B/ L'entreposage de l'uranium appauvri

La séparation isotopique de l'uranium naturel conduit à produire d'importantes quantités d'uranium appauvri composé principalement d'uranium 238, qui constitue un sous-produit sans utilité dans les conditions actuelles des techniques.

Pour obtenir un kilo d'uranium enrichi à 90 %, il faut en effet utiliser 212 kg d'uranium naturel, ce qui conduit en fin de processus à la production de 211 kg d'uranium appauvri.

Selon certaines sources, il faudrait en moyenne 15 kg d'uranium enrichi pour fabriquer une tête nucléaire. Si la France a, selon les indications données par le Président de la République lors d'une conférence de presse en 1993, environ 600 têtes nucléaires auxquelles il faut ajouter les 192 utilisées lors des essais, on peut estimer que les seules activités militaires d'enrichissement auraient conduit à produire plus de 2 500 tonnes d'uranium appauvri.

L'uranium appauvri, qu'il provienne des activités d'enrichissement civiles ou militaires, est actuellement "entreposé" sur le site de Pierrelatte sous forme d'hexaflorure d'uranium (UF 6) ou d'oxyde d'uranium (U3 O8).

Selon la COGEMA, il faut bien parler d'entreposage et non de stockage car l'uranium appauvri ne serait pas un déchet, l'inventaire des déchets radioactifs de l'ANDRA ne comporte d'ailleurs aucune indication sur cet entreposage.

Un document de la COGEMA, intitulé "L'entreposage de l'oxyde d'uranium appauvri", précise que "l'oxyde d'uranium appauvri est une véritable matière première valorisable par l'application à l'échelle industrielle de nouvelles techniques d'enrichissement en cours d'étude ou lorsque les auditions du marché le permettront" .

De fait, il est probable que les nouvelles techniques d'enrichissement, en particulier par laser, actuellement en cours de développement, pourraient permettre de faire ressortir de l'uranium appauvri les quelques quantités d'uranium 235 qui s'y trouvent encore mais, pour le moment, ce sous-produit reste entreposé sur place après récupération du fluor contenu dans l'UF 6 pour obtenir, d'une part, de l'acide fluorhydrique qui sera utilisé et, d'autre part, de l'oxyde d'uranium U3 O8 plus facile à conserver. L'UF 6 est en effet très corrosif et réagit en présence de l'eau ; il doit donc être conservé dans des conteneurs spéciaux qui nécessitent un entretien régulier, onéreux et qui mobilisent des surfaces très importantes.

En 1990, le site de Pierrelatte avait été autorisé à entreposer 100 000 tonnes d'uranium sous forme d'UF 6. Nous n'avons pas d'information sur les limites d'entreposage de l'U3 O8 mais, en 1993, une publication de la COGEMA 33 ( * ) notait déjà que "les capacités d'entreposage liées à cette usine W (de transformation de l'UF 6 en U3 O8) sont aujourd'hui insuffisantes" .

La COGEMA avait envisagé de transférer ces produits sur un site à Miramas mais l'arrêté préfectoral a été annulé par le tribunal administratif. La COGEMA a alors proposé de créer un centre d'entreposage sur le carreau d'une ancienne usine de concentration de minerai d'uranium à Bessines, ce qui aurait permis de maintenir quelques personnes en activité après l'arrêt de l'extraction et du traitement du minerai. Comme on pouvait s'y attendre, ce projet a été très vivement attaqué par les associations écologistes qui ont introduit des recours contre l'arrêté préfectoral autorisant l'opération. En juin 1996, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête des écologistes mais les oppositions au projet sont toujours aussi virulentes même si elles n'émanent que d'une minorité de la population.

Il faut reconnaître, sans vouloir entrer dans les polémiques entretenues par les opposants au nucléaire, que cette affaire n'est pas très claire.

Selon la COGEMA, en effet, l'uranium appauvri ne constitue pas un déchet. La loi du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets est cependant fort explicite à ce sujet : "Est considéré comme un déchet ultime, un déchet qui n'est plus susceptible d'être traité dans les conditions techniques et économiques du moment." Si on se réfère à cette loi, l'uranium appauvri est bien un déchet puisque ses détenteurs n'en ont aucune utilisation possible "dans les conditions techniques et économiques du moment".

De toute façon, si l'uranium appauvri avait un quelconque intérêt économique dans un avenir prévisible, on le conserverait sous sa forme primitive d'UF 6 et on n'engagerait pas des frais certainement élevés pour le transformer en un composé "extrêmement stable" destiné à un "stockage de très longue durée" . 34 ( * )

De la même manière, si ce sous-produit était véritablement réutilisable, il serait inutile de le transférer de la Vallée du Rhône jusque dans le Limousin. Il serait préférable de la laisser à proximité des usines où il serait susceptible de subir un deuxième cycle d'enrichissement.

En fait, tout repose sur la définition du déchet. Selon les normes actuelles, un produit actuellement inutilisable et pour lequel on recherche un site de stockage à très long terme ne constitue pas un déchet s'il existe une possibilité, même très hypothétique, de le voir un jour revenir comme matière première.

En revanche, si cette possibilité ne se réalise jamais, cette matière première se trouvera alors reléguée au rang de déchet ultime.

* 33 Projet COGEMA sur Bessines, octobre 1993.

* 34 Plus d'usines, plus d'information - Direction de la Communication de la COGEMA, 1990.

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