2°/ LE RETOUR AUX ESSAIS SOUTERRAINS

Comme cela s'était déjà produit au Sahara, les essais aériens français dans le Pacifique ont déclenché de très vives réactions chez différents Etats de cette région.

Les protestations de ces Etats, dont certains, comme l'Australie, avaient pratiqué ou accueilli des essais nucléaires aériens, étaient très certainement disproportionnées par rapport aux dangers réels. Il faut en effet rappeler que, par rapport à Mururoa :

- la Nouvelle-Zélande se trouve à 4 700 km,

- l'Australie à 6 900 km,

- le Pérou à 6 600 km,

- et les Etats-Unis à plus de 6 500 km.

Même si le gouvernement français a toujours considéré ces protestations comme dénuées de toute base scientifique, il a été amené à renoncer à nouveau aux essais aériens et à revenir en 1975 à des tirs souterrains.

Depuis 1971, cette possibilité était à l'étude mais elle posait des problèmes financiers et techniques difficiles à résoudre.

La création d'un champ de tir aux Marquises ou en Métropole ayant été abandonnée, la seule solution qui restait était d'organiser les tirs souterrains à partir des deux atolls déjà utilisés pour les essais aériens. Quand on voit sur place l'étroitesse de la bande de terre émergée, on comprend qu'il s'agissait là d'un véritable défi technique dont les conséquences n'avaient certainement pas, au départ, été toutes parfaitement prévues.

Si les Américains et les Russes avaient pu disposer de vastes étendues désertiques dans lesquelles les champs de tir proprement dits ne représentaient qu'une très faible surface, il fallait en effet, à Mururoa, faire cohabiter sur quelques kilomètres carrés à la fois les polygones de tir, les équipements de surveillance et de mesure et la base de vie sur laquelle devaient séjourner plusieurs milliers de personnes : militaires, techniciens du CEA et employés polynésiens.

Mais, plus que la question de place, c'est la géologie même des atolls qui a suscité le plus d'interrogations et de craintes.

A/ La structure géologique des atolls

Comme tous les autres atolls du Pacifique, les îles de Mururoa et de Fangataufa ont été constituées sous l'effet de phénomènes volcaniques.

Leur formation est, en effet, désormais attribuée à l'existence de "points chauds" qui, en générant du magma, ont peu à peu créé un édifice volcanique solidaire du plancher océanique.

Lorsque cet édifice a été proche de la surface de la mer, des éruptions explosives ou simplement effusives ont accumulé des matériaux sur le socle original, ce qui a fini par former des massifs volcaniques émergés du type de ceux qui existent dans les "îles hautes" comme Tahiti ou Bora-Bora.

Dans d'autres cas cependant, la dérive de la plaque océanique a décalé les points chauds par rapport aux massifs volcaniques qu'ils avaient créés avant que ceux-ci aient atteint une taille très importante. Dès lors, l'érosion aurait condamné ces îles à la disparition si les coraux n'avaient pas entrepris une seconde phase d'édification.

En simplifiant un peu, on peut donc considérer que les atolls du type de ceux de Mururoa et de Fangataufa sont constitués de trois formations géologiques différentes :

- du fond de l'océan à quelques centaines de mètres au-dessous du niveau de la mer, il existe une première formation due au volcanisme sous-marin constituée de basaltes ou de roches qui en dérivent ;

- au-dessus se trouve une deuxième couche qui a été constituée par le volcanisme aérien ;

- et enfin la partie supérieure, sur une épaisseur qui varie de 130 à 450 mètres à Mururoa, est constituée d'une couverture carbonatée (calcaires et dolomites) composée de débris d'organismes vivants qui se sont accumulés, au fil des siècles, sur les formations sous-jacentes.

Contrairement aux essais aériens où l'on compte sur la dispersion de la radioactivité, la logique des tirs souterrains consiste à confiner au maximum tous les éléments radioactifs dans la roche où ces tirs sont effectués. Celle-ci doit donc répondre à trois conditions précises :

- être susceptible de résister aux chocs résultant des explosions ;

- ne pas présenter de failles importantes ;

- ne permettre qu'une très faible circulation des eaux.

Selon les responsables du CEP, les études géologiques entreprises dès le début des essais aériens avaient démontré que le socle basaltique de ces atolls "se prête parfaitement à de telles expériences" . 48 ( * )

On peut toutefois se demander ce qui serait arrivé si ces reconnaissances géologiques avaient conduit à conclure que la géologie de ce site n'était absolument pas appropriée.

Toujours selon les responsables des essais, le premier forage n'a été, en fait, réalisé qu'en 1974, soit quelques mois seulement avant le premier tir souterrain. Ce premier forage a révélé "la présence dans certaines zones de niveaux argileux fracturés ou karstifiés, observés lors des forages de reconnaissance ; et le manque d'expérience sur le comportement des niveaux massifs ont amené à tuber ce premier forage sur toute sa hauteur soit environ 600 m" . 49 ( * )

Certains commentateurs n'ont pas manqué de faire remarquer que la France, qui ne disposait pas d'autres solutions, devait de toute façon s'adapter aux conditions géologiques de son seul site disponible et que les impératifs politiques et économiques devaient finalement l'emporter sur toute autre considération géologique ou technique.

D'ailleurs, comme le fait remarquer M. Bruno Barillot 50 ( * ) , si des études géologiques ont bien été entreprises à Mururoa dès l'installation du CEP sur ce site, il n'en a certainement pas été de même à Fangataufa car toutes les études citées par la DIRCEN sur cet atoll sont postérieures à 1988 alors que les deux premiers essais souterrains à partir de cette île datent de 1975 (Achille 5 juin 1975 et Hector 26 novembre 1975).

* 48 La Dépêche de Tahiti, M. Aycobeny, directeur technique des essais, 2 novembre 1973.

* 49 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 86.

* 50 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l'environnement et la santé. Op. déjà cité, page 167.

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