IV - QUELLES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EN EUROPE ? UNE MISE EN PERSPECTIVE DES POINTS DE VUE NATIONAUX



M. Joël BOURDIN, Président. - Mesdames et Messieurs, nous allons reprendre notre séance. J'ai été privé de la première partie, j'en suis désolé pour les animateurs et pour Serge LEPELTIER qui a accepté avec beaucoup de gentillesse de venir à cette place.

La deuxième partie de ces travaux est consacrée aux politiques économiques en Europe à partir d'une mise en perspective des points de vue nationaux. Pour faciliter et animer le débat, nous avons fait appel à quatre économistes représentant des instituts d'analyse économique des plus grands pays de l'Union européenne :

M. Philippe SIGOGNE, remplaçant M. FITOUSSI qui n'a pu venir aujourd'hui. Ce dernier parlera au nom de l'Observatoire français des conjonctures économiques, c'est un habitué de nos colloques. Je lui témoigne ma gratitude pour sa disponibilité et sa fidélité.

M. Joachim VOLZ, représentant le Deutsche Institut Für Wirtschaftforschung (DIW, Berlin), l'un des principaux organismes de prévision et d'analyse allemands.

M. Ray BARRELL, représentant le National Institute for Economic and Social Research (NIESR, Londres).

M. Paolo ONOFRI, représentant le PROMETEIA de Bologne, qui vient de réaliser un rapport sur la protection sociale, qui a fait l'objet d'importants débats en Italie.

MM. BARRELL et ONOFRI s'exprimeront en anglais et j'invite ceux qui le souhaitent à se munir des casques mis à leur disposition.

La parole est à M. SIGOGNE.

M. Philippe SIGOGNE, Directeur du Département d'Analyse et de Prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).-

Merci Monsieur le Président. Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, c'est un plaisir toujours renouvelé de me trouver parmi vous et un honneur de représenter l'OFCE en cette séance de la Délégation du Sénat pour la planification.

Il était d'usage de présenter chaque année dans un exercice de printemps des exercices modélisés sur ce que pourrait être notre avenir à moyen terme. Il ne s'agissait pas à proprement parler des prévisions mais plutôt de projections avec des scénarios permettant d'éclairer les différentes voies du futur et de permettre ainsi au monde politique de prendre les décisions qu'il pouvait juger appropriées en fonction de ces différentes possibilités.

Aujourd'hui, le débat est un peu différent. Notre modèle a reçu la possibilité d'obtenir une année sabbatique. Nous en profitons donc pour traiter un sujet un peu différent, qu'il nous a paru utile d'aborder en cette année de l'euro.

En introduction au débat, puisque l'essentiel sera présenté par les trois intervenants étrangers qui viennent de vous être annoncés, je me permettrai simplement de citer le cadre de réflexion dans lequel ce travail a été réalisé.

Pendant les décennies glorieuses, les choix de société semblaient, à tort ou à raison, pouvoir s'exprimer librement à l'abri des frontières, l'autonomie monétaire et fiscale autorisant une répartition du revenu national conforme aux aspirations exprimées démocratiquement.

A partir des années 80 - ceci a été clairement exprimé dans la première partie du débat -, la lutte contre l'inflation engagée partout dans le monde a monopolisé l'instrument monétaire, lui ôtant toute capacité de soutien de l'activité. Elle a en même temps fortement amputé, voire par moment réduit à néant les marges de manoeuvre budgétaires des Etats par la menace qu'elle faisait porter sur la capacité de maîtrise des dettes publiques.

Voyant ainsi durablement amoindris les moyens d'intervention macro-économiques, les agents économiques publics et privés ont été progressivement conduits à rechercher d'autres voies de redressement de l'activité, la croissance s'avérant en elle-même impuissante à procurer des postes de travail à tous ceux qui en manifestaient la demande.

La confusion des esprits relevant de cette impuissance à agir a conduit à rechercher à l'extérieur de notre pays des modèles dans l'espoir de nous les approprier.

Hélas, l'analyse minutieuse des expériences réussies a le plus souvent montré que les conditions initiales de ces modèles en étaient le plus souvent exceptionnelles et non reproductibles. L'enthousiasme soulevé par des propositions extrêmes exaltant les vertus du tout libéral et poussant à faire table rase du passé, est retombé à mesure que les études de cas, notamment les études sur l'emploi de l'OCDE, relativisaient les résultats obtenus et en affichaient les coûts.

Le fondement d'un nouvel ordre économique et social ne peut se faire en traitant indépendamment l'économique et le social comme s'ils n'interagissaient pas l'un sur l'autre.

Une réflexion intégrée s'impose donc, faute de s'exposer tôt ou tard à un rejet brutal risquant de remettre en cause la dynamique européenne.

La mise en place de l'Union économique et monétaire succédant à celle du marché unique a profondément modifié les modes d'approche des questions de politique économique en France et chez nos partenaires européens. La disparition des monnaies nationales, l'adoption du Pacte de stabilité et de croissance, la suppression de plus en plus totale des entraves à la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes et l'application d'une politique active de la concurrence au niveau européen ont notablement réduit la viabilité de solutions locales aux problèmes posés par la globalisation économique et financière.

Les politiques macro-économiques, les réformes du marché du travail, les politiques sociales et fiscales ne peuvent faire l'impasse d'une réflexion européenne préalable sous peine d'aboutir à des décisions nationales incohérentes, non coopératives et donc contre-productives.

Il est important aujourd'hui de réaliser que les relations entre la construction européenne et la souveraineté nationale sont beaucoup plus complexes qu'on ne le croit et qu'on ne le dit. Il est nécessaire de rappeler que la mise en oeuvre de la monnaie européenne ne détermine pas de façon univoque la conduite des politiques économiques en Europe, que les figures de l'avenir sont multiples et, plus encore, que ce qui se joue au travers d'un débat apparemment technique sur les politiques économiques nationales est le choix d'un modèle de société.

De même que les politiciens sont parfois amenés à simplifier à l'extrême leurs positions de façon que leur message soit clairement identifié, de même les économistes insistent souvent à l'excès sur ce qui différencie leurs courants de pensée. Dans un cas comme dans l'autre, le corps commun de doctrines s'en trouve largement occulté.

Cette manière d'agir donne à penser que seule existe la solution du tout ou rien répondant à une logique quantique. Il n'y aurait ainsi aucune possibilité de mixer les propositions, donc pas de dialogue ni de débat fécond.

Se démarquant de cette position, il nous a semblé au contraire nécessaire de profiter de l'espace européen qui nous est aujourd'hui ouvert pour fonder notre recherche des solutions possibles sur un véritable échange des expériences accumulées nationalement.

Les instituts de recherche économique nationaux ont une expérience couvrant plusieurs décennies de communication sur leurs visions des déroulements économiques et de perspectives à court et moyen terme. Ils multiplient à présent les échanges d'information et d'évaluation des politiques économiques passées, en cours et en gestation. Ils clarifient ainsi leur point d'accord mais aussi de divergence sur les déterminants de la croissance.

Aujourd'hui, nous avons voulu vous faire part des points de vue exprimés dans les quatre pays les plus importants de l'Union Européenne : l'Allemagne l'Italie, le Royaume-Uni et la France. Des membres d'instituts de recherche prestigieux qui viennent de vous être présentés, Ray BARRELL du National Institute for Economic and Social Research de Londres, Paolo ONOFRI de Prometeia et Joachim VOLZ du Deutsche Institut für Wirtschaftforschung de Berlin vont successivement exposer la diversité et les points de convergence des options actuellement ouvertes en Europe dans les domaines respectifs des politiques macroéconomiques pour le premier, des politiques sociales et fiscales pour le deuxième et des réformes du marché du travail pour le dernier.

La gestion des politiques macro-économiques sera notre point de départ. Cette introduction ne vise qu'à soulever quelques questions permettant de lancer le débat. La détente monétaire suffit-elle à elle seule à garantir le meilleur environnement possible pour les décisions privées ? Des relances publiques sont-elles nécessaires ? Si oui, sous quelles formes ? Dans quelles conditions risquent-elles d'être contre-productives ? La monnaie unique donne-t-elle plus ou moins d'autonomie à chaque partenaire ? Quelles formes doit revêtir la coordination des politiques budgétaires pour garantir une réponse optimale aux déroulements cycliques prévisibles ou inattendus ? Ray BARRELL traitera de ce premier domaine.

La maîtrise des dettes publiques et la préservation d'un modèle social européen sont deux aspirations largement partagées par les opinions des pays sous revue. Le social et l'économique se rejoignent pour reconnaître l'extension des besoins exprimés, chercher à s'assurer de leur solvabilité et organiser leur financement d'une manière qui ne pénalise ni l'incitation à travailler ni à investir. Harmonisation et concurrence fiscales sont intimement liées à ces problèmes : la disparition des monnaies nationales renforce le rôle de la fiscalité, à la fois instrument d'incitation, de répartition et de financement dont le maniement sans précaution peut conduire à des comportements non coopératifs. Paolo ONOFRI développera ce deuxième domaine.

La recherche d'une plus grande flexibilité s'est renforcée partout en Europe, partant du constat que de multiples rigidités accumulées au fil des ans entravaient le retour au plein emploi. Des expériences diverses de déréglementation du travail ont été conduites en Europe. Elles ont pour objectif de combiner une plus grande souplesse de gestion de la main d'oeuvre, de conforter durablement la modération salariale et de permettre en retour de plus fortes créations d'emploi. Ces tentatives, complétées par la nouvelle insistance mise sur l'employabilité des personnes en marge de la population active sont-elles suffisantes, doivent-elles être accentuées ou se limitent-elles à une simple redistribution de l'offre de travail existante ? Joachim VOLZ tentera de répondre sur ces points en s'appuyant notamment sur les programmes d'action nationaux soumis par les pays membres.

Le point nodal du diagnostic économique, qui détermine les possibilités d'action macro-économique, est le diagnostic porté sur la nature du chômage que subissent nos économies. Pour certains, les rigidités sont l'explication majeure et le taux de chômage effectif est proche de son niveau d'équilibre. Toute stimulation publique de la demande ne ferait qu'évincer la demande privée, et tout spécialement l'investissement, dans le cas d'une hausse des dépenses publiques des biens et services. Toute baisse d'impôts aggraverait le déficit public sans profit pour la croissance ; les capitaux transférés au privé s'exporteraient sans profit pour l'emploi national. Pour d'autres, les taux de chômage restent dans plusieurs pays européens bien au-dessus de leur niveau d'équilibre ; selon les calculs de l'OFCE, ils les dépasseraient en moyenne de quatre points pour l'ensemble Allemagne, France et Italie. Dans un tel cas, les marges de manoeuvre des politiques publiques s'avéreraient plus amples qu'on ne le soutient le plus souvent en Europe. Ceci fait aussi partie de notre débat d'aujourd'hui.

Un dernier point que je mentionnerai, qui m'a été inspiré par ce qui a été dit sur la divergence des évolutions conjoncturelles en Europe. Il est extrêmement important aussi pour apprécier la capacité des politiques économiques d'avoir une influence sur le niveau d'activité économique, de savoir quel est l'état exact de la situation du secteur privé. Que ce soit les comptes d'exploitation des entreprises, les bilans des sociétés, l'expérience des années 90 nous a montré qu'après les efforts menés dans la phase de désinflation ayant conduit les entreprises à changer de comportement pour se désendetter, réduire leur dépendance vis-à-vis des marchés, de dettes et s'autofinancer largement, un freinage de l'investissement est apparu - et sans doute au-delà de ce qu'il aurait été souhaitable - au fil des années 90.

La situation de départ dans l'euro est très différente selon les économies, selon que les unes ou les autres ont été soumises à une épreuve de crédibilité plus ou moins grande pour rentrer dans la monnaie unique.

Comme il a été très justement souligné par les intervenants du Centre d'Observation Economique, les pays souffrant le plus sont ceux dont la désinflation était déjà la plus avancée.

Ces points-là me paraissent essentiels pour déterminer les moyens d'action et les marges de manoeuvre des politiques économiques, qu'elles soient macro-économiques, fiscales, sociales ou autres dans le contexte européen d'aujourd'hui.

Je vous remercie Monsieur le Président.

M. Joël BOURDIN, Président.- Merci Monsieur Philippe SIGOGNE. Comme vous l'avez annoncé, je vais maintenant donner la parole à M. Ray BARRELL, qui va nous parler de la gestion des politiques macroéconomiques.

M. Ray BARRELL, National Institute for Economic and Social Research (NIESR, Londres) (Traduction) . -

Merci, Monsieur le Président. Je suis désolé d'avoir à m'adresser à vous en anglais mais il me semble que je serai plus clair que si je m'exprimais en français.

Je voulais évoquer brièvement deux ou trois aspects des questions suivantes : les problèmes de politique économique de l'Europe risquent d'aboutir à des évolutions des institutions en charge de cette politique économique, et les problèmes de politique économique que l'Europe pourrait rencontrer à l'avenir.

Les institutions ont évolué et vont continuer d'évoluer.

Je voulais également aborder brièvement la question des changements structurels en Europe, ce qui les pose, ce qui les provoque et enfin, celle de la force et de la faiblesse de l'euro.

S'agissant de l'évolution des institutions, il faut savoir qu'il y a dix ans seulement que l'Europe a envisagé l'Union monétaire. Pour nous, économistes professionnels, avec les débats de 1989 et 1990, le Traité de Maastricht est parvenu très rapidement à la conclusion qu'il nous fallait une Union monétaire associée à des objectifs de 3% de déficit budgétaire, et de taux de change stables.

Il y avait à l'époque un grand enthousiasme pour la construction de l'Union monétaire et la Finlande et la Grande Bretagne se sont associées au mécanisme de stabilisation des taux de change.

Lors de l'effondrement de ce mécanisme en 1992-93, beaucoup ont pensé qu'il n'y aurait jamais d'union monétaire en Europe et pourtant, cet effondrement ne l'a nullement arrêtée. Les politiques et les institutions ont continué d'évoluer par rapport aux problèmes que nous avions à l'époque en Europe et nous avons assisté à de nouveaux accords, à un nouveau départ vers l'Union monétaire. Ces institutions sont confrontées au fait que les économies européennes sont très diverses et en même temps convergent pour beaucoup de raisons, mais il y a beaucoup d'éléments qui vont les empêcher de converger.

La convergence concerne non seulement l'inflation, mais aussi les taux de change.

Aucun pays ne semble avoir une monnaie surévaluée ou sous-évaluée : il y a donc convergence sur ce plan.

Il y a un domaine dans lequel il n'y a pas encore eu convergence : c'est celui du chômage.

Il est très difficile de savoir quel est le chômage d'équilibre en Europe ; la plupart des commentateurs s'entendent pour dire qu'il y a un certain nombre de pays européens comme la France, l'Allemagne, l'Italie, qui ont un chômage supérieur à ce qu'ils peuvent soutenir à long terme. Voilà pourquoi ils souhaitent tous une baisse du chômage.

Il faudrait peut-être avoir des institutions capables de lutter contre le chômage. C'est donc un premier problème.

Il y a une raison pour laquelle nous savons que le chômage est au-dessus de son niveau d'équilibre : c'est le niveau de l'inflation, peut-être pas en Irlande, en Espagne, aux Pays-Bas, mais en tout cas au coeur de l'Europe. Dans les trois grands pays, l'inflation est en baisse.

Le chômage dans la zone euro est de 10% en moyenne, alors que le taux de chômage soutenable est d'environ 8%.

Nous allons parler des plans d'action nationaux tout à l'heure, mais j'aimerais redire qu'il est très important une fois qu'on a une union monétaire, de penser à un certain nombre d'éléments.

Dans un pays comme le Royaume-Uni, nous avons une banque centrale indépendante. Si les partenaires sociaux décidaient de réformer le système de négociation des salaires afin que les salaires réels progressent moins rapidement, le taux de production d'équilibre augmenterait. Si la banque centrale reconnaît cette évolution, elle peut décider de valider ces changements. En d'autres termes, si les partenaires sociaux sont d'accord, nous devrions avoir des salaires réels moins élevés et un emploi plus élevé ; la banque centrale pourra tout de suite répondre en réduisant les taux d'intérêt, en laissant l'inflation à son niveau et en validant ces politiques. C'est très utile, mais il ne faut pas oublier que la situation est très différente dans le reste de l'Europe. Si les partenaires français choisissent entre eux d'avoir des salaires réels plus bas, un chômage plus bas, une inflation plus basse, ils n'ont aucune garantie que la Banque Centrale Européenne va valider ce choix par une baisse des taux d'intérêt.

La seule manière de réussir, c'est de passer par l'augmentation de la compétitivité par rapport aux autres partenaires européens. Sans coordination au niveau européen, au niveau des politiques du marché du travail, nous risquons de voir des réformes du marché du travail menées dans le cadre national.

De même, on peut mener avec un certain succès, comme aux Pays-Bas, des politiques fiscales qui permettent de réduire le chômage.

Mais, face à ces politiques ponctuelles, nationales, il y a une Banque Centrale Européenne qui mène une politique monétaire unique, et chaque pays pris isolément ignore ainsi la réaction de la politique monétaire face aux initiatives de politique économique qu'il peut prendre.

Ce problème de Banque Centrale Européenne (BCE) unique nous amène à une deuxième question.

Nous avons maintenant un certain nombre d'institutions qui travaillent ensemble. Nous avons une Banque Centrale Européenne indépendante, ce qui est bien ; c'est probablement la Banque centrale la plus indépendante au monde. Elle se fixe ses propres objectifs, ses propres manières d'y parvenir. Pourtant, elle ne joue pas le même rôle que la Bundesbank en Allemagne. En fait, la Bundesbank joue une partie de poker avec un ou deux joueurs. La BCE a 11 opposants et on ne peut pas jouer au poker avec 11 partenaires. Il faut donc qu'elle fonctionne différemment et il faut vraiment penser à cela.

La BCE a son évolution ; nous avons déjà une amorce d'évolution. Nous devons tirer les enseignements de ce qui s'est produit et essayer de replacer l'évolution de ces institutions dans leur contexte. Un certain nombre de questions se posent concernant l'évolution des institutions pour favoriser la lutte contre le chômage et la croissance. La Banque centrale n'est pas la seule nouvelle institution ; il y a également d'autres options de politique économique. Y a-t-il encore des politiques économiques qui nous sont offertes ?

Il existe également un pacte de stabilité et de croissance, qui limite l'autonomie budgétaire de manière considérable.

Il est donc très possible que les Gouvernements aient moins de marge de manoeuvre au niveau budgétaire.

Il y a une nouvelle institution, la BCE, et on ne sait pas toujours comment elle va réagir si l'inflation baisse ou si quelque chose arrive à l'euro.

Une autre nouvelle " institution ", née du Pacte de stabilité, a pour but de réduire la dette publique, mais risque aussi d'avoir à limiter la marge de manoeuvre fiscale des autorités.

Ces deux institutions pourraient être dans dix ans parfaites pour l'Europe qui sera la nôtre.

Toutefois, elles ont été conçues pour une Europe qui n'est pas confrontée à des problèmes particulièrement graves et je crois que nous devons discuter avec les autorités monétaires et les autorités budgétaires de la question de savoir si nous vivrons dans une Europe libre de tout problème. Nous avons déjà mentionné le problème du chômage et celui des crises dans d'autres régions du monde qui réduisent la demande, surtout en Italie et en Allemagne. Il y a un choc asymétrique dans la mesure où ces pays réagissent différemment du fait de leur spécialisation.

Pour ce qui est de la BCE, elle ne doit pas réagir aux événements qui se produisent dans un seul pays. Il faut qu'elle prenne en compte l'ensemble de l'Europe. Les autorités budgétaires doivent donc avoir un certain nombre d'instruments. Pourtant, elles sont très limitées par le pacte de stabilité et de croissance, surtout en Allemagne et en Italie.

Je ne dis pas qu'il faille relâcher les politiques budgétaires dans ces deux pays, il faut simplement reconnaître que cette option n'est pas vraiment disponible dans ces pays compte tenu des traités qu'ils ont signés.

Nous avons maintenant une Europe qui n'est peut-être pas armée pour faire face à ces problèmes à court terme, une Europe où il faut réfléchir aux institutions, une Europe qui a évolué très rapidement.

Il faut se poser la question de savoir ce qui a provoqué ces changements avant de parler de la conception des nations.

Ces changements structurels en Europe et au Royaume-Uni ont-ils été causés par la faiblesse de l'inflation ? C'est possible.

Ces changements structurels en Europe ont-ils été provoqués par l'instabilité du taux de change ? Peut-être aussi.

Toutefois, je crois que les changements structurels en Europe sont, en fait, dus à l'effet concret des politiques, mais pas de nature macroéconomique. Ces changements structurels sont dus au marché unique et à ses effets énormes sur la manière dont les marchés des biens et les marchés financiers fonctionnent.

La combinaison du marché unique et la libéralisation des mouvements de capitaux a vraiment provoqué un choc, par exemple, pour l'industrie automobile.

Donc en tant que macroéconomistes, nous devons laisser un certain espace pour le marché unique et prendre en compte l'investissement direct étranger.

J'en viens maintenant au contrôle de l'inflation, qui relève de la BCE.

Il faut tout d'abord souligner que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale allemande ont évolué, modifié régulièrement leurs objectifs, leurs instruments pour parvenir à ces objectifs.

Donc, au fur et à mesure que nous avançons, la BCE doit également évoluer au même titre que la Réserve fédérale et la banque allemande ont évolué.

La BCE a beaucoup d'options : elle pourrait viser, à moyen terme, un agrégat monétaire ; on ne sait pas très bien si c'est ce que faisait la Bundesbank. Elle mentionnait une valeur de référence comme la Banque centrale et je crois qu'une banque centrale doit toujours prendre en compte la stabilité des prix qui doit être liée à un niveau de prix ou à un niveau monétaire.

Toutefois, la BCE s'intéresse également à l'évolution à court terme de l'inflation. Elle a une stratégie duale.

J'en viens maintenant à la question de la valeur externe de l'euro. Que se passe-t-il quand on dévalue ? Cela dépend de la raison pour laquelle on dévalue. Voilà pourquoi les modèles ne sont pas toujours utiles ; il faut d'abord se demander pourquoi on a dévalué. Je crois qu'il y a un ensemble de facteurs extrêmement complexes tels que la crise en Asie du sud-est, la force du dollar, la force du marché boursier américain et la faiblesse de l'euro.

Si nous avons constaté un choc de productivité aux Etats-Unis, si la technologie de l'informatique dope la croissance des Etats-Unis, c'est peut-être qu'il y a deux ou trois ans, les investisseurs ont commencé à s'intéresser aux Etats-Unis plus qu'à toute autre région du monde, ce qui provoqué une fuite des capitaux en Asie du Sud-est et ce qui explique la force du marché boursier américain. S'il y a un choc de productivité aux Etats-Unis, le dollar américain en termes réels doit augmenter par rapport à l'euro. A ce moment-là, la Banque centrale doit surveiller l'inflation. Si l'inflation est basse, elle doit réduire les taux d'intérêt, mais ne doit pas trop se concentrer sur la valeur de l'euro parce qu'il s'agit peut-être d'un changement, d'une évolution structurelle de l'économie mondiale.

En fait, la Banque Centrale Européenne doit pouvoir réagir de manière appropriée. Il faut donc savoir ce qu'elle fera pour l'avenir. La BCE doit avoir un objectif très clair quant à sa politique.

Dans un jeu de poker entre 11 joueurs et la BCE, il faut vraiment connaître le taux d'inflation, il faut s'adapter rapidement et il faut que ce taux d'inflation soit très clairement défini, et récompenser les réformes du marché du travail. Cette nécessité de réforme du marché du travail devra donc en fait contribuer à une certaine clarté pour aider à régler les problèmes de l'inflation

Un deuxième problème institutionnel très important concerne le pacte de stabilité et de croissance qui a permis de créer l'Union européenne. Il aurait été politiquement impossible de créer l'Union monétaire sans ce pacte. C'est vraiment le plus grand accord budgétaire de la décennie. Peut-être que d'ici à un an, nous devrions penser au prochain accord budgétaire. La prudence budgétaire n'a pas le même sens dans tous les pays. Un Gouvernement prudent peut viser un déficit de 0 à 3% s'il investit beaucoup. Un Gouvernement prudent peut suivre la règle d'or et emprunter davantage.

Ce taux de 3% s'explique dans certains pays. Toutefois, les pays sont différents en Europe et il faut prendre en compte ces différences.

La production est plus volatile dans certains pays européens pour des raisons historiques. Les analyses conduites par la Commission européenne montrent que la Finlande et la Suède ont une volatilité bien supérieure à celle de la France par exemple. Par conséquent, leur déficit budgétaire est beaucoup plus variable que celui de la France ou de l'Autriche. Certains pays, notamment la Suède, ont un système de taxation tel que le déficit réagit plus à une évolution de la production, par rapport à ce qui se passe en Allemagne, par exemple.

Tenir compte de la volatilité budgétaire est ainsi décisif pour apprécier l'évolution du déficit budgétaire. Il suffit de faire un certain nombre de calculs sur les objectifs de déficit budgétaire et la probabilité de parvenir aux lignes directrices du pacte de stabilité. Compte tenu de la volatilité passée, nous pouvons penser que l'Espagne et les Pays Bas ont une chance d'y parvenir en 1999. La France et l'Allemagne auraient une probabilité plus faible, ce qui signifie que les politiques fiscales devront être assez restrictives dans ces pays, parce qu'ils devront resserrer leur politique budgétaire, ce qui n'est pas nécessairement approprié pour l'Allemagne.

Il y a peut-être aussi d'autres éléments quand on fixe un plafond de 3% de déficit budgétaire : certains pays très " volatiles " devraient être le plus longtemps possible en excédent budgétaire pour éviter, en cas de récession, de dépasser la barre des 3 % de déficit. Inversement, ce plancher de 3% permettrait à des pays comme la France d'avoir durablement un déficit de moins de 1% du PIB, ce qui n'est pas nécessairement souhaitable. Il faut des politiques prudentes dans le cycle de l'endettement.

Dans certains pays, on pourrait avoir une marge de manoeuvre plus importante. Ce plancher des 3% qui limite les politiques budgétaires dans beaucoup de pays nous fait craindre une récession l'année prochaine. Nous devrons peut-être être plus souples sur ce point, revoir nos institutions par rapport au problème de l'Europe qui sera celle de demain et non pas celle d'hier.

Je pense donc qu'il faudrait une révision constante des institutions en charge de la politique économique. Nous ne pouvons pas copier la Constitution américaine, il faut vraiment bâtir quelque chose d'entièrement nouveau et nous apprenons au fur et à mesure.

M. Joël BOURDIN, Président.- Merci Monsieur Ray BARRELL. Je passe maintenant la parole à M. Paolo ONOFRI pour qu'il nous parle de la maîtrise des dettes publiques et de la préservation d'un modèle social européen.

M. Paolo ONOFRI, PROMETEIA (Bologne) (Traduction) .-

Merci Monsieur le Président. Je suis moi aussi désolé de ne pas parler français. J'espère en fait faire passer plus rapidement mon message en m'exprimant en anglais.

J'aimerais insister sur la chose suivante : ce que ce que Ray BARRELL vient de nous dire, nous renvoie à des perspectives de moyen terme, qui concernent la conception des institutions chargées de la politique économique en Europe. Je crois que nous ne devons pas oublier que nous sommes confrontés simultanément à deux questions tout à fait inattendues au début de cette aventure européenne.

Premièrement, la nécessité d'avoir à réduire à zéro le déficit budgétaire pour les pays européens, à moyen terme.

Deuxièmement, la nécessité de prendre en compte la situation conjoncturelle qui est totalement différente de celle que nous attendions. Je n'entrerai pas dans les détails, mais j'aimerais simplement vous rappeler deux questions :

- Que va-t-il se passer si la Réserve fédérale décide d'augmenter les taux d'intérêt ?

- L'Europe est-elle en mesure de se préserver de l'évolution des taux d'intérêt aux Etats-Unis ?

Nous rencontrons en effet le risque d'une réaction due à l'intégration des marchés financiers, un problème à long terme, alors que l'Europe sera toujours dans une impasse du point de vue de la conjoncture, et cela provoquera d'autres problèmes qui ne sont pas en fait dus à la construction d'une politique économique fédérale, mais qui seront dus à l'intégration totale des marchés financiers.

La crédibilité de la politique économique dans la zone euro que nous avons à construire n'est pas simplement dépendante du niveau du déficit ou de l'excédent budgétaire, elle est également dépendante de l'évolution de la structure des finances publiques.

Quel est l'impact de la pression fiscale ? Quel est l'impact des dépenses publiques en général, des dépenses sociales en particulier ? Quel est l'impact des transferts sociaux ?

Il s'agit là de questions auxquelles les pays européens doivent répondre. En effet, nous sortons d'une période au cours de laquelle la classe moyenne a travaillé dans une position très sûre dans toute l'Europe, mais elle est maintenant confrontée à une incertitude de plus en plus importante et durable. Par conséquent, si nous devons vraiment envisager un échange politique entre les partenaires sociaux et les gouvernements, nous ne devons pas simplement l'envisager en termes macro-économiques, mais prendre en compte également l' " échange " possible entre d'un côté la déréglementation sur le marché du travail et, d'un autre côté, une solide défense du système actuel de protection sociale. Tout simplement en raison du fait que l'évolution du revenu de la classe moyenne constitue une question essentielle pour tous les gouvernements en Europe. Il faut effectivement être certain qu'un réseau social aidera les classes moyennes à faire face à une plus grande incertitude, une insécurité de l'emploi, etc.

Dans le même ordre d'idée, je pense que le rôle de l'Europe en tant que tel est un rôle tout à fait important compte tenu du fait que la Commission est plus éloignée de la base électorale que chaque Gouvernement des états membres et qu'il est ainsi beaucoup plus facile pour la Commission de soutenir un certain nombre d'évolutions, de prendre même un certain nombre de positions impopulaires en matière, par exemple, de réglementation du marché du travail, ou de réformes imposées par le vieillissement de la population.

Je crois qu'à l'avenir, une fois que nous aurons absorbé l'effet des critères de Maastricht et du pacte de stabilité, le rôle des gouvernements européens consistera à traiter au niveau européen des effets du vieillissement de la population et des effets possibles également de la déréglementation du marché du travail. Il faudra qu'il y ait à ce sujet un échange politique dans le cadre de la restructuration du système de protection sociale.

Ce type d'évolution présente déjà un certain nombre de caractéristiques communes dans les états membres. Dans la quasi-totalité des pays, il n'y a plus du tout de partage des fruits du progrès technique entre salariés et retraités. La première mesure prise au début des années 1990 dans plusieurs pays d'Europe a consisté à supprimer le mécanisme d'indexation des prestations sociales de retraite par rapport à l'évolution des salaires réels, de sorte que les retraités ne profitent plus du progrès technique. Je crois qu'on ne peut pas dire que le progrès technique actuel est dû simplement aux travailleurs actuels. Il est également le fait de ce qui a été fait par les travailleurs d'antan, ceux qui sont aujourd'hui à la retraite.

Cependant, le consensus social actuel est tel que l'on a introduit ce genre de mesures.

Une autre caractéristique consiste à passer d'un système dans lequel certaines prestations sociales sont assez mal assurées par l'Etat à un système où la fourniture de ces prestations par le secteur privé devient de plus en plus importante.

Il y a deux exemples de ce genre de tendance. Premièrement, au Royaume Uni et, deuxièmement, aux Pays Bas et, en fait, on atteint à peu près les mêmes résultats par deux approches assez différents.

La première, au Royaume Uni, par la destruction totale du rôle des syndicats et la deuxième, aux Pays-Bas, avec l'accord des syndicats. Mais dans tous les cas, il y a eu déréglementation des marchés du travail, pas de réduction des systèmes de protection sociale pour la classe moyenne, pas de réduction des niveaux des prestations sociales. Par exemple, aux Pays Bas, il y a eu, en revanche, une augmentation de l'offre de la part du secteur privé. Tout cela a été considéré comme un outil visant à améliorer l'efficience dans l'offre des prestations sociales.

D'une certaine manière, il s'agit d'un nouveau type de modèle pour l'Europe où la solidarité sociale ne peut pas être découplée, détachée de l'efficience. C'est uniquement en associant l'égalité de traitement et l'efficience que la solidarité sociale trouve sa légitimité au sein de l'électorat.

Voilà pourquoi je pense que nous n'avons pas énormément de différences au niveau du comportement et des attitudes politiques des différents gouvernements en Europe.

Ainsi, presque partout, les systèmes de retraite vont être réformés ; dans certains, ils l'ont déjà été. Par exemple, en Italie. En Europe continentale, d'une manière générale, je dirais que nous sommes toujours dans le cadre d'un système public de répartition avec différentes caractéristiques, mais toujours fondé sur le principe de la répartition. Dans d'autres pays, on assiste à une progression des régimes de capitalisation.

Je crois que le développement des systèmes de retraite, la progression des systèmes privés et la diminution des systèmes de répartition vont nécessiter une certaine harmonisation du traitement fiscal des fonds de pension, une harmonisation de tous les mécanismes de régulation qui permettent ce qu'on appelle la " portabilité " des systèmes de pension d'un pays à l'autre. L'objectif ultime étant, bien sûr, d'améliorer la mobilité du travail.

Il s'agit là des principales caractéristiques concernant le marché du travail.

Pour en revenir à mon propos initial, toutes ces caractéristiques des politiques économiques concernent la structure du budget d'une manière ou d'une autre. En fin de compte, c'est toujours lié à la structure du budget, la composition, la structuration des revenus, des dépenses, à l'impact de ces éléments sur l'offre de main d'oeuvre et sur les prix relatifs de la main d'oeuvre.

On pourrait en fin de compte ajouter une tendance plus générale concernant la possibilité d'une réduction générale des revenus et des dépenses.

Il s'agit évidement d'imiter ce qui s'est passé aux Etats-Unis dans les années 1980 où l'on a assisté à la fois à une réduction des impôts et des dépenses avec un impact favorable sur la croissance. Ceci n'est cependant pas très facile à reproduire en Europe, compte tenu de l'économie sociale de marché à laquelle nous sommes habitués.

M. Joël BOURDIN, Président.- Merci Monsieur Paolo ONOFRI. Je vais laisser la parole à M. Joachim VOLZ.

M. Joachim VOLZ, Deutsche Institut Für Wirtschaftforschung (DIW, Berlin).-

Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, si j'ose vous parler en français, c'est en signe de respect pour le lieu où nous avons l'honneur de présenter cette réflexion et aussi de l'initiative prise par le Gouvernement français pour faire figurer dans le traité d'Amsterdam les objectifs en matière d'emploi comme priorité de l'Europe.

Entre-temps et dernièrement, lors du Conseil européen de Cologne, la place centrale de l'emploi parmi les priorités de l'Union européenne a été réaffirmée mais les moyens proposés relèvent moins d'une politique macro-économique coordonnée que de la mise en oeuvre simultanée sur le plan national des politiques de l'emploi, dans l'esprit de la politique de l'employabilité ou de flexibilité britannique.

La France n'est parvenue ni à faire adopter la recherche d'une croissance autour de 3 % parmi les objectifs chiffrés du Pacte, ni à faire accepter l'idée d'une conférence européenne annuelle sur les questions de l'emploi. Conférence à laquelle participeraient aussi bien la Banque Centrale Européenne que les ministères de l'Economie et du Travail et les partenaires sociaux.

En principe, on ne peut créer d'emplois que si la croissance économique est supérieure à la croissance de la productivité. Autre possibilité, le partage du travail, qui peut prendre différentes formes (travail à temps partiel, réduction du temps de travail, préretraite...) : une stratégie ayant comme condition d'augmenter le nombre d'emplois en baissant la durée moyenne du temps de travail.

Toutes les autres mesures des politiques d'emploi visent, soit à une plus grande efficacité, donc une plus forte productivité du travail, soit à une baisse des coûts du travail et ne créent donc pas des emplois.

Il est vrai que la baisse des coûts salariaux unitaires peut augmenter la compétitivité par une dévaluation réelle, et donc les exportations d'un pays.

Comme le montre le cas de l'Allemagne, surtout à partir de 1995, cette stratégie d'augmentations salariales très modestes aboutit également à une croissance très faible de la consommation privée et donc de la croissance économique.

Si vous regardez la comparaison des pays européens, vous pouvez voir qu'après 1995, l'augmentation de la consommation en Allemagne se situait autour de 0,5 % par an, alors que les autres pays avaient une augmentation de la consommation privée de 2,5 à 3 %.

Quel rôle peuvent donc jouer les politiques, dites spécifiques, du marché du travail ?

Avant de répondre à cette question, regardons les plans d'action nationaux, dont les lignes directrices pour 1999 ont été fixées au Conseil européen de Vienne en décembre 1998.

Celles-ci comportent quatre piliers :

- Améliorer l'employabilité, stratégie visant surtout à éviter le glissement du chômeur vers le chômage de longue durée.

- Développer l'esprit de l'entreprise, surtout avec une réduction de la pression fiscale sur le travail.

- Encourager l'adaptabilité des entreprises et de leurs travailleurs, promouvoir la flexibilité.

- Egalité des chances, surtout entre hommes et femmes.

Tout se passe comme si les pays estimaient que la responsabilité essentielle du chômage résidait dans un fonctionnement défectueux du marché du travail et que cette responsabilité restait foncièrement séparée de celle de la politique macro-économique.

Une stratégie libérale pense surtout que le chômage est structurel et préconise la suppression des rigidités du marché du travail, la baisse des salaires, les prestations et les cotisations sociales, à la fois pour diminuer les coûts du travail et inciter les inactifs à travailler.

Les partis de gauche ne pouvaient pas se rallier à cette stratégie. Mais elle inspire fortement les plans d'action nationaux comme la contribution du Chancelier allemand SCHROEDER, présentée la semaine dernière, sur la politique envisagée par les partis sociaux-démocrates.

Une autre stratégie préconise d'enrichir la croissance en emploi par la baisse de la durée du travail et le développement d'emplois dits de proximité, publics et sociaux.

Mais aucun accord global ne permet une harmonisation de telles stratégies en Europe.

La plupart des mesures sont fondées sur une stratégie ciblée visant à accroître l'employabilité par des aides spécifiques à cette catégorie de travailleurs et des réductions des cotisations, surtout pour les plus bas salaires. Des politiques donc dites actives du marché du travail.

De plus, dans de nombreux pays, les plans d'action nationaux sont restés une opération purement administrative, sans négociation et sans réelle prise en charge par les partenaires sociaux.

Le degré d'ancrage et les modalités des politiques actives sont à l'origine assez disparates selon le pays. En général, les plans d'action nationaux se traduisent par le fait que les politiques passives sont peu à peu remplacées par les politiques actives.

Par exemple en Suède, une politique active est obligatoire et remplace la politique d'indemnisation du chômage. En Allemagne et en Autriche, les politiques destinées aux jeunes ont un ancrage, via l'apprentissage surtout.

Dans les pays où la mise en place des mesures actives est bien ancrée dans les politiques du marché du travail, comme en Suède et au Danemark, où elles ont commencé à jouer un rôle majeur dans un passé récent comme dans le Royaume Uni ou la Finlande, les plans d'action nationaux ont surtout confirmé les politiques existantes.

Plusieurs pays comme l'Espagne, la Finlande, la Grèce mais aussi les Pays-Bas procèdent à un réaménagement des politiques de placement. D'autres, comme l'Irlande, réorientent la politique active dans un sens plus préventif. Les politiques actives sont destinées à faciliter le retour des chômeurs sur la marché de l'emploi. La formation, la réinsertion professionnelle, le maintien des liens avec le marché du travail et l'établissement d'un lien entre recherche d'emploi et indemnisation du chômage sont les principaux moyens utilisés pour y arriver.

Nous pouvons cependant observer aussi des effets d'aubaine (l'employeur par exemple aurait recruté même en l'absence de ces aides) ou de pure substitution entre certains groupes de travailleurs.

Dans le cadre d'un chômage élevé, les politiques actives peuvent être justifiées surtout par le souci de maintenir le lien avec le marché du travail et d'améliorer l'employabilité.

Il me semble qu'il existe un problème central : individuellement, chaque chômeur peut augmenter sa chance de retrouver un emploi en améliorant sa formation. Globalement, le problème est avant tout le manque d'emploi et, souvent, les mesures ne peuvent que changer la place dans la file d'attente.

Par ailleurs, la politique de flexibilisation globale visant notamment à assouplir la législation sur la protection de l'emploi, politique fortement recommandée par l'OCDE en 1994, rencontre de plus en plus de réserves. Certains gouvernements opèrent même à l'occasion du plan d'action national même un rééquilibrage de cette stratégie vers moins de flexibilité et plus de sécurité, tels le Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas.

Les études empiriques parviennent à établir un lien négatif entre les degrés de protection de l'emploi et la vitesse d'ajustement sur le marché du travail. Il est en revanche difficile de trouver un effet significatif sur le taux de chômage d'équilibre.

Une autre stratégie envisage la réduction des cotisations sociales financées par l'éco-taxe. Soit il s'agit d'augmenter le salaire disponible des travailleurs pour les inciter à ne pas rester oisifs et d'éviter la création de " trappes à la pauvreté ", soit il s'agit d'encourager les entreprises à embaucher plus de travailleurs non qualifiés.

Dans ce cas, la logique veut que la réduction des cotisations employeur soit compensée par une hausse des autres prélèvements sur les entreprises, que ce soit par l'éco-taxe ou bien par une taxation sur la valeur ajoutée. C'est le cas en Allemagne, en Italie et peut-être aussi en France.

En France, la taxe contribuerait à financer une réduction des charges sociales pour les bas salaires afin de faciliter le passage aux 35 heures.

Aux Pays-Bas, la réforme envisagée seulement en 2001 prévoit des crédits d'impôts pour les personnes dont le revenu est compris entre 70 et 100 % du salaire minimum, financés par un redéploiement sur l'imposition indirecte (éco-taxe et TVA).

L'objectif de la réforme est surtout d'inciter les travailleurs à temps partiel à accroître leur nombre d'heures travaillées.

Enfin, il y a encore des stratégies de partage du travail, comme le montre l'exemple unique de la France. Ce type de stratégie est difficile à réussir, en particulier parce que les salariés ne sont pas prêts à accepter des baisses de salaire mensuelles comme aux Pays-Bas où c'est un grand succès.

Quelques conclusions :

Il apparaît qu'une politique uniquement basée sur l'accroissement de la flexibilité et de l'efficacité dans l'ensemble des pays européens, préconisée par l'OCDE en 1994, n'est pas appropriée.

Concernant les politiques actives du marché du travail, nous pouvons conclure par trois propositions :

- La mise en oeuvre des politiques actives à destination des chômeurs de longue durée et des jeunes.

- Des actions plus précoces de prévention de l'exclusion du marché du travail.

- L'accentuation des programmes de formation.

Pour une approche institutionnelle dans le cadre européen, il y a des limites. Dans tous les cas, les mesures ne nécessitent guère de coordination à l'échelle européenne, même si elles sont intégrées dans les plans d'action nationaux.

Etant donné les limites des politiques actives du marché du travail, nous pouvons reprendre la question initiale, à savoir : quel rôle peuvent jouer ces politiques dans le cadre global d'une politique pour l'emploi ?

Les problèmes dits structurels seront d'autant mieux résolus que la croissance sera forte. Les entreprises, comme le montre l'exemple des Etats-Unis, n'hésitent pas à embaucher des travailleurs peu qualifiés, qu'elles forment elles-mêmes.

Malgré tout, après quelques années d'une croissance forte, on peut craindre que les tensions inflationnistes ne se renforcent. Aujourd'hui, les politiques actives du marché du travail sont surtout prévues dans une situation de conjoncture faible et d'un chômage élevé. Cependant, elles seront encore plus logiques et efficaces dans une période de reprise conjoncturelle pour éviter des tensions inflationnistes aussi longtemps que possible à l'aide d'un potentiel de travailleurs très flexible et hautement qualifié.

Les politiques pour l'emploi devraient donc être conçues pour affaiblir le lien entre croissance et inflation et pour baisser le taux de chômage d'équilibre.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques idées que je voulais développer devant vous.

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