L'avenir des agences de l'eau

FRANCOIS-PONCET (Jean)

RAPPORT D'INFORMATION 112 ( 98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES

Table des matières




N° 112

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès verbal de la séance du 10 décembre 1998.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1)

sur
l'avenir des agences de l'eau,

Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,

Sénateur.

Rapport établi par le groupe d'études sur l'eau (2),

sous la présidence de M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.

(2) Ce groupe d'études est composé de : MM. Jacques Oudin, président ; Jean-Paul Amoudry, Denis Badré, José Balarello, Mme Janine Bardou, MM. Jean Bernard, James Bordas, Joël Bourdin, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Michel Doublet, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul Emorine, Paul Girod, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon, Pierre Jeambrun, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Roland du Luart, Paul Masson, Louis Mercier, Louis Moinard, Lucien Neuwirth, Jean Puech, Mme Odette Terrade, MM. François Trucy, Jacques Valade.

Eau.

AVANT-PROPOS DE M. JACQUES OUDIN,
SÉNATEUR DE LA VENDÉE,
PRESIDENT DU GROUPE SÉNATORIAL D'ÉTUDES SUR L'EAU,
PRÉSIDENT DU CERCLE FRANÇAIS DE L'EAU

M. Jacques OUDIN . - Au nom du Président du Sénat et de M. Jean FRANCOIS-PONCET, Président de la Commission des affaires économiques et du plan de cette assemblée, et en tant que Président du groupe d'études sur l'eau, je suis heureux de vous accueillir pour débattre d'un sujet qui suscite autant d'inquiétudes, pose de vrais problèmes et soulève de multiples interrogations. Il s'agit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dont le principe semble acquis, mais dont les modalités ne sont pas encore complètement arrêtées, notamment concernant l'inclusion dans son domaine de compétence du secteur de l'eau.

Bâtir une oeuvre est toujours un travail de longue haleine, mais si pierre par pierre on construit une maison, un séisme peut détruire l'édifice en très peu de temps.

L'affluence que nous constatons aujourd'hui dans cette salle, avec plus de 300 participants, montre que ce sujet est d'un intérêt capital et qu'il vous préoccupe. C'est la première grande réunion de concertation sur cette question, alors même que l'annonce en a été faite par le Gouvernement de façon un peu hâtive au tout début de la trêve estivale.

L'eau est la vie comme le disait le Président de la République lors de l'ouverture de la conférence internationale sur l'eau en mars dernier à l'UNESCO, l'eau dont les Français ont fait une de leurs priorités s'agissant de sa qualité et de l'efficacité des mesures de lutte contre les pollutions. C'est un véritable sujet de société car chacun consomme de l'eau, mais ce faisant, chacun la pollue à sa manière. C'est un domaine dans lequel le Parlement s'est beaucoup investi. La loi de 1964 et la loi de 1992 ont été votées à l'unanimité après de très longs débats dans les deux chambres. Il est donc normal que cette réunion ait lieu au Sénat, qui est à la fois la Haute Assemblée, la maison des collectivités territoriales, mais aussi un lieu de réflexion sur les grands programmes d'aménagement public. C'est dans ce cadre que travaille le Groupe d'études sur l'eau en liaison avec le Cercle français de l'eau.

Rapidement je formulerai quatre constats, je dénoncerai une menace et je préciserai six orientations pour préserver le dispositif actuel des Agences de l'eau qui n'a pas vocation à demeurer statique et qui doit toujours évoluer pour être plus performant.

Premier constat : notre droit de l'eau est fondé sur trois principes , les trois piliers de l'efficacité qui ont fait du système français un modèle, dont s'inspirent nombre de pays étrangers.

•  Tout d'abord, la gestion par bassin qui est forcément déconcentrée. Ce sont six bassins qui constituent ce premier pilier.

•  Deuxièmement, la gestion démocratique avec l'ensemble des élus, des usagers, des représentants de l'administration et de l'Etat au sein d'un comité de bassin qui a une vue globale, opérationnelle, territoriale, de ses ambitions, de ses moyens et de ses devoirs.

•  Troisièmement, l'affectation des ressources prélevées sur les usagers aux dépenses dans le domaine de l'eau pour remédier et faire face aux problèmes qui existent dans chacun des bassins.

Ce sont les trois grands principes qui fondent notre droit de l'eau, sur lesquels en 20 ans nous avons forgé une doctrine efficace que beaucoup d'ailleurs nous envient.

Deuxième constat : un effort volontariste d'investissement qui a été tout à fait considérable au cours des dernières années. Il y a 10 ans, au cours du V ème programme, 40 milliards de francs d'investissement étaient prévus sur cinq ans dans le domaine de l'eau : un effort rendu nécessaire après le bilan pessimiste réalisé lors des premières journées nationales de l'eau de mai 1990, les assises de l'eau, et la forte émotion ressentie dans les campagnes après les périodes de sécheresse.

Puis, vient le VI ème programme : 80 milliards de francs d'investissement prévus, en fait réalisé à 90 milliards de francs. Et là, nous passons au VII ème programme avec une ambition qui finalement est fixée à un niveau moyen de 105 milliards de francs, c'est-à-dire 21 milliards par an. La ligne de conduite adoptée fut de stabiliser le niveau des redevances atteint au cours de la dernière année du programme passé.

Avec un montant d'investissement passant en 10 ans, de 8 à 21 milliards de francs par an, nous en arrivons au troisième constat.

Troisième constat : la bataille de l'eau peut être gagnée en 10 ans . Cette bataille de l'eau sera gagnée tant dans le domaine de l'assainissement que de l'eau potable, mais à deux conditions essentielles : que les redevances restent au même niveau, et que l'argent de l'eau aille bien à l'eau et pas ailleurs.

Quatrième constat : le modèle français est reconnu pour sa qualité et il est transposable. Il suffit de lire la directive-cadre de l'Union européenne et ce qui a été dit à la conférence internationale de l'eau, en mars dernier à Paris, pour voir que tous les analystes admettent que c'est sur ces principes que la politique de l'eau, quels que soient les pays et les contextes, devrait se fédérer et s'organiser.

Mais à partir d'un constat qu'on peut estimer satisfaisant, plane ce que certains estiment être une menace. En effet, c'est au moment où nous semblons rencontrer le succès et presque la consécration que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) voit le jour. Est-ce une bonne idée ? Est-ce un danger ? Est-ce une menace ? Chacun s'expliquera ce matin. La parole sera offerte à tous.

J'y vois personnellement, peut-être, trois dangers.

Premier danger : si les redevances de l'eau sont incluses complètement dans la TGAP, est-il intéressant, souhaitable, raisonnable de faire transiter par le budget de l'Etat , dont le déficit s'élève à 236 milliards de francs, quelques 10-12 milliards de francs de redevances ? C'est la certitude que les milliards qui arriveront ne retourneront pas de façon identique à la politique de l'eau. Le système de dérivation et de fuite financière que nous connaissons bien à travers le budget de l'Etat fonctionnera à plein. L'argent de l'eau ne retournera plus à l'eau. C'est une quasi-certitude.

Deuxième danger : l'ossature des agences . Ce qui structure nos agences et ce qui les rend autonomes, c'est bien entendu leur autofinancement. Briser l'ossature, n'est-ce pas vider la structure de sa substance ?

Troisième menace : le travail parlementaire que nous avons effectué dans nos assemblées respectives, et moi-même ici depuis 12 ans, nous amène, chaque fois que nous avons à débattre à l'occasion de la loi de finances, par exemple de l'ajustement à la marge de la redevance pour le FNDAE, à nous heurter systématiquement au ministère des Finances qui refuse toute augmentation et estime qu'il y a déjà suffisamment d'argent qui va à l'eau dans ce domaine. Je vous encourage à relire les débats parlementaires, ils sont à cet égard particulièrement instructifs et édifiants. Est-il souhaitable d'aller dans cette direction en ce qui concerne l'ensemble des ressources des agences ? Ma réponse personnelle est non !

Est-ce à dire pour autant que le fonctionnement des agences est exempt de critiques ou d'améliorations ? Sûrement pas. Ne soyons ni statiques ni conservateurs en la matière, mais nous pensons que ce n'est pas en brisant un système qui a fait ses preuves que l'on obtiendra de meilleurs résultats. C'est en proposant des améliorations que nous rendrions ce dispositif plus performant et plus efficace.

Alors pour compléter ce propos, et pour aller au-delà de certaines des propositions du Gouvernement actuel, j'ai retenu six axes de réflexion que je vous énonce rapidement.

- Une meilleure coordination à l'évidence avec le Parlement et avec le Haut Comité de l'eau.

- Une nécessaire clarification du mode de calcul des redevances, et de la police de l'eau, à propos desquelles trop de zones d'ombre demeurent.

- Une meilleure contractualisation avec les professions - l'agriculture en particulier - ainsi qu'avec les collectivités territoriales.

- Une meilleure information sur la qualité de l'eau, quelle qu'elle soit, et notamment sur son bon usage ; un meilleur usage des réseaux de mesure dont je ne pense pas que l'efficacité soit à la hauteur de nos ambitions.

- Une incitation financière mieux ciblée dans le cadre des programmes élaborés au sein des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai coutume de dire que le SAGE doit être à la loi sur l'eau ce que le plan d'occupation des sols est à la loi sur l'urbanisme, c'est-à-dire l'outil opérationnel de l'action sur le terrain.

- Une nécessaire adaptation des réponses à donner pour des cas spécifiques de pollution, comme par exemple la pollution des eaux pluviales.

Voilà quelques orientations sur des enjeux que nous devons tenter de résoudre.

Depuis des années, nous avons bâti un système de l'eau qui semble évoluer dans le bon sens. Les agences ont réussi territorialement, elles sont acceptées, admises par leurs partenaires et les collectivités, dont elles sont des partenaires efficaces. Si des réformes doivent intervenir, parlons-en sérieusement, longuement, positivement, mais surtout pas au détour d'un simple article d'une loi de finances. Je crois que c'est le plus mauvais sort que l'on réserverait à la démocratie et à la politique de l'eau.

(Applaudissements).

INTRODUCTION PAR M. JEAN FRANÇOIS-PONCET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DU SÉNAT, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE BASSIN ADOUR-GARONNE

M. Jean FRANCOIS-PONCET . - Je voudrais vous dire combien nous sommes heureux de vous recevoir ici au Sénat pour débattre d'un très grand sujet, puisqu'il s'agit de la politique française de l'eau et de son avenir. Avec le sénateur Jacques OUDIN, nous avons pris l'initiative d'inviter tous ceux qui, en France, sont les acteurs de la politique de l'eau, qu'il s'agisse des administrations -en commençant par le cabinet du ministre de l'environnement et le cabinet du Premier ministre, qui sera représenté- ou des autres autorités qui, au plan national et sur le terrain, suivent ces questions.

Ce débat s'inscrit dans un contexte créé par deux séries d'annonces : l'annonce en Conseil des Ministres, le 20 mai dernier, par Madame la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, d'une réforme des agences de l'eau et, d'autre part, l'annonce, le 22 juillet dernier, par elle-même et par le ministre des Finances, de la création par la loi de finances pour 1999 d'une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), affectée au budget de l'Etat, appelée à regrouper et à intégrer l'ensemble des taxes et impôts perçus au titre des déchets, des nuisances sonores ou des pollutions atmosphériques, y compris -mais à partir du 1er janvier 2000 seulement- les redevances des agences de bassin.

La première réforme, proposée le 20 mai, a suscité beaucoup d'intérêt et, je crois, un débat très constructif. Après tout, chacun admet volontiers qu'après 34 ans d'existence, une institution relève d'une évaluation, d'un examen critique et, si nécessaire, de réformes.

Il en va autrement de la deuxième annonce, celle de la TGAP. L'intégration des redevances des agences de l'eau dans un impôt national perçu par l'Etat a en effet suscité une très vive émotion, et c'est bien entendu cette deuxième annonce, la TGAP, qui va retenir l'essentiel de notre débat. Il ne s'agit pas pour moi de préjuger de ses conclusions ; mais pour l'introduire, je rappellerai les principes sur lesquels le système actuel est fondé, et ensuite j'évoquerai des questions, que nous nous posons, d'une manière que certains jugeront peut-être provocante.

Pour présenter la politique française de l'eau, je voudrais mettre en évidence sept principes.

Premièrement, le bassin . La politique de l'eau est conduite dans un cadre géographique bien déterminé qui est celui des six grands bassins hydrographiques français, ce qui lui permet d'être adaptée aux réalités spécifiques de chaque zone.

Deuxièmement, les redevances . La politique de l'eau est financée exclusivement par des redevances acquittées, dans le cadre de chaque bassin, par toutes les activités qui polluent, selon le principe " pollueur-payeur ", et par tous ceux qui utilisent l'eau.

Troisièmement, dépollution et ressource. Les disponibilités des agences servent à co-financer les actions de dépollution conduites par les collectivités ou par le secteur privé, à préserver et à réhabiliter les milieux aquatiques - à commencer par les rivières -, et à développer la ressource en eau là où elle est jugée insuffisante.

Quatrièmement, la mutualisation . Les agences ne perçoivent pas de subventions de l'Etat, mais elles fonctionnent comme des mutuelles dont les recettes et les dépenses s'équilibrent dans le cadre de chaque bassin. La solidarité, et non pas le " juste retour ", constitue la règle à l'intérieur de chaque bassin.

Cinquièmement, l'autonomie . Les agences sont des établissements publics gérés par des comités de bassin et des conseils d'administration. Les comités de bassin, qu'on appelle souvent " Petits Parlements de l'eau ", sont composés de représentants de tous les utilisateurs, collectivités, associations, notamment protectrices de l'environnement, agriculteurs, industriels, EDF, pêcheurs, et j'en oublie. Ils fixent les redevances à percevoir, élisent leur président, désignent les membres du Conseil d'Administration et émettent des avis. Le Conseil d'Administration, quant à lui, décide de l'utilisation des fonds.

Sixièmement, la tutelle . Les agences de l'eau sont des établissements publics, mais exercent leur activité sous le contrôle de l'Etat, qui nomme les présidents des conseils d'administration et le directeur de l'agence qui est à la tête de l'administration. Les directeurs sont en liaison permanente avec la direction de l'eau du ministère de l'Environnement.

Septièmement, l'application de la loi sur l'eau . Les agences sont le bras armé de la loi sur l'eau. Ce sont les agences qui arrêtent les SDAGE 1( * ) et qui aident les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des SAGE 2( * ) . Agences de bassin et loi sur l'eau sont indissociables.

Quelles questions la TGAP pose-t-elle ?

1/ Le système des agences a-t-il ou non, en trois décennies, donné satisfaction ? A-t-il atteint ses objectifs ? La pollution a-t-elle cessé de progresser ? A-t-elle régressé ?

2/ En budgétisant les redevances, la TGAP met-elle ou non fondamentalement en cause le système établi en substituant à son assise régionale actuelle, qui est le bassin, le cadre national, en supprimant sa philosophie mutualiste et en mettant en cause son autonomie de gestion ?

3/ En modifiant le financement de la politique de l'eau mis en place 15 ans avant les lois de décentralisation de 1981-82, la TGAP constitue-t-elle ou non un retour en arrière vers plus de centralisation ?

4/ Quatrième question, centrale et qui comporte des sous-questions : l'association du principe pollueur-payeur et du principe de solidarité mutualiste est-elle par essence perverse ?

Si je pose cette question, c'est parce que certains théoriciens affirment que oui. Peut-on, comme ils le suggèrent, en dissociant ces deux principes, bénéficier d'un double dividende que je vois miroiter à l'horizon et dont la question est de savoir si c'est un mirage ou non ? Selon ce que j'ai cru comprendre, le premier dividende suppose que le prélèvement acquitté par le pollueur, s'il est assez élevé, suffit à lui seul à l'inciter à corriger son comportement polluant. D'où un deuxième dividende, puisque les recettes ainsi collectées permettront de créer des emplois, soit directement, soit indirectement, en supprimant ou en allégeant d'autres prélèvements assis sur les salaires.

Il s'agit d'un problème-clé, situé au coeur du débat, et qui met en cause l'équilibre recettes et dépenses sur lequel est construit le système des agences.

Cette interrogation en soulève d'autres.

Comme les redevances sont, pour le principal, acquittées par les particuliers en annexe de leur facture d'eau, jusqu'à quel niveau faudra-t-il augmenter le prix de l'eau pour obtenir le résultat vertueux qui est recherché ? Le prix de l'eau qui est en moyenne de 16 à 17 francs du m 3 en France actuellement, devra-t-il s'élever jusqu'à 30 francs et est-ce politiquement envisageable ?

Comment des prélèvements acquittés par les particuliers consommateurs d'eau auraient-ils une influence sur des opérations de dépollution qui ne dépendent pas d'eux ?

Qu'arrivera-t-il si le pollueur n'a pas les moyens de financer les investissements exigés de lui -je pense par exemple aux éleveurs- ou si le pollueur arrive à la conclusion que l'investissement nécessaire n'est rentable que s'il est subventionné et qu'en l'absence d'une telle aide, mieux vaut continuer à polluer ?

Ces questions sont essentielles. L'idée du double dividende est-elle la découverte géniale du XX ème siècle finissant ou est-ce un mythe ?

5/ Peut-on et doit-on prélever sur l'argent de l'eau des sommes destinées à d'autres usages écologiques ? La France est-elle en avance dans la mise en oeuvre des directives européennes ? Si la réponse est oui, alors on peut prélever de l'argent de l'eau à d'autres fins ; mais en cas de réponse négative, ce serait très imprudent.

6/ Peut-on taxer davantage l'agriculture ? Il y a deux façons d'examiner le problème : serait-il normal ou souhaitable que l'agriculture paye davantage ? Dans la plupart des agences de l'eau, l'agriculture est très largement bénéficiaire. Mais y a-t-il des raisons de penser qu'elle a les moyens d'acquitter des redevances plus élevées ? Et a-t-on des raisons de penser que l'Etat arrivera à ce résultat plus facilement que les agences ?

7/ Faut-il établir une péréquation financière entre les six bassins ? Celle-ci peut-elle, si elle est jugée nécessaire, se réaliser dans le système actuel ou faut-il fondamentalement modifier ce système pour y parvenir ?

8/ S'agissant du problème de la péréquation limitée à un seul secteur, je prendrai l'exemple suivant : s'il apparaissait que l'Ile-de-France soit confrontée à des problèmes de pollution particulièrement graves en raison de sa densité démographique, serait-il juste de prélever des ressources, par exemple, sur le bassin Adour-Garonne, alors que la région parisienne est de loin la région la plus riche de France et que le sud-ouest fait partie des régions qui sont très en retard ? En d'autres termes, est-ce qu'une péréquation limitée à un seul secteur ne conduirait pas à construire une solidarité à rebours, c'est-à-dire à faire payer les pauvres pour les riches ? La péréquation peut-elle être autrement que globale ?

9/ La France gagnera-t-elle en prestige, au niveau international, en bouleversant le système qu'elle a mis en place, qualifié souvent d'" école française de l'eau ", et qui, si je ne me trompe, est cité en exemple à l'étranger ?

10/ Par quel système garantira-t-on aux agences, dans le cadre de la TGAP, le maintien de leurs ressources actuelles pour mettre en oeuvre la politique de l'eau ?

Chacun sait par expérience que les comptes d'affectation spéciale du Trésor sont un leurre. Je citerai l'exemple du FNDAE 3( * ) , sur les ressources duquel on a prélevé, alors qu'il est censé aider le milieu rural pour l'adduction d'eau potable, pour l'assainissement, pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage. Il en est de même du FITTVN 4( * ) qui devait rassembler des redevances perçues sur EDF et sur le système autoroutier pour accroître l'effort d'investissement en matière d'infrastructures, et qui a conduit le ministère des Finances à débudgétiser des sommes équivalentes, de sorte que ces redevances se sont perdues dans l'ensemble du budget. Les choix d'investissements se sont faits sans tenir beaucoup compte du Comité de gestion du fonds, dont on nous avait pourtant garanti qu'il nous mettrait à l'abri du péril que je viens de citer.

Alors, par quel autre système que le compte spécial du Trésor compte-t-on garantir les ressources propres des agences ?

11/ Les comités de bassin, dont la principale fonction est de voter les redevances, conservent-ils encore une raison d'être dans un système qui, en réalité, les transforme en services extérieurs du ministère de l'Environnement ?

12/ A l'heure actuelle, les aides qui sont versées par l'agence à ceux qui engagent des opérations de dépollution ou des actions pour mobiliser des ressources supplémentaires en eau ne sont pas contrôlées par Bruxelles, parce que le système est mutualiste. Or, à partir du moment où ces aides transiteront par le budget de l'Etat, elles seront, à ma connaissance, soumises au plafonnement européen.

Puissent ces questions, qui sont toutes relativement provocantes, alimenter le débat dont rend compte le présent rapport afin que de bonnes réponses puissent y être apportées !

J'hésite à ajouter une dernière question. Elle concerne la concertation, qui a commencé le 6 octobre et qui se terminera le 11 décembre. S'agissant d'un sujet aussi fondamental que la politique française de l'eau et d'institutions qui existent depuis 34 ans, peut-on penser qu'une concertation inscrite dans un si court laps de temps mérite vraiment le nom de concertation ?

(Applaudissements).

I. LE DISPOSITIF DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU ET L'IMPACT DE LA TGAP

A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU À TRAVERS LES AGENCES DE L'EAU

M. Jacques OUDIN . - Merci Monsieur le Président pour cet exposé en forme de constats et de questions, qui plante le décor et met en avant les interrogations qui peuvent se poser. Nous allons maintenant demander aux uns et aux autres d'intervenir.

Je demanderai à M. Jacques PELISSARD, Président de la Commission environnement de l'AMF, député du Jura, de nous faire part du point de vue de l'AMF, s'il a pu être étudié à ce jour.

1. Intervention de M. Jacques PELISSARD, président de la Commission Environnement de l'Association des maires de France (AMF)

M. Jacques PELISSARD . - Je n'évoquerai pas 7 piliers ou 12 commandements, mais quelques points cardinaux qui structurent le dispositif actuel de l'ensemble du financement de la politique nationale de l'eau.

Le premier est le principe d'une programmation . Nous avons en France, en l'état actuel, une programmation qui a une double caractéristique : elle est décentralisée et pluriannuelle s'agissant des investissements nécessaires, à partir d'une planification tripartite émanant de différents acteurs qui, tous les cinq ans, dans le cadre des comités de bassin, organisent cette planification ; ce sont les responsables de l'Etat, les élus des départements et des régions, et puis les usagers.

D'autre part, les taux qui définissent les recettes des organismes sont fixés par chaque comité de bassin, sur proposition de l'agence, de façon à équilibrer les financements en subventions et prêts apportés dans le cadre d'un programme quinquennal.

Le programme conjugue donc plusieurs éléments. Tout d'abord, un nécessaire état de connaissance des milieux aquatiques permettant la définition d'objectifs d'amélioration. Le système actuel permet d'établir des plans d'action en vue d'atteindre les objectifs fixés, en conjuguant redevances et volume des travaux aidés, dans le cadre de la recherche d'un intérêt général au niveau de chaque bassin. En effet, c'est bien l'intérêt général et non pas le seul retour au profit de tel contributeur de telle redevance qui prévaut.

Premier point cardinal, c'est le principe de programmation.

Le deuxième point, ce sont les actuelles redevances pollution , celles qui risquent en l'an 2000 d'être directement perçues dans le cadre du budget de l'Etat.

Jusqu'à présent, l'assiette physique des redevances a toujours recherché la prise en compte de la réalité physique de la perturbation sur le milieu aquatique. Les principaux paramètres sont : matières en suspension, demande chimique en oxygène, métaux, organo-halogènes absorbés, etc. C'est l'ensemble de ces éléments de pollution qui permet de calculer la redevance.

La délimitation de zonage et l'élaboration de coefficients a permis de mieux appréhender les spécificités des milieux aquatiques. Enfin, la définition de taux différenciés appliqués aux assiettes a permis d'établir des actions prioritaires.

Troisième point, les aides varient suivant les agences , parce que les problématiques sont différentes, pour les ouvrages d'assainissement collectifs ou les ouvrages d'épuration de l'industrie.

Les aides varient également en fonction de la nature des ouvrages pour les grands collecteurs ou les réseaux de première catégorie. Ces aides déclenchent un effet de levier très important. Je citerai un exemple s'agissant de l'industrie chimique. Considérons un compte administratif du VI ème programme couvrant les années 1992 à 1996. Les aides pour l'industrie chimique en matière d'eau ont été de 40 MF, équivalentes pratiquement aux redevances. En revanche, les travaux aidés ont eu une assiette de 93 MF, ce qui montre bien l'importance de l'effet de levier. Les aides apportées déclenchent des travaux supérieurs à deux fois le montant de l'aide elle-même. L'effet de levier est donc co-substantiel au principe de l'aide.

Dernière modalité d'aide au profit des collectivités locales : quand le rendement de leur station d'épuration est satisfaisant, elles bénéficient d'une aide relative à la pollution effectivement retirée d'un rejet en milieu naturel par exemple.

Voilà les grands axes du système actuel qu'on peut résumer en quatre points : une gestion par bassin, une gestion qui lie redevances et travaux, une planification par objectif, et le respect d'un principe de base selon lequel l'eau paye l'eau avec une véritable affectation.

Par rapport à ces quatre points cardinaux, il est vrai que l'ensemble des élus de France et l'Association des maires de France sont très préoccupés par le projet de réforme à l'horizon 2000, qui s'inscrit dès 1999 pour l'ADEME, mais pour l'an 2000 s'agissant de la redevance pollution.

Le bureau de l'Association des maires de France ne s'est pas encore prononcé. Son fonctionnement est très paritaire : il y a autant de sensibilité de la majorité que de l'opposition représentée au bureau et cette structure n'a pas encore pris position. Mais j'ai, pour ma part, réuni, il y a quelques semaines, la Commission environnement de l'AMF et celle-ci, de façon unanime, a exprimé sa très forte préoccupation concernant le principe de la TGAP appliqué à l'eau. L'AMF est donc extrêmement préoccupée par un projet qui nous paraît mettre en péril le modèle français, aujourd'hui reconnu au niveau international, susceptible d'une directive européenne mettant en avant les vertus de notre modèle français.

L'AMF sur ce point reste donc très vigilante pour que les atouts du modèle français puissent être préservés pour l'avenir.

(Applaudissements).

2. Intervention de M. Claude GAILLARD, député de Meurthe-et-Moselle, président du Comité de bassin Rhin-Meuse

M. Claude GAILLARD . - Je souhaiterais intervenir sur le principe du financement actuel au regard des agences pour dire que c'est ensemble que nous définissons le niveau des aides que nous allons apporter, ce qui détermine le niveau des travaux. Cette réflexion collective mobilise l'ensemble des acteurs qui ont la conviction d'exercer leur influence dans le cadre d'une approche de solidarité, à défaut d'une approche de mutualisation. Quand on examine le VI ème programme, et que l'évolution est de 300 %, je crois que ce résultat a pu être atteint parce que tous les acteurs ont bien mesuré l'ampleur des efforts à faire. Et je ne suis pas sûr qu'une demande de cette nature, émanant du niveau national et de Bercy, ait pu obtenir ce niveau d'acceptation à l'époque.

Pour le VII ème programme, nous avons modéré les efforts car nous devions trouver un compromis entre le montant des travaux à réaliser et la capacité d'acceptation de nos concitoyens.

Au fond, le fait d'avoir l'assurance que l'eau paye l'eau, que le prélèvement acquitté dans un bassin reste au niveau des bassins, que celui qui pollue paie et celui qui dépollue est aidé, tout cela permet d'avoir cette approche collective et régionale. C'est pourquoi, supprimer ce degré d'implication régionale sur le financement actuel de la politique de l'eau peut avoir un certain nombre d'effets pervers dont on a du mal aujourd'hui à mesurer toutes les conséquences.

3. Intervention de M. Robert GALLEY, ancien ministre, député de l'Aube, président du Comité de bassin Seine-Normandie

M. Robert GALLEY . - J'ai participé très activement aux réunions organisées par Monsieur le directeur de l'eau, qui d'ailleurs est présent ici, avec les représentants des Comités de bassin. La première réunion de présentation de la TGAP a déclenché un tollé général. Nous étions trois représentants par bassin. Seule une voix s'est déclarée favorable à la TGAP. Cela a été très important pour nous. Hier, nous avons eu une deuxième réunion présidée par M. Pierre ROUSSEL et dont la tonalité était tout à fait différente de la première.

Pour tenir compte sans doute des observations véhémentes que nous avions faites lors de la première réunion d'orientation, M. Pierre ROUSSEL nous a présenté trois scenarii possibles d'application de la TGAP. Je ne parlerai pas des deux premiers, il les expliquera s'il le souhaite, mais ils recouvraient les mêmes éléments que ceux que nous avions déjà rejetés la première fois. Nous ne les avons donc pas examinés à nouveau.

Le scénario 3 dit : la création de la TGAP appliquée à l'eau pourrait s'envisager comme suit : les redevances des agences s'appuyant sur deux aspects, le premier lié au strict financement des interventions et le second lié à une application imparfaite mais non nulle du principe pollueur payeur. Il conviendrait de les examiner toutes pour ne garder, en tant que redevance, que la première partie et pour intégrer la deuxième dans la TGAP suivant des taux à définir.

Dans le cadre de cette proposition, les agences conserveraient leur dispositif actuel qui consiste à établir un programme et ajuster le niveau des redevances en fonction de ce programme. Et ensuite, pour reprendre les principes de Madame la ministre, parfaitement respectables d'ailleurs, il y aurait la création de la TGAP qui serait faite de trois composantes.

La première composante se baserait sur les mêmes assiettes physiques que les redevances des agences, mais avec des taux votés en loi de finances selon le principe pollueur payeur. Les agences fourniraient à l'administration chargée du calcul de la taxe les éléments nécessaires. On s'appuierait sur le calcul de nos agences pour déterminer la réalité de l'assiette.

D'autre part, pour aboutir à une parfaite application du principe pollueur-payeur, les taux de la TGAP devront intégrer la sensibilité du milieu récepteur ou la fragilité de la ressource en eau. Ce facteur parfaitement subjectif est un facteur d'appréciation qui pourrait conditionner les taux.

La deuxième composante : une version des écotaxes à créer sur l'agriculture par exemple (le ministère de l'Environnement n'a pas perdu sa cible constante) basée sur les engrais, les phytosanitaires. Le produit de ces écotaxes, qui n'aurait aucun rapport avec les redevances des agences, pourrait abonder directement le budget général.

Enfin, le cas de la redevance modification du régime des eaux a été étudié à part. Il ne s'agit pas d'un choix fondamental. Sachant qu'elle n'existe pas actuellement, il est évidemment possible de la créer directement et uniquement sous forme de TGAP destinée au budget général. Toutefois, comme elle s'applique à des actions pour lesquelles les agences peuvent intervenir : entretien des cours d'eau, eaux pluviales, il peut être intéressant de la créer sous forme de redevance avec une part TGAP destinée au compte spécial du Trésor et la seconde part reversée aux agences.

Quelles sont les réflexions qui ont été faites hier soir ?

Personnellement, je dois dire que nous avons été encouragés dans la voie de la résistance au projet de TGAP par cette proposition de M. Pierre ROUSSEL. Nous nous sommes dit que c'était un dispositif extraordinairement compliqué à mettre en place, que de créer une TGAP à côté des redevances fournissant les ressources des agences. Personnellement, je me suis limité à indiquer à M. Pierre ROUSSEL qu'il n'y avait pas de raison pour que l'on prenne les mêmes assiettes, c'est-à-dire que dans mon esprit on dissociait complètement la TGAP du système des agences qui a bien fonctionné et fait la preuve de son efficacité depuis 30 ans. D'autre part, les deux lois sur l'eau ont été votées à l'unanimité du Parlement. Ce dispositif mérite à mon avis d'être conservé intégralement.

M. Jacques OUDIN . - Merci. Nous sommes au coeur de l'actualité puisque vous nous avez fait un excellent compte-rendu de la réunion d'hier.

Après avoir entendu les défenseurs de la situation actuelle, ce système, bien qu'ayant donné une grande satisfaction dans son déroulement, est toujours perfectible. Il ne faut pas penser qu'aucune amélioration n'est possible. Mais le problème de la TGAP rend la situation encore plus complexe. La dernière explication que nous avons entendue nous amène à une réflexion nouvelle. Il est compliqué d'avoir deux assiettes et des taux différents. Et plus c'est compliqué, plus c'est difficile à gérer.

A cette tribune figurent des responsables qui ont réfléchi et amené le Gouvernement à prendre la position qui a été la sienne. Je donnerai successivement la parole à M. Thierry WAHL qui est directeur adjoint au cabinet de Madame la ministre de l'Environnement ; à M. Géraud GUIBERT, adjoint au maire du Mans et secrétaire national chargé de l'environnement au parti socialiste ; M. Pierre RADANNE, Président de l'ADEME et premier concerné par la TGAP dans sa version initiale ; et ensuite interviendront M. Alain LIPIETZ, M. Brice LALONDE et M. Daniel CAILLE.

B. LE PROJET DE TGAP ET SON ÉVENTUELLE EXTENSION AUX REDEVANCES DE L'EAU

1. Intervention de M. Thierry WAHL, directeur adjoint au cabinet de Mme la Ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement

M. Thierry WAHL . - J'ai beaucoup entendu les mots suivants : "crainte, inquiétude et menace". Je souhaite vous rassurer sur nos intentions et celles du Gouvernement à l'égard du système que vous avez décrit et qui nous est envié par-delà les frontières.

Je commencerai par la question du Président FRANCOIS-PONCET relative à la concertation. Nous avons ouvert la concertation sur la TGAP le 6 octobre. Madame la ministre avait annoncé, dès la fin juillet, l'ouverture d'une concertation importante sur ce sujet. Nous avons poursuivi le 19 octobre et M. Robert GALLEY a fait une présentation très précise de ce qui s'est dit hier. Nous allons la poursuivre au-delà du 19 octobre et la date du 11 décembre évoquée par M. Jean FRANCOIS-PONCET n'est pas une date butoir. Nous pensons en effet qu'il serait bien qu'à l'occasion de la conférence annuelle des Présidents des comités de bassin que nous nous mettions d'accord sur des principes et des contenus qui pourraient conduire à l'application de la réforme de la fiscalité écologique au secteur de l'eau. Ceci nous laisserait tout le temps nécessaire pour aller au-delà, pour affiner, pour modifier, pour revérifier dans quelles conditions précises ceci se fera.

Le 11 décembre n'est pas du tout une date butoir, mais plutôt une date d'étape et de vérification conjointe, et si possible une date de consensus.

De quoi s'agit-il exactement ?

Je crois qu'on prête à la TGAP beaucoup plus de choses qu'elle n'en contient, du moins s'agissant du secteur de l'eau. La TGAP est un instrument qui, de notre point de vue, doit permettre de moderniser, de simplifier la fiscalité écologique en France pour la rendre plus efficace.

Comment cela doit-il fonctionner ?

D'une manière assez simple qui consiste à aller au-delà de ce qu'est la fiscalité écologique traditionnelle, celle que nous connaissons tous à travers les 76 taxes ou éléments de parafiscalité que nous enregistrons dans le domaine de l'environnement, certains au rendement complètement négligeable et d'autres avec un rendement plus important. Ces 76 taxes et éléments de parafiscalité ont eu pour fonction de donner à la politique de l'environnement, au cours de ces années pionnières, la possibilité de dégager des ressources nécessaires à la réparation des dégâts causés à l'environnement à l'occasion d'activités polluantes.

La politique de l'environnement s'est construite de cette façon, c'était inévitable et c'était une bonne chose. Nous pensons que nous pouvons passer à une deuxième étape : aller au-delà de la simple réparation et essayer, à travers la fiscalité, d'adresser le signal prix le plus efficace possible pour poursuivre les actions curatives, mais également pour prévenir et inciter les industriels, les acteurs, à modifier progressivement leur " process " et à adopter des comportements plus vertueux sur le plan de l'environnement.

La philosophie de la TGAP est celle-là : ce n'est pas d'arrêter de réparer, mais d'aller au-delà de la réparation de manière à adresser ces signaux plus vertueux.

Nous avons choisi une méthode progressive. Tout d'abord, l'annonce d'un contenant, d'instruments. Ensuite, l'annonce d'un premier contenu. Les taxes que l'ADEME percevait de manière indirecte jusqu'à présent. Avec la TGAP, l'ADEME percevra en 1999 plus de 40 % de ressources en plus par rapport au rendement des taxes affectées de 1998. C'est considérable, ce qui permettra de mettre en oeuvre une nouvelle politique en matière de maîtrise de l'énergie et du développement des énergies renouvelables.

Premier contenu en 1999. Nous pensons que toutes les activités polluantes ou perturbatrices ont vocation à participer à cette taxe et nous considérons aussi, pour toutes les raisons que vous avez tous évoquées, que l'eau, qui est un secteur spécifique, doit participer d'une manière concertée à la TGAP. C'est pour cela que nous avons annoncé le principe et qu'il n'a jamais été question d'avoir un seul premier article de loi de finances sur l'eau en 1999.

Nous partageons aussi les 7 piliers et les 12 commandements et c'est pourquoi nous voulons voir avec vous tous la manière dont la gestion, par bassin versant, sera conservée, la manière dont les ressources des agences seront garanties et pérennisées, la manière dont l'ajustement inévitable en matière de taux comme en matière d'emploi des ressources, sera mis en oeuvre.

Tout ceci fait l'objet de la concertation que nous avons commencée et que nous allons poursuivre. C'est l'objet des trois scenarii que le directeur de l'eau a proposés hier et sur lesquels nous sommes prêts à discuter avec vous tous pour mettre au point la solution qui paraîtra la meilleure à cet égard.

M. Jacques OUDIN . - Pourquoi la concertation démarre-t-elle trois mois après l'annonce ? N'aurait-elle pas pu démarrer trois mois avant ?

M. Thierry WAHL . - Parce qu'il y avait le mois d'août, Monsieur le Président.

2. Intervention de M. Géraud GUIBERT, adjoint au maire du Mans, secrétaire national chargé de l'Environnement au parti socialiste

M. Géraud GUIBERT . - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord vous remercier, Monsieur le Président, d'avoir organisé cette table ronde. Le sujet est important et d'actualité et il est tout à fait utile que nous ayons ce dialogue.

Je voudrais rappeler les trois éléments essentiels du diagnostic, tels que nous les voyons au parti socialiste.

Le premier est l'existence dans notre pays d'instances de bassin qui jouent un rôle positif et important dans la politique de l'eau . Le système mis en place dans les années 60 a quelque peu vieilli. Son action est restée incomplète et imparfaite. Ses défauts se sont accentués au fil des ans. Mais son cadre général reste indispensable. La gestion de l'eau sur la base du principe pollueur payeur et la circonscription géographique cohérente du bassin doivent être notre logique d'action. Notre objectif sera donc de moderniser le système et non de le supprimer ou d'en réduire l'importance.

Le deuxième élément du diagnostic est la relative insatisfaction de nos concitoyens à l'égard des problèmes de l'eau et, Monsieur le Président, vous êtes aussi comme moi originaire de l'ouest de la France, nous sommes bien placés pour le savoir.

L'incompréhension peut se résumer comme suit : depuis le début des années 90, le prix de l'eau augmente fortement, les compagnies de distribution font des bénéfices importants, et la qualité de l'eau ne s'améliore pas, voire se dégrade. On sait que ce jugement n'est pas toujours juste, mais il existe et il faut le prendre en compte.

Le troisième élément est le caractère totalement désordonné et souvent peu rationnel des mesures prises ces dernières années en matière de fiscalité écologique . Il n'est donc pas étonnant que les résultats aient été quelque peu décevants.

La multiplication des taxes affectées, de faible montant, n'a eu qu'un effet marginal sur la réalité des nuisances. Une grande défiance s'est installée à l'égard de l'utilisation de l'outil fiscal vis-à-vis de l'environnement, alors que c'est à l'évidence une voie d'avenir. La dispersion a laissé des trous béants dans l'application du principe pollueur-payeur et a rendu impossible l'utilisation de la fiscalité sur l'environnement pour favoriser les créations d'emplois.

La réflexion d'ensemble sur la fiscalité écologique était une démarche indispensable. Celle qui a été impulsée depuis quelques mois par le Gouvernement constitue une première dans notre pays. Le parti socialiste et ses parlementaires y ont fortement contribué. C'est dans ce cadre que le Gouvernement a décidé de proposer au Parlement, qui vient de l'adopter, la création d'une taxe générale sur les activités polluantes. Le parti socialiste se félicite de cette mesure, qu'il avait lui-même proposée, et qui doit permettre une rationalisation de notre dispositif.

Il reste que sa mise en oeuvre dans le secteur de l'eau suppose à l'évidence des dispositions particulières. La ministre de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET, a d'ailleurs indiqué que son application à l'eau, fixée pour l'an prochain, devait faire l'objet d'une concertation qui est engagée avec toutes les parties concernées. Et ce n'est qu'après cette concertation que les mesures définitives seront prises.

Le parti socialiste quant à lui souhaite que la fixation des modalités d'application de la TGAP à l'eau soit l'occasion de consolider et d'améliorer le système des redevances.

Notre souhait est que soit renforcée la régulation du système afin que le service public de l'eau exerce mieux ses missions.

Ceci suppose de rendre le système de redevance plus cohérent à partir d'un certain nombre d'orientations.

La première : généralisation, dans le cadre du bassin, de l'application du principe pollueur payeur , et nous en sommes assez loin.

Deuxièmement, meilleur encadrement par le Parlement des règles applicables , en particulier pour des assiettes plus simples et plus claires.

Troisièmement, introduction de nouveaux mécanismes de péréquation afin de mieux prendre en compte les inégalités qui restent trop grandes devant la facture d'eau.

C'est dans un tel cadre que pourra être atteint au mieux le double objectif que nous devons poursuivre. Le premier est de garantir la nécessaire autonomie des instances de bassin, avec une gestion décentralisée et partenariale. Le deuxième est de promouvoir la création d'un outil à assiettes suffisamment larges pour faire jouer le double dividende. L'essentiel en fait est que la TGAP, la TIPP 5( * ) et les redevances de l'eau puissent à l'avenir être utilisées ensemble en faveur de l'environnement et de l'emploi.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Merci. Je ne suis pas certain que tout le monde, à ce stade de notre information, ait bien appréhendé ces éléments. J'ai noté que vous avez dit que la TGAP doit renforcer le système des redevances et cela méritera quelques explications complémentaires. La fiscalité est une chose très compliquée, je peux vous l'assurer étant membre depuis 12 ans de la Commission des finances du Sénat. Je dois reconnaître que tout cela n'est pas pour moi d'une parfaite limpidité, mais je suis sûr que les explications de la matinée vont nous éclairer.

Votre propos indique la volonté de renforcer le système des redevances et à côté de faire en sorte que l'ensemble de la fiscalité écologique puisse être plus efficace. Je crois que c'est louable et nous ne pouvons que partager un souci qui fasse que notre système fiscal soit plus efficace.

Maintenant, M. Pierre RADANNE, vous qui êtes le premier concerné par la loi de fiscalité en tant que Président de l'ADEME, pouvez-vous nous faire part de votre sérénité en la matière et surtout de celle que vous ressentez sur l'avenir des ressources de votre organisme une fois que le système aura changé ?

3. Intervention de M. Pierre RADANNE, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

M. Pierre RADANNE . - Tout à fait. Je vais me présenter à vous comme quelqu'un qui est heureux de la mise en place de la TGAP, et qui vient solliciter la sagesse sénatoriale et vous présenter le cas de l'ADEME et l'extrapolation qu'on peut en faire sur la question des agences de l'eau. C'est sur l'ADEME que la TGAP va porter dès l'année 1999. L'ADEME se trouvait jusqu'alors dans une situation fort difficile avec un morcellement des taxes gérées par l'agence, donc portant sur les déchets ménagers, sur les déchets industriels spéciaux pour financer la dépollution des sols, sur l'air, sur le bruit, soit donc une situation extrêmement complexe entre les taxes et les crédits budgétaires de l'agence, et il faut bien le dire, une bien faible solidarité entre les tutelles d'Etat.

Ce morcellement des taxes fait notamment que notre coordination avec les agences de l'eau sur la dépollution des sols est particulièrement insuffisante. Nous intervenons sur les sols et les agences souvent ont à intervenir en aval sur la pollution des nappes phréatiques, on gagnerait donc à avoir une meilleure intégration. Donc, une première image de morcellement.

Les textes qui ont institué ces taxes étaient souvent très rigides, ils se sont de plus accompagnés de contentieux. Mais le Parlement n'a pas modifié ces taxes en attendant la résolution des contentieux. Maintenant nous avons des problèmes sur quasiment toutes les taxes et je crois que le passage d'un système parafiscal à un régime fiscal permettrait de résoudre ce genre de choses. La taxe sur les huiles polluées aujourd'hui fait l'objet d'un contentieux qui vient d'être tranché par le Conseil d'Etat et ce litige porte sur un an de fiscalité.

On a là un système qui est fort peu robuste, très lourd, avec une visibilité politique, notamment pour le Parlement, qui est très faible.

En plus, nous avions des échéances qui venaient régulièrement fragiliser le dispositif. On pare les taxes existantes de vertus qu'elles n'ont pas eues dans le passé. L'échéance de 2002, inscrite par la loi de 1992 sur les déchets, aboutit à un net flottement parmi les acteurs pour ce qui concerne la politique des déchets ménagers et il est essentiel d'introduire de la visibilité dans ce mécanisme.

Les décrets, voire les lois qui instruisaient ces taxes, comportaient des limites sur les modes d'intervention, qui n'ont aujourd'hui plus aucun sens. Par exemple, la loi sur les déchets nous autorisait seulement à financer des équipements. Ce financement nous interdit de faire de la prévention à la source, alors qu'elle figure dans le texte de loi comme étant une des priorités. On n'a pas le droit de faire de la recherche et de l'innovation sur les déchets industriels spéciaux, pourtant taxés, alors qu'on peut en faire sur les déchets ménagers qui posent beaucoup moins de problèmes en matière technologique. Et puis, autre perversion liée à un système qui favorisait trop fortement les aides à l'investissement et trop faiblement l'innovation : la rémunération du personnel de l'ADEME était au prorata des recettes des taxes, alors que l'action normale du personnel de l'ADEME a pour but de réduire les taxes. On était dans un mécanisme qui introduisait une nouvelle perspective de plan social sur l'ADEME, ce qui déstabilisait encore plus l'établissement.

Le système en vigueur à l'ADEME, d'un mélange de taxes et de crédits budgétaires était extrêmement immature. Je ne peux que constater que la fiscalité des agences de l'eau a 35 ans et on comprend avec quelle force vous la défendez parce que, à travers l'histoire, elle s'est développée. La fiscalité dont bénéficie l'ADEME a moins de 10 ans et elle n'est pas au même niveau de maturité. Et c'est votre soutien que je sollicite pour qu'on améliore le système existant.

Ce qui doit persister de la période actuelle, c'est bien sûr la gestion partenariale. J'y suis fortement attaché, à la fois pour l'attribution des aides et pour aider l'établissement dans sa réflexion stratégique.

Il est utile, et la TGAP en est l'outil, d'introduire une plus grande stabilité des systèmes d'aide et une plus grande prévisibilité pour permettre aux opérateurs de réaliser leurs investissements, sachant que les systèmes d'aide de l'agence changent tous les deux ans et qu'il y a des effets d'aubaine.

(Protestation de la salle).

La réalité, c'est cela et je ne fais que demander une plus grande stabilité. Il est essentiel aussi que le système fiscal, et l'ADEME est en avance sur les agences de l'eau, aille dans le sens d'une maîtrise des consommations et pas seulement dans le sens d'une dépollution. Notre métier est d'économiser l'énergie. Celui des agences de l'eau est aussi d'économiser l'eau, et il faut que le système pousse à l'économie d'eau.

Enfin, quels sont les éléments de stabilisation qui peuvent être introduits pour améliorer le système au-delà des propositions actuelles ?

Il faut intégrer la TGAP dans une logique de contrat de plan, et je souhaite que l'Etat passe avec l'ADEME un contrat de plan sur la période 2000-2006, ce qui nous permettrait enfin d'organiser nos programmes de recherche, les systèmes d'aide, d'en faire une diffusion davantage démocratique pour toutes les catégories de bénéficiaires, et d'avoir une plus grande stabilité.

Cela permettra à l'ADEME de contractualiser avec les départements et surtout les régions, alors que cela lui est impossible aujourd'hui pour une partie de ces taxes.

Je souhaite également qu'on puisse moderniser les modes d'intervention financière, notamment qu'on développe des fonds de garantie et qu'on puisse avoir des mécanismes qui déclenchent des financements bancaires, ce que les mécanismes des taxes actuelles ne permettaient pas de faire.

Enfin, il faut qu'on puisse s'inscrire dans une perspective d'écotaxe européenne assise sur les consommations d'énergie.

Dernière remarque : j'envisage comme un progrès de la démocratie que la TGAP, par son mécanisme, soit l'objet d'une présentation devant le Parlement chaque année et je souhaite que le Parlement ait une visibilité sur l'ensemble de l'action de l'agence, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas.

M. Jacques OUDIN . - Je vous remercie de l'attention que vous portez au Parlement. Le seul regret que certains des parlementaires présents dans cette salle ont, c'est de n'avoir été informés que par la presse. Sinon, nous aurions pu peut-être y réfléchir avec vous un peu en amont, mais finalement c'est le Parlement qui aura à en débattre.

J'ai entendu dire : " le Parlement a déjà adopté ". Non, pas encore. L'Assemblée nationale oui, mais elle n'est qu'une chambre au sein du Parlement.

Nous avons entendu trois témoignages qui exposaient les raisons et les motivations qui ont conduit à cette proposition. Je demande à M. Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS, s'il veut intervenir rapidement. Vous avez été un des artisans de cette réflexion. Pouvez-vous nous dire comment elle a été amorcée ?

4. Intervention de M. Alain LIPIETZ, directeur de recherche au CNRS

M. Alain LIPIETZ . - Je crois que la discussion s'est amorcée depuis longtemps à partir d'un constat un peu plus nuancé que ce que j'ai entendu ce matin. J'ai été très impressionné par l'autosatisfaction des responsables de la politique de l'eau en France, mais qui est assez peu partagée par le Français moyen. Quand j'étais jeune je me baignais dans la Seine à Puteaux. Depuis, cela me paraît assez risqué et pourtant le prix de l'eau a explosé.

Pourquoi cette discordance entre la hausse énorme du prix de l'eau et la dégradation constante de la qualité de l'eau ?

La réponse a été apportée par une réflexion sur le sens qu'il fallait donner au principe pollueur-payeur. Il y a derrière trois conceptions assez différentes - on paye la réparation, la remise en état, et c'est l'idée de la redevance ; on paye le dommage, et c'est plutôt une indemnisation ;- et enfin le signal prix : il est adressé à l'éventuel pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est plutôt l'idée de la pollutaxe.

Les Anglo-Saxons se sont particulièrement attachés à démolir la première idée, à savoir la redevance, avec la théorie du hasard moral. Effectivement, dans le vocabulaire même employé ce matin, qui parlait de mutuelle, on retrouve toute la théorie critique du hasard moral, c'est-à-dire qu'une mutuelle dans laquelle il n'y aurait ni bonus malus, ni franchise, et qui serait en plus gérée par les garagistes, aboutirait à une montée vertigineuse des cotisations, des dépenses des garagistes et à l'irresponsabilité du conducteur. C'est un peu ce problème du hasard moral qui amène aujourd'hui à tempérer la première conception du principe pollueur payeur, que certains appellent payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une cotisation et j'ai le droit de polluer comme je l'entends.

Quelle que soit la qualité des ingénieurs et des gestionnaires des agences de bassin, ils sont lancés dans une course sans fin derrière des pollueurs qui se sentent déchargés de leurs responsabilités. Il faut donc ajouter, à une taxe de remise en état (la redevance, qui continuera à exister), une pollutaxe.

Quels que soient les progrès qu'on peut faire, même si on améliore la qualité de la conduite automobile, il y aura toujours des réparations à faire. Et il faut lancer un deuxième signal beaucoup plus fort aux pollueurs, et c'est le but de la TGAP. Il y aura forcément deux taxes et peut-être trois. Le problème de l'indemnisation reste entier. Il faudra peut-être que les pollueurs aient directement à payer aux pollués. Le côté redevance et le côté taxe de prévention devront à l'avenir coexister pour éviter les paradoxes du hasard moral.

M. Jacques OUDIN . - Chacun va réfléchir à ces propos. Nous allons prendre deux praticiens et leur demander leur réaction : M. Daniel CAILLE, Président du SPDE, et M. Brice LALONDE, ancien ministre, Président du groupe de l'eau de l'AMF.

5. Intervention de M. Daniel CAILLE, président du Syndicat professionnel des entreprises de services d'eau et d'assainissement (SPDE)

M. Daniel CAILLE . - Quelques mots en tant que praticien du métier de l'eau, quelques mots au titre d'ancien directeur au sein d'une agence de bassin et quelques mots au titre de ma fonction de professeur.

Je crois que nous tenons au système de la gestion par bassin et de la gestion par programme. Nous y sommes attachés non seulement par pure règle doctrinaire, mais également par rapport à l'objectif des agences de bassin qui est de contribuer à fournir une eau en qualité et en quantité suffisantes. La dynamique de rationalisation des investissements, la dynamique de la prioritarisation des investissements autour des objectifs de qualité et de quantité de l'eau, cette expérience française de la loi de 64 est revendiquée haut et fort comme un modèle de gestion écologique, ce qui nous paraît très sain puisqu'elle entraîne tout acte individuel de décision dans une dynamique cohérente d'ensemble.

Cette dynamique offre la meilleure chance d'avoir le moins mauvais résultat en termes de gestion des priorités des investissements. Elle ne se substitue pas au pouvoir de décision des acteurs locaux. Une autre solution radicalement différente aurait été de supprimer la responsabilité des décideurs locaux, collectivités locales ou industriels.

Nous avons réaffirmé ce matin que la gestion de l'eau doit être faite par bassin et par programme, que nous ne sommes pas dans un système moral pollueur-payeur, mais dans un système où il faut ajuster des moyens aux objectifs. Or, pour appliquer un principe pollueur-payeur à l'état pur, cela me rappelle les discussions engagées il y a 25 ans, il faudrait que le taux des redevances soit incitatif. Qu'est-ce qu'un taux incitatif ? Comparons le taux de la redevance avec le taux incitatif. Refaisons le calcul. Considérons le coût moyen de l'exploitation d'un ouvrage qui permettrait de dépolluer, on se rendrait compte que les redevances ne sont pas incitatives.

Quel est l'intérêt d'avoir un taux de redevance incitatif et comment aller expliquer aux consommateurs d'eau ou aux industriels l'intérêt d'avoir un tel taux ?

L'objectif est de définir un programme prioritaire pour que, dans les meilleurs délais, en accompagnement de l'outil réglementaire, on ait une politique de l'eau efficace, en qualité et quantité disponibles pour les usagers de l'eau.

S'agissant de la TGAP, le problème est de savoir si tout l'argent de l'eau doit aller à l'eau. Les distributeurs d'eau sont très attachés au principe selon lequel l'argent de l'eau doit aller à l'eau, mais si vous accordez des subventions de l'Etat en aide aux investissements qui sont à faire, vous obtiendrez l'assentiment général. C'est un principe sain de transparence, mais surtout de priorité d'investissement. Les investissements sont à faire demain. Les directives européennes sont devant nous, à échéance 2003 à 2005, et le retard pris en matière d'investissements est patent aujourd'hui. Nous ne respecterons pas, au rythme des investissements actuels, les directives européennes de demain. C'est d'abord un souci d'efficacité en matière d'investissements que de respecter ce principe.

Et puis, au-delà du concept considérant que tout l'argent de l'eau doit aller à l'eau, il faut sans doute rendre le système plus lisible et plus transparent. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, pour les consommateurs qui reçoivent leur facture d'eau. Il faut rendre les choses plus claires, plus justes et plus efficaces, c'est une orientation à laquelle la TGAP pourrait contribuer. Il faut avoir un système explicable à ceux qui payent. Pour les collectivités locales, c'est l'usager qui paye. Mais peut-être veut-on revenir sur ce principe-là ?

C'est un débat possible, car, de par un arbitrage qui remonte à 1975, c'est l'usager qui paye sur la base d'une redevance brute qui est un équivalent et non pas sur la base de la pollution nette. Sinon, il faudrait alors adresser la facture aux collectivités locales et l'intégrer dans leurs impôts comme la taxe foncière.

Aujourd'hui, la population paye sur la base d'une redevance brute qui est incorporée à la facture d'eau. Si ce système doit continuer, nous demandons qu'il soit plus clair, plus simple et plus efficace.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Merci. On voit bien ici apparaître deux écoles de pensée, deux théories d'approche. L'une beaucoup plus pratique, l'autre beaucoup plus conceptuelle.

Un principe : l'eau doit aller à l'eau. C'est un principe qui recueille l'avis de nombreux participants de cette salle, notamment les élus et les praticiens sur le terrain. Et enfin, une amélioration nécessaire. Plus on en demande, plus il faut être clair en matière d'explication et de compréhension. Une plus grande compréhension de la politique de l'eau est nécessaire.

Maintenant, M. Brice LALONDE, vous qui avez été ministre de l'environnement quand on a doublé les programmes d'investissement, en passant de 40 à 80 milliards de francs, l'a-t-on fait pour rien ?

6. Intervention de M. Brice LALONDE, ancien ministre de l'Environnement, président du groupe Eau à l'Association des maires de France (AMF)

M. Brice LALONDE . - Je ne conteste pas personnellement l'idée qu'on puisse utiliser l'environnement pour servir d'assiette à la fiscalité. Cette idée est largement répandue et mise en oeuvre, puisqu'il y a déjà beaucoup de taxes ou d'impôts écologiques dont l'assiette est l'environnement. D'ailleurs, ces taxes sont affectées ou pas. On nous rappelait tout à l'heure que la TIPP, qui représente 160 milliards de francs, n'est pas affectée et allait donc directement au budget général de l'Etat.

La taxe sur le défrichement n'est pas affectée. La taxe sur les péages d'autoroutes est affectée à la construction des autoroutes et cela marche d'ailleurs très bien. De même, la taxe sur les pylônes électriques ou les espaces naturels sensibles. Je ne conteste pas l'idée que l'environnement puisse servir d'assiette à la fiscalité. Ce que je conteste, c'est qu'on se concentre sur deux agences qui sont précisément du seul domaine de compétence du ministère de l'Environnement.

Pourquoi l'idée de la création d'une fiscalité écologique se traduirait-elle par la destruction des meilleurs alliés de l'environnement ? On aurait pu prendre la taxe sur le tabac, ou d'autres.

Si on s'en tient aux seuls domaines de compétence du ministère de l'Environnement, c'est sans doute qu'il est plus facile de commencer par là, mais c'est peut-être aussi parce que le ministère de l'Environnement n'apprécie pas les agences. Pourquoi la TGAP se traduit-elle uniquement par une attaque envers les agences ? Sans doute pour cette raison. Depuis longtemps, nous savons aussi que le ministère des Finances et les orthodoxes n'aiment pas l'idée de recettes affectées. D'ailleurs, on pourrait leur répondre que si on les avait écoutés, il ne se serait jamais rien passé dans le domaine de l'environnement.

Tout ceci s'est créé de manière pragmatique grâce à des pionniers. Mais Bercy n'aime pas les agences. Et il m'est arrivé d'entendre des membres du cabinet du ministère de l'Environnement se plaindre que les agences bénéficiaient d'un budget supérieur à celui de l'administration centrale ou du cabinet du ministre. J'en ai conclu qu'il existait peut-être une vieille querelle entre l'administration centrale ou le ministre de l'Environnement et les agences. Si l'argent va directement au budget de l'Etat et si par une négociation subtile avec le ministre des Finances, ceci se traduit par une substantielle augmentation au profit du ministre de l'Environnement, alors les membres du cabinet du ministère de l'Environnement sont satisfaits.

Enfin, les derniers qui n'aiment pas les agences, ce sont les théoriciens qui nous expliquent que le prix de l'eau augmente et que la qualité de l'eau baisse. Je m'inscris en faux contre cela. La qualité de l'eau, dans notre pays, s'améliore d'année en année, mais au fur et à mesure que la politique de l'environnement avance, nous nous apercevons que le problème n'est plus la pollution industrielle, mais la pollution diffuse.

Et il est extraordinaire de penser que face à cette pollution diffuse, c'est-à-dire les automobilistes en ville et les agriculteurs dans le monde rural, la seule recette résiderait dans une recentralisation, alors qu'il faudrait être plus près du terrain. En tout cas, je dirai à l'Etat que s'il veut tout de suite baisser le prix de l'eau, il peut le faire immédiatement par la suppression de la TVA, ou de la taxe sur les voies navigables par exemple, sans pour autant porter atteinte aux agences.

Nous avons souvent entendu parler de droit à polluer. Le paiement d'une redevance s'apparenterait à une permission de polluer. Il est déjà mieux de payer que de ne pas payer du tout. Mais, il ne faut pas confondre la logique de répression avec la logique de l'agence. Jusqu'à présent, la politique de l'environnement était fondée sur trois piliers : l' administration qui fait les lois, définit la stratégie, contrôle et oriente la police de l'eau et nous savons que la police de l'eau était insuffisante. Les agences qui sont très différentes sont les meilleures alliées des collectivités locales. Je le sais en tant que maire. Je suis très heureux de trouver l'agence pour m'aider à financer la station d'épuration. Or, si les agences contribuent à la police de l'eau, on les verra avec beaucoup moins de plaisir parce que ce n'est pas la même logique.

Qu'on puisse augmenter le montant des réparations civiles ou des amendes pour les délits de pollution, très bien. Cette idée n'a jamais été mise en oeuvre, mais ne demandons pas aux agences de constituer l'armature d'un système répressif qui s'apparenterait à des amendes. Ce sont des logiques différentes.

Enfin, troisième pilier, un système d'évaluation encore insuffisant. Donc, je conteste l'idée d'une TGAP qui s'attaque d'abord aux meilleurs amis de l'environnement que sont les agences.

La deuxième chose à laquelle je m'oppose, c'est l'affectation de cet argent . L'argent est destiné au budget général de l'Etat. Nous savons aujourd'hui que l'Etat français est bien gourmand et nous savons aussi que les frais de gestion de l'Etat gourmand sont supérieurs aux frais de gestion des agences. Il est vrai qu'il y a un petit côté prédateur, plutôt que protecteur, dans l'augmentation continuelle de la fiscalité et je ne suis pas certain que les défenseurs de l'environnement aient comme mission de donner à l'Etat français les moyens d'avoir toujours plus d'argent. Désormais, la taxe sur le stockage des déchets va aller à l'Etat. Qui paye cette taxe ? Les administrés des collectivités locales qui sont taxés par le biais de la redevance des ordures ménagères. Donc, une taxe locale va aller financer le budget général de l'Etat. Il y a là un mécanisme pervers.

Enfin, dernier point : je pense que les promesses qu'on nous fait ne seront pas tenues . On nous dit : vous pouvez avoir confiance, l'Etat rendra l'argent à l'environnement. Promesse admirable. Nous voilà tout à fait rassurés. Et on nous dit : ne vous inquiétez pas, la ministre de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET ne se laisserait pas faire si l'Etat voulait prendre une partie de l'argent et ne voulait pas le rendre à l'environnement. Nous sommes obligés de souhaiter que Mme Dominique VOYNET reste là le plus longtemps possible pour éviter un tel hold-up.

J'ai lu tous les rapports, qui se sont bousculés depuis quelques mois, contre les agences. J'ai entendu beaucoup de gens me dire qu'on dépensait beaucoup trop d'argent dans le domaine de l'eau, ce qui signifie immédiatement que pour en dépenser moins il suffit de réduire les travaux et les investissements.

J'ai tellement entendu cela que je suis obligé de dire que, craignant le hold-up, je crains la régression de la politique de l'eau. Je pense que les progrès que nous avons acquis avec des décisions concertées, géographiquement diverses, quinquennales, et qui permettent aux opérateurs de s'engager dans des investissements très lourds sont les marques d'un bon système.

Je crains le jacobinisme et l'art de gouverner par circulaire et par ukase. Je pense que c'est un grand risque et face à cette menace, je préfère dire non à la TGAP.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Il est vrai qu'il y a des faits contradictoires. Certains disent que les Français ne sont pas contents de l'eau, alors même que nous constatons une amélioration, nous les gestionnaires locaux de l'eau. Nous sommes responsables de syndicats, de communes, et on s'aperçoit sur le terrain qu'il y a une amélioration dans la plupart des secteurs. Certains secteurs sont encore un peu en difficulté malgré tout.

La deuxième contradiction qui me frappe, c'est qu'il y a des petits cénacles qui n'aiment pas les agences. Mais ce qui est le plus frappant, c'est l'immense adhésion des collectivités territoriales, communes, départements, région, au travail des agences. Et c'est cette incompréhension qui soulève quelques interrogations. Je crois pour ma part, mais les applaudissements tout à l'heure l'ont montré, que les agences ont su se faire apprécier et aimer dans le paysage administratif et local français.

Enfin, sur le problème de la centralisation, c'est peut-être une approche qui n'est pas tout à fait la plus efficace, au moins en ce qui concerne la vision que peuvent en avoir les collectivités territoriales.

Merci M. Brice LALONDE. Si vous le voulez bien, tous les orateurs de la première tribune s'étant exprimés, y a-t-il des questions dans la salle à destination des intervenants ?

M. Pierre EGLER (Conseiller Régional, membre du Comité de bassin Rhin-Meuse). - M. Pierre RADANNE nous a fourni la meilleure argumentation contre la TGAP. Il nous a expliqué qu'il avait beaucoup de problèmes avec les décisions prises par Paris, en ce qui concerne les diverses taxes.

J'ai l'impression que vous vivez encore en 1970 quand vous parlez de la réparation des dégâts. J'ai connu cela dans les années 70 quand j'ai fait partie du Comité de bassin Rhin-Meuse, mais depuis longtemps on ne parle plus de réparation, on parle de prévention. Il serait bon peut-être que vous veniez voir ce qui se passe dans les agences de l'eau. Ce que vous avez dit tout à l'heure démontre clairement que vous ne connaissez pas la réalité du terrain. En ce qui concerne la qualité de l'eau, dans le Rhin aujourd'hui le saumon remonte ; dans la Tulle, la rivière la plus polluée de l'Est de la France, la truite est revenue. Ce sont des actions que nous avons menées au niveau des agences.

Alors ne vous focalisez pas sur quelques individus, mais faisons référence au titre du dossier qui a été remis aux participants : une remise en cause radicale de la politique de l'eau. Nous ne sommes pas dans nos agences pour remettre en cause radicalement la politique de l'eau. Nous sommes prêts à un certain nombre d'actions, mais ne nous demandez pas d'être les méchants sur le terrain alors que Paris décide de tout.

Nous voulons continuer le travail que nous avons commencé dans les agences de l'eau depuis 25 ans et plus. Alors, laissez-nous travailler et consacrez votre TGAP à ce qui ne va pas.

(Applaudissements).

M. Daniel MARCOVITCH (Député de Paris). - Il n'y a que 10 commandements et pas 12, et il suffisait de toucher un rocher pour que l'eau coule ou étendre les bras pour que la mer Rouge s'écarte. La maîtrise de l'eau était plus grande à l'époque qu'aujourd'hui.

Je regrette l'absence de Nicole BRICQ qui est l'auteur du rapport sur la TGAP et dont l'avis un peu discordant aurait été intéressant, dans ce concert d'autosatisfaction, voire même de démagogie dans certains cas.

D'abord, j'ai entendu parler du Parlement de l'eau : le Parlement, par définition, vote le budget et l'impôt. La différence qu'on pourrait évoquer, c'est que quand nous, parlementaires, votons le budget, nous avons été élus pour cela, ce qui n'est pas tout à fait le cas des Parlements de l'eau ; appelons-les seulement comités de bassin. Il ne faut pas les parer d'une vertu qu'ils n'ont pas.

Deuxième point : il faut que l'argent de l'eau aille à l'eau. Bien sûr. Personne n'a dit le contraire. On dit simplement qu'il faut que ces plans quinquennaux aient également reçu l'aval du Parlement. C'était le projet VOYNET dans son intervention du 20 mai. Il n'y a là rien qui remette en cause le rôle des agences ni le principe des plans quinquennaux.

Autre point : il faut absolument que l'argent de l'eau aille à l'eau. Moi je dirai que l'argent des usagers va aux distributeurs, sous la forme des distributeurs producteurs, des filiales qui font des travaux de génie civil, des constructeurs de centrales d'épuration ou des égouts. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit.

M. Alain LIPIETZ disait que le système mutualiste était géré par le garagiste qui décide lui-même des taux, mais c'est la réalité. On peut se parer des vertus de la gestion par bassin, et personne ne la remet en cause et surtout pas les directives européennes. Mais le problème posé aujourd'hui est uniquement d'assurer la maîtrise du financement des agences. Il est beaucoup plus celui d'industriels, qu'on appelle les praticiens dont le métier est de produire de l'eau et de bonne qualité si possible. Et je dirai que l'eau de Paris est de bonne qualité, même si c'est une société à 70 % parisienne qui produit l'eau.

Le mot praticien évoque un côté très technique. Il s'agit de professionnels dont le métier est de faire des affaires. On ne peut pas reprocher à des industriels de vouloir gagner de l'argent. Si on dit qu'il faut que l'Etat ait un droit de regard dessus, ce n'est pas remettre en cause la totalité du système.

M. Robert GALLEY . - Cela ne tient pas debout.

M. Daniel MARCOVITCH . - Des gens qui cotisent ensemble vivent dans un groupe fermé. Nous vivons dans une structure qui a des divisions territoriales locales, départementales, régionales, ou l'Etat.

On a inventé là une division fonctionnelle au niveau de l'eau, pas de l'impôt, pas de la mutualité ou de la solidarité entre les Français. C'est le fait d'évoquer la nécessité d'une solidarité entre l'agence de Paris et l'agence Adour-Garonne. La deuxième viendrait financer Paris. Eh bien oui, il existe une notion de solidarité entre Français. A-t-on parlé de prix unique de l'eau en France ? On a parlé de modulation permettant de limiter les écarts. On a parlé de solidarité entre les agences, c'est-à-dire entre les Français. L'agence n'est pas une entité en soi, c'est un service rendu aux usagers à travers les collectivités et les investissements.

Mais, il n'est pas écrit dans la bible que l'agence ne doit pas changer. On sait qu'un certain nombre de pratiques ne sont pas constitutionnelles. Alors, ne soyons pas les gardiens du temple pour dire que rien ne doit changer dans les agences, qu'il ne faut surtout pas que l'Etat s'en mêle ou que l'Etat est l'ennemi à combattre. Nous sommes ici, pour un certain nombre d'entre nous, représentants du peuple parce qu'élus, et notre ennemi serait l'Etat ou le Gouvernement ! Nous votons le budget, nous représentons la France et nous aurions un ennemi en face. Allons ! Soyons sérieux. On ne peut pas faire que de la démagogie et de l'autosatisfaction. Le système des agences, la gestion par bassin, est un des systèmes les plus remarquables qui existent. Le mode de financement et la façon de calculer la péréquation ne sont pas parfaits et peuvent évoluer avec le temps.

A partir de là, on essaie de dire aux gens qu'on va remettre en cause la distribution de l'eau. Non, pas du tout. On va remettre en cause des problèmes d'argent. Là, on touche peut-être à la partie la plus sensible et j'aimerais qu'on en parle sérieusement et pas sous le faux-semblant de la qualité de l'eau.

M. Jacques OUDIN . - Il nous est offert d'en parler sérieusement et, pour ce faire, il faut bien analyser les problèmes au fond. Il y a eu des rapports, il y en aura d'autres. Les assemblées parlementaires, à partir d'une réflexion comme celle d'aujourd'hui et la concertation engagée depuis octobre, auront elles-mêmes à coeur de se pencher sur ce problème de la fiscalité écologique et cela se passera dans les deux assemblées de la même façon.

Mme Sylvie MAYER (Conseiller régional d'Ile de France, responsable des questions d'environnement au parti communiste). - Nous sommes tout à fait opposés à la TGAP, pour la plupart des arguments qui ont été ici développés, et les deux projets de loi que nous avons déposés en 1992 et 1994, l'un sur le prix de l'eau et l'autre sur l'élaboration d'un service public national de l'eau, n'allaient pas dans ce sens.

Certes, nous sommes persuadés qu'il faut améliorer encore le système des agences, et si aujourd'hui nous comparons ces agences et leur gestion à ce que vient de nous dire M. RADANNE en ce qui concerne l'ADEME, je crois que les agences sont quand même en meilleure voie.

S'agissant des différents objectifs de la TGAP, c'est-à-dire la création d'emplois par le déplacement de l'assiette, un meilleur signal vis-à-vis des pollueurs et l'accueil des taxes européennes, écotaxes sur l'énergie, au sein de la TGAP, je mets en doute les deux premiers. Quant au troisième, je crois qu'il y a un fond d'idéologie qui ne correspond pas au besoin et à la réponse sur la gestion de notre patrimoine de l'eau.

Au regard de la création d'emplois, malheureusement jusqu'à présent les allégements sur la fiscalité du travail n'ont pas prouvé leur excellence, alors qu'il me semble que l'activité des agences a permis des créations d'emplois. Le fait de s'intéresser à l'eau et d'investir massivement sur la question de l'eau, la création des SDAGE, cela peut être créateur de milliers d'emplois, et il y a donc là des voies meilleures.

Le meilleur signal : je n'ai pas encore compris comment cela va fonctionner. Si c'est la collecte unique de taxes multiples, je ne vois pas ce qui change. Si c'est une nouvelle taxe supplémentaire, qui obligera les collectivités à produire d'autres efforts, on va encore faire payer les gens mais sans qu'ils en perçoivent l'utilité. Il me semble que le principe de mutualisation peut être direct et efficace vis-à-vis des industriels.

Nous avons été parmi ceux qui dénoncent les pollutions par l'activité productive. Mais je trouve qu'aujourd'hui des améliorations très sensibles ont été faites. L'activité humaine crée naturellement des effluents et je ne vois pas pourquoi on veut culpabiliser tout le monde pour cette raison. Il faut au contraire aider à la prévention.

De ce point de vue, nous sommes porteurs d'un projet. Il nous semble qu'il faudrait dans ce pays un établissement public national consacré à l'environnement, qui puisse permettre des recherches, apporter des conseils aux collectivités car aujourd'hui elles se trouvent face aux majors. Je ne vois pas non plus comment la TGAP va empêcher les majors de s'enrichir. Il faut leur imposer des missions de service public plus rigoureuses. La police de l'eau doit faire son travail. On doit exiger plus de transparence dans les comptes de ces sociétés et elles doivent aussi, de la même manière, avoir un statut pour leurs salariés qui, pour l'instant, n'ont pas droit à un statut de branche comme dans d'autres activités.

Je crois que le monopole de l'eau ne va pas dans le sens d'investissements vraiment adaptés aux besoins, et là je crois qu'une agence nationale ou un établissement pourrait favoriser cela.

Voilà quelques éléments résumant notre opinion. Je suis avec attention les activités du Cercle français de l'eau et j'espère qu'un jour je serai aussi invitée parmi les intervenants des tables rondes.

(Applaudissements).

II. L'AVENIR DES AGENCES DE L'EAU DANS LE CADRE DE LA TGAP ÉTENDUE AUX REDEVANCES

A. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉLUS, INSTITUTIONNELS ET EXPERTS

M. Jacques OUDIN . - Ce matin nous avons fait un large tour d'horizon sur le principe de fonctionnement du système des agences et de la politique de l'eau et, sur l'application de la TGAP. L'exemple de l'ADEME a fait apparaître quelques éléments qui pourraient résulter de cette création. J'ai l'impression que nous avons bien débattu de ce principe de la fiscalité écologique, même si tous les aspects n'ont pas été complètement cernés, si toutes les applications n'ont pas été perçues, si tout n'a pas été totalement assimilé. Je parle pour moi, en tout cas, parce qu'il reste beaucoup de zones d'ombre en la matière. Cela nous a amenés au moins à une réflexion et nous sommes quelques-uns ici à le penser. Au-delà de la concertation, il est nécessaire qu'il y ait des réflexions complémentaires qui puissent se passer en dehors ou au sein des assemblées.

La deuxième table ronde concerne l'avenir des agences dans le cadre d'une TGAP étendue aux redevances. Nous avons compris avec le scénario 3 exposé par M. Robert GALLEY ce matin que la direction recherchée était un peu différente. Mais ce qui est important, c'est de prendre connaissance de la position des différents partenaires.

En écoutant les réactions de la salle, on prend bien conscience que tout le monde n'est pas encore totalement convaincu des conséquences bénéfiques de la TGAP. Il faut donc en discuter et je voudrais donner la parole à une des personnes qui a fait partie de l'équipe de réflexion sur cette réforme, Mme Bettina LAVILLE, conseiller à Matignon.

1. Intervention de Mme Bettina LAVILLE, conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre

Mme Bettina LAVILLE . - J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt l'ensemble des arguments, et je voudrais faire une série d'observations préliminaires et développer ce qui était le thème de la deuxième table ronde par rapport au projet du Gouvernement.

Je voudrais d'abord dire que j'ai été le directeur de cabinet de M. Brice LALONDE et je me souviens assez bien de son état d'esprit à propos du vote de la loi sur l'eau. Beaucoup de débats ont eu lieu qui portent sur le coeur des problèmes soulevés actuellement.

Premièrement, l'évolution du secteur de l'industrie et des collectivités locales a fait que la loi sur l'eau de 1964, tout en étant un cadre législatif très adapté, ne correspondait plus aux besoins de la population française et aux exigences en matière d'eau et de qualité de l'eau. C'est un constat qui avait été fait par le Gouvernement de M. Michel ROCARD, porté dans la discussion parlementaire par le ministre de l'Environnement, qui avait dit à l'époque que la loi sur l'eau était une étape, une bonne étape, mais qu'il faudrait approfondir la notion d'" intérêt général ". Rapportée au secteur de l'eau, je crois que nous sommes aujourd'hui au coeur de ce débat et qu'il s'agit bien de l'intérêt général.

A propos d'environnement, qui peut dire aujourd'hui que l'environnement en France est le même depuis 30 ans ?

Qui peut dire aujourd'hui que l'évolution des pollutions agricoles et les besoins en eau dans les grandes agglomérations sont les mêmes qu'il y a 30 ans ? La réponse est : personne.

Qui peut dire aujourd'hui qu'un instrument qui a été conçu par une France en reconstruction en 1964 doit rester, de façon intangible et conservatrice, le même instrument aujourd'hui à un an de l'an 2000 ? Personne.

Nous avons souhaité faire évoluer, conformément à l'exposé des motifs mêmes de la loi sur l'eau, ce système dans un but d'intérêt général. Aujourd'hui nous avons deux problèmes par rapport au fonctionnement des agences de l'eau. Tout d'abord, le système pollueur-payeur qui est un bon système et dont on voit aujourd'hui, notamment depuis les évolutions de 1992, le bien-fondé, mais qui comporte aussi quelques perversités. Il est devenu aujourd'hui, et c'est la Cour des comptes qui le dit un système beaucoup plus " cotisant bénéficiaire " que garantissant véritablement l'équilibre entre le pollueur et le payeur. Il y a là une dérive. Je ne dirais pas une dérive mutualiste parce que j'ai le plus grand respect pour le système mutualiste. Cependant, notre système est trop fermé, alors que nous devons construire un système d'intérêt général. C'est le rôle de l'Etat que de faire recouvrer l'intérêt général à des institutions dont il a la tutelle, qui connaissent aujourd'hui, des résultats remarquables dans beaucoup de bassins, mais où il y a une certaine dérive et en particulier sur leur mission de service public.

Vous le dites vous-mêmes quand vous êtes au sein des comités de bassin. Il y a évidemment des problèmes d'utilisation de l'argent qui ne s'affecte toujorus pas aux travaux nécessaires. Il y a des problèmes de travaux qui ne sont pas faits, faute d'un bon système de financement. Il y a aussi des problèmes de péréquation tout à fait considérables. Et il est du rôle de l'Etat et de sa mission d'intérêt général de faire évoluer cela.

La deuxième remarque préliminaire que je voudrais faire concerne la fiscalité écologique. Ce Gouvernement est arrivé avec un programme concernant une réforme de la fiscalité et notamment écologique.

Le Président Jacques OUDIN a eu la gentillesse de dire un mot sur le fait que je suis depuis longtemps les questions d'environnement. Je voudrais vous dire que, au-delà des affaires d'eau, deux choses m'ont beaucoup frappée depuis dix ans dans le secteur de l'environnement.

Tout d'abord, par rapport aux directives européennes, nous sommes toujours en retard. Cela veut dire que des directives sont approuvées, nous le savons, les industriels le savent, et quand on arrive au moment de l'application, beaucoup de gens et d'industriels se précipitent dans le bureau du responsable ministériel en disant : nous n'allons pas suivre. Et l'intérêt général consiste à prévenir ce genre de choses. Nous le faisons concernant le CO 2 6( * ) . Nous sommes le premier Gouvernement à avoir changé la position de la France en matière de CO 2 et économiquement c'est tout à fait indispensable. Quand les Etats-Unis auront considéré que pour eux c'est le moment de changer de position et d'être favorables à une écotaxe, dans 5 à 6 ans, le mouvement du monde environnemental et les répercussions sur la communauté européenne seront considérables, et nous nous féliciterons d'avoir pris les devants.

Il en va de même pour l'eau. Deux directives très importantes nous attendent et nous devons donner un coup d'accélérateur, comme celui qui a été donné au moment de la loi sur l'eau pour soutenir les normes qui seront imposées par la communauté européenne et les conseils européens.

Ce n'est pas une surprise. Vous avez dit, Monsieur le Président, à un moment donné, qu'il n'y a pas eu de concertation. En principe, le budget de l'Etat, les sénateurs le savent bien, est préparé par le Gouvernement et ensuite il est discuté au Parlement. Evidemment, aujourd'hui, la discussion budgétaire est ouverte au Sénat et à l'Assemblée.

Je crois que le Cercle français de l'eau a l'habitude des débats honnêtes.

On dit que l'eau doit revenir à l'eau. Bien évidemment. M. Brice LALONDE nous dit : il y a deux problèmes de fiscalité écologique. Un problème à l'intérieur d'un même système de pollution et de réparation, que faut-il prélever pour donner à quoi ?

C'est pour l'instant le système des agences, et fondamentalement la décision gouvernementale ne le change pas, puisque cela retournera à l'eau. Ce n'est pas lié à la seule durée gouvernementale de Mme Dominique VOYNET. L'Etat, en principe, s'est donné d'autres garanties que le temps d'un Gouvernement ou de ses ministres.

Il y a une autre possibilité, nous a dit Brice LALONDE. Pourquoi ne prend-on pas autre chose, par exemple le tabac, pour donner à l'environnement ? C'est une conception de la fiscalité écologique, qui est intéressante et qu'il faudra approfondir, mais qui n'est pas pour l'instant ce qui prime dans toutes les fiscalités du monde. Cela entraînerait des distorsions de concurrence considérables. C'est un vrai problème et un vrai débat. On ne peut pas dire d'un système qu'il doit absolument rester fermé, l'eau revient à l'eau, et en même temps dire : après tout, pourquoi ne pas prendre ailleurs pour redonner à l'eau ? Si vous faites cela, l'équilibre général du budget de l'Etat fera qu'on prendra à l'eau pour donner à autre chose. Les éminents spécialistes fiscaux, rapporteurs de commissions sénatoriales, le savent bien.

Par rapport à la question posée sur l'avenir des agences de l'eau, je dirai des choses simples. Le principe pollueur-payeur n'a jamais été parfaitement appliqué par les agences de l'eau, simplement parce que des domaines entiers sont restés non traités. Et ce principe a été immédiatement complété, par l'action au Conseil d'Administration des agences, par un principe cotisant bénéficiaire et je dirai aussi : qui est pur est aidé. D'où la mise en oeuvre par les agences d'un mécanisme de mutualité où tout le monde attend le juste retour sous forme d'aide. Les gens veulent récupérer l'équivalent du montant des redevances qu'ils acquittent.

Ce système qui a, encore une fois, donné au système de l'eau en France une bonne tenue générale doit aujourd'hui évoluer. Dans le cas des agriculteurs, tout le monde le sait et il faut avoir le courage de le dire, les pollueurs non payeurs sont aujourd'hui aidés. On ne peut pas vraiment dire que le système pollueur-payeur est respecté dans les agences. Ce n'est pas une critique, c'est un état de fait que tout le monde reconnaît et que vous reconnaissez tous lorsqu'on vous écoute défendre, amender, critiquer le budget du ministère de l'Environnement.

Le projet de réforme a l'ambition de revenir sur ces pratiques et d'activer réellement, en l'adaptant à notre époque, le principe pollueur payeur. Il faut introduire plus de souplesse dans l'attribution des fonds et alléger les contraintes de trésorerie des agences.

Permettez-moi de vous faire part d'une expérience personnelle. Quand nous sommes arrivés au Gouvernement, la trésorerie d'une agence était extrêmement riche. La bataille que nous avons menée, le cabinet de Mme Dominique VOYNET et moi-même au sein du cabinet du premier ministre, pour empêcher le Budget d'en prélever une part, a été rude. Et ce système est beaucoup plus dangereux que le système qu'on vous propose aujourd'hui. A partir du moment où vous êtes d'accord pour utiliser les fonds de l'eau pour l'eau, il faut que cet argent soit utilisé pour l'eau.

Il faut introduire, dans des conditions très précises, une part de péréquation entre les bassins. Je comprends que cela heurte certaines agences qui s'entendent bien et travaillent bien. Mais nous devons encore une fois, nous, Etat, vous alerter sur le fait que nous sommes face à une évolution de la législation européenne qui fait que cette péréquation est indispensable pour que la France puisse satisfaire aux exigences qui sont, ne nous y trompons pas, les exigences de la société civile. Vous connaissez le débat en Bretagne au sujet des pollutions agricoles. Il y a aujourd'hui des exigences que nous ne contiendrons pas.

Je voudrais dire trois choses. Il faut, et je crois que la ministre de l'Environnement a dû le dire, donner un certain nombre de garanties. D'ailleurs, Mme Dominique VOYNET immédiatement a demandé l'assurance, qui lui a été accordée, par une lettre de M. Christian SAUTTER, du compte spécial du Trésor.

Il faut également fournir un certain nombre de garanties qu'on peut considérer comme une plate-forme de travail.

D'abord, l'unité de bassin ne sera pas rompue. C'est la logique même des différentes lois et notamment de la loi sur l'eau de 1992, et nous y sommes très attachés.

L'argent prélevé sur l'eau au titre des redevances de pollution retournera à l'eau en fonction des besoins, ce qui signifie : en fonction des besoins de dépollution à satisfaire. C'est de l'intérêt général. Il y a deux gardiens de l'intérêt général dans ce pays, ce sont le Gouvernement et le Parlement.

La transparence des affectations et des imputations sur le prix de l'eau sera respectée et la lisibilité devra être améliorée.

D'autre part, il faut qu'on réfléchisse à certaines spécificités modernes des agences. Elles ont été créées en vue de l'obtention d'un certain résultat qui est celui de l'amélioration de la ressource. Le débat doit être approfondi aujourd'hui. Elles doivent pouvoir être contrôlées et auditées pour vérifier que le résultat puisse être obtenu au meilleur coût. Il ne suffira pas simplement d'un rapport de la Cour des comptes, qui vient toujours a posteriori. Il faut approfondir la réflexion interne entre la direction de l'eau et les agences.

Comme tout établissement à caractère administratif, les agences sont et resteront soumises au contrôle de l'Etat à qui il appartient d'inscrire l'action dans le cadre d'objectifs environnementaux globaux.

Pour terminer, je voudrais dire deux choses.

Je veux bien qu'on ouvre une polémique autour de cette question : qui nous garantira l'argent de l'Etat ?

Je voudrais ici rendre hommage aux propos de M. Daniel MARCOVITCH. Je suis étonnée de voir, au sein d'un organisme qui compte beaucoup de parlementaires, cette méfiance générale par rapport à l'Etat, pour deux raisons. ( Protestation de la salle ). Les systèmes institutionnels sont composés de trois éléments : judiciaire, parlementaire, le Gouvernement étant l'exécutif. C'est un triptyque.

Donc, je crois qu'il faut avoir un accord sur cette affaire et je vous incite beaucoup à réfléchir par rapport aux perspectives européennes. Je crois que nous avons tous un devoir commun, c'est d'être prêts par rapport à ce que les évolutions européennes vont nous demander.

D'autre part, je veux bien qu'on prête à ce Gouvernement de mauvaises intentions futures sur l'eau, mais je voudrais rappeler que le budget pour 1999 enregistre 40 % d'augmentation au niveau de la Direction de l'eau du Ministère de l'Environnement. Les trois budgets précédents n'ont connu aucune progression. Je verse cela à la corbeille.

Enfin, je voudrais rendre hommage au Sénateur, M. Joël BOURDIN, qui disait, ayant présenté son rapport qui fait autorité dans le milieu de l'eau, la chose suivante : " je ne critique pas le système des agences qui est en lui un bon système, mais le mode de calcul des redevances qu'elles perçoivent. C'est un mode de calcul byzantin, qui prend en compte quantité de paramètres en y introduisant des coefficients arbitraires. Ainsi, les communes de moins de 400 habitants se voient attribuer un coefficient zéro, elles ne payent donc pas de redevances. Le montant de ces redevances étant répercuté sur les usagers, ceux-ci ne payent pas l'eau au même tarif, selon qu'ils se trouvent dans une commune fortement imposée ou exonérée, même s'ils font partie d'un même syndicat intercommunal. Il est nécessaire, à mon avis, de réfléchir à un nouveau système des services d'assainissement, qui ne s'appuierait pas sur la redevance, mais sur un système de péréquation.

Vous voyez bien que, même au Sénat (!), la réflexion a été engagée sur ce système. Nous avons donné un début de réponse. Mme Dominique VOYNET s'y est engagée dans un esprit de concertation. Mais je crois me faire son interprète pour vous dire que l'esprit de la fiscalité écologique est un système novateur qui maintiendra deux choses : la qualité de l'eau en France réclamée par les usagers, et la compétitivité du système général qui a été très souvent considéré comme un modèle par rapport à l'étranger, mais qui, si on le maintenait dans sa pureté un peu statique, risquerait de ne plus l'être et de nous obliger ultérieurement à des ajustements assez considérables.

M. Jacques OUDIN . - Vous avez remarqué la franchise des débats de cette matinée. Vous avez exposé votre point de vue. Il y a eu des réactions dans la salle. Je ferai une remarque : il est vrai que face à des gens qui ont pratiqué l'Etat depuis longtemps, avec toute l'estime que nous avons pour l'Etat, quand on parle de la bonne gestion de l'Etat, sachant qu'il y a 236 milliards de déficit, et qu'on parle de la mauvaise gestion des agences parce qu'elles ont un peu d'excédent de trésorerie, cela frappe.

(Applaudissements).

C'était de l'humour et vous l'avez pris comme tel !

Mme Bettina LAVILLE . - C'est facile.

M. Jacques OUDIN . - Nous voyons cela dans la Commission des finances du Sénat depuis 12 ans et j'ai beaucoup de mal à comprendre certaines critiques sur ceux qui équilibrent leur budget par rapport à ceux qui ont toujours des déficits derrière eux.

Mais la préoccupation principale est de dire que si on prend de l'argent sur l'eau, reviendra-t-il entièrement à l'eau ? J'ai l'impression que tout cela est une préoccupation qu'on ne peut pas balayer trop rapidement.

Je voudrais demander à M. Roland CARRAZ, Président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale et député de la Côte d'Or, qui s'est beaucoup investi depuis quelques mois, de nous donner son point de vue.

2. Intervention de M. Roland CARRAZ, député de Côte-d'Or, président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale

M. Roland CARRAZ . - Monsieur le Président et chers collègues, je n'ai dans ces fonctions ni votre ancienneté ni votre expérience. Je m'exprimerai donc avec beaucoup de modestie et, vous me le pardonnerez, une certaine forme de naïveté.

Il s'agit de réfléchir au problème qui est devant nous, c'est-à-dire la mise à niveau de notre système général de traitement de protection et de distribution de l'eau, mise à niveau par rapport aux exigences qui sont d'abord celles des usagers et ensuite, celles de la communauté européenne.

Nous avons reçu à l'Assemblée nationale, au mois de mai, M. David Grant LAWRENCE, chef de l'unité protection des eaux de la DG XI, qui est venu nous expliquer où en était la réflexion de la Commission européenne et qui nous a fait part de sa très grande attention aux observations soulevées par la France, mais aussi de sa très forte détermination.

Il nous faut donc répondre à cette double attente. Les usagers sont exigeants et ils ont raison. On ne peut pas dire aujourd'hui que l'eau qui leur est livrée, quoique dans des conditions totalement inégales régionalement, réponde totalement à leurs préoccupations, tant sur le plan de la qualité qu'au niveau du prix. Et je ne parle pas évidemment d'un dossier particulièrement délicat, qui est celui de l'intelligibilité de la facturation. Je pense qu'il nous faudra beaucoup avancer dans ce sens.

Je crois qu'il faut poser des questions simples : disposons-nous actuellement des outils institutionnels, financiers, fiscaux, législatifs, permettant de répondre à ces défis considérables.

Il ne faut pas rejeter par avance une modernisation de la fiscalité et en particulier le concept de fiscalité écologique qui est désormais un outil nouveau à notre disposition.

Si la mise en oeuvre de la TGAP, et en particulier l'intégration dans la TGAP à partir de l'an 2000 des diverses redevances perçues par les agences de l'eau était en définitive l'équivalent d'un recul, si elle était signe de disparition des agences, de renoncement à la gestion par bassin, de réduction de l'efficacité de nos politiques en termes de coût, de qualité et d'efficacité, si d'une certaine manière la mise en oeuvre de la TGAP correspondait à la caricature dressée par M. Brice LALONDE, alors bien évidemment je serais le premier à vous dire qu'il ne faut pas intégrer dans la TGAP à partir de l'an 2000 les redevances sur l'eau.

M. Brice LALONDE . - Très bien, bravo !

M. Roland CARRAZ . - Il faut avoir un aspect pratique. Moi je suis, dans cette affaire, habité par une démarche extrêmement pragmatique. Je pose, en l'état actuel des choses, des questions afin que les réserves légitimes que nous pouvons nourrir trouvent des réponses et elles pourront les trouver si on aborde clairement la question sans passion et sans polémique.

Je tiens à ce que soit garantie la gestion par bassin, qui a fait la preuve de son efficacité depuis qu'elle fonctionne, qui a d'ailleurs été reprise au niveau européen. Je pense que la France commettrait une erreur historique en renonçant à ce qu'elle a elle-même inventé. C'est une notion, je pense, fondamentale.

Je demande bien évidemment le maintien des agences, le maintien de leur autonomie et de leur partenariat. Les agences sont de bons outils au service de la politique de l'eau, personne ne pense le contraire. Pour ma part, j'ai eu la possibilité, grâce à mon agence, de mettre en place à partir de 1982 un contrat de protection de nappes phréatiques. L'agence, bien que ce contrat ne rentre pas a priori dans ses critères de financement, en a parfaitement compris l'intérêt et nous a soutenus financièrement de façon importante. Il faut maintenir la souplesse, le caractère d'adaptabilité et le pragmatisme de nos agences.

Troisièmement, s'ouvre un débat sur les garanties et sur la pérennisation de la ressource en cas de fiscalisation de cette ressource. Je crois que c'est le point sur lequel le Gouvernement devra apporter des arguments parfaitement affûtés, aiguisés et crédibles. Le problème dans cette affaire, c'est beaucoup moins le ministère de l'Environnement que celui des Finances. Ce que nous pouvons redouter, c'est une érosion normale, naturelle, de la redistribution et de la péréquation par des mécanismes que nous connaissons bien mis en oeuvre de manière quasiment mécanique à Bercy. On pourrait prendre beaucoup d'exemples, qui sont tous de mauvais augure s'agissant de l'avenir de la TGAP.

Prenons par exemple le fonds de péréquation de la taxe professionnelle. Nous savons bien que, au bout du compte, les communes ne retrouvent pas la totalité de la compensation. Jadis, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) percevait une taxe additionnelle au droit de bail, qui est aujourd'hui compensée sous la forme d'une subvention, et on constate que les sommes perçues sous forme de subvention sont de très loin inférieures aux encaissements de la TADB.

C'est là le point crucial de la négociation et de la discussion. Et c'est pourquoi, pour ma part, parce que le groupe d'études sur l'eau de l'Assemblée nationale, comme celui du Sénat, n'est pas là pour exprimer en son nom des positions, mais pour éclairer ses membres, à titre personnel je serai particulièrement exigeant et je demanderai des garanties fortes, claires et précises sur ce point au Gouvernement et particulièrement à Bercy.

Pour le reste, j'ai bien compris que des scénarios avaient été présentés, notamment un nouveau scénario hier, qu'il était question d'effectuer des partages entre la part de la ressource fiscalisée et celle qui pourrait demeurer au titre de redevance. Je pense qu'il faut laisser faire la concertation et si nous avons ensemble la volonté d'aboutir à nos deux objectifs : mieux servir l'usager en termes de coût, de qualité et de simplification de la facturation, deuxièmement répondre positivement aux critères européens, je pense que la fiscalité écologique pourra constituer demain, dans le respect des agences et de leur indépendance, un outil tout à fait intéressant dont nous aurions bien tort a priori de nous priver.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Je crois que M. Roland CARRAZ a parfaitement résumé l'inquiétude générale. Vous souhaitez le maintien du bassin, nous sommes d'accord. Vous souhaitez l'autonomie, personne ne la met en cause, mais une autonomie sans autonomie financière cela n'existe pas. Tout le problème est de savoir comment garantir une telle autonomie. L'affectation actuelle semblait pour beaucoup d'entre nous un excellent système. J'ai sous les yeux la position de M. Marcel LARMANOUX, maire de Gisors et membre du Conseil d'Administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie, qui me fait part de sa première préoccupation : "cette TGAP serait prélevée directement par le Trésor et non réaffectée comme auparavant", et sa crainte de la recentralisation des décisions au niveau de l'Etat se porte également sur la survie des agences de l'eau.

Il faut que tous les responsables de ce projet sachent que c'est la préoccupation essentielle. L'expérience des élus locaux montre que ce qui rentre dans les caisses du Trésor n'en ressort pas de la même façon, et c'est toute la difficulté.

Je crois que M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, Président du Comité de bassin Loire-Bretagne, va nous apporter son témoignage.

3. Intervention de M. Ambroise GUELLEC, ancien ministre, président du Comité de bassin Loire-Bretagne

M. Ambroise GUELLEC . - Je ferai quelques observations en tant que président de comité déjà ancien dans la fonction et praticien de très longue date des problèmes de l'eau, et en tant que Breton. Cela a été évoqué aujourd'hui moins méchamment que d'habitude, je ne serai donc pas vindicatif sur ce point.

La période récente sur les problèmes de l'eau me laisse perplexe. On ne s'est pas bien rendu compte, quand la Cour des comptes s'est intéressée aux agences, que le rapporteur et donc rédacteur du rapport était en même temps secrétaire national au parti socialiste pour les questions correspondantes. En plus, on avait trouvé qu'il disait des choses tout à fait intéressantes dans son rapport. S'y est ajouté le Commissariat général au plan et nous avons été sidérés de voir l'écart entre les discussions que nous avions avec ceux qui venaient nous interroger et ce qui en ressortait dans les médias. Nous avons pensé que c'était la faute des médias. Puis, est arrivée la dernière conférence des présidents de Comités de bassin à Douai. Mme Dominique VOYNET est venue nous parler des nécessaires évolutions ou réformes. Cela ne s'est pas trop mal passé. Là encore, l'expression devant les médias n'a pas été la même que celle que nous avions entendue lors de cette conférence.

Le temps a passé, et la concertation s'est faite. Puis, est arrivée la communication au Conseil des ministres du 20 mai, qui ne nous satisfaisait pas pleinement, mais où l'on voyait que la discussion avait bien porté ses fruits. Et très curieusement, nous avons ces propositions de fin juillet, qui ont pris une tout autre tournure et dont le caractère contradictoire avec tout ce qui a précédé est apparu brutalement à beaucoup d'entre nous. Alors, nous avons essayé de comprendre. Tout à l'heure, j'ai entendu M. Alain LIPIETZ, je l'avais lu auparavant et j'ai constaté qu'aujourd'hui, il a donné une version très douce de ce qu'il écrit, et c'est ce qui nous permet de mieux comprendre la pièce qui est en train de se dérouler.

Sur les agences, voilà ce qu'il écrit : " elles fonctionnent comme une assurance tous risques, sans franchise ni malus. Une fois qu'on a payé, on peut tout se permettre, on récupérera d'autant mieux sa cotisation ! C'est le principal reproche adressé aux agences de l'eau qui, loin d'amener les agents à intégrer les effets externes de leurs pollutions, leur permettent au contraire de les rejeter sur une véritable mutuelle des pollueurs, sans contrôle démocratique, etc.... "

Je crois que ceci nous montre bien que tout le dispositif a été largement préparé, prémédité, et peut-être que les opportunités ont fait que tout cela s'est passé à la fin du mois de juillet quand la plupart d'entre nous étaient préoccupés par leurs vacances, ce en quoi ils avaient tort.

Pour ce qui est de l'avenir des agences, il est tout à fait clair que nous avons une mise en cause évidente du principe de calcul des redevances telles qu'elles fonctionnent actuellement. Et le principe pollueur-payeur, et j'ajoute bénéficiaire, que nous appliquons en réalité et qui est incitatif, ne se retrouverait plus. M. Roland CARRAZ l'a dit en termes très choisis tout à l'heure et nous comprenons les précautions de langage qui lui sont nécessaires. C'est là qu'il faut voir, pour les autres outils mis à notre disposition, quelles en seraient les conséquences.

Je dis clairement ce que je pense, c'est la désintégration de la loi de 1964. J'espère que chacun l'aura perçu. On peut nous dire qu'on va conserver l'approche par bassin ; oui, parce que l'eau coule de haut en bas et ne remonte pas, on sera donc bien obligés de continuer à garder cela. Mais l'essentiel de la discussion n'est pas là. Nous constatons, en effet, qu'on peut garder ce système des agences de l'eau, mais encore faut-il savoir ce qu'elles vont devenir. Or, non seulement le rôle des comités de bassin s'estompe, mais il disparaît. Leur première fonction est peut-être de réfléchir et d'orienter, mais c'est d'abord de donner un avis conforme sur les taux des redevances.

Que deviendraient les agences dans tout cela ?

En réalité, ce qui est en train de s'opérer sous nos yeux, c'est la recherche d'un retour aux structures classiques de gestion territoriale de l'Etat. Et je crois que les tensions que d'aucuns ont perçues ces derniers temps entre les services de l'Etat et les agences montrent bien qu'il y a là un enjeu majeur. Les agences, dans ce cas, deviendront au mieux des services extérieurs du ministère de l'Environnement pour les problèmes de l'eau, et au pire quelque chose de dilué dans un ensemble bureaucratique.

Effacement de la mutualisation : je rappelle qu'actuellement dans les institutions de bassin il y a mutualisation, mais de la gestion au niveau du bassin. Il n'y a pas mutualisation des risques, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire. On ne les met pas dans un pot commun pour les faire disparaître ou en atténuer certains au bénéfice d'autres. Les promoteurs de la TGAP cherchent, au contraire, à nous faire rentrer dans un schéma de recentralisation de la politique de l'eau sous la maîtrise du ministère des Finances. Cela a été bien dit tout à l'heure.

J'ajouterai, pour ce qui me concerne, que depuis un certain nombre d'années j'étais partisan d'une modernisation du cadre de la politique de l'eau dans notre pays. J'ai regretté que la loi de 1992 ne l'ait pas du tout prise en compte à l'époque parce que, pour de très obscures raisons d'inconstitutionnalité des redevances, nous avons manqué l'occasion d'un vrai débat sur ce point. La loi de 1964 est ancienne, la décentralisation de 1981-1982 a introduit des modifications majeures, et l'acuité des problèmes de l'eau n'est plus la même maintenant. L'opinion n'est pas la même non plus. On aurait dû probablement être novateur. Les propositions qu'il aurait été judicieux de faire, c'était d'aller dans le sens opposé à celui que l'on propose maintenant, c'est-à-dire rechercher une meilleure cohérence des institutions de bassin avec les autres acteurs décentralisés.

Nous prenons le chemin inverse actuellement, sachant que si on avait fait cela il aurait fallu dans le même temps avoir des dispositions de péréquation inter-agences ou territoriales, pour lesquelles nous étions parfaitement d'accord.

Je crois que dans tout cela la part des intentions cachées de ceux qui portent ce dossier est importante. Je vais en parler. Mme Corinne LEPAGE se souvient de ses discussions avec les présidents des comités de bassin quand elle voulait très modestement 110 millions de francs pour traiter certains problèmes. Eh bien, maintenant on est en train de multiplier ce chiffre par 10. L'un des enjeux majeurs est la possibilité de prendre, au bénéfice du ministère de l'Environnement, plus d'un milliard de francs. Pourquoi ne pas le dire puisqu'on en discute déjà largement ?

D'autre part, il semble que les comités de bassin n'aient pas la docilité voulue. J'ose espérer que cela continuera ainsi.

J'ajouterai enfin un point important : la réelle impuissance des pouvoirs publics sur les problèmes de pollution diffuse provenant notamment de l'agriculture. En rejeter la responsabilité sur les agences serait une erreur d'analyse et de raisonnement dramatique. Il appartient au pouvoir politique de prendre ses responsabilités. Osons dire aujourd'hui qu'il ne l'a jamais réellement fait.

(Applaudissements).

M. Jean FRANCOIS-PONCET . - Je voudrais ajouter quelques observations. Le système des redevances, chacun l'a dit, est au coeur de la politique française de l'eau. Le supprimer, c'est sûrement supprimer les agences en tant que réalité de plein exercice et c'est transformer les agences en services extérieurs du ministère de l'Environnement. Voilà le danger et voilà comment la chose est comprise ou interprétée par ceux qui sont sur le terrain.

Deuxièmement, le principe pollueur-payeur. Mme Bettina LAVILLE a raison de mettre en avant le problème de l'agriculture. C'est incontestable, mais il est plus facile de le dire que d'agir. Les agences en savent quelque chose et l'agence Adour-Garonne peut-être plus que les autres, après avoir fait l'objet à plusieurs reprises, sans que la police n'intervienne de façon visible, de nombreuses mises à sac de ses locaux.

Je ne suis pas tout à fait sûr que donner cette responsabilité à l'Etat nous garantira que l'agriculture paiera davantage. C'est une vision irénique.

D'autre part, qui paye l'essentiel des redevances ? L'industrie en général très substantiellement, mais c'est principalement le consommateur d'eau. C'est une taxe qui s'ajoute au prix de l'eau. En quoi le consommateur qui paye la redevance a-t-il un impact sur les opérations, les installations qu'il faut construire pour éliminer la pollution ? Ce n'est pas lui. Ce n'est pas en augmentant le prix de l'eau qu'on agira. Donc, le principe qui consiste à dire que la taxe de demain suffira à elle seule à engendrer les mouvements correctifs qui sont nécessaires, à mon avis, ne résiste pas à l'examen. La principale critique concerne l'agriculture, mais y touchera-t-on beaucoup ? Je voudrais bien le savoir. Quant au consommateur qui paye, il n'y est pour rien. D'où le système que nous avons monté, qui est un système mutualiste et qui se justifie, à mon avis.

A-t-on une garantie ? Mme Bettina LAVILLE, vous m'avez surpris. Le compte spécial du Trésor n'est une garantie que pour les chaperons rouges et je pense à cela parce que, quand j'ai entendu Mme Dominique VOYNET nous expliquer son système pendant l'été, elle m'a donné le sentiment d'être le petit chaperon rouge qui prend au sérieux le déguisement de grand-mère de la direction du budget. Moi j'ai l'expérience de nombreux comptes spéciaux du Trésor, je me suis fait attraper une fois ou deux et je n'ai pas envie de recommencer. On peut citer le FNDAE : l'année dernière on a puisé largement dedans pour un objet qui n'est pas du tout le sien. Je pourrais vous dire ce que je pense du FITTVN qui a fait que le directeur du budget a débudgétisé les sommes qu'il consacrait aux infrastructures. Le compte spécial du Trésor n'est en rien une garantie.

La seule solution pérenne consistait à créer un établissement public national, indépendant du budget. C'est ce que nous voulions faire dans le cadre de la loi sur l'aménagement du territoire de 1995. Tout le monde est venu nous supplier et c'est à 3 heures du matin sous la pression du cabinet du Premier Ministre de l'époque actionné, il est vrai par le ministère des Finances, que nous y avons, à tort, renoncé. Alors je crois qu'on peut abandonner, très sérieusement et sans aucun esprit polémique, toute idée de garantie.

On nous a dit à l'époque : "on va faire un fonds de gestion qui sera géré par le Parlement". Balivernes ! On a fait un fonds de gestion paritaire avec le ministre qui a voix prépondérante. Et le plat nous est préparé tous les ans, il est prêt à manger, c'est un plat tout cuisiné. Le degré de liberté que nous avons est à peu près nul.

La péréquation entre les bassins : elle peut être parfaitement organisée dans le cadre du système actuel. Mais réfléchissez au mécanisme. Une péréquation limitée à un seul secteur est-elle juste ?

On peut très bien se trouver face à une situation dans laquelle une région riche a des problèmes majeurs en matière de pollution. Alors qu'une région pauvre en a moins. Est-il juste que dans ce cas le pauvre paye pour le riche ? Serait-il juste qu'Adour-Garonne paye pour l'Ile de France ?

M. André SANTINI . - Oui.

M. Jean FRANCOIS-PONCET . - Je connaissais sa réponse et je voulais l'entendre !

La péréquation des pauvres vers les riches, c'est l'inverse de la péréquation. Or, elle a une chance sur deux de se passer ainsi.

Le système de la TGAP est novateur : il est plus neuf que celui qui a été monté en 1964, c'est vrai. Mais est-ce que le retour à la centralisation constitue une novation en France ? N'est-ce pas la plus vieille de toutes nos ornières nationales ?

Mme Bettina LAVILLE . - Je ne voudrais pas être discourtoise par rapport aux autres intervenants prévus, mais je voudrais avoir un temps de parole à la fin de cette séance pour réagir par rapport aux différents intervenants.

M. Jacques OUDIN . - Vous disposerez bien sûr d'un droit de réponse.

4. Intervention de M. Jacques VERNIER, Président du Comité de bassin Artois-Picardie

M. Jacques VERNIER . - Je voulais dire que le point essentiel est effectivement de savoir si les travaux, les actions importantes qui restent à mener, et Mme Bettina LAVILLE a rappelé les directives européennes qui vont nous amener à devoir en faire plus et non pas moins, sont financés par une ressource financière affectée, réservée pour ces travaux, ou par une allocation budgétaire dont chacun, quelles que soient les garanties données, s'accorde à reconnaître le caractère fragile et précaire. Que ce soient les comptes spéciaux du Trésor ou les contrats de plan, que vaut un éventuel contrat de plan entre l'Etat et un de ses établissements publics ?

Je souhaiterais apporter mon témoignage. J'ai été pendant trois ans Président de l'ADEME. L'ADEME a une double mission : une mission environnementale d'une part et une mission énergétique d'autre part.

Quelle était mon analyse à l'époque ? J'ai reconnu que la mission environnementale de gestion des déchets ménagers, de gestion des déchets industriels spéciaux, de lutte contre le bruit des aéroports, de lutte contre les huiles usées, contre la pollution atmosphérique, toutes ces préoccupations environnementales avaient la chance de pouvoir être financées par des taxes affectées, qui avaient peut-être leurs défauts, elles étaient peut-être trop multiples et trop cloisonnées, mais elles assuraient une action importante de l'ADEME, notamment pour le traitement des déchets ménagers où les investissements sont très importants.

A côté d'une première action environnementale bien financée par des taxes affectées, l'ADEME menait une action en faveur de la maîtrise de l'énergie ou du développement des énergies renouvelables qui, elles, n'étaient financées que par des crédits budgétaires.

A quoi ai-je assisté ? De 1992 à 1996, pendant quatre ans, sous des Gouvernements de gauche puis de droite, le ministère du Budget n'a eu de cesse de réduire, année après année, le budget énergétique de l'ADEME de 300 MF, chiffre de départ, à un misérable 75 MF, chiffre d'arrivée, moyennant quoi la France n'avait plus ni politique de maîtrise de l'énergie ni politique de développement des énergies renouvelables.

Mon rêve et mon combat à l'époque étaient que l'action énergétique de l'ADEME puisse être financée, comme l'action environnementale de l'ADEME, par une micro-taxe sur l'énergie, affectée d'une manière pérenne, stable, non précaire, non fragile, à une politique en France digne de ce nom de maîtrise de l'énergie et de développement des énergies renouvelables.

Rêvant donc que la politique de maîtrise de l'énergie soit financée par une fiscalité affectée, je constate, je dois vous le dire avec une immense tristesse et une immense crainte, qu'on fait aujourd'hui l'inverse. Là où il y avait des ressources affectées, on les supprime, et là où il n'y avait que de maigres ressources budgétaires, on les maintient.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Le problème est toujours le même. Quand on se trouve dans une situation où le budget de l'Etat est déficitaire de 200 à 300 milliards de francs, vous ne pouvez pas imaginer une générosité quelconque et une action d'envergure dynamisante. C'est quasiment impossible. D'où le problème des taxes parafiscales ou taxes annexes. On n'en sortira pas tant que le budget de l'Etat ne sera pas équilibré.

5. Intervention de M. Pierre HERISSON, sénateur de Haute-Savoie

M. Pierre HERISSON . - Quelques observations à partir du vécu d'un élu local de plus de 20 ans, qui a connu la période d'avant les lois de décentralisation et la situation d'aujourd'hui.

Nous avons vécu depuis des années l'exemple même de la décentralisation, où la gestion et la maîtrise d'une mission nous était confiée sans qu'elle passe par le Budget, par le Trésor, et par des considérations de montants budgétaires qui n'ont plus rien à voir avec les besoins à l'origine de la création des taxes.

Concernant les agences de l'eau, je crois que dans notre pays nous cherchons, depuis des décennies, à trouver l'assiette qui soit la plus appropriée et le périmètre le plus pertinent à travers un certain nombre d'initiatives en termes d'aménagement du territoire. Avec les agences de l'eau, nous avons trouvé le périmètre du bassin versant qui permet de mettre en commun des recettes et de gérer des dépenses, avec tous ceux directement concernés par l'usage de l'eau, la pollution et la dépollution de l'eau.

J'ai participé au Sommet de la Terre en 1992 avec l'Office international de l'eau, nous avons passé plusieurs jours à rencontrer des délégations étrangères qui étaient admiratives de ce que nous avions fait avec nos agences de l'eau, en partant du principe que l'aire du bassin versant, périmètre le plus approprié pour la collecte de la taxe et pour la gestion.

(Applaudissements).

6. Intervention de M. Philippe RICHERT, sénateur du Bas-Rhin, président de la Commission environnement de l'Assemblée des présidents de Conseils Généraux (APCG)

M. Philippe RICHERT . - Je donnerai la position de l'APCG, c'est-à-dire la position de la Commission environnement toutes tendances confondues. Ce projet de réforme intéresse évidemment l'APCG parce qu'il y va de la qualité de l'eau, donc de l'exploitation d'une ressource dont les conséquences financières sont relativement lourdes. Les Conseils Généraux consacrent tous les ans environ 5 milliards de francs au domaine de l'eau, et on se doute que si jamais les ressources financières affectées à l'eau venaient à diminuer, les communes se trouveraient automatiquement amenées à se tourner un peu plus vers les Départements pour essayer de financer leurs projets. Nous sommes également très attentifs aux montants mis en oeuvre, parce que nous avons développé ces dernières années un bon partenariat avec les agences.

Il y a bien entendu des choses à remettre à plat dans le fonctionnement des agences. Il y a certainement des avancées à faire. Mais faut-il pour autant bouleverser le système ?

Nous connaissons tous ce qui se passe dans le domaine législatif. Nous savons tous qu'on légifère trop, qu'on change trop souvent et qu'ensuite on rectifie. A l'APCG, nous nous interrogeons sur le bon sens de cette réforme.

Au niveau des conseils généraux, nous avons su faire la preuve sur le terrain de notre efficacité, autant qu'au plan national. Quand Mme Bettina LAVILLE dit, pour justifier la mesure prévue, qu'il y a aujourd'hui des travaux qui n'ont pas été effectués, moi j'en trouverai une multitude qui sont de la responsabilité de l'Etat et qui n'ont pas été réalisés non plus. Ce n'est pas une raison suffisante pour reprendre aux agences de l'eau l'autorité dans le domaine qui est le leur, à savoir la gestion de l'eau. Dans le domaine de la gestion de proximité, on ne peut pas trouver un meilleur système pour assurer l'efficacité du périmètre.

Au niveau de l'utilisation des fonds, les moyens qui sont générés par l'eau reviennent à l'eau. Je crois que tout à l'heure le Président FRANCOIS-PONCET a montré de façon excellente que tout système de recentralisation ne donnait aucune garantie quant à l'affectation future de l'ensemble des moyens prélevés. Pour ce qui est d'une meilleure utilisation des fonds, je crois que nous ne pouvons qu'être inquiets. C'est la raison pour laquelle, l'ensemble des conseils généraux est opposé au dispositif proposé.

Personnellement, je retrouve derrière cela une volonté de recentrer le pouvoir au plan national. C'est beaucoup plus une volonté de Bercy au nom de l'orthodoxie budgétaire qui entend gérer l'ensemble des moyens financiers de l'Etat. Et c'est peut-être aussi la volonté du ministère de l'Environnement de gonfler artificiellement un budget qui aujourd'hui représente 2,2 milliards de francs. Si on pouvait annoncer un budget, avec l'ADEME et les agences de l'eau, de 12 ou 13 milliards, ce serait beaucoup plus affriolant.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Je souhaiterais donner la parole à M. Patrick THIEFFRY qui connaît ces problèmes et les a traités au niveau des instances européennes.

7. Intervention de Maître Patrick THIEFFRY, avocat

Maître Patrick THIEFFRY . - Fort heureusement pour moi, les questions de droit des finances publiques ont déjà été traitées et le juriste n'en dira pas beaucoup plus. La règle de la non affectation et celle de l'annualité, vous les vivez quotidiennement.

Que le refus du deuxième dividende puisse se heurter à ces règles est un sujet que vous avez perçu et que vous avez bien énoncé, même si l'on pourrait y revenir. On n'a pas, et un fiscaliste aurait pu le faire, parlé des difficultés de contrôle éventuel de l'assiette d'une taxe particulièrement technique. Son objet étant une pollution, l'effet incitatif exige une grande modularité de cette taxe et un contrôle sophistiqué pour lequel les agences paraissent mieux qualifiées que le ministère lui-même.

Mais du point de vue du droit européen de l'environnement, je voudrais poser une question. Là, nous nous interrogeons sur le fait de savoir si l'institution et surtout l'affectation des redevances pollution des agences de l'eau à la TGAP ne vont pas à contre-courant de tendances législatives internationales, voire même ne s'inscrivent pas en contrariété par rapport à des engagements internationaux souscrits par la France.

Deux règles se dégagent de ces engagements : la première est l'impératif de différenciation écologique. La convention d'Helsinki du 17 mars 1993, adoptée par la communauté européenne, impose que l'on gère les questions d'eau au niveau des cours d'eau définis comme les bassins hydrographiques. Or, cette convention est visée dans l'exposé des motifs de la directive-cadre sur les ressources en eau. Cet impératif de différenciation écologique conduit la directive-cadre à suggérer que la gestion des ressources en eau se fasse au niveau des bassins hydrographiques.

Deuxième règle : le principe pollueur-payeur qui impose la pleine récupération des coûts occasionnés par les prélèvements et les utilisations.

La combinaison des deux règles, n'impose-t-elle pas une modularité au niveau des bassins, tant des redevances pour assurer l'effet incitatif en fonction des circonstances locales que de la gestion de l'utilisation ?

Pour cette modulation des redevances, qui doit être très technique, ce qui posera un problème de pratique fiscale, on peut se demander si la remontée dans le budget de l'Etat du produit de la taxe est compatible avec le maximum d'incitation requis par le principe pollueur dans un contexte de différenciation écologique.

M. Jacques OUDIN . - Vous avez, en quelques minutes, tout résumé des grands problèmes qui se posent à nous. Modularité au sein de l'instance de bassin ou centralisation, est-ce compatible ou non ? C'est une question qui n'avait pas été examinée jusqu'à présent. Je vous remercie de l'avoir posée et nous serons désireux d'avoir des compléments d'information à ce sujet, nous, c'est-à-dire les instances parlementaires qui se pencheront sur cette question.

8. Intervention de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre de l'Environnement, avocat

Mme Corinne LEPAGE . - Je dirai, en tant qu'ancien ministre, que je comprends très bien les objectifs rappelés et je les partage. Mobiliser des ressources pour satisfaire aux directives communautaires, répondre à la demande sociale concernant le prix et la qualité de l'eau, et instituer une fiscalité écologique dont je ne peux pas penser qu'elle ne soit pas destinée à améliorer la gestion de l'environnement.

Ce qui me frappe, c'est qu'il ne semble pas que le projet puisse les satisfaire, alors qu'une évolution du système des agences permettrait de répondre très convenablement à ces trois exigences.

Pourquoi le projet ne permet-il pas de les satisfaire et pourquoi est-il en réalité assez contre-productif ?

Si je pense que l'idée de fiscalité écologique est une bonne idée, en l'espèce elle peut avoir des effets tout à fait pervers. Cela aboutit à retirer des fonds à l'environnement. Et je ne redirai pas ce que d'autres ont déjà énoncé parfaitement bien, mais on est infiniment plus rassuré avec des taxes affectées qu'avec le budget de l'Etat, même s'il y a un compte spécial du Trésor. Par conséquent, si on avait tenu ce raisonnement, il n'y aurait jamais eu de politique de l'environnement en France parce qu'on n'aurait jamais eu d'argent pour la mettre en oeuvre.

Je ne crois pas du tout, comme l'a dit le Président FRANCOIS-PONCET, que le principe pollueur payeur, auquel je suis très attachée, puisse être satisfait par une augmentation du prix payé par le consommateur. Celui-ci ne sera pas incité, sauf peut-être à consommer moins d'eau. Je ne crois pas qu'il y ait là une justification du projet.

D'autre part, manifestement il y a une remise en cause du fonctionnement des agences. Sans autonomie financière, il n'y a pas d'autonomie du tout. Les comités de bassin seraient ainsi privés en réalité de la possibilité d'établir la taxe et donc le montant des travaux, puisqu'ils dépendraient complètement d'une subvention versée par l'Etat et perdraient toute existence réelle.

Si je ne crois pas qu'on puisse, par ce projet, répondre aux trois objectifs, je pense par contre qu'une réforme des agences permettrait tout à fait d'y répondre. Il faut faire payer tous les pollueurs, c'est vrai, mais je dirais que c'est un problème éminemment politique. La difficulté que les ministres de l'environnement successifs ont rencontrée pour faire en sorte qu'il y ait une action politique forte menée contre les pollutions diffuses et notamment les pollutions agricoles, est un problème qui dépasse le cadre des agences. Et s'il y avait une décision forte de l'Etat dans ce domaine, il n'y aurait pas de difficultés au niveau des agences pour l'appliquer.

La mobilisation des ressources pourrait parfaitement s'assurer au niveau des agences, et je peux dire que la volonté du ministère des Finances de mettre la main sur les fonds des agences est une vieille histoire et nous sommes un certain nombre de ministres de l'Environnement à l'avoir vécue depuis un certain nombre d'années. En ce qui me concerne, cela s'était passé par l'intermédiaire du FDES 7( * ) . Bercy voulait que l'argent des agences passe par le FDES. Je m'y suis opposée, avec succès.

Mais il n'y a là aucune assurance. L'Etat a besoin d'argent et je ne crois pas qu'il puisse y avoir une réelle mobilisation des ressources.

Quant au problème évoqué par Mme Bettina LAVILLE sur le fonctionnement, l'Etat peut exercer son métier de contrôle au niveau du système des agences qui sont des établissements publics de l'Etat.

Je terminerai en disant que je vois pour ma part deux difficultés juridiques au système qu'on voudrait mettre en place.

La première, c'est qu'il me paraît difficile que ce soit une loi de finances qui vienne anéantir le système des agences de l'eau.

Pourquoi est-ce difficile ? D'abord, parce que la garantie au niveau de la procédure parlementaire n'est pas la même dans le système du vote de la loi de finances et dans le système normal d'élaboration d'une loi. Et d'autre part, parce que la fameuse décision du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel sur la redevance a rappelé que les agences étaient une catégorie particulière d'établissements publics, et donc toutes les dispositions constitutives de ces établissements publics ne pouvaient venir que de la loi et non pas du règlement. Et à mon sens, font partie de ces dispositions constitutives le fonctionnement et l'autonomie financière, et il faut donc bien une modification législative en bonne et due forme pour y parvenir.

Je me pose également une question de droit constitutionnel et de conformité à l'article 72 de la constitution. N'y a-t-il pas, dans la remise en cause du système des agences et dans le rôle de co-décision donné aux comités de bassin pour voter la redevance, une expression de la liberté des collectivités territoriales qui occupent une position dominante au sein des comités ? Et la présence de très nombreux parlementaires aujourd'hui montre bien la sensibilité des collectivités locales sur ce sujet. N'y a-t-il pas là une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ?

La question mérite au moins d'être posée.

B. LA POSITION DES PARTENAIRES ÉCONOMIQUES

1. Intervention de M. Jean-Jacques MAYNARD, représentant du Syndicat national d'environnement - CFDT

M. Jean-Jacques MAYNARD. - Je rapporte ici le point de vue des partenaires sociaux et des partenaires du ministère de l'Environnement qui sont dans les services. Les personnels et partenaires sociaux restent sous le choc du mépris affiché par l'annonce unilatérale de la TGAP.

Sur le fond, il existe deux volets pour la mise en oeuvre de cette taxe : le premier, c'est la transformation des taxes parafiscales gérées par l'ADEME. L'ADEME a connu les deux systèmes qui présentent chacun des avantages et des inconvénients, rien n'étant pérennisé au-delà de 2002.

Le marketing effréné de la direction indispose beaucoup et les avis restent partagés au sein du personnel sur l'intérêt des deux systèmes.

Sur la fiscalisation des redevances des agences de l'eau, je crois qu'il y a unanimité entre les organismes de bassin, les directions et les personnels pour dénoncer l'absurdité d'un projet qui nous semble par ailleurs assis sur un vide technique relativement abyssal.

La CFDT a argumenté cette position sur la triple approche de l'erreur économique au sens d'une dérive potentielle d'une TVA bis, de l'erreur sociale au sens de l'accroissement du prix de l'eau - élément vital pour les plus démunis -, de l'erreur écologique par la substitution à une logique de démocratie décentralisée un centralisme fiscal aveugle.

Pour nous, les organismes de bassin sont à l'évidence imparfaits et perfectibles, mais ils ont le mérite d'associer les acteurs à la gestion de leur problème.

Le comble du paradoxe, c'est que nous avons reçu le meilleur soutien et la meilleure compréhension de la part des militants verts réunis en université d'été. Comprenne qui pourra !

C'est en partie pour cette raison que les personnels du ministère de l'Environnement ont défilé la semaine dernière en mobilisant environ 20% des effectifs. Nous ne remercierons pas Mme Bettina LAVILLE qui n'a pas jugé bon de nous rencontrer. Les manifestants, qui ont été bloqués à l'entrée de la rue de Varennes, ont très mal vécu le fait de ne pouvoir être reçus par les services du Premier Ministre.

En conclusion, la TGAP Eau est une idée à abandonner à la fois car elle est contre-productive et nocive du point de vue de l'intérêt général.

Au-delà, notre syndicat demande à resituer l'action des agences dans le cadre de deux vraies réformes environnementales à mettre en oeuvre :

1.  la réforme de l'organisation de la police de l'eau.

2.  la volonté de faire vivre la loi du 3 janvier 1992, votée à la quasi-unanimité des deux assemblées. Plutôt que d'adresser des reproches aux agences pour des mesures qu'elles ont assumées à contre-coeur sur ordre de l'Etat, ce qui est ressenti comme insupportable par tous, il faudrait s'attacher à prendre les moyens de mettre en oeuvre cette loi, au-delà de quelques affichages institutionnels.

(Applaudissements).

2. Intervention de M. Gérard PAYEN, directeur général de l'eau de Suez-Lyonnaise des Eaux

M. Gérard PAYEN . - Je voudrais me faire l'écho des consommateurs. En effet, il y a beaucoup de personnes en France qui utilisent l'eau dans leur vie quotidienne et, finalement ce sont elles qui donneront leur avis sur le système qui sera retenu. J'aimerais vous dire comment les professionnels de l'eau, les praticiens, perçoivent les attentes des consommateurs. Au contact de 40 millions de personnes, les professionnels gèrent le lien économique qui existe entre les consommateurs et le système des redevances.

Qu'attendent les consommateurs ? Toutes les enquêtes montrent, panel, comités d'usagers ou comités de consommateurs, que leur premier souci, c'est la qualité de l'eau et la première critique, c'est l'opacité du système.

Sur ce thème, ils ont observé que des efforts importants ont été faits. Je prendrai l'exemple de la facture d'eau. Sa clarification a été un gros progrès, plébiscité dans les enquêtes effectuées. Cela nous permet, à nous professionnels, d'expliquer au consommateur à quoi sert l'argent qu'il paye en prenant chaque ligne de la facture.

Ils attendent plus de transparence, et à l'heure où nous nous interrogeons globalement sur les modifications à apporter au système actuel, que ce soit modernisation du système existant ou instauration d'une nouvelle taxe, nos consommateurs attendent quelque chose de simple à comprendre, qu'on puisse leur expliquer et dont ils puissent comprendre le caractère juste et équitable. J'espère que collectivement nous arriverons à le trouver, mais il ne faudrait pas allonger le nombre de lignes sur la facture.

(Applaudissements).

3. Intervention de M. Patrick BERNASCONI, président de Canalisateurs de France

M. Patrick BERNASCONI . - Les entreprises de travaux publics sont directement concernées par la création d'une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et par le passage d'un système décentralisé à un système centralisé, puisque ce sont elles qui réalisent les travaux décidés par les communes et leurs syndicats et financés avec l'aide des redevances des agences de l'eau.

La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et Canalisateurs de France sont hostiles à la création d'une taxe générale sur les activités polluantes . En effet, les précédents concernant les taxes affectées au budget de l'Etat et les engagements pluriannuels de ce même Etat sont, du point de vue des professionnels des travaux publics, très inquiétants.

Ainsi, entre 1982 et 1986, l'Etat avait augmenté la taxe intérieure sur les produits pétroliers de 12 centimes pour rembourser des emprunts qui avaient alimenté le fonds spécial de grands travaux. Il s'agissait alors de relancer la politique d'équipement de l'Etat. Ces 12 centimes, une fois les emprunts remboursés, n'avaient plus d'objet. Mais les contribuables n'ont pas pour autant vu la taxe diminuer, pas plus que les budgets du ministère de l'équipement ne se sont retrouvés dotés d'une ressource supplémentaire. Les 12 centimes ont été maintenus et sont allés alimenter le budget général, c'est à dire à 90% des dépenses de fonctionnement.

Une fois le produit d'une taxe versé au budget de l'Etat, celui-ci est face à la tentation de l'utiliser à autre chose qu'à son objet premier et souvent il succombe. C'est pourquoi la FNTP et Canalisateurs de France sont opposés au principe de remplacer des redevances décentralisées et affectées par une taxe centralisée et non affectée.

Parallèlement à cette taxe, l'Etat s'engage sur un contrat pluriannuel d'objectifs garantissant aux agences un niveau minimum de financement.

L'expérience vécue par les entreprises de travaux publics avec les contrats de plan Etat-Régions incite à la méfiance. Ces contrats et notamment leur volet routier ont en théorie une durée de vie de 5 ans. Unilatéralement, l'Etat a décidé en 1996 que les contrats 1994-1998, seraient prolongés d'un an, devenant les contrats 94-99. Or à la lecture du projet de budget, on constate qu'à la fin 1999, l'Etat n'aura rempli que 80% des engagements financiers qu'il avait pris 6 ans plus tôt.

La Fédération et Canalisateurs de France voient dans le projet de TGAP une grave remise en cause du système français de gestion de l'eau et considèrent plus généralement que le problème de l'eau en France est mal posé. Le principe de la TGAP est de déconnecter le niveau de la taxe, du maintien des ressources nécessaires pour financer la prévention ou la réparation rendue nécessaire par les activités polluantes. Ce principe n'est pas adapté à l'eau. Aujourd'hui, dans le domaine de l'assainissement, la moitié des eaux retourne telle quelle dans la nature. La priorité de l'Etat devrait être de réfléchir à une politique d'incitation des collectivités locales à réaliser des équipements permettant de limiter rapidement cette pollution, plutôt qu'à l'instauration d'une nouvelle taxe.

4. Intervention de M. Philippe LALET, président de la Fédération nationale des associations de riverains et utilisateurs industriels de l'eau (FENARIVE)

M. Philippe LALET . - Notre fédération représente l'ensemble des industriels usagers de l'eau et elle regroupe en son sein la quasi-totalité des représentants des industriels qui siègent dans les comités de bassin et les conseils d'administration des agences.

Avant de donner la conclusion de nos travaux, je ferai une remarque personnelle pour vous dire combien j'ai été impressionné par les représentants de l'Etat qui ont essayé de nous convaincre sur un sujet très difficile, dont nous connaissons le but final ; en dépit de leurs efforts de persuasion, un fossé important nous sépare aujourd'hui. Nos mandants sont très attachés au principe de solidarité appliqué à la politique de l'eau et à son financement. Nous sommes attachés à la gestion décentralisée par bassin hydrographique et à l'affectation des redevances de l'eau à l'eau, et essentiellement à l'eau. Nous sommes attachés au principe pollueur-payeur dans un esprit mutualiste afin de répondre efficacement aux actions prioritaires.

Nous sommes totalement opposés à toute tendance affirmée vers ce centralisme qui affaiblirait la responsabilité des comités de bassin et désengagerait ses membres. Nous sommes opposés à la substitution des redevances par des taxes non affectées, à la notion de second dividende dont la première conséquence ne peut être que le relèvement sensible, à court terme des prélèvements et par conséquent à une augmentation du prix de l'eau.

Bien que le système de gestion en place depuis plus de 30 ans ait fait ses preuves et fonctionne correctement aujourd'hui, nous sommes conscients de l'intérêt de le faire évoluer, en particulier dans le sens d'une meilleure équité et d'une efficacité renforcée. Cependant la solution ne réside pas dans l'intégration de la redevance des agences dans la TGAP et nous y sommes fermement opposés.

5. Intervention de M. Alexandre COLIN, président du groupe Eau du Conseil national du patronat français (CNPF)

M. Alexandre COLIN . - Pour nous, le dispositif des agences, au-delà de quelques correctifs, sur lesquels nous sommes parfaitement d'accord, a bien fonctionné. La pollution industrielle déversée directement dans le milieu naturel est très largement maîtrisée. La pollution domestique, grâce au redoublement des efforts entrepris au début de cette décennie, va l'être à son tour très prochainement. Ainsi il faut constater que ceux auxquels les règles des agences se sont appliquées, ont dépollué en vertu du principe pollueur-payeur-dépollueur.

A contrario, il faut reconnaître que pour ceux qu'on a trop longtemps laissés à l'écart de ces règles, les problèmes n'ont fait que s'accumuler.

Un nouveau système centralisé soumis aux règles de l'annualité budgétaire, à la place de l'actuel dispositif décentralisé et fondé sur une programmation quinquennale, peut-il être aussi efficace ? Pour notre part, nous en doutons. A partir du moment où le financement ne sera plus assuré de façon pérenne, comment les investissements resteront-ils aussi soutenus ?

Ne nous laissons pas abuser par l'idée d'un double dividende mis souvent en avant pour justifier la taxe. Dans le cas de l'eau en tout cas, la taxe qui inciterait d'une part à dépolluer et d'autre part à favoriser l'emploi ne peut être qu'un leurre. A présent les redevances qui majorent le prix de l'eau, aident au financement des ouvrages de traitement et en conséquence minorent le coût de ce traitement. Qu'en sera-t-il de l'acceptabilité du prix de l'eau s'il est seulement majoré par la taxe dite dissuasive ?

Quant au produit de cette taxe, il est destiné à fondre, car la pollution doit disparaître. Que peut-on penser d'un système de financement de réduction de charges salariales sur une masse financière appelée à diminuer ?

Oui, vraiment, le système mis en place, il y a 30 ans, peut être adapté, mais il ne doit pas être bouleversé.

(Applaudissements).

6. Intervention de M. Jean SALMON, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

M. Jean SALMON . - L'activité agricole est une activité économique qui s'exerce sur l'ensemble du territoire. Nous sommes très concernés par tous les problèmes de fiscalité écologique. La profession agricole a vécu l'annonce de la TGAP au mois de juillet avec une certaine inquiétude, car depuis plusieurs années le monde agricole a essayé d'initier un certain nombre de démarches volontaristes de la part des agriculteurs et a progressivement intégré la démarche des agences. Depuis plusieurs années, un certain nombre de secteurs - et je pense à l'élevage- sont sur la voie de l'intégration au système des agences.

Nous avons été d'autant plus surpris que, à la suite de la communication de Mme Dominique VOYNET au conseil des ministres du mois d'avril 1998, un groupe de travail eau-agriculture a été mis en place au ministère de l'Environnement, avec des sous-groupes ayant pour mission de réfléchir à l'opportunité d'une taxe de cette nature. Est-ce là la véritable concertation ?

La profession agricole est implantée sur l'ensemble du territoire, ce qui renvoie à une gestion des problèmes de l'agriculture par bassin. De plus en plus, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas de solution nationale parce qu'il n'y a pas une agriculture, mais il faut répondre dans chaque région et département à des problèmes particuliers, et cela appelle un rapport de proximité avec les intervenants.

Bien sûr j'ai entendu pas mal de choses ce matin, et même à demi mots, j'ai senti que l'on reprochait à l'agriculture de n'être pas entrée dans le dispositif. Je crois qu'un certain nombre de dossiers en discussion depuis quelques années font que progressivement - si les accords sont respectés - une partie de l'agriculture, notamment l'élevage et les rejets ponctuels, entrera dans le dispositif des agences. Restent les problèmes des pollutions diffuses qui sont plus difficiles à traiter. Mais cette approche territoriale reste pour nous indispensable.

Notre inquiétude principale, c'est qu'à travers cette TGAP, on abandonne l'idée qu'au delà du principe pollueur-payeur, il puisse y avoir un principe non payeur-non pollueur qui s'applique à partir du moment où les agriculteurs ont fait les efforts nécessaires pour que leur activité ne soit plus polluante. Sans compter que les agriculteurs continuent à participer à l'entretien de l'espace à travers leur travail de tous les jours.

Compte tenu de la dispersion des agriculteurs, toute mesure de prise en compte de l'environnement qui n'aura pas un caractère volontariste de leur part est vouée à l'échec. Ceux qui ne respectent pas les règles du jeu doivent être soumis à redevance, mais ceux qui les respectent ne doivent pas être soumis aux mêmes contraintes.

C'est dans cet état d'esprit que la profession agricole, à travers les chambres d'agriculture, s'est engagée dans le suivi du programme d'action de la directive nitrate en engageant des moyens pour favoriser l'évolution des pratiques agricoles et permettre aux agences de bassin et au ministère de faire le point, avec la profession agricole.

Lors du dernier comité de pilotage, nous avons eu un long débat sur ces orientations. Un représentant du ministère de l'Environnement a siégé à nos travaux. La démarche la plus constructive entend mobiliser les agriculteurs, par la voie de la sensibilisation, pour qu'ils s'approprient les démarches et les actions volontaires vis-à-vis de l'environnement. Une taxe qui serait imposée à tous les intrants liés à l'agriculture présente deux écueils : ou bien elle est à un niveau tout à fait dissuasif, et elle crée une distorsion de concurrence par rapport aux autres pays de la communauté européenne, et en tout cas, par rapport au reste du monde dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; ou bien elle est faible, et elle constitue un droit à polluer qui ruine tous les efforts faits au sein du monde agricole.

Face à cette situation, nous restons attachés à un dispositif favorisant les agents qui travaillent bien, et pénalisant les autres. C'est à travers le dispositif actuel des agences de l'eau que nous pourrions le faire de la manière la plus pragmatique qui soit.

7. Intervention de M. André SANTINI, ancien ministre, député-maire d'Issy-les-Moulineaux, président du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF)

M. André SANTINI . - Monsieur le Président, Madame la Ministre, Messieurs les Ministres, mes chers collègues, je vais me permettre de conclure à la place de M. Jacques OUDIN pour gagner du temps ! Le thème de ce colloque était le projet de taxe générale sur les activités polluantes : une remise en cause radicale de la politique de l'eau ? La cause est entendue et la réforme n'aura pas lieu !

Mme Bettina LAVILLE, vous vous êtes plainte tout à l'heure légitimement et vous avez demandé une péréquation des temps de parole. Moi, je crois qu'à vous seule vous incarnez la parité. Tout le monde est contre vous et vous vous défendez fort bien. Nous voulons simplement vous aider. Vous avez réussi pour la première fois à faire découvrir aux agences ce qu'elles étaient, c'est-à-dire un lieu de convivialité, de parité, de respect, de tolérance, de pédagogie. On a mis un peu de temps, mais c'est toujours à l'occasion d'un grand deuil qu'on découvre la famille, et là, la famille est au banquet de funérailles.

Aujourd'hui toutes les agences sont mobilisées pour montrer qu'elles existent. Spinoza parlait de persévérer dans l'être, mais là il s'agit de persévérer dans l'action.

Je crois que finalement l'agence est un système très moderne parce que décentralisé, et quasiment paritaire ; il concerne tout le monde et implique chacun.

Et d'un seul coup, on veut modifier ce système. Il y avait déjà eu des alertes avec le rapport du Commissariat général au plan, le rapport de la Cour des comptes. On n'a pas bien compris que c'était la préparation d'artillerie et qu'autre chose allait venir. Et au moment où on commençait à jouer le jeu de la concertation, arrive un autre missile qui bouleverse tout et nous dit que nous n'avons rien compris. J'ai eu l'impression, comme Virenque dans les Guignols : "on a voulu nous modifier à l'insu de notre plein gré !".

Je ne vois pas aujourd'hui Mme Bettina LAVILLE comment vous allez pouvoir remonter le courant face à toutes les agences et tous les élus. L'ensemble des acteurs et des professionnels du domaine de l'eau ne veulent pas qu'on remette en cause ce qui marche bien. Nous étions hier à un groupe de coordination où un de nos amis a disait : "le problème c'est de trouver une solution pour remplacer quelque chose qui marche". Et cela, c'est nouveau dans la problématique politique.

Moi, je crois qu'il faut arrêter. Cela ne va servir à rien de nous bousculer, d'autant qu'on n'a pas d'issue. Comment sera prélevée cette nouvelle TGAP ? Elle va s'ajouter sur la facture de l'eau ? Rappelez-vous : l'eau, c'était une ressource, c'est devenu un produit, puis un service, et aujourd'hui c'est une taxe. Il y a 40 à 45% d'eau dans la facture d'eau, et la logique pétrolière s'applique parfaitement. Quand la facture d'eau représentera 80% de taxes et 20% d'eau, je ne sais pas de quoi on pourra parler. D'ores et déjà, le propriétaire d'un pavillon de banlieue dans la région parisienne s'étonne de voir apparaître la taxe "voie navigable", mais si d'autres taxes collectives apparaissent, cela sera pour lui encore plus étonnant. La révolte fiscale que nous, maires, connaissons au plan local, commence à s'étendre à la facture d'eau pour les syndicats inter-communaux. L'eau est devenue un poste de dépenses important, qui ne pourra augmenter impunément.

Est-ce que cela vaut la peine de continuer à s'acharner contre des agences que tout le monde ici a défendues ?

Par contre, en tant que parlementaire, je serai un peu à contre-courant de mes collègues car je trouve que le projet de taxe dépolluante constitue un vrai débat. Il y a là une perspective européenne ; j'ai vu qu'en Allemagne on reparlait d'une éco-taxe. Comment cela va-t-il s'organiser par rapport au droit européen et quelle sera notre rôle ? C'est un débat intéressant, mais au niveau du Parlement et non pas au niveau décentralisé des agences.

Alors que nous n'avons pas eu ce débat pour l'instant, on nous sort "un menu" tout ficelé. On ne peut plus continuer ainsi. En ce qui concerne les agences, les esprits sont en éveil et totalement opposés à la réforme. En ce qui concerne le projet de TGAP, il y a un champ de discussion, et je suis sûr que les élus présents sont prêts à en débattre, mais à la loyale, c'est-à-dire au sein d'assemblées parlementaires.

(Applaudissements).

8. Réponse de Mme Bettina LAVILLE, Conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre

Mme Bettina LAVILLE . - Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, bien que vous représentiez ici une force économique et pas du tout politique, je voudrais répondre à toutes les observations qui ont été faites dans l'esprit de la concertation à laquelle je n'ai pas directement participé, mais à laquelle le ministère de l'Environnement participe depuis deux mois.

Pour cela, je mettrai de côté les arguments qui me paraissent relever du procès d'intention et je répondrai aux autres.

Je citerai quand même quelques intervenants dont le procès d'intention a été un peu voyant. J'ai été touchée par le plaidoyer de M. Jacques VERNIER et de son rêve président de l'ADEME de bénéficier d'une ressource affectée, concernant la maîtrise de l'énergie. Il est vrai que les 300 millions de francs inscrits lors de la création de l'ADEME en 1990 se sont évaporés pendant qu'il assumait cette présidence. Entre 1993 et 1997, ces subventions ont perdu à peu près 25% par an de leur valeur en raison du retrait total du ministère de l'Industrie. Mais c'est aussi vrai que le ministère de l'Industrie ne voulait à aucun prix qu'une taxe soit affectée à la maîtrise de l'énergie. Le Gouvernement de Lionel Jospin, dans le budget 1999, a affecté 500 millions de francs pour la maîtrise de l'énergie, dont deux-tiers sont inscrits sur le ministère de l'Environnement et l'autre tiers sur le ministère de l'Industrie. Je suis contente ici d'avoir pu réaliser le rêve de M. Jacques VERNIER, en représentant le Gouvernement qui a décidé cela.

Ma deuxième observation pour répondre à M. Ambroise GUELLEC : vous ne pouvez pas sérieusement dire que lors du débat de la loi sur l'eau en 1992, les gouvernements de Michel ROCARD et d'Edith CRESSON ont reculé ; nous avons donc reculé ensemble avec les parlementaires, et notamment le Sénat, et l'Assemblée nationale, à cause "d'un sombre débat sur la constitutionnalité". Ce sombre débat que Mme Corinne LEPAGE a bien voulu rappeler constitue un vrai problème. Quand quelqu'un mettra bout à bout le problème de la constitutionnalité plus le problème de la directive plus la demande sociale sur une qualité de l'eau, qui parfois n'est pas parfaite, vous serez face à une difficulté juridique qu'il faudra régler d'une manière plus brutale que celle que le Gouvernement offre en ce moment.

Le troisième problème concerne l'agriculture. J'ai bien entendu vos observations, mais vous confondez deux choses. Bien entendu, il faut travailler à l'assiette fiscale par rapport à une taxation agricole, et ce groupe de réflexion s'y consacre. Mais, cela n'a rien à voir avec la manière de prélever la fiscalisation. Ce groupe de travail reste utile car il n'a rien à voir avec la TGAP, qui d'ailleurs ne sera effective qu'au budget de l'an 2000. Nous avons un an pour nous concerter.

D'autre part, je reprends un propos de M. Ambroise GUELLEC. Je veux bien qu'on dise qu'il y a eu un communiqué sur l'eau qui a dressé un certain nombre de principes, et qu'au cours de l'été, en juillet, les choses se sont faites en catimini, à l'ottomane. Mais la vérité, dans ce débat, mérite d'être rappelée. Je citerai quelques passages de ce texte : "Réforme des agences de l'eau : avec les comités de bassin et les associations d'élus, la ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement propose une réforme des redevances instituées par la loi sur l'eau de 1964". C'était clair. "En matière de redevance de pollution domestique, la réforme aura deux objectifs principaux : une meilleure équité entre les redevables et une meilleure cohérence entre les redevances et les unités hydrographiques". Le Gouvernement n'a pris personne par surprise. Voilà pour le rétablissement de la vérité.

Maintenant sur le fond, qui est le plus important, je crois que certains très bons problèmes ont été posés. Je ne rentrerai pas dans le débat juridique qu'ont soulevé M. Patrick THIEFFRY et Mme Corinne LEPAGE, mais je rappellerai trois choses : Mme Corinne LEPAGE sait aussi bien que moi que l'autonomie financière a une jurisprudence considérable et qu'elle ne provient pas simplement de la manière dont les ressources sont collectées, mais surtout de la façon dont elles sont administrées et redistribuées.

D'autre part, ce que la loi a fait, seule la loi peut le défaire. Et nous sommes devant une loi de finances. Le problème juridique ne se pose pas aussi clairement que vous le dites. Et quand vous parlez de la satisfaction à nos obligations internationales, je vous dirai que pour l'instant, par rapport à la qualité de l'eau, nous ne satisfaisons pas à nos obligations internationales tant sur le plan européen que sur le plan des conventions de l'ONU issues de Rio. Et si la France devait être condamnée dans une juridiction internationale, nous n'aurions plus aucune arme pour défendre notre point de vue par rapport à la directive-cadre et l'objectif de 2010.

Pour terminer, encore trois points.

- Il faut qu'on approfondisse ensemble cette affaire de péréquation. Nous n'y échapperons pas ni les uns ni les autres. Et Monsieur le Président FRANCOIS-PONCET, Monsieur le Ministre, vous avez cité d'une manière habile le fait que les pauvres ne doivent pas payer pour les riches, mais dans le système actuel les riches ne payent pas pour les pauvres, et c'est de cela dont il est question.

- Nous n'échapperons pas à une réflexion globale sur l'évolution de l'environnement. Je suis d'accord avec Mme Corinne LEPAGE quand elle dit que le financement de l'environnement s'est fait par petits pas, et les petits pas ont été incarnés par les taxes affectées. J'ai le souvenir moi-même d'avoir négocié pied à pied l'ensemble des taxes de l'ADEME, et puis les taxes sur l'eau, mais je crois que cette époque est heureusement dépassée, avec un Gouvernement très engagé dans l'environnement.

- Vous avez cité un mouvement européen avec la réflexion actuelle en Allemagne. Elle se fait depuis longtemps dans les pays scandinaves, elle commence à se faire en Italie, et vous avez un mouvement global de fiscalisation, mais parce qu'aujourd'hui les problèmes de l'environnement sont planétaires, et quand vous traitez le problème de l'eau dans votre agence, vous participez à un mouvement environnemental global dans lequel il faut que nous mettions à niveau les instruments économiques nationaux.

C'est cela qui guide l'action du Gouvernement, en particulier dans cette théorie du double dividende, qui n'a pas été inventée seulement par M. Alain LIPIETZ, mais qui est une thèse d'économistes de plus en plus reconnue et qui est celle sur laquelle travaillent un certain nombre d'organisations internationales, qui ont fait évoluer le droit de l'environnement.

Enfin, un mot de conclusion.

Vous avez trois scenarii. Il y a un mouvement de critiques et d'incompréhension peut-être sur un certain nombre de choses. Il y a également les réflexions d'un certain nombre de personnes qui savent bien au fond d'elles-mêmes qu'il faut faire évoluer les agences. Mme Corinne LEPAGE l'a dit d'ailleurs. Et si ce mouvement visait à geler l'ensemble du système des agences pour des intérêts qui ne sont pas forcément ceux de l'intérêt général, je me permets de mettre en garde tout le monde, l'Etat y compris, en tant que spécialiste de l'environnement, sur le retard que nous prendrions.

Le système des agences de l'eau présente un danger qui vient du problème de constitutionnalité, des "trous" sur le plan de la qualité de l'eau, avec le problème agricole. Et je prends acte avec plaisir du fait qu'aujourd'hui il y a un consensus sur le fait qu'il faut traiter le problème des pollutions agricoles par rapport à l'eau, et je prends donc acte de la satisfaction des élus concernant la circulaire Voynet - Le Pensec.

Je pense que Mme Dominique VOYNET réfléchit à des garanties plus importantes pour apaiser ce conflit sur l'avenir des taxes sur l'eau dans le dispositif TGAP, et qu'elle fera des propositions dans ce domaine. En tant que militante de l'environnement depuis longtemps, je dirais que la demande sociale aujourd'hui a considérablement évolué, et ce qu'il fallait sauvegarder comme acquis environnementaux il y a 10 ans, avec des lois, des règlements, ou des contreparties, aujourd'hui est sauvegardé par la demande sociale et la vigilance du public.

Je ne voudrais pas que mon propos soit interprété par un "cela suffit", mais je crois que nous sommes dans un contexte tout à fait différent qui est à mettre d'ailleurs au crédit du monde associatif et au crédit du monde des collectivités locales, dont la prise de conscience a été importante ces dernières années, et à mettre au crédit de tous les ministres de l'environnement successifs qui ont su se battre pour arriver à cela. Nous ne sommes plus à la même époque qu'en 1964.

CONCLUSION DU COLLOQUE
PAR M. JACQUES OUDIN

M. Jacques OUDIN . - Merci madame. Je conclurai ces propos en vous remerciant tous et en vous disant que je me réjouis que nous ayons pris l'initiative d'organiser une large consultation de la communauté nationale de l'eau sur la réforme de la fiscalité écologique. C'est la première réunion de ce genre depuis l'annonce du projet de loi gouvernemental.

Les débats particulièrement vifs et fructueux que nous avons engagés tout au cours de cette matinée montrent que ce sujet présente un intérêt essentiel.

Premièrement, ce colloque a mis en lumière les atouts qui font la force du système actuel des agences de l'eau :

•  une gestion décentralisée par bassin hydrographique,

•  une gestion démocratique au sein des comités de bassin,

•  une gestion autonome, avec une affectation des ressources aux dépenses.

Ce dispositif a confirmé toute son efficacité comme en attestent les progrès considérables qui ont été réalisés en faveur de la politique nationale de l'eau, et sa légitimité reconnue tant au niveau national, européen qu'international.

Deuxièmement, cette manifestation a également montré que le projet d'instauration de la TGAP suscite une grande méfiance, pour ne pas dire une franche hostilité, de la part des acteurs de l'eau à différents égards :

•  vis-à-vis d'un centralisme étatique :

L'affectation du produit de la TGAP au budget de l'Etat tendant à lui donner tout pouvoir de décision et de cogestion, remettrait en cause l'action et le rôle tant des agences de l'eau que des comités de bassin.

•  vis-à-vis des engagements de l'Etat :

En 1997, le montant des redevances des six agences de l'eau s'est élevé à plus de 10 milliards de francs. Or, la pérennité des dotations budgétaires n'est pas assurée en raison d'un déficit budgétaire de plus de 236 milliards en 1999. Compte-tenu des besoins à satisfaire dans le domaine de l'eau, il est indispensable que des garanties réelles soient données pour préserver l'efficacité de toute politique de l'environnement.

•  vis-à-vis du retour à l'eau des taxes prélevées :

Le compte spécial du Trésor n'offre aucune garantie dans ce domaine. Il n'est pas du tout certain que la TGAP serve exclusivement à la protection de l'environnement.

Les expériences passées tant pour le Fonds national de développement d'adduction d'eau que pour le Fonds d'investissement pour les transports terrestres et les voies navigables illustrent quelles utilisations de telles ressources peuvent être faites pour d'autres fins que celles prévues initialement.

Ne faisons pas de l'environnement un sujet de discorde. Bien entendu, le dispositif des agences est perfectible. Notre objectif est, tout en restant mobilisés, de poursuivre nos réflexions pour proposer des pistes d'amélioration qui viendront conforter le système existant.

Mais ne sacrifions pas un système dont les moyens de financement permettent aux collectivités de réaliser efficacement leurs investissements dans le domaine de l'eau, afin de répondre aux besoins de nos concitoyens en matière de qualité de l'eau potable et d'assainissement, et de satisfaire les exigences européennes toujours plus contraignantes.

En aucun cas, nous ne souhaitons bouleverser un système mis en place pendant des décennies par les lois de 1964 et 1992 au détour d'un simple article de loi de Finances.

Vous trouverez le texte de la résolution qui vous présentera notre position qui a par ailleurs été adoptée par la quasi majorité des participants.

ANNEXE 1 :

SYNTHESE DES POSITIONS ADOPTEES PAR LA MAJORITE DES PARTICIPANTS AU COLLOQUE

La France s'est dotée, par deux lois fondamentales adoptées en 1964 et 1992, d'une politique de l'eau cohérente et efficace.

Les finalités de cette politique sont la préservation durable des ressources, la protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique au bénéfice de tous les usages et la résorption des pollutions que ceux-ci occasionnent.

Pour conforter la mise en oeuvre de l'appareil réglementaire ainsi que l'exercice de la police des eaux, il est fait application de plusieurs principes économiques :

- il s'agit essentiellement du principe de responsabilité (les principes pollueur-payeur et utilisateur-payeur), qui fait supporter à l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge financière l'incitant à corriger son comportement tout en le rapprochant des exigences réglementaires ;

- il s'agit également du principe de solidarité et d'autonomie (l'eau paye l'eau), qui affecte, sous le contrôle de l'Etat, les sommes rassemblées au moyen de la taxation précédente au financement d'ouvrages hydrauliques : assainissement et épuration des eaux usées, traitement et distribution de l'eau potable, entretien et protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines ;

- il s'agit enfin du principe d'unité d'action territoriale décentralisée (le bassin hydrographique comme unité de gestion) et d'unité d'action temporelle (un programme d'intervention financière défini sur cinq ans) que des assemblées particulières, les Comités de bassin, mettent en oeuvre de manière concertée.

Des administrations particulières, les Agences de l'eau, dotées de l'autonomie financière, constituent le coeur de ce dispositif en élaborant la politique de l'eau au niveau de chaque bassin, en incitant les maîtres d'ouvrages publics et privés à rapprocher leurs intérêts dans le domaine de l'eau, en assurant le suivi et le contrôle des décisions mises en oeuvre. Le caractère exemplaire de leur action durant les trente dernières années, font que de nombreux pays s'inspirent désormais de ce modèle pour organiser leur politique de l'eau.

Durant les douze derniers mois toutefois, le système français de gestion des eaux subit des critiques répétées de la part de certains centres de décisions publics.

En conséquence , les participants à la réunion organisée le 20 octobre 1998 au Sénat, sous la présidence de la Commission des Affaires économiques et à l'initiative du Président du groupe d'étude de l'Eau et du Cercle français de l'Eau, et des Présidents des six comités de bassin français (Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée-Corse, Seine-Normandie) :

Alertés par le projet d'adoption pour l'année 1999 d'une Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) concernant l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME), qui a vocation à être élargie aux agences de l'eau en 2000 ;

Faisant valoir que la budgétisation des ressources des Agences de l'Eau à travers la mise en oeuvre de la fiscalité écologique s'oppose par principe à toute affectation des ressources et remet en cause fondamentalement le fonctionnement des agences de l'eau. Le principe de cette fiscalité écologique permettra au Ministère des Finances de percevoir les redevances pour pollution rejetée, versées jusqu'alors aux agences de l'eau, sans en affecter l'intégralité du produit à des actions concernant la protection des eaux.

S'opposent à l'adoption d'un tel projet effectué de plus, sans concertation, dans la hâte et l'improvisation.

Rappellent les progrès considérables que les organismes de bassin ont permis d'accomplir depuis trente ans en matière de démocratie locale de l'eau, en permettant la concertation entre élus et usagers en présence de représentants de l'Etat ;

Insistent sur le fait que ce modèle de bonne gouvernance est cité comme référence d'organisation citoyenne dans le monde entier, et qu'il est proposé comme modèle de gestion de l'eau au niveau communautaire ;

Soulignent les résultats mesurables obtenus en matière de forte réduction des pollutions industrielles, de gain de rendement des ouvrages d'épuration, de montée en puissance des financements consacrés à l'eau, d'innovations en matière d'organisation et de participation (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion de l'Eau et Commissions Locales de l'Eau) ;

Soulignent l'incohérence qu'il y a entre les réformes visant à une amélioration de ce dispositif, telles que présentées par Mme la Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire le 20 mai 1998, qui faisait suite à une concertation avec les Comités de bassin qui les avaient acceptées et le projet centralisateur, autocrate et régressif de fiscalité écologique dont le but consiste à détourner de leur objet les moyens financiers consacrés à la protection de la nature et à sa mise en valeur ;

Demandent au Parlement :

de soutenir le dispositif actuel des Agences de l'eau, financièrement autonomes, sous le contrôle de l'Etat, du Parlement et des Comités de bassin, en mettant à l'étude les éléments législatifs qui le conforteront,

de refuser en conséquence tout projet d'extension au domaine de l'eau de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes qui ruinerait ce dispositif,

de favoriser la mise en oeuvre des réformes préconisées par le Ministre de l'Environnement en mai dernier, notamment en matière de simplification de la facture d'eau,

d'encourager le rétablissement d'un climat de confiance entre les usagers de l'eau et les pouvoirs publics, nécessaire à la crédibilité de l'Ecole Française de l'Eau à l'échelle mondiale.

* *

*

Le Parlement s'est prononcé avec toute la rigueur de ses débats par deux fois en 1964 et 1992 en élaborant une loi sur l'eau avec des principes directeurs.

Il serait anormal au détour d'une procédure fiscale, de mettre ainsi fin à un système qui a été patiemment élaboré et voté à l'unanimité par le Parlement.

ANNEXE 2 :

EXTRAIT DU RAPPORT GENERAL 8( * ) SUR LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 1999

ARTICLE 30

Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

Commentaire : le présent article prévoit d'instituer, à compter du 1 er janvier 1999, au profit du budget de l'Etat, une taxe générale sur les activités polluantes qui se substituerait aux taxes affectées à l'ADEME et qui préfigurerait la future écotaxe communautaire.

I - LA SITUATION ACTUELLE

A - LA FISCALITÉ DE L'ENVIRONNEMENT

1. Contexte général

De nombreuses études récentes 9( * ) montrent que l'introduction des mécanismes de marché dans la politique de l'environnement, notamment par l'institution de taxes environnementales, ou écotaxes , constitue un levier plus efficace que des réglementations contraignantes.

Les écotaxes, en modifiant les prix relatifs, obligent les producteurs et les consommateurs à prendre en compte (à " internaliser ") le coût de la pollution ou de certaines autres externalités dans leurs décisions économiques.

Selon un rapport de l'OCDE 10( * ) , il existe deux grandes approches des écotaxes selon les pays :

- la première consiste en l'introduction de nouvelles taxes au coup par coup pour faire face aux problèmes d'environnement nouvellement identifiés ou pour remplacer ou compléter les réglementations existantes ;

- la seconde repose sur une restructuration globale du système fiscal dans ce domaine.



2. La fiscalité de l'environnement en France

La France relève aujourd'hui de la première catégorie. Cependant le présent article amorce une refonte de son système fiscal environnemental.

Pendant longtemps, la France a privilégié la réglementation sur la taxation. Toutefois, la fiscalité de l'environnement y a connu un essor particulier depuis une dizaine d'années, avec la création des nombreuses taxes visant à limiter certaines émissions polluantes ou à financer des politiques de dépollution.

Le dispositif comporte actuellement environ 75 taxes relativement hétérogènes. Mme Nicole Bricq, dans l'introduction de son rapport sur la fiscalité de l'environnement souligne que " les réformes qui sont intervenues récemment se sont trop souvent traduites par des mesures ponctuelles, sans cohérence d'ensemble " 11( * ) .

B - LES TAXES AFFECTÉES À L'ADEME

Les taxes fiscales et parafiscales affectées à l'ADEME constituent une partie de la fiscalité environnementale en France.

Il existe en effet aujourd'hui cinq taxes affectées à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et dont l'objet est de taxer les émissions polluantes :

1- la taxe sur le stockage des déchets ménagers et assimilés, instituée par l'article 7 de la loi du 13 février 1992 relative à l'élimination des déchets, possède un caractère fiscal. Elle est acquittée par les exploitants de décharges de déchets ménagers et assimilés et son produit est destiné à soutenir le développement de techniques de traitement innovantes, à financer des investissements et à aider les communes d'accueil des nouvelles installations ;

- la taxe sur les déchets industriels spéciaux, instituée par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, a également un caractère fiscal. Elle est acquittée par les exploitants des installations de traitement ou de stockage de déchets industriels spéciaux et son produit est destiné à financer le traitement et la réhabilitation des sites pollués " orphelins " 12( * ) ;

- la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, instituée par le décret n° 85-582 du 7 juin 1985, est acquittée par les exploitants d'installations émettant certains rejets dans l'atmosphère ; le produit de la taxe est affecté à la surveillance de la qualité de l'air et au financement de projets de lutte contre la pollution atmosphérique ;

- la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires, instituée par la loi du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, a un caractère fiscal. Elle est acquittée par les compagnies aériennes utilisant les grands aérodromes et son produit est destiné à aider les riverains de ces aéroports à réaliser des travaux d'isolation acoustique ;

- la taxe parafiscale sur les huiles de base, instituée en 1986 et réformée par le décret du 31 août 1989 puis par celui du 31 août 1994, est acquittée par les personnes mettant sur le marché des huiles neuves ou régénérées. Son produit est affecté au financement de l'élimination ou de la régénération des huiles usagées, à des actions de communication et à des investissements pour la mise en place de points de collecte.

On peut donc distinguer :

1- trois taxes de nature fiscale : taxes sur l'élimination et le stockage des déchets et taxe d'atténuation des nuisances sonores aéroportuaires,

2- et deux taxes parafiscales : taxe sur la pollution de l'air et taxe sur les huiles de base.

Produit des taxes affectées à l'ADEME : (en millions de francs)

Taxe

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Taxe sur le traitement et le stockage des déchets ménagers

395

420

690

770

875

1 337

Taxe sur le traitement et le stockage des déchets industriels spéciaux

--

--

85

93

101

165

Taxe sur la pollution atmosphérique

187

160

134

187

194

222

Taxe sur les nuisances sonores

30

30

32

38

40

89

Taxe sur les huiles de base

21

107

114

114

111

121

TOTAL

633

717

1 055

1 202

1 322

1 935

C - LE PRODUIT DE CES TAXES FINANCE l'ACTION DE l'ADEME

1. Présentation de l'ADEME


L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) est un établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la triple tutelle des ministères de l'Environnement, de l'Industrie et de la Recherche. Elle a été créée en 1990 par la fusion de trois organismes existant.

L'activité de l'ADEME vise à la maîtrise conjointe des consommations d'énergie, de matières premières et des pollutions.

2. Financement de l'ADEME

Le financement de l'ADEME est assuré :

- à plus de 70 % par les taxes fiscales et parafiscales dont l'Agence assure le recouvrement ainsi que la gestion ;

-  et à moins de 30 % par des crédits d'origine budgétaire .

Depuis plusieurs années, une tendance à la débudgétisation de l'ADEME était apparue, la part des crédits budgétaires dans le financement de l'Agence se réduisant au profit de celle des taxes affectées.

1- Budget d'intervention : Les taxes affectées à l'ADEME entrent pour une part croissante dans le budget d'intervention de l'Agence, comme le montre le tableau ci-après :

Taxes et crédits budgétaires dans le budget d'intervention de l'ADEME : (en millions de francs)

 

Taxes (1)

Crédits budgétaires (2)

(1) + (2)

Part des taxes dans (1) + (2)

1993

286

826

1112

26 %

1994

594

386

980

61 %

1995

676

379

1055

64 %

1996

984

356

1340

73 %

1997

1116

411

1527

73 %

2. Budget de fonctionnement : Le coût global de fonctionnement de l'ADEME s'élève à environ 300 millions de francs, couverts à 62 % par des crédits budgétaires versés par chaque ministère de tutelle, à 30 % par une part du produit des taxes affectées et à 8 % par des ressources propres.

Taxes et crédits budgétaires dans le budget de fonctionnement de l'ADEME : (en millions de francs)

 

Taxes (1)

Crédits budgétaires (2)

(1) + (2)

Part des taxes dans (1) + (2)

1993

31.5

230.6

262.1

12 %

1994

39.2

224.7

263.9

15 %

1995

41.2

227.4

268.5

15 %

1996

71.2

210.5

281.7

25 %

1997

85.7

201.2

287.0

30 %

II - LE PROJET DU GOUVERNEMENT

Le présent article prévoit d'instituer, à compter du 1 er janvier 1999, au profit du budget de l'Etat, une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui se substituerait aux cinq taxes actuellement affectées à l'ADEME. La création de la TGAP constitue la mesure phare de la politique fiscale de l'environnement que souhaite engager le Gouvernement.

A - INSTAURATION D'UNE TAXE UNIQUE : LA TGAP

1. Les objectifs poursuivis


Deux raisons principales ont conduit le Gouvernement à proposer la création de la TGAP :

1- d'une part, moderniser, unifier et simplifier la fiscalité pesant sur les activités polluantes , considérant notamment que l'existence des taxes multiples dans le domaine de la protection de l'environnement ne favorise pas la lisibilité de la politique fiscale de lutte contre les pollutions et occasionne souvent des difficultés de gestion,

2- et d'autre part, mettre en oeuvre de façon plus efficace le principe " pollueur-payeur ". En effet, jusqu'à présent, le rendement des taxes était largement déterminé par le coût des réparations des pollutions ; désormais, la TGAP devrait permettre de dissuader les pratiques polluantes et d'inciter à des comportements plus respectueux de l'environnement 13( * ) .



2. La création de la TGAP

En conséquence, le présent article prévoit de substituer une taxe unique, la TGAP, à l'ensemble des cinq taxes existantes présentées ci-dessus.

La TGAP ne serait donc pas un impôt supplémentaire et cette substitution se ferait à prélèvements globaux constants. Contrairement à ces cinq taxes dont le produit est affecté à l'ADEME, la TGAP serait un impôt d'Etat dont le produit alimenterait le budget de l'Etat et qui relèverait donc de la compétence législative.

Le paragraphe I du présent article propose l'insertion de six nouveaux articles dans le code des douanes (articles 266 sexies à undecies du code général des douanes) :

1- l'article 266 sexies (nouveau) institue la TGAP et établit la liste des redevables ;

2- l'article 266 septies (nouveau) précise le fait générateur de la taxe ;

3- l'article 266 octies (nouveau) précise les éléments sur lesquels la taxe est assise ;

4- l'article 266 nonies (nouveau) fixe le montant de la taxe ;

5- l'article 266 decies (nouveau) prévoit que certains assujettis à la taxe sur les huiles de base ou à celle sur la pollution atmosphérique peuvent obtenir le remboursement des sommes versées ou une diminution des montants exigibles ;

6- l'article 266 undecies (nouveau) précise que la taxe est " déclarée, contrôlée et recouvrée selon les règles, garanties et sanctions prévues en matière de douanes ".

Le tableau ci-après présente les principales caractéristiques de la TGAP prévues dans ces nouveaux articles.

TGAP

Redevables
(Art. 266 sexies)

Fait générateur
(Art. 266 septies)

Eléments sur lesquels la taxe est assise
(Art. 266 octies)

Montant (F/Tonne)
(Art. 266 nonies)

Déchets ménagers ou assimilés

Tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés.

Réception de déchets par les exploitants mentionnés.

Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés.

1- déchets réceptionnés dans une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés : 60 F/tonne,

2- déchets réceptionnés dans une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés de provenance extérieure au périmètre du plan d'élimination des déchets dans lequel est située l'installation de stockage : 90 F/tonne.

Le montant minimal annuel de la taxe relative aux déchets est de 3.000 F par installation.

Déchets industriels spéciaux

Tout exploitant d'une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux par incinération co-incinération, stockage, traitement physico-chimique ou biologique non exclusivement utilisée pour les déchets que l'entreprise produit, à l'exception des installations d'élimination de déchets industriels spéciaux exclusivement affectées à la valorisation comme matière.

Réception de déchets par les exploitants mentionnés.

Poids des déchets reçus par les exploitants mentionnés.

1- déchets réceptionnés dans une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux : 60 F/tonne,

2- déchets réceptionnés dans une installation de stockage de déchets industriels spéciaux : 120 F/tonne.

Le montant minimal annuel de la taxe relative aux déchets est de 3.000 F par installation.

Pollution atmosphérique

Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit d'installations d'incinération d'ordures ménagères, ou le poids des substances mentionnées au 2 de l'article 266 septies émises en une année lorsque l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains seuils.

Emission dans l'atmosphère par les installations mentionnées :

- d'oxydes de soufre et autres composés soufrés,

- d'oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote,

- d'acide chlorhydrique,

- d'hydrocarbures non méthaniques, solvants et autres composés organiques volatils.

Poids des substances émises dans l'atmosphère par les installations mentionnées.

- oxydes de soufre et autres composés soufrés : 180 F/tonne,

- acide chlorhydrique : 180 F/tonne,

- oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote : 250 F/tonne,

- hydrocarbures non méthaniques, solvants et autres composés organiques volatils : 250 F/tonne.

Nuisances sonores aéroportuaires

Tout exploitant d'aéronefs ou, à défaut, leur propriétaire, à l'exception des aéronefs de masse maximale au décollage inférieure à deux tonnes et des aéronefs appartenant à l'Etat ou participant à des missions de protection civile ou de lutte contre l'incendie.

Décollage d'aéronefs sur les aérodromes recevant du trafic public pour lesquels le nombre annuel des mouvements d'aéronefs de masse maximale au décollage supérieure ou égale à 20 tonnes est supérieur à 20.000.

Logarithme décimal de la masse maximale au décollage des aéronefs mentionnés. Des coefficients de modulation prennent en compte dans un rapport de un à cinquante, l'heure du décollage et les caractéristiques acoustiques de l'appareil.

- aérodromes du groupe 1: 68 F/tonne

- aérodromes du groupe 2: 25 F/tonne

- aérodromes du groupe 3: 5 F/tonne.

Huiles de base

Toute personne qui effectue une première livraison après fabrication nationale ou qui livre sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou qui met à la consommation des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées, ainsi que tout utilisateur d'huiles et préparations lubrifiantes, autres que celles visées ci-dessus produisant des huiles usagées dont le rejet dans le milieu naturel est interdit.

Première livraison après fabrication nationale, livraison sur le marché intérieur en cas d'acquisition intra-communautaire ou mise à la consommation des lubrifiants mentionnés, utilisation des huiles et préparations lubrifiantes mentionnées.

Poids net des lubrifiants, huiles et préparations lubrifiantes mentionnés.

- lubrifiants huiles et préparations lubrifiantes : 200 F/tonne.

La substitution de la TGAP aux taxes affectées à l'ADEME est l'occasion pour le Gouvernement de proposer plusieurs modifications de l'état du droit. Notamment,

1- la taxe sur les déchets, qui était provisoire, serait désormais pérenne ;

2- le taux des taxes sur le stockage des déchets augmenterait de 50 % : celle sur les déchets ménagers passerait de 40 à 60 francs par tonne et celle relative aux déchets industriels spéciaux de 80 à 120 francs par tonne. Cette augmentation devrait permettre de dégager des financements supplémentaires (613,1 millions de francs) dont 500 millions de francs seraient affectés à l'ADEME en vue de financer des actions de maîtrise de l'énergie ;

3- les seuils à partir desquels les exploitants d'installations classées soumises à autorisation sont assujettis à la taxe sur la pollution atmosphérique ne seraient plus inscrits dans la loi ; en outre, il ne serait plus fait référence aux " poussières " dont le taux est toujours resté fixé à zéro ;

4- l'assiette de la taxe sur les huiles de base, qui était contestée, serait redéfinie : seraient désormais concernées les personnes qui livrent ou mettent à la consommation " des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées " ainsi que les personnes qui utilisent des huiles et des préparations lubrifiantes " produisant des huiles usagées dont le rejet dans le milieu naturel est interdit ".

• Le paragraphe II du présent article prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application de ces articles 266 sexies à 266 undecies du code général des douanes.

B - CONSÉQUENCES POUR L'ADEME

1. Conséquences budgétaires


a) La compensation budgétaire

Le paragraphe IV prévoit de mettre fin aux taxes sur les déchets et à celle sur les nuisances sonores, qui, en tant que taxes de nature fiscale, avaient une base législative 14( * ) . Les deux autres taxes sur la pollution atmosphérique et les huiles de base, étant de nature parafiscale, seront supprimées par décret.

La suppression de ces taxes affectées est synonyme pour l'ADEME de perte d'autonomie financière.

En compensation de la suppression des cinq taxes parafiscales qui lui étaient affectées, l'ADEME bénéficierait d'une subvention annuelle d'un montant égal au produit attendu de la TGAP. Cette subvention serait inscrite au budget du ministère de l'Environnement (et accessoirement, au budget de l'Industrie).

En particulier, pour 1999, l'ADEME recevrait au titre de cette compensation 1 935 millions de francs , correspondant au produit des cinq taxes en 1999, inscrits :

1- pour 1 768 millions de francs, au budget de l'Environnement,

2- et pour 167 millions de francs, au budget de l'Industrie (au titre de sa participation à la politique de relance de la maîtrise de l'énergie).

3- L'augmentation de 46 % du produit par rapport aux taxes existantes, principalement dû à la hausse du taux de la taxe sur les déchets, devrait permettre de dégager des ressources supplémentaires de l'ordre de 615 millions de francs. Sur cette augmentation, 500 millions de francs seraient affectés à l'ADEME afin de relancer ses actions dans le domaine de la maîtrise de l'énergie et du développement des énergies renouvelables 15( * ) .

b) Une contractualisation pluriannuelle

Afin de donner à l'ADEME une garantie pluriannuelle sur la pérennité et le niveau de ses ressources, la définition de la subvention annuelle se ferait dans le cadre de contrats pluriannuels conclus avec l'Etat . Le premier d'entre eux devrait couvrir la période 1999-2002.

2. Mesures transitoires

• Le paragraphe III du présent article prévoit de confier à l'ADEME le contrôle et le recouvrement de la part de la TGAP assise,

- sur les déchets,

- sur la pollution atmosphérique,

- et sur les nuisances sonores aéroportuaires.

Il s'agit en fait des parts de la TGAP qui correspondent aux quatre taxes que l'ADEME contrôle et recouvre actuellement 16( * ) .

Or, à partir du 1 er janvier 1999, il ne s'agira plus de taxes affectées à un établissement public, mais des composantes d'un impôt d'Etat . Cette situation, où un EPIC contrôlerait et recouvrirait un impôt d'Etat pour le compte de ce dernier, est apparemment inédite et semble peu orthodoxe. Cette dévolution de compétence 17( * ) à l'ADEME trouverait sa justification, selon le Gouvernement, dans la continuité des pratiques et sa garantie dans la tutelle étatique à laquelle est soumise l'ADEME.

Les modalités pratiques de ces missions de contrôle et de recouvrement devraient être précisées par le décret en Conseil d'Etat prévu au paragraphe II sus-mentionné.

On peut se demander si ce dispositif est bien conforme à l'article 34 de la Constitution qui prévoit que " La loi fixe les règles concernant (...) les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ".

Il est toutefois prévu que la direction générale des douanes se substitue progressivement à l'ADEME pour les fonctions de gestion (assiette, réception des déclarations), de recouvrement et de contrôle des différentes parts de la TGAP.

L'ADEME ne devrait contrôler et recouvrer ces taxes que pendant une période transitoire. D'après les renseignements fournis à votre rapporteur le passage de relais entre l'ADEME et la direction générale des douanes devrait s'opérer avant le 1 er janvier 2000.



Le paragraphe V prévoit, afin d'éviter tout contentieux, que l'ADEME pourra continuer de gérer les réserves liées aux anciennes taxes de nature fiscale. En ce qui concerne les taxes parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par décret.



Le paragraphe VI prévoit que l'ADEME reversera au Trésor le produit des taxes de nature fiscale se rapportant à l'exercice 1998, exigibles en 1999 et reçues à partir du 1 er janvier 1999. En effet, dans le cas contraire, elle aurait bénéficié en 1999 à la fois du produit des taxes et des subventions budgétaires compensatrices. En ce qui concerne les taxes parafiscales, les dispositions nécessaires interviendront par décret.



C - CONSÉQUENCES POUR LE MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT : UNE MONTÉE EN PUISSANCE

Cette opération de budgétisation du financement de l'ADEME devrait renforcer le rôle du ministère de l'environnement.

- Au plan budgétaire , pour 1999, ses crédits augmentent de plus de 100 % par rapport à 1998, en raison principalement de la subvention nouvelle de 1.935 millions de francs versée à l'ADEME au titre de la TGAP et à comparer avec un budget pour 1998 qui s'établissait à moins de 1.900 millions de francs.

Impact de la TGAP sur le budget du ministère de l'environnement (crédits de paiement) (en millions de francs)

 

1998

1999

1999/1998

Hors TGAP

1.899,5

2.179,8

280,3 (+ 15 %)

Y compris TGAP

1.899,5

3.947,8

2.048,3 (+ 108 %)

- En ce qui concerne l'orientation des actions de l'ADEME , le ministère aura également un rôle renforcé.

Jusqu'à présent, l'Etat a inscrit ses perspectives et ses programmes d'action dans le cadre du contrat d'objectifs 1995-1998 conclu avec l'ADEME. Celui-ci fixe de manière précise les objectifs assignés à l'agence par les pouvoirs publics et définit treize " grands programmes " autour desquels celle-ci doit concentrer ses moyens d'action.

Avec la création de la TGAP qui marquera la perte d'autonomie financière de l'ADEME, le pouvoir d'orientation du ministère sur cet établissement public s'accroîtra. L'ADEME apparaîtra désormais comme un instrument du ministère de l'Environnement.

D - LE PROJET GOUVERNEMENTAL DE TGAP, UNE TAXE ÉVOLUTIVE À VOCATION UNIVERSELLE

1. La TGAP et les taxes environnementales existantes

La TGAP a vocation à se substituer progressivement à l'ensemble des prélèvements fiscaux et parafiscaux actuellement en vigueur dans le domaine de l'environnement
et dont l'assiette est constituée par des activités polluantes, l'émission, la production ou le rejet de produits polluants.

Elle regrouperait, au sein d'un même instrument, les prélèvements liés à la production de déchets, à la pollution de l'air, de l'eau et aux nuisances sonores. En particulier, elle aurait vocation à intégrer les redevances relatives à la pollution de l'eau en l'an 2000 en tant que prélèvements assis sur des activités perturbatrices des milieux aquatiques. Cette perspective soulève une tout autre problématique : elle porte en effet directement atteinte à l'organisation décentralisée du financement de la politique de l'eau en France . A cet égard, il convient de présenter les arguments avancés par le Gouvernement sur ce sujet (voir extrait ci-après).

Extrait d'un document du Ministère de l'environnement concernant l'extension de la TGAP au domaine de l'eau :

La TGAP a une vocation universelle. Elle a donc vocation à s'appliquer au domaine de l'eau. Les raisons en sont nombreuses :

• tout d'abord, les usages et activités polluantes, perturbatrices de la ressources aquatique, rentrent incontestablement dans le champ de la TGAP ;

• ensuite, malgré le travail considérable accompli par les agences de l'eau depuis trente ans et reconnu comme tel au plan international, le principe " pollueur-payeur " n'est pas encore d'application parfaite ;

• enfin, la TGAP donnera une base légale aux accises.

La TGAP intégrera donc l'eau dès l'an 2000 . L'année précédant cette évolution est mise à profit pour organiser les plus larges consultations sur les modalités de mise en oeuvre.

Cette extension de la TGAP au domaine de l'eau ne modifiera pas les missions des agences de l'eau et celles de leurs collaborateurs, ni les principes originaux qui les régissent.

Ainsi, la gestion par bassin versant et la pérennité du financement public de la politique de l'eau seront garanties tout en permettant une meilleure péréquation entre bassins pour les missions d'intérêt national et de solidarité.

De même, le caractère pluriannuel des programmes d'intervention des agences de l'eau est confirmé. Il sera validé par le Parlement dans une loi de programmation à partir du VIIIème programme.

(...) En ce qui concerne les agences de l'eau, leurs ressources vont bénéficier d'une triple garantie :

• vote, par le Parlement, d'une loi de programmation définissant les programmes d'intervention quinquennaux des agences, en recettes comme en dépenses, conformément aux termes de la communication du 20 mai 1998 ;

• mise en place d'un compte spécial du Trésor (un compte d'affectation spéciale) encaissant les produits de la TGAP 18( * ) ;

• conclusion d'un contrat pluriannuel d'objectif avec chacune des agences, garantissant la pérennité du financement et le niveau de ce financement.

2. La TGAP et les futures taxes environnementales

Si de nouvelles taxes environnementales devaient être créées, elles auraient également vocation à être regroupées au sein de la TGAP
. En particulier,

- la future taxe sur les gaz à effet de serre,

- la future redevance de modification du régime des eaux (MRE),

- une taxe sur l'utilisation des engrais et produits phytosanitaires en agriculture.

Un rapport du Conseil d'analyse économique 19( * ) estime qu'il existe un " gisement d'écotaxes " en France dont le montant pourrait être compris à terme entre 50 et 125 milliards de francs.

En outre, cette évolution prépare la future " écotaxe " européenne sur le carbone et l'énergie , actuellement en négociation sur le plan communautaire.

III - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A - LES TAXES AFFECTÉES NE SONT PAS TOTALEMENT SATISFAISANTES


Le principe de la TGAP semble répondre, a priori, à certaines critiques qui visent le système actuel de fiscalité écologique, notamment concernant les taxes affectées à l'ADEME.

1. Un contrôle réduit du Parlement

Les taxes parafiscales
n'entrent pas dans la catégorie des " impositions de toutes natures " qui relèvent, aux termes de l'article 34, de la compétence du législateur. Elles se distinguent des impôts par trois caractéristiques :

1- le caractère spécialisé de leur finalité (intérêt économique ou social) ;

2- la nature de leur bénéficiaire (une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs) ;

3- leur nature juridique : Elles peuvent être instituées par décret 20( * ) . Toutefois, le Parlement doit, tous les ans en loi de finances, autoriser leur maintien 21( * ) . La compétence réglementaire en matière de taxes parafiscales constitue donc une dérogation importante au principe de la légalité fiscale .

Depuis une vingtaine d'années, la tendance est à la diminution du nombre de taxes parafiscales (77 en 1981 ; 47 en 1999).

Au contraire, le régime des impôts relève entièrement du législateur en vertu de l'article 34 : l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement relèvent de la compétence législative et l'autorisation de percevoir les impôts existants est donnée chaque année en loi de finances 22( * ) .

La création d'un impôt d'Etat en lieu et place des taxes affectées existantes raffermirait le contrôle parlementaire.

2. Une application peu efficace du principe payeur-polleur ?

Le système actuel, caractérisé par l'affectation des taxes et l'utilisation de leur produit à des subventions en faveur de la dépollution, ne semble pas permettre une application efficace du principe " pollueur-payeur " pour trois raisons principales :

1- Le système en vigueur conduirait à dégager les ressources suffisantes pour réparer les dommages causés par chaque activité polluante ; mais il n'aurait pas pour objectif réel d'éviter l'apparition de ces dommages.

2- En outre, le niveau des dépenses engagées par l'ADEME dépendrait, pour chaque action, du niveau des ressources de la taxe concernée et non d'une analyse fine des besoins réels.

3- Enfin, dans un tel système, les pollueurs achèteraient un " droit à polluer " en payant leur taxe et récupérer in fine leur mise par le biais des subventions à la dépollution.

Une taxe générale ne prévoyant pas d'affectation rigide des produits aux emplois aurait donc comme objectif d'améliorer l'application du principe " payeur-pollueur ".

3. Une gestion rigide des crédits

Votre commission des finances faisait remarquer l'an dernier que " le produit des taxes est parfois loin d'être entièrement engagé, notamment en ce qui concerne les déchets ménagers et les déchets industriels spéciaux. L'agence place ainsi cet " excédent ", ce qui engendre d'importants produits financiers " 23( * ) .

Réserves de l'ADEME au titre des taxes :

CP, en MF

DMA

DIS

TANS

TPPA

TPHB

Total

Disponibilités au 31/12/98

1 812

209

110

445

2

2 578

Crédits affectés non engagés

1 186

182

30

396

2

1 797

Trésorerie nette (crédits réellement disponibles)

626

27

80

48

1

780

AP, en millions de francs

DMA

DIS

TANS

TPPA

TPHB

Total

Ressources totales, dont :

1 522

219

147

257

123

2 269

- produits de la taxe

835

96

46

185

118

1 280

- reports 1996 sur 1997

616

120

99

31

5

871

- autres

71

4

2

40

0

117

Engagements

559

75

47

125

110

916

Reports

964

144

100

132

14

1 353

Source : Direction du Budget

DMA : taxe sur les déchets ménagers et assimilés ; DIS : taxe sur les déchets industriels spéciaux ; TANS : taxe d'atténuation des nuisances sonores ; TPPA : taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique ; TPHB : taxe parafiscale sur les huiles de base.

Avec la création d'une taxe générale permettant la globalisation des ressources, le poids relatif des différentes actions, qui dépend aujourd'hui du poids respectif des produits des taxes, pourrait être modifié dans le sens d'une plus grande efficacité. L'équilibre entre recettes et dépenses n'ayant plus à être réalisé au niveau de chaque type de pollution comme aujourd'hui, le dispositif proposé serait susceptible de remédier à ces rigidités.

B - LA TGAP EST-ELLE LA BONNE SOLUTION ?

Quels que peuvent être les avantages reconnus à l'instauration d'une taxe générale, votre commission s'inquiète cependant des risques et des incertitudes qui entourent l'actuel projet de TGAP.

1. Un risque de perte de ressources globales pour l'environnement

a) Une " absorption " des crédits de l'Environnement par le budget de l'Etat

L'affectation actuelle des taxes de l'ADEME permet de garantir la pérennité de l'action menée dans un domaine considéré, en particulier l'environnement. Or, en vertu de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, une recette fiscale du budget de l'Etat ne peut être affectée, même partiellement, à une politique particulière.

En 1999, les dotations prévues pour chaque type d'actions de l'ADEME ne seront que peu modifiées par rapport à 1998, mais rien ne permet d'assurer que les hausses futures du produit de la TGAP correspondront à des engagements du Gouvernement en matière environnementale.

Le risque d'une banalisation de la TGAP comme recette fiscale ordinaire ne doit pas être négligé : il n'existerait donc plus de garantie que les ressources de l'environnement bénéficient à l'environnement .

b) Les crédits de l'ADEME soumis à la régulation budgétaire

Il faut également souligner que la budgétisation du financement de l'ADEME suppose que ses crédits pourront faire l'objet de régulations budgétaires en cours d'année, en dépit des engagements pluriannuels que pourrait prendre l'Etat quant à la pérennité et le niveau des ressources de l'Agence.

c) La fin de l'approche contractuelle en matière environnementale

La suppression des taxes affectées mettra fin aux activités des comités de gestion dans lesquels sont présents les industriels - " payeurs " , et qui affectent, décident et examinent les projets.

L'ADEME devrait cependant mettre en place de nouvelles instances de concertation afin d'associer, par secteur d'activité, les représentants des secteurs concernés à la mise en oeuvre de ses actions.

Il demeure que l'implication des " payeurs " dans la gestion du système sera moins forte . Or, les industriels avaient été incités à accentuer leur effort en faveur de la dépollution par le corollaire du " pollueur-payeur " qu'était le " dépollueur - bénéfiaire d'aides ". Ce lien ne va pas disparaître, mais la déconnection entre le produit de la TGAP et les ressources de l'ADEME pour subventionner les investissements de dépollution risque de supprimer la notion de " juste retour " qui avait incité l'industrie à se conformer aux règles environnementales et, bien souvent, à aller au-delà du strict respect de la réglementation. Il faut rappeler que l'attribution de l'aide produit un effet de levier : les investissements réalisés grâce à elle sont d'un montant en général 4 fois supérieur à l'aide initiale et dépassent souvent les prescriptions réglementaires.

2. La TGAP : le risque d'une " machine à taxer "

L'instauration de la TGAP risque de faciliter la multiplication et l'alourdissement des impôts sur les activités polluantes.

1- En effet, une décision de hausse de la TGAP, impôt " écologique ", serait favorablement perçue par l'opinion publique, alors que l'objectif de cette augmentation des taux ne serait pas forcément l'amélioration de l'environnement mais l'augmentation des recettes de l'Etat.

2- Le même risque pèse en matière d'élargissement de l'assiette de cette taxe générale . En outre, la notion d' " activités polluantes " semble pouvoir être étendue à volonté.

Enfin, il ne faut pas oublier que la TGAP risque de se traduire par une augmentation des charges (hausse de la taxe, diminution des subvention aux investissements) pour certains secteurs, et notamment les industries lourdes très capitalistiques.

3. L'opposition de principe à l'intégration des redevances de l'eau

Enfin, votre commission tient à rappeler son opposition de principe à toute intégration des redevances des agences de l'eau dans une taxe générale.

Tout d'abord il lui paraît indispensable de préserver l'originalité du système des agences et des comités de bassin , dont l'efficacité et la légitimité sont reconnues au niveau européenne et international.

En outre, la perspective d'une intégration des redevances dans la TGAP porte directement atteinte à l'organisation décentralisée du financement de la politique de l'eau en France et fait peser le risque d'une recentralisation au détriment des compétences des collectivités locales.

Enfin, il convient de rappeler que l'intégration des redevances de l'eau portera sur un montant d'environ 10 milliards de francs 24( * ) , alors que l'intégration projetée des taxes affectées à l'ADEME ne représente " que " 1,9 milliard de francs.

L'Assemblée nationale a adopté cet article modifié par deux amendements rédactionnels et deux amendements de précision.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.

ANNEXE 3 :

EXAMEN DE L'ARTICLE 30 PAR LE SÉNAT
(SÉANCE PUBLIQUE DU 25 NOVEMBRE 1998)

Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau - Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par cet article, il nous est proposé de procéder à une modification sensible de la législation en matière de fiscalité environnementale.

Il s'agit, en effet, de mettre en place une taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, destinée à permettre de financer le budget de l'Agence de l'environnement et pour la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, au travers d'une dotation budgétaire et non plus au travers de la perception de taxes affectées, instituées au fil des différentes lois " environnementales " dont nous avons débattu ces dernières années.

Cet article tend donc notamment à mettre en place une fiscalité proche de ce qu'elle devrait être dans quelques années, dans le cadre de l'harmonisation des fiscalités de différents pays de l'Union européenne.

Sur le fond, la TGAP présente cependant la particularité d'être une stricte application du principe pollueur-payeur, qui a, entre autres, pour conséquences celle de reporter sur le consommateur final le poids réel de la taxe ; il s'agit là du mécanisme que nous connaissons avec la TVA.

On peut concevoir que la lutte contre la pollution et pour la protection de l'environnement et des sites naturels aient besoin de moyens financiers adaptés, eu égard aux enjeux. Pour autant, les seules voies à retenir doivent-elles être celles de la fiscalité indirecte, qui tend à dédouaner de leurs responsabilités les véritables pollueurs ?

Il est d'ailleurs préoccupant, de notre point de vue, que la mise en place de la TGAP ouvre la voie à une rebudgétisation massive d'un certain nombre de recettes destinées à la protection de l'environnement, et singulièrement celles qui permettent le fonctionnement des agences de l'eau.

Les documents budgétaires font apparaître que le produit attendu de la taxe générale se révèle supérieur au montant de la dotation versée à l'ADEME, ce qui n'est pas tout à fait rassurant au regard des perspectives réelles de financement des actions à venir en faveur de la protection de l'environnement.

Le développement de l'action publique pour la protection de l'environnement impose manifestement d'autres mesures que celle qui consiste à unifier le régime fiscal des ressources de l'ADEME.

Les débats sur le taux de TVA affectant la collecte et le traitement des déchets ou encore les réseaux de chaleur ont été très révélateurs à cet égard.

Nous ne voterons donc pas cet article du projet de loi, mais nous nous abstiendrons, pour des raisons que chacun comprendra, sur les amendements de suppression.

M. le président - La parole est à M. Oudin.

M. Jacques Oudin - J'ai l'impression que nous serons nombreux à être du même avis sur cet article, car la création de cette TGAP n'est pas une bonne chose.

Quatre grands principes se trouvent véritablement bafoués, et d'abord un principe de droit.

Pour lutter contre les pollutions, le Parlement a voté un certain nombre de lois : concernant l'ADEME, trois lois, auxquelles s'ajoutent deux décrets ; s'agissant de la politique de l'eau, deux lois, qui ont été votées à la quasi-unanimité, en 1964 et en 1992.

Et voilà que, par ce simple article d'une loi de finances, la totalité de la structure du dispositif que le Parlement a mis des mois à élaborer va disparaître ! Je tenais à le souligner.

Deuxième principe également foulé au pied : le principe pollueur-payeur. Le système des taxes est tel que le pollueur paie à concurrence des quantités qu'il pollue. Quoi qu'on en dise, la taxe générale des activités polluantes entraîne une rupture de ce lien.

Troisième principe mis à mal : le principe d'efficacité. En effet, notre droit actuel permet d'affecter des recettes à un organisme de désigner un organe de décision chargé de l'affectation de ces recettes en vue d'actions déterminées. C'est cela qu'a voulu le Parlement.

Enfin, quatrième principe mis en cause : celui de l'affectation des ressources collectées à un objectif précis.

Quels objectifs vise, en l'occurrence, le Gouvernement ?

Il s'agit d'abord, comme l'a dit fort justement Mme Beaudeau, d'une budgétisation de l'ensemble des ressources. Celle-ci se traduira par une centralisation, alors que, depuis trente ans, nous affirmons la plus grande efficacité de la décentralisation.

Mais le Gouvernement a un deuxième objectif encore plus dangereux : la dilution des ressources.

Auparavant, on collectait 100 pour affecter 100 à la lutte contre les pollutions. Désormais, on va collecter 150, mais on n'affectera pas 150 à la lutte contre les pollutions. Il s'agit de la mise en oeuvre de la théorie, totalement absurde à mes yeux, du deuxième dividende. On prend sur ceux qui polluent pour affecter à des actions qui n'ont plus rien à voir ou qui n'ont qu'un lointain rapport avec la pollution. On dilue les ressources dans la dilution des actions.

Le troisième objectif est de surtaxer. D'ailleurs, Mme Beaudeau l'a bien dit : l'ADEME aura plus de ressources. Mais ce n'est pas tout ! Avec une taxe générale sur les activités polluantes - lisez l'excellent rapport établi par M. le rapporteur général, au nom de la commission des finances - il y a là, comme on dit, un gisement potentiel de taxation considérable. Je me demande comment nous allons pouvoir respecter les critères de Maastricht.

Le Gouvernement nous dit que nous aurons des garanties en contrepartie. Aucune des garanties qu'il nous propose n'est sérieuse. Elles sont toutes illusoires !

On nous dit qu'une loi de programmation sera votée par le Parlement. Nous connaissons le sort qui est réservé aux lois de programmation, n'est-ce pas, monsieur le spécialiste des lois de programmation militaire ! (M. Jacques Oudin s'adresse à M. Serge Pinçon).

On nous dit qu'il y aura un compte spécial du Trésor. Bien entendu, aucun des organismes spécialisés dans la lutte contre la pollution n'aura un droit de regard sur la gestion de ce compte spécial du Trésor, pas plus d'ailleurs que le Parlement, alors que nous pouvions, au contraire, contrôler l'efficacité et la réalité de l'action des organismes.

Enfin, on nous dit que nous aurons des contrats pluriannuels. Au moment où nous négocions des contrats entre l'Etat et la région, cette référence ne peut que nous faire sourire.

Bref, au-delà de la mise à mal du système de l'ADEME, c'est toute la politique de l'eau qui sera remise en cause, ce qui est encore plus grave.

Cette politique de l'eau est fondée sur trois principes essentiels : une gestion par bassin, une gestion autonome et l'affectation des ressources à des dépenses.

Il n'y aura plus ni autonomie ni affectation. Il n'y aura bientôt plus que des services extérieurs du ministère de l'environnement qui seront les agences de bassin vidées de leur structure et de leurs possibilités d'actions.

Bref, nous nous dirigeons vers une boulimie financière de l'Etat face à tous les secteurs qui peuvent encore fonctionner parce qu'ils s'autofinancent.

En France, deux secteurs investissent efficacement des milliards de francs : il s'agit du secteur des autoroutes et de celui de l'eau. Pour mettre la main sur ce que j'appelle ces deux grands " magots ", l'année dernière, l'Etat avait inventé " Routes de France ". Cet organisme était chargé de collecter l'ensemble des recettes des péages des autoroutes pour les affecter à un compte plus important, où les recettes budgétaires - au demeurant en diminution - auraient été regroupées pour mener une vaste politique routière, laquelle aurait tué la politique autoroutière.

Nous assistons là au même phénomène. On met la main sur les 12 milliards de francs des redevances des agences de bassin, non pas pour conduire la politique de l'eau mise en place par le Parlement au travers des lois de 1964 et 1992, mais pour mener une politique de l'environnement dite durable qui, en fait, n'aura pour effet que de mettre à mal l'ensemble de l'action que nous avons voulu engager depuis trente ans pour lutter contre les pollutions et pour mener une bonne politique de l'eau. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président - La parole est à M. Bizet.

M. Jean Bizet - Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon analyse est identique à celle des deux précédents intervenants.

Conformément au souhait de la commission des affaires économiques et du Plan, émis le 12 novembre dernier, j'interviens aujourd'hui pour faire état de son avis défavorable sur la création de la taxe générale sur les activités polluantes.

En effet, trop d'incertitudes et d'inquiétudes sont liées à la mise en oeuvre de cette taxe.

Tout d'abord, à l'inverse de la plupart des taxes environnementales existantes, le calcul de cette taxe est totalement déconnecté du coût de la prévention ou des réparations des atteintes à l'environnement. Cette déconnexion voulue par le Gouvernement remet en cause la pérennité des crédits affectés à la lutte contre la pollution.

Ensuite, cette taxe remet en question le processus de gestion décentralisée de l'environnement. S'agissant de l'eau en particulier, cette taxe met fin à un dispositif partenarial et autonome qui associe les élus, les usagers et les acteurs économiques responsables des pollutions émises et qui sert, en fait, de modèle pour le projet de directive cadre de l'eau.

Enfin, la théorie du " double dividende " de cette taxe est peu pertinente, puisque l'obtention du premier dividende, à savoir dissuader les pollueurs au travers d'un " signal prix fort " pour reprendre les termes mêmes de Mme la ministre, empêche l'obtention du second, à savoir l'allégement du volet fiscal qui pèse sur le travail grâce aux recettes engendrées par les écotaxes.

En effet, notamment dans le domaine de l'eau, cette taxe, pour remplir son rôle dissuasif, va se traduire par une hausse du prix à la consommation, en particulier sur les produits de base. De surcroît, si des hausses salariales viennent compenser cette perte de pouvoir d'achat, cela annulera alors les effets espérés du second dividende, à savoir la baisse des charges fiscales et sociales sur le travail.

M. Jacques Oudin - Et cela n'a rien à voir avec la pollution !

M. Jean Bizet - Tout à fait !

Pour toutes ces raisons et parce que trop de taxes écologiques tuent la protection de l'environnement, je soutiens, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, l'amendement de suppression de la commission des finances. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président - La parole est à M. Calméjane.

M. Robert Calméjane - Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France s'est dotée, par deux lois fondamentales votées en 1964 et en 1992, d'une politique de l'eau cohérente et efficace. Les finalités de cette politique sont la préservation durable des ressources, la protection des milieux naturels, la mise en valeur hydraulique au bénéfice de tous les usagers et la résorption des pollutions que ceux-ci occasionnent.

Il est fait application de plusieurs principes.

Tout d'abord, le principe de responsabilité fait supporter à l'auteur d'une pollution ou d'un prélèvement une charge financière l'incitant à corriger son comportement, tout en le rapprochant des exigences réglementaires.

Ensuite, le principe de solidarité et d'autonomie affecte, sous le contrôle de l'Etat, les sommes perçues au titre de la taxe au financement d'ouvrages hydrauliques : assainissement et épuration des eaux usées, traitement et distribution d'eau potable, entretien et protection des cours d'eau, protection et captage des eaux souterraines.

Enfin, le principe d'unité d'action territoriale décentralisée et d'unité d'action temporelle est mis en oeuvre par les comités de bassins de manière concertée.

L'article 30 marque un changement de politique fondamental : le produit des taxes et redevances actuelles n'est plus affecté.

A terme, non seulement les taxes actuellement perçues par l'ADEME, mais aussi, dès l'an 2000, l'ensemble des redevances pollution des six agences de l'eau seraient intégrées à la TGAP.

Cette façon de procéder, mise au point, encore une fois, sans concertation, sous couvert de l'instauration d'une future taxe européenne, dont on ne sait rien aujourd'hui, tend à supprimer l'effort de décentralisation réalisé par les gouvernements précédents. Le fait même d'utiliser la loi de finances pour engager cette réforme fondamentale permet d'éviter un débat sur le fond avec les élus de la nation.

L'adoption de cet article 30 aurait pour résultat d'annuler non seulement le travail patient ainsi mené depuis trente ans, mais aussi de placer les collectivités locales dans l'incertitude quant au financement des mises en conformité de leurs équipements selon les normes européennes d'ici à 2005.

La logique unificatrice, et donc centralisatrice, qui est à l'origine de la création de la TGAP, c'est que l'eau serait traitée de la même façon d'ici à l'an 2000. Or, ce qui fait la force du système actuel, c'est justement son action permanente en faveur de l'environnement, en impliquant, par la concertation, tous les acteurs concernés, et en permettant à la fois une grande efficacité financière et une meilleure rentabilité sociale.

Demain, si l'article 30 est voté, les produits des taxes seront reversés à l'Etat, qui en disposera selon ses besoins du moment.

Ne remettons pas en cause, mes chers collègues, ce modèle de bonne gestion qui est cité dans le monde entier comme la référence d'organisation citoyenne et qui est proposé comme modèle de gestion de l'eau à l'échelon communautaire.

Refusons donc, comme le propose M. le rapporteur général, dont je salue l'excellent travail, de nous engager dans cette voie aventureuse.

(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).

M. le président - La parole est à M. Miquel.

M. Gérard Miquel - Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la taxe générale sur les activités polluantes constitue l'une des innovations majeures de cette loi de finances. La TGAP rompt avec la logique qui prévalait jusqu'alors en matière de fiscalité environnementale. En effet, la fiscalité actuellement en vigueur est fondée sur des taxes fiscales ou parafiscales affectées. Selon le principe pollueur-payeur, les pollueurs doivent participer au financement de la réparation des dommages occasionnés par les pollutions qu'ils ont émises.

Ce système de l'affectation de la taxe est, en apparence, un bon système. Néanmoins, il comporte des effets pervers : il dénature quelque peu le principe de pollueur-payeur, en permettant au pollueur d'assimiler le paiement de cette taxe à un "droit à polluer ". En un mot, il n'encourage pas les comportements " vertueux ".

La taxe générale sur les activités polluantes vise à éviter cette dérive et à redonner toute sa force au principe de pollueur-payeur, en déconnectant le niveau de la taxe des montants nécessaires à la réparation des dommages. Bref, il s'agit d'en faire une taxe incitative.

Le premier dividende de cette taxe est donc écologique : la taxe doit agir comme un signal-prix renchérissant les comportements jugés à risque pour l'environnement.

Cette taxe est amenée à évoluer. Elle est universelle. Elle s'appliquera, à terme, à l'ensemble des activités polluantes. J'ai, à ce propos, un regret à formuler. L'instauration de la TGAP est l'occasion de revoir la taxe sur les déchets. Compte tenu des nouvelles orientations du Gouvernement en ce domaine, il m'aurait semblé utile de taxer le stockage interne des déchets industriels et, en revanche, de ne pas augmenter le taux du stockage des déchets ultimes. Cette mesure aurait été moins pénalisante pour les collectivités locales qui accomplissent des efforts en ce domaine. J'aimerais, sur ce point, avoir l'avis du Gouvernement.

En dépit de nombreux avantages, la création de cette taxe est contestée par la commission des finances. La commission craint une mainmise de l'Etat sur le produit de la TGAP, une banalisation de cette taxe qui, traitée comme une recette ordinaire, servirait à financer non plus les actions en faveur de l'environnement, mais simplement à abonder le budget de l'Etat.

Cette crainte n'est pas infondée. Néanmoins, le Gouvernement s'est engagé à mettre en place des garde-fous : d'une part, les produits de la TGAP seront encaissés sur un compte d'affectation spéciale ; d'autre part, l'Etat s'engage à pérenniser le financement des agences qui interviennent dans les domaines de l'environnement - agences de l'eau, ADEME - par la signature d'un contrat d'objectifs pluriannuel.

Enfin, je dirai que, le meilleur garde-fou, c'est la volonté du Gouvernement de prendre à bras le corps les questions environnementales, pour promouvoir un développement durable, créateur d'emplois.

Sur ce point, le projet de loi de finances est exemplaire : en 1999, les crédits en faveur de l'environnement augmenteront de 110 % grâce à la TGAP et de 16 % hors TGAP ; 140 emplois et 8 000 emplois-jeunes seront créés au service de l'environnement.

Dès lors, j'avoue ne pas comprendre la position de la commission qui, d'un côté, craint, à terme, une perte de ressources globales pour l'environnement et, de l'autre, propose de supprimer non seulement la TGAP, mais également les crédits destinés à financer de nouveaux emplois dans le domaine de l'environnement.

L'autre critique porte sur l'intégration des redevances de l'eau en 2000 dans la TGAP. La majorité sénatoriale en fait une opposition de principe, subodorant là une atteinte à la décentralisation.

Là encore, le Gouvernement a été clair. Il ne s'agit nullement de remettre en cause les fondements du système français de l'eau : gestion décentralisée par bassin versant et autonomie des acteurs de bassin. La ministre de l'environnement l'a réaffirmé : " Je ne souhaite pas la recentralisation des agences de l'eau. Je souhaite que, gérant des sommes très importantes - 12 milliards de francs -, les agences de l'eau soient le plus efficace possible. "

Il lui paraît, en revanche, essentiel d'associer le Parlement à la définition de la politique de l'eau, qu'il fixe le cadre dans lequel seront définies des redevances, et qu'il valide les programmes pluriannuels d'action des agences.

Quoi de plus normal, mes chers collègues ! N'est-ce pas au Parlement de voter l'impôt et de contrôler l'usage qu'on en fait ?

Or le système n'est pas exempt de critiques : complexité, opacité des modes de calcul des redevances, manque de qualité, pollutions persistantes, prix trop élevé... Le Commissariat général du plan et la Cour des comptes ont mis en lumière ces dysfonctionnements.

L'eau est une ressource rare ; elle appartient à notre patrimoine national. Justice et démocratie sont les maîtres mots qui guident l'action du Gouvernement en ce domaine.

Le groupe socialiste ne votera pas l'amendement de suppression de la taxe générale sur les activités polluantes.

M. le président - Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L'amendement n° I-38 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° I-68 est déposé par MM. Richert, Hérisson, Lorrain et les membres du groupe de l'Union centriste.

L'amendement n° I-205 est présenté par M. Bizet et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.

Tous trois tendent à supprimer cet article.

Par amendement n° I-251, MM. Mauroy, Allouche, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte présenté par le I de l'article 30 pour l'article 266 nonies du code des douanes, par un alinéa ainsi rédigé :

" La majoration prévue pour la taxe sur les déchets ménagers ne s'applique pas pour les collectivités locales qui ayant fermé leur usine d'incinération pour les mettre aux normes sont obligées temporairement de déposer leurs déchets en décharge. "

La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-38.

M. Philippe Marini , rapporteur général - Après ces excellents exposés, ma tâche sera facile. Je voudrais rappeler, en quelques mots, les différents risques que recèle le dispositif qui nous est présenté.

Il s'agit, d'abord, du risque de pertes de ressources globales pour l'environnement ; ensuite du risque de créer une nouvelle machine à taxer ; enfin du risque de dilution du système des redevances de l'eau, auquel nous sommes pourtant attachés.

Voyons d'abord le risque de pertes de ressources globales pour l'environnement.

En premier lieu, des crédits spécifiques consacrés à l'environnement et financés par les différentes taxes, risquent d'être absorbés par le budget de l'Etat. Actuellement, les taxes sont affectées à l'ADEME, ce qui permet de garantir le pérennité de son action.

Il est clair que nous allons assister à une banalisation, la TGAP devenant une recette fiscale ordinaire. Certes, un mécanisme d'affectation au sein d'un compte spécial du Trésor sera prévu - M. Loridant aura le plaisir d'en rapporter un de plus ; il doit y en avoir déjà quarante-trois - mais il est possible que les ressources tirées de taxes relatives à l'environnement servent une autre cause. C'est le fameux " second dividende " qui a été évoqué, non pas seulement par notre collègue M. Jacques Oudin, mais aussi par un certain nombre de responsables proches du Gouvernement qui nous ont beaucoup inquiétés.

En deuxième lieu, compte tenu de la budgétisation du financement de l'ADEME, ses crédits pourront subir, le cas échéant, les régulations budgétaires qui ne s'appliquaient pas jusqu'ici aux ressources issues des différentes taxes.

En troisième lieu, il était un principe tout à fait responsabilisant et mobilisateur, celui de l'implication des payeurs dans la gestion du système. Or il semble bien que l'on veuille atténuer les effets de cette approche judicieusement contractuelle.

Mais j'en viens au deuxième risque : la taxe générale sur les activités polluantes pourrait devenir une véritable machine à taxer. Large assiette, faible taux, c'est la porte ouverte à toutes les tentations des ministres du budget. Pourront-ils y résister ? Au surplus, une hausse de la TGAP, impôt qualifié d'écologique, sera favorablement perçue par l'opinion publique, alors que l'objet de cette augmentation des taux ne sera pas forcément l'amélioration de l'environnement mais peut-être plutôt l'amélioration des ressources budgétaires de l'Etat !

Le même risque est encouru en matière d'élargissement de l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes, la notion d'activités polluantes pouvant, à la limite, être étendue à volonté. Dans ces conditions, la création de la TGAP peut se traduire par une augmentation des dépenses que viendrait financer la ressource ainsi facilement perçue et facilement majorée.

J'en viens, en troisième lieu, au risque de dilution. Nous sommes très inquiets, monsieur le secrétaire d'Etat, quant au devenir du système de financement des agences de l'eau. Un grand nombre de sénateurs, dont nous sommes, sont opposés au principe d'une intégration des redevances de l'eau dans une taxe générale, estimant qu'il s'agirait là d'une recentralisation. Or il faut préserver l'originalité du système des agences de l'eau et des comités de bassin. En conséquence, la création de la taxe générale sur les activités polluantes donne un signal dans le mauvais sens et fait peser un risque grave pour l'avenir.

Voilà pourquoi la commission, à partir de l'analyse qu'elle en a faite et après avoir écouté un certain nombre de spécialistes, estime devoir proposer la suppression de l'article 30. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

M. le président - La parole est à M. Badré, pour défendre l'amendement n° I-68.

M. Denis Badré - Je considère qu'il a été défendu.

M. le président - La parole est à M. Bizet, pour défendre l'amendement n° I-205.

M. Jean Bizet - Je considère également que cet amendement a été défendu.

M. le président - La parole est à M. Miquel, pour défendre l'amendement n° I-251.

M. Gérard Miquel - Cet amendement vise à ne pas appliquer l'augmentation de la taxe sur les déchets ménagers aux collectivités locales qui ont été amenées à fermer leur usine d'incinération pour les mettre aux normes et qui sont provisoirement obligées de déposer leurs déchets en décharge. Afin de ne pas pénaliser ces collectivités qui subissent des surcoûts de traitement liés à ce dispositif, il est proposé de maintenir la taxe à 40 francs, au lieu de la passer à 60 francs.

M. Gérard Braun - C'est moins cher en décharge !

M. le président - Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini , rapporteur général - La commission, qui a bien pris en compte la suggestion du groupe socialiste, préfère toutefois son amendement de suppression. Mais elle sera intéressée par l'avis du Gouvernement.

M. le président - Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la plupart de vos interventions, vous avez formulé des craintes sur l'avenir des agences de l'eau. Mais elles ne sont pas concernées par ce projet de loi de finances !

Notre responsabilité est de débattre de ce qui est dans la loi de finances et non de ce qui pourrait y être.

Il n'est pas question, dans le projet de loi de finances qui vous est soumis, de toucher en quoi que ce soit aux agences de l'eau.

M. Jacques Oudin - Ne dites pas cela ! Ce n'est pas vrai !

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Ce n'est pas dans le texte.

M. Jacques Oudin - Mme Voynet a dit le contraire !

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Mme Voynet, mon estimable collègue, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, a engagé une concertation.

M. Jacques Oudin - Justement !

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Et parce que cette concertation commence, son résultat ne peut pas figurer dans le projet de loi que vous êtes en train de discuter.

M. Jacques Oudin - On verra !

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Pour imiter M. le rapporteur général des finances, je dirai que, après le riche exposé de M. Miquel, ma tâche sera facile ! Il est vrai que Mme Voynet entend réfléchir à l'avenir des agences de bassin, non pour les remettre en cause en leur principe mais pour instituer en la matière plus de transparence - en matière d'eau, c'est la moindre des choses - (Sourires) et aussi associer le Parlement à la définition des grandes orientations des politiques de l'eau. Qu'y a-t-il à redire à cela ? Nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler d'ici un an. Mais, pour l'instant, le Gouvernement est dans une phase de dialogue, d'écoute et pas du tout de décision. Vous pouvez nourrir des craintes pour l'avenir, c'est votre droit, c'est peut-être aussi votre tempérament, mais ce n'est pas l'objet du débat d'aujourd'hui.

Monsieur le rapporteur général, il y avait des taxes affectées. Il y a maintenant une seule taxe. Certes, le Gouvernement a supprimé cinq taxes, mais cette simplification devrait vous réjouir, car ces taxes ne vont pas se dissiper dans je ne sais quels sables administratifs. Elles vont être entièrement affectées à l'ADEME dont le budget, ainsi que M. Miquel l'a dit, passera de 1,3 milliard de francs à 1,9 milliard de francs, sans compter la taxe générale sur les activités polluantes. Il est donc clair que le Gouvernement entend consacrer à la dissuasion de la pollution et à la réparation des dégâts qu'elle occasionne des moyens financiers accrus.

Quel est l'intérêt de la confluence de ces taxes ? Auparavant, une taxe sur le bruit ne pouvait financer que des actions sur le bruit. De même, une taxe sur l'eau polluée ne pouvait financer que des travaux de propreté dans le domaine de l'eau.

Désormais, dans le cadre d'un contrat pluriannuel passé entre l'Etat et l'ADEME, contrat dont le Parlement sera évidemment informé, il y aura, à partir d'une ressource globale, une stratégie d'ensemble de lutte contre la pollution.

Monsieur le rapporteur général, vous dites : " large assiette, faible taux ". Je vous ai entendu, antérieurement, énoncer ce principe presque avec des sanglots dans la voix. Je pensais donc que vous auriez félicité le Gouvernement mais, évidemment, avec votre tempérament pessimiste, vous y avez vu l'amorce de je ne sais quelle machine à taxer. Il n'y a pas de " machination " dans le projet gouvernemental !

En somme, pour faire simple, le projet du Gouvernement est un bon projet.

M. Alain Lambert , président de la commission des finances - Cela n'apparaît pas !

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat - Chacun y voit ce qu'il veut. Il est le début d'un processus dans lequel la nation et le Parlement, évidemment, engageront une action résolue contre la pollution pour que notre société évolue dans un environnement plus propre.

Je ne parlerai pas de la pollution dans les grandes villes. En la matière, des initiatives ont été prises avant ce gouvernement et d'autres le seront après. Ce qui est proposé va tout à fait dans le bon sens.

L'amendement n° I-251 de M. Miquel revient à opérer une distinction entre les centres d'incinération et les décharges.

Je comprends la motivation de cet amendement, mais son adoption serait source de difficultés pratiques de contrôle et de recouvrement et constituerait, malgré tout, une entorse au principe d'égalité.

Donc, tout en comprenant le message que vous voulez adresser, et que je transmettrai à l'ensemble du Gouvernement, Monsieur Miquel, je ne crois pas que l'amendement tel qu'il est rédigé, soit le plus approprié, raison pour laquelle je vous demande de le retirer.

M. le président - Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s I-38, I-68 et I-205.

M. Jacques Oudin - Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président - La parole est à M. Oudin.

M. Jacques Oudin - Le Parlement a adopté trois lois : la loi du 13 février 1992 sur le stockage des déchets ménagers et assimilés ; la loi du 2 février 1995 sur les déchets industriels spéciaux ; la loi du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, textes adoptés quelles que soient les majorités, vous l'aurez remarqué. Et, chaque fois, le Parlement - il l'a fait dans d'autres domaines - a retenu la solution de l'affectation des ressources à un organisme spécialisé dans la lutte contre la nuisance ou la pollution considérée comme gage de la plus grande efficacité.

C'est un principe qui a régi notre droit de l'environnement pendant trente ans. De même que, pendant trente ans, nous avons construit des autoroutes.

M. Alain Lambert , président de la commission des finances - Pas assez !

M. Jacques Oudin - Maintenant, vous changez les principes et, de surcroît, vous voulez stopper la construction des autoroutes. C'est votre droit, forcément. Comme l'a dit un jour Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, la nation a changé de majorité, c'est bien pour changer de politique. Dont acte ! Mais vous ne nous en voudrez pas de penser qu'une politique qui avait eu une certaine efficacité pouvait bien continuer.

M. Marc Massion - Ce sont les Français qui n'en veulent plus !

M. Jacques Oudin - Quant à dire qu'il n'est pas question d'étendre cette taxe à l'eau, monsieur le secrétaire d'Etat, vous pourriez témoigner plus de considération pour le Parlement. Enfin, ce n'est pas possible ! Mme la ministre a elle-même annoncé que cette taxe - " taxe générale " sur les activités polluantes - allait s'appliquer à l'eau. Elle a commencé les consultations. Elle a d'ailleurs dû reculer voilà deux jours.

J'ai moi-même réuni dans cette maison les représentants de la communauté nationale de l'eau ; les représentants de toutes les agences et de tous les organismes qui s'occupent de l'eau étaient présents. Eh bien ! à part les quelques auteurs du projet, tout le monde était contre. En effet, les mesures que vous nous proposez vont à l'encontre de tous les principes que nous avons mis des années à mettre en oeuvre.

Quand je pense que vous souhaitez affecter à un budget de l'Etat qui supporte 236 milliards de francs de déficit des recettes à hauteur de quelques dizaines de milliards de francs en espérant qu'elles repartiront toutes vers la même destination, alors que le fondement même de la théorie du deuxième dividende est qu'une partie des recettes doit être dissociée de l'objectif de lutte contre les pollutions, je considère que vous prenez vraiment les parlementaires pour des naïfs !

Dans ces conditions, je pense que notre devoir, en la matière, est de refuser une orientation de cette nature, car elle va contre l'environnement, contre la politique que nous avons menée depuis trente ans, et elle ne vous permettra certainement pas d'atteindre les objectifs que vous dites vouloir atteindre. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général applaudissent également.)

M. Jean-Philippe Lachenaud - Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président - La parole est à M. Lachenaud.

M. Jean-Philippe Lachenaud - Il y a effectivement un mystère, monsieur le secrétaire d'Etat ! La semaine dernière, nous avons lu - et nous croyions que le Gouvernement était unanime et solidaire - que Mme Voynet commençait à comprendre qu'une TGAP intégrant des redevances sur l'eau constituait une erreur.

C'est effectivement une erreur, une erreur qui a entraîné la protestation de toutes les agences de bassin. Dois-je vous rappeler que le directeur de l'agence de bassin Normandie - Région parisienne, l'une des plus importantes agences, a démissionné ?

M. Jacques Oudin - Il a été renvoyé !

M. Jean-Philippe Lachenaud - En effet, mon cher collègue !

Alors que le système des agences de bassin est un système décentralisé, on a l'impression qu'à la différence d'Alexis de Tocqueville, qui disait qu'une démocratie est riche de ses corps intermédiaires, vous êtes gêné, monsieur le secrétaire d'Etat, par tous les corps intermédiaires décentralisés et dotés de ressources autonomes. Il vous faut centraliser, il vous faut étatiser !

Lorsque nous l'avons auditionnée, Mme Voynet ne s'en est pas cachée, au demeurant, en réclamant plus de fonctionnaires, plus de centralisation pour la politique de l'eau et la politique de l'environnement. Ce n'est pas ainsi que nous mènerons une politique de l'environnement efficace !

Nous sommes très déçus par la manière dont s'engage la réforme de la fiscalité écologique. Franchement, je crois qu'il aurait mieux valu constituer un groupe de travail, y faire participer des élus, des industriels, des membres du Sénat et de l'Assemblée nationale, pour essayer de dégager les vraies pistes d'une fiscalité écologique.

Vous ne nous avez en tout cas absolument pas convaincus en disant que les redevances sur l'eau n'étaient pas intégrées.

C'est la raison pour laquelle nous voterons l'amendement de suppression présenté par M. le rapporteur général.

(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-38, I-68 et I-205, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président - En conséquence, l'article 30 est supprimé et l'amendement n° I-251 n'a plus d'objet.



1 SDAGE : Schéma directeur d'aménagement et de gestion de l'eau.

2 SAGE : Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau.

3 FNDAE : Fonds national pour le développement des adductions d'eau

4 FITTVN : Fonds d'investissement pour les transports terrestres et les voies navigables

5 TIPP : Taxe intérieure sur les produits pétroliers.

6 CO 2 : dioxyde de carbonne

7 FDES : Fonds de développement économique et social.

8 N° 66 tome II Fascicule I par M. Philippe Marini, rapporteur général au nom de la commission des finances

9 En particulier, OCDE (1993a), OCDE (1994).

10 OCDE, " Stratégies de mise en oeuvre des écotaxes ", 1996.

11 Commission des finances de l'Assemblée nationale, " Pour un développement durable : une fiscalité au service de l'environnement ", n° 1000, 23 juin 1998.

12 Il s'agit des sites pollués n'ayant plus de propriétaire identifié clairement.

13 L'objectif du Gouvernement est de déconnecter peu à peu le rendement de l'instrument fiscal du montant des ressources nécessaires à la réparation des dommages.

14 Loi n° 75-663 du 15 juillet 1975 modifiée relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux et loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 modifiée relative à la lutte contre le bruit.

15 Pour 1999, la relance de la maîtrise de l'énergie et du développement des énergies renouvelables constitue, avec la lutte contre la pollution de l'air et la réorientation de la politique des déchets, l'une des trois grandes priorités de l'ADEME.

16 Actuellement, la taxe parafiscale sur les huiles de base est déjà collectée par la direction générale des douanes et droits indirects.

17 Il s'agirait selon les termes de l'article d'une " habilitation ".

18 Cette solution est garante d'une réaffectation totale du produit de la part de la TGAP assise sur les activités polluantes de l'eau, à la filière concernée.

19 Dominique Bureau et Jean-Charles Hourcade, " Les dividendes économiques d'une réforme fiscale écologique ", dans l'ouvrage du Conseil d'analyse économique, " Fiscalité de l'environnement ", La Documentation française, 1998.

20 La durée de leur perception est toutefois limitée à cinq ans.

21 Aux termes de l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, " Les taxes parafiscales perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des finances et du ministre intéressé. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances " (Etat E annexé à la loi de finances).

22 Article 4 de l'ordonnance de 1959 précitée.

23 Commission des finances du Sénat, Rapport de M. Philippe Adnot sur les crédits de l'Environnement (projet de loi de finances pour 1998, n° 85, 20 novembre 1997).

24 Le montant des redevances atteint 9,877 milliards de francs en 1997.



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