CHAPITRE II


PERSPECTIVES MACROÉCONOMIQUES À MOYEN TERME
POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a réalisé, à la demande du Service des Etudes du Sénat, une projection de l'économie française à l'horizon 2003, à l'aide de son modèle MOSAÏQUE (voir Annexe n° 1 , page 73).

Cet exercice est de nature essentiellement macroéconomique , mais il a été demandé aux experts de l'OFCE d'en tirer le maximum d'indications sur l'évolution des finances publiques .

Les résultats les plus significatifs de cette étude sont présentés dans la première partie de ce chapitre. Ils sont comparés, dans une deuxième partie, aux travaux de même nature réalisés par d'autres organismes, l'INSEE, le Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE) et le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (REXECODE). Un tableau récapitulatif fournit, page 52, les résultats chiffrés de ces différents exercices.

I. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS D'UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE À L'HORIZON 2003 (réalisée par l'OFCE)

A. LA DEMANDE INTÉRIEURE SOUTIENT LA CROISSANCE

1. Consommation et épargne des ménages

Dans les modèles macroéconomiques, deux variables déterminent l'évolution de la consommation des ménages :

- la progression du pouvoir d'achat de leur revenu ;

- l'augmentation des prix, qui se traduit par une diminution de la valeur des actifs monétaires des ménages et de leur consommation (" effet d'encaisses réelles ").

• A court terme , la consommation des ménages serait soutenue, selon l'OFCE, par l'accélération de l'évolution du pouvoir d'achat du revenu des ménages . Celui-ci progressant de 3,1 % en 1998 et 2,5 % en 1999, grâce à l'augmentation de l'emploi et à celle des salaires individuels.

La désinflation et la baisse du chômage alimentent par ailleurs une baisse du taux d'épargne, de sorte que la consommation des ménages progresserait sensiblement en 1998 et 1999 : respectivement + 3,5 % et + 3 %. (Dans la prévision du Gouvernement associée au projet de loi de finances pour 1999, l'augmentation de la consommation est de 3,1 % en 1998 et 2,7 % en 1999).

Ce redressement de la consommation des ménages contrasterait ainsi avec l'atonie observée depuis 1990 (+ 1,2 % par an en moyenne de 1990 à 1997). Il serait toutefois insuffisant pour combler le " déficit de consommation " qui s'est creusé au cours des dernières années. Selon les modèles macroéconomiques, ce déficit de consommation, au regard de ses deux déterminants " traditionnels " rappelés ci-dessus, serait encore de 5 % environ à la fin de 1999.



• La question que peuvent dès lors se poser les modélisateurs est de savoir si les ménages combleront sur le moyen terme tout ou partie de ce retard de consommation (ce qui correspondrait à un retour de leur taux d'épargne vers un niveau plus " normal ").

La projection à moyen terme élaborée cette année par l'INSEE (et présentée page 47) a délibérément un caractère normatif : elle cherche à explorer un scénario cohérent de comblement progressif des déséquilibres que connaît aujourd'hui l'économie française, en raison de la faiblesse de la croissance depuis le début des années 90.

Selon ce scénario, la consommation des ménages progresserait de 2,9 % par an en moyenne de 2000 à 2003 et le taux d'épargne baisserait de 1 point au cours de cette période. La moitié du déficit de consommation 15( * ) accumulé depuis 1990 serait ainsi comblé.

La projection réalisée par l'OFCE a un caractère plus tendanciel 16( * ) . Pourtant, l'augmentation de la consommation sur le moyen terme - + 2,6 % par an en moyenne de 2000 à 2003 - n'y est pas très différente de celle observée dans la projection de l'INSEE.

Dans les deux exercices en effet, la consommation des ménages est soutenue par une progression du pouvoir d'achat du revenu des ménages (+ 2,4 % par an en moyenne de 2000 à 2003 selon l'OFCE et + 2,6 % par an en moyenne selon l'INSEE) qui contraste avec l'évolution observée de 1990 à 1997, soit + 1,6 % par an en moyenne.

(Les déterminants de l'évolution du pouvoir d'achat des ménages sont analysés dans le paragraphe suivant : B. " Le lien croissance, emploi, salaires ").



• Des analyses de nature socio-démographique menées par le Bureau d'informations et de prévisions économiques sur l'évolution à long terme de la consommation et de l'épargne des ménages, permettent de compléter l'approche macroéconométrique développée ci-dessus.

Dans l'analyse macroéconomique traditionnelle de l'épargne inspirée par KEYNES, l'épargne constitue un solde entre le revenu disponible et la consommation.

Ceci suppose que les ménages font d'abord un choix sur le niveau de leur consommation puis sur le niveau de leur investissement (en logement notamment), et que si la totalité de leur revenu n'est pas absorbée, il reste en solde ce que la Comptabilité nationale nomme l'épargne financière.

Il résulte de ce raisonnement qu'en phase de ralentissement de la croissance, et donc des revenus, les ménages puisent dans leur épargne afin de maintenir le niveau de leur consommation. La baisse du taux d'épargne a ainsi un effet de stabilisation de la conjoncture (ou " contracyclique ").

Or, la récession de 1993 s'est traduite au contraire par une hausse du taux d'épargne, surprenante au regard de cette théorie, qui a contribué à amplifier la contraction de l'activité (" effet procyclique "). Cela a conduit un certain nombre d'économistes, en particulier le Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE), en association avec le Centre de recherche sur l'épargne (CREP), à " revisiter " les théories traditionnelles de l'épargne.

Parmi celles-ci, la " théorie du cycle de vie " 17( * ) , inspirée de l'approche keynésienne, stipulait que l'épargne des ménages suivait au cours de leur existence l'évolution inverse de leurs revenus : croissante tout au long de l'âge actif avec l'augmentation du revenu liée à l'avancement, dans le but d'accumuler un patrimoine jusqu'à la retraite, décroissante après la retraite afin de maintenir leur consommation.

Les études qui ont conduit à l'élaboration de cette théorie ont cependant été réalisées dans les années cinquante, c'est-à-dire avant le plein épanouissement des régimes de retraite par répartition. Celui-ci a considérablement accru les revenus des retraités et aurait ainsi modifié les comportements d'épargne au cours de la vie. Selon les chercheurs du BIPE et du CREP, le taux d'épargne croîtrait désormais uniformément avec l'âge. Les personnes âgées de plus de 60 ans, qui représentent 16 % de la population en France, réaliseraient ainsi plus de 41 % des placements financiers afin, notamment, d'assurer par des transferts les revenus des générations suivantes.

Cette analyse modifie l'approche usuelle des comportements d'épargne. Elle a conduit le BIPE à en tirer des hypothèses de nature macroéconomique sur l'évolution du taux d'épargne (et donc de la consommation) à moyen terme.

Selon le BIPE, en effet, " Sur les quinze dernières années, la répartition du revenu national a favorisé les ménages âgés, au détriment des jeunes générations. Entre 1984 et 1995, les ressources par ménage des plus de 60 ans se sont (...) accrues de 4,2 % l'an, quand celles des ménages de moins de 30 ans ne gagnaient que 1,1 %, autrement dit diminuaient avec l'inflation.

" Un certain rééquilibrage devrait s'opérer entre 1997 et 2003, avec une politique fiscale plutôt pénalisante pour les revenus des retraités et une amélioration des conditions d'entrée sur le marché du travail.

" Entre 1995 et 2003, les revenus par ménage des moins de 30 ans pourraient progresser de 3,3 % et ceux des ménages de 30 à 45 ans de 2,5 %, quand ceux des ménages de 45 ans et plus ne gagneraient que 2 % l'an ".


Cette amélioration de la position relative des classes d'âge jeune, à plus faible taux d'épargne, conjuguée à la moindre progression du revenu des retraités, à forte propension à épargner, se traduirait ainsi par une baisse globale du taux d'épargne au cours des prochaines années. Celui-ci passerait, selon le BIPE, de 14,6 % en 1997 à 12,1 % en 2003, hypothèse qui contribue au dynamisme de la consommation à moyen terme (+ 2,4 % par an en moyenne selon le BIPE).



• Le principal enseignement de ces travaux est leur convergence vers un diagnostic d' inflexion marquée de l'évolution de la consommation des ménages au cours des prochaines années, par rapport à la tendance des dernières années.

De 1998 à 2003, la consommation progresserait ainsi de 2,8 % par an en moyenne selon l'OFCE et de 2,9 % selon l'INSEE, contre 1,2 % de 1990 à 1997. La consommation des ménages contribuerait ainsi à la croissance du PIB à hauteur de 1,9 point par an en moyenne selon l'OFCE (2 points selon l'INSEE). Il faut rappeler qu'au cours des années 1990 à 1997, cette contribution de la consommation à la croissance du PIB a été modeste : + 0,7 point par an en moyenne.

Le réalisme de ces scénarios peut être apprécié à la lumière de deux considérations :

- la progression de la consommation décrite par ces projections serait sensiblement inférieure à celle observée au cours des années 1986 à 1990, qui constituent le dernier cycle de forte croissance de l'économie française (+ 3,2 % par an en moyenne) ;

- celle-ci est cependant fortement tributaire des évolutions de court terme . Si, en 1999, la vive progression de l'emploi et la baisse du chômage ne se prolongeaient pas, l'augmentation du revenu des ménages et la baisse du taux d'épargne décrites par les projections seraient fortement compromises .

2. L'investissement des entreprises

La projection élaborée par l'OFCE décrit un " cycle d'investissement " caractéristique d'une période de reprise économique, cependant de courte durée. L'amélioration des perspectives de débouchés en début de période entraîne un redressement de l'investissement en 1998 et 1999 (respectivement + 6,4 % et + 6 %). Par la suite, l'évolution de l'investissement se rapprocherait de celle du PIB et se stabiliserait autour de 3,3 % par an en moyenne.

• Il faut tout d'abord souligner que la reprise à court terme de l'investissement ainsi décrite est beaucoup moins dynamique que celle qu'a pu connaître l'économie française lors d'épisodes antérieurs de reprise de l'activité : en 1988 et 1989, l'investissement avait ainsi progressé de plus de 10 % chaque année. Inversement, on peut s'inquiéter de la capacité de résistance de l'investissement des entreprises au ralentissement de la demande étrangère , inquiétude alimentée par les résultats médiocres des dernières enquêtes de conjoncture sur l'investissement industriel.



• Dans une réflexion de moyen terme , il faut rappeler que, comme en matière de consommation des ménages, l'investissement des entreprises souffre d'un " déficit " important par rapport à l'évolution qui résulterait de ses deux déterminants traditionnels dans les modèles, c'est-à-dire l'évolution des perspectives de débouchés et les profits anticipés par les entreprises. Le retard d'investissement des entreprises par rapport à son niveau simulé par les modèles est ainsi de l'ordre de 35 %.

Deux facteurs sont le plus souvent avancés par les économistes pour expliquer la divergence depuis 1993 entre l'investissement observé et l'investissement simulé :

- l'attentisme des entreprises, lié aux incertitudes sur la réalisation de l'Union économique et monétaire et aux perturbations monétaires en Europe (hausse des taux d'intérêt liée à la réunification allemande, dévaluation de 1992 et 1995) ;

- l' endettement des entreprises, explication qui semblerait validée par les travaux économétriques de l'INSEE.

Si ces deux facteurs sont effectivement à l'origine de la faiblesse de l'investissement depuis 1993, l'avènement de l'euro et la poursuite du désendettement des entreprises, déjà nettement perceptible depuis quelques années, créeraient les conditions favorables à un rattrapage à moyen terme du retard d'investissement. C'est le diagnostic retenu par l'INSEE ; il se traduit par une progression de 5,5 % par an en moyenne de l'investissement entre 2000 et 2003.

Le BIPE, enfin, introduit dans sa prévision l'hypothèse que la diffusion des nouvelles techniques de consommation et de traitement de l'information pourrait " tirer à la hausse " le nouveau cycle d'investissement. Cela se traduit en prévision par une progression annuelle moyenne de l'investissement des entreprises de 5,3 % entre 1998 et 2003.

3. La croissance

La croissance du PIB dans la projection de l'OFCE s'élève à 2,6 % par an en moyenne entre 1998 et 2003, avec un profil qui peut être décomposé en trois phases :

- après une croissance du PIB de 2,3 % en 1997, l'activité s'accélère en 1998 (+ 3,0 %) et en 1999 (+ 2,7 %). Les taux de croissance ainsi affichés par les deux premières années de la projection sont sensiblement équivalents à ceux retenus par le Gouvernement dans les hypothèses associées au projet de loi de finances pour 1999.

Ce regain de dynamisme s'expliquerait par le redressement de la consommation des ménages et par l'initialisation d'un nouveau cycle d'investissement des entreprises, décrits ci-dessus.

- en 2000, la croissance ralentit (+ 2,3 %), en raison du tassement de la demande intérieure ;

- un retour de l'économie française vers son sentier de croissance potentielle , liée à la reprise de l'activité chez nos principaux partenaires, s'opère en fin de projection. La croissance annuelle du PIB sur la période 2001-2003 s'établit à 2,5 % en moyenne.

En termes de contribution à la croissance du PIB, le fait le plus marquant est le redressement de la contribution de la demande intérieure : celle-ci contribue positivement à la croissance à hauteur de 2,9 points par an en moyenne, contre 0,5 point par an entre 1991 et 1997. Inversement, la contribution des échanges extérieurs est négative - - 0,3 point par an en moyenne - alors qu'elle était positive de 0,7 point par an entre 1991 et 1997.

La projection décrit ainsi un véritable basculement des moteurs de la croissance, prolongeant l'évolution observée en 1997-1998 18( * ) , et un retour de l'économie française à un fonctionnement à la fois moins aléatoire et plus coopératif : son développement s'appuie plus sur son propre dynamisme que sur celui de ses partenaires.

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