2. Le bilan de l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan est pour le moins mitigé

• La quasi totalité des Régions, ainsi que des ministères concernés par la contractualisation, y compris le ministère de la Ville, dressent aujourd'hui un bilan mitigé de l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan.

Votre rapporteur tient d'ailleurs à rendre hommage à la franchise et à la qualité des analyses du ministère de la Ville, comme du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, ce discours de vérité étant par ailleurs trop rare dans les réponses des autres ministères.

• En premier lieu, la négociation du volet politique de la ville des contrats de plan s'est engagée sous de mauvais auspices.

Ainsi, selon le ministère de la Ville " les quartiers prioritaires, d'une part, et le périmètre du contrat de ville, notamment lorsque l'échelle proposée était l'agglomération, d'autre part, n'ont pas été strictement imposés. Une large part était laissée à la négociation, à la responsabilité dans le partenariat et à la démarche de projet... [Mais] souvent les actions dont devaient faire l'objet ces quartiers n'ont pas été hiérarchisées sur la base d'un diagnostic fin des situations locales (publics et territoires concernés). D'une part, la sélection initiale des sites en contrats de ville, et d'autre part, les effets des négociations locales ont conduit à une inflation qui n'a pas toujours été contenue dans une démarche de projet rigoureuse malgré les indications données ".

Le rapport CHÉRÈQUE préconisait d'ailleurs l'intégration des contrats de ville dans l'enveloppe des contrats de plan dès avant la négociation des contrats de plan, afin d'éviter " une rupture ultérieure de l'équilibre des contrats " et un " processus inflationniste à retardement ".

Pour leur part, les Régions regrettent la procédure retenue, fondée selon elles sur " l'impérialisme de l'Etat ". En effet, selon une Région, " lors de l'élaboration du troisième contrat de plan, il n'y a pas eu de négociations réelles sur les contrats de ville. Il n'y pas eu de concertation ni sur le choix des villes, ni sur le choix des actions. Les contrats de ville ont donc été présentés complètement finalisés à la Région , qui ne les a pas signés ". Dans une autre Région, " lorsque les contrats de plan ont été signés, les modalités concrètes des contrats de ville n'avaient pas encore été définies ".

Plus généralement, les Régions critiquent " la posture régulatrice " de l'Etat, qui a cherché à imposer son " carcan réglementaire " et ses propres référentiels au travers d'une instruction procédurale des projets.

Par surcroît, l'Etat souhaitait imposer aux Régions une vision " sociale " des contrats de ville, alors que les Régions, estimant que les interventions sociales ne ressortaient pas de leurs compétences, mais de celles des Villes et des Départements, entendaient limiter leur intervention au volet " urbain " des contrats de ville 129( * ) .

Certaines Régions se sont donc efforcées " de ne pas se laisser entraîner sur un champ d'intervention trop vaste qui rendrait difficile la réalisation de leurs propres objectifs ", de sorte que les contrats de plan juxtaposent, sans réellement les coordonner, les interventions des Régions et les politiques de l'Etat.

Le ministère de la Ville reconnaît ainsi que " le contrat de ville ne prend son sens que s'il est conclu sur un objet partagé. [Or]...il est exact que certains contrats de ville ont été établis sur des bases parfois insuffisamment définies, voire sur des ambiguïtés quant aux enjeux considérés comme prioritaires par chacun des partenaires ". Certaines Régions s'estiment d'ailleurs pour partie flouées car " les programmes mis en oeuvre ne correspondent pas aux priorités initiales ".

• En second lieu, le calendrier et le cadre formel des contrats de plan se sont avérés parfois peu compatibles avec les particularités de la politique de la ville.

Par exemple, le ministère de la Jeunesse et des Sports indique que " les actions Jeunesse et Sports relevant de ces contrats (petits équipements sportifs, programmes d'animation globale, ...) s'intègrent parfois difficilement dans les contrats de plan Etat-Régions : les préoccupations locales en la matière se situent davantage dans le court terme que dans la logique de projet propre aux contrats de plan. Ceci explique pourquoi, pour la troisième génération de contrats de plan Etat-Régions, les actions Jeunesse et Sports relevant des contrats de ville n'ont pas coïncidé systématiquement avec celles inscrites dans les contrats de plan Etat-Région ".

Par ailleurs, selon le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, " l'articulation des contrats de ville dans les contrats de plan est complexe et peut parfois manquer de lisibilité pour les responsables régionaux. Si les deux procédures sont liées tant en termes de champ thématique que d'enveloppe budgétaire, la conduite, comme le calendrier, des deux démarches ne sont pas exactement en phase : la finalisation des contrats de plan Etat-Région intervient en amont de la procédure des contrats de ville ". Selon le ministère " ce décalage est néanmoins pour partie comblé par la coordination et l'information partagée avec la Délégation interministérielle à la Ville (DIV) ".

De même, le ministère de la Ville reconnaît que, s'agissant de " l'architecture financière du contrat, il est vrai que les difficultés d'une mise en oeuvre simple , lisible, de ce multipartenariat et de cette interministérialité ont fait l'objet de nombreuses et toujours actuelles critiques 130( * ) ".

Plus généralement, les délais et le calendrier imposé par l'Etat n'ont pas toujours rendu possible l'organisation d'une véritable concertation, de sorte qu'il fut parfois difficile de " faire remonter des projets " pour les inscrire dans le contrat de plan.

Il est vrai que cela s'explique pour partie par la nouveauté de la procédure. En outre, comme le souligne le ministère de la Ville " il ne peut être demandé à des procédures financières [comme le contrat de plan] de faire émerger à elles seules le projet partagé lorsqu'il n'existe pas ... Cette notion de projet pose évidemment la question de la capacité et de la légitimité des deux partenaires principaux, Etat et Ville, à sa définition ".

Or la construction d'un projet urbain global est difficile : selon le ministère de la Ville, " si la remise à niveau et le traitement endogène d'un quartier constituent l'élément du projet le plus facilement organisé et mis en oeuvre, la question de la fonction du territoire, de son lien avec le système urbain, reste, semble-t-il, à développer. En effet, ces aspects supposent une remise à plat du fonctionnement urbain au niveau communal ou d'agglomération qui touche à des politiques structurelles que les pratiques techniques ou politiques ont des difficultés à questionner. Ceci explique le fait que le principe d'intercommunalité des contrats de ville, affirmé initialement, ait, dans la réalité de leur mise en oeuvre, rencontré des difficultés. 40 % des contrats de ville ont été intercommunaux ".

De même, selon le ministère de la Ville " le choix d'aborder l'exclusion urbaine dans un cadre plus large que celui du quartier est d'une évidente pertinence, mais sa mise en oeuvre exige par contre un pilotage politique et technique d'une grande rigueur. Sinon, la vocation globale, tant thématique que territoriale de la politique de la ville peut conduire à une certaine dilution des moyens ".

Ces difficultés sont inhérentes à la politique de la ville, mais il n'est pas certain que l'inscription des contrats de ville dans les contrats de plan ait contribué à les dépasser. Le ministère de la Ville conclut ainsi que " dans la définition des contrats de ville du XIème plan, la démarche qualitative préalable a été insuffisante ".

• Par ailleurs, la mobilisation induite par l'inscription de la politique de la ville dans les contrats de plan fut inégale.

S'agissant des Régions , le ministère de la Ville indique que " l'inclusion de la politique de la ville dans les contrats de plan Etat-Région, avec les financements afférents, laissait espérer une mobilisation importante des conseils régionaux sur cette politique. Le bilan est contrasté... 14 conseils régionaux [métropolitains] sur 22 ont été signataires des contrats de ville alors qu'il existe bien un volet Ville dans tous les contrats de plan Etat-Région. 82 contrats de ville ont été signés par les conseils régionaux ".

Cependant, la plupart des Régions ont saisi cette opportunité pour redéfinir leur place et leur rôle dans la politique de la ville, et s'y sont fortement impliquées . Ainsi, certaines Régions ont développé, hors contrat de plan, des politiques contractuelles avec les Communes.

Par ailleurs, le ministère de la Ville se félicite de ce que " certains conseils régionaux et non des moindres (PACA, Ile de France) se sont dotés d'une organisation interne proche de celle de l'Etat, favorisant le travail entre les échelons régionaux (Etat et Région) et permettant une présence réelle et active des chargés de mission du Conseil régional aux instances départementales (Comité départemental ville) et locales (comités de pilotage des contrats de ville) ".

En outre le ministère de la Ville précise que " l'apport global des Régions de métropole [à la politique de la ville, dans le cadre des contrats de plan 1994-1999], s'élève à 4,3 milliards de francs , soit un quadruplement par rapport au Xème Plan et un doublement si on ne prend pas en compte, dans ce calcul, la région Ile de France " : l'Etat a ainsi obtenu de la part des Régions des contributions accrues à des politiques qui sortent largement de leurs compétences.

Le ministère de la Ville estime donc que l'inscription de la politique de la ville dans les contrats de plan a été un " atout " car " l'apport en terme financier des conseils régionaux n'a pas été négligeable, même s'il faut constater quelques écarts entre leurs engagements financiers et leurs réalisations concrètes ". En d'autres termes, l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan a accru les moyens de la politique de la ville, via les dépenses supplémentaires consenties, plus ou moins nolens volens , par les Régions.

A l'inverse, certaines Régions soulignent que " l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan Etat-Région est largement de l'ordre du symbolique [en ce qui concerne les contributions de l'Etat] puisque les moyens [de l'Etat] de la politique de la ville n'ont pas été accrus ". Le ministère de la Ville confirme d'ailleurs que " les crédits mobilisés au titre des différents ministères dans les contrats de plan apparaissent modestes, du fait sans doute des dysfonctionnements relevés dans l'articulation entre la négociation des contrats de ville au niveau départemental et celle au niveau régional des contrats de plan Etat-Région ".

Le ministère de la Ville reconnaît en outre la difficulté pour l'Etat " à parler d'une seule voix ", ce qui réduit sa double légitimité comme garant de la solidarité et de la cohésion nationales, d'une part ; comme partenaire-acteur à travers ses " compétences strictement régaliennes (sécurité-justice) ou effectives (éducation nationale, financement du logement) ".

Par ailleurs, même si 49 Conseils généraux ont été, selon des formules diverses, cosignataires des contrats de ville, " essentiellement sur leurs procédures et leurs crédits de droit commun ", le ministère de la Ville reconnaît que " le mode d'élaboration des contrats de plan Etat-Région n'a toutefois pas permis de donner aux conseils généraux la place que leurs compétences justifiaient ".

Enfin, selon le ministère de la Ville " l'ouverture à un partenariat diversifié (Caisses d'allocations familiales, Caisse des Dépôts et Consignations, offices d'HLM) a été réelle et bénéfique... [Mais] les offices HLM ne se sont pas mobilisés à la hauteur des espérances ".

Au total, il n'est pas certain que l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan Etat-Région favorise la mobilisation de tous les acteurs de la politique de la ville, même si, selon le ministère de la Ville, cette intégration " a permis d'engager un partenariat contractuel ville-Etat-conseil régional dont on ne peut être sûr qu'il se serait formalisé sans cela ".

• L'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan possède cependant quelques vertus propres.

Tout d'abord, cette intégration favorise une transparence financière accrue pour la politique de la ville, même si, comme l'indique le ministère de la Ville " les contrats de ville ne résument pas à eux seuls les moyens mis à disposition de la politique de la ville. C'est le rôle du document annexé au projet de loi de finances et intitulé état récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et au développement social urbain ".

Par ailleurs, cette intégration peut favoriser la mise en cohérence de la politique de la ville et des interventions régionales en matière de développement économique et de formation professionnelle.

Enfin, la procédure de contrat de plan Etat-Région consolide et sécurise les dotations budgétaires à la politique de la ville, ce qui redonne un peu de visibilité aux acteurs locaux, notamment aux associations.

En effet, selon le ministère de la ville " les crédits contractualisés de la politique de la ville, du fait de ce positionnement [dans les contrats de plan], ont été toujours assurés par la direction du budget qui a garanti les enveloppes annuelles demandées ".

En outre, l'intégration des contrats de ville aux contrats de plan Etat-Région a permis " de consolider les contreparties nationales nécessaires à l'obtention des fonds communautaires qui sont venus abonder ceux de la politique de la ville au cours du contrat de plan (programme d'initiative communautaire URBAN, FSE Ville, Objectif 2) ".

• Au total, le ministère de la Ville estime que " l'intégration des contrats de ville au contrat de plan Etat-Région a donc été globalement bénéfique ".

De même, certaines Régions estiment qu'il s'agit plutôt " d'une bonne chose, puisqu'elle permet de maximiser les financements sur la politique de la ville ".

Néanmoins, selon d'autres Régions " les résultats ne permettent pas d'affirmer que la contractualisation [Etat-Région] ait été source de valeur ajoutée pour la politique régionale d'agglomération ". A bien des égards, les atouts prêtés à l'inscription de la politique de la ville dans les contrats de plan procèdent en effet de la démarche propre des contrats de ville, qui favorise l'échange, la rencontre et la synergie des partenaires, mais pas de l'intégration des contrats de ville dans les contrats de plan.

• Ce bilan mitigé de l'inscription des contrats de ville dans les contrats de plan s'étend souvent à l'intégration des autres démarches contractuelles de développement local dans les contrats de plan.

Les Régions soulignent pourtant l'intérêt de principe de la démarche, qui favorise la territorialisation des politiques publiques. Mais elles portent une appréciation critique sur les modalités de mise en oeuvre retenues par l'Etat, fondées sur des procédures définies unilatéralement au niveau national.

Par exemple, en Picardie, " la Région pratique depuis 1987 une politique de développement local pour laquelle elle conventionne avec 41 structures de développement local qui recouvrent tout le territoire régional. L'Etat n'a pas souhaité s'associer à cette procédure et a proposé la reconduction de la procédure nationale de Programme d'aménagement concerté du territoire (PACT). Mal positionnée par rapport aux autres dispositifs existants, la procédure des PACT a été utilisée par les collectivités locales comme un outil financier supplémentaire plutôt qu'elle n'a permis d'atteindre les objectifs poursuivis en matière de développement territorial ".

Le bilan conjoint Etat-Région de l'exécution du contrat de plan pour 1996 précise d'ailleurs que les procédures PACT et CDU se sont caractérisées par des dispositifs trop lourds et une approche sectorielle devenue parfois prépondérante, de sorte que ces procédures ont favorisé une logique de guichet et de saupoudrage des crédits, et n'ont pas impulsé ou fédéré des dynamiques.

A l'inverse, certaines Régions ont engagé avec succès des démarches de développement local en dehors du cadre des contrats de plan. Par exemple, la Région Bourgogne indique avoir " développé 58 chartes intercommunales entre 1985 et 1999, sur 80 % de son territoire, avec plus de 130 millions de francs engagés sans aucune intégration de cette politique au contrat de plan ".

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