B. Un droit du travail protecteur et des syndicats puissants

L'Inde, qui est membre de l'organisation internationale du travail et a ratifié les conventions adoptées sous son égide, a, sur le plan interne, une législation du travail beaucoup plus protectrice que la Chine.


Une législation très protectrice

Aux quelque cinquante textes que comporte la législation fédérale applicable aux relations industrielles s'ajoutent les mesures particulières prises par les 25 États fédérés et les 7 territoires pour mettre en oeuvre leur propre politique en ce domaine.

La loi de base est « l'Industrial Disputes Act » de 1947, qui régit les conditions de travail dans les entreprises industrielles, le régime des contentieux entre salariés et employeurs, le droit de grève, le « lock out », les licenciements, ainsi que les procédures arbitrales et judiciaires. Elle définit les règles minimales à respecter en matière de durée légale du travail.

Le salaire minimum, ainsi que le régime indemnitaire des salariés sont fixés dans chaque État de l'Union par les pouvoirs locaux, qui sont également chargés de définir le régime des heures de travail, des heures supplémentaires et des jours de congé hebdomadaire, pour les travailleurs situés dans leur ressort. Les deux jours de repos hebdomadaires peuvent varier d'une localité à l'autre.

Il convient de noter que la grande majorité des textes relatifs à la protection sociale en Inde ne s'appliquent pas aux travailleurs relevant du « secteur informel » (entreprises de moins de 10 salariés), qui employait, en 1994-1995, 85 % de la population active indienne.

Toutefois, différentes lois fédérales prévoient des mesures protectrices au bénéfice des travailleurs percevant les salaires les plus bas : régime de bonus pour les salaires inférieurs à 2.000 roupies, versement par certaines entreprises industrielles d'une contribution à un fonds d'entraide (8,3 % à 10 % des salaires pour les salariés percevant moins de 3.500 roupies) ; régime de protection sociale (maladie, maternité, accidents du travail) pour ceux dont les salaires n'excèdent pas 3.000 roupies.

Des procédures de négociation, de conciliation et d'arbitrage sont prévues en cas de conflit.

L'ensemble de ces règles, qui se comparent à celles en vigueur dans les grands États industriels occidentaux, est complété par un dispositif rigide de droit au maintien dans l'emploi (« Exit Policy »).

L'importance du chômage en Inde rend, en effet, problématique toute suppression nouvelle d'emplois. Dans l'état actuel de la législation, le licenciement individuel ou collectif est soumis à des règles très difficiles à remplir, dans les établissements de plus de 100 salariés. Ces établissements ne peuvent ni fermer, ni licencier même un seul ouvrier, sans qu'un préavis de trois mois ait été donné, et qu'ait été accordée, une autorisation administrative, en pratique très difficile à obtenir. Selon les sources officielles, entre 1988 et 1993, les autorités auraient donné leur accord à des licenciements dans 95 cas, sur 165 qui leur avaient été soumis. L'ajustement que pourrait permettre la réduction des effectifs, pour les entreprises en difficulté ou pour celles qui souhaitent effectuer une restructuration, n'est, en fait, guère envisageable. Le manque de souplesse du système n'est sans doute pas étranger au fort taux de faillite des entreprises en Inde : 23 % en moyenne annuelle entre 1976 et 1991.

Plutôt que de laisser disparaître les entreprises industrielles en cessation de paiement, l'État a ainsi été conduit, à partir des années 1980, à reprendre le contrôle d'un grand nombre d'entre elles pour préserver l'emploi, notamment dans les industries en crise (textile, engineering...), ce qui a gonflé d'autant le secteur public.

L'emploi est également protégé dans les autres secteurs :

- de nombreux emplois de proximité (assurés par les « péons », hommes à tout faire) sont maintenus ;

- la fonction publique offre des emplois réservés à certaines catégories de la population. En tout état de cause, les réductions d'effectifs y sont exclues. On comprend, dans ces conditions, que la dérégulation, malgré le désengagement administratif qu'elle implique, n'ait pas eu d'impact sur le nombre des fonctionnaires.


Des syndicats organisés et agissants

À cette forte rigidité du marché du travail, s'ajoute le poids de syndicats bien organisés et puissants.

On dénombre environ 50.000 syndicats en Inde. Cependant, 8.000 d'entre eux seulement sont actifs et fournissent aux autorités le rapport d'activité que la loi (Trade Union's Act de 1926) leur prescrit de présenter chaque année.

Les syndicats indiens sont relativement politisés et les principaux partis politiques ont constitué des syndicats dans plusieurs branches industrielles.

La syndicalisation est particulièrement marquée dans l'administration et les entreprises publiques. Les employés des banques privées et des chemins de fer, parmi les mieux rémunérés, sont à la pointe du militantisme syndical.

Le Gouvernement indien est très attentif aux revendications des agents du secteur public, ce qui contraste avec la fermeté dont font preuve les autorités chinoises face aux revendications de leurs propres salariés.

Le secteur agricole est, pour sa part, protégé par le puissant Kissan Lobby.

Les grands secteurs industriels ont connu, à plusieurs reprises, d'importants mouvements de grève. Ainsi, une grève de dix-huit mois qui a mis à genoux les usines textiles de Bombay entre 1982 et 1983, est-elle encore dans les mémoires. Les grèves qui s'étendent sur plusieurs mois ne sont pas rares.

La Mission d'information a été le témoin du lancement d'une grève dans la co-entreprise PAL-Peugeot de Bombay. Le principal motif de cette grève met en relief la résistance syndicale à certains changements techniques et aux mesures d'adaptation.

Les presses en exploitation dans les ateliers de Kalyan qui fabriquent la 309 ne comportaient pas de double commande manuelle. Pour éviter tout accident. Peugeot a exigé l'introduction de ces dispositifs de sécurité, en vigueur dans l'industrie automobile du monde entier. Le syndicat de l'usine redoutant le risque de suppression d'emplois n'a accepté la reprise du travail qu'à la condition qu'un opérateur supplémentaire soit placé aux presses.

Cependant, certains syndicats font preuve de pragmatisme : sous la pression de la concurrence, des chefs d'entreprises ont pu, avec l'accord tacite de leurs syndicats réduire leurs coûts salariaux sans mouvement de grève. Il convient d'ailleurs de noter que le nombre de grèves et de fermetures d'usines par « lock out » a diminué progressivement depuis 1990, passant de 1.825 mouvements enregistrés en 1980 à 1.400 en 1993, soit une baisse de 23,6 %.

L'absence de fluidité du marché du travail et l'inadaptation du système aux besoins nouveaux des entreprises pèsent sur le dynamisme de l'économie. Les partisans de la réforme sont conscients de la nécessité d'apporter des modifications importantes au droit du travail, en ce qui concerne notamment le régime des licenciements et les modalités d'intervention des syndicats, afin de permettre le redéploiement des ressources, des secteurs improductifs et non viables vers les secteurs les plus dynamiques. Le Bureau de la reconstruction industrielle et financière, mis en place à la fin des années 1980 pour mener à bien ce redéploiement, n'y est pas parvenu sur la base de la législation en vigueur, de sorte qu'un processus de réforme a été engagé en 1994 :

- un fonds national doté au départ de 2 milliards de roupies a été mis en place pour aider les travailleurs à supporter les changements technologiques et la modernisation. Il devrait assurer le financement des stages de formation et des frais de réemploi des travailleurs affectés par la restructuration industrielle du secteur public, ainsi que les versements d'indemnités compensatrices ;

- plusieurs modifications législatives sont prévues notamment pour permettre les suppressions d'emplois, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'autorisation du Gouvernement de l'État, pour faciliter la fusion des entreprises en difficulté avec celles qui sont en bonne santé et pour raccourcir le processus de liquidation.

Ces modifications ne sont pas encore entrées dans les faits. Leur mise en oeuvre sera complexe dans un pays où le taux de chômage est très élevé. Elles ne sauraient, en tout état de cause, intervenir qu'après les élections législatives.

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