B/ Les niveaux de démantèlement

La correspondance entre le niveau souhaitable et le niveau possible de démantèlement constitue une question délicate qui soulève, comme pour tout ce qui touche au nucléaire, des passions pas toujours justifiées. Comme l'a très bien montré Claude Birraux dans son rapport de l'Office 25 ( * ) , il existe plusieurs stratégies possibles et surtout de nombreuses zones d'ombre sur les limites souhaitables du démantèlement selon les différents types d'INB ou d'INB-S.

La France a adopté le classement en trois niveaux de démantèlement proposé par l'AIEA :

- le niveau 1 consiste à enlever les matières nucléaires, à les envoyer soit vers le retraitement soit vers les centres de stockage, puis à fermer hermétiquement le bâtiment tout en continuant cependant à contrôler la radioactivité à l'intérieur et dans l'environnement ;

- au niveau 2, on procède à la libération partielle de l'installation en enlevant tous les matériels facilement démontables et en réduisant la zone confinée au minimum ;

- le niveau 3 correspond à la libération totale et inconditionnelle du site, qui doit redevenir utilisable sans restriction, les anglophones parlant à ce propos de la théorie du green field : "le retour à la prairie".

Dans la pratique, ces distinctions ne sont pas aussi nettes que dans les documents théoriques et on parle même parfois de niveau 1 renforcé lors de certaines opérations de démantèlement.

Il semble désormais admis que le CEA et les opérateurs qu'il emploie sont techniquement en mesure de réaliser des opérations de démantèlement jusqu'au niveau 3. C'est ainsi que six réacteurs de recherche et six laboratoires et usines du secteur civil ont été totalement démantelés, mais il s'agissait d'installations de petite taille et souvent de faible activité radioactive.

Aujourd'hui, les grandes opérations de démantèlement qui commencent à être entreprises posent des problèmes d'un tout autre ordre.

Ainsi, en 1993, le CEA indiquait pour le réacteur G1 que "le niveau 2 a été atteint à l'exception de l'exutoire et de certains filtres" et que le CEA étudiait "l'éventualité de démanteler G1 jusqu'au niveau 3" 26 ( * ) . En 1996, le CEA indiquait toujours : "Le réacteur G1 [...] est aujourd'hui démantelé au niveau 2 à l'exception de l'exutoire de la cheminée et de certains filtres. Le CEA étudie l'éventualité de démanteler G1 jusqu'au niveau 3." En trois ans, la situation n'avait donc guère évolué et le niveau 3 reste donc un simple objectif à atteindre dans un futur plus ou moins proche mais toujours non défini.

En réalité, doit-on dans tous les cas systématiquement tenter d'atteindre le niveau ultime de démantèlement ?

Comme le faisait remarquer M. Birraux dans son rapport précité, le démantèlement n'a pas pour but de faire disparaître la radioactivité mais simplement de la déplacer pour mieux la contrôler, et de prévenir ainsi tout danger de contamination de l'environnement et des populations proches.

A partir du moment où la radioactivité est contenue de façon sûre dans un bâtiment lui-même inclus dans une enceinte protégée et surveillée, on peut légitimement se demander s'il est bien nécessaire d'entreprendre des opérations coûteuses et risquées pour les personnels chargés de les conduire, dans le seul but de transférer la radioactivité résiduelle dans un centre de stockage.

En ce qui concerne les centrales, il apparaît effectivement raisonnable d'attendre, pour engager les dernières phases du démantèlement, que la décroissance naturelle de la radioactivité rende ces opérations moins dangereuses. Un démantèlement ne constitue jamais, en effet, une opération anodine et sans risque.

Le CEA a choisi, à juste titre, de démanteler totalement, sans attendre, les installations qui risquent de se détériorer ou qui contiennent des éléments à vie très longue pour lesquelles la décroissance naturelle de la radioactivité ne serait obtenue que beaucoup trop tard par rapport à la résistance des bâtiments.

Sur le site de Marcoule, il n'est toutefois envisagé de démanteler les anciennes installations du secteur militaire que jusqu'à un niveau 2 pour les placer en état de sûreté passive qui ne nécessitera plus qu'une surveillance réduite, le niveau 3 restant un objectif toujours possible mais non urgent.

On peut comprendre, pour une ancienne centrale isolée comme celle de Brennilis, que les populations se prononcent pour un démantèlement accéléré jusqu'au niveau 3. En revanche, dans le cas d'installations situées sur un site qui restera consacré aux activités nucléaires, et donc surveillé, un démantèlement total accéléré ne devra être envisagé que si des considérations techniques impératives l'imposent.

Tant que la vocation nucléaire du site de Marcoule ne sera pas remise en cause, les opérations de démantèlement doivent avoir essentiellement pour objectif d'assurer une sécurité maximum sans chercher à atteindre la perfection.

Cette position raisonnable est d'autant plus justifiée que bien des problèmes, en aval du démantèlement, restent à résoudre en particulier pour l'évacuation de certains déchets.

La volonté de maintenir, grâce au démantèlement, un certain volant d'activité sur les centres est certes louable mais elle ne doit pas conduire à engager des opérations complexes sans s'être auparavant assuré la maîtrise de la gestion des déchets qu'elles produisent. Les sites du CEA ne doivent pas se transformer subrepticement en centre d'entreposage à long terme de déchets pour lesquels on n'a pas encore trouvé de solution définitive.

* 25 Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, Claude Birraux, Op. déjà cité.

* 26 Rapport d'activité de la Direction du CEA chargée de la gestion des déchets, années 1993 et 1996.

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