale chinoise est en plein essor. D'ici 2025, la Chine envisage d'acquérir une flotte de drones civils capables d'explorer les fonds marins et de collecter des données scientifiques. En 2019, les premiers drones lourds chinois HSU-001 ont été présentés à l'occasion d'un défilé militaire.

États-Unis

Les États-Unis possèdent une solide expérience des opérations conduites sur, et depuis le fond des mers. Le réseau historique SOSUS (SOund Surveillance System), réseau américain d'hydrophones passifs destiné à la détection des sous-marins et navires a notamment fourni du renseignement acoustique de qualité sur les activités navales soviétiques.

La marine américaine met notamment en oeuvre une flotte de deux câbliers et six navires océanographiques. Ils possèdent tous de puissants sondeurs multifaisceaux et peuvent mettre en oeuvre des AUV capables d'opérer jusqu'à 6 000 m (AUV de type Hugin-6000 et AUV de type Remus-6000) et une combinaison de ROV pouvant atteindre 4 000 m (ROV de type Hercules et Sea Horse) et 6 000 m (ROV de type CURV-21) (...).

La marine américaine (...) développe plusieurs projets visant à :

- se doter d'une gamme complète de drones sous-marins, compatibles avec les porteurs existants ou futurs ;

- améliorer l'autonomie et l'endurance des drones sous-marins (...) ;

- imaginer des réseaux de systèmes autonomes, rapidement projetables et configurables ou des systèmes de charges utiles fixes encapsulées, capables de déployer des leurres, des armes, des noeuds de communication.

De nouvelles ambitions de maîtrise des fonds marins apparaissent également au Royaume-Uni, en Australie, en Inde ou encore au Japon.

Source : Rapport du groupe de travail sur la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, ministère des armées, février 2022.

La « course » aux fonds marins n'est pas que le fait des États. Des entreprises du secteur gazier et pétrolier, du secteur numérique, des start-ups... sont également intéressées. Les géants d'internet sont très présents, et difficilement contrôlables. Cette émergence d'acteurs privés de toutes tailles, parfois très puissants, rappelle la montée en puissance du « new space », qui a permis aux États-Unis de réaffirmer leur leadership dans le domaine spatial au cours de la dernière décennie.

Les pays européens n'ont pris que tardivement le tournant du « new space ». Il doit en être autrement pour le « new seabed warfare ».

2. Une stratégie ministérielle à renforcer dans la prochaine LPM
a) De nouvelles capacités de surveillance et d'intervention à - 6 000m

Reconnue pour ses compétences dans le domaine de la chasse anti-mines, la France a toutefois pris du retard par rapport à ses principaux compétiteurs dans le domaine de la maîtrise des grands fonds marins.

La marine ne dispose en propre d'aucun équipement capable d'atteindre 6000 m . Elle possède deux ROV dont l'un atteint 1 000 m (Ulisse) et l'autre 2 000 m.

La marine peut néanmoins mettre en oeuvre les moyens de l'Ifremer , qui permettent d'atteindre - 6 000 m : le Nautile, qui est un engin habité, le ROV Victor 6 000, et le nouvel AUV Ulyx.

En février 2022, le Nautile de l'Ifremer a ainsi été mis à disposition de la marine nationale dans le cadre d'une démonstration de reconnaissance et de surveillance d'un câble sous-marin au large des côtes françaises, à une profondeur de -2 152 m, dans le cadre de l'opération Eledone .

Opération Eledone de reconnaissance et surveillance d'un câble sous-marin

Source : Marine nationale

https://www.youtube.com/watch?v=McXAmCWS9t4

L'actualisation de la programmation militaire à laquelle le ministère des armées a procédé en 2021, doit permettre l'acquisition d'une première capacité exploratoire constitué d'un drone (AUV) et d'un véhicule télé-opéré (ROV) capables de descendre jusqu'à 6 000 mètres. De premiers essais sont envisagés fin 2022 117 ( * ) . Un montant de 11 M€ a été budgété sur la période 2022-2025, dans l'enveloppe de la LPM.

À la suite de l'actualisation de la programmation militaire, la ministre et le chef d'état-major des armées ont présenté, en février 2022, la nouvelle stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins. Celle-ci prévoit l'acquisition d'équipements spécifiques pour mieux connaître, surveiller et agir jusqu'à 6 000 m de fond, ce qui permettra de couvrir 97 % des fonds marins .

L'objectif des 6 000 m doit être atteint grâce aux AUV et aux ROV déjà mentionnés, qui seront développées en cohérence avec deux autres programmes de la marine, déjà en cours de développement :

- Le programme de système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) , dont la première phase est en cours de réalisation, qui comporte des systèmes de drones sous-marins et de surface, afin de pouvoir mener des opérations de luttes anti-mines à distance. Ce programme est conduit en coopération avec le Royaume-Uni ;

- Le programme de capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) qui renouvellera la flotte des bâtiments hydrographiques à l'horizon 2027-2028.

Ces deux programmes permettront à la marine de monter en compétence dans le domaine des drones sous-marins, et de l'intelligence artificielle, et de relever les défis associés en termes de ressources humaines et de soutien.

Toutefois, alors que la LPM prévoyait le lancement du programme CHOF en 2023, et la livraison d'un premier bâtiment en 2025, puis d'un second avant 2030, l'actualisation de la programmation militaire à laquelle le ministère a procédé en 2021 a acté un retard d'un an, en contradiction avec le nouvel élan donné à la politique des fonds marins. Le programme doit désormais être lancé en 2025 et livré à compter de 2027.

Bâtiments hydro-océanographiques de la marine

La marine possède un bâtiment hydro-océanographique (BHO), le Beautemps-Beaupré (3 300 t), mis en service en 2003, et 3 bâtiments hydrographiques (BH), mis en service en 1988 (le Lapérouse, le Borda et le Laplace, 980 t chacun).

La loi de programmation militaire 2019-2025 118 ( * ) a prévu le remplacement des trois BH par deux BH de nouvelle génération (NG) dans le cadre du programme de capacité hydrographique et océanographique future (CHOF). Ces BH-NG seront équipés de drones sous-marins et de surface.

La flotte hydro-océanographique est mise oeuvre par le SHOM, qui bénéficie par ailleurs du navire océanographique Pourquoi pas ? (6 000 t), en partage avec l'Ifremer.

De premières expérimentations ont été menées avec plusieurs types de drones. Fin 2021, un drone Hugin 6 000m de la société norvégienne Kongsberg , a été testé depuis le bâtiment océanographique Beautemps-Beaupré.

Les nouvelles capacités à - 6 000 m seront acquises en deux phases :

- à partir de 2023, une capacité exploratoire constituée d'un AUV et d'un ROV doit permettre à la marine de disposer d'une première capacité de surveillance et d'intervention, tout en menant des travaux d'évaluation et d'expérimentation. Cette capacité exploratoire pourrait être acquise « sur étagère » ;

- à l'horizon 2025, une capacité « grands fonds » pérenne devrait être acquise « en lien avec l'industrie française » 119 ( * ) .

Un corpus doctrinal adapté sera élaboré pour la mise en oeuvre de ces capacités « grands fonds » qui seront donc développées en cohérence avec les programmes SLAM-F et CHOF.

b) Un tournant à confirmer dans la prochaine LPM en lien avec l'industrie française

- En premier lieu , la capacité « grands fonds » pérenne doit être suffisamment dimensionnée pour pouvoir couvrir, en fonction des besoins, une ZEE qui est la deuxième mondiale. La nouvelle capacité servira à sécuriser nos approches maritimes métropolitaines. Elle sera projetable en opération extérieure. Elle devra également pouvoir être projetée outre-mer, dès 2028 , dans le cadre de la feuille de route proposée par la stratégie ministérielle :

- Acquisition d'une première capacité exploratoire à l'horizon 2025 constituée d'un AUV 6 000m et d'un ROV 6 000m ainsi que d'un AUV 3 000m et un ROV 3 000m ;

- Acquisition à l'horizon 2028 d'un complément constitué d'un AUV 6 000m, d'un ROV 6 000m, d'un AUV 3 000m et d'un ROV 3 000m.

- Réflexion sur un troisième incrément constitué d'AUV 6000 m complémentaires pour répondre à des urgences éventuelles et d'une plateforme dédiée.

Par ailleurs, l'acquisition de cette capacité doit se faire en cohérence avec le renouvellement en cours des flottes outre-mer :

- 4 bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) sont venus remplacer les bâtiments de transport léger (Batral), avec toutefois des capacités différentes (non amphibies) ;

- 3 patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG) ont été mis en service ;

- 6 patrouilleurs outre-mer (POM) devraient être livrés d'ici à 2025. Ils seront stationnés en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et à la Réunion. Il n'est pas prévu, pour le moment, que ces patrouilleurs soient dotés de capacités sous-marines.

- Les six frégates de surveillance, dont le retrait est prévu à compter de 2030, doivent être remplacées dans le cadre du programme European Patrol Corvette, qui est un programme de la Coopération structurée permanente de l'Union européenne, réunissant l'Italie, la France, la Grèce et l'Espagne. Les capacités militaires des nouvelles frégates seront supérieures à celles des bâtiments actuels, notoirement sous-dimensionnés pour répondre au contexte de compétition/confrontation croissante qui se manifeste sur tous les océans et notamment dans le Pacifique.

Il est indispensable que les navires issus de ce programme puissent intégrer, dès leur conception, des capacités d'AUV/ROV grands et moyens fonds, de la même façon qu'ils intégreront des drones aériens.

La stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins fait de la protection des approches maritimes métropolitaines la priorité, l'engagement des nouvelles capacités « grands fonds » dans les territoires d'outre-mer et en opération extérieure ne devant intervenir que dans un second temps.

Ce second temps doit néanmoins être préparé, en lien avec le renouvellement de la flotte outre-mer, et budgété dans la prochaine LPM.

Au regard du contexte géopolitique, les moyens déployés outre-mer sont notoirement sous dimensionnés , notamment dans l'Océan Indien et dans le Pacifique, où la Chine est de plus en plus présente. Quant à la Russie, elle vient de signer un accord de coopération militaire avec Madagascar (qui, pour mémoire, revendique les îles Éparses), dans une région confrontée à une insécurité croissante et au fondamentalisme islamique (Mozambique).

Comme l'a indiqué un rapport récent de la délégation sénatoriale à l'outre-mer 120 ( * ) , les forces outre-mer ont été « systématiquement placées au bas de la liste des priorités des armées ». Le renouvellement des flottes de patrouilleurs, puis celle programmée des frégates de surveillance, dans le cadre du programme EPC, doivent inverser la tendance. La maîtrise des fonds marins doit s'intégrer à un vaste plan de renforcement de nos capacités outre-mer et de réaffirmation de la présence et de la souveraineté de la France dans des océans de plus en plus convoités.

Dans le domaine des fonds marins, si la stratégie ministérielle va dans le bon sens, il s'agit de ne pas se limiter à une capacité échantillonnaire expérimentale mais d'être véritablement efficace pour mieux connaître, surveiller et agir dans tous les océans où la France est présente .

Source : ministère des armées (2022)

Forces de souveraineté : moyens maritimes actuels

Antilles (FAA)

La base navale implantée dans le Fort Saint Louis à Fort-de-France accueille :

• Les frégates de surveillance (FS) Ventôse et Germinal ;

• Le patrouilleur Antilles Guyane (PAG) La Combattante ;

• Le bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) Dumont D'Urville ;

• Le remorqueur portuaire côtier Maïto ;

Le patrouilleur côtier de la gendarmerie maritime (PCG) Violette est basé en Guadeloupe.

Guyane (FAG)

Base navale de Dégrad des Cannes :

• deux patrouilleurs P700 Antilles Guyane ;

• deux vedettes côtières de surveillance maritime de la gendarmerie maritime ;

• une embarcation relève-filets (ERF) ;

Mayotte-La Réunion (FAZSOI)

À La Réunion:

• la base navale de Port des Galets, qui assure le soutien des bâtiments affectés à La Réunion et constitue leur port d'attache

• un bâtiment multi-missions : le « Champlain »

• deux frégates de surveillance : le « Nivôse » et le « Floréal », embarquant un hélicoptère Panther (aéronef présent et ayant ses locaux techniques basés sur le Détachement air 181) ;

• un patrouilleur polaire : « L'Astrolabe » , appartenant aux TAAF ;

• un patrouilleur : le « Malin »

À Mayotte:

• la base navale de Mayotte, dont la mission principale est d'assurer la permanence de la lutte contre l'immigration clandestine, assure le soutien des bâtiments affectés à Mayotte et constitue leur port d'attache ;

• deux vedettes côtières de surveillance maritime : le Verdon et l'Odet ;

• un intercepteur semi-rigide : le Vetiver

• un chaland de transport de matériel : le CTM13 ;

• un remorqueur pousseur de 10 tonnes : le Morse.

Nouvelle-Calédonie (FANC)

Base navale de Nouméa :

• la frégate de surveillance Vendémiaire embarquant un hélicoptère Alouette III de la 22S ;

• un patrouilleur P400 La Glorieuse ;

• une vedette de la gendarmerie maritime ;

• des éléments de protection (fusiliers marins en unité tournante) ;

• deux avions de surveillance maritime Gardian Falcon F200 (flottille 25F).

Polynésie française (FAPF)

Base navale de Papeete

• une frégate de surveillance: le Prairial embarquant un hélicoptère Alouette III ;

• un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM): le Bougainville ;

• un patrouilleur: l' Arago ;

• un patrouilleur de la gendarmerie maritime: le Jasmin ;

• deux remorqueurs portuaires et côtiers: le Manini et le Maroa .

Source : ministère des armées (2022)

- En second lieu , la France a toutes les compétences nécessaires, sur les plans scientifique et industriel, pour ne pas rater le tournant des drones sous-marins - comme elle a raté le tournant des drones aériens, ce qui l'a obligée, pour mémoire, à acquérir des drones à l'étranger, notamment les drones de moyenne altitude et longue endurance Reaper de General Atomics (dans l'attente d'un Eurodrone qui tarde à se concrétiser). L'expérience montre que des retards de ce type sont difficiles à combler, en raison de la perte de compétence induite, de l'avance technologique et de l'effet de série dont bénéficient les concurrents.

Enfin, comme cela a, du reste, été suggéré par le chef d'état-major des armées, lors de la présentation de la stratégie de maîtrise des fonds marins, l'acquisition de capacités « grands fonds » souveraines doit se faire en lien avec l'industrie française .

Recommandation

19) En matière de défense, inscrire dans la prochaine loi de programmation militaire la feuille de route suivante :

- Acquisition d'une première capacité exploratoire avant 2025 constituée d'un AUV 6 000m et d'un ROV 6 000m ainsi que d'un AUV 3 000m et un ROV 3 000m ;

- Acquisition d'ici à 2028 d'un complément constitué d'un AUV 6 000m, d'un ROV 6 000m, d'un AUV 3 000m et d'un ROV 3 000m ;

- Première projection outre-mer d'une telle capacité d'ici à 2025 et possibilité d'un troisième incrément capacitaire en fonction des retours d'expérience ;

- Remplacement d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre des AUV/ROV profonds dans le cadre du programme European patrol corvette ;

- Optimisation des retombées économiques pour les territoires où ces capacités seront stationnées, grâce à un soutien décentralisé outre-mer.

- Mise à contribution et montée en puissance de la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins comme la France a manqué, il y a quelques années, le tournant des drones militaires aériens.

C. DES COOPÉRATIONS INTERNATIONALES À RENFORCER

La première stratégie nationale (2015), aujourd'hui désavouée, avait fait de la coopération internationale une pierre angulaire. Il était ainsi précisé que « la dimension internationale conditionne le développement de cette stratégie car l'avenir de cette politique publique repose sur l'instauration de coopérations internationales fortes, aussi bien entre les États concernés qu'entre les industriels » 121 ( * ) . Il était par ailleurs indiqué que « la dimension internationale conditionne l'avenir de cette stratégie. En effet, les travaux conduits par les services de l'État comme par les industriels du secteur regroupés au sein du Cluster Maritime Français, ont montré que l'avenir de cette politique publique repose aussi sur l'instauration de coopérations internationale fortes, que ce soit autant entre les États concernés qu'entre les industriels » 122 ( * ) . L'échec, unanimement reconnu, de cette stratégie s'illustre particulièrement sur le plan des coopérations internationales. En effet, la coopération internationale demeure pour l'heure restreinte à quelques partenariats aussi fructueux que rares et principalement circonscrits au domaine scientifique .

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet insiste donc logiquement sur la nécessité de développer ces coopérations. Sa troisième priorité consiste à « mieux comprendre les enjeux de l'exploitation des grands fonds et leurs liens pour une approche globale équilibrée et engager un nouveau partenariat avec les COM et une stratégie multipartenaire aux niveaux européen et mondial » 123 ( * ) . Cependant, ce projet reste à ce stade une simple déclaration d'intention .

1. Des coopérations scientifiques et industrielles à conforter et à encourager
a) Des coopérations dans le domaine de la recherche qui renforcent la position française

Dans le domaine scientifique, la coopération internationale est ancienne et permanente. La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet souligne que « la France est un acteur historique de l'exploration des grands fonds marins et dispose d'un savoir-faire internationalement reconnu, en particulier pour sa capacité à mener des projets de coopération scientifique à l'international » 124 ( * ) . L'IFREMER notamment s'est imposé comme un acteur incontournable sur la question des fonds marins et a développé de nombreux partenariats. Sans prétendre à l'exhaustivité, il convient toutefois de mentionner entre autres :

• le projet Mining Impact de la Joint Programming Initiative Oceans aux côtés de partenaires académiques européens, achevé en février 2022 et dont les conclusions devraient bientôt être présentées. Ce projet regroupe 32 partenaires de 10 pays différents. Il vise à réaliser un suivi scientifique indépendant de l'impact d'un collecteur de nodules polymétalliques , déployé par le groupe GSR dans la zone de Clarion Clipperton et plus précisément dans des zones couvertes par les permis d'exploration belge et allemands ;

• Depuis 2016, le système de coordination des observatoires sous-marins pluridisciplinaires dit EMSO ( European Multidisciplinary Seafloor and water column Observatory ). EMSO France, composé de l'IFREMER et du CNRS, est membre de l'European Research Infrastructure Consortium et est présent sur différents sites en Europe (Açores,...). EMSO interagit aussi sous l'égide de l'ONU dans le cadre du programme Seabed 2030 de l'UNESCO qui vise à cartographier l'ensemble des fonds marins d'ici à 2030 ;

• le partenariat avec son homologue japonais, le Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC).

Le partenariat entre l'IFREMER et le JAMSTEC : un modèle de coopération internationale

Le partenariat entre l'IFREMER et le JAMSTEC remonte à l'accord-cadre signé en 1998. Cette coopération de presque vingt-cinq ans se traduit par de nombreux échanges particulièrement dans le domaine des sciences et technologies marines avec des publications communes (vingt-deux sur la période 2010-2015), des colloques en commun, la mutualisation d'installations de recherche dont des navires et des véhicules sous-marins, des échanges de personnel,...

Cette collaboration a pris une dimension nouvelle récemment avec le projet « Sciences, Innovations et Observatoires sous-marins » dit ScInObs. M. Jean-Marc Daniel avait ainsi exposé lors de son audition que « l'IFREMER a beaucoup d'interactions avec le Japon, qui est un acteur majeur dans le Pacifique, en particulier concernant les observatoires des fonds marins ».

Ce projet ScInObs a donc pour but de déployer deux observatoires des fonds marins, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie . Les éléments relatifs au site de Nouvelle-Calédonie ont été discutés en septembre 2019 à Nouméa lors d'un atelier regroupant les principaux intervenants de l'Ifremer et du JAMSTEC, mais également les parties prenantes de Nouvelle-Calédonie.

L'observatoire en Nouvelle-Calédonie aurait comme objectif principal de « créer, installer et maintenir un système sous-marin d'observation dans le Pacifique sud : mouillages innovants pour surveillance des processus et interactions biologiques, géologiques, chimiques et hydrodynamiques sur les fonds marins et dans la colonne d'eau, dans le parc naturel de la mer de Corail » 125 ( * ) .

Le projet ScInObs fait partie du Plan d'Investissement Exceptionnel de l'Ifremer adopté par le conseil d'administration le 8 octobre 2020 et les investissements s'élèvent à 8,2 millions d'euros pour une durée de 8 ans.

Ce partenariat constitue donc un exemple de coopération internationale réussie car, outre un historique d'échanges scientifiques denses, il a su à la fois associer les populations locales au fil de ses projets tout en dotant lesdits projets des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre .

L'IFREMER est un contributeur important au programme Seabed 2030 particulièrement grâce à son implication au sein de l' European Marine Observation and Data Network (EMODnet), un programme européen visant à assembler les données géographiques marines des États membres et des organisations régionales européennes pour les harmoniser à l'aide de standards communs et les rendre facilement et gratuitement accessibles à tous les publics intéressés. L'IFREMER est partenaire de sept de ces projets et il en coordonne deux autres . Le SHOM a piloté le volet bathymétrie du programme européen . M. Julien Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco, a salué lors de son audition l'apport de la France à ce programme.

Par ailleurs, M. Philippe Charvis a indiqué lors de son audition par la mission que, pour l'IRD, « il existe deux types de collaboration, d'abord avec les grands pays océanographiques que sont, en Europe, l'Allemagne et le Royaume-Uni et, sur le plan international, les États-Unis et le Japon. Nous avons un certain nombre de coopérations sur des projets comme les grands observatoires qui traitent du fond des mers. Il existe de grands projets communs avec les Japonais, les Américains, etc. Ce sont des coopérations qui impliquent les grands organismes outre-mer, le CNRS, l'IRD, etc. » 126 ( * ) L'IRD présente en outre la particularité, de par sa présence en outre-mer en l'occurrence en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et en Guyane, de nouer des collaborations avec les États insulaires du Pacifique comme les Fidji, les îles Cook, les Samoa et les Tonga. Ces coopérations sont notamment possibles grâce au réseau de laboratoires mixtes internationaux (LMI) financés depuis 2009 et qui permettent à l'IRD d' être présent dans tous les grands bassins océaniques .

Tous ces acteurs scientifiques ont permis à la France d'être un acteur majeur, respecté et incontournable dans les partenariats internationaux de recherche. Leur expertise renforce en outre la position équilibrée de la France qui ne prône pas une exploitation aveugle des ressources minières mais exprime sa vigilance quant aux considérations environnementales .

M. Philippe Charvis a cependant mis en évidence le fait que « quand on parle de coopération scientifique, on est très en amont des problématiques d'exploitation. La concurrence n'est pas encore très vive. » 127 ( * ) Conclure des partenariats internationaux en matière de recherche scientifique, surtout avec des acteurs aussi reconnus que ceux dont dispose la France n'est en effet pas le plus ardu.

La difficulté réside dans la traduction de ces collaborations intellectuelles en termes de développements technologiques et industriels .

b) Des coopérations encore limitées dans le domaine industriel et qu'il faut donc encourager

Le CNRS a signalé que « quasiment tous les projets de développement technologique auxquels le CNRS est associé ont des partenaires industriels, de préférence français ou européens » 128 ( * ) tout en alertant sur le fait qu'« on doit constater cependant que pour beaucoup de capteurs les fabricants sont extra-européens, alors que parallèlement les besoins d'outils d'exploration et de monitoring marins devraient se développer, pour la recherche, mais aussi pour des objectifs commerciaux » 129 ( * ) .

Lors de son audition, M. Hervé Guillou a ainsi insisté sur le constat que « la coopération avec les autres industriels européens est très peu développée . Ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Espagne il n'existe de business model » 130 ( * ) . Des partenariats internationaux existent bien comme par exemple celui entre le Cluster maritime français et la Deep Sea Mining Alliance , son équivalent en Allemagne. Néanmoins, à part cette coopération, d'autres partenariats s'apparentent plus à des contrats répétés avec des entreprises internationales qu'à une réelle coopération .

Le rapport du Groupe d'Expertise Économie maritime des conseillers du commerce extérieur (GEEM), présidé par M. Philippe Louis-Dreyfus, promeut une stratégie nationale qui soit « un projet ambitieux, à l'échelle de la France et s'appuyant sur les outre-mer, avec des objectifs de coopérations techniques et scientifiques des savoir-faire français pour développer les intérêts économiques nationaux et européens » 131 ( * ) . Comment expliquer qu'en dépit de ce savoir-faire reconnu par nos partenaires, les partenariats tardent à se développer ?

La France est ainsi perçue positivement, en raison de ses capacités scientifiques et industrielles et de son intérêt pour les enjeux environnementaux. Mais ses intentions demeurent floues. Une forte impulsion politique est nécessaire pour montrer notre détermination et ouvrir la voie à la construction de partenariats dans la durée.

Ce constat est partagé par M. Hervé Guillou qui a indiqué à la mission : « S'agissant de la coopération industrielle entre États, nous sommes favorables à des programmes européens en la matière. Cela passe là encore par la commande publique . Deux voies sont possibles : la voie de la coopération en matière de défense avec des pays comme les Pays-Bas, le Portugal ou l'Espagne, qui disposent d'un vaste espace maritime, coopération que la France pourrait pousser même si la connaissance des grands fonds est un enjeu de souveraineté ; la voie de la coopération en matière civile, inexistante à ce jour dans les programmes européens » 132 ( * ) .

Ces observations rejoignent celles dressées précédemment : en matière industrielle, s'agissant de la structuration de la filière comme des coopérations éventuelles, la commande publique est un indispensable préalable . Les coopérations internationales doivent donc être fortement encouragées dans la Stratégie française. Or, si cet aspect est bien présent, il tarde à se concrétiser.

2. Des partenariats potentiels nombreux mais qui tardent à se concrétiser

Au premier abord, il peut sembler ontologiquement contradictoire d'encourager des coopérations avec des concurrents voire des adversaires. Cette aporie peut être résolue si l'on considère que, face à des puissances telles que la Chine, la Russie ou les États-Unis, la France ne pourra lutter qu'avec de solides partenariats . La ministre de la mer, lors de l'audition inaugurale de la mission, rappelait ainsi que « l'Allemagne et la Norvège manifestent un intérêt pour la recherche et l'exploration des grands fonds. La France n'est donc pas seule en Europe » 133 ( * ) .

L'implication des États-Unis et de la Chine doit être soulignée : la France doit se tenir prête à y répondre, avec ses partenaires. La Chine est particulièrement active dans l'Océan Pacifique , où elle propose ses services pour le développement de projets dans les fonds marins. Les États-Unis préparent également le terrain pour être présents et offrir leurs services, le cas échéant. Les pays européens ne sauraient se contenter d'être de simples spectateurs : ils doivent être présents et faire valoir leurs atouts non seulement en termes scientifiques et techniques, mais aussi sur le plan des valeurs, principes et normes à instituer pour garantir un usage durable et raisonné des fonds marins.

Il apparaît toutefois pour l'heure que le développement des partenariats, pourtant au centre de l'un des projets de la Stratégie nationale, demeure très lent, alors que les options à disposition sont diverses et potentiellement fructueuses.

a) Les partenaires les plus « naturels » : l'Allemagne et la Norvège

Le cinquième projet défini par la synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet consistait à « avancer sur une stratégie multipartenaire au niveau européen en particulier avec l'Allemagne et d'autres États européens et dans la zone indopacifique avec des États partageant des objectifs communs ». L'Allemagne est donc perçue comme notre partenaire le plus évident.

(1) L'Allemagne, une approche comparable à la stratégie nationale mais bien plus avancée

La stratégie allemande semble particulièrement conciliable avec la position française . Elle reconnaît que les risques pour les écosystèmes en haute mer sont très sensibles et encore trop méconnus et qu'il est nécessaire de continuer à étudier les conséquences sur l'environnement avant d'envisager une exploitation commerciale des ressources minières des grands fonds marins.

En outre, les coopérations entre la France et l'Allemagne sont déjà nombreuses tant sur le plan scientifique - l'IFREMER, l'Office fédéral allemand pour les recherches géologiques et minières et le centre Helmholtz pour la recherche océanique ont oeuvré conjointement dans plusieurs projets européens - que dans le domaine industriel, par exemple entre l'entreprise TechnipFMC et la DeepSea Mining Alliance , le lobby industriel allemand pour l'exploitation minière des océans.

En effet, bien que consciente des enjeux écologiques, l'Allemagne est loin d'exclure une exploitation des fonds marins. L'Allemagne doit en effet anticiper un besoin important d'approvisionnement en matières premières pour répondre aux demandes de son secteur industriel, vital pour son économie. L'Allemagne ne souhaite ni prendre de retard sur d'autres pays, ni passer à côté d'une opportunité de sécuriser de nouvelles sources d'approvisionnement en matières premières. La stratégie allemande reconnaît ses propres ambiguïtés en prônant le concept de « Climate Smart Mining ».

La onzième mesure de la stratégie allemande, déclinée en dix-sept mesures concrètes, vise ainsi à « soutenir l'industrie extractive durable dans les pays en développement et les pays émergents » 134 ( * ) et à « rendre le secteur minier plus sensible au climat et plus respectueux de l'environnement » 135 ( * ) .

L'Allemagne a toutefois voté en faveur de la motion demandant un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins présentée par l'UICN le 8 septembre 2021. L'UICN, lors de son audition, a confirmé ce paradoxe en indiquant que « la Belgique et l'Allemagne s'interrogent sur leur positionnement » 136 ( * ) .

En dépit de ce flou sur les réelles volontés allemandes, force est de constater qu'alors que l'Allemagne dispose, comme la France, de deux permis d'exploration dispensés par l'AIFM, elle a défini sa stratégie dès 2010 et a procédé à une importante actualisation en décembre 2019. Son avance sur la France en termes de calendrier est donc considérable .

La déclaration d'intention de la stratégie allemande semble correspondre à l'approche française, puisqu'elle spécifie que « le gouvernement fédéral s'engage à poursuivre l'établissement de normes élevées dans l'industrie minière à l'échelle européenne et internationale dans l'optique d'un développement durable sous ses aspects économiques, écologiques et sociaux » 137 ( * ) . Mais l'Allemagne n'attendra pas que la France lance enfin sa stratégie, et ce d'autant que d'autres pays en Europe avancent rapidement. C'est le cas de la Norvège.

(2) La Norvège, un partenaire incontournable

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet l'affirme : « la Norvège fait figure de référence en matière de mine durable » 138 ( * ) . Si on peut s'interroger sur ce propos, au regard du traitement par la Norvège de ses déchets miniers terrestres, la mission d'information s'est néanmoins rendue en Norvège pour interroger les principaux protagonistes d'une stratégie d'exploration des ressources minières des fonds marins qui est l'une des plus avancées au monde.

Confrontée aux défis de la transition énergétique, au déclin prévisible de son secteur pétrolier et à la dégradation du contexte géopolitique, la Norvège a en effet mis en place une feuille de route en vue de l'exploration puis éventuellement de l'exploitation de ses grands fonds marins.

Cette feuille de route est conduite par une agence dépendant du ministère du pétrole et de l'énergie, le Norwegian Petroleum Directorate (NPD) dont l'effectif total est de 220 personnes. Le NPD mène des travaux d'exploration depuis déjà plusieurs années , après de premières découvertes il y a quinze ans. Chargé d'établir une cartographie des ressources potentielles , le NPD a mené plusieurs expéditions sur les dorsales de Mohns et de Knipovich. Des systèmes hydrothermaux actifs et inactifs ont été découverts et des échantillons ont été collectés. Sur la seule année 2022, 30 millions de couronnes norvégiennes (NOK), soit environ 3 millions d'euros sont alloués à la cartographie des ressources minérales des fonds marins.

Cette forte détermination politique s'est traduite par l'adoption de la loi du 22 mars 2019 ( Seabed Mineral Act) qui met en place le cadre juridique de l'exploration et de l'exploitation des ressources du plateau continental. La loi dispose notamment que toute exploration ou exploitation doit faire l'objet d'une évaluation préalable de la zone par le Ministère du Pétrole et de l'Énergie. Le programme d'évaluation est soumis à consultation publique, de même que les résultats de ces évaluations. À l'issue de ces travaux d'évaluation, le Seabed Mineral Act permet la délivrance de permis d'exploration minière pour une durée de cinq ans et de licences d'exploitation minière pour une durée de dix ans. La Norvège dispose donc à la fois des moyens industriels, juridiques et techniques pour commencer à exploiter les ressources minérales de sa ZEE à très court terme .

Trois zones ont ainsi été ouvertes à l'évaluation pour leur potentiel en sulfures polymétalliques et encroûtements de manganèse, sur une vaste superficie de 600 000 km 2 , soit 1,5 fois la superficie de la Norvège terrestre.

Norvège : de vastes zones ouvertes à l'évaluation

Source : Ministère norvégien du pétrole et de l'énergie

Schéma de production des sulfures

Impacts environnementaux de l'extraction des minéraux des fonds marins

Source : Ministère norvégien du pétrole et de l'énergie

Le programme d'évaluation d'impact a été soumis à consultation publique en janvier 2021, avant d'être adopté en septembre. L'évaluation a été confiée à un consultant, Akvaplan Niva, les résultats étant attendus à l'automne 2022. Plusieurs organismes de recherche sont mis à contribution dans le cadre de cette évaluation d'impact en cours : l'Université de Bergen, l'Institut de Recherche marine, l'Institut polaire norvégien etc. De premières licences d'exploration pourraient être attribuées dès 2023 .

Un cap clair est donc fixé et d'importants moyens sont mis en oeuvre , tant par l'État norvégien que par des entreprises historiques ou par des start-ups qui se sont créées pour se consacrer à cette activité.

La Norvège bénéficie en effet du savoir-faire de ses industries offshore du secteur pétrolier et gazier . Le tissu industriel norvégien est, dans ce domaine, très dense, avec des entreprises de toutes tailles bénéficiant de plusieurs décennies d'expérience et recherchant une diversification de leurs activités. Dans un rapport de novembre 2020 sur le potentiel des minéraux marins en Norvège, la société Rystad Energy a estimé que l'exploitation minière pourrait générer jusqu'à 20 milliards de dollars de revenus annuels en Norvège d'ici à 2050.

L'État norvégien mène donc une politique volontariste, de nature à encourager les partenariats. La mission a pu apprécier le dynamisme des entreprises du secteur, leur capacité d'innovation (Kongsberg maritime, Loke minerals, Green minerals...) et leur volonté de se développer à l'international .

Kongsberg maritime développe en particulier depuis 25 ans tout une gamme de drones sous-marins (AUV) susceptibles de répondre à divers besoins (scientifiques, commerciaux, militaires...) et pouvant plonger jusqu'à 6 000 mètres de profondeur. Ce sont des drones de ce type (Hugin) qui ont été mis en oeuvre par le navire Seabed constructor de l'entreprise américaine Ocean infinity , choisie par le ministère des armées pour localiser l'épave du sous-marin La Minerve au large de Toulon, en 2019. Les États-Unis ont également utilisé ce type d'équipement avec les capteurs associés pour explorer la fosse des Marianne.

L'Ifremer, le CNRS et des universités françaises sont partenaires de plusieurs instituts de recherche en Norvège. L'Ifremer dispose en particulier, depuis 2019, d'un partenariat avec l'Institut de Recherche Maritime. Un partenariat entre l'Ifremer et Equinor dans la Zone internationale, sous contrat AIFM, a un temps, été envisagé, avant d'être abandonné.

Cependant l'écueil principal au développement des partenariats avec la Norvège réside probablement dans le manque de détermination et de moyens dans la mise en oeuvre de la stratégie française .

Par ailleurs, la mission d'information a également pu constater que les orientations du gouvernement norvégien restaient sujettes à controverses et que de multiples interrogations subsistaient de la part des ONG, des instituts de recherche, et des organismes publics en charge de la protection de l'environnement .

Lors de la consultation publique sur le programme d'évaluation d'impact, plusieurs organismes ont en effet estimé que le calendrier retenu était trop court pour que puissent être comblées au préalable les lacunes importantes qui demeurent dans la connaissance des écosystèmes des fonds marins et la compréhension de leur rôle dans le fonctionnement du système océanique. Le ministère norvégien du climat et de l'environnement a fait le même constat. L'institut de recherche NORCE a souligné, en outre, les lacunes existant dans l'analyse des besoins en minerais , compte tenu des réserves terrestres et des perspectives ouvertes par le recyclage.

Des ONG telles que WWF craignent des impacts irréversibles sur les espèces marines et les habitats, ainsi que la perte d'opportunités futures (en termes de sécurité alimentaire, de découvertes pharmaceutiques...) : au regard de ces risques, WWF estime que le gouvernement norvégien agit trop rapidement et sur une superficie trop vaste pour que l'impact environnemental de l'exploitation minière puisse être réellement pris en compte. En outre, cet impact environnemental devrait être mesuré sur l'ensemble du cycle de vie de la ressource, donc en incluant le traitement des minéraux une fois débarqués à terre. L'ONG demande pour cette raison la mise en place d'un moratoire sur les activités minières dans les fonds marins .

Source : WWF

b) Des partenariats pour l'instant à l'arrêt

La circulaire du Premier ministre n° 6266/SG du 5 mai 2021 rappelle que le sixième projet de la stratégie nationale consiste à « avancer vers la mise en place d'une stratégie internationale qui ne peut être que multipartenaires, au niveau européen avec des États comme l'Allemagne et la Norvège, et dans la zone indopacifique, avec des pays tels que l'Inde, la Corée du Sud et le Japon » 139 ( * ) . Elle expose entre autres « qu'au cours des 18 premiers mois, il est possible dans le champ européen d'engager la construction d'un partenariat avec dans un premier temps l'Allemagne et la Norvège, si l'accord de partenariat entre Equinor et l'IFREMER se confirme, sans exclure d'autres États européens » 140 ( * ) .

Or, cet accord ne paraît pas devoir se concrétiser et c'est tout le projet de développement d'une stratégie internationale qui semble être actuellement à l'arrêt . La recherche de partenariats se heurte à l'absence de financements en vue de l'exploitation. Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l'Europe et des affaires étrangères a rappelé à la mission que « chaque pays finance ses participants et qu'il n'existe pas de financement européen direct » et a explicitement spécifié que « le délai de dix-huit mois ne sera pas respecté ». Ce constat est d'autant plus alarmant que nos partenaires potentiels s'allient de leur côté. Par exemple, en novembre 2020, le groupe allemand DeepSea Mining Alliance et le Forum Norvégien des Minéraux Marins ont signé un accord de coopération pour développer l'industrie de l'exploitation des fonds marins. L'objectif de cet accord de coopération est de fonder une coopération industrielle, technologique et scientifique entre l'Allemagne et la Norvège qui s'étende à toutes les disciplines et étapes nécessaires à l'extraction durable des minéraux marins.

Les perspectives offertes par l'Union européenne pourraient éventuellement permettre de pallier les écueils connus dans le développement de coopérations internationales, bien qu'un financement européen direct soit illusoire. Le rôle joué par l'Union européenne apparaît toutefois insuffisant jusqu'à présent pour offrir de réelles opportunités en la matière.

3. L'Union européenne doit s'affirmer davantage sur la question des fonds marins

La synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet évoque l'hypothèse d'un déploiement du démonstrateur dans la ZEE d'un pays européen. La stratégie nationale envisageait cette option notamment car elle « pourrait constituer un cas exemplaire de coopération au niveau européen et ainsi encourager l'Union européenne à éclaircir son positionnement dans les domaines de l'exploration et de l'exploitation des grands fonds marins » 140 ( * ) .

Alors que des « États continents » tels que la Chine ou les États-Unis ont des stratégies d'approvisionnement en minéraux stratégiques au niveau mondial, l'Union européenne a pris tardivement conscience de cette problématique en lien avec la transition énergétique.

a) Une position européenne sans ambiguïté sur la question de l'exploitation des grands fonds

Dans une résolution du 9 juin 2021 141 ( * ) , le Parlement européen s'est prononcé une première fois pour un « moratoire sur l'exploitation des grands fonds marins, y compris auprès de l'Autorité internationale des fonds marins, jusqu'à ce que les effets de l'exploitation des grands fonds marins sur le milieu marin, la biodiversité marine et les activités humaines en mer aient fait l'objet d'études et de recherches suffisantes et que l'exploitation des grands fonds marins puisse être gérée de façon à ne provoquer aucune perte de biodiversité marine ni aucune dégradation des écosystèmes marins ». Cette résolution souligne, en particulier, « qu'il faut que la Commission mette fin au financement du développement de technologies d'exploitation minière des grands fonds marins conformément à une économie circulaire fondée sur la réduction au minimum, le réemploi et le recyclage des minerais et des métaux ».

La Commission européenne a indiqué, en mai 2020 que « l'Union devrait défendre la position selon laquelle les ressources minérales situées dans la zone internationale des fonds marins ne peuvent pas être exploitées avant que les effets de l'exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n'aient fait l'objet de recherches suffisantes , que les risques n'aient été correctement évalués et qu'il ne soit établi que les technologies et les pratiques opérationnelles envisagées ne portent pas gravement atteinte à l'environnement, conformément au principe de précaution » 142 ( * ) .

Dans une nouvelle résolution 143 ( * ) , adoptée le 3 mai 2022, le Parlement européen a confirmé sa position, en invitant « l'Union à interdire l'ensemble des activités industrielles d'extraction néfastes pour l'environnement, telles que l'exploitation minière et l'extraction de combustibles fossiles dans les zones marines protégées » et en demandant « à la Commission et aux États membres de soutenir un moratoire international sur l'exploration minière des grands fonds marins ».

Outre les groupements soutenus par des investissements communautaires comme le programme EMODnet évoqué précédemment, l'Union européenne s'est fixée pour objectif, dans le cadre des programmes du programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation, Horizon Europe 2021-2027, d'assainir notre océan et notre milieu aquatique . Cet objectif s'inscrit naturellement dans la volonté d'oeuvrer pour le respect de l'objectif de développement durable n° 14 adopté par l'Assemblée générale des Nations unies, « Conserver et exploiter de manière durable les océans et les mers aux fins du développement durable ».

Cette mission appelée « Mission Starfish 2030 » est structurée autour de cinq axes : enrichir les connaissances et créer un lien émotionnel, atteindre le zéro pollution, améliorer la gouvernance, régénérer les écosystèmes marins et aquatiques et décarboner nos océans, nos mers et nos eaux. Elle s'inscrit dans la même logique que l'engagement de l'Union européenne à l'issue du One Ocean Summit , tenu du 9 au 11 février 2022 à Brest, de se doter d'un jumeau numérique de l'océan qui permettra de rassembler les savoirs et de tester des scénarios d'action, au service de la croissance bleue européenne et de la gouvernance mondiale.

Si les axes de la « Mission Starfish 2030 » englobent des sujets autres que les fonds marins, il est toutefois précisé, dans le rapport de lancement de la mission du 21 septembre 2020 144 ( * ) , qu'un des objectifs d'ici 2025 est que « l'Union européenne introduise une interdiction totale de l'ensemble des activités qui entraînent la perte ou la dégradation de l'habitat des fonds marins , dont les pratiques de pêche destructrices et l'exploitation minière des fonds marins . »

Le dogme de l'Union, s'il apparaît donc initialement plus radical que celui de la France en appelant à ce moratoire ou à cet objectif d'interdiction totale, demeure pourtant compatible avec la stratégie nationale . L'IFREMER a ainsi mené une consultation pour le compte de la Commission européenne dans le cadre de la « Mission Starfish 2030 » et d'autres institutions françaises (CNRS, Cluster Maritime Français, Office Français de la Biodiversité, Plateforme Océan Climat, Nausicaa,...) sont aussi partenaires de cette opération.

Le ministère de la transition écologique a d'ailleurs souligné cette concordance entre les objectifs européens et français lors de son audition en rappelant que « la France et l'Union européenne appellent au respect du droit international en vigueur : le traité BBNJ ne doit pas remettre en cause les zones de gestion déjà existantes » 145 ( * ) et que « l'Union européenne et la France défendent, dans les discussions internationales, les études environnementales et les études d'impact » 146 ( * ) .

b) Une compatibilité entre les stratégies nationale et européenne que la France ne peut guère exploiter pour l'heure

L'Union européenne semble peiner à faire entendre sa voix dans les instances de gouvernance internationale .

La mission d'information a ainsi obtenu des échos contradictoires sur le poids exact de l'Union notamment au sein de l'AIFM. M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, a précisé qu'il faisait « confiance à l'AIFM, qui n'est pas une entreprise commerciale ou capitalistique, pour proposer une position mesurée ; elle constitue une forme de garantie, d'autant que l'Union européenne a pris un certain leadership sur ces sujets » 147 ( * ) , tandis que M. Olivier Guyonvarch, représentant permanent de la France auprès de l'AIFM, a affirmé que « l'Union européenne n'est pas présente au Conseil et s'exprime très peu à l'assemblée. Cette année, avant la réunion de novembre, elle a voulu prendre le lead sur ces questions, comme elle l'avait fait dans la négociation sur la Convention cadre sur la protection de la biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale (BBNJ). Elle a donc tenté de s'exprimer au nom des États membres, mais cette tentative a été rejetée par les États membres et par le service juridique du Conseil » 148 ( * ) .

La Commission européenne a précisé, à l'article 2 d'une proposition de décision du Conseil du 5 janvier 2021, relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins que « la position de l'Union au sein du Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins visée à l'article 1 er est exprimée et défendue par les États membres de l'Union qui sont membres du Conseil de l'Autorité internationale des fonds marins chaque fois que l'Union est restreinte pour exprimer sa propre position en raison de son statut d'observateur limité » 149 ( * ) .

La volonté de l'Union européenne d'assurer un leadership sur les questions relatives aux fonds marins est donc endiguée par son statut d'observateur au sein de l'AIFM. La ministre de la mer lors de son audition par la mission avait évoqué le fait que « le Parlement européen ne s'engage pas sur l'exploration des grands fonds, à la différence de notre pays » 150 ( * ) , confirmant ainsi une des faiblesses notables identifiée dans la synthèse du rapport de M. Jean-Louis Levet à savoir « une absence d'action coordonnée entre membres de l'Union européenne » 151 ( * ) .

L'Union européenne compte dès lors sur ses États membres pour porter sa vision dans les instances de gouvernance internationale. Or, comme exposé précédemment et comme rappelé en annexe de la proposition de décision du conseil précitée, « l'UE devrait défendre la position selon laquelle les ressources minérales situées dans la zone internationale des fonds marins ne peuvent être exploitées avant que les effets de l'exploitation minière en eaux profondes sur le milieu marin, la biodiversité et les activités humaines n'aient fait l'objet de recherches suffisantes, que les risques n'aient été correctement évalués et qu'il ne soit établi que les technologies et les pratiques opérationnelles envisagées ne portent pas gravement atteinte à l'environnement, conformément au principe de précaution » 152 ( * ) .

Cette vision semble s'accorder avec les objectifs de la stratégie nationale et il est donc indispensable que la France joue un rôle majeur pour permettre à l'Union européenne d'assumer ce leadership qu'elle vise . Cela renforcerait son poids dans le jeu des puissances luttant pour la maîtrise des fonds marins et faciliterait les coopérations avec les pays de l'Union européenne partageant la même vision de la stratégie à mener.

Cela permettrait en outre de s'appuyer sur les investissements européens dans divers domaines. Sur le sujet spécifique des câbles sous-marins, Mme Marianne Péron-Doise soulignait ainsi que « pour permettre à la France de consolider ses capacités d'action dans la région sous un angle stratégique, c'est-à-dire militaire, économique et politique, il faut accentuer les coopérations existantes , ne pas hésiter à parler de mutualisation des moyens et s'appuyer, peut-être plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, sur les capacités de l'Union européenne , qui est un investisseur très important dans la zone » 153 ( * ) .

Il existe un risque qu'un autre pays prenne le leadership au sein de l'Union européenne, si la France n'assume pas ce rôle. Il est aussi de plus en plus probable que chaque pays européen mette seul en oeuvre sa stratégie nationale sans réelle concertation européenne. Mais, si la France ne parvient pas à construire une véritable coopération internationale et à co-développer une stratégie européenne, une vision beaucoup moins soucieuse de l'environnement risque fort de dominer . M. Laurent Kerléguer, directeur général du SHOM, résume ainsi ces craintes : « il faut que la France et l'Europe montrent la façon de faire , avant que d'autres nations, peut-être moins soucieuses du respect de l'environnement, ne conduisent ces explorations « à la hussarde » 154 ( * ) . Sur cet aspect également, la France doit agir à la hauteur de ses ambitions annoncées .

La France a joué un rôle moteur dans la consolidation de l'Europe de la défense, qui s'est concrétisée récemment par la création de plusieurs instruments de coopération dans les domaines capacitaire et opérationnel. La Présidente Ursula von der Leyen a appelé, lors de sa nomination, à ce que la Commission soit « géopolitique ». La guerre en Ukraine a constitué un nouveau tournant majeur en ce sens. Or l' « Europe puissance » ne saurait advenir sans défendre ses positions sur des questions majeures telles que celle des fonds marins.

4. L'importance des partenariats potentiels qu'offrent les territoires d'outre-mer

« Il faut rappeler que la moitié du G 20 voit la façade pacifique et il est donc important de nous positionner résolument pour un développement de ce cube océanique qu'est la ZEE polynésienne » 155 ( * ) . M. Tearii Alpha, vice-président du Gouvernement de la Polynésie française, ministre en charge du domaine, de l'économie bleue et de la recherche, a mis en lumière lors des Assises économie de la mer 2021 l'importance des coopérations internationales dans la zone Pacifique, évoquant notamment l'axe « États -Unis-Australie qui s'intéresse au Pacifique » 156 ( * ) . La ZEE des États-Unis est en l'occurrence principalement située autour des îles américaines du Pacifique.

Si l'Australie ne développe guère de stratégie des fonds marins, les ressources à exploiter dans sa ZEE étant perçues comme insuffisantes, elle s'intéresse néanmoins au Pacifique et notamment à la situation des îles Cook qui disposent pour leur part de ressources minérales importantes, convoitées par de nombreuses entreprises étrangères. La société belge d'exploitation minière Global Sea Mineral Resources (GSR) a ainsi indiqué à la mission avoir déjà conclu un accord à 50/50 avec la Cook Islands Investment Corporation pour l'exploration de la ZEE des îles Cook à la recherche de nodules. La lutte d'influence dans la zone indo-pacifique est déjà lancée et la France ne doit pas négliger des partenariats qui pourraient se révéler cruciaux dans cette zone .

Auditionné par la mission, M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture, de l'environnement et des ressources marines du Gouvernement de la Polynésie française, résumait la problématique du bassin Pacifique : « Sur l'exemple des îles Cook, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie ne pourraient-ils pas être les porte-parole d'une politique française commune avec nos voisins du Pacifique ? À défaut, c'est la Chine, l'Inde ou l'Australie qui prendra les devants . Pour nous, la réponse consiste en l'édification d'un grand mur bleu dans le Pacifique avec nos amis de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les îles Cook, Samoa, Tonga et tous les autres pays représentés au Forum des îles du Pacifique ». 157 ( * )

Les collectivités du Pacifique ont entamé des partenariats avec les États voisins : ainsi Wallis-et-Futuna envisage de constituer avec Fidji et Tuvalu « un parc marin d'importance écologique et biologique constituée de trois ZEE ». 158 ( * ) Il apparaît primordial d'encourager et de développer ces coopérations notamment au sein des pays du Forum des îles du Pacifique où deux dogmes s'affrontent entre les partisans d'une exploitation minière et les pays qui privilégient la préservation de l'environnement.

Certaines de ces coopérations sont déjà particulièrement fructueuses particulièrement sur le plan scientifique. Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a en effet rappelé que « des coopérations scientifiques actives existent dans le domaine des géosciences marines et terrestres avec les Australiens et surtout les Néo-zélandais (continent Zeelandia) » 159 ( * ) .

À l'image du Forum des îles du Pacifique, la France via La Réunion est membre, dans l'océan Indien, de la Commission de l'océan Indien (COI) qui se penche notamment sur la question des câbles sous-marins, avec l'organisation en 2021 de la première consultation régionale sur la protection et la résilience des câbles sous-marins. Or, dans ce bassin également, la compétition s'intensifie. « Les pays de la zone - Madagascar, Maurice, Seychelles - sont des partenaires de longue date, mais nous devons aussi faire face à des concurrents, comme l'Allemagne, l'Inde ou la Corée du Sud, qui disposent de licences d'exploration dans la région délivrées l'AIFM » 160 ( * ) précisait M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de la Réunion qui a au demeurant indiqué que Madagascar, également membre de la COI et qui dispose d'importantes ressources minières, a conclu un accord de coopération militaire avec la Russie.

Le cadre de la COI semble pertinent pour renforcer les partenariats en cours ou pour initier de nouvelles coopérations , d'autant plus qu'un de ses domaines d'action principale réside dans son oeuvre pour l'économie bleue dont la gestion durable des ressources des fonds marins compose une part importante. M. Wilfrid Bertile, président de la commission des affaires générales, financières, européennes, et relations Internationales, conseiller en charge du co-développement régional, de la pêche et des relations extérieures au conseil régional de la Réunion a d'ailleurs affirmé qu'il « pourrait être envisagé de solliciter la COI, avec un financement de l'Europe sur certains projets » 161 ( * ) .

Enfin, dans le bassin Atlantique, les perspectives de partenariats internationaux sont aussi particulièrement intéressantes . « Les États de la Caraïbe, les petits États indépendants qui nous entourent n'ont pas forcément les moyens financiers nécessaires pour aller vers l'exploration et les études, mais il y a des personnels formés dans certaines de ces îles. Nous devrions pouvoir en bénéficier dans le cadre d'une coopération internationale. Notre souhait, celui du président Serge Letchimy, est de développer cette coopération dans la grande Caraïbe et, au-delà, avec l'Amérique latine et l'Amérique du Nord » 162 ( * ) expliquait ainsi Mme Patricia Telle, deuxième vice-présidente de la collectivité territoriale de Martinique, chargée de la coopération et des relations internationales. Elle a toutefois souligné que l'essentiel demeurait d'établir une réelle coopération entre l'hexagone et les outre-mer. La sénatrice Annick Petrus a par ailleurs spécifié que pour le conseil territorial de Saint-Martin, « le sujet des coopérations internationales arrive trop tôt dans la démarche territoriale » 163 ( * ) .

Si selon le bassin les coopérations potentielles sont à des états d'avancement divers, chaque exemple témoigne de l' impérieuse nécessité pour la France de ne pas sacrifier les partenariats que peuvent nouer les outre-mer sur l'autel d'un tropisme trop exclusivement européen .

Les acteurs nationaux ont intégré les fortes possibilités de partenariats qu'offraient les outre-mer. Par exemple, l'Agence française de développement (AFD) gère plusieurs projets centrés autour des territoires ultramarins, dont l'initiative Kiwa, qui vise à renforcer le bien-être et la résilience des communautés du Pacifique face au changement climatique grâce à la conservation de la biodiversité. Cette initiative, qui ambitionne à la fois de soutenir la gestion durable et efficace des espaces marins tout en renforçant la coopération entre les bailleurs, les États et territoires insulaires du Pacifique et les organisations régionales, associe la France, l'Union européenne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

L'appui technique et le principal soutien au développement, outre naturellement l'AFD, est assuré par le Programme régional océanien de l'environnement , une organisation intergouvernementale de vingt-cinq membres dont vingt-et-un pays et territoires insulaires du Pacifique qui a pour objectif de promouvoir la coopération, d'appuyer les efforts de protection et d'amélioration de l'environnement du Pacifique insulaire et de favoriser son développement durable.

Cet exemple illustre la nécessité d'une part de s'appuyer sur les coopérations existantes et potentielles développées par les outre-mer et d'autre part d'encourager les efforts des organismes, tels que l'AFD, qui disposent d'une vision globale de l'ensemble des enjeux inhérents aux fonds marins et des capacités à faciliter les synergies entre les différents acteurs aux visions parfois peu compatibles .

Recommandation

20) Accentuer l'effort de l'Agence française de développement en faveur de projets portant sur les grands fonds marins, qui sont au coeur de problématiques économiques, environnementales et culturelles à l'intersection de plusieurs préoccupations de l'Agence (biodiversité, changement climatique, transition énergétique...).

CONCLUSION

Les principaux dangers qui guettent aujourd'hui les fonds marins sont le changement climatique et le déclin de la biodiversité , dans un environnement où les processus biologiques sont très lents, entraînant un risque important de destructions irréversibles. Les effets de la pression anthropique peuvent rester dissimulés pendant un temps assez long, avant de se révéler subitement, suite au dépassement d'un seuil qui n'est pas connu a priori. Tous les chercheurs entendus par la mission, en France et en Norvège, ont souligné les lacunes immenses existant encore dans la connaissance des grands fonds et des connexions et interactions entre écosystèmes. Tous ont également souligné le risque de pertes d'opportunités qui seraient inhérentes à la destruction de milieux particulièrement riches et dont toutes les potentialités n'ont probablement pas été identifiées.

Dans ce contexte, la prudence s'impose. Mais prudence ne signifie pas immobilisme. La diplomatie a un rôle important à jouer pour promouvoir une approche durable des grands fonds marins au niveau mondial. Mais la diplomatie seule sera insuffisante , sans une connaissance approfondie de ce milieu, et sans moyens de surveillance et d'action dans les grands fonds, de nature à crédibiliser la parole de la France.

Une démarche scientifique étayée est nécessaire afin d'évaluer l'intérêt de nos ressources minérales marines , compte tenu de l'urgence de la transition énergétique, de l'exigence d'autonomie stratégique, mais aussi de l'existence de solutions alternatives.

La stratégie française pour les grands fonds marins doit, par ailleurs, être l'une des composantes d'une politique océanique redynamisée . Alors que le « One Ocean Summit » a été l'occasion d'affirmer des ambitions fortes, la transformation du ministère de la mer, recréé en 2020, en secrétariat d'État, envoie un signal contradictoire. Grande puissance, présente dans tous les océans, la France n'assume pas suffisamment le rôle que la géographie lui permettrait de jouer , notamment grâce à ses outre-mer, à l'heure où la mondialisation entraîne une maritimisation de l'économie, et alors que l'espace maritime est un espace commun de plus en plus contesté et revendiqué, au plan international, par des puissances grandes et moyennes.

Le sujet des grands fonds marins apporte également un éclairage sur le manque de moyens de la recherche française , qui entraîne un risque de décrochage scientifique, et donc technologique et économique. La France consacre 2,3 % de son PIB à la recherche, c'est-à-dire moins que la moyenne de l'OCDE, et loin de l'objectif de 3 %, atteint par plusieurs pays européens dont l'Allemagne, mais aussi par les États-Unis (3,4 %). La recherche marine est particulièrement cruciale et nécessite d'importants moyens, dont ceux de la Flotte océanographique française, patrimoine historique et scientifique qui doit être préservé, renouvelé et modernisé.

En définitive, il s'agit pour la France de préserver son rang historique de grande puissance maritime et de grande puissance scientifique, au niveau mondial, ce qui passera aussi nécessairement par une relance des coopérations internationales et une implication accrue de l'Union européenne.

EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mardi 21 juin 2022, sous la présidence de M. Michel Canévet, président, la mission d'information sur « l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » a procédé à l'examen du rapport de M. Teva Rohfritsch.

M. Michel Canévet, président . - Je remercie le groupe RDPI et le rapporteur M. Teva Rohfritsch d'avoir pris l'initiative de cette mission d'information passionnante, et d'avoir réalisé cet important travail au cours des six derniers mois - nous avons pris le temps de nous approprier ce sujet.

Notre mission a réalisé 70 auditions de responsables politiques, de représentants des ministères, de chercheurs, de représentants d'ONG, d'entreprises... De nombreux acteurs sont impliqués car le sujet est pluridisciplinaire, mélangeant géologie, biologie, océanographie, ingénierie, économie, etc. Sa gouvernance est particulièrement dispersée, comme le montre le rapport.

Nous avons mis un accent particulier sur les outre-mer au cours de trois tables rondes réalisées par bassin océanique, dont je me réjouis : si la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, c'est grâce aux outre-mer. La question des fonds marins doit être traitée de façon concertée.

Nous avons effectué deux déplacements : à Brest, où nous avons vu la préfecture maritime, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), le Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom), et le Pôle mer ; et en Norvège, qui est le pays le plus avancé en Europe : il a une grande antériorité en matière de recherche gazière et pétrolifère, et des compétences reconnues. Nous l'avons constaté lors de la visite de Kongsberg, qui fabrique des drones sous-marins. Le niveau technologique est très élevé. Alors qu'en France, faute de commande publique, la recherche avance beaucoup plus lentement.

Nous avons reçu une trentaine de contributions écrites des personnes auditionnées et des services économiques et scientifiques de plusieurs ambassades de France. Une note de législation comparée, annexée au rapport, a été réalisée par la division de la législation comparée du Sénat à partir des réponses des ambassades de France - en Allemagne, Australie, Chili, Chine, Japon, Norvège, États-Unis - au questionnaire du rapporteur.

Le rapport provisoire vous a été exceptionnellement transmis par courriel vendredi dernier, pour consultation ; il est sous embargo jusqu'à 17 heures. Les groupes politiques peuvent nous transmettre des contributions faisant état de leurs positions spécifiques au plus tard jeudi midi. Elles seront annexées au rapport. Le rapport propose 20 recommandations pour donner un nouveau départ à la politique des grands fonds marins.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur . - 'Ia ora na, bonjour en polynésien ! Je vous remercie pour votre présence aujourd'hui ainsi que lors des 70 auditions, des trois tables rondes, des entretiens en visioconférence et des déplacements. Je salue également la disponibilité et la qualité des propos de tous les intervenants que nous avons auditionnés, et qui nous ont également adressé des contributions écrites.

Je me réjouis de vous présenter les résultats de ce travail d'échanges, d'observations et de réflexion mené au cours des six derniers mois. Ce travail minutieux a permis de dresser un constat qui me semble objectif et d'en tirer 20 recommandations que nous transmettrons au Gouvernement.

Comme vous le savez, mon attachement au monde marin a toujours été l'une des boussoles de mon engagement politique, en tant que Polynésien, bien sûr, mais également en tant que citoyen de la République française, nation maritime s'il en est et dont l'excellence dans ce domaine est reconnue. Les grands fonds sont une composante du monde marin, longtemps restée inaccessible à l'homme, mais les dernières décennies ont montré que cette frontière, jadis infranchissable, l'était de moins en moins.

C'est pourquoi ce rapport me tenait particulièrement à coeur. J'ai souhaité que nous dressions ensemble un état des lieux de la connaissance sur ces grands fonds, présentés unanimement comme une terra incognita malgré une importance stratégique, également unanimement reconnue. J'ai souhaité que nous réfléchissions aux moyens de soutenir la recherche française dans ce domaine, dans un contexte souvent comparé à une nouvelle ruée vers l'or. Je suis convaincu que la valorisation comme la protection de ces milieux fragiles passent par une première étape indispensable de recueil des connaissances. Cette première étape est loin d'être terminée puisque nous n'en sommes qu'au stade de la description, rendant totalement prématurée toute velléité d'exploitation. Je préfère l'annoncer dès à présent.

Enfin, j'ai souhaité que les territoires d'outre-mer (TOM), principaux concernés par le sujet, soient pleinement associés à notre démarche, dans le cadre de trois tables rondes d'une grande richesse, qui nous ont permis de mesurer les incompréhensions existantes et le chemin qui reste à parcourir pour mieux informer et associer les partenaires ultramarins.

Le premier constat qui nous est apparu, dès les premières auditions, est l'éclatement de la gouvernance des grands fonds marins français et, en conséquence, les difficultés à mettre en oeuvre les objectifs ambitieux que la France s'est fixés.

Nous avons identifié huit ministères qui sont directement concernés par la gouvernance des grands fonds marins mais dont l'implication politique et administrative sur le sujet varie très fortement. À ces huit ministères s'ajoute le Secrétariat général de la mer (SGmer). S'il est souhaitable que l'État se mobilise pleinement sur le sujet, il découle néanmoins de cet enchevêtrement de compétences un déficit de lisibilité, relevé par plusieurs intervenants qui nous ont indiqué ne pas identifier l'interlocuteur de référence au sein de l'État.

En effet, la coordination d'ensemble a été confiée aussi bien au SGmer qu'à l'ancien ministère de la mer, désormais un secrétariat d'État. La politique des fonds marins n'a donc pas de leader véritable. Par ailleurs, aucune de ces structures n'a dégagé les ressources humaines nécessaires pour assurer ce rôle de coordinateur dans le domaine des grands fonds marins. À titre d'exemple, une seule personne s'occupe des fonds marins au SGmer, mais elle est chargée en parallèle d'autres dossiers tout aussi importants.

C'est pourquoi je propose une refonte de la gouvernance nationale des grands fonds marins. Je souhaite que ce sujet bénéficie à la fois d'un suivi politique d'envergure et d'un support administratif suffisant. Je suggère en conséquence que soit reconstitué un ministère de la mer de plein exercice chargé de l'élaboration et de l'application de la politique maritime française, incluant les grands fonds marins, et qu'au sein de ce ministère soit renforcée la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (Dgampa) en la dotant d'un service administratif de référence en charge de la politique des fonds marins, clairement identifié et suffisamment doté en ressources humaines ; que soit nommé un délégué interministériel aux fonds marins, personnalité publique bénéficiant d'une expertise reconnue, placé auprès de la Première ministre et chargé de l'animation de la politique des fonds marins, de la coordination de l'action des différents ministères et acteurs scientifiques, de l'animation du réseau des outre-mer et de l'application de la stratégie nationale pour les grands fonds marins.

Je propose par ailleurs une « révolution copernicienne » : le sujet des fonds marins est abordé principalement sous le prisme de l'État et des experts. Or il convient d'adopter une démarche plus politique, en associant le Parlement et les outre-mer au pilotage et au suivi de la stratégie. Cela implique, pour commencer, une refonte du comité de pilotage existant. Actuellement, même lorsque les collectivités sont compétentes dans le domaine minier, ce qui est le cas des collectivités d'outre-mer (COM), nous avons constaté qu'elles arrivaient tout au bout de la chaîne d'information et de décision. Ce procédé nourrit une certaine méfiance quant aux intentions de l'État, alors que ces collectivités devraient en réalité être à l'initiative des projets, ou du moins associées très en amont.

Cette gouvernance refondée devrait permettre de mobiliser davantage les services de l'État pour que soient mis en oeuvre les objectifs qui ont été fixés. Ceux-ci résultent d'une stratégie tridimensionnelle, qui repose d'abord sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, dite stratégie Levet, ensuite sur le dixième objectif du plan France 2030, dédié à l'exploration des grands fonds marins, et enfin sur la stratégie du ministère des armées de maîtrise de nos grands fonds marins. Pour les deux premiers volets, deux enveloppes, normalement distinctes, de 300 millions d'euros ont été annoncées.

Il ressort de nos auditions que les objectifs alloués à ces trois stratégies, à savoir accélérer sur l'exploration de nos grands fonds marins afin de nous tenir prêts à protéger et, peut-être plus tard, à valoriser ces grands fonds marins, sont globalement acceptés et considérés comme ambitieux.

Nous partageons néanmoins la vive inquiétude ressentie par de nombreux intervenants sur la mobilisation des crédits annoncés pour mettre en oeuvre ces stratégies pourtant saluées. Selon nos informations, il semblerait que la stratégie Levet se confonde avec le plan d'investissement France 2030. En particulier, les travaux de recherche scientifique qui devaient être financés dans le cadre de cette stratégie s'avèrent en réalité financés par France 2030. Au total, nous serions très loin des 600 millions d'euros annoncés - plutôt dans une fourchette incertaine comprise entre 300 et 400 millions d'euros - et certains projets importants de la stratégie Levet, comme le démonstrateur évalué à 150 millions d'euros sont, pour reprendre les mots des services du SGmer « sans solution identifiée » car ils représentent « un point dur ».

Notre rapport ne sera donc pas un énième rapport demandant des crédits supplémentaires. Je le redis : la stratégie tridimensionnelle présentée par le précédent gouvernement a été reçue positivement et semble correctement calibrée. Nous demandons néanmoins que cette stratégie soit relancée, sous l'impulsion d'un délégué interministériel et que les crédits explicitement arbitrés par le Premier ministre Jean Castex soient effectivement débloqués pour atteindre le montant initialement annoncé de 600 millions d'euros.

Nous recommandons que l'ensemble des huit projets de la stratégie Levet soient réalisés, en particulier le projet de démonstrateur qui pourrait être testé dans notre ZEE de Clipperton ou dans la zone internationale, puis, si les tests sont concluants, dans la ZEE des collectivités d'outre-mer intéressées - si tant est qu'elles le soient... Nous souhaitons en outre que cette relance soit l'occasion de mieux associer les collectivités d'outre-mer et le Parlement, via la détermination d'un calendrier de réalisation des huit projets comportant des rapports d'étapes réguliers.

La lecture du code minier lors de nos travaux m'a fait prendre conscience de l'extrême concision du cadre juridique relatif aux grands fonds marins, que je déplore. En l'état actuel et malgré la très récente réforme de ce code par ordonnances, aucune disposition juridique n'interdit l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, tandis que le cadre régissant l'exploration se résume à quelques grands principes dangereusement lapidaires. La position française actuelle consistant à interdire l'exploitation des ressources minérales de nos grands fonds résulte d'une doctrine du Gouvernement et n'a pas de fondement juridique.

Il me semble par conséquent nécessaire de combler le vide juridique partiel entourant l'activité humaine dans les grands fonds marins en distinguant davantage le cadre juridique relatif aux hydrocarbures et celui des minéraux. Je suggère que soient adoptées des normes environnementales propres aux grands fonds marins, que des études d'impact soient réalisées préalablement à tout projet d'extraction et que soit aménagé un cadre normatif et financier attractif distinct de la prospection pétrolière pour inciter les acteurs privés à participer aux efforts d'exploration. Je souhaite que cette réécriture soit faite par voie législative - et non par ordonnances - à l'issue d'un débat parlementaire transparent, ayant associé en amont les collectivités d'outre-mer.

J'en viens désormais à ce pour quoi cette gouvernance et ces stratégies ont été mises en place : la connaissance de nos grands fonds marins. Nous connaissons très mal nos grands fonds marins. Les auditions ont confirmé cette hypothèse de départ. Seuls 2 % des fonds marins mondiaux sont finement cartographiés et nous ne connaîtrions, en étant optimistes, que 5 % de la biodiversité de ces écosystèmes. Il n'existe aucune cartographie des ressources minérales des grands fonds marins, seulement des estimations peu précises.

Pourtant, la France est bien placée dans ce domaine. Elle est un des acteurs historiques de l'exploration marine profonde et dispose d'acteurs scientifiques comme économiques en pointe sur l'exploration. Je pense bien évidemment à l'Ifremer et au Shom, mais également à des entreprises comme iXblue ou Abyssa. Grâce à leur volontarisme, la France est l'un des rares pays capables d'explorer ses fonds marins jusqu'à 6 000 mètres. Cela représente un engagement humain et financier qu'il convient de soutenir, notamment grâce à la relance de la stratégie Levet.

Les travaux de recherche menés jusqu'à présent ont démontré que les grands fonds marins disposaient de riches ressources minérales, principalement des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères et des sulfures hydrothermaux, dont vous pouvez voir des photographies sur l'écran. En parallèle, il a été démontré, contrairement à ce que nous pensions encore récemment, que les abysses abritaient une vie abondante, certes de petite taille, mais foisonnante et disposant de caractéristiques génétiques exceptionnelles pour survivre dans ces milieux hostiles.

L'enjeu pour nous est de taille. Tout d'abord, il s'agit de préserver le rôle de la France parmi les nations en pointe de l'exploration marine. En second lieu, sous le double objectif de préservation et de valorisation potentielle de nos fonds marins, nous devons disposer d'informations fiables afin de protéger au mieux ces milieux - comment protéger ce que nous ne connaissons pas ? - et de pouvoir prendre une décision éclairée sur l'éventualité ou non, dans un futur qui n'est pas immédiat, d'exploiter ces ressources. Pour guider cette prise de décision et pour coordonner le travail scientifique, je propose la création d'un conseil scientifique réunissant toutes les disciplines scientifiques concernées par la compréhension des grands fonds marins.

Ce recueil des connaissances ne doit pas se focaliser sur les seules ressources minérales. C'est pourquoi j'insiste pour que ne soient pas confondues exploration et prospection. À ce titre, je souhaite que l'Office français de la biodiversité (OFB) soit davantage associé aux travaux de recherche.

En outre, l'implantation de l'Ifremer dans les territoires d'outre-mer doit être accrue, en synergie avec les acteurs locaux, afin de créer des pôles de compétences contribuant aux économies locales dans ces territoires.

Une fois fait le constat de la richesse aussi bien minérale que vivante des grands fonds marins, se pose donc la question de l'exploitation éventuelle de ces grands fonds.

À ce stade, il est prématuré d'envisager la moindre exploitation de nos grands fonds marins. Il ne s'agit pas d'une position idéologique, mais d'une observation partagée par la quasi-totalité des intervenants que nous avons auditionnés, y compris des entreprises du monde minier. Les progrès techniques ne sont pas encore suffisants pour pouvoir extraire à échelle industrielle des minerais dans les abysses : même en Norvège, où la réflexion est particulièrement avancée, les experts ne pensent pas qu'une exploitation industrielle soit possible avant la fin de la décennie.

Au demeurant, cette extraction ne serait pas rentable en l'état du marché des matières premières et compte tenu des incertitudes relatives aux normes environnementales - absolument nécessaires - qui seront exigées. Dit autrement, il n'y a pas encore de business model.

Il m'a semblé significatif qu'Eramet, le leader français de l'extraction minière, ne croie pas en l'exploitation minière des grands fonds avant 2040. Le plus optimiste, le belge GSR, n'a évoqué une potentielle faisabilité technique qu'à partir de 2028. En parallèle, il semblerait que les ressources minérales terrestres, bien que sujettes à beaucoup de tensions, soient suffisantes pour nous approvisionner encore, pour les plus rares, pendant une quarantaine d'années.

Tous ces éléments nous amènent à conclure qu'une exploitation de nos ressources minérales marines n'est pas d'actualité. Nous devrions mettre à profit les années qui nous restent avant que la question ne se pose véritablement pour réfléchir à un cadre normatif et environnemental garantissant à la fois une protection la plus poussée possible de l'environnement marin et un partage au moins partiel des bénéfices issus de cette potentielle extraction, notamment pour les populations locales ; améliorer les outils extractifs pour limiter leurs impacts sur l'écosystème marin et leur consommation d'énergie ; prévoir un dispositif de contrôle environnemental, inspiré des inspecteurs de l'environnement de l'OFB ; et accroître les efforts en faveur du recyclage des métaux et du développement d'une société moins intensément consommatrice de matières premières, afin de repousser l'échéance à laquelle la question de l'exploitation des ressources minérales se posera réellement.

La France doit néanmoins se tenir prête et structurer son tissu industriel. Je propose pour ce faire la création d'un pôle d'excellence, sur le modèle du pôle d'excellence cyber. Nos industriels peuvent notamment se démarquer dans le secteur de l'exploration et de la connaissance, dans lequel la France dispose d'un riche vivier d'entreprises, qu'il s'agit de soutenir par la commande publique afin qu'elle développe des produits qualitatifs pouvant trouver leur place à l'export puisque la demande existe. J'insiste sur ce point concernant la commande publique : elle est absolument nécessaire, puisqu'il n'y a pas de business model, comme je l'ai dit. L'implication de l'État doit être d'autant plus forte que la maîtrise des fonds marins est aussi un enjeu de souveraineté.

Si la France doit se tenir prête, c'est parce que les ressources des grands fonds marins font l'objet de convoitises à peine voilées de la part de la plupart des puissances mondiales. C'est manifeste dans le Pacifique, où l'implication des États-Unis et de la Chine est réelle. La Chine propose ses services aux États insulaires, pour le développement de projets dans les fonds marins - et ils y sont sensibles... Les États-Unis préparent également le terrain pour être présents et offrir leurs services, le moment venu. Les pays européens ne sauraient se contenter d'être de simples spectateurs : ils doivent être présents et faire valoir leurs atouts non seulement en termes scientifiques et techniques, mais aussi sur le plan des valeurs, principes et normes à instituer pour garantir un usage durable et raisonné des fonds marins.

La France a un rôle à jouer dans ce cadre.

Tout d'abord, elle doit rester active au sein de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) et y défendre une position exigeante en matière de réglementation environnementale. À ce titre, il est indispensable qu'elle accompagne l'AIFM dans sa mue future afin que cette dernière dispose des moyens financiers et humains nécessaires pour ne pas être seulement prescriptrice de normes, mais qu'elle assure également un véritable contrôle de ces normes. Je souhaite que le Gouvernement associe davantage le Parlement et les collectivités d'outre-mer à la définition de la position française relative à l'exploitation des fonds marins internationaux. Cette question de société fondamentale doit être tranchée de façon transparente.

Quant à la protection militaire des fonds marins français, nous ne pouvons que saluer la présentation, en février dernier, d'une stratégie de maîtrise des fonds marins qu'il s'agit de renforcer dans un contexte concurrentiel croissant. Je souhaite que ce renforcement soit inscrit dans la prochaine loi de programmation militaire et ait pour base nos ports d'outre-mer. Afin de pouvoir veiller sur nos fonds marins, il s'agirait notamment d'acquérir une première capacité exploratoire avant 2025 constituée d'un véhicule autonome et d'un véhicule câblé pouvant tous deux opérer à 6 000 mètres ainsi que de deux véhicules de mêmes types opérant à 3 000 mètres. Cela permettrait à notre marine de surveiller 97 % des fonds marins. En parallèle, il conviendrait de remplacer d'ici à 2030 des frégates de surveillance par des navires ayant nativement la capacité de mettre en oeuvre ces robots sous-marins dans le cadre du programme European Patrol Corvette. Tout ceci pourrait se faire en mettant à contribution la base industrielle et technologique française afin de ne pas rater le tournant des drones sous-marins, comme la France a manqué, il y a quelques années, celui des drones militaires aériens.

Enfin, face aux coûts de la recherche marine, les coopérations scientifiques et industrielles doivent être consolidées. Nous en avons vu toutes les potentialités en Norvège. Je me réjouis de constater que les chercheurs français sont très sollicités, preuve de la reconnaissance de notre expertise. Ces coopérations ne pourront toutefois se concrétiser qu'avec des moyens suffisants, des orientations politiques claires et un cadre normatif stable.

Voici les principaux constats et propositions qui découlent de nos six mois de travaux. Je ne pense pas me tromper en affirmant que nous partageons tous le souhait que la France reste une nation de référence en matière de recherche marine et que nous avons encore beaucoup à apprendre de ces milieux passionnants.

M. Michel Canévet, président. - Merci pour cette présentation et ces 20 recommandations. Dès le début des auditions est ressorti le sujet particulièrement important du pilotage.

M. Jacques Fernique. - Bravo pour ce rapport étayé et passionnant. Il rend bien compte des enjeux et des problématiques que les auditions nous ont permis de mieux appréhender, y compris pour ceux d'entre nous qui n'étaient pas familiers des abysses.

De nombreuses recommandations du rapporteur sont adaptées : il est en effet nécessaire de mieux ouvrir au champ démocratique la stratégie et les décisions importantes, en impliquant le Parlement et en prenant en compte la subsidiarité, notamment pour les TOM. Beaucoup ne se sentent pas concertés. Le rapport rappelle qu'une démarche conduite depuis Paris serait vouée à l'échec.

Cependant, peut-on qualifier d'« échec majeur » le refus par Wallis-et-Futuna de toute exploration et prospection, ainsi que l'adoption d'un moratoire de cinquante ans pour l'exploitation de leurs fonds marins ? Il faut accepter que les positions des collectivités territoriales et des habitants ne conduisent pas vers une inexorable exploitation des ressources minérales des fonds marins.

La mission a permis de nombreux apports pour y voir plus clair dans l'exploitation minière ; celle-ci est une équation à quatre inconnues : l'impact environnemental, les conditions techniques, la rentabilité économique, l'acceptabilité sociale. Le rapport estime prématuré d'ouvrir les vannes à une exploitation et note que le concept d'exploration est ambigu : s'agit-il d'une exploration minière ou d'une recherche purement scientifique d'acquisition ouverte de connaissances ?

Je pourrais être favorable à des garde-fous rigoureux, comme un corps d'inspection encadrant l'exploitation, si la mission ne constatait pas l'impossibilité actuelle d'élaborer les règles de protection d'un environnement encore inconnu... Comment vérifier le respect de règles que nous sommes incapables d'élaborer au vu de nos connaissances ? La voie du moratoire de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est la plus raisonnable, plutôt que de se précipiter. Je n'adhère pas à la formule qui qualifie cette précaution environnementale de « protection à l'aveugle et passive des grands fonds marins ». Il faudrait au contraire promouvoir une protection éclairée et proactive pour peser sur les négociations internationales.

C'est pourquoi je m'abstiendrai et transmettrai une contribution du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

M. Michel Canévet, président . - Merci de votre lecture approfondie du rapport !

M. Jean-Michel Houllegatte . - Je félicite le rapporteur pour son immense travail, grâce auquel le Sénat est en phase avec les trois stratégies énoncées. Je souligne l'apport récent, et très pertinent, de la Fondation de la mer sur les grands fonds marins. Selon cette étude, la France a la plus vaste ZEE des grands fonds marins - situés en-dessous de 1000 mètres - avec 9,5 millions de kilomètres carrés. Nous avons une responsabilité particulière.

Je souscris aux recommandations du rapport pour refonder et clarifier la gouvernance, actuellement éparpillée, qui n'associe pas suffisamment la société civile et les TOM. Il faut clarifier les investissements, donner une priorité à la recherche, dans une optique pluridisciplinaire.

Il est nécessaire d'améliorer le cadre normatif et de préparer l'avenir, notamment avec un pôle d'excellence industrielle, et de revoir notre avance internationale.

Je rejoins Jacques Fernique ; lorsque la France a mis son veto sur le moratoire proposé par l'UICN, cela nous a gênés : le moratoire est un moyen de pression pour avancer sur la nécessité de se doter d'un cadre normatif. Sans cette épée de Damoclès du moratoire, il est difficile de faire converger les idées.

La contribution de la Fondation de la mer, présidée par Sabine Roux de Bézieux, élaborée avec Vincent Bouvier, ancien secrétaire général de la mer, et l'ancien amiral et préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord Pascal Ausseur, contient plusieurs préconisations : il faudrait notamment, à travers les autorités internationales, sanctuariser des lieux totalement protégés, reliés entre eux par des corridors sous-marins, pour y maintenir la biodiversité.

Il est nécessaire de refonder l'AIFM, dont le mode de financement répond à une injonction contradictoire : elle perçoit des financements via une redevance sur l'exploitation des fonds marins, alors que c'est l'objet de son contrôle.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat transmettra également une contribution, et s'abstiendra sur ce rapport.

Mme Angèle Préville . - Je remercie le rapporteur pour son formidable travail, très intéressant. Il faut simplifier la gouvernance et avoir les moyens nécessaires pour explorer. Il faut également associer le Parlement et les territoires ultramarins aux prises de décision et à l'exploration éventuelle.

Exploiter ces fonds marins aurait pour but de rechercher des matériaux pour la transition écologique. Selon moi, il faudrait, en parallèle, sensibiliser tous nos concitoyens à ce qu'implique l'utilisation de tous les appareils numériques, notamment le besoin en matériaux. J'ai cru comprendre lors des auditions que nous avions des gisements suffisants pour y répondre - certes pas en France, même s'il semblerait que l'on puisse trouver du lithium sur le territoire français.

Quel monde voulons-nous ? Sur notre territoire national, nous ne sommes pas prêts à accepter de l'exploitation minière. Mais si nous voulons ces appareils et ces voitures électriques en quantité, il y aura besoin de ces matériaux... C'est une question géopolitique également. Tout le monde doit s'approprier le sujet.

Je salue le travail réalisé lors des auditions, le déplacement extraordinaire en Norvège, où nous avons pu voir un autre regard, totalement différent. Pour les Norvégiens, déjà engagés sur l'exploitation pétrolière, il est normal d'exploiter les fonds marins. Cela fait réfléchir. Peut-on continuer à se voiler la face et à consommer sans se demander d'où cela provient ? La Chine mais également d'autres pays sont sur les rangs et vont forcément prendre de l'avance sur nous.

Je suis très sensible à l'écologie. Je propose d'apporter une modification à la page 71 du projet de rapport, car le mouvement, les vibrations et la lumière des machines extractives n'influencent pas seulement la température de l'eau. À partir de 200 mètres, il n'y a plus de lumière. Selon les représentants du WWF à Oslo, si les procédés d'extractions introduisent lumière et vibrations, ils auront un impact sur les milieux et perturberont les organismes qui communiquent par ondes dans l'eau.

M. Alain Cadec . - Je vous remercie pour le travail effectué. J'ai eu la chance de me rendre en Norvège, un déplacement particulièrement intéressant.

J'approuve globalement les conclusions de ce rapport et ses recommandations. Certes, tout n'est pas tout blanc ou tout noir. Nous devons être particulièrement vigilants par rapport à la biodiversité et aux atteintes contre celle-ci. On doit explorer avant d'exploiter : si l'on n'a pas exploré, on ne peut pas savoir si on peut exploiter. Partons sur ce principe.

Mais je suis d'accord avec Jacques Fernique : ce serait bien de sanctuariser certains secteurs de l'océan - même si je ne sais pas sur quelles bases. Il faudra y réfléchir, il en va de notre responsabilité.

Je ne me fais pas d'illusion : certes, nous disposons de la deuxième ZEE au monde, mais les Chinois et d'autres pays n'auront pas d'états d'âme pour chercher le lithium, le cobalt et le manganèse dans les nodules au fond de l'océan. S'ils ne le font pas actuellement, c'est que c'est techniquement très compliqué - nous avons pu le voir en Norvège. Vous avez évoqué les troubles générés par cette exploitation. Mais dans le cadre du mix énergétique nécessaire à l'avenir, l'installation d'éoliennes offshore a aussi un grave impact sur la biodiversité ; je pense notamment à la baie de Saint-Brieuc.

Mme Angèle Préville . - C'est vrai !

M. Philippe Folliot . - Au nom du groupe Union Centriste, je remercie le président et le rapporteur pour la qualité de leur travail, qui fait honneur au Sénat et qui fera référence sur ce sujet essentiel mais pas reconnu à sa juste mesure.

Ce rapport contribuera à une prise de conscience et à des décisions. Il est nécessaire d'améliorer notre gouvernance et d'avoir une stratégie pour l'exploration et l'exploitation des fonds marins.

Vous avez souligné que 97,5 % de la ZEE étaient liés aux outre-mer. Les collectivités ultramarines - sans parler des terres australes et antarctiques françaises - ne sont pas assez impliquées, ce qui est une grave erreur. Il faut davantage les associer, de même que le Parlement.

Nous ne devons pas sombrer dans une forme de naïveté ; certains pays, avec d'autres approches - notamment la Chine et les États-Unis -, interviennent dans le Pacifique mais n'hésiteront pas à aller ailleurs. On peut observer cette tendance dans la gestion des ressources halieutiques des pays en voie de développement africains ou asiatiques, où les stratégies mises en oeuvre répondent davantage à des considérations géostratégiques que de développement durable. Extraplac est un symbole. Nous assistons à une sorte de privatisation nationale de ces grands espaces marins appartenant à tout le monde, donc à personne. Il existe de nombreux enjeux.

Nous abordons le sujet concret de l'exploitation : 70 % du pétrole extrait dans le monde est désormais offshore, et il en est de même pour le gaz. La douzième recommandation de mon rapport d'information pour la délégation sénatoriale aux outre-mer, intitulé Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale, prévoit de renouveler le permis d'exploration et de reprendre les recherches gazières au large de Juan de Nova. Dans le cadre de la taxonomie européenne, le nucléaire et le gaz sont des énergies de transition. La France a des ressources gazières avérées, et détient un permis de prospection établi de deux fois cinq ans à Juan de Nova. Au bout de cinq ans, pour des raisons politiques plus que techniques, il a été décidé de stopper ce permis de prospection. Il faudrait reprendre ce permis d'exploration gazier. Il y a de fortes tensions sur le marché de l'énergie. Ce serait dommage de ne pas aller au bout des recherches exploratoires - sans parler d'exploitation.

Le groupe Union Centriste approuve les orientations de ce rapport, qui fera date.

Mme Vivette Lopez . - Félicitations pour avoir lancé cette mission importante. Personnellement, j'ai un avis positif sur les conclusions et les préconisations.

Mme Préville a soulevé le problème de l'information du public. Je suis auditrice de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) avec Muriel Jourda ; nous avons évoqué dans ce cadre la formation aux enjeux maritimes pour les classes de quatrième, troisième et seconde. Je proposerai que ces classes évoquent, en plus des deux thèmes prévus - la piraterie et l'environnement -, les grands fonds marins. Il est important de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge. Il faut absolument associer les Ultramarins, les plus concernés, et être très prudents avec certains pays. Ne soyons pas trop pressés d'explorer : il n'y a pas d'urgence...

M. Michel Canévet, président . - Pour la plupart élus du littoral, nous connaissons et apprécions cette dimension maritime qui caractérise la France, et particulièrement ses outre-mer. Il est important que nous soyons attentifs à tout ce qui s'y passe. Le Sénat doit se distinguer particulièrement à cet égard. Nous devons orienter ce sujet pour que, dans toutes leurs dimensions, les questions maritimes soient intégrées à la politique française.

Nous bénéficions d'une grande antériorité dans la recherche maritime avec l'Ifremer, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'OFB, le Shom, qui rassemblent de nombreuses compétences. Il faut sans doute orienter ces compétences vers des organismes publics et qu'une feuille de route soit tracée pour optimiser l'ensemble des opérateurs, afin que la France reste un acteur majeur du secteur.

Lors des auditions, nous avons vu que la France était reconnue pour son expertise : nous ne devons pas la perdre. Cela suppose des moyens financiers importants, et le rapporteur a évoqué les enveloppes financières nécessaires.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur . - Merci pour vos commentaires et suggestions. Je vous propose comme titre du rapport : Abysses : la dernière frontière ? Ce titre serait en lien avec plusieurs de vos interventions.

Vous avez senti mon obsession sur la protection environnementale. Quand on vient d'une île au milieu de l'océan Pacifique, ce n'est pas un effet de mode mais le sens de la vie.

Pour mieux appréhender les fonds marins, il faut les explorer afin d'acquérir des connaissances - avant de décider d'un éventuel moratoire pour certaines zones - et de faire progresser encore la science, pour nous autres Terriens ou habitants en bord de mer ou de terre...

J'ai assisté au congrès mondial de l'UICN, sans être cependant dans les confidences du Président de la République ayant mené à la décision sur le moratoire. La France n'a pas souhaité rejoindre ceux qui soutenaient cette motion de l'UICN, car le point A de la résolution mentionne un moratoire y compris sur l'exploration. C'est tout le paradoxe : les points suivants prévoient de mesurer les impacts. Comment est-ce possible sans exploration préalable ?

Il faut poursuivre l'acquisition de compétences, et non la prospection. Il me semble que la résolution de l'UICN n'est, en l'état, pas en mesure de protéger les océans. Je souscris à la décision du Président de la République. Protéger les océans est un impératif. Quand nous aurons franchi cette frontière, que nous restera-t-il ? Je remercie Jacques Fernique d'avoir rappelé cela.

Pour Wallis-et-Futuna, je suis le premier à dire qu'il faut respecter les décisions des exécutifs ultramarins. L'échec résulte d'une méthode employée qui a méconnu, voire rejeté, l'idée de consultation préalable des exécutifs et des populations avant d'envisager une mission exploratoire. Avant même la confrontation, les habitants voulaient mieux connaître la ZEE. C'est un échec de la méthode, mais pas du choix. C'est pourquoi le rapport parle de « consultation » et pas seulement d'« association » des COM. Il faut respecter leur choix.

Dans le rapport, nous avons insisté sur l'exploration et la protection. Au-delà des inspecteurs, nous proposons d'autres garde-fous, des points d'étapes et une vigilance forte. D'où le conseil scientifique pluridisciplinaire que nous vous proposons. La recherche scientifique française est reconnue en France, mais encore plus à l'étranger. Les chercheurs, notamment à Bergen, travaillent sur des technologies de pointe. Nous avons aussi visité un laboratoire de recherche de l'Ifremer. Nos chercheurs sont reconnus internationalement. Travailler sur des développements scientifiques permettra d'aller encore plus vite. Un ministère de la mer de plein exercice et un délégué interministériel auprès de la Première ministre pourront oeuvrer utilement en ce sens.

Je prends note de vos suggestions. Vous pourrez nous transmettre les contributions des groupes avant jeudi midi.

Le Parlement peut faire de l'activisme sur le moratoire. Ce qui est actuellement une doctrine connue du Gouvernement doit être encadré par la loi et précédé d'un débat au Parlement.

Je souscris à la proposition d'Angèle Préville. J'ai évoqué le recyclage et la sensibilisation du grand public. Nous pourrons aussi intégrer les classes à enjeux maritimes dans nos propositions. On dit que fumer tue ; il faut dire aussi qu'avoir un téléphone portable de pointe a des conséquences en termes de pression sur les ressources rares, terrestres ou océaniques. Le recyclage est loin de constituer une solution à la hauteur des besoins, malgré de nombreuses initiatives. Un grand centre commercial parisien récolte des téléphones portables inutilisés, offrant en échange un bon d'achat ; mais d'autres formules existent.

On estime à moins de 10 % les recyclages effectués sur les différents objets mobilisant les terres rares. On nous oppose que ces matériaux sont présents en infime quantité dans chaque téléphone, que ce n'est pas prévu à l'avance et qu'il est donc compliqué de recycler. Mais engager cette économie du recyclage est un enjeu majeur.

Je tiens à remercier Alain Cadec et Angèle Préville d'être venus avec nous en Norvège.

La doctrine du Gouvernement sur la sanctuarisation doit être débattue au Parlement, pour que nous puissions avoir une idée plus précise de ce qu'il y a au fond de l'eau.

Madame Préville, les sujets du réchauffement et de la lumière sont mentionnés à la page 72

Mme Angèle Préville . - Il me semblait important de les mettre en avant dès la page 71.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur . - Nous pouvons en effet regrouper les deux points, en ajustant la formulation.

M. Folliot a une connaissance fine des questions marines. Au-delà de l'océan Pacifique, ce sujet concerne l'ensemble des océans.

Je vous remercie de votre intérêt pour ce sujet passionnant.

Mme Vivette Lopez . - J'espère que ce rapport ne prendra pas la poussière sur une étagère, mais bénéficiera d'un suivi.

M. Michel Canévet, président . - Passionnés par la mer, nous nous attacherons à ce que ce sujet soit suivi au plus haut niveau de l'État. Ce travail approfondi honore le Sénat.

La mission d'information adopte les recommandations et autorise la publication du rapport.

La réunion est close à 15 h 50.

CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE, ÉCOLOGISTE ET RÉPUBLICAIN

Le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat tient particulièrement à féliciter Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, les membres de la Mission et les services du Sénat pour la qualité du travail et leur forte implication qui ont conduit à la rédaction de ce rapport.

Nous tenons à souligner la pertinence de la méthode qui a conduit à associer le maximum d'acteurs et, notamment, les représentants des Territoires Ultra-Marins, directement concernés par cette problématique.

Le Groupe approuve les conclusions et les recommandations de ce rapport, en particulier :

• La nécessité de refonder et d'unifier la gouvernance pour mettre en cohérence et en complémentarité les différentes stratégies relatives aux fonds marins, ainsi que le fait d'associer les différentes composantes de la société civile, les élus, et particulièrement les élus littoraux et les représentants des territoires insulaires.

• La priorité donnée à la recherche et à l'acquisition des connaissances grâce à une démarche prudente et équilibrée qui tient compte d'une nécessaire pluridisciplinarité, compte tenu de la complexité des milieux à étudier.

• Le fait de clarifier les priorités d'investissement - afin de ne pas les disperser -et de consolider les moyens financiers déjà fléchés autour de l'excellence scientifique et technologique qui doit permettre à la France de devenir le leader mondial dans le domaine de l'exploration des fonds marins.

• La nécessité de se doter d'un nouveau cadre normatif à travers l'évolution du Code Minier pour mieux clarifier les interventions sur le milieu marin et de permettre leur suivi, leur contrôle et le régime de sanctions qui serait appliqué aux contrevenants.

• Le renforcement des moyens humains et financiers de l`IFREMER et de l'Office Français de la Biodiversité (OFB), notamment dans leurs implantations outre-mer.

• Le confortement de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), notamment concernant sa gouvernance et des moyens dont elle dispose.

Toutefois, le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat aurait souhaité que les recommandations du rapport permettent de nouvelles avancées, notamment dans les domaines suivants :

• La proposition de soutenir une initiative diplomatique visant à promouvoir, au niveau international, un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins n'excluant pas la possibilité d'interventions pour l'exploration qui devront être néanmoins codifiées afin de ne pas détruire des écosystèmes.

Ce moratoire pourrait être proposé au titre de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Il serait appliqué dans l'attente de l'adoption de nouvelles règles internationales qui réguleront les interventions tout en protégeant les milieux marins.

• La mise en place de « sanctuaires des profondeurs », afin de délimiter des zones qui seraient totalement protégées et qui pourraient être reliées entre elles par des corridors biologiques sous-marins.

Il est à noter que cette proposition figure dans l'étude « Les grands fonds marins, quels choix stratégiques pour l'avenir de l'humanité », réalisée par la Fondation de la Mer (2022).

• La nécessité de relier l'exploitation des fonds marins en vue de pourvoir aux besoins en minerais et terres rares, dans une perspective beaucoup plus large qui vise, conformément à ce que préconisait les travaux du Sénat lors de l'examen de la loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC), à sensibiliser le grand public sur la consommation des ressources minérales, sur les changements de comportement pour une gestion raisonnée et sur l'organisation des modalités de récupération et de recyclage des terres et métaux rares pour lesquels la France pourrait assurer un rôle de leader mondial ; ce, afin d'atténuer la pression qui s'exerce sur la recherche de nouveaux gisements.

• La refonte complète de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) et notamment la révision de son mode de financement basé actuellement sur une taxe perçue sur l'exploitation qui positionne de ce fait l'Autorité Internationale des Fonds Marins dans une situation ambiguë.

Cette refonte doit aussi permettre à l'Autorité Internationale des Fonds Marins de contrôler et de sanctionner les pays et les acteurs qui contreviendraient aux obligations de protection de la biodiversité.

Compte tenu de ces éléments et sans remettre en cause le travail accompli par la Mission d'Information, le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain décide de s'abstenir sur le vote de ce rapport.

CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE - SOLIDARITÉ ET TERRITOIRES

« L'océan est une source de solutions. Pour relever les défis d'aujourd'hui et passer de la science à l'action politique, le dialogue est indispensable pour que la connaissance des liens entre océan, climat et biodiversité soit partagée le plus largement possible ». Ce sont les mots de Françoise Gaill, biologiste marine, et actuelle Vice-Présidente de la plateforme Océan & Climat, qui résument de façon très juste le chemin à suivre afin d'acquérir les connaissances scientifiques des fonds marins nécessaires pour préserver son équilibre et limiter les effets du changement climatique. Les grands fonds marins représentent 66 % de la surface de la Terre et 93 % de la biosphère. Pourtant, nous ne connaissons que 2 % du plancher océanique et de ses écosystèmes, qui regorgent de richesses naturelles, minérales, d'espèces fauniques et floristiques ignorées. Dans ce contexte, quelle stratégie adopter sur les fonds marins, au plan national ainsi qu'international ? C'est la question à laquelle la Mission d'Information a tenté de répondre, par un travail considérable que nous saluons, suite à sa constitution le 11 janvier 2022, à la demande du Groupe RDPI. Nous tenons à remercier tout particulièrement son Président, M. Michel Canévet, ainsi que son rapporteur, M. Teva Rohfritsch, à l'initiative de la création de la mission d'information.

L'envergure de la question de l'exploration en vue de l'exploitation des grands fonds marins est un sujet de société, qui induit une acceptabilité sociale et environnementale. Elle doit s'appréhender au niveau mondial, et en impliquant la population et tous les acteurs de la société civile, premiers impactés par le sujet.

Il est risqué de justifier la nécessité de se familiariser et éventuellement d'exploiter ces zones au nom de la connaissance scientifique, lorsqu'il s'agit en réalité d'une prospection minière. L'acquisition de connaissances scientifiques est essentielle, et nous devons donner les moyens humains et financiers à la communauté scientifique pour mieux appréhender les mécanismes naturels de ces milieux, mais sans qu'une motivation économique ne soit dissimulée. Les atteintes portées aux équilibres très fragiles et méconnus des grands fonds marins peuvent entrainer des destructions irréversibles. Plusieurs études ont démontré à quel point la restauration de la biodiversité de ces écosystèmes des abysses est lente et problématique.

Les impacts négatifs sur les écosystèmes des fonds marins seraient potentiellement nombreux et d'une gravité importante : interférences avec le cycle de vie des espèces, changements de comportements, pertes d'espèces et d'habitats, impacts sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes, impacts sur la chimie de la colonne d'eau. La rentabilité économique des ressources minérales ne peut prévaloir sur les impacts écologiques catastrophiques qu'engendreraient les activités d'exploitation des grands fonds.

Au niveau international, notre groupe est convaincu de la nécessité d'un traité sur la haute mer, un accord sur la lutte contre la pollution plastique, l'intégration de la conservation de la nature et le renforcement du réseau d'aires marines protégées grâce à des outils juridiques efficaces, le reste devant être géré de manière durable. Ce traité devrait avoir une portée contraignante et supra-législative pour les Etats. Au niveau national, un débat citoyen d'envergure devrait porter sur les orientations de la stratégie française.

I. Clarification de la stratégie française : la substitution de la prospection minière à l'exploration scientifique

Dans la stratégie nationale dessinée par la France, la volonté d'exploitation est affirmée, comme pour de nombreux Etats. Notre pays cherche maintenant à déterminer par quels moyens il va parvenir à cet objectif d'exploitation. Cette stratégie d'exploration s'apparente donc implicitement et sans aucun doute à une prospection minière à des fins exclusivement économiques.

Pourtant, une certaine ambiguïté subsiste, en laissant planer dans l'imaginaire collectif la volonté de parvenir à des découvertes scientifiques et biologistes d'un univers sous-marin regorgeant d'espèces vivantes non répertoriées et de zones non cartographiées.

Notre groupe considère que la stratégie d'exploration de la France ne devrait porter que sur la dimension scientifique, afin d'évaluer durant le temps nécessaire les risques d'atteintes graves à l'environnement. Il devrait s'agir d'une recherche publique, transparente, permettant de mutualiser les données, de comprendre les écosystèmes marins et ses interactions avec le climat. L'exploration scientifique de l'écosystème marin est indispensable pour approfondir nos connaissances, protéger la biodiversité et mieux connaître les capacités de stockage de carbone de l'océan. Il serait pertinent d'intégrer dans la stratégie des grands fonds marins française la nécessité d'acquérir des connaissances scientifiques, telles que les capacités de stockage de ces puits de carbone.

II. La demande d'un moratoire sur les licences d'exploration et d'exploitation

Aujourd'hui, de nombreuses incertitudes subsistent quant aux effets de l'activité industrielle d'exploitation minière. Néanmoins, les quelques expériences menées ont révélé des résultats inquiétants, les risques induits sont sérieux, et la restauration des écosystèmes est très lente.

Dans la lignée de la motion de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) lors du Congrès mondial de la Nature qui s'est tenu à Marseille en septembre 2021, le groupe recommande de soutenir la mise en oeuvre d' « un moratoire sur l'exploitation minière des grands fonds marins, la délivrance de nouveaux contrats d'exploitation et de nouveaux contrats d'exploration, et l'adoption de réglementations relatives à l'exploitation minière des fonds marins pour l'exploitation, y compris les réglementations sur l'exploitation par l'Autorité internationale des fonds marins (ISA) » .

Le moratoire sur l'exploration proposé par l'UICN ne signifie donc pas la suspension de toute recherche scientifique mais concerne simplement les contrats d'exploration minière. Un tel moratoire devrait perdurer jusqu'à l'obtention de meilleures connaissances scientifiques sur l'impact néfaste des activités humaines sur les écosystèmes marins. Son champ d'application devrait couvrir la Zone internationale gérée par l'AIFM, soit environ 60 % des océans, mais également sur les Zones Economiques Exclusives des Etats.

Au regard de la transition écologique à mener privilégiant l'économie circulaire, il semble que l'exploitation minière des grands fonds marins ne soit pas inévitable pour répondre à la demande et aux besoins en ressources minérales dans le futur. Nombre de scientifiques et d'acteurs associatifs l'affirment : l'extraction durable des minerais en eaux profondes est impossible.

Dans cette démarche de moratoire, il sera important d'associer des experts associatifs, scientifiques, économiques, syndicaux et institutionnels, et des représentants des communautés d'Outre-Mer, afin de mener des travaux permettant d'identifier les besoins réels de ressources minérales issues des fonds marins.

Cette réflexion doit être conduite au regard des alternatives durables de sobriété et de recyclage, et des évolutions sociétales en matière de consommation des ressources minérales. Ces travaux devraient avoir pour objectif une refonte structurelle de notre économie, aujourd'hui trop linéaire et plus capable de répondre aux enjeux climatiques ; ils devraient également permettre la mise en oeuvre de politiques publiques privilégiant l'économie circulaire. Cette initiative qui doit être menée de façon inter-étatique et collective devrait définir à moyen et long terme les lignes directrices de la recherche scientifique, et de la gestion des ressources des fonds marins.

A ce titre, la recommandation n° 13 devrait préconiser une obligation d'associer pleinement l'Office Français de la Biodiversité « à l'acquisition des connaissances sur la vie marine profonde, ainsi qu'à la gouvernance des grands fonds marins français » .

III. La constitution d'un véritable débat national sur la réforme du code minier

La demande de Nauru à l'AIFM de finaliser les règles d'exploitation du code minier dans un délai de deux ans à compter de 2021, a acté le compte à rebours vers l'octroi de nouveaux permis d'exploration et d'exploitation, selon le nouveau droit international minier. De fait, cela lancerait l'industrie minière en eaux profondes à compter de 2023.

Cette situation constitue un risque grave pour l'environnement et les océans, qu'il faut absolument éviter.

Avant d'ouvrir la boîte de Pandore et d'engager des opérations qui seraient irréversibles, de nombreux travaux et négociations internationales restent à accomplir en amont, afin de dessiner le droit international relatif à l'industrie minière en eaux profondes. C'est notamment le cas du traité sur la haute mer.

Ces bouleversements pourraient indéniablement influer sur la politique d'exploitation des ressources minérales des fonds marins au sein de la ZEE française, qui à ce stade est interdite. Notre groupe considère donc qu'il serait pertinent d'élever la question des permis d'exploitation et d'exploration des ressources marines profondes à l'échelle nationale, par un débat citoyen et public, qui pourrait éventuellement prendre la forme d'un débat parlementaire. Les conclusions de ce débat national devraient être hissées par l'État au niveau européen et international.

Par ailleurs, le groupe salue la recommandation n° 9 du rapport, et propose d'ajouter qu'il faudrait « conditionner toute ouverture éventuelle de l'exploitation minière des grands fonds marins à une réécriture par voie législative du chapitre III du titre II du livre Ier du code minier, relatif à l'exploitation en mer, pour en clarifier » non seulement « les modalités techniques, financières et fiscales et les retombées pour les populations locales » , mais aussi clarifier les modalités environnementales, de préservation, et de conservation durable de la biodiversité.

IV. La mise en place d'un réseau d'aires marines protégées sous protection forte

Au niveau national, le Plan France 2030 a fixé l'objectif de protéger 30 % des espaces maritimes nationaux, dont 10 % sous protection forte. Il s'agit d'une grande avancée, mais à ce jour, rien ne garantit le niveau de protection de ces Aires Marines Protégées (AMP). En effet, la définition de « protection forte », pour la doctrine française, signifie réduire le plus possible les pressions, tandis qu'à l'international, cela signifie qu'on y mène aucune activité. L'Etat francais n'exclut donc pas à ce jour l'exploitation dans les AMP, si une absence d'impact fort sur l'environnement est démontrée.

Notre groupe recommande donc que la doctrine française s'aligne sur la définition internationale de protection forte, afin d'empêcher toute activité d'exploitation dans les AMP.

Au niveau international, il est essentiel que le traité sur la haute mer permette la mise en place d'un réseau d'AMP, dans les zones hors juridiction nationale, dont une part substantielle soit hautement et entièrement protégées. Ces aires devraient abriter une diversité de populations fauniques et floristiques, assurer des connexions et une bonne gestion de ces espaces naturels devrait être garantie.

V. Les études d'impact environnemental

La recommandation n° 14 du rapport visant à « conditionner toute ouverture de l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins à une étude d'impact préalable (...) » devrait aller plus loin, en précisant que cette étude d'impact environnementale préalable doit se définir au sens de l'étude d'impact décrite à l'article L. 122-1 du Code de l'environnement. Il parait également opportun d'inclure, en plus de l'Office Français de la Biodiversité, la consultation de l'Autorité environnementale, dont il faudrait recueillir un avis favorable, cet avis étant contraignant et constitutif de toute décision de délivrance d'un nouveau permis.

Selon l'UICN, il apparait essentiel que le traité sur la haute mer prévoit un « système commun, rigoureux, intégré, indépendant et fondé sur la science d'évaluation, de gestion et de suivi des effets individuels et cumulatifs des activités humaines et du changement climatique sur la biodiversité marine de la haute mer » .

Au-delà même de toute ouverture d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, toutes activités humaines menées dans les fonds marins, ayant un risque d'affecter la biodiversité, devraient être soumises à une étude d'impact environnementale définie selon des normes communes et exigeantes. Les États devraient élaborer des évaluations environnementales permettant de prendre les décisions nécessaires pour la préservation de la biodiversité marine. Cela permettrait de mettre à disposition de toutes les parties prenantes une base de connaissances consolidée et partagée.

VI. L'instauration d'une véritable transparence et gouvernance ainsi que d'une politique de protection de l'environnement forte au sein de l'Autorité internationale des fonds marins

D'une part, il convient de pallier le manque de transparence et de gouvernance notoire au sein de l'AIFM, en ouvrant accès aux communications à toutes les parties prenantes, y compris les non-contractants, et par la mise en place d'une gouvernance internationale multilatérale.

D'autre part, le groupe préconise que la France, acteur majeur au sein de l'AIFM, pousse à une politique optimisée de protection de l'environnement, notamment en initiant des travaux de recherche scientifique portant sur la préservation des écosystèmes marins, la biodiversité des eaux profondes, et ses interactions avec le climat.

COMPTES RENDUS DE LA RÉUNION CONSTITUTIVE ET DES AUDITIONS DE LA MISSION D'INFORMATION EN RÉUNION PLÉNIÈRE

Le recueil intégral des comptes rendus de la réunion constitutive et des auditions et tables rondes est disponible en ligne :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/mi-fonds-marins.html

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

I. AUDITIONS EN RÉUNIONS PLÉNIÈRES

Mardi 18 janvier 2022

- Ministère de la Mer : Mme Annick Girardin , ministre de la mer.

Mercredi 19 janvier 2022

- Secrétariat général de la mer : MM. Thierry de la Burgade , secrétaire général adjoint, Nicolas Gorodetska , conseiller économie maritime et portuaire et Xavier Grison , chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins.

Mardi 25 janvier 2022

?Table ronde « Scientifiques » autour :

•de l 'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) : M. Jean-Marc Daniel , directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer ;

•du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) : M. Laurent Kerléguer , directeur général ;

•du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : M. Joachim Claudet , conseiller « Océan », et Mme Mathilde Cannat , mandatée par le CNRS comme pilote dans la feuille de route « Grands Fonds » dans le cadre de France 2030.

Mardi 1 er février 2022

?Table ronde « Scientifiques » autour :

•de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) : M. Philippe Charvis , directeur délégué à la Science ;

•du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : MM. Christophe Poinssot , directeur général délégué et directeur scientifique et Didier Lahondère , adjoint au directeur des géoressources.

Mercredi 2 février 2022

- Cluster maritime français : MM. Francis Vallat , président d'honneur, et Alexandre Luczkiewicz , responsable des relations et des actions Outre-mer.

Mardi 8 février 2022

- M. Olivier Guyonvarch , ambassadeur de France en Jamaïque, représentant permanent auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Mardi 22 février 2022

Organisations non gouvernementales :

- Greenpeace France : M. François Chartier , chargé de campagne océan et pétrole ;

- WWF : M. Ludovic Frère Escoffier , responsable du programme Vie des océans ;

Mardi 15 mars 2022

- M. Olivier Poivre d'Arvor , ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes ;

?Table ronde sur les enjeux stratégiques de la maîtrise des fonds marins autour de :

- Mme Camille Morel , chercheuse en relations internationales à l'Université Jean-Moulin Lyon 3, M. Nicolas Mazzucchi , chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et Mme Marianne Péron-Doise , chercheuse Asie du Nord, stratégie et sécurité maritimes, Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire (IRSEM).

Mercredi 16 mars 2022

- Abyssa : M. Jean-Marc Sornin , président ;

- Pôle mer Bretagne Atlantique : MM. Patrick Poupon , directeur, et Frédéric Renaudeau , conseiller défense, plan de relance, compétences et formation ;

- Pôle mer Méditerranée : M. Guy Herrouin , chargé de mission stratégie et fonds marins.

Mardi 22 mars 2022

- Ministère de la transition écologique : MM. Mehdi Mahammedi-Bouzina , conseiller parlementaire, Vincent Hulin , conseiller eau et biodiversité, Mme Sophie-Dorothée Duron , adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité, et M. Jean-François Gaillaud , chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques.

Mardi 29 mars 2022

- Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) : M. Hervé Guillou, président, vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN).

Mardi 5 avril 2022

- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : Mme Caroline Krajka , sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles et Mme Alexia Pognonec , consultante juridique ;

- Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : Me Virginie Tassin Campanella , avocat à la Cour (Barreaux de Paris et de Zürich) et Mme Anne Caillaud , chargée de programme Outre-mer.

Mardi 12 avril 2022

- Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation : MM. Thierry Pineau , conseiller en charge de la recherche agronomique, de l'environnement et du développement durable, Didier Marquer , chargé de mission Géoressources, et Mme Lise Fechner , chef de département à la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) ;

- Groupe ERAMET : M. Pierre-Alain Gautier , directeur corporate affairs et partenariats, et Mme Amélie Serey , chargée de relations institutionnelles France et Europe.

Mardi 19 avril 2022

- ALSEAMAR : MM. Marc Boissé , président, et Laurent Beguery , responsable du département services en mer.

Jeudi 28 avril 2022

- UNESCO : M. Julian Barbière , chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale ;

- École des mines de Paris : M. Damien Goetz , enseignant-chercheur au centre de géosciences, membre, en 2011, du comité de pilotage sur « Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030 ;

- Conseil d'orientation de la Recherche et de l'Innovation de la filière des industriels de la mer (CORIMER) : Mme Carine Tramier , présidente, et M. Wilfrid Merlin , pilote et co-rédacteur de la feuille de route Industrie Offshore Nouvelle Génération ;

- TechnipFMC : MM. Olivier Mustière , vice-président chargé de l'ingénierie sous-marine et Johann Rongau , ingénieur de projet.

Lundi 2 mai 2022 : Séquence « Bassin de l'océan Atlantique »

? Guadeloupe :

- Mme Victoire Jasmin , sénatrice de la Guadeloupe ;

- Conseil départemental : MM. Ferdy Louisy , président de la commission Eau et Jean Dartron , président de la commission pêche, ports et infrastructures.

? Guyane :

- MM. Roger Alain Aron , septième vice-président de l'assemblée de la collectivité territoriale, délégué à l'agriculture, la pêche et la souveraineté alimentaire et à l'évolution statutaire, et Frédéric Blanchard , directeur Biodiversité et APA.

? Martinique :

- Mme Patricia Telle , deuxième vice-présidente de la collectivité territoriale, chargée de la coopération et des relations internationales.

? Saint-Barthélemy :

- Mme Marie-Angèle Aubin , troisième vice-présidente du Conseil territorial, en charge de l'environnement, et M. Sébastien Gréaux , directeur de l'Agence territoriale de l'environnement.

? Saint-Martin :

- Mme Annick Petrus , sénatrice de Saint-Martin.

? Saint-Pierre-et-Miquelon :

- M. Bernard Briand , président du conseil territorial.

Mardi 3 mai 2022 : Séquence « Bassin de l'Océan Pacifique »

? Polynésie française :

- MM. Heremoana Maamaatuaiahutapu , ministre de la culture, de l'environnement et des ressources marines, Tearii Alpha , ministre de l'agriculture et du foncier, en charge du domaine et de la recherche, Gaston Tong Sang , président de l'assemblée.

? Wallis-et-Futuna :

- M. Mikaele Kulimoetoke , sénateur des Iles Wallis et Futuna ;

- MM. Munipoese Muli'aka'aka , président de l'assemblée territoriale et Paino Vanai, président de la commission du développement, des affaires économiques et du tourisme, et Mme Sandrine Ugatai, conseillère territoriale .

? Nouvelle-Calédonie :

- M. Joseph Manauté , membre du gouvernement, chargé d'animer et de contrôler le secteur du développement durable, de l'environnement et de la transition écologique, chargé de la gestion et de la valorisation du Parc naturel de la mer de Corail ; Mmes Chérifa Linossier , chargée de mission développement économique et relations extérieures au secrétariat général de la province des Îles Loyauté et Françoise Suve , rapporteur de la commission de l'environnement à la province Sud ; M. Nathaniel Cornuet , directeur, direction du développement économique et de l'environnement de la province Nord.

Mercredi 4 mai 2022 : Séquence « Bassin de l'océan Indien »

? La Réunion :

- Mme Nassima Dindar , sénatrice de La Réunion

- Conseil régional : M. Wilfrid Bertile , président de la commission des affaires générales, financières, européennes, et relations internationales, conseiller en charge du codéveloppement régional, de la pêche et des relations extérieures.

- Conseil départemental : M. Idriss Ingar , référent Climat Energie, direction générale adjointe développement.

? Mayotte :

- M. Thani Mohamed Soilihi , sénateur de Mayotte et Mme Zaminou Ahamadi , membre du conseil départemental.

Mercredi 25 mai 2022

- Office français de la biodiversité (OFB) : M. Michel Peltier , délégué mer ;

- SAS LWNC (Loctudy World Nodule Company) : M. Stéphane Pochic , président, accompagné de MM. Charles Bridelance et Pascal Reymondet .

II. AUDITIONS DU RAPPORTEUR

Mardi 15 février 2022

- iXblue Quantum Sensors : M. Thomas Buret , directeur général ;

- M. Jean-Louis Levet , ancien conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins au Secrétariat général de la mer.

Mardi 22 février 2022

- France nature environnement (FNE) : M. Denez L'Hostis , président d'honneur.

Mardi 8 mars 2022

- Autorité internationale des fonds marins (AIFM) : M. Michael W. Lodge , secrétaire général ;

- Global Sea Mineral Resources NV (GSR) : M. Kris Van Nijen, directeur général.

Jeudi 17 mars 2022

- État-major de la Marine : CA Jean-Marc Durandau , adjoint au sous-chef d'état-major « opérations aéronavales » de l'Etat-major de la marine, chargé de la maîtrise des fonds sous-marins ;

- Ministère des armées - Direction générale de l'armement : MM. Franck Leclercq , ingénieur général de l'armement, adjoint au chef du service d'architecture du système de défense (SASD), Antoine de Seze , ingénieur en chef de l'armement, directeur-adjoint de l'unité de management Opérations d'armement navales de la direction des opérations et Arnaud Marois , adjoint coopération interministérielle et institutionnelle dans le domaine capacitaire au sein du pôle coopération, prospective et affaires interministérielles du SASD ;

- Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) : Mme Coline Claude-Lachenaud , conseillère industrie et numérique, M. Reynold de la Boutetière , sous-directeur sciences et technologies.

Vendredi 18 mars 2022

- ECA Group : MM. Alain Fidani , directeur Partenariat et financement de l'innovation, direction Stratégie, et Jérôme Chrétien , responsable des affaires publiques.

Contribution écrite :

- Bloom : Mme Claire Nouvian , fondatrice.

III. DÉPLACEMENTS

Du 28 au 29 avril 2022 - déplacement à Brest

- Préfecture maritime : Amiral Olivier Lebas , préfet maritime.

- IFREMER : M. François Houllier , Président-directeur général, Mmes Valérie Mazauric, directrice du Centre Bretagne, Aurore Davaine , directrice adjointe du Centre Bretagne, MM. Olivier Lefort , directeur de la flotte, Olivier Rouxel , responsable de l'unité Géo-Océan, Pierre-Marie Sarradin , responsable de l'unité de recherche Étude des écosystèmes profonds, Bernard Dennielou , archives sédimentaires transferts paléo-environnements (Géo-océan-ASTRE), Florian Besson, Analyses télédétection instrumentation prélèvements Observations et données (Géo-océan-ANTIPOD) ;

- Pôle Mer : Mme Marie-José Vairon , présidente, M. Frédéric Renaudeau , conseiller défense, plan de relance, compétences et formation ;

- ENSTA : M. Bruno Gruselle , directeur ;

- MAPPEM : M. Jean-François d'Eu, président ;

- SHOM : MM. Jean-Claude Le Gac , ingénieur en chef de l'armement, directeur des opérations, de la production et des services (DOPS), Laurent Louvart , ingénieur en chef de l'armement, chargé de mission auprès du directeur général pour le programme « Capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) », Mikaël Le Gléau , ingénieur en chef des études et techniques de l'armement, chef de la division Plans de la direction des missions institutionnelles et des relations internationales, Yann Keramoal , ingénieur principal des études et techniques de l'armement, chef du département bathymétrie de la division Sciences et Techniques Marines de la DOPS ;

- SERCEL : MM. Daniel Boucard , VP Product development, Gaëtan Mellier , vice-président des systèmes d'acquisition marine, Christophe L'Her , responsable régional de communication France, Yves Tafforin , ingénieur d'affaires.

Du 29 mai au 2 juin 2022 - déplacement en Norvège

- Ambassade de France à Oslo : MM. Pierre-Mathieu Duhamel , ambassadeur, Olivier Cuny , chef du service économique, Rémi Lafaye , attaché scientifique, Xavier Michel, attaché de défense, Mme Véronique Minassian , chargée de politique intérieure ;

- Ministère du pétrole et de l'énergie : M. Amund Vik, secrétaire d'Etat ;

- Kongsberg Maritime : MM. Egil Haugsdal , Président, Even Aas , Group Executive Vice-President Public Affairs, Arne Rinnan , Executive Vice-President, Sensors and Robotics, Bjørn Jalving , Senior Vice President, Technology ;

- Green Minerals : MM. Ståle Monstad , CEO , Espen Simonstad , Senior Advisor Geoscience ;

- Chambre de commerce franco-norvégienne : M. Ludovic Caubet , directeur ;

- WWF : Mme Emeline Pluchon , spécialiste océan, M. Adam Mattison-Ward, responsable secteur commercial et industriel, Mme Kaja Lønne Fjærtoft , responsable section océan durable ;

- Loke Minerals : MM. Walter Sognnes , CEO, Hans Hide, chairman, Tore Halvorsen, CTO ;

- M. Sven Erik Svedman , ancien ambassadeur de Norvège à Paris ;

- Université d'Oslo : Mme Catherine Banet , professeur de droit ;

- NORCE : M. Hans Kleivdal , Deputy EVP, Mme Fiona Provan , SVP Environment and Climate Challenges, M. Thomas Dahlgren , research professor, M. Jon Thomassen Hestetun , Senior Researcher ;

- Université de Bergen, Deep Sea Research Center : MM. Steffen Jørgensen , Associate Professor, Head of Geochemistry and Geobiology group, Pedro Ribeiro , Researcher EcoSafe project, Thibaut Barreyre , Researcher Deep sea observatory ;

- Institut de recherche marine : M. Nils Gunnar Kvamstø, CEO ;

- Norvegian forum for marine minerals (NMM) : M. Egil Tjåland , Secrétaire général de NMM et maître de conférences à NTNU (Institut de science géologique et de pétrole) ;

- SINTEF : MM. Lars Sørum , Research Director, Pierre Ceraci , Senior Research Scientist, Przemyslaw Kowalczuk , Professor in Minerals Engineering, NTNU, Camilo Mena Silva , Heard Engineer, NTNU.

NOTE DE LÉGISLATION COMPARÉE SUR L'EXPLORATION ET L'EXPLOITATION DES FONDS MARINS

Synthèse réalisée par la Division de la Législation comparée de la Direction de l'initiative parlementaire et des délégations (DIPED) du Sénat, à partir des réponses des ambassades de France au questionnaire du rapporteur

1 - Stratégies nationales

L'exploration des grands fonds marins et l'exploitation de leurs ressources revêtent une importance stratégique majeure dans tous les pays étudiés, hormis l'Australie (en raison du faible potentiel en ressources de ses fonds marins) et le Chili (où la priorité est donnée aux ressources minérales terrestres).

En Europe, l'Allemagne affiche la volonté d'être le leader européen dans l'exploitation des ressources sous-marines. Elle est concurrencée par la Norvège qui dispose d'importantes ressources en métaux stratégiques et peut s'appuyer sur l'expertise et les infrastructures résultant de ses activités pétrolières et gazières. En Asie, les objectifs ambitieux fixés par les autorités chinoises dans les 13 e et 14 e plans quinquennaux ont permis aux entreprises et aux acteurs de la recherche chinois d'effectuer des progrès remarquables dans les technologies d'exploration en haute mer. Au Japon, la loi fondamentale de 2007 sur les politiques océaniques comprend un axe en faveur du développement et de l'utilisation des ressources énergétiques et minérales marines, fortement soutenu par des moyens publics et par l'action de l'agence gouvernementale Japan Oil, Gas and Metals National Corporation (JOGMEC).

Les États-Unis se sont dotés en 2020 d'une stratégie nationale pour la cartographie, l'exploration et la caractérisation de la zone économique exclusive (ZEE), première étape en vue d'identifier des zones prioritaires d'ici 2023 et d'établir la cartographie intégrale des fonds marins de la ZEE d'ici 2030.

2 - Régime juridique

Au sein de l'échantillon étudié, trois pays (Allemagne, Chili et Japon) disposent de bases juridiques communes aux ressources minérales terrestres et marines, tandis que l'Australie, la Chine, la Norvège et les États-Unis ont fait le choix de lois spécifiques aux fonds marins. En particulier, la Norvège a adopté en 2019 le Seabed Minerals Act prévoyant qu'aucune zone ne peut être ouverte à l'exploration ou à l'exploitation sans une évaluation réalisée au préalable par le Ministère du Pétrole et de l'Énergie.

La réalisation d'une étude d'impact environnemental est obligatoire pour tout projet d'exploitation de ressources sous-marines (hydrocarbures et minerais) en Allemagne, en Norvège, au Chili, en Chine (obligation prévue par la loi mais décret d'application non publié) et aux États-Unis. Aucune obligation d'évaluation environnementale préalable n'est prescrite par la loi japonaise mais les entreprises en effectuent généralement.

L'ensemble des États étudiés sont parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et sont membres de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), à l'exception des États-Unis.

3 - Permis et projets en cours

Hormis des projets d'exploitation d'hydrocarbures offshore , aucun pays n'a délivré de permis d'exploitation concernant des ressources minérales sous-marines. Concernant l'exploration, des permis ont été accordés au Japon et la Norvège a lancé en 2021 le processus d'ouverture à l'exploration de nouvelles zones de fonds marins riches en sulfure et en manganèse, devant aboutir à une décision sur leur éventuelle exploitation commerciale en 2023. Le gouvernement allemand privilégie actuellement les activités de recherche et fixe le respect de normes environnementales exigeantes comme préalable à une possible exploitation commerciale.

Dans la zone internationale des fonds marins, la Chine est en première position en matière d'exploration avec cinq contrats sous licence de l'AIFM attribués à des entreprises chinoises pour l'exploration de nodules polymétalliques, de sulfures polymétalliques et d'encroûtements de ferromanganèse riches en cobalt. L'Allemagne et le Japon ont chacun deux projets d'exploration sous licence de l'AIFM et les quatre autres pays étudiés n'ont conclu aucun contrat avec l'Autorité.

4 - Moyens

Les gouvernements allemand, norvégien, chinois et japonais consacrent des moyens importants à la recherche océanographique et à l'exploration des fonds marins. Les entreprises de ces pays ont également développé une expertise technologique spécifique aux grands fonds marins. Le Chili dispose quant à lui de centres de recherche spécialisés dans les fonds marins mais ses moyens techniques demeurent insuffisants.

Allemagne

Stratégie nationale

Stratégie nationale d'approvisionnement en matières premières (2019).

Agenda maritime 2025 (2017).

Plan national pour les technologies marines (NMMT, 2018)

Stratégie de recherche maritime 2025 (2018).

Fort potentiel reconnu par le gouvernement mais accent sur la recherche et le respect de normes environnementales exigeantes avant une exploitation commerciale.

Régime juridique

Loi fédérale sur l'exploitation minière (BBergG) : base juridique pour la prospection, l'extraction et le traitement de ressources minérales, y compris dans les eaux territoriales et la ZEE. Des permis d'exploitation (§ 8 BBergG) ainsi que des plans d'exploitation (§ 51 BBergG) sont nécessaires pour les projets miniers nécessitant une évaluation des incidences sur l'environnement (EIE).

L'exploration dans la ZEE et sur le plateau continental n'est pas autorisée si elle empêche la navigation ou la pêche et si elle altère de façon disproportionnée la flore et la faune marines (§ 49 BBergG).

Ordonnance minière pour le territoire des eaux côtières et du plateau continental ( Offshore-Bergverordnung ) : précise les mesures de protection des mers et de sécurité des plateformes et forages offshore.

État adhérent à la CNUDM et soumis aux règles de l'AIFM.

Permis

Projets en Allemagne : deux plateformes d'hydrocarbures et de gaz en cours d'exploitation en mer du Nord.

Projets sous licence de l'Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) : 2 licences d'exploration attribuées à l'Office fédéral pour les recherches géologiques et minières (BGR) :

- licence dans la zone Clarion-Clipperton (2006 - 2021, demande d'extension de 5 ans) : nodules de manganèse, analyse de l'état environnemental de la zone ;

- licence dans l'océan Indien (2015-2030) : zone située le long d'une dorsale possédant des ressources de type sulfures hydrothermaux. D'ici 2023, le BGR doit déterminer les 50 % de sa zone d'exploration qu'elle doit restituer à l'AIFM.

Gouvernance

Pas de mécanisme de gouvernance participative identifié.

Ordonnance sur l'évaluation des incidences sur l'environnement des projets miniers (UVP-V Mining) : évaluation des incidences environnementales (EIE) pour les projets d'extraction de pétrole brut et de gaz naturel, de sable et de gravier marins sur des zones minières de plus de 25 ha, dans les eaux côtières et sur le plateau continental.

Moyens

De nombreuses entreprises et instituts de recherche allemands travaillent activement sur le sujet dont :

- l'Office fédéral pour les recherches géologiques et minières (BGR, équivalent du BRGM en France),

- le centre Helmholtz pour la recherche océanique (GEOMAR),

- le MARUM,

- l'Institute for Advanced Sustainability Studies (IASS)

- le consortium pour la recherche marine allemande (KDM) (GEOMAR, l'Institut Alfred-Wegener et le centre MARUM),

- l'Alliance allemande pour la recherche marine (DAM, Deutsche Allianz Meeresforschung ),

- DeepSea Mining alliance : alliance regroupant l'industrie maritime allemande et les instituts de recherche.

Financements du budget fédéral (BMWK, BMBF) et par les programmes de recherche de l'UE.

Collaborations internationales : nombreux acteurs allemands impliqués dans des alliances ou consortia.

Australie

Stratégie nationale

Pas de stratégie nationale, ni de politique de promotion de l'exploitation des grands fonds marins, en raison du faible potentiel en ressources.

Régime juridique

Offshore Mineral Act de 1994 : cadre légal pour l'exploitation de minerais offshore dans les zones administrées par le gouvernement fédéral. Actuellement, aucun titre d'exploration ni d'exploitation en vigueur en application de cette loi. Les États et le territoire du Nord ont une loi équivalente pour l'administration de leurs eaux côtières (zones s'étendant jusqu'aux anciennes limites de

3 milles nautiques des eaux territoriales, sur lesquelles les États australiens ont juridiction).

Etat ayant ratifié la CNUDM et soumis aux règles de l'AIFM

Permis

Projets en Australie : aucun permis délivré à ce jour et peu de probabilité qu'il y en ait dans le futur.

En février 2022, annonce du gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud qu'il rejettera les demandes en cours ou futures d'exploration et d'exploitation minières commerciales en mer afin de protéger le littoral.

Projets sous licence de l'AIFM : aucun.

Gouvernance

Les souhaits des populations sont pris en compte dans les décisions.

Exemples :

- moratoire signé en 2012, pour 9 ans, pour interdire l'exploitation de sables diamantifères sur la plateforme continentale dans le territoire du Nord, devenu permanent depuis ;

- décision de non-exploitation du cobalt sur l'île de Christmas pour préserver le bien-être de la population locale et la beauté naturelle de l'île.

Moyens

Pas de moyens publics spécifiquement dédiés à l'exploration ou à l'exploitation des grands fonds marins.

Pas d'entreprise australienne en capacité d'exploiter les grands fonds marins.

Chili

Stratégie nationale

Pas de stratégie nationale.

Priorité donnée à l'exploitation des ressources minérales terrestres.

Régime juridique

Article 19 (24) de la Constitution, loi n°18.097 relative aux concessions minières et code minier : les hydrocarbures liquides ou gazeux, le lithium ou les gisements de toute espèce se trouvant dans les eaux territoriales ne sont pas concessibles sauf si les activités sont (i) déployées par l'État ou ses entreprises ; (ii) exécutées au travers de concessions administratives ou (iii) exécutées par le biais de contrats spéciaux d'opération octroyés par le Ministère des mines suite à un avis favorable de la Commission chilienne du cuivre .

Décret n° 711 du 22 août 1975 : encadre l'accès aux eaux territoriales pour des fins de recherche scientifique.

État ayant ratifié la CNUDM et soumis aux règles de l'AIFM.

Permis

Projets au Chili : aucun permis ou licence pour l'exploration ou l'exploitation des ressources des fonds marins émis par l'État.

Projets sous licence de l'AIFM : aucun.

Gouvernance

Possibilité pour les citoyens de déposer des observations

ou de demander des informations auprès du Système d'Évaluation de l'Impact Environnemental et, en cas de conflit relatif à l'exploitation des ressources naturelles, de saisir les "tribunaux de l'environnement".

Moyens

Le Chili dispose de centres de recherche spécialisés mais pas de moyens techniques suffisants, en adéquation avec sa situation géographique (fosse d'Atacama avec profondeur moyenne de - 6000 m) :

- Comité d'océanographie national (CONA) : coordonne les institutions effectuant des recherches en lien avec les sciences de la mer,

- Service national de géologie et des mines (Sernageomin),

- Institut Milenio d'Océanographie (IMO) : créé en 2013 ; en janvier 2022, expédition Atacama Hadal en coopération avec l'entreprise américaine Caladan Oceanic,

- Instituto Milineo BASE : créé fin 2021 sur le territoire antarctique et subantarctique ; il pourrait devenir une porte d'entrée pour des projets sur les fonds marins de la zone dans le futur.

Chine

Stratégie nationale

Plan d'action à l'horizon 2050 publié par l'Académie des sciences de Chine (2010) visant à faire de la Chine l'un des pays les plus avancés en matière de recherche océanographique, notamment en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation des ressources marines (hydrocarbures et minéraux).

Plan de modernisation industrielle « Made in China 2025 » (2015) fixant des objectifs de maîtrise par la Chine des équipements de production sous-marine jusqu'à 3 000m de profondeur.

13e plan quinquennal (2016-2020) pour l'exploration et l'exploitation des ressources dans les zones de grands fonds marins.

14e plan quinquennal (2021-2025) : pas de plan dédié à l'exploration et l'expoitation des grands fonds marins mais objectif d'accélérer l'extraction des ressources minières en eaux profondes, dont le pétrole et le gaz, et le portage de projets nationaux en eaux profondes « pionniers et stratégiques ».

Régime juridique

Loi du 26 février 2016 : encadre l'ensemble des activités scientifiques ou industrielles menées par des organismes chinoise dans les eaux sous juridiction chinoise ou internationales.

Plusieurs décrets d'application précisant notamment les modalités d'attribution des licences publiés par l'Administration nationale des océans (SOA), en charge des affaires maritimes et sous la tutelle du Ministère des ressources naturelles depuis 2018. Décrets relatifs à l'évaluation de l'impact environnemental non publiés.

Permis

Projets en Chine : permis d'exploration et/ou d'exploitation sous-marines délivrés par la SOA. 3 principaux projets en eaux profonds chinoises dont 2 de champs de gaz (Liwan 3-1 depuis 2014 et Deep Sea n°1 depuis juin 2021) et un de champs pétroliers (Liuhua 16-2 en pleine production depuis août 2021).

Projets sous licence de l'AIFM : 5 contrats de 15 ans conclus depuis 2001 avec l'AIFM concernant les 3 types de minéraux des grands fonds marins (nodules polymétalliques (PMN), des sulfures polymétalliques (PMS) et des encroûtements de ferromanganèse riches en cobalt (CFC)). Première position de la Chine, devant la Corée du Sud et la Russie (3 contrats).

Gouvernance

Dispositions détaillées sur la protection de l'environnement lors d'activités sous-marines prévues par la loi du 26 février 2016 (exigence d'une étude des impacts environnementaux, établissement d'un plan de suivi des impacts, mise en oeuvre de mesures de prévention des pollutions et pénalités pouvant atteindre jusqu'à 1 million de CNY (env. 128 000 €) en cas de défaillance) mais décrets d'application non publiés.

Pas de procédure de consultation mise en oeuvre.

Pas d'ONG active sur l'impact environnemental des activités en eaux profondes.

Moyens

Nombreux organismes actifs en matière de recherche océanographique, en particulier dans la province du Shandong (Qingdao, sud-est de Pékin) et en Chine du sud, le plus souvent sous l'autorité du Ministère de la science et de la technologie (MOST) ou de l'Académie des sciences de Chine (CAS). A ce jour, plus de 50 missions exploratoires sur l'environnement en eaux profondes grâce à des robots sous-marins de recherche scientifique (véhicules, habités ou non).

Autres acteurs clefs : China Ocean Mineral Resources Research and Development Association (COMRA) au niveau international, China Ship Scientific Research Center (centre de recherche privé), exploitant CNOOC au niveau national.

Collaborations entre des instituts français (CNRS, Ifremer, l'université Aix-Marseille-MOI, le Muséum national d'histoire naturelle, l'université de Toulon, l'Institut de biologie de l'ENS) et des organismes chinois dans de nombreux domaines.

Japon

Stratégie nationale

Loi fondamentale sur les politiques océaniques (2007), déclinée via un plan fondamental des politiques océaniques (2018-2028) comportant un axe "promotion de l'utilisation industrielle des océans".

Plan du développement des énergies et ressources minérales marines (2008) : précise à horizon de 10 ans, pour chaque ressource, le développement technologique requis et la répartition des rôles entre les ministères, ainsi qu'entre les secteurs public et privé.

Régime juridique

Loi de 1950 sur les activités minières, modifiée en 2011 pour prendre en compte les ressources des fonds marins (contrôle administratif des projets renforcé, choix de l'exploitant par le Ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (METI) afin d'éviter les sociétés écrans).

Loi de 1949 sur la sécurité des activités minières.

Loi constitutive de la JOGMEC ( Japan Oil, Gas and Metals National Corporation ) : la JOGMEC est une structure affiliée au METI chargée d'aider les entreprises à sécuriser un approvisionnement stable en pétrole, gaz naturel, métaux non-ferreux et ressources minérales. Elle est aussi chargée de la prospection des ressources marines en eaux profondes.

Trois types de permis existent pour les projets d'exploration et d'exploitation des fonds marins, les deux derniers n'étant accessibles qu'à des entreprises japonaises :

- permis d'exploration (pour la prospection des fonds marins à des fins d'exploitation des ressources), accessible aux entreprises étrangères,

- permis de forage d'essai,

- permis d'exploitation commerciale.

Permis

Projets au Japon : actuellement un projet de forage d'essai et un projet d'exploitation commerciale pour du pétrole et du gaz naturel.

Pour les ressources minérales des fonds marins, seuls des projets de recherche sont menés pour le moment (subventionnés par l'Etat). Plusieurs dizaines de projets de prospection par an font l'objet de permis d'exploration.

Projets sous licence de l'AIFM : 2 projets :

1- concernant des nodules de manganèse au large d'Hawaï, mené par l'entreprise Deep Ocean Resources Developement (DORD), et

2- concernant des encroûtements riches en cobalt mené par la JOGMEC dans 2 zones maritimes en haute mer dans le nord-ouest de l'océan Pacifique.

Gouvernance

Pas d'obligation légale de consultation, ni d'évaluation environnementale pour les projets d'exploration et/ou d'exploitation des fonds marins. La loi sur l'évaluation environnementale ne s'applique pas aux activités minières.

Néanmoins, les entreprises organisent généralement de leur propre initiative des réunions de concertation avec les parties prenantes, dont le public, autour des zones concernées par une possible exploration/exploitation des fonds marins.

Au niveau des collectivités locales, la « coalition de la mer du Japon pour la promotion du développement de ressources énergétiques marines », créée en 2012 et regroupant 12 préfectures, mène des actions de sensibilisation auprès des citoyens.

Moyens

Budget : 200Mi€ consacrés par l'État japonais en 2021 à la recherche et au développement technologique pour l'exploitation de ressources en hydrocarbures dans les eaux japonaises et 70Mi€ à l'évaluation des ressources minérales marines et aux technologies de production.

Programmes de recherche : Strategic Innovation Promotion program (SIP) pour 2019-2023 comprend un "Plan de R et D sur les technologies innovantes pour l'exploration des ressources en eaux profondes" doté d'un budget de 23 Mi€

Principales entreprises : JOGMEC (1ère entreprise au monde à réaliser avec succès un essai de pompage continu de sulfures polymétalliques en 2017), DORD.

Collaborations : projet d'observatoire de l'océan profond en Nouvelle-Calédonie dans le cadre du projet ScInObs entre la France (Ifremer) et le Japon (Jamstec).

Norvège

Stratégie nationale

Stratégie actualisée pour les océans " Blue Opportunities " (2019).

Norway's Integrated ocean management plan (2021).

L'exploration et l'exploitation des ressources minérales des fonds marins sont reconnues comme des opportunités par le gouvernement, notamment pour concevoir les technologies nécessaires à la transition bas carbone.

Régime juridique

Seabed Minerals Act (2019) : vise à réguler l'exploration et l'exploitation des fonds marins, et s'assurer que ces pratiques sont exercées en accord avec les objectifs

socio-environnementaux du pays.

Cette loi définit les conditions :

1) de l'ouverture de nouvelles zones sujettes à l'exploration des fonds marins après évaluation de la zone par le Ministère du pétrole et de l'énergie,

2) des permis d'exploration minière (durée de 5 ans) et

3) des licences d'exploitation minière (durée de 10 ans).

État ayant ratifié la CNUDM et soumis aux règles de l'AIFM.

Permis

Projets en Norvège : environ 90 champs de pétrole et de gaz offshore en cours d'exploitation.

Processus d'ouverture à l'exploration de nouvelles zones (zones du Svalbard et de Jan Mayen riches en sulfure et de manganèse) lancé en janvier 2021. Evaluation supervisée par le Ministère du pétrole en partenariat avec le Directorat du pétrole norvégien (NPD) en cours et devant aboutir sur une décision finale d'ouvrir ou non certaines zones à la prospection commerciale en 2023.

Projets sous licence de l'AIFM : aucun.

Gouvernance

Conformément au Seabed Minerals Act , les évaluations préalables nécessaires à toute ouverture de l'exploitation sont soumises à consultation publique.

Concernant le rapport d'évaluation des zones du Svalbard et de Jan Mayen en 2021, les critiques émises par les ONG et certains instituts de recherche n'ont pas été réellement prises en compte à ce stade.

Moyens

Principaux centres de recherche actifs sur les fonds marins : NORCE, Institut de recherche marine (financé pour moitié par le Ministère du commerce, de l'industrie et de la pêche), Université de Bergen - Centre Deep Sea Research, AKVAPlan-NIVA (filiale de l'Institut norvégien de recherche sur l'eau).

Nombreux projets financés en tout ou partie par des fonds publics (par exemple, projets de cartographie des fonds marins, programme MAREANO pour une base de données bathymétrique, géologique, biologique et chimique des fonds marins en mer de Barents et de Norvège, projet sur l'impact environnemental d'une éventuelle exploitation minière de la dorsale médio-océanique de l'Arctique).

Entreprises : Equinor, Loke marine minerals , Nordic Ocean resources (filiale de Nordic mining ), AkvaPlan-NIVA

Partenariats : depuis fin 2020, accord de coopération industrielle, technologique et scientifique entre le consortium DeepSea Mining Alliance (DSMA) et le Forum norvégien des minéraux marins (NMM).

Partenariat avec Ifremer en cours depuis 2019.

USA

Stratégie nationale

Stratégie nationale pour la cartographie, l'exploration et la caractérisation de la ZEE (2020) : objectif d'identifier les zones d'intérêt prioritaire pour l'exploration.

État des lieux " Deep sea mining " réalisé par l'US Government Accountability du Congrès (2021).

Régime juridique

Deep Seabed Hard Mineral Resources Act (DSHMRA, 1980) : procédures de licence d'exploration et de permis d'exploitation des ressources minérales, délivrés par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) aux entités relevant de la juridiction des États-Unis, prenant en compte la protection de l'environnement marin, la prévention des interférences déraisonnables avec les autres utilisations de la haute mer et la conservation des ressources minérales.

État n'ayant pas ratifié la CNUDM et ne faisant pas partie de l'AIFM.

Permis

Projets aux USA : actuellement aucune exploitation commerciale des grands fonds marins menée dans le cadre du régime d'autorisation de la DSHMRA.

Projets sous licence de l'AIFM : aucun (mais la société UK Seabed Resources possédant 2 permis est une filiale du groupe américain Lockheed Martin).

Gouvernance

Les directives du Department of Interior prévoient une phase de consultation des parties prenantes (gouverneurs des États limitrophes, agences fédérales, autres parties intéressées...) sur tout projet d'exploitations minière et sur son étude d'impact.

Moyens

Intérêt croissant des scientifiques américains pour l'étude des grands fonds marins.

Centres de recherche spécialisés : Bureau de la recherche océanographique et atmosphérique en haute mer de la NOAA (en 2015-2018 projet de cartographie de la ZEE américaine du Pacifique, Deep-Ocean Stewardship Initiative , possible hausse future des financements par le Congrès américains pour de nouvelles campagnes de cartographie et d'exploration), Institut océanographique Scripps de l'Université de Californie à SanDiego, Université d'Hawaï ( Abyssal Biological Baseline)

GLOSSAIRE

AFD : Agence française de développement ;

AIFM : Autorité internationale des fonds marins ;

ANR : Agence nationale de la recherche ;

ASN : Alcatel Submarine Networks ;

AUV: Autonomous underwater vehicle (véhicule sous-marin autonome) ;

BATRAL : Bâtiment de transport léger ;

BBNJ : Biological Diversity of Areas Beyond National Jurisdiction (biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale) ;

BH : Bâtiment hydrographique ;

BHO : Bâtiment hydro-océanographique ;

BRGM : Bureau de recherche géologique et minière ;

BSAOM : Bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer ;

CESM : Centre d'études stratégiques de la Martine ;

CGEIET : Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies ;

CHOF : Capacité hydrographique et océanographique future ;

CIMER : Comité interministériel de la mer ;

CJT : Commission juridique et technique ;

CNRS : Centre national de la recherche scientifique ;

COI : Commission de l'océan Indien ;

COM : Collectivités d'outre-mer ;

CORIMER : Conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer ;

CSF IM : Comité stratégique de filière des industriels de la mer ;

EMODnet : European Marine Observation and Data Network (réseau européen d'observation et de données marines) ;

EMSO : European Multidisciplinary Seafloor and water column Observatory (observatoire européen multidisciplinaire des fonds marins et de la colonne d'eau) ;

EPC : European Patrol Corvette ;

FRS : Fondation pour la recherche stratégique ;

FS : Frégates de surveillance ;

GEEM : Groupe d'expertise économie maritime ;

GFM : Grands fonds marins ;

GICAN : Groupement des industries de construction et activités navales ;

GSR : Global Sea Mineral Resources ;

IFREMER : Institut français de la recherche pour l'exploitation de la mer ;

IRD : Institut de recherche pour le développement ;

IRSEM : Institut de recherche stratégique de l'école militaire ;

JAMSTEC : Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology ;

LMI : Laboratoires mixtes internationaux ;

LPM : Loi de programmation militaire ;

MESRI : Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;

NG : Nouvelle génération ;

NPD : Norwegian Petroleum Directorate ;

NSA : National security Agency (agence nationale de sécurité) ;

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques ;

OFB : Office français de la biodiversité ;

ONG : Organisation non gouvernementale ;

ONU : Organisation des Nations unies ;

OTAN : Organisation du traité de l'Atlantique nord ;

PAG : Patrouilleur Antilles Guyane ;

PCG : Patrouilleur côtier de la gendarmerie maritime ;

PEPR : Programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoires ;

PIA : Programme d'investissement d'avenir ;

POM : Patrouilleur outre-mer ;

ROV : Remotely operated underwater vehicle (véhicule sous-marin télé-opéré) ;

SGMer : Secrétariat général de la mer ;

SHOM : Service hydrographique et océanographique de la marine ;

SLAM-F : Système de lutte anti-mines du futur ;

TAAF : Terres australes et antarctiques françaises ;

UICN : Union internationale pour la conservation de la nature ;

UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture) ;

WWF : World Wide Fund for Nature (fonds mondial pour la nature) ;

ZEE : Zone économique exclusive.


* 1 Le Cyana, un sous-marin habité dédié exclusivement à la recherche scientifique et capable de descendre jusqu'à 3 000 mètres de profondeur, a été mis en service par l'IFREMER en 1969.

* 2 Une stratégie dédiée aux grands fonds marins a par exemple été définie en 2015 mais n'a pas été mise en oeuvre (cf. infra).

* 3 En dissociant le ministère délégué chargé de l'industrie et le ministère de l'économie, des finances et de la relance.

* 4 Les positions de la France lors des réunions des diverses instances de l'AIFM sont définies par la sous-direction du droit de la mer.

* 5 Pour Wallis-et-Futuna, la compétence est partagée avec l'État et le code minier national n'est applicable que partiellement.

* 6 Il s'agit de Mme Annick Girardin, ministre de la Mer, Mme Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, et Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie.

* 7 Dans sa version antérieure à la formation du Gouvernement d'Elisabeth Borne, tel qu'annoncé le 20 mai 2022. Il s'agit désormais d'un secrétariat d'État, sous la tutelle de la Première ministre.

* 8 Cf. III - B.

* 9 Il s'agit de Mme Valérie Chavagnac (CNRS), de M. Christian Dugué (Direction générale à l'armement), de M. François Lallier (Sorbonne université), de l'amiral Bernard Rogel (Académie de marine), de Mme Carine Tramier (présidente du Corimer) et de M. Thomas Buret (directeur général d'iXblue).

* 10 Intervention de M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, lors d'une table-ronde dédiée au bassin de l'océan Atlantique, le 2 mai 2022.

* 11 Intervention de M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de La Réunion, lors d'une table-ronde dédiée au bassin de l'océan indien, le 4 mai 2022.

* 12 Le plan d'investissement France 2030 a été annoncé par le Président de la République en octobre 2021, tandis que l'élaboration de la stratégie nationale sur les grands fonds marins a été initiée à la suite de l'intervention du Président de la République lors des Assises de l'économie de la mer s'étant tenues à Montpellier le 3 décembre 2019.

* 13 Le rapport de M. Jean-Louis LEVET évoque quatre priorités, qui ont été réparties en cinq priorités dans la circulaire du Premier ministre du 5 mai 2021.

* 14 Soirée-débat « Grands fonds : vingt mille défis sous les mers » organisée par le Centre d'études stratégiques de la Marine (CESM) le 4 avril 2022.

* 15 Il s'agit d'un AUV ( Autonomous Underwater Vehicle ), opérant en mer sans aucun câble le reliant au navire.

* 16 Il s'agit d'un ROV ( Remotely Operated Vehicle ), opérant en mer à l'aide d'un câble le reliant au navire.

* 17 Lors de son audition au Sénat, le 18 janvier 2022, la ministre de la mer a précisé que « France 2030 prendra en charge deux actions importantes, le programme de recherche scientifique, destiné à étudier le fonctionnement des écosystèmes des grands fonds et évaluer leur fragilité face à des interventions humaines, et le programme d'exploration que la France s'est engagée à mener dans le cadre des permis d'exploration de l'AIFM », ce qui correspond aux deux projets de la priorité I de la stratégie minière.

* 18 Il s'agit du projet n° 4 de la stratégie nationale.

* 19 Audition de Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 20 Voir loi n° 94-588 du 15 juillet 1994 modifiant certaines dispositions du code minier et l'article L. 711-12 du code du travail.

* 21 Il s'agit de l'ordonnance n° 2022-534 du 13 avril 2022 relative à l''autorisation environnementale des travaux miniers, de l'ordonnance n° 2022-535 du 13 avril 2022 relative au dispositif d'indemnisation et de réparation des dommages miniers, de l'ordonnance n° 2022-536 du 13 avril 2022 modifiant le modèle minier et les régimes légaux relevant du code minier et de l'ordonnance n° 2022-537 du 13 avril 2022 relative à l'adaptation outre-mer du code minier.

* 22 Les substances de mines sont définies à l'article L. 111-1 du code minier. Il s'agit des « gîtes renfermés dans le sein de la terre ou existant à la surface connus pour contenir les substances minérales ou fossiles suivantes : [...] du fer, du cobalt, du nickel , [...] du manganèse, [...], du cuivre, [...], du zinc », ce qui inclut les encroûtements cobaltifères, les nodules polymétalliques et les sulfures polymétalliques présents dans les grands fonds marins.

* 23 Pour cette dernière, la compétence minière est partagée avec l'État et le code minier national ne s'y applique que partiellement.

* 24 Une étude de dangers doit préciser les risques auxquels l'installation peut exposer, directement ou indirectement, [...] la santé, la sécurité, la salubrité publique, la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, l'utilisation économe des sols, l'utilisation rationnelle de l'énergie, en cas d'accident, que la cause soit interne ou externe à l'installation.

* 25 Ce qui exclut les fonds marins de la ZEE de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et des TAAF. Les autorités de Wallis-et-Futuna se sont prononcées en faveur d'un moratoire sur l'exploitation d'une durée minimale de 50 ans.

* 26 « Il n'est pas question d'exploitation », Annick Girardin, audition du 18 janvier 2022.

* 27 D'après : Pierre-Yves Le Meur et Valelia Muni Toke, « Une frontière virtuelle : l'exploitation des ressources minérales profondes dans le Pacifique », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 33, mars 2021, mis en ligne le 25 mars 2021, consulté le 23 mai 2022. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/29723 ; DOI :

https://doi.org/10.4000/vertigo.29723

* 28 Auditions des 2, 3 et 4 mai 2022, vidéo et compte-rendu disponibles sur le site internet du Sénat : http://www.senat.fr/commission/missions/2021_fonds_marins.html

* 29 Cette coopération entre l'Ifremer et l'opérateur japonais JAMSTEC (Japan agency for marine-earth science and technlogy) s'inscrit dans cadre du projet n°6 de la stratégie nationale publiée le 5 mai 2021.

* 30 Propos de M. François Houllier, président-directeur général de l'IFREMER, lors de la visite du siège de l'IFREMER par la mission d'information, le 29 avril 2022.

* 31 « La bathymétrie regroupe les sciences et technologies de mesure ou d'estimation de la profondeur. Elle vise à connaître le relief de l'océan profond ou côtier. » - Source : SHOM.

* 32 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC A1 » et « CATZOC A2 » qui ont fait l'objet d'une exploration totale du fond ayant permis d'obtenir soit une très bonne mesure (CATZOC A1), soit une bonne mesure (CATZOC A2) de la position et de la profondeur.

* 33 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC B ».

* 34 Selon le référencement du SHOM, il s'agit des zones dites « CATZOC C ».

* 35 Les données du tableau sont issues des travaux du SHOM, compilées dans un document présentant le programme national d'hydrographie 2021-2024, accessible en ligne à l'adresse : https://www.shom.fr/sites/default/files/2020-11/PNH_2021-2024_Web.pdf

* 36 Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER, le 25 janvier 2022.

* 37 J. Dyment, F. Lallier, N. Le Bris, O. Rouxel, P.-M. Sarradin, S. Lamare, C. Coumert, M. Morineaux, J. Tourolle (coord.), 2014. Les impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Expertise scientifique collective, Rapport, CNRS - Ifremer

* 38 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 39 Ainsi qu'en hydrocarbures mais cette ressource n'a pas fait l'objet des travaux de la mission d'information.

* 40 Réponse écrite de M. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'IRD.

* 41 Ibid.

* 42 Source : IFREMER.

* 43 Bonifácio, P. and Menot, L. New genera and species from the Equatorial Pacific provide phylogenetic insights into deep-sea Polynoidae (Annelida). Zoological Journal of Linnean Society. DOI : 10.1093/zoolinnean/zly063

* 44 Contacté par la mission d'information, le groupe Sanofi a indiqué qu' « il n'est pas prévu de la R et D pour investiguer des applications dans le domaine médical des ressources biologiques des fonds marins. »

* 45 Vaudon-Marie Mathilde, La mer monde : une odyssée de la recherche océanique , Paris, Le cherche midi, 2021.

* 46 Audition de M. Michel Peltier, délégué mer de l'Office français de la biodiversité, le 25 mai 2022.

* 47 IFREMER, Rapport de veille scientifique et technologique relative aux ressources minérales non énergétiques des grands fonds marins, décembre 2021.

* 48 Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du BRGM, le 1 er février 2022.

* 49 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 50 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 51 Réponse écrite de Mme Mathilde Cannat, chercheuse au CNRS.

* 52 Réponse écrite de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER.

* 53 Audition de M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français, le 1 er février 2022.

* 54 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer, le 18 janvier 2022.

* 55 Cf. les « niveaux de connaissance cible » présentés dans le programme national d'hydrographie 2021-2024, accessible en ligne à l'adresse : https://www.shom.fr/sites/default/files/2020-11/PNH_2021-2024_Web.pdf . Aucune date n'est cependant donnée pour l'atteinte de cet objectif de 100 % des eaux françaises ayant a minima fait l'objet d'une « exploration partielle du fond, avec une faible justesse de mesure de la position et de la profondeur ».

* 56 « L'objectif est bien d'explorer à terme l'ensemble des zones françaises », audition de M. Xavier Grison, conseiller grands fonds marins au Secrétariat général de la mer, le 19 janvier 2022.

* 57 Voir par exemple les déclarations du Président de la République, M. Emmanuel Macron, lors de la présentation du plan d'investissement France 2030 le 21 octobre 2021 : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/10/12/presentation-du-plan-france-2030

* 58 « On a beaucoup de travaux à réaliser dans les eaux internationales. Tant que les choses ne seront pas réglées dans ce secteur, il sera très compliqué d'avancer ailleurs », audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER, le 25 janvier 2022.

* 59 Réponse écrite de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières.

* 60 J. Dyment, F. Lallier, N. Le Bris, O. Rouxel, P.-M. Sarradin, S. Lamare, C. Coumert, M. Morineaux, J. Tourolle (coord.), 2014. Les impacts environnementaux de l'exploitation des ressources minérales marines profondes. Expertise scientifique collective, Rapport, CNRS - Ifremer

* 61 Ibid.

* 62 De façon non exhaustive, peuvent être citées WWF, Greenpeace, Bloom et l'UICN.

* 63 Communication du 13 septembre 2012 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulées « La croissance bleue : des possibilités de croissance durable dans les secteurs marin et maritime », COM(2012) 494 final.

* 64 Audition de M. Jean-Louis Levet, ancien conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins au Secrétariat général de la mer.

* 65 IFREMER, Rapport de veille scientifique et technologique relative aux ressources minérales non énergétiques des grands fonds marins, décembre 2021.

* 66 Audition de Maître Virginie Tassin Campanella, avocat à la Cour, experte auprès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le 5 avril 2022.

* 67 Audition de M. Guy Herrouin, chargé de mission stratégie et fonds marins au Pôle mer Méditerranée, le 16 mars 2022.

* 68 Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du service géologique national au BRGM.

* 69 Réponse écrite de Maître Virginie Tassin Campanella, avocat à la Cour, experte auprès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

* 70 Audition de M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géoscience de l'Ecole des Mines de Paris, le 28 avril 2022.

* 71 Audition de M. Nicolas Mazzuchi, chargé de recherches à la fondation pour la recherche stratégique, le 15 mars 2022.

* 72 Audition de M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géoscience de l'Ecole des Mines de Paris, le 28 avril 2022.

* 73 Ibid.

* 74 Audition du 16 mars 2022.

* 75 Audition de M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer de l'IFREMER, le 25 janvier 2022.

* 76 Audition de M. Pierre-Alain Gautier, directeur corporate affairs et partenariats du groupe Eramet, le 12 avril 2022.

* 77 Audition de M. Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côte et conseiller grands fonds marins au Secrétariat général de la mer, le 19 janvier 2022.

* 78 Les personnalités qualifiées de ce comité ministériel de pilotage sont : Thomas Buret, Directeur général d'iXblue ; Valérie Chavagnac, Directrice de recherche au CNRS ; Christian Dugué, Inspecteur pour la sécurité nucléaire de la Direction générale de l'armement ; François Lallier, Professeur de biologie à la Sorbonne Université ; Bernard Rogel, Amiral (2S) de l'Académie de marine et Carine Tramier, présidente du Conseil d'orientation de la Recherche et de l'Innovation de la filière des industriels de la mer.

* 79 Audition de MM. Thierry de la Burgade, Secrétaire général de la mer adjoint, Nicolas Gorodetska, conseiller économie maritime et portuaire et Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins.

* 80 Audition de Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer.

* 81 Audition de MM. Thierry de la Burgade, Secrétaire général de la mer adjoint, Nicolas Gorodetska, conseiller économie maritime et portuaire et Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins.

* 82 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican).

* 83 Audition de Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer.

* 84 Audition de M. Thomas BURET, directeur général d'iXblue.

* 85 Audition de MM. Thierry Pineau, conseiller en charge de la recherche agronomique, de l'environnement et du développement durable au cabinet de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et Didier Marquer, chargé de mission Géoressources, et Mme Lise Fechner, chef de département à la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI).

* 86 Audition de MM. Olivier Mustière, vice-président chargé de l'ingénierie sous-marine chez TechnipFMC, et Johann Rongau, ingénieur projet.

* 87 Audition de scientifiques : MM. Jean-Marc Daniel, directeur du département « ressources physiques et écosystèmes de fond de mer » de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Laurent Kerléguer, directeur général du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), Joachim Claudet, conseiller « océan » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Mme Mathilde Cannat, mandatée par le CNRS comme pilote dans la feuille de route « grands fonds » dans le cadre de France 2030.

* 88 Audition de M. Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côte et conseiller grands fonds marins au Secrétariat général de la mer, le 19 janvier 2022.

* 89 Audition de M. Jean-Marc Sornin, président d'Abyssa, le 16 mars 2022.

* 90 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales, le 29 mars 2022.

* 91 Audition de M. Roger Alain Aron, septième vice-président de l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane, délégué à l'agriculture, la pêche et la souveraineté alimentaire, et à l'évolution statutaire, le 2 mai 2022.

* 92 Audition de M. Jean Dartron, président de la commission pêche, ports et infrastructures du conseil départemental de Guadeloupe, le 2 mai 2022.

* 93 Audition de M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française, le 3 mai 2022.

* 94 Audition de M. Guy Herrouin, chargé de mission stratégie et fonds marins au Pôle mer Méditerranée, le 16 mars 2022.

* 95 Audition de M. Francis Vallat, président d'honneur du Cluster maritime français, le 2 février 2022.

* 96 Rapport annuel 2020 du Secrétaire général de l'AIFM : Parvenir à une utilisation durable des ressources minérales des grands fonds marins pour le bénéfice de l'humanité.

* 97 Communiqué de presse de l'Autorité internationale des fonds marins du 5 juin 2008 (n° SB/14 /16) : Assembly elects Nii Allotey Odunton of Ghana Secretary General of Seabed Authority ; adopts $12,516,500 budget for 2009-2010 biennium.

* 98 Rapport d'information n° 430 (2013-2014) fait par MM. Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, intitulé : « Zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité » et déposé le 9 avril 2014.

* 99 Audition de M. Michael Lodge, Secrétaire général de l'AIFM, le 8 mars 2022.

* 100 Audition de Mme Caroline Krajka, sous-directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l'Europe et des affaires étrangère, le 5 avril 2022.

* 101 Ibid.

* 102 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer, le 18 janvier 2022.

* 103 Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent de la France auprès de l'AIFM, 8 février 2022

* 104 Audition de M. Michael Lodge, Secrétaire général de l'AIFM, le 8 mars 2022.

* 105 Ibid.

* 106 Rapport annuel 2020 du Secrétaire général de l'AIFM : Parvenir à une utilisation durable des ressources minérales des grands fonds de marins pour le bénéfice de l'humanité

* 107 La sous-direction du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l'Europe et des affaires étrangères a indiqué à la mission d'information que « nous n'en sommes pas encore à devoir nous entourer d'experts ».

* 108 https://www.isa.org.jm/

* 109 https://www.isa.org.jm/deepdata#block-seabed-page-title

* 110 Il s'agit de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), Bloom, France Nature Environnement (FNE), WWF et Greenpeace.

* 111 https://www.defense.gouv.fr/actualites/armees-se-dotent-dune-strategie-ministerielle-maitrise-fonds-marins

* 112 Actualisation stratégique, 2021, Ministère des armées.

* 113 Audition de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine, Assemblée nationale, 16 juin 2021.

* 114 Audition précitée de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine.

* 115 Circulaire du 13 novembre 2020 faisant suite au Comité interministériel de la mer de décembre 2019.

* 116 https://breakingdefense.com/2022/04/navy-plans-to-sink-large-undersea-drone-program/

* 117 Audition précitée de l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine.

* 118 Loi n o 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025.

* 119 D'après le général Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées (présentation de la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, 14 février 2022).

* 120 Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale, Rapport d'information de M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022.

* 121 Stratégie nationale relative à l'exploration et à l'exploitation minières des grands fonds marins approuvée en comité interministériel de la mer du 22 octobre 2015.

* 122 Ibid.

* 123 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 124 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 125 Projet ScInObs : Sciences, innovations et observatoires sous-marins, présentation générale en ligne, 27 mai 2021.

* 126 Audition de scientifiques autour de MM. Philippe Charvis, directeur délégué à la science à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique et Didier Lahondère, adjoint au directeur des géoressources du service géologique national (BRGM).

* 127 Ibid.

* 128 Réponse écrite du CNRS au questionnaire de la mission d'information.

* 129 Ibid.

* 130 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican).

* 131 Souveraineté et maritime, rapport du Groupe d'Expertise Économie maritime des conseillers du commerce extérieur, 2022.

* 132 Audition de M. Hervé Guillou, président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer (CSF IM) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican).

* 133 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer.

* 134 Mise à jour de la stratégie des matières premières du Gouvernement fédéral par le Gouvernement fédéral allemand le 14 janvier 2020.

* 135 Ibid.

* 136 Audition de Maître Virginie Tassin Campanella, avocat à la Cour, experte auprès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et Mme Anne Caillaud, chargée de programme outre-mer à l'UICN.

* 137 Mise à jour de la stratégie des matières premières du Gouvernement fédéral par le Gouvernement fédéral allemand le 14 janvier 2020.

* 138 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 139 Circulaire n° 6266/SG du 5 mai 2021 du Premier ministre sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins.

* 140 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 141 Résolution du Parlement européen du 9 juin 2021 sur la stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030: Ramener la nature dans nos vies (2020/2273(INI))

* 142 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Stratégie de l'UE en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030, Ramener la nature dans nos vies, 20 mai 2020.

* 143 Résolution du Parlement européen du 3 mai 2022 : Vers une économie bleue durable au sein de l'Union : le rôle des secteurs de la pêche et de l'aquaculture (2021/2188(INI)).

* 144 European Commission, Directorate-General for Research and Innovation, Lamy, P., Citores, A., Deidun, A., et al., Mission Starfish 2030 : restore our ocean and waters , Publications Office, 2020, https://data.europa.eu/doi/10.2777/70828.

* 145 Audition de M. Mehdi Mahammedi Bouzina, conseiller parlementaire, M. Vincent Hulin, conseiller eau et biodiversité, Mme Sophie-Dorothée Duron, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité et M. Jean François Gaillaud, chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques au ministère de la transition écologique, le 22 mars 2022.

* 146 Ibid.

* 147 Audition de M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes.

* 148 Audition de M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque, Représentant permanent auprès de l'Autorité internationale des fonds marins.

* 149 Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins COM(2021) 1 final du 5 janvier 2021.

* 150 Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer.

* 151 Document de synthèse réalisé à partir du rapport remis au Secrétaire général de la mer par Jean-Louis Levet : « Stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, Bilan et orientations : pour une nouvelle dynamique ».

* 152 Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, lors des réunions du Conseil et de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins COM(2021) 1 final du 5 janvier 2021.

* 153 Enjeux stratégiques de la maîtrise des fonds marins - Audition de Mme Camille Morel, chercheuse en relations internationales à l'université Jean Moulin Lyon-3, M. Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et Mme Marianne Peron-Doise, chercheuse Asie du Nord, stratégie et sécurité maritimes, Institut de recherche stratégique de l'école militaire (Irsem).

* 154 Audition de scientifiques : MM. Jean-Marc Daniel, directeur du département « ressources physiques et écosystèmes de fond de mer » de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Laurent Kerléguer, directeur général du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), Joachim Claudet, conseiller « océan » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Mme Mathilde Cannat, mandatée par le CNRS comme pilote dans la feuille de route « grands fonds » dans le cadre de France 2030.

* 155 Regards croisés Outre-mer : quelle ambition maritime pour nos jeunes ultramarins ?, échange aux Assises économie de la mer, le 15 septembre 2021.

* 156 Ibid.

* 157 Table ronde Séquence bassin de l'océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie, province des îles Loyauté et îles Wallis et Futuna).

* 158 Réponse écrite de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna au questionnaire de la mission d'information.

* 159 Réponse écrite du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie au questionnaire de la mission d'information.

* 160 Table ronde Séquence bassin de l'océan Indien.

* 161 Ibid.

* 162 Audition séquence bassin de l'océan Atlantique.

* 163 Ibid.

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