AUDITION DE M. BLANCHARD-DIGNAC,
DIRECTEUR DU BUDGET AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE,
DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

(6 JANVIER 1999)

AUDITION À HUIS CLOS

Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, Président

AUDITION DE M. MICHEL GARNIER,
DIRECTEUR DE LA PROGRAMMATION ET DU DÉVELOPPEMENT AU MINISTÈRE DE
L'ÉDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE

(6 JANVIER 1999)

Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Michel Garnier.

M. Adrien Gouteyron, Président - Je vous laisse la parole pour un propos introductif avant de vous poser des questions.

M. Michel Garnier - Je dois d'abord préciser que la direction de la programmation et du développement n'est pas une direction de gestion du ministère de l'éducation nationale et de la recherche et de la technologie, mais au contraire une direction transversale dont je vais expliciter les missions. En voyant les missions et les données que nous détenons, cela vous donnera les pistes pour nous interroger ou demander des informations complémentaires.

Le noyau fédérateur des activités de la direction est le système d'information du ministère qui relève d'une démarche quantitative d'évaluation. Nous aborderons la démarche qualitative ensuite.

La démarche quantitative d'évaluation nous permet -à terme- de regrouper et de mettre à la disposition de l'ensemble du ministère un certain nombre de données que nous collectons sur les élèves, sur les enseignants et leurs activités, sur les comptes de l'éducation nationale sous toutes les formes ; données que nous collectons de façon non exhaustive sous forme de panels ou d'enquêtes que nous commanditons. Enfin, nous fédérons et centralisons ces données qui sont à la disposition des directions de gestion dans un infocentre du ministère grâce à un système de gestion qui doit nous permettre, à court terme, de construire tous les indicateurs et tous les croisements dont nous aurons besoin pour piloter le système.

J'utilise volontairement le terme de pilotage sur lequel je reviendrai dans un instant.

Que faisons-nous de ces données ? Nous en faisons des analyses statistiques destinées à alimenter le débat public. C'est ainsi que vous voyez paraître les " Notes d'information " de la direction de la programmation et du développement ou les dossiers " Education-formation ", un certain nombre de dossiers spécialisés, ainsi qu'un certain nombre de publications plus synthétiques, destinées à un grand public que sont " La Géographie de l'école ", " L'état de l'école " ou les "Repères et références statistiques" envoyés à l'ensemble des parlementaires.

La seconde partie de l'évaluation dont nous avons la charge est qualitative et se fait à la sous-direction de l'évaluation. Nous avons en charge l'évaluation des élèves, des établissements et des pratiques pédagogiques.

J'insisterai beaucoup sur l'évaluation des élèves qui intéresse tout particulièrement Mme la ministre. Nous sommes en charge de toutes les évaluations de compétences en lecture et en calcul, tant au niveau CE 2 que 6ème. Cela nous permet de voir l'évolution des compétences de la population au fil du temps.

L'évaluation des établissements fait l'objet d'un certain nombre de données rendues publiques à l'intérieur du système éducatif exclusivement. Elles font l'objet de trois bases de données :

- une base de données INPEC (indicateur de pilotage de l'école au collège), qui permet de voir l'évolution des établissements et des capacités des élèves entre l'école et le collège ;

- une deuxième base, indicateur de pilotage de l'enseignement secondaire, dont vous pouvez lire des extraits publiés tous les ans dans la presse sous la forme du palmarès des lycées et palmarès des résultats aux baccalauréats. On peut dire par exemple que le lycée Henri IV est bon sur le taux de succès au baccalauréat, mais il m'importe plus de voir que tel établissement Pablo Neruda a la valeur ajoutée la plus importante de France par rapport au taux attendu en fonction des critères sociaux des élèves.

- enfin, une troisième base est en cours de construction : la base Info-sup qui porte sur l'enseignement supérieur. Nous agrégeons toutes les données tant sur les personnels que sur les étudiants, sur les filières, les élèves, de façon à nous construire un univers qui nous permette d'élaborer tous les indicateurs que l'on souhaite.

Ces données et ces indicateurs servent à la programmation du système éducatif qui se développe à deux niveaux dans notre direction. Le premier niveau  : la programmation et prévision des effectifs. Nous sommes en charge des esquisses de programmation sur les ouvertures de concours de recrutement par exemple. La construction d'indicateurs, d'outils d'utilisation et de pilotage qui sont des outils d'aide à la contractualisation, aussi bien des établissements que des académies.

Enfin, une programmation que je cite en dernier mais qui n'est pas la moindre : notre direction est en charge de l'élaboration du schéma de service collectif de l'enseignement supérieur et de la recherche et de la préparation du prochain contrat de plan Etat-régions et donc, du projet U3M. C'est notre direction qui est en charge de l'élaboration de ce que sera le système d'enseignement supérieur et de recherche dans dix et vingt ans. Voilà.

Nous ne sommes donc pas une direction de gestion mais une direction d'évaluation et de prospective -ce qui était d'ailleurs son ancien nom- puisque ce n'est que plus tard qu'elle a pris le nom de direction de la programmation et du développement.

M. Francis Grignon, rapporteur - Vous dites que vous êtes passés de la DEP à la DPD. Est-ce simplement le sigle qui a changé, ou les missions ont-elles changé ?

Sur l'évaluation qualitative, on nous a indiqué qu'il y avait 350 disciplines. Sont-elles toutes nécessaires ? Doivent-elles toutes être uniquement traitées à partir de l'éducation nationale ? Quelques-unes très pointues, très ponctuelles ou très conjoncturelles ne pourraient-elles pas être sous-traitées au monde de l'économie en général ?

M. Michel Garnier - Il y a un élargissement du champ des compétences entre la DEP et la DPD. La DEP était le service statistique du ministère. Les données statistiques étaient surtout utilisées pour des publications et pour alimenter le débat public, et très peu utilisées pour la rétroaction sur le pilotage du système. La nouveauté dans la structure de la DPD est d'y avoir adjoint la définition de la programmation et la construction des outils de pilotage et l'application de ses constatations, tant sur les contrats Etat-régions que sur les constructions universitaires. J'ai oublié de dire que notre direction avait la compétence sur l'ensemble des financements des constructions universitaires et des plans de sécurité.

Sur les 350 disciplines, il s'agit d'une question piège. J'ai été président d'université pendant onze ans. Mes biologistes voulaient être spécialistes de la corne gauche de l'escargot sans savoir ce qu'était la corne droite ; deux disciplines complètement différentes !

Personnellement, je considère qu'il faudrait raisonner par agrégat de disciplines. Au niveau du premier et du second degré, rendre les disciplines trop pointues n'est peut-être pas forcément très raisonnable.

M. Francis Grignon, rapporteur - Sur le premier point, la bivalence, voire la multivalence que vous décrivez peut-elle apporter des améliorations dans l'organisation du système ? A partir du moment où l'on ne considérerait pas que le départ de la bivalence vers la spécialité est une promotion hiérarchique pour l'enseignant.

M. Michel Garnier - Je suis agrégé de physique-chimie, donc a priori bivalent. Je considère en effet que pour redonner de la souplesse à la gestion du système et pour pouvoir utiliser l'enseignant dans sa deuxième discipline, si sa première discipline se trouve excédentaire, la multicompétence est valable, non seulement dans le domaine de l'enseignement, mais aussi dans tout le monde économique. On ne peut pas être monovalent.

M. Francis Grignon, rapporteur - J'indique à la commission qu'elle est obligatoire en Allemagne.

Mme Hélène Luc - C'est un large débat.

M. Michel Garnier - Je sais que votre commission d'enquête s'intéresse essentiellement au premier et au second degré. Mais quand je vois que dans des disciplines comme physique-chimie, dans les universités, un chercheur en électricité serait déshonorée d'enseigner l'optique, j'en suis désolé ; c'est quand même de la physique. Il faut avoir un champ de compétences assez large. En outre, le futur de l'évolution du système est dans la pluridisciplinarité.

M. le président - Vous avez dit que vos travaux portaient sur les prévisions de recrutement des enseignants. Est-ce vous, le directeur de la programmation et du développement, qui faites au ministre la proposition de recruter tant de personnes dans telle discipline pour telle ou telle raison ? Si oui, vos propositions sont-elles suivies ou d'autres facteurs interviennent-ils dans les décisions ?

M. Michel Garnier - Notre rôle est de définir de façon pluriannuelle les besoins, année par année, dans chacune des disciplines par l'analyse de toutes les données dont on dispose, des prévisions de départs à la retraite, des besoins de remplacements. Nous en avons la capacité à partir d'une modélisation des structures et de leur évolution en fonction des effectifs prévisibles des élèves.

De cette façon -j'ai ici un tableau résultant de l'analyse de cette année- on peut se rendre compte qu'il faudrait fermer certains concours de recrutement pendant plusieurs années pour absorber les surnombres de fonctionnaires. Nous faisons ce constat.

Ensuite, ce sont les directions de gestion qui, en discussion avec nous certes, font les propositions définitives au ministre. Propositions qui tiennent compte des différents critères : d'abord, du vivier de recrutement en cours de formation dans les IUFM, tenant compte des contraintes de ne pas avoir d'effet de butoir sur les recrutement, sachant qu'après 2005, on risque d'avoir dans certaines des disciplines de nombreux départs à la retraite que nous ne serions pas capables de combler. Disons qu'il s'agit de tenir compte des phénomènes de lissage. Nous fournissons donc notre document qui est ensuite amendé par la direction de gestion avant d'être soumis à la décision définitive du ministre.

M. Jacques Mahéas - Vous avez abordé un problème essentiel pour notre commission, et pour la première fois, dans le problème de la gestion du personnel, l'évaluation.

Cela me paraît le maître mot de l'éducation nationale. Chacun sait que pour mesurer la température, un bon thermomètre est indispensable. En tant qu'élus, nous recevons des tableaux d'évaluation et de comparaisons avec des moyennes de circonscriptions, des moyennes nationales dans le domaine des CE 2 et de la 6ème.

Une petite anomalie toutefois : ces moyennes sont quelque peu perturbées quand il y a des ZEP. Il faudrait trouver un système pour traiter les zones d'éducation prioritaires à part. En effet; la moyenne de la ville comprenant ces zones ZEP, nous donne parfois de fausses indications sur la capacité des écoles hors ZEP qui sont en réalité meilleures que la moyenne. C'est un détail, mais je tenais à le donner.

Ce thermomètre a-t-il été conçu de manière incontestable ? Vous avez dit à juste titre que Pablo Neruda peut avoir une meilleure performance qu'Henri IV. J'en suis totalement convaincu. Suivant le niveau des élèves, le milieu social, etc. Souvent, cette base est assez contestée, même de quartier à quartier, dans nos villes. Y a-t-il des études à ce sujet pour perfectionner d'année en année le thermomètre et pour arriver à ce que ses résultats soient incontestables ? Est-on capable, étant donné les mouvements de population dans certains secteurs urbains, d'avoir un panel fiable qui permet de suivre des élèves de la sixième jusqu'à la terminale.

Enfin, envisage-t-on une collaboration européenne pour essayer de nous situer par rapport aux pays voisins dans ces types d'évaluation ?

M. Michel Garnier.- Pour le thermomètre, il y a deux paramètres pour voir s'il est valable : le paramètre microscopique et le paramètre macroscopique.

Pour le paramètre microscopique, il est clair qu'il faut d'abord que les contenus, les items qui sont les sujets de l'évaluation, soient incontestés par tout le monde. Quand on construit les épreuves d'évaluation, c'est l'objet de plusieurs mois de travail d'un groupe pour se rendre compte de l'objectif de tel ou tel item.

J'ouvrirai une parenthèse. Nous avons été chargés de construire les items d'évaluation pour la journée d'appel et de préparation des forces militaires. Le travail a fait l'objet d'un an de préparation des items pour être sûr que les outils nous permettent de mesurer ce que nous voulions mesurer. Une fois que l'on est sûr de ceux-ci, on se rend compte à la correction qu'entre 5 et 10 % des items, vu la dispersion des réponses, ne sont pas significatifs. On les élimine par force. Il y a là toute une analyse effectuée par des spécialistes.

Ensuite, les niveaux d'agrégat. Comment faisons-nous des agrégats pour comparer telle circonscription à l'ensemble de l'académie ou telle académie à l'ensemble de la France ? Vous avez entièrement raison sur le fait qu'il y a des différenciations ZEP et hors-ZEP. Mais on les a déjà beaucoup montrées du doigt. Faut-il les montrer encore plus et insister sur la différenciation ?

Nous, au niveau central, nous ne remontons qu'un échantillon de ces évaluations, un panel représentatif. Mais l'ensemble des évaluations sont à disposition des rectorats qui peuvent en faire des analyses beaucoup plus fines dans les services statistiques académiques.

Au niveau national, nous faisons attention dans nos publications, à ne pas faire de ségrégation ZEP et hors-ZEP, parce que nous savons très bien que dans les ZEP, le taux de retard scolaire est plus important. Si l'on examine les caractéristiques d'une ZEP, on constate ce taux de retard scolaire plus important, mais aussi un taux plus important de catégories sociales défavorisées, un taux plus important de langue maternelle qui n'est pas le français etc. Tout cela contribue à des facteurs d'échec que l'on essaie de compenser par une discrimination positive en ZEP. Mais montrer du doigt plus qu'on ne le fait dans les notes d'information me paraîtrait mauvais pour l'unité du service public d'éducation nationale.

M. Jacques Mahéas - Pour nous, l'important est de voir que quand l'éducation nationale met des moyens supplémentaires, il est évident qu'il y a des progrès. Je l'ai constaté dans ma propre ville. Il n'y a pas de honte à dire qu'on est dans une zone d'éducation prioritaire ; on se rapproche des moyennes nationales.

M. Michel Garnier - Je vous dirai quel est mon objectif que j'évoquais récemment au cours d'une réunion. Nous avons la base indicateur INPEC, (indicateur de pilotage de l'école au collège). Cela nous permettrait, si nous l'affinions au niveau des établissements, de donner aux recteurs un outil considérable pour voir l'efficacité du cycle dernier des écoles et comparer les évaluations de 6ème. Mais pour faire cela, il faudrait remonter de façon exhaustive les élèves et que l'on compare une base collège à une base école, et obtenir une autorisation de la CNIL pour avoir un identifiant national pour les élèves. On n'est pas capables de le faire, et je suis donc obligé de travailler sur panel.

Quant à l'international, -point important- oui, notre direction a une énorme action internationale. Nous sommes partenaires d'une enquête, parue l'an dernier sous l'égide de l'OCDE qui classait la France comme très bonne en mathématiques, mais mauvaise en sciences. Nous sommes responsables, et même pilotes, du réseau européen des systèmes d'évaluation du système éducatif, et nous avons en permanence des comparaisons internationales. Une future comparaison OCDE va encore sortir. Se comparer, c'est se stimuler.

M. André Vallet, rapporteur adjoint - Je me souviens d'une rencontre que j'avais eue, il y a trois ou quatre ans, avec des gens du ministère de la défense de ma région qui m'indiquait -cette campagne a d'ailleurs été largement reprise par les médias- que si l'analphabétisme disparaissait dans le pays, par contre l'illettrisme croissait.

Quand je lis certaines évaluations du ministère de l'éducation nationale, cela ne correspond pas exactement aux appréciations du ministère de la défense. Je n'avais pas manqué de le signaler. On m'avait indiqué que vous étiez juge et partie et que les indications que vous donniez n'étaient peut-être pas les meilleures. Excusez-moi de cette demi provocation.

J'aimerais savoir quel est l'état de notre pays par rapport à l'illettrisme. Y a-t-il un accroissement de cette mauvaise situation ? Aujourd'hui, ce que ce que nous constatons dans nos villes, parfois en discutant avec les jeunes, est-il un phénomène général ?

Sur le palmarès des lycées, j'y suis totalement opposé. Il me paraît totalement ridicule de vouloir classer les établissements les uns par rapport aux autres.

Mme Hélène Luc - ...et les collèges aussi.

M. André Vallet, rapporteur adjoint - J'ai vécu un phénomène incroyable dans ma commune où il y a trois lycées. L'un des lycées, par chance, avait été très bien placé; les deux autres moins bien. Dans cette ville moyenne, la population s'est précipitée vers le premier lycée, délaissant les deux autres. De manière plus générale, ce classement ne nuit-il pas à la répartition des effectifs dans le pays ? Cela ne vous gêne-t-il pas de publier ce qui est largement repris régulièrement par les médias ? Cette publication ne gêne-t-elle pas votre travail ?

M. Michel Garnier - Le petit-fils et fils d'instituteur du service public que je suis est aussi choqué que vous par ce palmarès. Quand je l'ai découvert en arrivant à la direction, ma première réaction a été de l'arrêter. Je me suis laissé convaincre du contraire. Je vous donne les arguments qui m'ont été développés, et j'espère à la fin vous convaincre de la même façon que je l'ai été moi-même.

Quand nous ne le faisions pas, il y sept ans, les journaux se procuraient auprès des académies les résultats bruts du baccalauréat et publiaient n'importe quoi. Donc, c'était pire. Deuxièmement, nous essayons au contraire de fournir des indicateurs structurés. Certes, nous publions pour l'indicateur n° 1 le taux brut des résultats au baccalauréat, mais l'indicateur 1bis tient compte de la dispersion des catégories sociales au sein de l'établissement. Et tenant compte du taux de succès de chacune de ces catégories sociales, nous reconstruisons un taux attendu de succès à l'intérieur d'un établissement.

Il est clair que si un établissement a un taux de succès bien meilleur que son taux attendu, il a apporté une valeur ajoutée. C'est cela qui est important. Ce n'est pas son taux de succès. Il est clair que les lycées Louis le Grand ou Henry IV auront toujours un très bon taux de succès, mais si leur valeur ajoutée est de moins cinq pour cent, c'est bien différent de Pablo Neruda qui fait plus trente pour cent.

Le deuxième indicateur, que j'ai toujours contesté dans la direction, et que l'on va améliorer cette année -je me suis battu en interne et cela a même suscité le départ d'une personne qui n'était pas d'accord avec moi- porte sur le taux de passage de seconde au baccalauréat, c'est-à-dire le taux de maintien dans l'établissement ; il a un effet pervers dans sa définition.

On peut considérer qu'il est un indicateur de la sélectivité des établissements. Des établissements préfèrent "éjecter" les élèves vers un autre établissement pour avoir un bon taux de succès au baccalauréat. Cela permet de juger la sélectivité, mais il faut savoir que tous les établissements n'ont pas toutes les filières en première. Il y a des sorties inéluctables en fin de classe de seconde. Cet indicateur avait un effet pervers et était très contesté. Nous le modifions donc cette année.

Jusqu'ici, la presse s'en saisissait et publiait elle-même ses classements. Avant que l'on ait fait ces indicateurs, elle publiait n'importe quoi et c'était pire. Notre intention cette année -que j'ai proposée au cabinet du ministre, mais qui n'est pas encore validée- est que nous fassions notre propre communication, sachant qu'avec cinq ou six indicateurs et en fonction du poids que l'on donne à chacun de ces indicateurs, on trouverait un résultat totalement différent.

Si on met un poids de 1 sur le taux de succès au baccalauréat et 0 sur les autres, il est clair que Louis le Grand sera premier. Si je mets un poids de 1 sur la valeur ajoutée, c'est Pablo Neruda qui sera premier. Je veux démontrer qu'il ne faut pas s'amuser à faire un classement avec cela, mais que c'est simplement un indicateur. J'ai eu deux enfants : l'une était à l'aise et avait besoin d'être en compétition dans un lycée d'excellence ; l'autre avait besoin d'être première dans un lycée plus moyen. C'est aux parents de faire leur choix.

J'ai été convaincu qu'il fallait continuer, sinon la presse...

M. Jacques Mahéas - Attention à la carte scolaire !

M. Michel Garnier - Quant à la journée de préparation défense et à l'illettrisme, nous sommes convaincus que l'illettrisme ne progresse pas en France. M. Bentolila, qui fait énormément d'études sur l'illettrisme et qui va beaucoup dans les médias serait beaucoup plus à même de vous répondre.

Si on regarde la comparaison de nos évaluations des capacités en lecture à l'entrée en sixième, on s'aperçoit qu'à dix ans d'intervalle, la valeur moyenne est la même. Il y a une légère amélioration et pas du tout de dégradation. Si on fouille plus loin, on constate que sur des items simples, les performances s'améliorent, mais que sur les items de lecture qui consistent à décoder de façon logique un message, il y a une légère régression. Cela m'inquiète. Pour comprendre ce que l'on a lu, cet item-là est très important.

Quant à l'illettrisme, maintenant que nous sommes en charge de la fabrication des items et que nous possédons les dépouillements de ce qui se passe lors de la journée de la préparation défense, nous allons pouvoir suivre cela. Avant, nous ne disposions pas de ce qui se passait à 18 ans.

M. Francis Grignon, rapporteur - J'ai vu un principal en retraite qui disait qu'il voulait établir des formations de sécurité routière. Il avait fait appel à des spécialistes d'auto-écoles et on lui a imposé un enseignant à côté. Il ne trouvait pas cela très logique. Je n'en juge pas, je vous le décris et vous demande votre avis.

Second point : les 350 disciplines. J'aimerais que vous m'indiquiez quel est le nombre des disciplines correspondant à des emplois spécialisés aujourd'hui et quels seraient les agrégats possibles qui permettraient les bivalences ?

Enfin, en rapport à l'évaluation que vous évoquiez tout à l'heure, trouvez-vous normal de considérer qu'un enfant très en avance ou très en retard dans une classe est considéré comme anormal ? Trouvez-vous normal qu'on lie automatiquement un âge à une classe et que l'on n'ait pas plus de souplesse à ce niveau ?

M. Michel Garnier - C'est le citoyen qui va répondre à votre dernière question. Je n'engage que moi et non pas le ministre ou le ministère. Je suis intimement convaincu que si on veut éviter la ségrégation sociale entre établissements, il faut rétablir des classes de niveau.

Mme Hélène Luc - Pourquoi ?

M. Michel Garnier - Si on veut maintenir un enfant qui est en avance dans la classe de son âge, il va y perdre son temps. Si un enfant est en retard et que l'on refuse le redoublement, il faut le faire deux ans après. Ce sera trop tard car les acquis fondamentaux ne sont pas intégrés. Ce n'est pas deux ans plus tard qu'il faut redoubler, c'est au moment où il y a un manque qu'il faut le faire.

M. Francis Grignon, rapporteur - J'ai connu un ministre qui a dit cela il y a 20 ans. Cela lui a coûté assez cher.

M. Michel Garnier.- C'est ma position. Si vous regardez nos publications, les classes de niveau se recréent de toute façon artificiellement par les choix d'options. Dans les établissements un peu importants, par les choix d'option, on se débrouille pour mettre les bons dans une classe et les moins bons dans une autre.

Je préfère dire franchement qu'un enfant qui perd son temps va se démotiver. Celui qui n'a pas les acquis fondamentaux pour suivre la classe dans laquelle on l'a mis va totalement se démotiver et rentrer dans l'exclusion scolaire.

Quant aux 350 disciplines, si je vous répondais, ce ne serait ni la vérité, ni de la dissimulation. Si vous posez une question écrite, je vous répondrai, mais je n'ai pas de réponse directe. Dans les filières générales, je serais tenté de vous donner des réponses assez claires, mais dans les filières professionnalisées, il faudrait se rapprocher du monde de l'emploi pour en dire un peu plus.

J'ai oublié de dire qu'une nouvelle mission donnée à notre direction était de mettre en place une mission éducation-économie-emploi. C'est un texte sorti en fin d'année. Toute réponse quantitative que je vous ferais serait totalement fausse. Je préfère ne pas la faire.

Quant à l'intervention du monde économique dans l'éducation, c'est un vaste débat qui a déjà mis plusieurs générations d'élèves et d'étudiants dans la rue. Il faut donc manier cela avec précaution.

Il y a des compétences du monde économique. Faire intervenir des professionnels dans le système d'éducation me paraît très bien, d'autant plus s'il s'agit de filières où il y a un besoin à un moment donné. Il ne faut surtout pas mettre en place une filière pérenne. En France, on sait rajouter, mais on ne sait pas forcément fermer les filières. Il faut s'appuyer sur le monde économique pour faire cela.

Sous quelle forme ? Avec le système de l'éducation nationale, il suffit de regarder les commentaires : quand on dit que U3M, c'est vendre l'université au monde économique, alors que c'est tout à fait le contraire. Il faut donc manier cette notion avec beaucoup de précautions.

Mme Hélène Luc.- Vous avez parlé de la qualité de l'enseignement. On a abordé tout à l'heure le problème des effectifs. Vous venez de donner un avis sur les classes de niveau. Je pense qu'il serait préférable, dans les classes en difficulté, de mettre moins d'élèves, -comme l'a proposé le ministre- et que l'on prenne ces élèves au départ. Après, on va vers la ségrégation, qu'on le veuille ou non. Vous dites qu'elle se recrée quand même, mais si on l'encourage, où va-t-on ?

Ma question porte précisément sur la formation des enseignants et sur les IUFM. Quand j'ai rapporté sur l'enseignement technique, je me suis posé la question de savoir si les personnels de l'enseignement technique recevaient vraiment la formation nécessaire pour l'enseignement technique.

Auparavant, ils étaient dans les ENNA. Aujourd'hui, les IUFM correspondent-ils aux besoins ? J'ajoute que j'aimerais savoir comment vous traitez le sujet de la bivalence avec les IUFM.

M. Michel Garnier.- Je réponds à votre dernière question, mais votre dernière remarque sur les classes de niveaux nécessite un complément d'information.

Pour les IUFM, il faut tenir compte des deux catégories de personnels recrutées par les IUFM. Il y a ceux qui fabriquent des professeurs d'école et ceux qui fabriquent des professeurs de collège et de lycée. Pour les professeurs d'école, il serait catastrophique de ne pas avoir la même bivalence.

Mme Hélène Luc.- Il n'y a pas de problème pour cela.

M. Michel Garnier.- Pas de problème ?! Je considère qu'il y en a.

Il suffit, pour entrer à l'IUFM et devenir professeur d'école, d'une licence monodisciplinaire. Par exemple, une licence en psychologie. Qu'est-ce qui intéresse le gosse dans l'école ? Je me souviens des promenades avec mon grand-père et les questions que je lui posais. C'est l'environnement. On a besoin de polyvalence en sciences naturelles. La leçon de choses d'antan n'était pas totalement négligeable. Quand on sait faire des sciences naturelles, on sait faire de l'arithmétique. On a besoin d'un minimum de lettres, d'un minimum de langues étrangères. On dit que l'on est en retard et qu'il y a un déficit profond en France, mais il faudrait peut-être prendre ce problème dès le niveau professeur d'école. Et on a aussi un besoin minimum de disciplines artistiques.

Il faut donc de la polyvalence dès les professeurs d'école, et ce n'est pas la licence monodisciplinaire qui règle le problème. Ce n'est pas l'approche disciplinaire fait dans les IUFM qui le réglera profondément. Ma conviction profonde est qu'un enfant, à qui l'instituteur ou le professeur d'école n'est pas capable de répondre aux questions de curiosité, lui retire sa considération. C'est peut-être comme cela que l'instituteur a perdu sa considération sociale. C'est pour moi un point très important.

S'agissant du professeur de collège et la bivalence, je crois que c'est en amont de l'IUFM qu'il faudrait agir. Si on veut faire cela, il faut mettre en place des licences pluridisciplinaires. Il faut d'abord arriver à la pluridisciplinarité. Le DEUG est déjà pluridisciplinaire. Mais il y a peu de DEUG pluridisciplinaires : sciences humaines d'un côté, sciences exactes de l'autre ; on n'a pas besoin de cela pour les collèges. Une licence de mathématiques et de physique, de physique et de chimie, il y en a très peu. On rentre immédiatement dans la monodiscipline. Quand on est monodisciplinaire en entrant à l'IUFM, ce n'est pas l'IUFM qui peut apporter la réponse au problème. C'est avant.

Vous avez posé la question des anciennes écoles normales ; les professeurs de l'enseignement technique sont-ils bien préparés ? Je le pense. Mon gendre vient de passer le CAPET, préparé à l'IUFM. Je crois que cela va.

M. le Président - Ce n'est pas évident au départ.

M. Michel Garnier - Je voudrais encore répondre à la question sur les classes de niveau. Je ne suis pas fanatique des classes de niveau ou pour surdoués. Mon problème est de répondre à la question : y a-t-il un âge pour une classe ? Non. Je crois qu'il faut adapter des classes et donner plus à ceux qui ont besoin de plus et qui ont le moins.

Faire des effectifs plus faibles, d'accord, mais cela ne me dérange pas de créer un retard scolaire d'une année si je sais qu'après, l'enfant sera en situation de succès. Si je décide deux ans après seulement que je vais lui créer ce retard scolaire d'une année, il aura perdu ces deux ans. Il sera trop tard pour lui rattraper son handicap.

M. le Président.- Ce ne sont pas forcément des classes de niveau que vous décrivez ; ce sont des rythmes adaptés.

M. Michel Garnier.- Oui, ce sont des rythmes adaptés. Je suis pour faire avancer plus vite ceux qui peuvent aller plus vite, comme sur les routes.

Mme Dinah Derycke .- Ma question concerne, à travers tout ce qui a été dit sur les statistiques, les prévisions, l'évaluation quantitative et qualitative, le problème des jeunes filles. Elles réussissent plus rapidement et mieux leur scolarité, sauf qu'elles la terminent dans des matières peu avantageuses pour la vie économique. Elles se dirigent rarement vers des carrières scientifiques et techniques alors qu'elles sont très bonnes en mathématiques par exemple, et qu'on pourrait espérer recruter et avoir un vivier de recrutement.

Sur ce dossier, faites-vous un véritable travail et est-il vraiment pris en compte ? A travers les statistiques, l'évaluation que vous faites, pouvez-vous avoir une écoute au sein du ministère pour que l'on mette en place des dispositifs afin que l'orientation des jeunes filles soit différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Cela permettrait de réduire certaines options et filières qui existent encore quelquefois et qui ne les mènent nulle part, notamment dans l'enseignement professionnel.

Ma deuxième question, liée à cette même préoccupation, concerne la féminisation des personnels. Avez-vous fait ou eu l'idée de faire une évaluation sur le fait que l'enseignement pré-élémentaire et primaire notamment est essentiellement à dominante féminine ?

M. Michel Garnier.- Nous sommes capables de fournir tous ces chiffres sans aucune difficulté.

Mme Derycke .- Il ne s'agit pas seulement des chiffres. A-t-on analysé ces chiffres ?

M. Michel Garnier.- Nous fournissons les indicateurs, les constats. Quant à prendre les mesures pour redresser cet état de fait, cela ne relève pas de mon domaine de compétence. Je ne les ai donc pas envisagées, mais au niveau de l'université, je suis dans le coup, ayant été onze ans président d'université, les filles savent ce qu'elles veulent faire.

Mme Dinah Derycke.- C'est trop tard !

M. Michel Garnier.- C'est trop tard. Il est clair que ce que fait Claude Allègre en ce moment, en voulant simplifier -je n'ai pas dit diminuer la valeur- l'accessibilité aux programmes scientifiques, ramènera peut-être les jeunes filles vers les sciences. Je suis en première pour mes jumeaux. Je suis les disciplines. Heureusement que je suis professeur de physique pour les maintenir au niveau. Franchement, c'est ultra compliqué. C'est depuis la classe de 4ème que je me fais du souci. La mesure que prend Claude Allègre visant à améliorer l'accessibilité et l'expérience dite de " la main à la pâte " pour les programmes scientifiques est susceptible d'améliorer cette répartition et de remotiver des enfants pour les sciences expérimentales.

Mme Dinah Derycke.- Je ne pense pas que ce soit la solution pour les jeunes filles. Ce n'est pas un problème de niveau ; ce n'est pas parce qu'elles ne sont pas bonnes ni parce qu'elles ne comprennent rien aux mathématiques comme on l'a cru fort longtemps. On croyait même autrefois qu'elles n'étaient pas capables d'apprendre le latin ! Ce n'est pas pour cela qu'elles ne s'orientent pas vers ces filières ; c'est pour d'autres raisons.

Les études statistiques -je sais qu'elles existent et je me les procure régulièrement montrent que les choses empirent. A un moment donné, cela allait un peu mieux. Depuis quelques années, nous régressons à nouveau dans ce domaine, ce qui est quand même assez grave. Analysez-vous, évaluez-vous ce phénomène ?

M. Michel Garnier.- Non, mais vous me donnez un bon sujet d'étude sur une enquête qui pourrait se faire par panel pour analyser cette affaire. Comme nous avons construit un panel pour voir au niveau universitaire les éléments d'orientation, mais que pour pouvoir avoir un suivi, on en démarre un autre beaucoup plus tôt, il faudra que l'on ajoute des questions de cette nature. Ce n'est pas fait.

M. Christian Demuynck .- Je voudrais revenir sur les évaluations. Vous avez expliqué que vous aviez un outil efficace pour mesurer la qualité de l'enseignement. Quand vous constatez que cela se passe mal sur une circonscription, un département ou un établissement, c'est-à-dire que les résultats obtenus sont largement au-dessous d'une certaine moyenne, que se passe-t-il après ? A quoi sert l'évaluation ? Y a-t-il des mesures spécifiques prises dans ces départements, dans ces établissements, à partir des études que vous avez menées ?

M. Michel Garnier.- La répartition des moyens est établie en liaison avec les rectorats mais ne consiste pas simplement en une règle de trois. Si c'était le cas, il n'y aurait pas besoin de discussion.

Cela implique la prise en compte d'un certain nombre de spécificités de différentes natures. De nature " rural-urbain " d'abord : il y a des rectorats qui ont à la fois le plus fort taux d'élèves dans les communes urbaines, mais le plus faible taux d'élèves dans les communes rurales. Si on fait une simple moyenne, on considère qu'ils sont bien dotés.

Deuxièmement, il y a les résultats des évaluations, le pourcentage de catégories sociales défavorisées etc. Nous avons construit une batterie d'indicateurs sur lesquels on fait une combinaison linéaire pour tenir compte de la modulation des propositions de moyens à affecter à chacun des rectorats.

C'est évident. Heureusement !

M. le Président. - Je vous remercie, monsieur le directeur. Une dernière question : votre direction dispose d'instruments statistiques, d'instruments d'évaluation. Les instruments dont vous disposez peuvent permettre à un ministre d'évaluer sa propre politique, ou au public d'évaluer la politique du ministre.

Pensez-vous que le directeur de la programmation et du développement doit soumettre les statistiques, les études, les résultats de ces évaluations au cabinet du ministre avant de les publier ? Je ne parle pas de ce ministre-ci.

M. Michel Garnier.- Nous sommes quand même une direction du ministère, au service du ministre et du ministère ; nous ne sommes pas une agence d'évaluation indépendante.

M. Jacques Mahéas. - C'est une question bizarre pour un politique.

M. Michel Garnier.- J'attendais la question sous une forme légèrement différente, mais je répondrai d'abord à votre question.

Si j'étais un simple service statistique, il est clair que la statistique alimente le débat public et qu'il faudrait tout publier. Nous, notre objectif est que ce que l'on mesure serve à agir sur le système. Ce qui sert de moyen d'action doit d'abord être arbitré par le ministre et être en synergie permanente avec le ministre.

Je pensais que vous me poseriez la question autrement. Vous détenez, avec tout le système d'information, la puissance de proposer des choses au ministre, d'évaluer les résultats à court terme. C'est l'objectif que l'on s'est fixé, -pas pour détenir la puissance, je suis au service du ministre- de fédérer l'ensemble des systèmes d'information, dispersés antérieurement dans le ministère, de façon à être capable de croiser les informations et avoir une source immédiate d'accès par Intranet pour le ministre et pour tout le monde aux données du ministère et être capables de prendre des décisions à bon escient. Cela nous a paru fondamental. Si dans trois ans, vous demandez de comparer les indicateurs et d'évaluer les effets de la politique du ministre, pourquoi pas ?

Quant à savoir si je dois soumettre au cabinet du ministre avant de publier, ma déontologie est très claire : tout ce qui sort, le ministre doit en être informé puisqu'il en entendra parler le premier.

M. le Président.- Nous vous remercions, monsieur le directeur.