C. LES CONTRATS DE PLAN FAVORISENT L'OPACITÉ DES DÉPENSES PUBLIQUES

A priori , les procédures contractuelles devraient favoriser la lisibilité et la transparence des politiques publiques et des dépenses publiques, puisqu'elles prévoient des financements précis pendant une période donnée sur des opérations préalablement définies.

• C'est d'ailleurs la conclusion de la DATAR :

" Les dépenses sont totalement transparentes . Elles figurent dans le texte de chaque contrat de plan. Les montants délégués par les ministères aux préfets sont présentés par la DATAR au Parlement chaque année dans le cadre des questionnaires relatifs au projet de loi de finances. Les préfets et les conseils régionaux élaborent à la fin du premier semestre de chaque année un bilan conjoint des sommes engagées au cours de l'année précédente. [Néanmoins ?], les résultats des conseils régionaux sont souvent recueillis par les préfets sur la base de leurs déclarations ".

De même, le ministère de l'Equipement indique que " les dépenses de l'Etat sont soumises au contrôle financier central, aux contrôles financiers déconcentrés (pour les dépenses déconcentrées), à celui de la Cour des Comptes et votées par le Parlement. Il n'y a donc pas d'opacité de la dépense publique. Les contrats de plan favorisent toutefois une collaboration sur le processus de décision et de réalisation des investissements publics, entre l'Etat et les collectivités territoriales notamment. En ce sens, ils favorisent la transparence des choix faits par la puissance publique ".

• Certains ministères sont plus nuancés .

Ainsi, selon le ministère de la Jeunesse et des Sports, " les contrats de plan Etat-Région favorisent une meilleure lisibilité des dépenses du ministère, fléchées sur un certain nombre d'opérations jugées prioritaires. Cependant, localement, les opérations réalisées au titre des contrats de plan Etat-Régions souffrent de façon générale d'un déficit de communication sur les partenaires financiers et leurs contributions respectives ".

Pour sa part, le ministère de l'Agriculture précise qu'il " est certain que le contrat de plan favorise la transparence des dépenses dès lors que les actions à soutenir ont été fixées d'un commun accord avec les collectivités territoriales qui ont la possibilité de vérifier si l'Etat a respecté ses engagements et réciproquement. Une parfaite transparence nécessite néanmoins une bonne coordination lors de la mise en place des financements de chaque cocontractant ainsi que l'établissement d'un bilan financier régulier et fiable ".

Enfin, si le ministère du Tourisme indique en réponse à votre rapporteur que " les crédits contractualisés du tourisme sont rassemblés dans deux chapitres budgétaires spécifiques (chapitres 44.01.33 et 66.01.10), ce qui permet une parfaite transparence des crédits d'intervention affectés aux opérations d'intérêt régional et local ", une note interne du ministère, jointe aux réponses au questionnaire, expose cependant qu'il " faut se garder d'isoler, de façon trop artificielle, les seuls crédits du ministère chargé du tourisme, alors que ceux-ci interviennent en complément des financements qui portent sur des masses significatives (financement de l'Etat et de l'Europe, mais également des collectivités territoriales et en particulier des départements). C'est ce qui rend l'analyse des mesures tourisme et de leur impact complexe ; les crédits tourisme sont la partie visible d'un ensemble plus vaste où s'agrègent plusieurs sources de financement et dont les effets ne peuvent être valablement appréciés isolément. Le caractère transversal du tourisme rend sans doute difficilement évitable cet inconvénient, il reste que le manque de lisibilité de ce dispositif, dont les résultats sont évalués de façon lacunaire, nuit à sa crédibilité ".

• Les Régions sont encore plus sceptiques.

Elles distinguent en général entre les " acteurs locaux " et le grand public.

S'agissant des citoyens , le Commissariat général du Plan souligne que " la période de préparation des contrats de plan Etat-Région correspond à un moment fort et intense de la vie régionale. Dans le cadre des travaux stratégiques préalables au contrat de plan, les Régions ont pris des initiatives pour informer leurs administrés des politiques publiques et pour les consulter sur les travaux qu'elles ont engagés. Nombreuses sont celles qui organisent des réunions publiques dans les différentes parties du territoire régional, des consultations par sondage et/ou questionnaire, des assises et des états généraux du développement.

Ces manifestations visent à mobiliser la population pour la faire participer à la création de l'avenir de sa région, dont la traduction se trouvera, pour l'essentiel, dans le contrat de plan. La contractualisation contribue à apporter une certaine transparence des dépenses de l'Etat puisque les engagements de tous les partenaires sont clairement identifiés et désignés dans le contrat rendu public
".

De même, les Régions ont souvent veillé à informer le grand public sur les participations financières de l'ensemble des partenaires du contrat de plan.

S'agissant des opérations routières, cet objectif d'information figure par exemple parmi les conditions d'application du contrat de plan pour l'Alsace, qui stipule que " le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre feront état, après consultation et accord des financeurs, des financements obtenus et de leurs auteurs. Les mentions seront explicitées et facilement identifiables sur tous documents diffusés ou informations sur le lieu des opérations ".

Malgré leurs efforts, la plupart des Régions indiquent cependant que " le contrat de plan demeure essentiellement un contrat conclu entre collectivités publiques. Sa diffusion dans le public est faible "... " Le contrat de plan n'est pas une procédure très connue du grand public "... " La procédure des contrats de plan est encore difficilement comprise par l'ensemble des citoyens et reste illisible ".

La DATAR reconnaît également que " la procédure de contrat de plan n'est pas encore suffisamment connue des citoyens ".

Cela provient notamment, selon les Régions, de ce que " la procédure de contractualisation était à l'origine essentiellement un exercice de planification de nature technique, qui a permis de favoriser le dialogue entre acteurs, mais dont la vocation initiale n'était pas de favoriser l'information du citoyen ", et de ce que " le contrat de plan [demeure] un document à la fois bipartite et technocratique " .

En outre, le document de contrat de plan " ne cible pas vraiment les actions phares ", en mettant au même plan des dépenses et des projets de portée vraiment différente.

Par ailleurs, le contrat de plan ne donne qu'une vision tronquée des dépenses de l'Etat et des Régions, dans la mesure où l'essentiel de leurs politiques est hors contrat de plan.

Les documents de contrat de plan sont donc peu parlants, pour les citoyens, voire pour les élus. La démarche contractuelle ne favorise guère la " démocratie procédurale ".

La lecture des contrats de plan est ainsi réservée aux initiés .

Pourtant, même les initiés ont du mal à s'y retrouver.

• S'agissant des acteurs locaux et des partenaires associés à la procédure (collectivités locales, organismes socio-professionnels), qui sont sollicités pour l'élaboration des contrats et qui bénéficient de sa mise en oeuvre, la plupart des Régions estiment certes, dans l'ensemble, que "  la connaissance de la procédure s'est accrue d'un contrat à l'autre " et que " la procédure semble bien comprise... au regard des nombreuses contributions reçues ".

Les Départements, les Villes et les organismes consulaires ont d'ailleurs accumulé une expertise croissante en matière de contrats de plan : l'expérience aidant, ils connaissent mieux l'intérêt et les limites de l'exercice.

De plus, les services des Régions font " un réel effort de vulgarisation à leur endroit en animant des séances de présentation, d'information et d'animation ". De même, certaines Régions, comme la Lorraine, ont " adressé le contrat de plan à l'ensemble des partenaires qui avaient contribué à son élaboration (environ 1000 personnes). En outre, une lettre spéciale sur le contrat de plan a été éditée et adressée aux partenaires de la Région et aux décideurs locaux ".

Néanmoins, les acteurs locaux se heurtent aux difficultés déjà relevées par votre rapporteur : le flou de certains objectifs ou de certaines actions, d'une part ; les incertitudes sur la portée des contrats et sur le sens des engagements des partenaires de l'Etat et de la Région, d'autre part.

En outre, le caractère " global " de la procédure et le fait qu'une large part des contrats est parfois négociée en tête à tête entre le SGAR et le Directeur général des services de la Région, ou bien entre fonctionnaires de la préfecture et de la Région, rendent la procédure et le document de contrat de plan difficiles à lire pour les élus locaux.

Par surcroît, le rapport CHÉRÈQUE précisait que " l'insuffisance de règles sur le champ contractualisé... a brouillé la frontière entre les domaines contractuels et non contractuels, ôtant aux contrats une partie de leur lisibilité ".

Par ailleurs, les Régions soulignent que " la transparence des dépenses de l'Etat implique un suivi fiable et performant qui permette de mesurer le niveau réel des dépenses contractualisées de l'Etat par rapport aux crédits ordinaires, ainsi que leur non substitution par des fonds structurels européens ". Or les carences du suivi détaillées au chapitre III ne permettent pas une réelle transparence. En fait, la publication de montants financiers précis ne fait que masquer le flou des concepts et des définitions sous-jacentes, ainsi que la méconnaissance de l'avancement des projets comme de l'efficience des politiques entreprises.

En particulier, contrairement à ce qu'indique la DATAR, les données annuellement transmises au Parlement ne lui permettent qu'une appréhension très vague de l'exécution des contrats de plan.

Comme le concluent des Régions " la procédure des contrats de plan ne favorise [donc] pas la transparence des dépenses de l'Etat " et " la transparence est beaucoup plus évidente dans les documents budgétaires ", dont l'actualité a pourtant montré les limites.

Qui plus est, " c'est moins le contrat de plan en tant que procédure qui est connu par les acteurs locaux que les actions qu'il contient et qui ont un impact direct sur " le terrain ". Cela peut d'ailleurs soulever un problème d'identification des financeurs a fortiori lorsqu'est mis en place un système de financement alternatif (Etat/Région/Fonds structurels) au titre des aides économiques par exemple ".

Plus généralement, certaines Régions indiquent que " la complexité de la démarche, l'éloignement relatif des acteurs, les délais de prise de décision rendent la lisibilité du processus sûrement peu claire ", voire que la procédure est en fait " très mal comprise : il y a un mythe du contrat de plan qui serait une grosse tirelire qui s'ouvre tous les cinq ans et dans laquelle il faut absolument être. C'est malheureusement vrai dans certains cas, mais loin d'être général. Il y a une vie publique en dehors du contrat de plan ".

• Par ailleurs, la quasi totalité des Régions estiment que la procédure de contrat de plan ne favorise pas l'identification de l'action publique, au contraire.

Cela résulte surtout de la tendance des contrats de plan Etat-Région à multiplier les chevauchements de compétences et les " financements croisés ", c'est à dire les cofinancements mutuels sur les compétences des uns et des autres.

En effet, " l'augmentation des financements croisés, du nombre d'échelons d'intervention pour une même action contractualisée entraînent un manque de lisibilité de l'action publique "... " Dans certains domaines, le contrat de plan conduit [même] à une illisibilité de l'action publique, par exemple lorsque les projets financés à l'issue des commissions mixtes sont répartis par financeur sans aucun critère objectif ".

Au total, selon une Région " le contrat de plan a pour effet d'opacifier les procédures de financement. En quoi, le fait que les collectivités financent des bâtiments de l'enseignement supérieur est-il facteur de transparence des dépenses de l'Etat ou des collectivités ? En quoi le fait que des opérations de moins de x milliers de francs soient financées à la fois par l'Etat, l'Union européenne, la Région et souvent d'autres cofinanceurs est-il facteur de transparence ? ".

• Les observateurs sont d'ailleurs extrêmement sévères à l'encontre des financements croisés. Ainsi, selon Michèle CASCALÈS, alors Chargée de mission au Commissariat général du Plan, " les contrats de plan devraient être un outil stratégique, réservés à un nombre limité d'objectifs, concentrés sur quelques compétences, plutôt que d'être, comme aujourd'hui, un immense fourre-tout dans lequel personne ne voit clair. Le système des financements croisés conduit à l'opacité et à l'irresponsabilité , d'autant plus que personne n'est capable de dire, aujourd'hui, où en est la consommation de crédits " 135( * ) .

De même, La Cour des Comptes indique 136( * ) que " les contrats de plan Etat-Région ont contribué à multiplier le nombre des secteurs dans lesquels existent des financements provenant de diverses sources pour une même catégorie d'investissements : équipements universitaires, routiers, culturels, politique de la ville, pour l'essentiel... [Les contrats de plan ont ainsi] contribué à institutionnaliser les financements croisés qui sont source d'opacité et de déresponsabilisation ".

• En conclusion, rappelons que la contractualisation ne saurait être une fin en soi. La contractualisation n'a de sens que si elle conduit à renforcer l'efficacité et l'efficience de l'action publique, ce qui suppose un contrôle, et ce contrôle nécessite un minimum de transparence .

Or, même si la contractualisation Etat-Région favorise l'information et la consultation des citoyens, il n'est pas sûr qu'elle permette une plus grande clarté de la dépense publique. La procédure est en effet devenue de plus en plus technocratique avec l'augmentation du champ de la contractualisation.

En outre, la multiplication des financements croisés tend à brouiller le " qui fait quoi " : les électeurs-contribuables ignorent qui décide et finance certains projets, et certains élus ont parfois du mal à s'y retrouver.

A l'opacité induite par les financements croisés, s'ajoute d'ailleurs celle résultant des transferts fiscaux entre collectivités publiques.

En particulier, l'affichage sur un panneau de chantier routier d'une participation de l'Etat de 27,5 % du coût du projet n'a aucune signification économique dès lors que l'Etat récupère directement - et quasiment sans délais - la TVA afférente, soit près de 20 % du coût hors taxes des travaux ou plus de 16 % de leur coût TTC : sa participation nette réelle s'établit donc en fait à 11 % du coût du projet.

Au total, la contractualisation Etat-Région tend ainsi à complexifier, sinon à opacifier les liens entre les dépenses publiques, les budgets adoptés par les collectivités publiques et enfin l'impôt (national ou local), ce qui ne peut que brouiller le débat démocratique. La transparence et la lisibilité des dépenses publiques sont en effet l'un des fondements de la démocratie .

L'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 prévoit ainsi que " tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi , et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ".

• Il est donc indispensable de simplifier et de clarifier la procédure de contrat de plan, afin que celle ci concoure effectivement à une meilleure connaissance de l'utilisation des deniers publics, et qu'elle ne soit pas seulement une pratique technocratique intéressant un nombre restreint d'élus et de fonctionnaires.

Cette préoccupation n'est hélas pas nouvelle : elle avait déjà été énoncée lors du CIAT d'avril 1987, qui tirait les leçons de l'exécution des premiers contrats de plan.

Les principales solutions sont d'ailleurs bien connues :

- resserrer la contractualisation sur un nombre limité d'objectifs clairs ;

- limiter les financements croisés, en particulier pour les petits dossiers et désigner pour chaque action un " chef de file ", voire un financeur unique, en fonction des compétences propres de chaque partenaire ;

- améliorer le suivi financier et le suivi réel des actions contractualisées.

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