B. UN " SCÉNARIO NOIR " POUR L'EUROPE ?

Votre Rapporteur rappelait en introduction à ce chapitre le double décalage entre l'optimisme des prévisions à court terme pour l'Europe et la dégradation de son environnement mondial, d'une part, et entre cet optimisme et l'inquiétude exprimée en marge de leurs prévisions par les économistes, d'autre part.

Ceci peut s'expliquer par l'attitude des prévisionnistes qui consiste à privilégier un scénario " moyen " . Ainsi, un scénario extrême d'effondrement de l'économie mondiale et de l'économie européenne n'est-il pas, dans cette approche, le plus probable . On peut comprendre également le souci des prévisionnistes de ne pas ajouter au ralentissement de la croissance en présentant des prévisions pessimistes qui porteraient atteinte au moral des agents économiques.

C'est cette attitude qui avait pu être observée à l'automne 1992, où les prévisions pour 1993, dans leur grande majorité, n'intégraient pas l'hypothèse d'un ralentissement encore plus fort que celui déjà à l'oeuvre, certainement dans le souci de ne pas contribuer à la perte de confiance des agents. On sait ce qu'il advint de la croissance en 1993...

• Cette référence historique à la récession de 1993 est, précisément, avancée parfois pour discuter les scénarios à court terme actuels pour l'Europe.

En 1993, la récession est venue d'un effondrement de la demande intérieure que les déterminants économétriques habituels de la consommation ou de l'investissement n'ont pu expliquer (en particulier la remontée du taux d'épargne des ménages). Le contexte macroéconomique actuel semble aujourd'hui très différent : les taux de change intra-européens sont stabilisés, alors qu'en 1992-1993 les fortes dévaluations de certaines monnaies européennes (lire italienne, peseta espagnole notamment) avaient généré un climat d'incertitude qui a certainement contribué à la chute de l'investissement industriel ; surtout, les taux d'intérêt réels à la fin de 1992 étaient quatre fois plus élevés qu'actuellement, suite au choc de la réunification allemande. Le scénario monétaire, à l'exception de l'incertitude sur le dollar, est ainsi aujourd'hui beaucoup plus favorable, de sorte que les deux périodes ne peuvent pas être comparées.

• Votre Rapporteur regrette pourtant qu'aucun organisme de prévision n'ait cherché à construire, ne serait-ce qu'à titre illustratif , un " scénario noir " pour l'économie européenne. Puisque celui-ci est présent à l'esprit, un tel exercice aurait en effet permis d'envisager les hypothèses conduisant à un tel scénario, de vérifier leur vraisemblance et de " tester " les réactions de politique économique.

Selon votre Rapporteur, et si l'on fait abstraction d'une possible rechute du dollar dont les conséquences pour l'économie européenne ont été évoquées précédemment, les hypothèses permettant de simuler un scénario à court terme plus défavorable pour l'économie européenne doivent être recherchées du côté de la demande intérieure plutôt que du côté de l'environnement international.

En effet, dans les scénarios présentés, la croissance mondiale vue d'Europe serait nulle en 1998 et faiblement positive en 1999. Pour que l'environnement international soit encore plus défavorable, il faudrait un effondrement de l'Amérique latine ou une nouvelle crise en Asie (sachant que l'OFCE retient par ailleurs l'hypothèse que l'économie américaine entrerait en récession à la fin de 1998).

En Amérique latine, le Brésil souffre d'un déficit public et d'une dette élevés, de la surévaluation de sa devise et de la faiblesse de l'épargne nationale. La fragilité de ce pays, qui représente 50 % du PIB de l'Amérique latine, menace ainsi l'ensemble de la zone. L'effondrement de l'Amérique latine toucherait directement les Etats-Unis, compte tenu de leur implication dans cette région : il entraînerait une chute des marchés boursiers, du dollar et des menaces d'insolvabilité pour le système bancaire américain. L'actualité récente semble pourtant indiquer que, grâce à l'aide internationale et du Fonds monétaire international, ainsi qu'au soutien des Etats-Unis, ce risque devrait être maîtrisé. De même, un approfondissement de la crise en Asie, au-delà des évolutions déjà observées, ne paraît pas l'hypothèse la plus probable. Les dévaluations passées permettent en effet le rétablissement des comptes extérieurs et les prêts consentis à ces pays par le Fonds monétaire international ont permis la reconstitution des réserves de changes. Les taux de change se sont ainsi stabilisés et les taux d'intérêt ont quasiment retrouvé les niveaux d'avant la crise.

Les risques d'affaiblissement de la croissance en Europe paraissent donc résider essentiellement dans une orientation moins favorable de la demande intérieure que celle généralement envisagée. Trois facteurs pourraient en être à l'origine :

- une remontée des taux d'épargne , dont la baisse a soutenu la demande en Europe dans la période récente, particulièrement en Italie et, dans une moindre mesure, en Allemagne et en France. Les effets de richesse 10( * ) pouvant être considérés comme négligeables en Europe, c'est essentiellement un arrêt de la baisse du chômage , initiée depuis peu, qui pourrait entraîner des comportements de précaution et une remontée des taux d'épargne. Or, compte tenu du ralentissement en Europe depuis le début de l'année, les créations d'emplois pourraient être moins fortes ;

- une moindre résistance de l' investissement des entreprises au ralentissement de la demande mondiale que celle observée jusqu'à présent ;

- un effondrement du crédit (" credit crunch ") en raison de la dégradation de la situation des banques. Si ce risque est bien réel au Japon, il semble moins présent aux Etats-Unis et encore moins en Europe. L'intervention de la Réserve Fédérale américaine pour éviter la défaillance d'un intermédiaire financier montre que les Banques centrales sauraient mobiliser les moyens nécessaires pour éviter une crise bancaire " systémique ". Plus que d'un " credit crunch ", il faudrait plutôt s'inquiéter d'un rationnement du crédit 11( * ) . Les économistes consultés par votre Rapporteur considèrent généralement que ses effets seraient cependant amortis en Europe, en raison de la forte remontée de la profitabilité des entreprises, qui diminue le recours au crédit, ou du degré élevé d'autofinancement des entreprises.

A plusieurs égards, la situation de l'économie européenne en 1998 se rapproche de celle de la reprise de 1994 : même détente monétaire et ralentissement de la demande mondiale. Néanmoins, d'autres éléments ont conduit les experts de l'OFCE à ne pas privilégier un scénario de reprise avortée comme en 1995 : l'inflation se situe à un niveau très bas, inférieur aux objectifs des Banques centrales et, surtout, les ajustements budgétaires , opérés de manière conjointe en Europe (ce qui a renforcé leur effet restrictif sur l'activité) à partir de 1994, seraient à l'avenir beaucoup moins sévères.

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