B. L'ADAPTATION DE LA PRODUCTION FRANÇAISE

On peut faire deux lectures des analyses sur la situation de l'industrie française des programmes. L'une, pessimiste, tend à considérer que l'accroissement considérable des besoins en programmes résultant du développement du câble et du satellite profite plus à la production américaine qu'à la production européenne ; l'autre, plutôt optimiste, souligne le début d'un changement de mentalité dans la façon dont les opérateurs français abordent la concurrence internationale.

1. Réveil des exportateurs

Pour Olivier-René Veillon, délégué général de TVFI 25( * ) , une mutation profonde, dont on n'a pas encore pris l'exacte mesure, s'est opérée au début des années quatre-vingt-dix dans la stratégie des entreprises audiovisuelles françaises prenant enfin en compte les possibilités du marché international.

Selon lui, plusieurs phénomènes ont contribué à cette prise de conscience :

• Le financement insuffisant des radiodiffuseurs français dans le cadre d'une demande en forte croissance en volume pour des programmes ambitieux, alors que l'on a assisté à un resserrement relatif des apports des chaînes consacrés à la production audiovisuelle du fait notamment de l'augmentation des coûts de programmes de flux (sports, émissions des animateurs vedettes) ;

•  Le marché international, peut-être saturé par une offre surabondante en productions américaines, s'est ouvert à de nouveaux acteurs dont la multiplication a suscité une offre alternative que les Américains n'ont pu complètement dominer ;

Les producteurs français se sont donc trouvés contraints de se présenter sur le marché international pour combler le déficit structurel de financement que leur imposaient les chaînes françaises. Ils ont alors découvert que ce marché était beaucoup moins fermé qu'il ne paraissait a priori, pour autant que leurs projets aient une véritable dimension internationale.

L'animation est aujourd'hui le secteur où la réussite des producteurs français est la plus évidente, et ce d'autant plus qu'il s'agit d'un genre de programmes le plus mal financé par les chaînes françaises car non diffusé en début de soirée. Leur réussite doit être soulignée : 90 % des programmes d'animation produits en France le sont avec un financement international, par le jeu de coproductions ou de ventes. Aujourd'hui, il n'est pas une programmation de dessins animés ou une chaîne spécialisée dans le monde qui ne diffuse des programmes coproduits avec la France.

Cette performance a été acquise grâce, notamment, à une grande stratégie d'alliance avec un pays clé sur le marché international : le Canada.

Votre rapporteur a maintes fois attiré l'attention sur le caractère exemplaire de la politique menée par le Canada. Ce pays, avec Téléfilm Canada et plus spécialement, au Québec, avec la SODEC, apporte un soutien équivalent à celui mis en oeuvre par le Centre National de la Cinématographie en France. Au-delà de la solidarité linguistique avec le Québec, cette identité de stratégie a permis de mettre sur pied un accord de coproduction entre la France et le Canada à l'origine de nombreuses initiatives conjointes.

Des résultats à l'exportation plutôt encourageants

Une étude récente de l'INA, du Centre National de la Cinématographie et de TVFI évalue le montant des ventes à l'étranger d'oeuvres audiovisuelles françaises, en 1996, à 494 millions de francs.

Si l'on ajoute à ce chiffre les préventes et les coproductions avec des partenaires étrangers qui se traduisent systématiquement par des cessions différées de droits exprimées en termes de territoires et ou de supports, ainsi que les ventes en France à des structures de diffusion internationale, telles que TV5 ou CFI, on aboutit à un chiffre d'affaires global de 1,29 milliard.

Ce chiffre ne comprend pas les " autres cessions d'images " (informations, sports, et autres " émissions de flux "). Compte tenu de l'opacité du marché, on ne dispose sur les produits correspondant que d'estimations approximatives. Les montants n'en apparaissent pas moins importants : ainsi, les exportations de programmes sportifs dépasseraient la centaine de millions de francs.

Enfin, pour être tout à fait complète, l'évaluation du chiffre d'affaires à l'exportation devrait, comme cela est le cas dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne, prendre en compte la réexportation de programmes étrangers réalisés par des sociétés de distribution nationales, estimée pour la France, en 1996, à 228 millions de francs.

En définitive, le chiffre d'affaires à l'international des systèmes de production/distribution français aurait pu représenter, en 1996, plus de 1,6 milliard de francs.

On note que le chiffre de 1,29 milliard de francs, évoqué pour 1996, est à rapprocher de ceux de 1995 et de 1994, de l'ordre de 1 milliard de francs. La performance en terme de croissance, est à la fois beaucoup et peu : beaucoup, si l'on se réfère à l'accroissement relatif, 30 % en un an ; peu, si l'on tient compte de l'accroissement, plus important encore, des déficits français et européen vis-à-vis de la production américaine dans ces domaines.

Il est donc nécessaire de lever le masque des performances inégales selon les secteurs et selon les pays.

L'essentiel des ventes à l'étranger des programmes français concerne trois genres : la fiction (35 %), 1'animation (35 %), et le documentaire (19 %).

La répartition géographique confirme la prédominance de l'Europe occidentale qui concentre environ 70 % de la valeur globale des exportations. Si l'on ajoute la part des pays de l'Est, la part européenne s'élève à 76 % .

Sur ce marché européen, l'Allemagne s'impose comme le client privilégié avec 27 % des exportations. Les trois autres grands pays : la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne représentent respectivement 6 %, 19 % et 11 % des exportations françaises, alors que les deux principaux marchés francophones européens représentent 18 % : la Belgique (13 %) et la Suisse (5 %).

L'Amérique du Nord - le plus important marché mondial - fournit seulement 7 % des débouchés à la France, légèrement moins que l'Asie-Océanie, une zone géographique à forte perspective de croissance. L'Amérique latine ne représente que 5 % des exportations françaises, pour un continent de près de 500 millions d'habitants.


On peut souligner également la disparité des ventes de programmes français de télévision par genre et par zone. La fiction, en régression (40 à 35 %), trouve plus facilement ses acheteurs en Europe ; ce genre s'exporte plus difficilement dans les autres zones géographiques. L'animation, qui progresse de 11 à 35 %, trouve ses clients en Europe, mais apparaît aussi appréciée en Asie-Océanie, et au Canada. Le documentaire est le genre qui s'exporte " le plus équitablement " entre les grands marchés audiovisuels : l'Europe occidentale ne représente que 55 % des débouchés étrangers, contre 70 % en moyenne pour l'ensemble des programmes de télévision.

Les tendances observées indiquent que la production française s'exporte d'autant mieux qu'elle s'est alignée sur les standards internationaux : contenus universels et durée standard. La mise en chantier depuis 1996 par les diffuseurs français de séries de fiction au format 52 minutes (notamment dans le genre policier) devrait encore renforcer le développement futur des ventes internationales de programmes français de fiction, puisque ce format représente la plus forte demande internationale.

Le documentaire français paraît aujourd'hui suivre la même évolution, avec une forte croissance de ses ventes sur le marché mondial et l'émergence de coproductions internationales ambitieuses, qui associent à des projets originaux les principales chaînes européennes et américaines. Comme pour l'animation, les producteurs documentaires ne trouvent pas, en France, les moyens de leur ambition, mais ils disposent de la part des chaînes d'un contexte éditorial favorable. En effet, de nombreuses cases documentaires se sont imposées dans les grilles depuis dix ans, de Thalassa sur France 3, à la place donnée à ce genre dans les programmations de La Cinquième et d'ARTE.

Contrairement aux programmes d'animation et de documentaire qui sont, par nature, internationaux, la fiction est essentiellement nationale puisqu'elle s'alimente des représentations et des valeurs d'une collectivité.

M. Olivier-René Veillon souligne à cet égard le paradoxe du succès actuel des fictions télévisées : " plus se renforce et s'affirme la qualité de ses productions de fiction, sanctionnée par des succès d'audience croissants, au détriment du cinéma notamment, et par un renforcement de sa place dans les grilles, plus les thèmes traités, la nature des personnages et les contextes, dans lesquels ils évoluent, apparaissent franco-français. Le mouvement a eu pour conséquence de rendre quelque peu obsolète un modèle de coproduction, développé dans les années soixante-dix - quatre-vingt, entre les grandes chaînes européennes, principalement de service public, qui visait à susciter des références communes en partageant situations, acteurs et lieux de tournage ". Le délégué de TVFI ne regrette guère " la disparition de ces grandes machines où plus qu'un véritable projet de coproduction fondé sur la qualité intrinsèque d'un projet régnait le souci d'une répartition des coûts au détriment de la cohérence du résultat... car, si, dans les chiffres, la tendance à la disparition de ce type de projet marque le recul des coproductions dans le domaine de la fiction en 1996, ce mouvement s'accompagne d'un succès croissant de la fiction française sur le marché international, lisible dans l'évolution de ses ventes qui viennent compenser le recul des coproductions). "

Cette orientation de la production vers les standards internationaux suppose une adaptation des formats à deux niveaux :

Le premier est bien connu, il s'agit du format, le 90 minutes qui n'est produit et diffusé qu'en France, seul pays où la durée télévisuelle en matière de fiction est alignée sur la durée des films de cinéma ;

• Le second, également lié à la référence au modèle cinématographique, a trait à la préférence pour les films unitaires, au détriment des collections : les succès inattendus dans leur ampleur de " Derrick " sur France 3, d'" Urgences ", sur France 2 et de " X Files " sur M6 ont contribué à accélérer la prise de conscience des responsables des chaînes françaises.

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