Le Sénat, législateur, peut-il considérer son rôle achevé une fois la loi votée ? Non car il faut, d'abord, veiller à la réelle application de la loi et, ensuite, le cas échéant, peser sur les conditions d'application de la loi 

Pourquoi contrôler l'application des lois ?

1 - Veiller à l'application des lois votées

Le système constitutionnel français distingue, d'une part, les matières législatives qui doivent faire l'objet de lois et, d'autre part, des matières réglementaires qui relèvent, en principe, de textes de valeur inférieure, les règlements (décrets et arrêtés).

Cette distinction a deux origines principales :

  • d'un point de vue politique, il s'agit de préserver les compétences propres du Gouvernement et d'éviter que le législateur ne trouble, par des interventions trop fréquentes, l'action de l'exécutif ;
  • d'un point de vue technique, elle vise à préserver la solennité, la pérennité et la souplesse des lois. Les lois n'évoquant que des matières fondamentales et laissant les détails à des textes d'application réglementaires pris par le Gouvernement : elles doivent, en principe, durer et donc gagner en crédibilité.

En conséquence, il est nécessaire, le plus souvent, qu'une loi votée par le Parlement soit suivie de textes réglementaires, élaborés par le Gouvernement. Ces textes, dits «textes d'application», ont pour objet de définir les modalités précises et pratiques de mise en œuvre des lois.

L’entrée en vigueur effective d'une loi votée par le Parlement est alors suspendue à la parution de textes réglementaires, élaborés par le Gouvernement. Ces textes, dits «textes d'application», ont pour objet de définir les modalités précises et pratiques de mise en œuvre des lois.

Les décisions du Parlement, pour être mises en application, sont ainsi tributaires de l'attitude du Gouvernement, en particulier de sa capacité ou de sa volonté à prendre rapidement des textes d'application des lois votées. Or le Sénat constate régulièrement que des lois votées et juridiquement entrées en vigueur demeurent concrètement non applicables ou seulement partiellement applicables faute des textes réglementaires adéquats.

2 - Peser sur les conditions concrètes de mise en œuvre de la loi votée

Au-delà du nombre de textes d'application effectivement pris par le Gouvernement, il convient aussi de s'intéresser au contenu de ces textes. Il va de soi, en effet, que l'application d'une loi dépendra largement de l'interprétation de ses dispositions par les textes réglementaires d'application. Ici encore, un exemple : une loi de protection de l'environnement prévoyait la création de conseils départementaux de l'environnement. Or le Gouvernement n'a pas élaboré le décret fixant la composition de ces conseils, considérant que leur utilité n'était pas « évidente ». Au-delà de ce type d'inapplication « Au-delà du nombre de textes d'application effectivement pris par le Gouvernement, il convient aussi de s'intéresser à leur contenu. Il va de soi, en effet, que l'application d'une loi dépendra largement de l'interprétation de ses dispositions par les textes réglementaires d'application. Les dispositions de textes d'application ne doivent pas déformer la volonté du législateur.

Le contrôle de l'application des lois a donc ainsi pour objet de faire en sorte que les textes d'application soient conformes à cette volonté.

Comment le contrôle de l'application des lois est il assuré ?

Afin de veiller à la correcte application des lois, le Sénat a pris l'initiative, en 1971, de mettre en place un dispositif de contrôle de l'application des lois.

1 - Les commissions permanentes sont responsables du contrôle de l’application des lois

Le Règlement du Sénat charge chaque commission permanente, dans son domaine de compétence, du suivi de l’application des lois[1].

À cet effet, les commissions permanentes distinguent, pour chaque texte promulgué, les dispositions directement applicables et celles nécessitant la parution d’un texte réglementaire. Elles relèvent les mesures d’application au fur et à mesure de leur publication et les mentionnent dans le dossier législatif du texte concerné publié sur le site internet du Sénat.

Le rapporteur est également chargé de suivre l'application de la loi après sa promulgation et jusqu'au renouvellement du Sénat, y compris les ordonnances publiées sur son fondement. Il peut être confirmé dans ces fonctions à l'issue du renouvellement, les commissions pouvant désigner un autre rapporteur à cette fin.

Chaque année, un bilan de l’application des lois est effectué par son président devant la commission.
Il relève en particulier les textes votés qui ne peuvent être mis en application faute de publication des textes réglementaires.

Il revêt aussi un aspect plus politique en vérifiant, par un examen de fond, si les textes d'application respectent bien la volonté exprimée par le législateur lors du vote de la loi.

Au-delà de l’application des lois proprement dite, les commissions permanentes assurent également le suivi de la parution des ordonnances publiées sur le fondement de l’article 38 de la Constitution. Un « tableau de bord » élaboré par la direction de la séance et régulièrement mis à jour est publié sur le site internet du Sénat. Chaque commission intègre dans son bilan annuel de l’application des lois ses observations sur l’utilisation des habilitations législatives entrant dans son champ de compétences et obtenues par le Gouvernement.

Par ailleurs, la commission des affaires européennes dresse chaque année un bilan des suites données par le Gouvernement aux résolutions européennes et avis adoptés par le Sénat sur des projets d’actes européens en application des articles 88-4 et 88-6 de la Constitution.

2 - La publication du bilan annuel de l'application des lois et les échanges avec le Gouvernement

Un des vice-présidents du Sénat est chargé par le Bureau d’élaborer un bilan annuel de l’application des lois, sur la base du suivi effectué par chaque commission permanente et à partir de ses propres échanges avec le Secrétariat général du Gouvernement qui, auprès du Premier ministre, est chargé de la coordination interministérielle de la mise en application des lois.

Ce bilan est détaillé dans un rapport annuel public qui fait généralement l’objet d’un débat avec le ministre chargé des relations avec le Parlement au cours duquel s’expriment également les présidents de commissions permanentes et les présidents de groupes politiques.

3 - Les suites du contrôle de l'application des lois

Sur la base du suivi régulier effectué par les commissions permanentes et du bilan annuel qui en résulte, le Sénat dispose de nombreux moyens d’interpeller le Gouvernement sur la non-parution de textes d’application des lois ou sur le contenu de textes qui s’écarteraient des objectifs poursuivis lors de l’adoption d’une disposition législative par le Parlement.

Individuellement, les sénateurs peuvent recourir aux questions écrites ou orales, ou saisir directement les membres du Gouvernement.

Les commissions permanentes et autres instances du Sénat peuvent quant à elles procéder à l’audition du ministre ou soulever la question et émettre des préconisations dans le cadre de leurs travaux d’information et de contrôle. 

[1] Une commission sénatoriale pour l’application des lois chargée d’établir des rapports thématiques a également été mise en place entre 2011 et 2014.