III. UN POSITIONNEMENT DE L'ASSURANCE FRANÇAISE TRÈS INÉGAL SELON LES MARCHÉS ET EN GÉNÉRAL TRÈS DÉFENSIF SUR LES GRANDS RISQUES

On se ferait une idée vraisemblablement embellie de l'assurance française à partir de la considération de sa bonne position sur le marché des particuliers et des risques de masse et de la considération complémentaire selon laquelle le marché des particuliers génère, en France du moins, 80 % du total des primes encaissées.

Cependant, la haute technologie de l'assurance est du côté du risque industriel ou du risque de transport, et le dynamisme d'un marché dépend largement de la capacité durable des offreurs sur ces segments de marché. Par ailleurs, une maîtrise suffisante de ces marchés est une des clés de la compétitivité internationale dans la mesure où la composante assurance du commerce international (le " A " du CAF) et des projets internationaux est loin d'être négligeable.

Or, l'assurance française est vraisemblablement en grave régression sur la couverture des divers risques de l'entreprise et même, quoique dans une bien moindre mesure, sur celle des particuliers. Elle est dans une position très défensive sur le marché des risques industriels et associés qui, compte tenu de sa situation financière peu florissante, augure mal de l'avenir de ces branches d'assurance françaises dans la compétitition internationale très vive qui est engagée depuis plusieurs années. En particulier, le positionnement des groupes étrangers sur le marché du risque crédit va jusqu'à poser un problème d'intelligence économique pour l'industrie française.

Un certain retard technique, un manque d'innovation et une frilosité générale à l'égard des grands risques dont la couverture échappe à la loi des grands nombres, semblent caractériser les acteurs français de l'assurance, qui préfèrent travailler sur des produits standardisés où le prix est l'argument de différenciation le plus important. Cela est vrai en particulier du risque industriel (toute la cartographie du risque de catastrophe naturelle par exemple est allemande ) mais cela peut être vrai aussi en assurance-vie où les acteurs les plus innovants sont plutôt britanniques.

Par ailleurs, les positions de l'assurance française sur son propre marché se sont récemment fortement dégradées à l'occasion des restructurations qui se sont produites dans l'industrie de l'assurance. On peut mesurer ce recul en observant la part du marché français qui est désormais celle des acteurs de l'assurance détenus par des capitaux non-français.

Parts de marché français détenues par les sociétés d'assurance

sous contrôle étranger en % (sans AGF, ATHENA et GAN) en 1996

Particuliers 13,4 %

Risques industriels 25,2 %

Transport 16,5 %

Construction 9,9 %

Crédit caution 7,5 %

Autres 5 %

Parts de marché français détenues par les sociétés d'assurance sous contrôle étranger en % (y compris AGF et ATHENA, mais sans le GAN) en 1996 80( * )

Particuliers 24,8 %

Risques industriels 39,3 %

Transports 42,9 %

Construction 15,9 %

Crédit caution* 84,4 %

Autres 8,9 %

* Chiffres calculés avec la part de marché de la Coface, dont les AGF étaient l'actionnaire de référence avant la séparation. Les AGF restent en revanche l'actionnaire de référence de la SFAC.

Il serait bien sûr intéressant de connaître l'évolution de ces chiffres en France et de disposer des données complémentaires sur les autres marchés nationaux européens en prenant en compte l'ancienneté de la déréglementation sur ces marchés pour former un jugement parfaitement éclairé. Cependant, dans les grandes restructurations récentes, il ne paraît pas y avoir eu d'acquisitions françaises équivalentes en Europe (à l'exception du rachat par AXA de la Royale Belge, deuxième assureur belge, en mai 1998). Les acquisitions françaises ont plutôt eu lieu aux Etats-Unis. Par ailleurs, le positionnement international traditionnel de la croissance française s'est très orienté vers le Sud et très peu vers l'Europe du Nord.

Ces quelques chiffres concernant les divers segments du marché de l'assurance en France, montrent cependant que l'optimisme n'est guère de mise au sujet du devenir de l'assurance française et de la maîtrise même de son propre marché. La prise en compte de l'identité des acteurs de la réassurance qui sont, pour les plus importants, allemand ou alémanique (la Suisse de Ré qui est le premier réassureur mondial est zürichoise) alors que les réassureurs forment la clé de voûte des marchés de l'assurance et qu'une certaine désintermédiation de la relation d'assurance entre grands groupes et réassureurs au détriment de l'assurance directe peut être observée, ne peut que renforcer cette inquiétude.

En sens contraire, en vingt ans l'assurance française a pris un pied important sur le marché de la réassurance grâce en particulier à la SCOR et à AXA RÉ. La rentabilité technique et globale de la réassurance française s'est d'ailleurs bien améliorée ces dernières années (voir annexe 8 de ce chapitre).

Ce mouvement positif n'est cependant pas suffisant pour empêcher le déplacement des centres de décision en matière de risque industriel vers Zürich, Münich et Londres.