B. QUATRE ANS APRÈS : DES PROMESSES DÉÇUES, UN SENTIMENT DE « DOUBLE PEINE »

1. Des mesures compensatoires qui se font toujours attendre sur le territoire
a) Des efforts d'adaptation de la plateforme de Nantes Atlantique réalisés qui demeurent nettement insuffisants

Édouard Philippe, Premier ministre, a déclaré le 8 février 2019 que le premier engagement de l'État pour répondre à la situation engendrée par l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes était « la transformation de l'aéroport de Nantes Atlantique en un aéroport moderne ». Or, à rebours de cette promesse, l'état de l'infrastructure demeure préoccupant.

Certes, des travaux ont été menés depuis 2019 par l'actuel concessionnaire. Selon les informations transmises par AGO, ils portent notamment sur :

- les équipements de détection d'explosifs dans les bagages de soute ;

- les dispositifs de traitement des eaux ;

- le taxiway et les voies de circulation ;

- la réalisation d'un poste de contrôle (PC) dédié à la vidéosurveillance sûreté et équipement d'un deuxième « PC crise » ;

- la mise en place de barrières lourdes et de plots béton sur le linéaire devant l'aérogare.

Cependant, une large part de ces travaux constituait en réalité des aménagements urgents, destinés à assurer la conformité des équipements de la plateforme à la réglementation en vigueur, notamment au regard de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques et en matière de sûreté.

D'autres aménagements ont été réalisés pour améliorer la qualité de service de la plateforme, comme la construction de postes d'inspection filtrage (PIF) supplémentaires ou encore la création de nouvelles places de stationnement automobile (création de 400 places supplémentaires au sein d'un parking étape).

Source : éléments transmis par AGO.

Des travaux ont également été conduits afin de développer une nouvelle activité au sein de l'aéroport : la plateforme a connu des aménagements afin d'être en mesure d'accueillir des avions de type « Beluga XL », c'est-à-dire des avions-cargo capables de transporter des pièces d'avion entre différents sites de production.

Source : éléments transmis par AGO.

Au total, ces efforts ne sont toutefois pas suffisants pour répondre réellement aux besoins de qualité de service et résoudre le problème de « saturation » rencontré par l'aéroport de Nantes Atlantique.

En outre, certains travaux n'ont en réalité été réalisés qu'à titre temporaire : certains nouveaux locaux ont ainsi été créés au sein de bâtiments modulaires.

Source : éléments transmis par AGO.

Selon le concessionnaire, cette situation s'explique par le fait que « la perspective d'un transfert de l'aéroport Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes a conduit à privilégier des solutions modulaires pour les aménagements qui ont été réalisés durant les années précédant la date annoncée du transfert » et à « maintenir en état des équipements vieillissants tels que les passerelles d'accès aux avions ».

Passerelle réalisée à titre temporaire à Nantes Atlantique

Source : déplacement sénatorial à Nantes le 13 novembre 2023.

Dans ce contexte, les compagnies aériennes basées à l'aéroport de Nantes Atlantique entendues par le rapporteur soulignent unanimement que le niveau de service rendu et la qualité des infrastructures de la plateforme sont nettement insuffisants, voire en voie de dégradation. Ce constat s'applique aussi bien à l'aérogare qu'aux infrastructures de piste.

L'une d'entre elles souligne ainsi « de nombreuses difficultés concernant les services offerts par l'aéroport de Nantes, tant sur le plan des opérations que de l'expérience pour les voyageurs » et estime que « le retard de modernisation sature les infrastructures ».

Selon cette compagnie, « les zones d'enregistrement et d'embarquement ne disposent pas aujourd'hui de la capacité nécessaire pour prendre en charge convenablement les voyageurs et leur faire bénéficier d'un niveau de service adéquat. » S'agissant de la piste, de manière encore plus préoccupante, elle précise que la « forte coactivité entre les différents intervenants provoque des situations dangereuses et menace la santé-sécurité de nos salariés ainsi que la sécurité des vols ». À ce sujet, la FNAM ajoute que la piste, du fait de son usure, « possède sur une partie de sa surface des irrégularités qui conduisent à des atterrissages très durs » et que « ces défauts pourraient à terme représenter un danger pour la sécurité des vols ».

Une autre compagnie met ainsi en avant que « les conditions d'accueil des clients sont très dégradées ». Elle précise : « l'aéroport de Nantes est celui où nous enregistrons les taux de satisfaction les plus bas. [...] Les installations se révèlent être aujourd'hui sous-dimensionnées et obsolètes au regard des niveaux de trafic réalisés par l'aéroport, au détriment tant du confort des passagers que de la sécurité du personnel, des opérateurs et de l'image de marque de la métropole nantaise et de la région ».

Au cours d'un déplacement à Nantes en novembre 2023, le rapporteur a pu constater in situ la saturation du terminal. Il s'y est pourtant rendu un jour de semaine et à une période de l'année où le trafic aérien est loin d'être le plus dense. L'état de saturation du terminal est encore bien plus important lors des week-ends et en période estivale, périodes où le trafic aérien atteint un pic.

En définitive, si des travaux ont été réalisés par l'actuel concessionnaire depuis 2019 à la suite de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes ceux-ci demeurent nettement insuffisants pour assurer une qualité de service adéquate, tant pour les compagnies aériennes que pour les voyageurs.

b) Desserte de l'aéroport et de la région nantaise en transports collectifs : des améliorations qui tardent à se concrétiser 

En dépit des objectifs fixés en 2019, la desserte de l'aéroport en transports collectifs demeure peu satisfaisante. Une navette relie le centre-ville de Nantes et l'aéroport, et deux lignes de bus (38 et 98) desservent également l'aérogare. L'aéroport n'est cependant pas desservi par le tramway. Cette situation s'explique notamment par la fermeture programmée de l'aéroport de Nantes Atlantique jusqu'en 2018.

Pendant des années, le projet de transfert de l'aéroport a en effet conduit les collectivités territoriales à ne pas s'engager dans la réalisation de nouvelles offres de services ou infrastructures urbaines ou interurbaines pour améliorer la connectivité de l'aéroport. Face à ce constat, le Gouvernement a entendu faire de l'amélioration de la desserte de l'aéroport une priorité : il s'agissait du deuxième projet du Contrat d'avenir des Pays de la Loire et cet engagement a été repris parmi les 31 mesures en faveur de l'aéroport dévoilées en octobre 2019.

Le 12 février 2021, a été publié conjointement par Nantes Métropole, la région Pays de la Loire et la préfecture de région un schéma directeur d'accessibilité de l'aéroport de Nantes Atlantique. Le scénario retenu dans ce document prévoit la création d'une ligne de bus à haut niveau de service (BHNS) entre la gare de Nantes et l'aéroport. En complément, une halte ferroviaire à proximité de l'aéroport sur la ligne Nantes - Saint Pazanne, qui sera desservie par le BHNS, sera également mise en service.

Cependant, le calendrier de mise en oeuvre de ces projets est contrarié par le report des travaux de modernisation de l'aéroport. En particulier, les travaux relatifs la création de la halte ferroviaire ont vocation à être lancés concomitamment au réaménagement de l'aéroport. Nantes Métropole souligne à cet égard que « l'absence de projet de modernisation dans les délais initialement annoncés à la suite de la décision du 29 septembre 2023 de déclaration sans suite de l'appel d'offres engagé en 2019 [...] ne permet pas aux collectivités concernées et en premier lieu, Nantes Métropole de penser les interfaces nécessaires entre les projets de manière à concevoir la nécessaire intermodalité à toutes les échelles et assurer l'ancrage territorial de la plateforme dans son environnement en lien avec le pôle économique adjacent ».

Le Gouvernement s'est aussi engagé à améliorer la desserte ferroviaire de la région, et notamment s'agissant de la liaison ferroviaire entre Nantes et Paris. Quatre ans plus tard, les progrès constatés sur ce sujet sont encore insuffisants.

Des travaux de régénération du réseau ont certes été menés entre Le Mans et Nantes entre 2019 et 2023 pour un total de 134,5 M€.

Cependant, contrairement à ce qui était prévu dans le Contrat d'avenir, la liaison Nantes/Paris ne fait pas partie des premiers axes ferroviaires identifiés pour bénéficier du nouveau mode de signalisation répondant aux standards européens, l'ERTMS 2. Des études préliminaires ont bien été lancées, cependant, la mise en service de l'infrastructure ne devrait avoir lieu qu'entre 2030 et 2041, et les trains ne devraient être adaptés à cette nouvelle technologie qu'entre 2035 et 2039. Le Contrat d'avenir prévoyait pourtant une mise en service au cours de la période 2023-2027. Une mise en oeuvre plus rapide de ce nouveau mode de signalisation aurait pourtant permis d'accélérer le cadencement des trains sur cette ligne saturée en heures de pointe et d'améliorer la qualité de service. Le Premier ministre avait d'ailleurs souligné en 2019 « l'importance que revêtent les signalisations modernes et les plus performantes [...] qui font la différence dans l'exploitation efficace et fluide d'une ligne ferroviaire ».

Par ailleurs, la qualité de service de la liaison entre Paris et Nantes pâtit de la configuration des infrastructures entre Massy et Valenton, en Île-de-France. Une zone de croisement entre les lignes de RER et les trains à grande vitesse entraîne en effet des difficultés de circulation. Des travaux ont donc été prévus pour créer une deuxième voie uniquement dédiée à ces derniers. Ils s'organisent en deux phases : une première phase concerne la partie est du secteur, et une seconde, la partie ouest. La première partie des travaux a été achevée en 2021. L'État s'est en outre engagé à mettre en service la section ouest du projet entre 2023 et 2027 dans le cadre du Contrat d'avenir. Des travaux, encore en cours de finalisation, se sont déroulés à l'été 2023. Cependant, d'autres opérations sont encore nécessaires et devraient être lancées prochainement, une fois les financements identifiés.

2. L'appel d'offres sur la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique : « beaucoup de bruit pour rien »
a) La remise en concession de l'aéroport de Nantes Atlantique : une procédure laborieuse, victime d'un « atterrissage forcé »

Si des aménagements de court terme sont indispensables, ceux-ci ne suffiront pas à résoudre totalement les problèmes structurels liés à de la mauvaise qualité de service présentée par l'aéroport de Nantes Atlantique. Or, près de six ans après l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes et malgré de nombreuses promesses formulées en 2019, l'État n'a pas été en mesure de mener à bien la procédure de renouvellement de la concession de l'aéroport.

Le calendrier initial de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique annoncé par le Premier ministre en 2019 était précis et ambitieux. Il s'agissait de « désigner le nouvel exploitant avant la fin de l'année 2021 et [de] commencer les travaux de réaménagement complet dès le début de l'année 2022 ». Le réaménagement de l'aéroport était d'ailleurs le premier projet mentionné dans le Contrat d'avenir, ce qui atteste du caractère central et prioritaire de cet enjeu.

Chronologie de la procédure d'appel d'offres sur le renouvellement de la concession de Nantes Atlantique

- 31 octobre 2019 : publication de l'avis de concession

- 7 janvier 2020 : date limite de remise des candidatures

- 17 mars 2020 : début de la crise sanitaire liée à la Covid-19 (1er confinement)

- 4 avril 2020 : information des sociétés ou groupements des suites données à leurs candidatures (trois candidats admis à présenter une offre)

- 8 avril 2022 : envoi aux candidats admis à présenter une offre de la base de données (« data room »)

- 1er juillet 2020 : transmission du dossier de consultation des entreprises (DCE) aux candidats (remise des offres fixée au 14 décembre 2020)

- Juillet 2020 : visites de terrain sur les aéroports de Nantes Atlantique et Saint-Nazaire Montoir par les candidats organisées par l'État et prise de vidéos des deux plateformes par drone

- 20 juillet 2020 : retrait d'un candidat

- 14 et 15 octobre 2020 : nouvelles visites de terrain des candidats

- 16 octobre 2020 : réception des dossiers préliminaires et notes de commentaires, conduisant à organiser des auditions des candidats

- 18 et 19 novembre 2020 : premier cycle d'audition des candidats

- 3 décembre 2020 : nouvelle visite de terrain

- 29 janvier 2021 : remise par les candidats de notes d'analyse et de propositions sur le modèle de régulation économique, à la demande de l'État

- Nouvelle date de remise des offres fixée au 13 septembre 2021

- Janvier à juin 2021 : nouvelles investigations réalisées à la demande des candidats, et nouvelles visites de terrain hors concession

- Mars 2021 : second cycle d'audition des candidats, incluant des échanges avec la métropole et la région

- 8 juillet 2021 : entretien des candidats avec la CARENE (élus concernés par l'aéroport de Saint-Nazaire Montoir, qui doit servir d'aéroport provisoire durant la fermeture de piste de l'aéroport de Nantes Atlantique pour les travaux de piste)

- 9 juillet 2021 : entretien des candidats avec les garantes du débat public organisé par la CNDP en 2019

- 3 août 2021 : envoi d'un DCE modificatif intégrant notamment des modifications relatives au modèle de régulation économique

- 30 septembre 2021 : par suite de la demande de la DGAC, remise par les candidats de notes de commentaires sur la qualité de service et le développement durable, le délaissement, le bouclage financier, le plafonnement des tarifs et la clause de bonne fortune

- 31 octobre 2021 : envoi d'un DCE modificatif intégrant des modifications sur la qualité de service, le développement durable, le délaissement

- 7 décembre 2021 : report de six mois de la date de remise des offres en raison des incertitudes liées à la nouvelle vague COVID (émergence du variant Omicron)

- 3 mai 2022 : retrait d'un second candidat

- 28 juin 2022 : remise de l'offre du dernier candidat

- 30 novembre 2022 - 12 décembre 2022 : échanges de courriers entre la DGAC et le dernier candidat

- Janvier-février 2023 : auditions avec ce candidat

- 24 avril 2023 : réunion de la Commission d'appel d'offres portant sur l'analyse de l'offre

- 26 avril 2023 : audition du candidat par la Commission d'appel d'offres

- 22 septembre 2023 : la Commission d'appel d'offres rend son avis

- 28 septembre 2023 : déclaration sans suite de la procédure d'appel d'offres liée à l'absence de concurrence

Source : DGAC

Certes, l'appel d'offres a bien été lancé dans les délais promis par le Gouvernement : l'avis de concession a ainsi été publié dès le 31 octobre 2019.

En avril 2020, trois candidats ont été admis à présenter une offre et le 1er juillet 2020, le dossier de consultation des entreprises (DCE) a été transmis aux candidats. Malgré la crise sanitaire, la mission réaménagement de l'aéroport Nantes Atlantique, structure ad hoc créée pour piloter la procédure au sein de direction générale de l'aviation civile (DGAC), a donc fait en sorte que le calendrier soit tenu.

Toutefois, très rapidement, des difficultés sont intervenues dans le déroulement de la procédure : le 20 juillet, un premier candidat se retire de l'appel d'offres. En mai 2022, un second candidat décide également de se retirer.

Selon les informations recueillies par le rapporteur, plusieurs points soulevaient de particulières difficultés pour les candidats.

La première difficulté est la décision d'inclure dans le cahier des charges de l'appel d'offres un allongement de 400 mètres de la piste de l'aéroport. Alors que les études menées par la DGAC n'ont pas permis d'établir que cette solution pourrait apporter des gains acoustiques perceptibles et que les candidats mettaient en avant les difficultés contentieuses que pourraient poser les procédures d'expropriation nécessaires, le Gouvernement décide au printemps 2021 de maintenir cet allongement dans l'appel d'offres.

La seconde difficulté concerne la déclaration d'utilité publique du projet. De façon peu usuelle, la DGAC afin, selon elle, de gagner du temps, décide qu'il reviendra au candidat retenu de mener la procédure en vue de l'obtention de la déclaration d'utilité publique censée permettre les principaux aménagements nécessaires au projet -- responsabilité qui incombe habituellement à l'administration.

Dans cette situation, seul un candidat - le concessionnaire sortant - remet une offre en juin 2022.

Or, dès l'été 2022, la DGAC constate l'insuffisance de cette offre, mais décide malgré tout d'entamer des discussions avec le candidat. Elle lui transmet donc près de 600 questions sur son offre entre les mois d'août et d'octobre 2022. À la fin du mois de novembre 2022, un courrier est adressé au candidat pour lui faire part du caractère « très insatisfaisant » de son offre. Plusieurs auditions du candidat sont ensuite menées en début d'année 2023 pour étudier les possibilités de faire évoluer son offre.

Il faut attendre le 29 septembre 2023 pour que le Gouvernement annonce dans un communiqué de presse que l'appel d'offres est déclaré sans suite « pour un motif d'intérêt général tiré de l'insuffisance de concurrence ».

Or, entre le moment où la DGAC a identifié les premières insuffisances de l'offre de Vinci et l'abandon de la procédure, environ une année s'est donc écoulée. Cet important délai a été consacré à des négociations entre la DGAC et le candidat, qui n'ont pas permis de parvenir à un accord. Il ressort des auditions menées par le rapporteur que la DGAC et le candidat ont eu une perception sensiblement différente du déroulement de la procédure. Des divergences de vues sont apparues de manière assez précoce au cours de l'appel d'offres, ce qui interroge sur les délais pris par la DGAC pour prendre acte de l'impossibilité de conclure positivement la procédure.

Vinci a en effet souligné avoir « répondu à chacune des phases de l'appel d'offres et soumis une offre conforme au cahier des charges, complète, engageante et répondant à toutes les demandes formulées par le concédant ». Il considère que cette procédure « inhabituellement et excessivement longue » est due à deux facteurs, la complexité du cahier des charges et le manque de communication de l'État. Selon lui, « les échanges avec les services de l'État ont été marqués par des lacunes de communication et plusieurs revirements de la part de l'État ».

En résumé, les services de l'État estiment que le cahier des charges faisait porter une part substantielle des risques sur le concédant et que le dernier candidat en lice a rendu une offre insuffisante. Celui-ci considère en revanche que la complexité du dossier, d'une part, notamment compte tenu des lourdes procédures administratives à mettre en oeuvre (déclaration d'utilité publique en particulier) et les aléas et risques inhérents à ce dossier, d'autre part, amenaient à une allocation des risques défavorable au concessionnaire.

En définitive, il apparaît que certains choix opérés par le Gouvernement afin d'accélérer la procédure ont pu contribuer à nourrir de profondes divergences de vues entre le concédant et les potentiels concessionnaires.

b) La modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique renvoyée aux calendes grecques

À la suite de l'annulation de l'appel d'offres le 29 septembre dernier, la procédure d'attribution de la concession doit, pour ainsi dire, repartir à son commencement.

Clément Beaune, ministre chargé des transports, s'est rendu le 2 octobre dernier à Nantes et a annoncé le lancement de la procédure d'appel d'offres d'ici la fin de l'année 2023. L'avis de concession a été publié le 14 décembre dernier. La remise des offres est prévue d'ici mars 2024.

Lors d'un second déplacement à Nantes le 15 novembre dernier, le ministre a clarifié le calendrier de la nouvelle procédure de remise en concession. Après la publication de l'avis de concession, suivie en 2024 de la transmission du cahier des charges à d'éventuels candidats, des négociations devraient s'établir avec ces derniers jusqu'en 2025. Le nouveau contrat devrait donc être signé en 2026.

Par conséquent, des travaux d'ampleur ne pourraient commencer à être menés qu'en 2027 à l'aéroport de Nantes Atlantique, soit près de dix ans après l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes.

Si on peut saluer le caractère ambitieux de ce calendrier et la volonté de relancer la procédure sans attendre, au regard des difficultés rencontrées lors du précédent appel d'offres, rien n'assure que les délais indiqués seront tenus. Malheureusement, la seule certitude dont disposent les acteurs locaux et usagers de l'aéroport est donc que les travaux de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique seront reportés et que le service rendu ne devrait pas substantiellement s'améliorer dans les prochaines années.

Or, les prévisions d'augmentation du trafic aérien à Nantes Atlantique induisent des difficultés structurelles qui risquent d'aggraver les problèmes de qualité de service rencontrés.

Depuis le début des années 2000, on observe une hausse tendancielle du nombre de mouvements et de passagers à l'aéroport de Nantes Atlantique.

Évolution du nombre de vols et de passagers à Nantes Atlantique depuis 2000

La DGAC anticipe qu'en 2030, cet aéroport accueillera 8 millions de passagers par an, contre 7,2 millions en 2019, année qui a constitué un « pic » pour l'activité de l'aéroport, à la veille de la crise sanitaire. Quant au nombre de mouvements annuels, il pourrait passer de 43 200 en 2022 à 57 000 en 2030, sans atteindre toutefois, selon les prévisions, le record de 2019 qui était de 63 000 vols. En outre, l'aéroport devrait accueillir environ 9,2 millions de passagers en 2040. Ces estimations doivent en outre être mises en regard avec l'important dynamisme démographique de la région Pays de la Loire, qui est susceptible d'induire un accroissement du trafic aérien.

Or, à l'été 2023, les infrastructures aéroportuaires étaient d'ores et déjà pour partie saturées. Sur certains créneaux horaires, le concessionnaire n'était d'ailleurs pas en mesure de répondre à la demande des compagnies, comme l'indique le graphique ci-dessous.

Nombre de passagers constatés au départ à Nantes Atlantique à l'été 2023 (sur 24 h type)

Source : éléments transmis par AGO.

En l'état actuel des choses et dans l'attente des travaux de modernisation de l'aéroport, ces difficultés ne peuvent que s'aggraver dans les prochaines années.

Or, l'aéroport de Nantes Atlantique est l'un des deux plus importants aéroports de l'ouest de la France avec Bordeaux Mérignac. Les élus locaux attendent de cette plateforme qu'elle accompagne le dynamisme du territoire et qu'elle assure une connectivité fiable et efficace du Grand Ouest avec le reste du pays et du monde.

Pour les acteurs socio-économiques, disposer d'un aéroport performant à même de désenclaver efficacement la région et d'assurer une desserte de nombreuses destinations avec des vols nombreux et réguliers est une condition de développement économique. Selon une étude du cabinet Utopies réalisée en 2020 à la demande de Vinci Airports, ce sont environ 27 000 emplois qui sont soutenus par l'aéroport. La plateforme aurait une contribution directe et indirecte de 1,5 Md € au produit intérieur brut (PIB) français, dont environ la moitié en Loire-Atlantique.

Cependant, en pratique, la vétusté actuelle de l'aéroport limite l'ampleur de ces impacts positifs pour la région. Plusieurs acteurs ont en outre souligné que l'état de la plateforme nuit à l'image de la région, car il induit une mauvaise « première impression » du territoire pour les visiteurs qui atterrissent à Nantes.

Il est donc urgent que le nouvel appel d'offres réponde pleinement aux aspirations des acteurs du territoire, qui réclament au plus vite un aéroport accueillant, sûr et moderne, répondant aux standards internationaux en la matière.

3. Un constat largement partagé : de multiples errances des services de l'État et une incapacité à susciter la confiance des élus locaux et des populations

La déception et l'émoi suscités par l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes auraient dû conduire l'État à redoubler d'efforts en matière de dialogue et de transparence, afin de renouer le lien de confiance avec le pays nantais et d'assurer la réussite de l'appel d'offres sur la modernisation de Nantes Atlantique. Pourtant, force est de constater que ces efforts n'ont pas été à la hauteur des attentes, voire qu'ils ont été négligés.

Les acteurs locaux rencontrés par le rapporteur, aussi bien les élus que les associations de riverains, dénoncent unanimement un manque de transparence et même « une culture de l'opacité » de la DGAC, qu'ils ont ressentie dans la conduite de ce dossier. Un maire d'une commune de l'agglomération nantaise a même déclaré au rapporteur que les élus locaux avaient l'impression de faire face à une « volonté de cacher ».

Les acteurs mettent en avant des procédures de concertation très insuffisantes, au cours desquelles les informations fournies étaient bien souvent parcellaires, mais aussi des décisions prises sans réelle prise en compte des propositions formulées par les acteurs du territoire.

Ainsi, alors que le projet de modernisation de l'aéroport de Nantes aurait dû marquer un nouveau départ après les années d'errances sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes, les acteurs ne semblent pas constater de véritable changement de méthode de la part du Gouvernement : ils décrivent au contraire une procédure marquée par un manque d'écoute vis-à-vis du territoire et des décisions et revirements difficilement compréhensibles.

La question de l'allongement de la piste est à cet égard symptomatique de ces difficultés.

L'allongement de la piste : un exemple des errements de la puissance publique dans la gestion du projet de modernisation de l'aéroport

La piste actuelle de l'aéroport mesure 2  900 mètres de long. Un éventuel allongement de la piste vers le sud permettrait de limiter l'impact sonore des survols de Nantes dans la mesure où la trajectoire des avions serait légèrement modifiée si bien qu'ils survoleraient la ville à plus haute altitude. D'autres projets de plus forte ampleur ont aussi été étudiés, comme la création d'une nouvelle piste perpendiculaire à la piste actuelle.

Deux scénarii d'allongements ont été étudiés. L'un prévoyait un allongement de 800 mètres, l'autre de 400 mètres. Le jour de l'annonce de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, le 17 janvier 2018 le Premier ministre a déclaré que « la procédure pour l'allongement de la piste sera engagée ». Un an plus tard, le 8 février 2019, il, considérait cependant que « toutes les hypothèses sont sur la table ».

Lors de la concertation menée sur la modernisation de l'aéroport en 2019, les options d'un allongement de la piste ou d'une simple réfection sont apparues préférables aux participants, sans qu'un consensus clair ne se dégage sur l'une des options. La DGAC décide de retenir un allongement de la piste de 400 mètres dans le cahier des charges de l'aéroport et l'annonce au mois d'octobre. C'est la quinzième des 31 mesures annoncées par l'État relatives à la modernisation de l'aéroport.

Cette décision a été prise bien que l'allongement soit de nature à induire des nuisances supplémentaires à Saint-Aignan-Grandlieu et qu'il implique, de fait, un rapprochement de la piste par rapport au lac de Grand-Lieu, qui est une zone naturelle exceptionnelle protégée notamment au titre de la convention de Ramsar et classée zone Natura 2000.

Dès 2021, les candidats à l'appel d'offres de renouvellement de la concession font part de réticences sur cet aménagement, qui implique d'acquérir de nouvelles emprises, dont certaines sur des zones naturelles à proximité immédiate de zones protégées. Parallèlement, des études complémentaires sont menées par la DGAC. Selon les informations qu'elle a transmises au rapporteur, celles-ci «  ont montré que le gain acoustique était très faible (moins de 1 dB en bruit instantané, et à moins de 0,5 dB en moyenne Lden), et en tout état de cause inférieur au seuil de perception de l'oreille humaine (environ 3 dB) ».

La DGAC recommande donc de supprimer l'allongement de la piste du cahier des charges de l'appel d'offres. Cependant, cette option est finalement maintenue dans le cahier des charges.

La DGAC, au contraire, considère avoir mené son travail en toute transparence. Elle a rappelé que s'est tenue du 27 mai au 31 juillet 2019 une concertation sur le projet de réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique sous l'égide de deux garantes désignées par la Commission nationale du débat public (CNDP). Selon la DGAC, cette concertation a permis « un temps de dialogue entre l'État et les parties prenantes au projet et, également, entre les parties prenantes. Les échanges ont été nombreux, riches et argumentés. La concertation a aussi été un temps de débat. [...] Les enseignements que l'État, en particulier la DGAC, tire de la concertation sont riches. Ils ont permis à l'État d'approfondir sa réflexion, d'éclairer la formation de sa décision et d'adapter la conception du projet de réaménagement ».

Elle met en avant la mise en place d'une « gouvernance du projet de réaménagement transparente et ouverte à l'ensemble des parties prenantes » à travers la création de nombreuses structures ad hoc parmi lesquelles :

- un groupe contact qui se réunit mensuellement afin de tenir les collectivités territoriales informées du projet et échanger à son propos ;

- un comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités territoriales (CSEECT) : il réunit des élus, les services de l'État, les chambres consulaires, des associations de riverains, des associations environnementales, des organisations professionnelles et syndicales. Il s'est réuni quatre fois depuis 2019 ;

- la commission consultative de l'environnement (CCE) de l'aéroport de Nantes Atlantique ;

- un observatoire de Nantes Atlantique chargé d'étudier les effets de la présence de l'aéroport sur le territoire, comportant un collège scientifique et technique chargé de valider la qualité méthodologique, scientifique et technique de ses productions ;

- un groupe de travail sur la modification de trajectoires de La Chevrolière, qui a été effectuée dans le cadre d'une expérimentation.

La DGAC a aussi organisé plusieurs consultations et réunions publiques, parmi lesquelles :

- une consultation publique par voie électronique sur le projet d'arrêté instaurant un couvre-feu en programmation sur les vols entre minuit et 6 heures du matin (cf. infra : C du présent I) ;

- une consultation publique par voie électronique sur le projet de plan de prévention du bruit dans l'environnement de l'aérodrome de Nantes Atlantique ;

- deux réunions publiques d'information sur la modification de trajectoire de La Chevrolière.

Un site internet consacré au projet de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique a également été créé.

Ces nombreuses structures de concertation et réunions publiques traduisent assurément une volonté de transparence de la part des services de l'État.

Les acteurs locaux soulignent pourtant une écoute insuffisante, certains évoquant le sentiment d'une dichotomie entre les « sachants » des services ministériels et les « empiriques » issus du territoire.

Ce sentiment est particulièrement prégnant sur la manière d'appréhender les nuisances sonores aériennes, qui a suscité de profonds désaccords entre les élus et riverains, d'une part, et la DGAC, d'autre part. Un exemple fournit à cet égard une illustration éclairante : celle de l'expérimentation du changement de couloir aérien menée à l'automne 2022.

« Ils ont mis le feu dans la commune » : retour sur l'échec de l'expérimentation de changement des couloirs aériens en 2022

Les aéronefs décollant face au sud effectuent actuellement un virage au-dessus de la commune de la Chevrolière. Il en résulte de nombreuses nuisances pour ses habitants.

Afin d'en diminuer le niveau, la DGAC a étudié une possibilité consistant à modifier la trajectoire des aéronefs afin qu'ils passent entre les communes de la Chevrolière et de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Près de 600 habitants devaient être concernés par de nouvelles nuisances d'un bruit faible à modéré et 7 pour un bruit modéré à fort. Cet impact devait être compensé par de nombreux gains pour les habitants de la Chevrolière, si bien que, in fine, l'exposition au bruit totale devait fortement diminuer. L'exposition à un bruit modéré à fort devait toucher 3 300 personnes de moins et l'exposition à un bruit faible à modéré 1 000 personnes de moins.

La DGAC a donc lancé une expérimentation de mise en oeuvre de cette trajectoire du 8 septembre au 8 novembre 2022. Cependant, celle-ci est loin d'avoir été concluante.

Alors que la commune de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu ne devait compter que 400 personnes touchées par les nuisances, le maire de la commune estime le nombre réel de personnes concernées à 4 000. Le premier jour de l'expérimentation, de nombreux habitants étonnés ont appelé la mairie dont le standard a été saturé. À la demande du maire de la commune, une réunion d'information a été organisée le 19 octobre en présence de représentants de la DGAC. Environ 800 personnes étaient présentes selon les estimations de la mairie, pour manifester leur mécontentement.

Cette expérimentation a également été menée de façon « hasardeuse » selon le maire de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Lors de sa conception, un seul appareil de mesure du son a été disposé sur le territoire de la commune pour évaluer les effets de l'expérimentation, ce qui rendait impossible l'obtention de mesures fiables pour tous les hameaux de celle-ci. Le maire de la commune a obtenu, au cours de l'expérimentation, qu'un second appareil soit installé.

Il a confié au rapporteur que cet épisode avait « mis le feu dans la commune » et alimenté un sentiment de défiance vis-à-vis des services centraux dans la conduite de ce dossier.

En définitive, la DGAC n'a pas donné suite à cette expérimentation.

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