CONCLUSION GÉNÉRALE

Au terme de ce voyage dans les futurs possibles des multiples espaces qui composent notre pays, une conviction se détache : les chemins d'une occupation pertinente et harmonieuse du territoire ne sont pas simples, d'abord parce que les défis à relever sont multiples et les arbitrages complexes entre l'objectif de protéger l'environnement mais aussi celui de rechercher des équilibres sociaux toujours fragiles et favoriser le développement économique. La définition de « l'optimum » est presque impossible.

Ensuite, la politique d'aménagement du territoire repose désormais largement sur les collectivités territoriales, qui ont pour mission de programmer l'utilisation de l'espace à travers les documents d'urbanisme mais aussi de financer les opérations en exerçant la maîtrise d'ouvrage sur l'espace public. La fragmentation du paysage local crée à cet égard une certaine complexité. Par ailleurs, les initiatives prises sur les territoires dépendent des moyens dont disposent les collectivités : de ce point de vue, les métropoles denses sont mieux armées que les territoires ruraux ou périurbains éloignés.

On constate cependant que certains objectifs sont largement partagés à tous les niveaux : État comme collectivités territoriales :

• d'abord, la nécessité de moins consommer d'espace pour préserver les terres agricoles mais aussi la biodiversité est désormais admise. La difficulté réside plutôt dans la manière d'utiliser l'outil du ZAN, désormais inscrit dans la loi ;

• ensuite l'impératif de mieux relier les territoires pour lutter contre les fractures territoriales est largement partagé, imposant de continuer à investir sur les mobilités mais en sortant du modèle du tout-voiture ;

• en outre, la concentration des espaces commerciaux en périphérie des grandes villes et plus largement l'hyperspécialisation des quartiers apparaissent comme des échecs de l'aménagement urbain et doivent être corrigés. Il est fondamental d'aller vers une plus forte multifonctionnalité des espaces, de les déspécialiser ;

• par ailleurs, une plus grande attention doit être portée à la qualité urbaine, à la qualité paysagère, justifiant par exemple les destructions de barres d'immeubles dans les cités bénéficiant des actions de l'ANRU. La bataille de la qualité urbaine est cependant encore loin d'être gagnée, car si les quartiers concentrant des monuments historiques font l'objet d'une protection patrimoniale forte, les exigences vis-à-vis des autres espaces sont beaucoup plus limitées.

Les travaux menés dans le cadre du présent rapport conduisent à formuler 50 propositions qui sont autant de pistes pour aller vers une occupation de l'espace plus harmonieuse.

Utiliser l'espace de manière plus économe

1- Assurer une application intelligente du « zéro artificialisation nette » (ZAN), en prenant notamment en compte les modalités proposées par le Sénat, afin d'éviter des situations de blocage.

2- Préserver les terres agricoles en s'attachant non seulement à la limitation de la consommation d'hectares agricoles mais aussi à la préservation, voire à l'amélioration, de la qualité des sols.

3- Lutter contre le mitage en renforçant les prescriptions faites dans les SCoT, PLU et PLUI.

4- Urbaniser en priorité des dents creuses urbaines et limiter les constructions nouvelles aux secteurs jouxtant les espaces bâtis existants.

5- Tenant compte de l'aspiration légitime de nos concitoyens à habiter en pavillon, inciter les communes et les EPCI à introduire dans les PLU et PLUI des dispositions limitant la taille des parcelles destinés à la construction de pavillons et encourager la construction en mitoyenneté, à l'instar de ce qui existe au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.

6- Autoriser les divisions de terrains pour densifier les constructions avant d'ouvrir de nouvelles zones à urbaniser.

Repenser nos villes

7- Se fixer comme objectif la remise en cause du modèle de la ville sectorisée, divisée en centre patrimonial, faubourgs, périphéries verticales et horizontales, espaces périphériques commerciaux, zones d'activités, zones de loisirs, pour aller vers une nouvelle urbanité, où toutes les fonctions seront présentes dans tous les quartiers, la mixité fonctionnelle étant indissociable de la mixité sociale.

8- Développer la logique de la ville multipolaire, dont les pôles seront reliés par des transports en commun et des modes de déplacement doux, en créant des centralités dans les périphéries ou en transformant les périphéries en pôles de centralité.

9- Revoir les politiques de zonage qui peuvent avoir pour effet paradoxal d'accroître les ségrégations ou les disparités que ces mêmes politiques entendaient pourtant réduire : la lutte contre la pauvreté ne passe pas nécessairement par le zonage géographique des populations concernées.

10- Prendre en compte le développement du télétravail, négocié par les partenaires sociaux, dans la mise en oeuvre des infrastructures et services de transport et l'aménagement des villes.

Verdir nos villes

11- Inciter les communes à élaborer des plans de déminéralisation et de désimperméabilisation des espaces publics, assortis d'indicateurs de résultats.

12- Encourager la végétalisation des toitures, tous bâtiments confondus : logements, bâtiments d'activité, administrations.

13- Encourager la constitution de lisières forestières urbaines, ayant des fonctions de régulation thermique et hydrique et de captation de carbone, et offrant des espaces de promenades et de loisirs.

Traiter enfin la question de nos entrées de ville

14- Compléter les programmes de l'ANCT par un appel à projet national à destination des EPCI pour la reconquête des entrées de ville.

15- Apporter le soutien financier de l'État à la reconquête des entrées de ville sur une base contractuelle, impliquant une réduction des pollutions visuelles (publicités), des surfaces minéralisées dédiées au stationnement (parkings) et l'implantation de logements et d'activités non commerciales (équipements sportifs ou culturels) à la place d'activités commerciales. Il s'agit de reconquérir des espaces urbains de qualité.

16- Flécher une partie des recettes de taxe foncière assises sur les entrepôts et grandes surfaces vers un fonds de diversification et de reconquête des friches commerciales et industrielles. La transformation des entrées de ville se heurte en effet à un souci de moyens. Un effet de levier pourrait être obtenu en y consacrant ces financements, même modestes, pour restructurer ces espaces et en faire de véritables quartiers multifonctionnels.

17- Créer un service de la qualité urbaine à compétence nationale, sur le modèle des architectes des bâtiments de France, qui aurait pour mission de donner un avis conforme sur les opérations concernant les entrées de ville.

Lutter contre les ghettos urbains

18- Poursuivre l'effort de renouvellement urbain porté par l'ANRU dans les quartiers caractérisés par la domination d'un urbanisme sous forme de barres et tours d'immeubles collectifs, pour aller vers un habitat diversifié.

19- Répartir les logements sociaux dans l'ensemble des quartiers des aires urbaines et veiller à la qualité architecturale de ces logements, rompant avec les conceptions anciennes de concentration et d'identification visuelle forte de ces ensembles.

20- Bonifier les aides publiques accordées aux programmes de construction ou de rénovation de logements sociaux, lorsque ceux-ci donnent lieu à concours d'architecte de dimension nationale, voire européenne, afin d'éviter une approche trop locale et standardisée.

21- Procéder à une évaluation systématique du zonage des politiques de la ville pour évaluer leur efficacité.

Soutenir les petites villes et les espaces ruraux

22- Rétablir un dispositif de soutien à la revitalisation des commerces dans les moyennes et petites communes - sur le modèle du Fisac - visant à aider les collectivités à racheter des commerces vides et y implanter de nouveaux commerçants, de nouvelles activités ou de nouveaux services.

23- Recentrer les zones de revitalisation rurale (ZRR) en fonction de critères objectifs, comme la désertification médicale, et renforcer les aides attribuées sur ce périmètre resserré.

24- Développer les tiers-lieux en milieu rural, afin d'attirer des actifs itinérants et favoriser leur installation dans les territoires peu denses.

Accroître la solidarité territoriale

25- Faire de la lutte contre les inégalités territoriales un axe fort des prochaines programmations des contrats de plan État-région (CPER), en ajustant les taux d'aide selon le degré de prospérité des régions.

26- Repenser les dotations de l'État aux collectivités territoriales en accroissant leur fonction de péréquation horizontale et verticale.

27- Moduler les aides à la réindustrialisation en fonction du degré de développement industriel déjà atteint, afin de favoriser en priorité les territoires les plus dépourvus de sites industriels.

28- Renforcer la solidarité à l'égard des territoires ultramarins en rendant plus effective la continuité territoriale.

29- Achever la couverture numérique du territoire et veiller au déploiement de chaque nouvelle génération de réseau au même rythme sur l'ensemble du territoire, sans défavoriser les espaces les moins denses.

30- Instaurer un conventionnement sélectif des médecins généralistes et spécialistes par l'Assurance-maladie afin de lutter efficacement contre les déserts médicaux.

Permettre la mobilité de tous

31- Accompagner la création des zones à faible émission (ZFE) par l'aménagement de parkings-relais connectés aux réseaux de transport collectif. Verdir les déplacements ne doit pas conduire à exclure les habitants des quartiers périurbains. Le stationnement des véhicules pour assurer une réelle intermodalité doit être un préalable aux ZFE.

32- Veiller à la prise en compte des enjeux de logistique urbaine, en organisant une diversité modale destinée à une desserte efficace des derniers kilomètres.

33- Capter une part des surprofits autoroutiers pour financer les transports collectifs et les circulations douces.

Répondre à l'impératif environnemental

34- Renforcer le développement de l'éolien terrestre et marin en favorisant la concentration plutôt que l'éparpillement des équipements, afin de limiter l'atteinte aux paysages, et en éloignant l'éolien marin des côtes.

35- Encourager le développement de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments existants, les nouvelles constructions et les terrains non cultivables.

36- Sans préjudice de leur fonction de péréquation, qui est essentielle, moduler les dotations et subventions de l'État aux collectivités territoriales en fonction de l'atteinte d'objectifs de sobriété foncière, de déminéralisation et de végétalisation des espaces urbains, tout en gardant prioritairement l'objectif de péréquation, qui ne doit pas être contradictoire.

Organiser le territoire

37- Rationaliser la carte des zones d'activités économiques pour éviter leur dissémination sur le territoire et refuser la création de toute nouvelle zone si celles avoisinantes ne sont pas en voie de saturation.

38- Identifier des sites industriels propices à la réindustrialisation du pays, en veillant à leur répartition sur le territoire, afin d'éviter les effets de concentration générateurs de nuisances.

39- Encourager le développement de circuits courts d'approvisionnement agricole.

40- Relocaliser sur le territoire national des productions agricoles actuellement importées, afin de réduire l'impact environnemental de notre modèle alimentaire.

41- Lancer un grand « Plan Forêt » pour faire face au changement climatique et aux risques qui en résultent : parasites, dépérissement, incendies.

42- Veiller à la mise en oeuvre effective des dispositions législatives et réglementaires destinées à la protection des paysages naturels et patrimoniaux, en bloquant les projets de construction qui y portent gravement atteinte. Étendre les chartes de paysage au-delà du périmètre des parcs naturels régionaux.

43- Favoriser la diversification des activités touristiques de montagne, en réaménageant les stations qui doivent aller vers du tourisme quatre saisons.

Moderniser la gouvernance des territoires

44- Transformer le ministère de la ville, considéré comme le « ministère des banlieues » en ministère de toute la ville, compétent pour intervenir sur les nouvelles urbanités et les nouveaux quartiers.

45- Faire de la contractualisation entre l'État et les différents niveaux de collectivités territoriales le socle des politiques locales d'aménagement.

46- En termes de gouvernance et de programmation du développement urbain, jouer pleinement la carte de l'intercommunalité, cadre approprié pour la mutualisation des politiques de l'habitat et d'urbanisme.

47- Développer les outils de portage foncier pour permettre aux communes et EPCI de mener des opérations longues de transformation du territoire.

48- Renforcer les moyens d'ingénierie territoriale et favoriser le partage d'ingénierie entre collectivités pour accélérer la mise en oeuvre des projets locaux.

49- Mobiliser les politiques européennes et les fonds structurels et d'investissements européens au service de notre ambition nationale d'aménagement du territoire.

50- Favoriser l'appropriation des politiques territoriales par les citoyens, qui doivent être coauteurs, à chaque échelle, des stratégies d'aménagement du territoire.