Perspectives à moyen terme de l'économie mondiale

REGNAULT (René)

RAPPORT D'INFORMATION 443 (97-98) - DELEGATION DU SENAT POUR LA PLANIFICATION

PRÉSENTATION

Depuis 1984, la Délégation pour la planification propose chaque année aux membres de la Haute Assemblée de consacrer quelques heures à la présentation et la discussion de travaux réalisés par les organismes d'analyse et de prévision avec lesquels le Service des Etudes du Sénat collabore régulièrement.

Cette réunion veut être un lieu d'information et de réflexion. En prenant ainsi l'initiative d'une rencontre entre experts et sénateurs , la Délégation pour la planification s'attache à remplir sa mission prospective dans le domaine économique.

Un Colloque consacré aux perspectives à moyen terme de l'économie mondiale s'est ainsi tenu le 2 avril 1998. La présidence des travaux a été assurée conjointement par M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan, et par votre Rapporteur.

Les débats ont essentiellement porté sur la présentation et la discussion d'une projection de l'économie mondiale à l'horizon 2005, réalisée à l'aide du modèle multinational MIMOSA par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La version finale de cette étude figure en annexe à ce rapport. Plusieurs experts ont également commenté les résultats de cet exercice ou dessiné quelques perspectives d'évolution de l'économie mondiale, évoquant notamment le passage à l'euro et la crise asiatique.

Ces travaux constituent la première phase des exercices de projections macroéconomiques conduits en 1998 par la Délégation pour la Planification. Leur visée est à la fois mondiale et à long terme .

Compte tenu des enseignements qu'elle retirera de ce Colloque, la Délégation fera en effet procéder dans les prochains mois à de nouveaux cadrages dans le but de présenter à l' automne , comme à l'habitude, des perspectives davantage centrées sur l' économie française et sur le profil des prochaines années .

I - OUVERTURE DU COLLOQUE

M. René RÉGNAULT, Vice-Président de la Délégation du Sénat pour la Planification.

Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier celles et ceux qui ont répondu à cette invitation et tout particulièrement ceux qui, à mes côtés, ont préparé ce colloque et vont nous présenter dans un instant le fruit de leur réflexion.

Vous comprendrez toutefois qu'à l'ouverture de ce colloque, je commence par saluer la mémoire de celui qui aurait dû se trouver aujourd'hui à cette place, notre regretté et estimé collègue Bernard Barbier, qui nous a brutalement quittés il y a à peine un mois.

La plupart d'entre vous êtes des habitués de nos colloques annuels, inaugurés voici quinze ans par Bernard Barbier, et qu'il présidait avec l'humour, la bonne humeur, le doigté, l'efficacité et la sûreté de jugement que nous avons tous appréciés.

Sénateur de la Bourgogne, il fut Maire de Nuits-St-Georges et Grand Maître de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Il avait, entre autres, beaucoup de talents, en particulier celui de rendre cette matière que nous allons évoquer ce matin, la macroéconomie, sympathique et vivante.

Ce treizième colloque, dont il avait fixé la date et l'ordre du jour, aurait dû, pour lui, être le dernier puisqu'il n'avait pas l'intention de se représenter aux élections sénatoriales de septembre prochain. Mais le destin a voulu que ce colloque soit le premier qui se tiendra sans lui.

Occupant sa place à titre intérimaire puisque la Délégation pour la Planification n'a pas eu encore le temps de désigner son nouveau Président, permettez-moi de donner en exemple ce collègue dont nous avons tous apprécié les qualités humaines et qui a puissamment contribué à améliorer les capacités de réflexion et d'analyse du Sénat ; capacités de réflexion, qualité des analyses appréciées bien au-delà des limites de notre action et activité habituelles.

Avant que nous débutions nos travaux, je voudrais en quelques mots rappeler l'esprit de ce colloque tel que l'avait souhaité Bernard Barbier.

Cette réunion se veut tout d'abord un lieu d'information et de réflexion.

En prenant ainsi l'initiative d'une rencontre entre experts et parlementaires, la Délégation pour la Planification s'attache à tenir le rôle d'information qui lui est confié et à contribuer à l'animation du débat public.

Pour que le dialogue entre experts et parlementaires soit fructueux, il est souhaitable qu'une grande liberté d'expression soit garantie et ce, même si les opinions exprimées peuvent parfois nous surprendre.

Enfin, je rappellerai que la visée de nos travaux est à la fois mondiale et à moyen terme. Ainsi demanderons-nous aux orateurs de se concentrer sur ce double horizon et à ceux qui interviendront dans la discussion de ne pas se focaliser sur le court terme.

Il s'agit au cours de cette matinée de dessiner des cheminements possibles et d'éclairer la poursuite de nos réflexions, voire de nos décisions, de décrire des tendances lourdes de nos économies, plutôt que d'afficher des prévisions.

Avant de donner la parole aux différents intervenants, je voudrais saluer la présence à mes côtés de M. Jean-Michel Charpin, Commissaire au Plan, que je suis très heureux de féliciter pour sa récente et brillante nomination et que notre Délégation a l'honneur d'accueillir pour la première fois sous ce titre car il est un familier des travaux de notre Délégation. Il les connaît remarquablement bien ; nous aurons certainement, en ce qui concerne au moins les parlementaires, l'occasion de le vérifier.

Monsieur le Commissaire, je vous remercie d'avoir bien voulu accepter de coprésider ce colloque et de m'aider à en animer les débats. Cela signifie que vous avez toute liberté pour intervenir dans la discussion.

Compte tenu de vos fonctions actuelles, mais aussi de vos travaux antérieurs en tant que Directeur du CEPII ou en tant que Directeur du Service des Etudes économiques de la BNP, je ne doute pas que vous aurez un regard particulièrement éclairé sur les travaux qui vont nous être présentés.

Je vous donnerai la parole, Monsieur le Commissaire, avant de la donner aux représentants de l'Observatoire français des conjonctures économiques, M. Philippe Sigogne et Henri Sterdyniak, pour nous présenter la projection de l'économie mondiale à l'horizon 2005, réalisée à l'aide du modèle MIMOSA, non sans les avoir chaleureusement remerciés ainsi que toute leur équipe pour avoir mené à bien cette très lourde étude dans des délais très brefs, et non sans avoir remercié également le Président de cet Institut, M. Jean-Paul Fitoussi, pour la contribution qu'apporte son organisme à la capacité de réflexion du Sénat.

Je vous remercie de votre attention. Je vais tout de suite donner la parole à M. Charpin.

M. Jean-Michel CHARPIN , Commissaire au Plan -

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je voudrais dire deux mots à l'ouverture de notre réunion ; le premier pour indiquer que dès ma prise de fonction au Commissariat général du Plan, le Sénateur Barbier m'avait contacté pour me demander d'animer avec lui cette journée, ce que j'avais accepté avec beaucoup de joie. Ce sont des journées auxquelles j'ai participé souvent et à différents titres et dont j'ai pu apprécier l'utilité et la qualité. Je vous remercie, Monsieur Régnault, d'avoir bien voulu confirmer cette invitation pour aujourd'hui.

Ma deuxième remarque sera pour dire que ces journées et l'ensemble du travail de la Délégation pour la Planification du Sénat ont joué au cours des quinze dernières années un rôle tout à fait important dans l'animation du débat économique en France. Les experts appréciaient de travailler pour la Délégation et pour le Sénateur Barbier ; ils y trouvaient une ambiance très particulière, faite de qualité des travaux techniques, d'ouverture de la discussion, d'absence de tension politique, de convivialité, qui faisaient qu'ils étaient toujours très heureux de se mettre au service du Sénateur Barbier et de la Délégation pour venir présenter leurs travaux et discuter les travaux des autres.

De tout cela, je crois qu'à la fois la profession des économistes, le Sénat et le pays, par l'éclairage que ces travaux ont apporté, sont très redevables au Sénateur Barbier.

II - UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE À L'HORIZON 2005, réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques à l'aide du modèle multinational MIMOSA

M. Philippe SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) .

Mesdames, Messieurs, Messieurs les Sénateurs, merci de nous accueillir dans cette enceinte ; je ne puis que m'associer à ce qui a été dit à propos du Sénateur Barbier que nous regrettons tous et auquel nous devons effectivement cette stimulation de nos travaux, lui qui nous a sans cesse poussés à continuer dans cette voix du dialogue avec toutes les parties prenantes au débat politique en France.

Cette année est une année très spéciale à plusieurs titres, puisqu'elle annonce la fin des discussions franco-françaises sur le moyen terme. La mondialisation s'est déjà fait sentir dans des pans entiers de notre économie et de l'économie internationale, et nous entrons cette année -cela est maintenant avéré- dans le cadre de l'euro.

Les propos que je vais mentionner en introduction, avant de passer la parole à Henri Sterdyniak, sont essentiellement liés à ces questions de mondialisation et d'entrée dans l'euro : cette mondialisation est-elle bénéfique ou mauvaise pour le fonctionnement de nos économies ? Que peut-elle apporter ? A quels risques doit-on s'attendre dans l'évolution à venir ? Quels seront les moyens politiques nécessaires pour maîtriser l'évolution future de nos économies ?

Nous poserons essentiellement des questions parce que l'objectif de la prévision à moyen terme n'est pas tant de donner des réponses toute faites à un moment donné. Il ne s'agit pas d'un exercice de prévision, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, mais d'une projection qui souligne des tendances, fait apparaître des problèmes et suggère d'éventuelles inflexions.

Derrière la mondialisation, il y a un événement extrêmement fort qui est l'acceptation par un nombre de plus en plus important de pays d'une libération totale, ou quasi totale, des mouvements de capitaux.

L'utilité de la libération des mouvements de capitaux est d'assurer au mieux, à tout moment, une allocation optimale des ressources de façon à ce que, là où il y a des possibilités de développement, celles-ci puissent être financées convenablement. Il faut donc éviter les problèmes de rareté qui ont pu avoir lieu à certains moments dans des domaines où les possibilités du futur sont particulièrement prometteuses.

Le but final est d'arriver dans un système concurrentiel à une homogénéisation des rendements demandés dans la mesure où les capitaux vont aller là où les gisements de productivité n'ont pas été totalement exploités, mais semblent à un moment donné devoir l'être davantage.

Pour attirer ces capitaux -on l'a vu récemment à travers la crise asiatique- les Etats sont prêts à entrer ou à faire semblant d'entrer dans un moule libéral. Ils sont prêts aussi parfois à maintenir, y compris artificiellement, des avantages comparatifs par rapport à leurs partenaires.

Cela passe parfois par des conditions de travail particulièrement contraignantes et que la morale peut être amenée à réprouver.

Parfois, cela implique de très bas salaires du fait de réserves de main-d'oeuvre abondantes issues de l'agriculture ou de chômeurs.

Parfois, cela tient au maintien de parités sous évaluées qui provoquent une accumulation de réserves et un développement du crédit intérieur difficilement maîtrisable.

Si l'on regarde l'impact sur les grandes zones du monde, des évolutions monétaires récentes, on constate que la création de dollars des années 1990 a grandement facilité la disponibilité de fonds pour un grand nombre de pays émergents. Il en est résulté une surestimation des possibilités de développement à court terme de ces zones.

La cause de cette création de dollars, probablement excessive à un certain moment, a été au départ le sauvetage du système financier américain.

Cet aspect des choses est amené à se reproduire et déjà se développe dans d'autres zones puisque, on l'a vu, les difficultés japonaises ont amplifié la tendance depuis plusieurs années à l'exportation de capitaux, publics d'abord, privés ensuite depuis que les rendements sur le sol japonais sont devenus très peu rémunérateurs.

L'Europe a été, elle aussi, partie prenante lors de la baisse de taux d'intérêt et du fait du tassement de son taux d'investissement, très préoccupant depuis le début des années 1990.

Il apparaît que lorsqu'une zone développée ne propose pas à ses ressortissants suffisamment de possibilités d'investissement, les capitaux vont chercher meilleure fortune ailleurs et, alors, ont tendance à exagérer l'attrait des autres zones.

Les engagements bancaires qui ont été récemment réalisés par le système financier français en Asie ont montré à quel point il était impératif pour un système financier qui a besoin de se ressourcer, de chercher ailleurs, au risque de développer des opérations délicates, un rendement qu'il ne trouve pas nécessairement sur place.

J'en viens maintenant aux perspectives.

La recherche de rentabilité implique aujourd'hui et encore pendant de nombreuses années sans doute d'économiser le capital productif en Europe et au Japon, alors que les Etats-Unis sont dans une situation totalement différente : ayant déjà réalisé une productivité accrue de leur capital ; ils exploitent celle-ci à plein. La rentabilité américaine est reconnue comme étant l'une des meilleures du monde.

Au même moment où les finances publiques américaines se redressent considérablement, plus spectaculairement qu'il n'était attendu, les entreprises privées exploitent à plein les effets de levier que leur apportent la baisse des taux d'intérêt à long terme et en même temps la maîtrise de leurs profits.

Aujourd'hui donc, l'endettement extérieur américain est uniquement le résultat de l'endettement des entreprises privées.

On peut se demander jusqu'à quel point cette situation peut aller. Aujourd'hui, l'effet de richesse joue à plein dans les pays anglo-saxons ; il a pour conséquence la relance des prix de l'immobilier et amène à se demander si l'on n'entre pas dans une nouvelle phase spéculative où les prix des actifs augmentent trop rapidement par rapport à ce qui est soutenable à moyen terme.

Comme toujours, dans ces conditions, certains soutiennent que, puisque les profits vont bien, puisque l'inflation est faible, on ne voit pas pourquoi la croissance s'arrêterait.

Je n'entrerai pas dans le détail des questions d'économie réelle puisque Henri Sterdyniak le fera à ma suite mieux que moi.

Ce que je veux simplement signaler ici, c'est que dans une partie du monde, le Japon, nous avons un excès d'épargne durable et une insuffisance aux Etats-Unis, qui semblent se prolonger tout au long de l'exercice que nous avons mené.

A priori on ne voit pas pourquoi de telles tendances n'entraîneraient pas une réaction inverse un jour ou l'autre. " Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ", et l'on a dit trop tard, pour beaucoup de pays, que l'insoutenabilité n'apparaissait qu'à partir du moment où le krach était arrivé. Malheureusement, les exercices de projection à moyen terme ne permettent pas de dater ces événements, ils montrent simplement l'accumulation des tensions et des déséquilibres.

Si l'effet de richesse joue à plein, comme je l'ai dit, dans les pays anglo-saxons, à l'inverse, la baisse des prix des actifs est le signe de la déflation japonaise.

La question japonaise est cruciale aujourd'hui, mais ce qui est peut-être plus important si l'on cherche à évaluer la possibilité de rupture, que nous n'avons pas introduite dans nos scénarios, c'est de se demander ce qui se passera au moment où cette économie aura à nouveau besoin de ses capitaux pour se redresser.

Car aujourd'hui, on le voit bien, les capitaux japonais reviennent sur le sol japonais lorsqu'il s'agit de couvrir des pertes et de présenter des bilans à peu près favorables, mais tout aussitôt, ces capitaux repartent puisque les rendements à l'extérieur sont beaucoup plus rémunérateurs.

Un déséquilibre se produit donc, qui ne peut pas durer indéfiniment.

Où se situe l'Europe par rapport à cela ? Quelles sont ses perspectives ?

L'Europe se situe à mi-chemin entre la contraction japonaise et la situation américaine, déjà très avancée dans l'utilisation et la traduction de la rentabilité en termes d'investissement, mais elle continue à se restructurer et elle n'a pas fini de le faire car l'euro implique des bouleversements considérables dans les prochaines années en termes de structures des appareils productifs.

Il est courant de dire que puisque le marché européen va, en gros, tripler de taille, les entreprises doivent elles-mêmes tripler de taille ; cela changera considérablement leurs modes de financement. Celles-ci seront probablement amenées, comme les entreprises américaines, à puiser dans un gisement de marchés obligataires qu'elles n'ont pas exploités jusqu'à présent, ce qui changera fortement la donne par rapport aux décennies passées.

Les chances des restructurations paraissent amplifiées par l'euro qui ouvre effectivement de grandes possibilités sur le continent européen.

L'inflation restera faible ; c'est une constante pour la plupart des économies, mais la question est ouverte de savoir si, à mesure que l'emploi reprendra, des risques de tension peuvent apparaître. Ceci est sujet de débat, les projections qui sont faites ici se fondant sur les comportements usuels peuvent faire apparaître dans certains cas une reprise de l'inflation.

On peut se demander, en regardant l'exemple américain, dans quelle mesure le maintien de taux d'intérêts réels plus bas que par le passé et les économies de capital qui seront réalisées, ne permettront pas d'accroître progressivement la part des salaires dans la valeur ajoutée dans de nombreuses économies sans risque d'inflation, les besoins d'accumulation des entreprises se trouvant réduits grâce au progrès technique.

Les taux d'intérêt réels sont tirés vers le bas par la reconnaissance du tassement des prix. Cela passe par deux éléments : d'une part, les anticipations reconnaissent de plus en plus cette situation ; d'autre part, le maintien durable de taux d'intérêt à court terme finit par avoir une influence sur les taux d'intérêt à long terme.

La réduction des déficits publics est souvent mentionnée comme un élément qui facilite la baisse des taux d'intérêt réels. Ceci n'est recevable que dans la mesure où dans le même temps, on n'a pas en contrepartie un fort endettement du secteur privé.

Si c'est le cas, c'est-à-dire si pendant plusieurs années, les entreprises européennes restent dans une situation d'économie de capital, de restructuration, d'autofinancement relativement élevé, alors il est vrai que ceci est tout à fait favorable à la baisse des taux d'intérêt réels.

En revanche, si l'on entre dans un système à l'américaine où le déficit public a disparu, mais l'endettement privé prend une nouvelle dimension, il n'est pas assuré que les taux d'intérêt réels restent durablement aussi bas. Mais on s'en réjouira en pensant que les entreprises ont enfin pris le chemin de l'investissement, de la croissance et d'une évolution du potentiel économique plus élevée.

Que seront les spécificités de l'euro ?

Evidemment, on est d'abord obligé de réfléchir un peu au court terme ; vous m'en excuserez, Monsieur le Président, mais je ferai une petite incidente pour essayer d'imaginer ce que sera le comportement de la Banque centrale européenne lorsqu'elle sera mise en place au 1 er janvier de l'an prochain.

Nous avons tenté de réfléchir à ces questions pour voir dans quelle mesure les taux d'intérêt réels et nominaux de court terme seraient affectés par ces décisions et ce qui pourrait changer par rapport au comportement de l'ensemble des banques centrales prises isolément aujourd'hui à l'intérieur de l'Europe.

La réponse nous semble encore ambiguë. Si l'on retient des indicateurs et des modèles de fonctionnement à l'américaine pour la Banque centrale européenne, à ce moment-là, on peut garder une certaine confiance dans le niveau des taux d'intérêt et juger que ceux-ci ne seront pas trop élevés, c'est-à-dire se maintiendront aux alentours de 4 et quelques % à partir du début de 1999.

Si, en revanche, on adoptait une vision plus germanique des choses, on considérerait que ces taux seraient peut-être de l'ordre de 5 %. C'est un peu la fourchette que nous avons en tête à l'heure actuelle. Cette fourchette doit évidemment être complétée par l'appréciation que l'on peut avoir du comportement d'un aréopage de onze banquiers centraux venant remplacer le système existant aujourd'hui. Certes, l'Institut Monétaire Européen et la Banque Centrale Européenne à sa suite n'auront cesse de dire que ce qui comptera, ce sont les agrégats européens, agrégats monétaires, inflation européenne, etc. Il n'en reste pas moins que nous aurons à faire face à un groupe de onze banquiers d'origine nationale qui chacun pourraient avoir la tentation de regarder ce qui se passe chez eux pour fixer leur décision. Or, à chaque banquier correspondra une voix, il n'y a pas de prépondérance de l'Allemagne ou d'un autre grand pays par rapport à la moyenne.

En entrant dans l'Union européenne, on s'aperçoit que les situations conjoncturelles des pays ne sont pas toutes harmonieusement équilibrées et qu'un certain nombre de petits pays se trouvent aujourd'hui dans une situation plus tendue que la moyenne. Il n'est pas impossible qu'il en dérive finalement une vision un peu plus restrictive en moyenne de cette politique économique, au moins pour un certain temps, jusqu'à ce que l'équilibre se fasse au travers des pertes de compétitivité de certains, ce qui peut prendre éventuellement un certain temps.

La valeur de l'euro risque, pour toutes les raisons qui ont été mentionnées, d'être forte : apparition d'un site de productivité potentielle élevée en Europe, comportement peut-être relativement restrictif de la Banque Centrale au départ.

Nous n'avons pas poussé l'argument trop loin dans nos prévisions car nous avons retenu que l'euro se revaloriserait modérément par rapport au dollar, lui-même étant relativement pénalisé par les déficits extérieurs accumulés dont nous avons parlé.

Cela ne nous a pas amenés à descendre au-dessous de 1 dollar (vous excuserez la référence passéiste) pour 1,60 DM ; évidemment, il faudra maintenant apprendre à raisonner par rapport à l'euro ; cela représente malgré tout une dévalorisation de la monnaie américaine qui peut peser sur la croissance de notre continent pendant un certain temps. Il n'en reste pas moins que ceci renforcera les efforts de compétitivité en Europe et sera accompagné d'entrées de capitaux dont il faudra bien un jour ou l'autre s'assurer la maîtrise si on ne veut pas s'engager à notre tour dans un cycle spéculatif renouvelé.

Je vous remercie, Monsieur le Président.

M. René RÉGNAULT, Président .- Merci, Monsieur Sigogne.

M. Henri Sterdyniak, Directeur-adjoint au Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Commissaire, Mesdames et Messieurs, durant les prochaines années, c'est la mondialisation qui va dominer l'économie mondiale. Cette mondialisation signifie que ce qui va être important pour chaque pays, chaque zone, va être la capacité à s'insérer dans l'économie mondiale, à produire de manière compétitive, à attirer les investissements directs, les crédits et les capitaux flottants.

En même temps, lorsqu'on considère la crise asiatique qui a frappé les meilleurs élèves de la mondialisation, on voit que cette mondialisation n'est pas un long fleuve tranquille ; c'est un processus qui a ses contradictions et ses périls.

Comment peut-on assurer une demande satisfaisante à l'échelle mondiale si chaque pays a comme ambition de freiner ses salaires et ses emplois ?

Comment trouver des profits satisfaisants pour des masses de plus en plus élevées de capitaux ?

Comment éviter l'instabilité des taux d'intérêts, des taux de change, des bourses lorsque les marchés sont dominés par des investisseurs frileux, paranoïaques et à la recherche de rentabilité élevée ?

Trois paradoxes sont réapparus avec force dans les années récentes : d'une part, les prêteurs veulent prêter des sommes importantes ; ensuite, ils se plaignent que les gens auxquels ils ont prêté, les Etats ou les Entreprises, sont trop endettés. Puis, ils veulent des taux d'intérêt élevés et en même temps ces taux d'intérêt élevés fragilisent les emprunteurs, que ce soit les entreprises ou les finances publiques. Enfin, ils veulent des rentabilités sûres et élevées, qui sont souvent obtenues grâce à des bulles financières, que ce soit sur les marchés boursiers ou sur les marchés immobiliers, et non pas par des investissements réels productifs.

Dans cette situation, les Etats sont coincés entre des exigences contradictoires. La mondialisation brise les solidarités nationales, elle crée une fracture sociale entre les gagnants et les exclus. Les gagnants sont de plus en plus tentés de refuser d'aider les perdants, d'avoir recours aux marchés mondiaux ou à l'évasion fiscale. Les systèmes de protection sociale sont menacés, en particulier les retraites de répartition par le développement des fonds de pension.

Les grandes entreprises mettent les Etats en concurrence et en même temps, elles se désintéressent de la solidarité nationale et n'assurent plus la croissance de l'emploi. C'est de plus en plus dans les petites entreprises et dans les services que les emplois se créent.

Cependant, aucun pays ne peut plus s'exclure de la mondialisation sans priver son peuple des bénéfices de la vie moderne, du progrès technique et des échanges internationaux. Il n'y a pas d'alternative.

Les années qui viennent de s'écouler ont vu une nette hiérarchisation des performances des différents pays et des différentes zones.

Dans les pays industrialisés, le dynamisme américain depuis 1992 contraste avec la médiocrité des performances de l'Europe ou pire encore, du Japon.

Les ex-pays socialistes ont du mal à sortir de leur désorganisation et, au contraire, les pays d'Asie du sud-est ont connu des performances brillantes. L'Amérique latine commence à se redresser tandis que de toute évidence, le monde arabe et surtout l'Afrique restent à l'écart du dynamisme mondial.

Notre prévision ne prolonge pas totalement cette hiérarchisation.

Aux Etats-Unis, nous prévoyons un net ralentissement en 1998-99 puis une croissance plus modérée. Les facteurs exceptionnels qui ont permis cet essor important depuis 1992 ne se reproduiront pas dans la période à venir.

Le Japon continuerait à vivre une croissance médiocre ; il se retrouverait dans ce que nous avons appelé la " nipposclérose " qui est le pendant exact de " l'eurosclérose " qui nous a frappés pendant si longtemps et au contraire, l'Europe profiterait de la fin des politiques budgétaires restrictives, de taux d'intérêt plus faibles, d'une monnaie en moyenne plus basse, et sa croissance atteindrait 2,5 % en moyenne sur les huit années à venir, ce qui permettrait un certain reflux du chômage, qui passerait de 10,4 % en 1997 à 8,4 % en 2005.

Les ex-pays socialistes verraient leur croissance s'affermir. Ils s'intégreraient de mieux en mieux dans l'économie mondiale, commenceraient à attirer des capitaux et les investissements directs de façon sensible.

Les Dragons et les pays d'Asie, après la crise de 1998-99, connaîtraient de nouveau un rythme de croissance vigoureux bien qu'en léger repli par rapport à ce qu'il était naguère.

L'Amérique latine et l'Afrique connaîtraient des croissances satisfaisantes bien qu'en deçà des croissances asiatiques.

Je vais commencer par un regard sur la situation conjoncturelle en 1998-99.

Le début de l'année 1998 a vu contre toute attente la poursuite d'une croissance vigoureuse aux Etats-Unis, qui a continué à être impulsée par la demande intérieure. En sens inverse, on a vu en 1997, le retour de la croissance en Europe grâce aux gains fournis par l'appréciation du Dollar et grâce à l'essor de la demande intérieure dans plusieurs des petits pays de l'Union.

Selon nous, 1998 devrait marquer un ralentissement de la croissance américaine et au contraire, une nette reprise en Europe avec une politique budgétaire qui deviendra neutre après avoir été fortement restrictive et une embellie des demandes intérieures qui se propagerait aux grands pays. C'est déjà le cas en France ; nous espérons donc cette embellie des demandes intérieures en Allemagne et en Italie.

Le scénario optimiste pour l'Europe a été, vous le savez, remis en cause par la crise asiatique qui est venue apporter une certaine incertitude sur l'évolution de l'économie mondiale. A court terme, la chute de la demande pèse, bien sûr, sur les importations des pays industrialisés. Ensuite, ces pays ont dévalué massivement. Donc, leurs entreprises vont devenir plus compétitives, on va avoir plus de mal à leur vendre et elles vont pouvoir exporter plus, mais cela ne va pas jouer rapidement parce que ces entreprises sont tellement désorganisées par des faillites, par des difficultés d'acheter des biens d'équipement, etc., que pendant un certain temps, elles ne bénéficieront pas de cette compétitivité potentielle.

De façon plus structurelle, cette crise remet en question un scénario dans lequel, petit à petit, chacune de régions du monde pouvait bénéficier des capitaux des pays les plus riches pour accélérer sa croissance. Les capitaux des pays riches vont maintenant considérer avec plus de crainte les possibilités fabuleuses offertes par les pays émergents.

Nous vous proposons donc dans notre document qui présente la situation des années 1998-99 une simulation à l'aide du modèle MIMOSA, de la crise asiatique.

C'est un exercice difficile à réaliser, surtout avec un modèle multinational, parce qu'il faut tenir compte de l'ensemble des effets et avoir un scénario qui soit cohérent à la fois pour ces pays et pour les pays industrialisés.

Nous avons pris en compte le fait que ces pays vont avoir moins de financements, donc du coup, vont importer moins de biens d'équipement, ce qui va frapper les pays industrialisés. Ils vont avoir des gains de compétitivité mais ceux-ci ne vont jouer qu'à terme plus lointain en raison de leur désorganisation.

La crise se traduit également par une chute du prix des matières premières et du prix du pétrole ; nous avons, de manière contestable, dit qu'une part de la baisse du prix du pétrole découlait de la crise asiatique, et qu'une partie était autonome.

Enfin, elle a provoqué une baisse, du moins une non augmentation, des taux d'intérêts dans les pays industrialisés, aussi bien en Europe, qu'en Allemagne, qu'aux Etats-Unis, que nous avons prise en compte.

On arrive au tableau 9 (page 24 de l'annexe) qui nous dit, d'une part, que les pays d'Asie vont connaître une chute de leur PIB d'environ 6 % en 1998 et que cela va leur permettre, petit à petit, de rétablir leur balance courante puisque le gain à l'horizon de deux ans, est pour chacune des deux zones de notre modèle, puisque nous distinguons une zone " Dragons " et une zone " Autres pays d'Asie " de l'ordre de 50 milliards de dollars.

Si l'on regarde le tableau 8 (page 23 de l'annexe), on voit que l'on a une chute de la production, une chute du PIB, pour nous, Union Européenne, qui est de l'ordre de 0,9 % en 1998 (il y a un partage dans notre tableau entre 1997 et 1998, mais qui est douteux parce que nous avons un modèle annuel et on a du mal à bien prendre les délais de court terme ; je me polariserai donc sur les chiffres 1998) et de 2 points au Japon, ce qui est un chiffre relativement important, avec un effet désinflationniste non négligeable, de l'ordre de 0,3 point.

Cette crise asiatique va donc ralentir la croissance européenne.

A moyen terme, pour ces pays asiatiques, trois scénarios sont concevables.

Le premier, que nous avons écarté, aurait consisté à dire : " toute la croissance passée était une vaste bulle financière ; maintenant, ces pays vont connaître durablement une période de croissance ralentie ". Nous n'avons pas retenu ce scénario car nous pensons que la croissance de ces pays repose effectivement fondamentalement sur des bases industrielles saines, même si des bulles financières se sont ajoutées au cours de ces dernières années.

Nous n'avons pas non plus retenu un scénario à la mexicaine, où après un ajustement brutal et rapide, on repart immédiatement dans le même sens et avec la même intensité.

Nous avons adopté un scénario médian avec une phase d'ajustement de deux-trois ans et ensuite, le retour à une croissance vigoureuse, c'est-à-dire que nous continuons à penser que ces pays ont trouvé le secret d'une croissance saine, sur la longue période, même si les marchés financiers sont venus perturber, par des bulles intempestives sur les marchés boursiers et financiers, la vigueur de leur croissance.

La crise asiatique a des effets particulièrement importants au Japon. Le Japon a connu une année 1997 médiocre, un taux de croissance de 0,1 point en glissement malgré des taux d'intérêt faibles et la chute du yen. Le Japon a trop écouté certains économistes qui disaient : "  Réduisez massivement vos déficits publics et la demande privée repartira ". En fait, la restauration du solde public a pesé très lourdement sur la croissance et en 1998, la crise asiatique va le frapper à plein. Cette crise asiatique a des impacts de fragilisation du secteur bancaire japonais et à l'avenir sur le moyen terme, nous prévoyons une croissance extrêmement faible du Japon avec le maintien d'un taux de chômage important pour ce pays, avec des salaires qui vont augmenter moins vite que la productivité du travail, donc une consommation qui sera très peu vigoureuse. En même temps, l'investissement ne sera pas porteur, car le Japon connaît une crise de suraccumulation et de manque de rentabilité. Le Japon a accumulé massivement mais ne réussit plus à rentabiliser un taux d'investissements massif. Enfin, tout au long de la période, le Japon continuerait à pratiquer une politique budgétaire restrictive parce que c'est son programme à moyen terme et qu'il entend préparer le vieillissement de sa population. Donc, tout au long de la période, le Japon serait une zone de croissance extrêmement faible.

Passons maintenant aux Etats-Unis. La demande intérieure est restée jusqu'à présent extrêmement vigoureuse, mais malgré tout, nous prévoyons un net ralentissement en 1998 et 1999.

Ce net ralentissement aurait trois composantes : d'abord la crise asiatique ; par ailleurs, il faut voir que le dynamisme de la consommation aux Etats-Unis est tout à fait particulier : il s'explique par les plus-values boursières. Les ménages américains ont réalisé des plus-values boursières fabuleuses qui leur évitent de faire un effort d'épargne et du coup, ils peuvent consommer plus. En même temps, les fonds de pension ont besoin de moins de cotisations puisque la Bourse fait monter automatiquement leur richesse.

Le dynamisme américain repose donc sur la croissance de la Bourse.

Comme l'a dit Philippe Sigogne, " les arbres ne montent pas jusqu'au ciel " ; nous avons donc fait l'hypothèse qu'au cours de l'année 1998, soit spontanément, soit avec une petite impulsion de la politique monétaire, la Bourse américaine descendrait ; nous ne prévoyons pas un krach mais une fin de la croissance, une décrue des cours boursiers, ce qui provoquerait une hausse du taux d'épargne, qui réduirait fortement le taux de croissance américain.

Le troisième élément est la question des taux d'investissement aux Etats-Unis.

Si vous vous reportez au graphique 15 (page 50 de l'annexe) vous voyez que le taux d'investissement aux Etats-Unis a augmenté de façon très importante sur la période récente.

Le problème est qu'il y a deux manières de lire ce taux d'investissement suivant qu'on le lit en volume ou selon qu'on le lit en valeur, la différence entre les deux étant le fait que l'équipement américain se fait de plus en plus en machines extrêmement perfectionnées (ordinateurs, etc.) dont, dans la comptabilité américaine, le prix relatif diminue de façon importante, de sorte que le taux d'investissement en valeur augmente beaucoup moins vite que le taux d'investissement en volume.

Si l'on regarde le taux en volume, on voit que les Américains ont fait un effort extrêmement important d'investissement dans la période récente. Nous avons considéré que cet effort se stabiliserait dans l'avenir ; cela suffit à faire que les deux éléments particuliers qui ont impulsé la croissance aux Etats-Unis (la consommation des ménages et l'investissement des entreprises) connaîtraient un certain ralentissement.

A moyen terme, la croissance aux Etats-Unis est proche de sa croissance potentielle, soit 2,4 %, avec un taux de chômage qui se maintient à peu près au niveau du taux d'équilibre, de 5,7 %.

Il y a une incertitude dans notre prévision, qui est le problème de la productivité du travail : on a le choix entre deux scénarios. Celui que l'on a retenu consiste à dire qu'il n'y a pas de miracle de la productivité aux Etats-Unis. Malgré ces investissements importants en technologie nouvelle, il n'y a pas encore de brutale rupture de la productivité du travail qui reste à 1,4 % l'an, dans notre prévision.

On a écarté un scénario plus optimiste qui nous dirait que les Etats-Unis sont passés dans un nouvel âge et vont maintenant avoir durablement une croissance de la productivité plus importante. C'est là un point dont on pourra éventuellement discuter.

L'Europe devrait connaître une croissance vigoureuse en 1998-99. Il y a, bien sûr, la baisse des taux d'intérêt et la fin des politiques restrictives en Europe. En 1997, il y a une impulsion budgétaire restrictive dont le total représentait 1,1 % du PIB européen. En 1998-99, la plupart des pays vont relâcher leurs efforts et la politique budgétaire va devenir neutre.

Si l'on regarde maintenant la situation des différents pays, on voit que huit des pays européens connaissent déjà une forte croissance de leur demande intérieure et dans la plupart de ces huit pays européens, leur croissance est actuellement freinée par la contribution externe. Comme ce sont des pays en forte expansion, ils importent plus qu'ils n'exportent.

Deux pays combinent les deux avantages, c'est-à-dire qu'ils font à la fois des gains à l'extérieur et ont une demande intérieure vigoureuse : il s'agit de l'Irlande et de la Finlande qui ont des situations très particulières.

Il y a six pays européens où la demande intérieure n'est pas encore repartie avec vigueur en 1997. Parmi ces pays, cinq ont quand même eu une croissance satisfaisante en 1997 en s'appuyant sur la demande extérieure, donc en " mangeant " un peu la demande intérieure des partenaires et en profitant de l'appréciation du dollar.

Un pays a perdu sur les deux tableaux : faible demande intérieure et des gains importants à l'exportation : c'est l'Italie, car l'Italie a pratiqué une politique budgétaire restrictive et a vu son taux de change s'apprécier.

L'hypothèse que nous avons retenue ici, compte tenu des informations conjoncturelles dont nous disposons, c'est que la situation va se dégeler en 1998. En France, c'est déjà le cas, mais on a fait l'hypothèse d'après les enquêtes de conjoncture, que ce sera également le cas en Allemagne et en Italie. L'Italie et l'Espagne bénéficieront particulièrement en 1998 de la baisse des taux d'intérêt puisqu'une fois qu'ils seront dans l'euro, leur taux d'intérêt va se caler dans les taux de l'ensemble de l'Europe.

Par contre, la baisse du dollar, le tassement de la demande aux Etats-Unis devraient ralentir quelque peu la croissance en Europe.

Il y a un pays en Europe qui a toujours une conjoncture différente : le Royaume Uni, qui n'est pas partie prenante de l'UEM et heureusement, peut-on dire, parce que le Royaume Uni a toujours un décalage par rapport à l'Europe. Ce n'est pas seulement une question de politique, mais le Royaume Uni a toujours une conjoncture à l'américaine, c'est-à-dire qu'il a eu en 1997 une très forte croissance ; pour freiner sa croissance, il augmente ses taux d'intérêt alors que l'ensemble des pays européens les ont baissés. Et on s'attend à ce qu'en 1998-99, il ait un ralentissement économique quand l'ensemble des pays européens va, au contraire, connaître une expansion économique. Donc, la présence du Royaume Uni en Europe compliquerait encore la politique monétaire.

Si l'on s'intéresse maintenant au problème du moyen terme en Europe, nous avons dans notre papier commencé par nous interroger sur la politique budgétaire. Vous savez que les pays européens entrent dans l'euro de façon limite puisque dix des quinze pays de l'Union européenne ont des déficits publics supérieurs à 2 points de PIB et onze des pays de l'Union européenne ont des dettes publiques supérieures à 60 % du PIB.

Il y a donc deux stratégies possibles.

Une première stratégie est celle proposée par l'IME et les Banques centrales européennes, consistant à dire à tout le monde, en particulier à la Belgique et à l'Italie : " Continuez à faire des efforts de manière à réduire votre dette publique au niveau préétabli que nous avons déterminé ". Cet objectif obligerait l'Italie, la Belgique, l'Autriche, les Pays-Bas à poursuivre et accentuer une politique budgétaire restrictive.

Au contraire, une stratégie qui a plus notre faveur consiste à dire : " On peut atténuer le caractère restrictif des politiques budgétaires, on peut se contenter d'attendre de la baisse des taux d'intérêt, la croissance, l'amélioration des soldes publics, et ne se lancer dans des politiques budgétaires restrictives que si il apparaît effectivement des risques de surchauffe économique, de l'inflation ou du déficit extérieur ". De toute évidence, ce risque n'existe pas actuellement en Europe.

Si l'on prend, par exemple, l'Italie et la Belgique qui sont les pays les plus montrés du doigt, ce sont des Etats qui ont en même temps des excédents extérieurs tout à fait importants.

La politique économique qui figure dans notre prévision est une politique médiane, c'est-à-dire que nous avons fait l'hypothèse que tout au long de la période, les pays européens continueraient à pratiquer des politiques de dépenses restrictives, les dépenses publiques augmenteraient nettement moins vite que le PIB et du coup, les déficits se réduiraient progressivement, mais il y aurait une impulsion budgétaire de l'ordre de 0,3 à 0,4 point du PIB chaque année dans l'ensemble de l'Europe. Dans toute l'Europe, on connaîtrait une croissance de l'ordre de 2,5 % par an ; l'inflation resterait maîtrisée.

Un point important et problématique est celui de la croissance de la productivité du travail. Selon notre projection cette croissance resterait modérée en Europe, de l'ordre de1,8 à 1,5 selon les pays. Cette croissance modérée de la productivité du travail aurait deux conséquences : une à court terme favorable, c'est-à-dire que l'on pourrait résorber relativement favorablement le chômage en Europe, en particulier la France aurait un taux de chômage de 9,7 % en 2005, donc une amélioration sensible, mais à moyen terme, cette modération limiterait la croissance possible du salaire réel compatible avec la stabilité de l'inflation. En fin de période, dans des pays comme l'Allemagne, la France, la Grande Bretagne, on serait pratiquement au taux de chômage naturel. Le point un peu triste pour la France est qu'avec 9,7 %, on serait pratiquement au taux de chômage naturel, c'est-à-dire que les salaires réels augmenteraient de 1,5 %, ce qui serait à peu près le taux de la productivité du travail. Il serait difficile d'aller au-delà.

Pour terminer, je voudrais dire quelques mots du tableau 6 (page 132 de l'annexe) qui représente l'évolution des balances courantes à l'échelle mondiale.

Selon notre projection, la polarisation persisterait entre l'Europe et le Japon, qui demeureraient des zones excédentaires, et les Etats-Unis qui resteraient une nation déficitaire.

En revanche, certains pays en voie de développement tireraient mieux leur épingle du jeu et bénéficieraient de financements plus importants. Selon nous, ce serait le cas notamment pour toute la zone d'Europe de l'Est qui, du coup, pourrait retrouver une croissance satisfaisante. Nous avons également fait l'hypothèse que les capitaux reviendraient en Asie du Sud-est.

Pour conclure, notre projection est cette année relativement optimiste.

Nous faisons l'hypothèse que la crise asiatique ne sera qu'un incident de parcours.

Nous écartons l'hypothèse où tous les capitaux auraient durablement un comportement de reflux vers la qualité, c'est-à-dire qu'ils refuseraient dorénavant d'investir dans les pays émergents, ce qui aurait un effet récessif à l'échelle mondiale.

Nous avons maintenu des taux d'intérêt réels relativement bas à l'échelle mondiale et en même temps, nous avons fait l'hypothèse que l'UEM sera un succès, en ce sens que la croissance sera suffisamment vigoureuse pour que le pacte de stabilité n'ait pas à jouer, donc qu'il n'y aura pas de tension politique en Europe.

Nous avons fait l'hypothèse que les finances publiques s'amélioreront grâce à la baisse des taux d'intérêt, à une croissance vigoureuse et que les pays auront la sagesse d'éviter des mesures trop rigoureuses.

Enfin, nous avons fait l'hypothèse que l'euro ne sera pas une monnaie trop forte.

Dans ces conditions, l'Europe connaîtrait une lente décrue de son taux de chômage.

Je vous remercie.

Commentaires de M. Stephen POTTER, Directeur au Département des Affaires économiques de l'Organisation de coopération et de développement économique (O.C.D.E.).

Merci. Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux et honoré de participer aujourd'hui à ce colloque.

Je remercie les auteurs. Il est très clair qu'énormément de travail a été fait pour produire ces documents. Malheureusement, je n'ai pas pu les étudier suffisamment. Je m'excuse donc d'avance si je dis de choses qui ne sont pas justifiées en ce qui concerne le contenu des papiers.

Quelques mots d'abord sur la situation à court terme.

A L'OCDE, les prévisions que l'on fait en ce moment ne sont pas très différentes de celles qu'on vient de voir exposées. A court terme, on a un peu plus de croissance aux Etats-Unis et un peu moins au Japon, mais le tableau de l'économie mondiale est très similaire.

En fait, ayant discuté récemment avec des prévisionnistes nationaux, il me semble qu'il y a très peu de différence en ce moment dans les appréciations qui sont faites. Il y a un grand consensus, ce qui est peut-être inquiétant. Cela concerne aussi les analyses faites de la crise asiatique, qui est le nouvel élément qui affecte la situation depuis les six derniers mois. On arrive à des effets de la crise de l'ordre de 1 % du PIB des pays de l'OCDE et on trouve qu'il y a des facteurs qui vont dans l'autre sens, surtout des taux d'intérêt plus bas que prévu, et la baisse du prix du pétrole et des matières premières.

Cela signifie qu'en fait, les révisions des prévisions que l'on a faites depuis six mois ne sont pas énormes, de l'ordre de 0,5 % du PIB pour la zone de l'OCDE. Ce 0,5 % est concentré au Japon et en Corée. Pour l'Europe et pour les Etats-Unis, on a très peu révisé nos prévisions depuis six mois.

J'ai dit qu'il y a un grand consensus sur les effets, mais en fait, les marges d'incertitude autour de ces effets sont beaucoup plus grandes que la différence qui existe entre différentes analyses.

Tout le monde suppose une stabilisation des marchés financiers, une absence de contagion vers d'autres pays émergents et surtout on a écarté une dépréciation en Chine ou à Hongkong qui risquerait de beaucoup changer l'appréciation que l'on pourrait faire de la zone Asie.

On pourrait aussi s'inquiéter des effets possibles en Russie parce que les marchés financiers y sont encore très fragiles et avec la baisse du prix du pétrole, les finances publiques sont dans un état encore pire qu'on le pensait il y a quelques mois.

En ce qui concerne donc le court terme, je dirais " d'accord ", mais les incertitudes sont très grandes. Pour l'instant, le choc que l'on a en face de nous, qui vient de l'Asie, semble être moins important que les chocs que l'on a connus pendant les vingt dernières années, mais à l'époque, on a sous-estimé les effets de ces chocs ; il ne faut donc peut-être pas être trop optimiste quand même.

Pour passer au moyen terme, je dois dire que j'ai été un peu perplexe en voyant le titre de votre papier : " Mondialisation, triomphes et périls " , parce que je ne vois pas la discussion de ces sujets dans le document. Dans les deux premières pages, on parle un peu des risques possibles, mais je ne vois pas en quoi la mondialisation a influencé vos réflexions. Il serait peut-être intéressant d'explorer un peu ce point.

On peut considérer que c'est une hypothèse de base et il serait intéressant d'explorer différentes variantes des simulations par rapport à cette baseline comme on dit en anglais. Je vous encourage à faire des simulations dans ce sens.

Ceci n'est pas vraiment une critique. Si l'on faisait des projections à moyen terme, on ferait la même chose et l'on aboutirait à des chiffres que l'on pourrait caractériser de " sages ". Il me semble que ce sont des projections sages ; on n'inclut pas de choc ou de mauvaise nouvelle.

Je suis donc d'accord : on peut décrire ces projections comme étant relativement optimistes. Les risques vont donc pratiquement tous dans le même sens. Il est difficile d'imaginer un meilleur résultat que celui indiqué par ces projections.

Concernant les différents éléments des projections à moyen terme, je serais d'accord avec votre analyse des Etats-Unis. Nous aussi hésitons à adopter des thèses "  new age " tout en reconnaissant que la performance des années récentes a été très bonne.

Je suis également d'accord sur le fait que l'on peut penser que le déficit externe n'est pas soutenable, mais on le dit depuis très longtemps ! On ne peut pas prévoir à quel moment il y aurait une discontinuité.

En fait, c'est moins insoutenable que les déficits que l'on a vus il y a une dizaine d'années parce qu'il n'y a plus le problème des déficits jumeaux. Le déficit budgétaire a disparu, le budget est équilibré, mais il est vrai qu'il y a aux Etats-Unis un problème d'épargne et qu'il faudrait peut-être que le budget soit excédentaire pour que la situation devienne plus soutenable.

A mon sens, le Japon est l'élément le plus inquiétant dans ces projections et dans l'économie mondiale parce que ce n'est pas une simple récession que l'on observe au Japon, mais vraiment une dépression. A court terme, la situation pourrait être encore plus faible que dans les projections.

Nous pensons qu'il faut maintenant un paquet de mesures complètes pour traiter les problèmes du système financier, pour accélérer la déréglementation de l'économie japonaise et pour donner un peu de stimulus budgétaire, pour démarrer l'économie.

Il n'est pas du tout sûr que l'on aura tout cela parce que le Gouvernement japonais semble " tétanisé " en ce moment.

Je me demande donc si la projection que vous proposez est vraiment possible pour le Japon. Est-ce soutenable ? Pourquoi y a-t-il une reprise faible ? N'y a-t-il pas un risque que le yen déprécie beaucoup plus avec le genre de scénario que vous esquissez pour le Japon ?

Les résultats les plus probables me semblent être une reprise via l'exportation avec un yen plus faible, s'il n'y a pas tout ce paquet de mesures que l'on peut considérer comme nécessaires maintenant au Japon.

Pour l'Europe, j'ai essentiellement quelques questions à proposer.

Vous dites que l'Union monétaire est un succès. Oui, mais en fait, l'Union n'est pas vraiment testée dans vos projections. Cela démarre à un bon moment, où toutes les conditions sont réunies pour quelques années d'expansion un peu partout. L'ajustement budgétaire est derrière nous maintenant, mais enfin, le test aura lieu quand il y aura des chocs ou de mauvaises nouvelles (absentes ici).

Je vois à travers ces papiers peut-être des différences d'appréciation sur le degré de synchronisation des pays de l'Union.

Il est vrai que dans la période récente, si on regarde les taux de croissance, il y a une forte synchronisation, illustrée dans un des graphiques.

Si l'on considère les niveaux d'activité, c'est peut-être moins le cas. Et l'encadré que vous avez sur la règle de Taylor montre qu'en fait les besoins en matière de politique monétaire sont un peu différents à l'intérieur de l'Union. Les petits pays de la périphérie sont en général plus avancés dans le cycle que les trois grands pays, France, Allemagne, Italie, et le début de l'Union sera peut-être un peu plus difficile que vous ne l'indiquez.

L'Union a-t-elle un effet sur les projections ? Pensez-vous que la croissance sera plus rapide, ou l'inflation plus basse, à cause de l'Union monétaire ?

Il est frappant que vous fassiez la projection de l'Europe, même à l'horizon 2005, en prenant des pays individuels et en les additionnant ; à quel moment faut-il modéliser l'Europe, la zone des Onze ?

Si on fait référence à l'expérience de l'unification allemande, pendant deux ans environ, on a continué à faire des projections des deux parties de l'Allemagne puis les Allemands ont considéré que ce n'était plus possible.

M. Henri STERDYNIAK- Nous continuons à faire des projections sur l'Allemagne à deux parties !

M. Stephen POTTER.- D'accord... (rires)

Les différences entre les taux de chômage dans les pays sont frappantes au bout de huit ans, surtout entre la France et l'Allemagne. Peut-on considérer que les taux de chômage que l'on a en fin de période sont essentiellement les taux structurels, les taux naturels ? On pourrait considérer que l'Allemagne a eu des problèmes structurels plus sérieux que la France.

Finalement, vous montrez des soldes courants pour l'année 2005. Est-ce un concept encore intéressant ? Les statistiques vont-elles exister pour les soldes courants en 2005 ? Personne ne sait ce qu'est le solde du Texas ou de l'Arizona !

Merci.

Discussion

M. René RÉGNAULT, Président
.- Merci, Monsieur Potter ; vous avez tous compris qu'il s'exprimait au nom de l'OCDE, où il occupe des fonctions de Directeur des affaires économiques. Donc, même si c'est aussi son sentiment personnel, on peut tout de même penser aisément qu'il ne s'était pas complètement départi de sa responsabilité au sein de l'organisme.

Je voudrais le remercier doublement parce qu'il nous a fait la gentillesse de s'exprimer en français.

Nous allons poursuivre par une petite discussion à partir des questions que vous poserez, mais je donnerai auparavant la parole à Monsieur le Commissaire.

Au titre des questions, autorisez-moi à prolonger l'une de celles de M. Potter tout à l'heure, qui s'est montré préoccupé des différences des niveaux du chômage atteints dans les pays de l'Union monétaire et qui vous demandait en quelque sorte, Monsieur Sterdyniak, de nous expliquer comment vous arriviez à cela.

J'ai moi aussi la même question pour la France et cela me conduit à vous demander : quels sont les éléments que vous avez pris en compte appartenant en propre ou spécifiquement à chacun des pays ? Je vais être plus concret en disant : avez-vous fait quelques essais, à défaut d'être allé plus loin, en prenant en compte les dernières mesures du Gouvernement de la France en matière d'action en direction de la résorption du chômage ? Je pense aux 35 heures ou à des actions comme les politiques pour les jeunes. Pourquoi ? Parce que vous dites aussi dans votre rapport que le redémarrage de la croissance se nourrit de la reprise de la demande intérieure qui, elle-même, se nourrit de la réduction du chômage.

Voilà l'objet de cette question.

J'en aurais une seconde, si vous me permettez...

Votre projection retient l'hypothèse que les politiques économiques en Europe seraient plus favorablement augmentées qu'au cours des années 1990 et vous dites avec insistance que cela permettrait le retour vers un sentier de croissance de l'ordre de 2,3 % par an, qui demeure cependant insuffisant pour résorber significativement le chômage que nous connaissons. Ce faisant, l'Europe ne retrouverait pas les capacités de croissance perdues au cours des années 1990. Autrement dit, le potentiel de croissance à moyen terme de l'Europe est-il limité à 2,3 % par an, ou, au contraire, ne peut-on considérer que l'Europe a des capacités de croissance non inflationnistes supérieures à ce que décrit la projection, ce qui lui permettrait de rattraper, en partie au moins, la croissance perdue entre les années 1992 et 1997 ?

Peut-on espérer l'enclenchement et l'amplification d'un cercle vertueux, au travers et à partir de l'Union monétaire, basée sur la confiance des agents économiques, tel que viennent de le connaître les Etats-Unis, ou même tel que l'a connu l'Europe à la fin des années 1980, plus particulièrement 1986 à 1990, en quelque sorte un mouvement symétrique de celui des années 1991 à 1997 ?

Merci des réponses que vous apporterez tout à l'heure à quelques unes des questions posées.

Je me tourne vers la salle.

Monsieur François Trucy m'avait fait signe avant la suspension de séance...

M. François TRUCY, Sénateur.- Ma question s'adressait à MM. Sterdyniak et Sigogne, parce que dans les propos qu'ils ont développés tout à l'heure, j'ai cru trouvé d'abord une information que le Président Régnault ne tardera pas à transmettre au Gouvernement, à savoir que la situation serait extrêmement favorable et qu'il pouvait ralentir sa rigueur et prodiguer moins de vertu dans la préparation budgétaire. Ai-je vraiment bien compris cela puisque vous avez cité l'exemple d'une Italie qui paye des deux côtés ces efforts-là ; vous incitez donc le Gouvernement à faire un budget 1998 beaucoup plus souple, voire même un budget 1999 détendu. Ou ai-je mal compris, parce que, tout de même, nous sommes arrivés à remplir les contraintes de l'euro très péniblement, avec même des ressources un peu exceptionnelles (France Télécom, etc.) et comme M. Dominique Strauss Kahn ne parle pas beaucoup de privatisation et d'ouverture de capital supplémentaires, on ne voit pas d'où viendraient les ressources considérables pour faciliter le maintien dans les limites des critères de l'euro ?

Je ne suis donc pas sûr d'avoir bien compris.

M. René RÉGNAULT, Président.- Merci, Monsieur Trucy.

Y a-t-il d'autres questions dans la salle ?

Il semble que ce ne soit pas le cas ; je passe donc la parole à Monsieur le Commissaire.

M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan .- J'ai été très frappé par le fait que les raisonnements qui nous ont été présentés donnent, en ce qui concerne l'Asie et les Etats-Unis, un rôle considérable aux prix d'actifs. Du côté du Japon, la phase de récession que connaît ce pays provenait pour une large part de la déflation des prix d'actifs, tant en matière boursière qu'immobilière, qui a suivi la phase de bulle spéculative des années 1980. Dans la crise actuelle du sud-est asiatique, les prix d'actifs jouent clairement un rôle considérable et dans la croissance très forte que l'on constate aux Etats-Unis, Henri Sterdyniak nous a bien montré qu'elle procède largement du dynamisme de la demande privée, elle-même alimentée par les plus-values boursières très importantes qui ont été engendrées par la montée de la Bourse.

Tous ces raisonnements me paraissent tout à fait valides.

J'en tire néanmoins quelques interrogations pour ce qui concerne l'Europe. Les plus-values boursières ont en effet été considérables aussi en Europe et en France.

En France, depuis environ deux ans, la montée de la Bourse a été exceptionnellement forte ; on sait que depuis le début de l'année, le phénomène s'est encore accéléré, on pourrait presque dire " emballé " et la Presse titre ce matin sur le fait que la capitalisation boursière de la Place de Paris atteint 5 000 milliards. L'augmentation a été, si on la mesure avec le CAC 40, de 30 % depuis le début de l'année. Il suffit de faire des règles de trois pour s'apercevoir que tout cela constitue en plus-values potentielles des pourcentages extrêmement considérables du PIB et du revenu disponible des ménages.

D'où un certain nombre de questions :

Premièrement, dans l'évolution de la conjoncture européenne déjà constatée, quelle part peut-on affecter à ces phénomènes de prix d'actifs ?

Deuxièmement, dans les développements à venir de la conjoncture européenne et française, que peut-on penser de la façon dont ces plus-values boursières considérables vont jouer sur le comportement des ménages, au niveau de l'épargne et de la consommation ?

Enfin, dans quelle mesure pensez-vous que dans l'ensemble du monde, mais aussi pour ce qui concerne la future Banque centrale européenne, les autorités monétaires doivent tenir compte, dans la détermination de leur politique monétaire, de ces mouvements de prix d'actifs ?

M. René RÉGNAULT, Président .- Merci, Monsieur Charpin.

Je vais maintenant donner la parole à M. Joël Bourdin qui, par ailleurs, mais ce n'est pas sa seule qualité, est aussi le Président de l'Observatoire des Finances Locales.

M. Joël BOURDIN, Sénateur .- Mais ce n'est pas sur ce sujet-là que j'interviendrai !

M. René RÉGNAULT, Président .- Je sais bien, mais vous êtes un observateur et on sait ô combien pertinent !

M. Joël BOURDIN, Sénateur .- Merci, Monsieur le Président.

J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les rapports qui nous ont été présentés et j'en remercie les auteurs parce que c'est effectivement une somme qui nous a été distribuée.

En entendant quelques commentaires, je me pose une question qui concerne les Etats-Unis : je ne sais plus qui parmi les interlocuteurs a dit que même les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ; c'est un adage bien connu de la Bourse...

M. René RÉGNAULT, Président .- C'était M. Sigogne.

M. Joël BOURDIN, Sénateur .- J'ai entendu aussi que vous évoquiez en ce qui concerne l'économie américaine, un effet qui d'ailleurs a été très bien analysé par les théoriciens de l'économie en d'autres temps, qui est l'effet de richesse, en disant que les ménages américains consomment en se finançant en quelque sorte sur les plus-values boursières. Il y a sans doute un corollaire à cela, qui est que les ménages américains doivent continuer à s'endetter.

Ma question est celle-ci : comme la Bourse n'ira pas jusqu'au ciel et qu'un jour, il y aura un renversement, quand les ménages se seront encore plus endettés et qu'ils ne pourront plus puiser dans leurs gains financiers, que deviendra l'économie américaine ? Ne peut-on pas craindre des jours noirs, pas simplement à la Bourse, aux Etats-Unis, avec les conséquences que cela pourrait avoir dans nos pays ?

M. René RÉGNAULT, Président .- Je vous remercie. Y a-t-il d'autres questions ?

M. José BALARELLO, Sénateur .- Traditionnellement, l'économie française a été portée par l'immobilier, parce que la plupart des Français ont des origines paysannes, qui ont été échaudés d'ailleurs par des phénomènes comme l'emprunt russe, etc. Donc, pendant un certain nombre d'années, on a considéré la Bourse comme tabou et les Français ont investi dans l'immobilier, ce qui a d'ailleurs fait marcher le BTP et l'ensemble de l'économie.

Or depuis quelques années, il y a un retour vers la Bourse ; avez-vous mesuré l'influence de l'engouement pour la Bourse et de la chute de l'immobilier ? Y a-t-il dans votre esprit une certaine corrélation ? Avez-vous envisagé une étude sur cette question ?

M. René RÉGNAULT, Président .- Merci, Monsieur BALARELLO.

S'il n'y a pas d'autre question, je vais me tourner vers ceux qui se sont sentis un peu plus interpellés que les autres par les questions posées.

M. Henri STERDYNIAK, Directeur-adjoint au Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) .- Concernant la politique de l'emploi en France, nous avons pris en compte les mesures pour l'emploi des jeunes, telles qu'elles ont été décidées par le Gouvernement (les 350 000 emplois jeunes). Par contre, en ce qui concerne la mesure de réduction de la durée du travail, nous ne l'avons pas incorporée dans le compte central ; elle figure en variante, dans le document présentant la projection à moyen terme.

Nous avons fait avec le modèle MIMOSA une variante dans laquelle nous avons supposé que la loi sur les 35 heures était votée dans la forme qu'elle avait actuellement à l'Assemblée Nationale et qu'elle était mise partiellement en application, c'est-à-dire que nous avons fait l'hypothèse, certes contestable, que 70 % des entreprises passaient aux 35 heures. Le tableau 19 (page 165 de l'annexe) en donne les conséquences pour l'économie française ; pour des raisons de déontologie, ce sont les conséquences telles qu'elles sortent directement du modèle.

L'impact à l'horizon 2005 est de 1 point de chômage en moins, le PIB n'étant pratiquement pas affecté. Il y a une période transitoire qui est relativement favorable en ce sens que la baisse du chômage incite les ménages à consommer plus et à acheter plus de logements, ce qui relance l'activité, mais cet effet transitoire s'estompe. Donc, à terme, il y a simplement un effet partage du travail et le taux de chômage est plus bas de 1 point.

M. René RÉGNAULT, Président .- S'agit-il d'1 point de croissance ou d'1 point de chômage ?

M. Henri STERDYNIAK .- Il y a 1 point de chômage en moins par rapport à ce qui figure dans le compte central. Vous pouvez le prendre ou ne pas le prendre selon que vous croyez ou non à l'impact de ces mesures.

En ce qui concerne la croissance potentielle, nous avons en Europe et en France une croissance potentielle de l'ordre de 2,5 % l'an ; il faut voir que l'Europe a été frappée d'un choc majeur, qui est le ralentissement de la productivité du travail. Naguère, la productivité du travail croissait au rythme de 4 % l'an ; on est actuellement dans des taux de l'ordre de 1,5 % l'an. Avec un tel ralentissement, les possibilités de croissance potentielle sont naturellement affectées.

On peut évidemment penser qu'une partie importante du ralentissement de la productivité du travail vient du ralentissement de la croissance elle-même ; la productivité du travail repartira peut-être à la hausse si l'on a plus de croissance ; un certain nombre de mesures qui réduisent la croissance de la productivité du travail sont plus ou moins réversibles, mais le plus probable actuellement, compte tenu de notre degré de connaissance, est de dire que ce ralentissement du progrès technique est durable, donc que la croissance est durablement plus faible.

Reste que nous avons un écart de 5 ou 6 points à combler ; le fait est que, compte tenu des comportements de salaires qui figurent en France et en Allemagne dans le modèle, les politiques économiques ne peuvent pas faire n'importe quoi. Le développement de la croissance se fait donc progressivement. Petit à petit, l'investissement repart ainsi que la consommation. Cela a des effets vertueux puisque la baisse du chômage fait que les ménages sont confortés dans la baisse du taux d'épargne et à moyen terme, on rejoint en 2005 une situation où la productivité du travail augmente comme les salaires réels ; on aura peut-être à ce moment-là une heureuse surprise : soit que la productivité du travail augmente plus rapidement, soit que les processus de formation des salaires soient modifiés. Mais dans l'état actuel des choses, on en est resté à cette vision raisonnable.

En réponse à M. le Sénateur Trucy sur la question de la rigueur budgétaire, il faut voir que l'Europe a connu une rigueur budgétaire extrêmement forte de 1992 à 1997, dans une période de faible croissance et de taux d'intérêt élevés par rapport à cette faible croissance.

Nous avons fait l'hypothèse que cette rigueur s'atténuerait. D'ailleurs, si l'on regarde la plupart des pays, on ne poursuit pas en 1998 le surcroît de rigueur que l'on s'est imposé de 1996 à 1997. Cela ne veut pas dire qu'on revient en arrière, mais que l'on reste au degré de rigueur qui a été atteint. Donc, le fait de passer d'une impulsion négative à une politique budgétaire neutre a, en différence, un effet favorable sur la croissance. Si effectivement, on a une croissance un peu vigoureuse et pas de remontées rapides des taux d'intérêt, on s'apercevra alors qu'un certain nombre de pays sont allés trop loin dans la rigueur. Cela dégage donc un peu de marge de manoeuvre qui sera bienvenue pour la croissance à venir.

En ce qui concerne la mondialisation, on peut effectivement estimer que nous n'en faisons pas assez, que nous restons prisonniers de pratiques archaïques, qui consistent à faire des prévisions par pays. Nous tenons compte des interactions (interactions commerciales et interactions par les flux de capitaux), mais nous n'avons pas encore une vision intégrée mondiale ou même européenne du développement économique. Pour nous, c'est conforté par le fait qu'il existe encore des conjonctures nationales en Europe. La situation italienne en 1997 par exemple est très différente de la situation finlandaise ou irlandaise et ce serait masquer le réel que de dire que l'on peut d'ores et déjà faire des prévisions à l'échelle européenne. Les problèmes de politique sociale, de politique budgétaire, de fiscalité, etc. restent encore extrêmement nationaux. Nous ne faisons donc pas le pas qui consisterait à faire directement des projections européennes, qui n'auraient aucun sens et qui nous écarteraient complètement du vécu. La vie politique, la vie économique continuent actuellement en Europe à se faire dans un cadre national.

En revanche, on essaye de tenir compte au mieux de cette mondialisation. Par exemple, nous ne pensons pas que des pays pourraient se lancer dans des politiques trop inflationnistes en Europe, parce qu'ils savent très bien qu'ils en seraient sanctionnés par des pertes de compétitivité, qu'ils ne pourraient pas corriger par des politiques de change.

Effectivement, un des problèmes que nous avons est la disparité des situations en Europe qui apparaît de façon évidente en 1998-99. Les taux d'intérêt qu'il faut pratiquer dans le nord ou le sud de l'Europe diffèrent, le taux d'intérêt espagnol ne devrait pas être égal au taux d'intérêt allemand. Pourtant, ce sera le cas en 1999 ; on va donc entrer dans une situation difficile où l'instrument unifié va devoir gérer des situations différentes et ce sera la politique budgétaire qui devra réguler de manière fine la conjoncture dans les différents pays alors que cette politique budgétaire n'est pas coordonnée à l'échelle européenne.

On voit donc que l'on a une source potentielle de conflits et de difficultés sur laquelle on ne s'est pas appesanti ici ; nous avons publié au début de l'année une lettre sur les questions de l'UEM dans laquelle on avait abordé ces questions ; on ne l'a pas reprise ici.

Un point important à l'avenir est que les besoins de croissance seront différents en Europe. La France a un taux de croissance de la population active qui est, sur le moyen terme, de 0,5 % l'an. L'Allemagne a une croissance de la population active nulle. Ce qui veut dire que l'Allemagne a un besoin de croissance, toutes choses égales par ailleurs, inférieur de 0,5 point par an ; cela signifie que sur huit ans, si la France et l'Allemagne ont le même taux de croissance, il y a 4 points d'écart de chômage entre la France et l'Allemagne. C'est une question qui devrait être réglée à l'échelle européenne ; il faudra que certains pays aient plus de croissance que les autres.

M. Olivier PASSET va nous dire quelques mots sur le Japon...

M. Olivier PASSET, économiste à l'OFCE .- Sur le Japon, je suis tout à fait en accord avec ce qu'a dit M. POTTER, c'est-à-dire que le scénario spontané est plutôt très pessimiste et déflationniste. C'est celui que l'on avait spontanément. Maintenant, il faut incorporer un Etat en crise, qui intervient probablement par petites touches au lieu de gérer massivement le problème, ce qui fait que notre scénario s'en ressent, à savoir que l'on n'est pas allé jusqu'au bout de la logique budgétaire telle qu'elle est annoncée. Implicitement, on voit bien que l'on a du mal à maintenir la parité du yen. Donc, ce que l'Etat n'est pas capable de résoudre, les marchés vont le résoudre probablement plus brutalement. On risque donc d'avoir un scénario peut-être plus contrasté sur le Japon, c'est-à-dire avec un décrochage plus massif de sa monnaie, peut-être même une remise en cause du régime ou de la politique budgétaire. Dans ce cas-là, on aura peut-être la même chose en moyenne que ce que l'on a mis, mais avec quelque chose qui risque d'être beaucoup plus contrasté.

Par ailleurs, la libéralisation au Japon a été peu incorporée. Ce que l'on sait, c'est que si une telle politique est réellement mise en oeuvre, à horizon de la prévision, c'est un scénario de destruction créatrice qui est plus destructeur à court terme et même à moyen terme, c'est-à-dire qu'aligner les prix japonais sur les prix internationaux et homogénéiser les règles de concurrence, c'est quelque chose qui n'est pas porteur de croissance à horizon de cinq, six ou sept ans.

Pour nous, ce n'est pas le canal immédiat de reprise, mais on a des mécanismes plus simples qui tiennent au décrochage du taux de change ou à une impulsion budgétaire plus forte.

M. SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) .- J'interviendrai sur des points restés en suspens et qui, en particulier, traitent du problème du prix des actifs ; peut-on s'attendre en Europe à une réplique de ce que l'on attend pour les Etats-Unis ? La remontée de la Bourse en Europe a-t-elle eu le même type d'incidence sur les comportements de consommation ?

Je ne le crois pas parce que nous ne sommes pas au même stade du développement économique. La grande différence entre le comportement américain ou britannique et le comportement du reste de l'Europe, est que ceci intervient dans un cadre où le chômage est sensiblement plus élevé et les incitations à s'endetter ont été jusqu'à présent beaucoup plus faibles de la part des différents agents économiques. D'une part, les ménages sont plus précautionneux et, d'autre part, les entreprises sont dans ce stade de restructuration qui les amène plus à s'intéresser au désendettement ou aux opportunités de croissance externe qu'à une réelle envolée dans les dettes. Nous en sommes encore très loin ; donc le risque de retour en arrière est beaucoup plus faible.

Si on est optimiste, on peut envisager une certaine déconnexion des évolutions boursières en Europe et aux Etats-Unis pour les années à venir parce qu'ensuite, on aura une phase très porteuse de croissance, qui est dans le scénario une croissance modérée, mais qui implique tout de même une certaine utilisation d'un effet de levier. Ceci soutiendra encore ces valeurs boursières qui sont aujourd'hui portées essentiellement par un excès de liquidité et pas encore par des perspectives durablement assises de croissance des rentabilités sur fonds propres.

En ce qui concerne l'immobilier et la Bourse, il y a des liens forts, mais parfois des divergences considérables. La principale divergence que nous avons aujourd'hui, notamment si l'on regarde le cas de la France, est que l'immobilier a été longtemps, comme vous l'avez dit, Monsieur le Sénateur, porté par le besoin de refuge dans des valeurs réelles, dans des périodes très inflationnistes. Ces périodes sont particulièrement néfastes à la Bourse parce que les opérateurs pensent que lorsqu'il y a de l'inflation, la capacité des entreprises à maintenir la part de leur profit est en danger.

Aujourd'hui, nous sommes dans un monde différent où l'immobilier ne bénéficie plus de cette fuite dans les biens réels et se trouve relégué au rang d'un actif comme les autres. Le particulier n'est plus dans la position où il est possible d'envisager de revendre son logement sans perte, ne serait-ce que par l'existence des droits de mutation qui, dans un monde sans inflation, représentent un élément de blocage majeur.

Aujourd'hui donc, les deux éléments sont dissociés, ce qui n'empêche pas qu'à partir d'une certaine retombée des prix des actifs immobiliers à un niveau considéré comme acceptable, la perspective d'un rendement convenable amène effectivement un retour des transactions, mais là encore, il faudra bien faire la distinction entre différentes dépenses d'immobiliers, celles qui sont susceptibles d'être influencées par les mouvements de capitaux internationaux qui reprendront un rôle important dans les années à venir ; si l'euro est une zone attractive, comme je le pense, dans le futur, à ce moment-là, ces segments de marché seront à nouveau très sollicités. Cela sera relativement indépendant de l'évolution de la Bourse.

Sur la question des Etats-Unis -crainte de jours noirs, conséquences chez nous-, ce qui est esquissé dans notre scénario à moyen terme, c'est finalement l'absence relative de diffusion des difficultés américaines sur le continent européen.

Nous pensons que si les Etats-Unis ont fait le plein de leurs plus-values potentielles, s'il n'y a pas un réel " new age ", mais quelque chose qui représente un retour à un fonctionnement plus normal de l'économie par rapport aux rigidités qui avaient lieu antérieurement, l'Europe suit, plus ou moins bien, et avec ses spécificités propres, le même chemin, et le fait qu'elle soit décalée d'une dizaine d'années à peu près par rapport au comportement américain, l'amène à être autonome dans cette évolution.

Le risque est donc plutôt que l'on soit trop attractif que pas assez, au moment où les Etats-Unis l'apparaîtraient moins.

M. René RÉGNAULT, Président .- Merci, Monsieur Sigogne.

Je pense que les intervenants ont obtenu réponse à leurs questions.

Y a-t-il d'autres réactions ?

Je vais maintenant considérer que notre discussion est close et passer à la suite de nos travaux.

Je vais donc donner la parole à M. Jean-Claude Berthélemy, qui est le Directeur du CEPII.

Si nous connaissons bien au Sénat le CEPII, qui collabore avec notre Assemblée depuis de nombreuses années, c'est la première fois que nous avons le plaisir, la chance, d'accueillir M. Berthélemy, à qui nous souhaitons la bienvenue puisqu'il vient tout récemment de prendre la Direction de cet organisme.

Monsieur Berthélemy, vous avez la parole.

III - INCERTITUDES ET OPPORTUNITÉS POUR L'ÉCONOMIE MONDIALE

M. Jean-Claude BERTHÉLEMY, Directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) .-

Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Monsieur le Commissaire, Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir souhaité m'associer au nom du CEPII à cette manifestation qui, pour le CEPII, a effectivement un double caractère de nouveauté cette année : le premier est que son Directeur a changé -vous l'avez mentionné- ; le deuxième est que, contrairement aux années passées, le scénario de perspectives de l'économie mondiale qui vous a été présenté a été confectionné toujours à l'aide du modèle MIMOSA, qui est notre copropriété avec l'OFCE, mais l'a été uniquement par l'OFCE suite à diverses réorganisations internes de nos deux instituts.

Je dois remercier nos amis de l'OFCE d'avoir accepté d'assumer la tâche ingrate de la préparation de cette projection à l'horizon 2005 et d'en avoir exonéré le CEPII ! Ces remerciements sont tout à fait sincères.

Le fait que le CEPII n'ait pas participé à cet exercice de projection ne signifie pas, bien au contraire, que nous ayons cessé de réfléchir à l'avenir de l'économie mondiale.

C'est à quelques réflexions sur ce sujet-là, en essayant de me placer d'un point de vue de moyen et long terme, que je vais me livrer maintenant.

Ma communication intitulée " Incertitudes et opportunités pour l'économie mondiale " portera en fait sur deux points particuliers, qui me semblent importants parce que nous sommes en train d'assister à une modification assez radicale de la configuration de l'économie mondiale. Réfléchir à cette configuration sera probablement dans les années à venir un préalable nécessaire à une démarche prospective sur des projections de l'économie mondiale.

Les deux changements radicaux dont je voudrais vous entretenir sont les suivants.

Le premier est la réussite hier, c'est-à-dire il y a un an, quasiment inespérée et aujourd'hui à portée de main, de la construction de l'Union Economique et Monétaire.

Il me semble et je vais vous indiquer pourquoi de suite, que la construction de l'UEM va modifier en profondeur le système monétaire international et pas seulement la vie quotidienne des citoyens européens.

En disant cela, je vais évidemment dans le sens d'un certain nombre de choses qui ont été dites notamment par M. Potter.

Le second événement dont je voudrais vous parler, qui n'était pas du prévisible il y a un an, est la crise asiatique ; la crise asiatique en elle-même n'est évidemment pas un événement de portée de long terme, comme cela est d'ailleurs reconnu dans la projection faite avec le modèle MIMOSA, mais cette crise signifie une fragilité accrue du système financier international globalisé, et ceci est une préoccupation très importante que nous devons avoir pour le moyen et le long terme.

Permettez-moi, Monsieur le Président, de développer un peu ces deux points.

Tout d'abord, l'Union Economique et Monétaire.

Il y a un an, les optimistes pensaient qu'il y aurait quelque six pays prêts à entrer dans l'UEM au 1 er janvier 1999. Maintenant, et sans vouloir préempter les décisions qui seront prises pendant le week-end du 1 er mai, nous savons qu'il s'agira de 11 pays. Cela change les perspectives parce que l'UEM va devenir dans l'économie mondiale, une zone intégrée de poids tout à fait comparable aux Etats-Unis et nettement plus important que celui du Japon.

Il me semble que cela constitue une modification assez importante de l'équilibre des relations internationales qui mérite notre attention.

Il y a évidemment des conséquences internes à l'Europe, qui ont déjà été évoquées, notamment une plus grande stabilité monétaire qui est déjà internalisée par les marchés. Rappelons-nous qu'après la crise mexicaine de 1994, il y avait eu un certain nombre d'attaques spéculatives sur les monnaies européennes. Après la crise asiatique de 1997, nous n'avons connu aucune de ces attaques. C'est un signe que les marchés ont compris qu'il y avait maintenant une stabilité durable des relations monétaires à l'intérieur de l'Europe.

Le deuxième aspect qui a été amplement souligné tout à l'heure concernant toujours les Européens eux-mêmes, a trait à l'assainissement budgétaire.

On peut présenter les choses de deux manières :

- celle de M. Sterdyniak tout à l'heure, c'est-à-dire qu'une fois que l'effort a été fait, on va pouvoir l'" arrêter ", en tout cas, on ne va pas avoir de coût supplémentaire ;

- une façon alternative de présenter les choses consisterait à dire que maintenant que nos gouvernements ont acquis une grande crédibilité dans leur politique budgétaire par un assainissement des finances publiques, nos économies sont dans une bien meilleure position pour faire face aux défis de l'avenir.

Cet acquis est important, il est à mettre au crédit du Traité de Maastricht et il ne faut pas le perdre de vue.

Pour ce qui est du système monétaire international, la question la plus importante que tout le monde se pose concerne évidemment la stabilité ou l'instabilité future des relations de change, notamment des relations entre l'euro et le dollar.

Des réflexions sont menées au CEPII et ailleurs sur ce sujet, qui vont dans différentes directions ; il me semble que l'argument le plus important à ce sujet consiste à dire que l'euro et le dollar étant appelés à terme à faire jeu égal dans le système monétaire international, ni les Etats-Unis, ni l'Europe ne pourront se permettre ce qu'ont fait les Etats-Unis pendant très longtemps, c'est-à-dire une politique de " benign neglect " qui a provoqué les fluctuations que l'on sait de la parité du dollar par rapport au deutschemark et aux autres monnaies internationales.

Je crois, mais c'est un pari que je fais sur l'avenir, qu'il y a une opportunité formidable liée à la création de l'UEM qui est une opportunité de stabilisation des relations monétaires internationales à travers une parité euro-dollar qui pourrait être plus stable que la parité deutschemark-dollar.

Voilà pour les opportunités liées à l'UEM à onze et dans un avenir probablement proche, à plus.

Quels en sont maintenant les risques ?

Le risque le plus évident, qui a déjà été souligné tout à l'heure, est celui consistant à avoir une monnaie européenne qui serait relativement forte. Ce risque est d'autant plus réel que si l'euro devient une monnaie internationale, et tout porte à croire que ce sera le cas à terme, il y aura évidemment une demande d'euro, aussi bien comme monnaie de transaction que comme monnaie de réserve et cette demande d'euro fera face à une offre d'autant plus limitée que la zone euro aura, comme cela est inscrit dans le scénario de l'OFCE, un excédent de balance courante structurel. Donc peu de sorties d'euro face à la demande d'euro sur le marché international.

Il ne faut pas toutefois surestimer ce risque ou se tromper de cible.

La première raison est qu'il est possible, me semble-t-il, que les marchés aient déjà internalisé la création de l'euro ; on l'a bien vu en tout cas en ce qui concerne la stabilité des monnaies européennes et si effectivement, il y a une certaine internalisation de la création de l'euro par les marchés, cela veut dire qu'une partie de l'effet que je signalais devrait être déjà inscrite dans les cours du deutschemark, du franc français et des autres monnaies qui deviendront des euros au 1 er janvier 1999.

Je ne pense donc pas qu'il y aura de hausse significative de l'euro dès sa création pour cette raison.

L'autre raison pour laquelle je disais qu'il ne faut pas se tromper de cible, c'est que finalement, ce qui fera la force de l'euro, c'est l'accumulation gigantesque des déficits courants américains. Les Etats-Unis, rappelons-le, sont devenus le plus important débiteur net de la planète, avec un actif net négatif de 1 500 milliards de dollars, qui s'accroît à un rythme de 150 à 200 milliards de dollars par an (d'après les chiffres du scénario MIMOSA qui me semblent être plutôt une fourchette).

Il y a de bonnes raisons de penser que ceci n'est pas soutenable à long terme. Cela pèsera peut-être sur le cours du dollar et contribuera à la force de l'euro, mais cela pourrait créer un danger bien plus grand encore. Ce risque est celui qui s'est manifesté dans les années passées quand les Etats-Unis avaient des préoccupations sur la balance courante, c'est-à-dire un risque de politique commerciale restrictive, protectionniste de la part des Etats-Unis. Ce risque est évidemment bien plus grand puisqu'il mettrait en danger le processus de globalisation.

De ce point de vue, la proposition de Sir Leon Brittan, d'aller vers une zone de libre-échange transatlantique, qui a beaucoup de défauts, qui ont été d'ailleurs soulignés à juste titre par les autorités françaises, aurait au moins le mérite de permettre aux Européens de prévenir partiellement un tel danger. C'est une réflexion évidemment ouverte que je vous livre à ce sujet.

Bien entendu, les problèmes du dollar dans le système monétaire international seront aussi liés à la situation en Asie puisque la zone euro n'est pas la seule à avoir des perspectives d'excédent courant dans l'avenir, le Japon en a également.

Permettez-moi donc, Monsieur le Président, d'en venir maintenant à la crise asiatique.

La crise asiatique et ses tenants et aboutissants présente évidemment beaucoup plus de risques que d'opportunités.

Je voudrais toutefois commencer par les opportunités.

Tout d'abord, et je crois que nous sommes parfaitement d'accord avec l'OFCE sur ce sujet, il me semble clair que la crise asiatique est essentiellement une crise de liquidité, avec une difficulté particulière concernant l'Indonésie ; je ne souhaite pas vous en entretenir aujourd'hui, vous connaissez la situation politique dans ce pays.

Cette crise de liquidité a malgré tout suscité dans ces pays des efforts de restructuration et d'assainissement extrêmement courageux, qui sont déjà en marche, notamment en Corée.

Pour cette raison, les pays asiatiques sortiront, à mon avis, de la crise qu'ils ont connue en 1997 et qu'ils connaîtront en 1998, avec un dynamisme renouvelé.

Les pays émergents asiatiques avaient jusqu'à présent des taux d'investissement extrêmement importants associés à des taux d'épargne qui dépassaient tous les records mondiaux et leur croissance rapide était essentiellement liée à ces performances d'investissement, malgré une assez grande inefficience dans l'allocation de ces ressources financières par leur système financier ; maintenant, avec l'assainissement qui est en cours dans leur système financier, leur épargne existe toujours et continuera à être importante, mais elle sera beaucoup moins gaspillée qu'auparavant, donc suscitera un dynamisme encore plus grand de la croissance.

Par conséquent, dans les cinq à dix ans à venir, l'Asie contribuera à alimenter durablement la croissance mondiale et je crois qu'il est de notre intérêt, à nous Européens, de faire en sorte que ce mouvement de rebond de l'Asie se matérialise le plus tôt possible et si possible avant les trois ans de la projection de MIMOSA, même si cela veut dire que ces pays, par les gains de compétitivité que l'on connaît, exporteront en plus grand nombre des marchandises sur nos marchés.

Il faut d'ailleurs noter que la croissance des exportations de l'Asie vers nos pays ne serait pas nécessairement dommageable -c'est une leçon élémentaire que nous tirons de la globalisation- tant il est vrai qu'une bonne partie des exportations de l'Asie vers l'Europe ne sont pas tant des concurrents des produits des industries européennes que des intrants dont nous avons besoin, que nous ne produisons plus ou peu et dont la baisse des coûts ne peut que nous bénéficier.

Voilà pour les opportunités en Asie.

Les risques sont nombreux.

L'économie du Japon est en panne. Cela a été souligné. Je voudrais sur ce point renforcer ce qu'a dit M. Potter tout à l'heure, à savoir que la crise du Japon est une crise profonde, qui est une crise de confiance qui ne sera certainement pas résolue par des mesures budgétaires de relance, fussent-elles aussi importantes que celles annoncées la semaine dernière et qui ne sont pas prises en compte dans le scénario MIMOSA de l'OFCE.

Il me semble que, même si cela doit représenter quelques coûts à court terme, le Japon ne sortira de cette crise de confiance qu'au prix d'une déréglementation massive notamment de la sphère financière, ce qui suppose que le Gouvernement japonais ait à la fois le courage politique et toute l'habileté nécessaire pour aller jusqu'au bout du projet de big bang , de libéralisation de la sphère financière.

Ce que je dis de la sphère financière vaut évidemment également pour la déréglementation des marchés de biens et services.

Un pays asiatique n'a pas été mentionné jusqu'à présent ; il s'agit de la Chine qui est l'autre géant régional de ce continent.

Nous devons à partir de maintenant parler de la Chine -et je pense que M. Dadush ne me contredira pas sachant ce qu'il a écrit sur le sujet- parce que la Chine va devenir l'un des acteurs majeurs de l'économie mondiale au 21e siècle et la Chine est dans une situation économique fragile. Le système d'allocation des ressources en Chine est encore plus inefficace que celui que l'on a connu jusqu'à présent en Corée ou en Thaïlande. Cela a été masqué par l'existence d'un système bancaire étatique particulièrement peu transparent. Mais dans les cinq à dix années à venir, la Chine ne fera pas l'économie d'une restructuration profonde de ses entreprises publiques, entreprise périlleuse sur le plan politique à la fois parce qu'elle aura des implications en termes de chômage et des implications en termes de refonte complète du système de protection sociale.

La Chine malgré son système politique non-démocratique est un pays où les pressions politiques sont importantes et prises en compte par les autorités publiques. Le danger serait que la Chine utilise un jour ou l'autre l'arme du change pour se redonner quelques marges de manoeuvre pour faciliter la restructuration qui a été annoncée. Evidemment, ce serait tout à fait catastrophique pour l'économie mondiale, pour le système monétaire international et pour le système financier international globalisé. Cela a déjà été mentionné ; c'est un souci très important et je suis sûr qu'il sera au centre des discussions que M. Zhu Rongji va avoir en Europe cette semaine.

Il me reste, Monsieur le Président, à vous parler de ce qui me paraît le plus sérieux en ce qui concerne la crise asiatique, c'est-à-dire le fait que cette crise manifeste une fragilité croissante du système financier international, fragilité qui s'était manifestée une première fois en 1982, qui s'est manifestée de nouveau au Mexique en 1994 et qui se manifeste maintenant en Asie.

Ces crises du système de financement international ne doivent pas nécessairement être évitées ; c'est très probablement le prix que nous devons payer pour la globalisation financière qui permet par ailleurs des gains d'efficacité qui ont été rappelés.

D'ailleurs, dans le mot " crise ", il y a en chinois deux concepts : celui de danger et celui d'opportunité.

Les crises sont donc non seulement inévitables mais utiles parce qu'elles permettent une réorganisation du système.

Maintenant, il faut savoir les gérer et il ne me semble pas que nous puissions nous permettre, sans coûts importants, d'observer dans l'avenir des crises telles que celle qui est apparue en Asie à l'été 1997.

Pour cela, au moins deux conditions doivent être remplies.

La première est qu'il existe un prêteur en dernier ressort, institution absolument nécessaire pour éviter des crises de liquidité. Nous n'avons pas les institutions en place pour cela. Comme cela a été écrit très brillamment par Michel Aglietta encore récemment, le FMI n'est pas en position de jouer ce rôle de prêteur en dernier ressort. Il nous faut donc réinventer un système monétaire international avec un vrai prêteur en dernier ressort.

La deuxième condition est que le prêteur en dernier ressort ne peut pas assumer son rôle s'il n'y a pas, par ailleurs, de mécanismes qui forcent les créanciers privés à assumer pleinement les risques qu'ils prennent. Nous sommes depuis 1982 dans un système extrêmement particulier où les autorités publiques, et en dernier ressort nos contribuables, assument finalement l'essentiel des risques associés à des prêts consentis plus ou moins prudemment par les banques et les fonds de placement.

Ce système a d'ailleurs montré qu'il fonctionnait parfaitement du point de vue des banques lors de la crise mexicaine de 1994 et il ne faut pas s'étonner que les banques se soient engouffrées dans la brèche en prêtant tout aussi imprudemment des sommes considérables dans les pays émergents d'Asie, avec les conséquences que l'on sait maintenant.

Ce que l'on oublie souvent, c'est que ces quinze dernières années de crise financière résolue par les autorités publiques, sont tout à fait atypiques par rapport à l'expérience historique que l'on a des crises financières.

Les crises financières internationales existent depuis qu'il existe des mouvements internationaux de capitaux. Simplement, elles étaient auparavant peut-être un peu moins fréquentes ; elles apparaissaient à un rythme de une tous les vingt ou trente ans, les plus connues étant celles des années 1820, 1850, 1880-90, 1910 et 1930. Dans toutes ces crises, ce sont les créanciers qui ont assumé les risques qu'ils avaient pris. Le plus remarquable est que malgré tout, sur cette période, si l'on calcule ex-post les rendements des obligations émises par les pays émergents de ces époques, y compris par exemple certains Etats du sud des Etats-Unis, on constate qu'ils ont été comparables, voire supérieurs, aux rendements des obligations émises par les gouvernements européens.

Donc le fait que les créanciers assument les risques qu'ils prennent en tant qu'investisseurs n'implique pas nécessairement qu'ils en subissent les coûts sur le long terme.

Un système financier international dans lequel les investisseurs assument les risques qu'ils prennent, n'est pas nécessairement un système dans lequel les investisseurs en question disparaissent.

Il y a sur ces bases une réflexion qui reste à mener sur l'avenir du système financier international, qui me semble urgente quand on observe ce qui s'est passé depuis cet été à la suite de la crise asiatique.

En conclusion, Monsieur le Président, je crois que nous entrons, grâce notamment à l'achèvement de la construction européenne, dans un monde où les règles du jeu et les attitudes des gouvernements ont commencé à changer, mais où beaucoup de progrès restent à accomplir dans le domaine de ce que l'on peut appeler en franglais la " gouvernance mondiale ".

C'est évidemment un monde que nous avons énormément de difficulté à percevoir et à prévoir, ce qui n'est pas étonnant : c'est un monde qui reste en partie à construire.

Des réflexions approfondies sur les perspectives de cette nouvelle économie mondiale, qui a connu des changements aussi radicaux que ceux observés à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, sont absolument nécessaires et nous ne pouvons que nous féliciter que le Sénat, à travers les colloques organisés depuis 1984 sur les perspectives de l'économie mondiale, donne une impulsion en France à de tels travaux.

Merci, Monsieur le Président.

M. René RÉGNAULT, Président .- Monsieur Berthélemy, je vous remercie. Vous venez de nous servir à haute dose une série d'informations et d'analyses, mais aussi de questions, d'interrogations et de perspectives. Voilà qui éclaire donc nombre de questions soulevées dans la première partie de nos travaux.

Je vais maintenant donner la parole à M. Uri Dadush, Chef du Groupe des perspectives du développement à la Banque Mondiale, que je remercie très vivement d'avoir accepté de traverser l'Atlantique pour nous faire part de ses analyses sur la crise asiatique dont on vient déjà de nous parler il y a un instant.

Je le remercie aussi doublement, car je sais par avance qu'il va s'exprimer en français.

Monsieur Dadush, je vous donne donc la parole pour une vingtaine de minutes.

IV - CAUSES, ENSEIGNEMENTS ET IMPLICATIONS DE LA CRISE ASIATIQUE

M. Uri DADUSH, Chef du Groupe des perspectives du développement à la Banque Mondiale .-

Merci, Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs, Messieurs les Sénateurs, je suis aussi heureux d'être parmi vous dans une discussion de si haute qualité.

Je vais développer quatre points sur la crise asiatique qui sont basés sur un rapport que l'on a publié la semaine dernière, intitulé " Global development finances ".

Premier point : la reprise en Asie devrait être longue et difficile et la crise aura des effets sensibles surtout sur les pays en voie de développement. Il y a peut-être là une différence d'accent parce que nous voyons des effets beaucoup plus importants sur les pays en voie de développement et moins importants sur les pays industriels.

Je voudrais commencer par dire qu'il y a des signes très forts qui indiquent que la situation financière est en train de se stabiliser dans la plupart des pays touchés par la crise. Par exemple, depuis le début de l'année, il y a plus de 50 % d'augmentation des bourses de la Thaïlande, de la Corée (en dollars), mais cette reprise financière reste fragile en raison des difficultés que connaît l'Indonésie et parce que le gros des efforts d'ajustement sectoriel reste à faire.

Selon nos prévisions, les cinq pays les plus touchés vont voir leur Produit Intérieur Brut chuter en 1998 et leur rythme de croissance ne retournera pas au rythme de tendance à long terme avant l'an 2000.

De ce point de vue-là, décrire la crise simplement comme une crise de liquidité me paraît sous-estimer l'importance et la profondeur de cette crise, sans mettre en doute la capacité de ces pays d'être solvables à long terme.

Le commerce devrait être à la base de l'ajustement, mais il y a des risques considérables que la reprise des exportations se trouve très ralentie par la faiblesse des échanges intrarégionaux qui représentent en Asie 50 % des exportations.

A cause de la récession au Japon et de la décélération en Chine, la reprise des exportations dépendra de façon très importante de la capacité d'absorption des marchés extérieurs à la région, c'est-à-dire les Etats-Unis et l'Union européenne. C'est une chance que cette crise ait eu lieu à un moment où ces marchés ont une bonne croissance.

L'impact de la crise devait être plus douloureux pour les pays en développement que pour les pays industriels. Par exemple, tandis qu'en 1998, les révisions des prévisions de croissance résultant de la crise asiatique, pour les Etats-Unis et l'Union européenne, sont minimes, les prévisions pour les pays en voie de développement ont été baissées en moyenne de 1 à 2 points selon les régions.

Pourquoi ?

Premièrement, parce que les effets de l'ajustement des échanges commerciaux seront plus ressentis par la plupart des pays en développement qui sont en général des petites économies ouvertes et qui ont des difficultés d'accès au crédit, particulièrement maintenant.

Deuxièmement, parce que les termes de l'échange ont déjà évolué en faveur des pays industriels.

Troisièmement, parce que les flux financiers sont détournés des pays en développement au profit des pays industriels.

Quatrièmement, parce que tandis que les politiques monétaires peuvent être relâchées dans les pays en développement, les politiques monétaires et fiscales dans les pays en voie de développement doivent devenir plus restrictives à la suite de la crise.

Je ne veux pas minimiser les effets sur les pays industriels ; il est vrai que jusqu'à maintenant, ils ont vu les effets positifs de la crise parce que les prix et les taux d'intérêt ont baissé, mais ils doivent encore en voir l'effet négatif qu'est l'ajustement commercial.

Malgré cela, on ne voit heureusement pas d'effet très important sur la croissance à cause de tous les facteurs que j'ai illustrés et d'autres.

Le deuxième point dont je voudrais parler sur la base du rapport est qu'à plus longue échéance, les effets de la crise asiatique sur les flux de capitaux privés, à notre avis, devraient être assez limités.

Malgré la crise, les flux des ressources privées à long terme vers les pays en voie de développement ont progressé d'environ 10 milliards de dollars en 1997 par rapport à l'année précédente, atteignant ainsi presque 260 milliards de dollars, qui est un record. Or, la tendance observée durant les trois derniers mois de 1997 est très différente de celle des neuf premiers, c'est-à-dire entre la période qui a suivi l'éclatement de la crise et la période qui l'a précédé. Pendant les premiers neuf mois, le volume des émissions d'obligations et des nouveaux engagements de prêt s'est élevé en moyenne à 20 milliards de dollars par mois, contre 12 milliards par mois pendant les trois derniers mois et à moins de 5 milliards par mois en janvier et février 1998, contre presque le triple de ce volume à la même période de l'an passé.

A supposer que la stabilisation financière se poursuive en Asie, le fléchissement des flux de capitaux privés sera limité en 1998 et les perspectives à plus long terme sont bonnes pour que la composante la plus importante de ces flux, à savoir l'investissement direct étranger, continue à croître.

Ces prédictions reposent sur trois considérations.

Premièrement, les pays en développement malgré la crise se trouvent face à une conjoncture extérieure favorable à la reprise, qui n'a pas de comparaison avec la conjoncture internationale des années 1980 ; le commerce international est en pleine expansion, les taux d'intérêt sont modérés.

Deuxièmement, malgré le fait que l'on a eu l'impression que les marchés ont réagi de façon très uniforme à la crise en faisant très peu de distinction entre pays, à notre avis, cette impression se base sur des observations de quelques semaines, mais après un certain temps, les marchés font vite la différence entre un pays et un autre. On a vu ce phénomène à la suite de la crise du Mexique ; on l'observe à nouveau dans cette crise. C'est ainsi que l'adoption d'une certaine politique en Thaïlande, en Corée et au Brésil a donné lieu à une reprise, si hésitante soit-elle, des flux financiers vers ces pays, alors que la situation reste très difficile en Indonésie.

Troisièmement, l'importance accrue des flux vers le secteur privé et, en particulier, des flux d'investissement de portefeuille, devrait se traduire par un redressement relativement rapide des flux financiers, sous l'effet de la réaction des investisseurs au fléchissement des prix. Par exemple, il ressort d'une enquête effectuée il y a quelques semaines par nos collègues des Nations Unies auprès des investisseurs étrangers que, dans l'ensemble, les entreprises multinationales ont maintenu leurs plans d'investissement dans la région. C'est une situation tout à fait différente de celle des années 1980, où les flux étaient des prêts de banques commerciales qui ont été restructurés sur une durée entre cinq et dix ans.

La troisième leçon que l'on tire de la crise est qu'il est nécessaire de réévaluer les indicateurs de solvabilité des pays.

Personne n'avait prévu l'ampleur et la gravité de la crise, et cette erreur de prévision est due, selon nous, en bonne partie au changement profond de la structure des flux de capitaux vers les pays en voie de développement.

Durant les années 1980, les flux étaient essentiellement constitués de prêts des banques commerciales aux gouvernements. Aujourd'hui, ils émanent de sources diverses, dont les plus importantes sont les entreprises multinationales et les fonds communs de placement, et ces flux vont de façon prédominante aux entreprises privées. Il va presque sans dire que les risques liés à ces flux sont très différents de ceux des années 1980.

Quand les emprunteurs étaient principalement les gouvernements, le risque souverain était déterminant. Certains indicateurs tels que le déficit budgétaire étaient d'une importance critique, au même titre que le taux d'épargne nationale, la croissance, le ratio dette-exportation, etc. ; dans la plupart des cas, ces indicateurs donnaient largement le feu vert aux investisseurs en Asie de l'Est.

En revanche, aujourd'hui, le risque est tout autant un risque d'entreprise qu'un risque souverain. La qualité du système bancaire, le degré d'endettement, l'ampleur de l'asymétrie des échéances et des monnaies et la confiance dans les taux de change sont autant de critères essentiels pour évaluer ce genre de risque.

De toute évidence, nous devons accorder beaucoup plus d'attention à ces variables. Malheureusement, la base d'information sur la qualité de beaucoup de ces variables, par exemple des prêts bancaires, laisse souvent à désirer dans les pays industriels et plus encore dans les pays en développement. C'est un problème qu'il faut résoudre.

Cela m'amène au quatrième et dernier point, c'est-à-dire une conclusion en matière de politique économique du rapport qui est très forte, à savoir qu'il est nécessaire d'adapter le renforcement du système financier dans les pays en voie de développement au rythme de la libéralisation financière.

Arriver à un système bancaire où la qualité de gestion interne est bonne et mettre une solide réglementation en place n'est pas chose facile. Bien que les pays industriels aient eu au moins un siècle pour le faire, plusieurs d'entre eux, parmi lesquels le Japon, les Etats-Unis et la Suède, se sont encore heurtés à de graves problèmes bancaires au cours des dix dernières années. Et malheureusement, nous savons que les crises bancaires sont plus lourdes de conséquences dans les pays en développement que dans les pays développés.

En Asie de l'Est, la libéralisation financière est un phénomène relativement récent, et comme la région a connu des performances économiques extraordinaires, l'afflux des capitaux a été énorme. Par exemple, en 1996, l'Indonésie a attiré un volume net de flux de capitaux privés équivalent à 6 % de son PIB et la Thaïlande, à 14 % et, dans les deux cas, les flux ont été de cet ordre de grandeur pour la troisième année consécutive.

Avec un certain recul, nous pouvons dire que le système financier de ces pays était mal préparé pour assurer l'intermédiation d'apports extérieurs d'une telle ampleur. On fournit dans ce rapport deux indications qui en attestent :

Premièrement, lorsque la crise a éclaté, la proportion de prêts non productifs était estimée à 15 à 20 % du total, c'est-à-dire 15 à 20 fois supérieur à celui des Etats-Unis. Les emprunts en devises contractés pour financer des investissements en monnaie nationale et les emprunts à court terme, pour des investissements immobiliers à long terme ont été deux erreurs élémentaires mais très coûteuses. La politique macroéconomique et la politique de l'échange ont contribué à créer des incitations perverses qui ont favorisé des décisions aussi aventureuses.

Deuxièmement, il semble à présent que certains des investissements dont l'accélération a coïncidé avec le brusque afflux de capitaux ont été mal orientés ou, pour le moins, ont donné des rendements relativement faibles, comme en témoignent divers indicateurs parmi lesquels la productivité marginale du capital, mesurée de différentes façons.

La crise a confirmé que pour tirer profit de l'intégration financière internationale, il faut d'abord remplir certaines conditions : l'existence de solides marchés financiers, l'abondance d'informations et la transparence, conjuguées à une saine politique macroéconomique. Ces conditions préalables ne sont pas une garantie qu'il n'y aura plus de crise, mais elles en réduisent le risque et augmentent sensiblement les chances que l'emprunt à l'étranger donne les résultats attendus. Et lorsque ces conditions sont réunies, les effets de toute crise éventuelle ont des chances d'être moins perturbants.

Pour conclure, Monsieur le Président, je dirai que le ton prudent adopté par la Banque Mondiale dans ce rapport à l'égard des brusques afflux de capitaux privés ne trahit pas une volonté de dissuader les dirigeants des pays en développement de poursuivre le processus d'intégration dans les marchés financiers mondiaux. Les gains à attendre de cette intégration sont très substantiels, surtout pour les flux d'investissement étranger direct, mais on cherche, à la suite de la crise asiatique, à présenter les conditions importantes de manière à permettre de tirer le maximum des apports des capitaux extérieurs et de faire cela d'une façon réaliste.

M. René RÉGNAULT, Président .- M. Dadush vient de nous apporter un autre éclairage sur la crise asiatique, dont chacun d'entre nous aura certainement retenu l'importance et la qualité, et fera de tout cela de quoi conduire sa propre réflexion.

Je vais me tourner maintenant vers M. Charpin à qui je vais demander d'intervenir. Il sera le dernier intervenant, donc celui de la conclusion de nos travaux.

V - CONCLUSION DU COLLOQUE

M. Jean-Michel CHARPIN, Commissaire au Plan .-

Monsieur le Président, je vais faire trois remarques qui portent respectivement sur le niveau français, le niveau européen et le niveau international, pour dire à la fois comment j'apprécie les analyses qui nous ont été présentées et quelles questions j'en tire pour l'avenir.

En ce qui concerne l'économie française d'abord, les perspectives à court terme qui ont été présentées par l'OFCE ont été qualifiées à la fois par Henri Sterdyniak et d'autres participants au débat, d'optimistes. Personnellement, je ne les qualifierai pas vraiment d'optimistes ; elles sont certainement favorables, mais si elles nous apparaissent comme optimistes, c'est parce que nous avons du mal à intérioriser la vitesse de croissance actuelle de l'économie française.

Dans les prévisions que vient très récemment de publier l'INSEE, le chiffre de glissement du PIB entre le premier trimestre 1997 et le premier trimestre 1998 est de 3,6 %. Il n'a pas été repris par la presse pour la bonne raison qu'il n'est écrit nulle part dans le rapport de l'Institut. C'est un chiffre relativement élevé et que les prévisionnistes à court terme de l'économie française sont amenés à prendre en compte, même si le chiffrage précis du premier trimestre 1998 n'est pas encore définitif.

En conséquence, pour arriver à des moyennes annuelles de l'ordre de 3 % sur le PIB total, ou de 3,1 % sur le PIB marchand, comme ce qui est repris dans la prévision de l'OFCE, on peut incorporer un ralentissement finalement pas négligeable du tout en cours d'année.

En ce qui concerne la prévision à moyen terme, elle donne un chiffre de 2,3 %, Monsieur le Président demandait tout à l'heure à quelles conditions ce chiffre pourrait être augmenté. On pourrait faire des exercices de ce type pas inintéressants. D'après les chiffrages disponibles sur l'économie française, un taux de croissance de ce type sur moyenne période est proche des estimations du taux de croissance potentiel.

Dans un article récent, Jean-Paul Fitoussi et Olivier Blanchard proposaient pour la France des taux de croissance effectifs nettement supérieurs dans la période qui vient, d'environ 1 point par un, même un peu plus. Cela dit, le problème de fond n'est probablement pas celui-là. Le problème de fond est que dans la projection de l'OFCE, comme dans l'exercice réalisé par MM. Blanchard et Fitoussi, au bout d'un certain temps, on arrive à un taux de chômage que l'on ne peut plus faire baisser ; on y arrive plus ou moins tôt ou plus ou moins tard suivant le taux de croissance intermédiaire.

Dans l'exercice de l'OFCE, ce taux est atteint en fin de période et est un peu inférieur à 10 %. Se posent alors des problèmes d'une autre nature, qui peuvent d'ailleurs concerner fortement mon institution : pourquoi la reprise conjoncturelle ne parvient-elle pas à faire baisser le chômage au-delà de ce seuil ? Quels sont les changements de nature structurelle qui seraient nécessaires pour aller en dessous de ce seuil, pas très éloigné de celui que l'on avait constaté à la fin des années 1980, au moment de la période de très forte croissance ? On était à l'époque très légèrement passé au-dessous de 9 % et ensuite, cela n'avait plus baissé.

Au niveau européen, je partage tout à fait les diverses appréciations qui ont été portées sur le fait que la création de l'euro se passe dans de bonnes conditions, que les anticipations des marchés, la bonne conjoncture font que la mise en place devrait se faire de façon calme.

Néanmoins, je ne vois pas dans la bonne réaction du système monétaire et des économies européennes à la crise asiatique, une preuve que tout cela serait extrêmement solide, donc qu'il n'y aurait plus de menace pour l'avenir. Il me semble que la particularité des arrangements de coordination monétaire, c'est qu'ils sont extrêmement efficients face au choc symétrique, que l'on peut même d'une certaine façon relier d'assez près toute cette construction progressive de l'Union monétaire européenne depuis vingt ans au fait qu'il y a eu beaucoup de chocs symétriques -en mettant de côté, bien sûr, la réunification allemande- sur l'économie européenne depuis vingt-cinq ans, dont les plus forts ont été les chocs pétroliers. Face à ce type de choc, les arrangements de coordination monétaire créent un supplément d'efficacité et la crise asiatique est clairement de cette nature.

Cela ne doit pas nous empêcher de continuer à réfléchir beaucoup au risque que dans l'avenir surviennent de nouveau des chocs asymétriques, aux tensions que cela ferait à ce moment là peser sur l'Union Monétaire européenne et sur les dispositifs qu'il convient de mettre en place, soit au niveau des Quinze, soit au niveau des Onze, soit aux niveaux nationaux, pour éviter que de tels éventuels futurs chocs se soldent entièrement sur l'emploi, comme cela a été finalement assez largement le cas lors du choc de la réunification allemande.

Troisième remarque sur le niveau international. Je partage beaucoup des appréciations qui ont été portées par Jean-Claude Berthélemy et Uri Dadush.

Dans les mécanismes préventifs ou curatifs, il faut veiller à ne pas empêcher la mondialisation financière de se poursuivre, de se manifester les bienfaits d'une allocation internationale du capital efficace. En revanche, il faut porter une extrême attention, probablement plus qu'on ne l'a fait, d'une part, aux mécanismes de gestion de crise et, d'autre part, à la surveillance du système financier.

Les mécanismes de gestion de crise sont encore très insuffisants en matière internationale. A Wall Street, sur le Stock exchange, des dispositifs ont été développés pour faire en sorte que, dès que le marché se met à divaguer, un certain nombre de dispositifs se mettent en route, de diverses natures, qui permettent d'éviter que les choses dérapent de façon trop considérable. Dans les crises internationales, de quelque nature qu'elles soient, on en est extrêmement loin. Quand se manifestent des crises de liquidité comme celle que l'on a vue se manifester récemment, c'est avec des bricolages mi-public, mi-privé, que l'on arrive à éviter des effondrements gravissimes, comme ce qui s'est passé pour la Corée du sud vers la fin de l'année 1997, mais tout cela est encore largement improvisé.

Il n'est pas simple de l'organiser parce que chacun a compris que les deux propositions faites par Jean-Claude Berthélemy, c'est-à-dire le fait de construire un prêteur en dernier ressort international et en même temps augmenter la réalité du coût du risque pour les prêteurs, ne sont pas naturellement compatibles. Le fait de créer un prêteur en dernier ressort aura pour effet d'augmenter encore tous ces problèmes d'information sur le crédit, de hasard moral. De plus, être prêteur en dernier ressort au niveau international, c'est très difficile ; son rôle doit être par définition ambigu, imprévisible, arbitraire à certains égards. Sinon, il augmente de façon considérable les risques de hasard moral, et on se demande quelle institution au niveau international pourrait avoir la légitimité de prendre des décisions dont une caractéristique serait son caractère arbitraire.

Concernant la surveillance des institutions financières on a découvert qu'il y avait un grave manque dans la finance internationale. Pour les pays développés, Monsieur Dadush l'a rappelé en omettant, par courtoisie, un cas évident qui est celui de la France. On a découvert à l'occasion de la crise asiatique que c'était encore bien pire dans un certain nombre d'autres pays, malgré la considérable activité de réglementation qui a été organisée par le Groupe des Dix au cours des dernières années. Il ne suffit pas de faire des réglementations internationales, encore faut-il que les institutions chargées de les appliquer dans les différents pays les appliquent, donc qu'elles soient elles-mêmes surveillées par des superviseurs vigilants.

M. René RÉGNAULT, Président .-

Nous arrivons à la fin de nos travaux. Je voudrais, puisque je n'occupe ce poste que très provisoirement, vous dire, Messieurs les experts qui vous êtes exprimés, et à vous qui avez eu la bonté de les écouter avec beaucoup d'attention, deux choses que j'ai retenues, en restant dans le caractère mondial du propos qui a été la marque de cette matinée de réflexion.

Vous nous avez livré un certain nombre d'éléments concernant les outils dont il faudrait encore se doter. J'ai reçu comme étant l'appel à la création ou à la définition d'un grand chantier celui relatif à ce système financier international, qu'il conviendrait de réorganiser ou tout simplement d'organiser, et j'ai vu en écoutant M. Charpin, que la marge de manoeuvre n'était pas si aisée que cela. Mais merci, Mesdames et Messieurs les experts, de la contribution que sera la vôtre à tout ce que vous pourrez apporter à l'émergence de ce grand arbitre mondial qui aujourd'hui, s'il existe, Monsieur Dadush, existe de façon insuffisante. C'est ce que nous a dit M. Berthélemy et entre vous, s'il y a des différences d'analyses, il n'y a pas de contradiction au niveau du diagnostic, mais aussi au niveau de la proposition de traitement que vous suggérez.

On voit bien que nous naviguons encore quelque part à vue, mais je suis d'une région de marin et la navigation à vue, si pour le cabotage, cela peut se concevoir, quand il faut prendre la haute mer, il vaut mieux avoir des instruments de bord plus sophistiqués. Ils ne le sont jamais assez pour assurer la sécurité, preuve d'ailleurs que nous ne sommes pas là non plus, tout au moins le passé récent l'a montré, à l'abri de tout accident.

La deuxième chose que j'ai retenue est que nous pouvions nous demander, nous les élus et les politiques, à quoi nous servions, car au fond ces experts ont eux des instruments et l'instrumentation se développe. J'ai retenu au moins une chose : on peut avoir tous les outils et les meilleurs du monde, s'il n'y a pas quelque part aussi la société et la confiance de celle-ci, les meilleurs instruments sont aussi quelque part condamnés à une relative inefficacité.

C'est donc ce mariage des deux qu'il faut toujours mieux réussir. C'est pour ce faire que nous avons organisé ce colloque qui a été d'une très haute tenue, qui me vaut de remercier celles et ceux qui nous ont fait l'honneur d'y participer, remercier les intervenants pour la richesse des propos et la " fraîcheur " de la réflexion puisque vous faites référence à des rapports qui viennent d'être publiés ou qui vont l'être incessamment.

Je dois également beaucoup de remerciements à mes collègues Vice-Présidents de la Délégation, qui m'ont confié la présidence de ce Colloque, afin qu'il puisse se tenir en temps et en heure, ce qui était la manière la plus simple de rendre hommage à Bernard BARBIER et qui permettra à l'opinion publique, au travers des comptes rendus qu'en fera la presse, de bénéficier des réflexions que les experts conviés ce matin nous ont soumises.


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