II. EMPLOI ET CHÔMAGE

A. RETOUR AU PLEIN EMPLOI ?

La baisse du nombre de chômeurs depuis deux ans a contribué à alimenter un débat sur le retour de l'économie française au " plein emploi ".

La projection réalisée par l'OFCE ne permet évidemment pas d'y apporter de contribution définitive. Néanmoins, elle fournit une indication sur une évolution de l'emploi et du chômage cohérente avec un scénario de croissance donné.

Celui qu'a élaboré l'OFCE semble, a priori , favorable à la résorption du chômage, puisque la croissance y est soutenue sur le moyen terme (+ 2,8 % par an) et nettement supérieure à la croissance tendancielle de l'économie française.

Néanmoins, la croissance n'est pas le seul déterminant de l'évolution de l'emploi et du chômage à moyen terme : celle-ci dépend aussi de la productivité du travail et de l'augmentation de la population active.

1. Productivité du travail et emploi

• L'évolution de l'emploi résultant du taux de croissance de l'économie est déterminée dans une projection menée à l'aide d'un modèle par une hypothèse sur la tendance d'augmentation de la productivité du travail .

Celle-ci résulte à la fois de l'évolution de la productivité horaire et de celle de la durée du travail (une baisse - ou une hausse - de la durée du travail se traduit par un ralentissement - ou une accélération de la productivité par tête).

Depuis une dizaine d'années, la productivité horaire progresse au rythme de 2,4 % l'an, malgré une baisse sensible en 1995 et 1996 (+ 1,9 % l'an).

Par ailleurs, la durée du travail a baissé de 0,3 % par an depuis 1995, sous l'effet notamment du développement du travail à temps partiel, induisant un ralentissement équivalent de l'évolution de la productivité par tête.

Selon l'OFCE, l'application des 35 heures se traduirait par une baisse moyenne de 0,7 % par an de la durée globale du travail (ce point sera développé ci-après : B. Les inconnues des 35 heures).

Au total, les auteurs de la projection en déduisent une tendance d'augmentation à moyen terme de la productivité par tête de 1,7 % par an.

Cette hypothèse traduit une inflexion marquée par rapport à la tendance de la productivité par tête sur longue période (2,3 % par an entre 1980 et 1999), dont la contrepartie est un enrichissement du contenu en emplois de la croissance.

Cette inflexion n'est toutefois due qu'à l'impact de la réduction de la durée du travail. Or, certaines analyses suggèrent que l'évolution de la productivité du travail aurait connu depuis 1995 un ralentissement marqué imputable à d'autres facteurs, tels que l'allégement des charges sur les bas salaires ou, plus structurellement , à l'extension de la part des services (où les gains de productivité sont plus faibles que dans l'industrie) dans le PIB.

Afin de privilégier le caractère tendanciel de la projection et aussi parce que le diagnostic sur une rupture dans l'évolution de la productivité ou sur un enrichissement durable du contenu en emplois de la croissance demande à être confirmé sur le plan statistique, les experts de l'OFCE n'ont pas retenu une hypothèse du ralentissement de l'évolution de la productivité par tête plus marqué que celui que serait susceptible d'entraîner l'application des 35 heures.

Une hypothèse plus volontariste sur l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance aurait, en projection, des effets plus favorables sur l'évolution de l'emploi. C'est celle retenue par exemple par l'INSEE dans le scénario de moyen terme qu'il a élaboré au printemps dernier et qui est présentée plus loin (page 97). Votre rapporteur fait néanmoins observer qu'un enrichissement du contenu en emplois de la croissance a, sur le plan macroéconomique, des effets contrastés selon l'horizon considéré :

- à court terme, il se traduit par une augmentation plus forte de l'emploi et donc des revenus des ménages et de la consommation ;

- à moyen-long terme, une productivité plus faible (soit une croissance " plus riche en emplois ") permet de " partager " le travail mais diminue - relativement - le potentiel de croissance et la richesse nationale, et ralentit l'évolution des revenus salariaux (les salaires augmentant au rythme de la productivité).

• La projection de l'OFCE décrit une progression de l'emploi total de 1,2 % par an en moyenne entre 1999 et 2004, soit en moyenne 267.000 créations nettes d'emplois par an.
Ce résultat tient compte de la mise en oeuvre des 35 heures, qui se traduirait, selon l'évaluation de l'OFCE, par la création de 450.000 emplois supplémentaires en six ans. Il est cependant entaché de fortes incertitudes - évoquées ci-après - quant aux conditions de mise en oeuvre des 35 heures.

Il faut par ailleurs observer que cette évolution globale recouvre de fortes disparités sectorielles :

- l'emploi dans le secteur manufacturier n'augmenterait que de 0,2 % par an ;

- l'emploi dans les services progresserait de 2,5 % par an ;

- enfin, l'emploi dans le bâtiment augmenterait de 2,3 % par an.

La projection ne fait ainsi que prolonger et amplifier le " dualisme " sectoriel de l'emploi à l'oeuvre depuis vingt ans : entre 1980 et 1999, l'emploi dans le secteur manufacturier a baissé de 1,7 % par an alors que l'emploi dans les services augmentait de 2,1 % par an.

Seule la progression de l'emploi dans le bâtiment marque en projection une inversion de tendance (- 1,6 % par an entre 1980 et 1999).

2. Population active et chômage

Sur la base de projections socio-démographiques , l'OFCE retient une hypothèse d'augmentation de la population active potentielle de 130.000 par an, évolution moyenne qui recouvre une évolution plus rapide en début de période (+ 150.000 actifs potentiels par an), plus faible en fin de période (+ 110.000).

Toutefois, l'évolution de la population active effective diffère sensiblement de celle de la population active potentielle : en effet, en période d'augmentation de l'emploi, des travailleurs jusqu'alors " découragés " se présentent sur le marché du travail, entraînant ainsi une évolution de la population active observée supérieure à celle de la population active potentielle.

Ces phénomènes de " flexion des taux d'activité ", simulés par le modèle, se traduisent en projection par une augmentation de la population active effective de 161.000 par an .

Compte tenu de l'évolution respective de l'emploi et de la population active, le nombre de chômeurs diminuerait de 100.000 par an en moyenne sur la période 1999-2004.

Le taux de chômage passerait de 11,3 % en 1999 à 9,3 % en 2004.

Ces résultats appellent cinq remarques :

• Malgré un scénario de croissance à moyen terme soutenue, tel que le décrit la projection réalisée par l'OFCE, une période très favorable en termes de créations d'emplois et des hypothèses optimistes sur la mise en oeuvre des 35 heures, le chômage ne diminue que lentement .

Pour mémoire, il faut rappeler que le taux de chômage obtenu au terme de la projection (9,3 %) serait encore supérieur à celui de 1990 (9 %).

Ce résultat est par ailleurs corroboré par les travaux à moyen terme menés par l'INSEE au printemps dernier, selon lesquels, avec une croissance certes légèrement inférieure à celle affichée dans la projection de l'OFCE (2,6 % par an en moyenne contre 2,8 %) mais avec des hypothèses nettement plus favorables sur l'évolution de la population active, le taux de chômage en 2004 s'élèverait à 8,7 %.

• L'impression qui se dégage de ces travaux est que l'économie française, en dépit d'une croissance durable et soutenue, a du mal à " mordre " significativement dans la part non conjoncturelle du chômage, laquelle, par sédimentations successives, paraît s'être établie à un niveau élevé, de l'ordre de 8 à 9 % de la population active.

• Ceci s'explique, pour partie, par l'importance des " réserves " en main-d'oeuvre de l'économie française, lesquelles n'apparaissent pas dans les statistiques du chômage mais dans celles sur les taux d'activité (c'est-à-dire le rapport de la population active - personnes employées et chômeurs - à la population en âge de travailler) : on peut ainsi observer que le taux d'activité des jeunes de 16 à 24 ans ou, à l'autre " extrémité ", celui des personnes de plus de 55 ans, est en France parmi les plus faibles des pays développés. En période de reprise de l'emploi, il est dès lors naturel d'observer un retour de ces personnes sur le marché du travail et une accélération de l'évolution de la population active qui vient freiner la baisse du chômage.

• Au cours des années à venir, l'économie française devra faire face à une contradiction , difficile à gérer, entre l' excès global de l'offre sur la demande de travail, d'une part, et des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs, telle qu'on l'observe déjà aujourd'hui (dans le bâtiment, par exemple, ou pour certains emplois très qualifiés dans les nouvelles technologies) ou qu'on a pu l'observer à la fin des années 80, d'autre part.

• Peut-on considérer, au vu de ces travaux, que l'économie française, est sur le chemin d'un retour au " plein emploi " ? Bien que cette notion n'ait pas de pertinence économique 51( * ) , à l'horizon du moyen terme la réponse est à l'évidence négative.
Raisonner à un horizon plus lointain déborderait du cadre de ce rapport. Il faut cependant rappeler que pour des raisons démographiques (départs massifs à la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre), la population active devrait baisser entre 2005 et 2010 (de l'ordre de 20.000 par an). Outre que cette évolution posera des questions d'une toute autre ampleur -comment préserver la richesse d'un pays dont la part de la population au travail diminue fortement ?- elle ne garantit pas un retour au plein emploi.

Sur un plan empirique, on n'observe en effet dans les pays industrialisés aucune corrélation entre l'évolution de la population active et l'évolution du chômage.

Par ailleurs, si l'on considère qu'une part du chômage est liée aux caractéristiques profondes du marché du travail, à ses " rigidités ", il n'y a aucune raison pour que celles-ci disparaissent avec la réduction de ce marché du travail.

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