Le contrôle de conformité des lois à la Constitution a pour objet de faire respecter la hiérarchie des normes, dont l'ordonnancement fonde le principe de légalité démocratique : la loi n'est pleinement légitime que si elle respecte les principes supérieurs posés par la Constitution et si elle a été adoptée selon une procédure régulière. 

L'idée de confier le contrôle de constitutionnalité à un organe externe au Parlement a cheminé très lentement en France, car la souveraineté des assemblées et la crainte du « Gouvernement des juges » sont des dogmes solidement ancrés.

À ce titre, la Constitution de la Ve République, en créant le Conseil constitutionnel en 1958, puis en ouvrant largement sa saisine à 60 députés ou 60 sénateurs en 1974 et en instaurant en 2008 un contrôle de la constitutionnalité des lois en vigueur (la question prioritaire de constitutionnalité), a marqué une réelle rupture avec une tradition juridique jusque là fort réservée à l'encontre du contrôle de constitutionnalité.

Si cette technique de démocratie n'est plus réellement contestée aujourd'hui, la question de la force de la loi votée par le Parlement a néanmoins pris un nouveau tour avec la montée en puissance de nouvelles formes de contrôle par des juridictions internationales spécialisées, la Cour européenne des droits de l'homme, notamment.

Un contrôle à la genèse hésitante

1 - Le contrôle virtuel d'une assemblée politique

La Constitution de l'an VIII confiait au Sénat, sur saisine exclusive de l'Empereur et du Tribunat, le pouvoir d'apprécier la constitutionnalité d'une loi après son adoption par le Corps législatif, et avant sa promulgation.

De même sous le Second Empire, le Sénat, principalement nommé par l'Empereur, était chargé de ce contrôle qui demeura exclusivement théorique.

Sous la IIIe République, il n'existait pas de contrôle à proprement dit, si ce n'est une appréciation souveraine par les deux chambres du Parlement, exercée à égalité de droits sur l'opportunité de discuter de tel ou tel texte.

2 - Le contrôle inusité d'un organe mi-politique, mi-juridictionnel

Sous la IVe République, le contrôle de constitutionnalité portait uniquement sur la régularité formelle des lois. Il ne pouvait pas conduire à annuler des lois anticonstitutionnelles, mais seulement à retarder leur promulgation jusqu'à l'éventuelle révision de la Constitution. Ce contrôle était assuré par un Comité constitutionnel présidé par le Président de la République et constitué du Président de l'Assemblée nationale, du Président du Conseil de la République, de sept membres élus par l'Assemblée nationale et de trois membres élus par le Conseil de la République.

Le Comité ne pouvait être saisi que par une action conjointe du Président de la République et du Conseil de la République statuant à la majorité de ses membres. Son rôle était principalement de faire respecter les prérogatives de la seconde chambre, très réduites par la Constitution de 1946, tout en ménageant une phase de conciliation avec l'Assemblée nationale. Pour autant, il ne fut saisi qu'une seule fois, en 1948, sans même statuer puisqu'un accord fut trouvé entre les deux chambres.

3 - Le contrôle timide d'un organe juridictionnel

- Un organe particulier à nomination politique mais à vocation impartiale

Le titre VII de la Constitution du 4 octobre 1958 est entièrement consacré à un nouvel organe : le Conseil constitutionnel.

Aux termes de l'article 56, le Conseil comprend, à vie des membres de droit - les anciens Présidents de la République[1]- et, pour un mandat de neuf ans non renouvelable, des membres nommés par tiers tous les trois ans, par les plus hautes autorités de l'État : trois par le Président de la République, trois par le Président du Sénat et trois par le Président de l'Assemblée nationale. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les nominations du Président de la République sont soumises à l'avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Il ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Quant aux nominations effectuées par le président de chaque assemblée, elles sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée.

Le Président du Conseil constitutionnel est nommé en son sein par le Président de la République. Il dispose d'une voix prépondérante en cas de partage. Aucune compétence ni titre particulier n'est requis pour être nommé membre du Conseil, même si, en pratique, les autorités de nomination désignent le plus souvent d'éminents juristes et d'excellents connaisseurs de la vie politique et parlementaire. 

Contrairement à certaines juridictions constitutionnelles d'inspiration anglo-saxonnes, le Conseil constitutionnel n'admet pas la publicité de ses délibérations ni la publication d'opinions dissidentes. Les décisions prises à la majorité des membres du Conseil engagent le Conseil tout entier, « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives juridictionnelles », et « ne sont susceptibles d'aucun recours » (article 62 de la Constitution).

- Des attributions diverses

Le Conseil dispose de compétences d'attribution : en d'autres termes, il ne peut exercer que les seules compétences qui lui sont expressément attribuées par la Constitution. Il a trois attributions principales :

  • En tant que juge constitutionnel, il contrôle la constitutionnalité des normes : 

    - soit directement après le vote de la loi (contrôle a priori) sur la saisine d'une des autorités suivantes : Président de la République, Premier ministre, Président du Sénat, Président de l'Assemblée nationale, soixante députés ou soixante sénateurs (article 61 de la Constitution).

    Dans le cadre de ce contrôle, les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 de la Constitution avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les Règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être systématiquement soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution (article 61 de la Constitution).

    De plus, il contrôle la compatibilité des engagements internationaux à la Constitution (article 54 de la Constitution).

    - soit à l'occasion de l'application de la loi et dans le cadre d'un procès en cours (contrôle a posteriori). C'est ce qu'on appelle la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui est posée par le justiciable qui conteste la constitutionnalité de la loi qui lui est appliquée. Cette question ne parvient au Conseil constitutionnel qu'après les filtres mis en œuvre par le Conseil d'État et la Cour de cassation (article 61-1 de la Constitution).
     
  • En tant que juge électoral, il veille à la régularité de l'élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin (article 58 de la Constitution). Il statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs (article 59 de la Constitution).
     
  • En tant qu'autorité constitutionnelle, il est amené à prendre des décisions ou à formuler des avis. Il est consulté sur la mise en place des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 de la Constitution et sur l'éventuel empêchement du Président de la République (article 7 de la Constitution).

- Le contrôle de la constitutionnalité des règles fondamentales d'organisation des collectivités d'outre-mer à statut spécifique

Le Conseil constitutionnel exerce depuis la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 un contrôle systématique sur le statut des collectivités d'outre-mer à statut spécifique, du fait que ce statut relève désormais d'une loi organique, catégorie de normes dont le Conseil est automatiquement saisi avant promulgation.

En outre, depuis les accords de Nouméa du 5 mai 1998 portant sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et lui transférant définitivement certaines compétences, les « lois du pays » adoptées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie peuvent être soumises avant leur publication au Conseil constitutionnel. En l'espèce, le Conseil veille à la répartition des compétences entre la République et la Nouvelle-Calédonie, à la manière d'une cour fédérale.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a substantiellement modifié la terminologie juridique désignant les collectivités territoriales d’outre-mer. On rappellera que les lois organiques portant statut des collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie, autres que les départements et les régions peuvent déterminer les conditions dans lesquelles l’assemblée délibérante de la collectivité est habilitée à modifier une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur du statut, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité (article 74 de la Constitution) Ces dispositions intéressent la Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Un contrôle moderne

1 - Un contrôle qui porte sur la forme comme sur le fond

- La décision fondatrice : liberté d'association - 1971

Avant 1971, le Conseil était saisi rarement et limitait son contrôle à des griefs de forme ou de partage des compétences, comme notamment le non-respect des règles de recevabilité des amendements ou l'empiètement de la loi sur le domaine réglementaire. 1971 a marqué un tournant, puisque pour la première fois, le Conseil, sur saisine du Président du Sénat, a statué sur le fond, en considérant qu'une loi tendant à modifier la loi du 1er juillet 1901 portant liberté d'association, dès lors qu'elle subordonnait à contrôle préalable de l'autorité judiciaire l'acquisition de la capacité juridique des associations, méconnaissait un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Le Conseil a fondé sa décision sur les principes reconnus par le Préambule de la Constitution. En conséquence, il a étendu « le bloc de constitutionnalité », au Préambule de la Constitution et, par renvoi, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au Préambule de la Constitution de 1946 et aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Cette décision a grandement accru l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel.

- La typologie des décisions

Hors le cas où le Conseil se déclare incompétent (sur une loi référendaire, par exemple), quatre types de décisions sont susceptibles d'être rendues par le Conseil constitutionnel, dans le délai d'un mois qui lui est imparti à compter de la date de saisine (pouvant être ramené à huit jours en cas d'urgence à la demande du Gouvernement) :

  • les décisions de conformité (ou de non contrariété à la Constitution) ;
  • les décisions de conformité sous réserves d'interprétation ;
  • les décisions déclarant la loi déférée partiellement contraire à la Constitution ;
  • les décisions déclarant la loi déférée intégralement contraire à la Constitution.

En cas d'invalidation partielle, le Conseil peut décider que la disposition invalidée est inséparable de l'ensemble de la loi ; en ce cas, celle-ci, comme en cas d'invalidation totale, ne peut être promulguée. Dans le cas contraire, le Président de la République peut soit la promulguer (tronquée des articles inconstitutionnels), soit demander, en application de l'article 10 de la Constitution, une nouvelle délibération au Parlement (par exemple : sur la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie en 1985 ou, en avril 2003, sur l'article 4 de la loi relative au mode de scrutin pour les élections régionales).

2 - Un contrôle démocratique

- La révision majeure de 1974

En 1958, seules les plus hautes autorités de l'État -Président de la République, Premier ministre, Président du Sénat et Président de l'Assemblée nationale- avaient été autorisées à saisir le Conseil constitutionnel. La révision constitutionnelle du 29 octobre 1974, en étendant cette saisine à soixante députés ou soixante sénateurs, a changé la portée du contrôle de constitutionnalité.

Elle a permis à l'opposition parlementaire d'agir juridiquement et au Conseil d'assurer une meilleure protection des droits et libertés des citoyens, garantis par la Constitution. Cette réforme a ouvert la voie à un contrôle affermi du Conseil. Ainsi, sur saisine de parlementaires, il n'est guère de grande loi qui ait échappé au contrôle de constitutionnalité depuis 1974.

- Les alternances et cohabitations

Le mode de renouvellement des membres du Conseil constitutionnel, par tiers tous les trois ans, a pour effet de lisser en son sein les mouvements d'opinions politiques, tandis que le caractère non renouvelable du mandat confère aux conseillers une grande indépendance envers l'autorité qui les a nommés.

De cette sorte, malgré l'alternance politique de 1981, la cohabitation de 1986 à 1988, la cohabitation de 1993 à 1995, l'alternance politique de 1995, la cohabitation de 1997 à 2002, puis la nouvelle alternance de 2002, le Conseil constitutionnel a réussi à préserver neutralité et qualité de décisions qui, si elles peuvent ponctuellement mécontenter telle ou telle majorité en place, lui ont permis de conforter la crédibilité de l'institution.

3 - Les évolutions sensibles du contrôle de constitutionnalité

- Les grandes décisions

Protecteur des droits et libertés, le Conseil a rendu de nombreuses décisions en ce sens depuis trente ans. Ainsi, outre la garantie du droit d'association et l'extension du bloc de constitutionnalité, il a veillé au principe républicain d'égalité devant la loi (taxation d'office - 1973), il a reconnu le principe de dignité de la personne humaine (bioéthique - 1994), il a censuré toute régression en matière de libertés (presse - 1984), etc.

En ce qui concerne les traités internationaux, pour la première fois sous la Ve République, le Conseil décida en 1992 que l'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité -dit de Maastricht- portant sur l'Union européenne, ne pouvait intervenir qu'après révision de la Constitution. Il prit une position identique en 1997 sur le Traité -dit d'Amsterdam- portant sur la libre circulation des personnes dans ses dispositions portant sur le droit d'asile et la politique d'immigration, en 1999 sur le Traité portant statut de la Cour pénale internationale et en 2007 sur le Traité de Lisbonne transformant l'architecture institutionnelle de l'Union européenne. Ces quatre décisions du Conseil constitutionnel conduisirent à chaque fois à réviser la Constitution.

- Le Gouvernement des juges : une crainte peu fondée, dès lors que le peuple demeure le constituant suprême

Inévitablement, comme aux États-Unis par exemple, la question du Gouvernement des juges s'est posée, lorsque certaines décisions ont été contestées, d'autant que le Conseil a, depuis 1971, développé une interprétation parfois très personnelle et souvent extensive des principes contenus dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen datant de deux siècles.

Pour autant, le peuple demeure souverain et l'effet d'une décision du Conseil constitutionnel peut toujours être arrêté par une révision de la constitution. Il en fut ainsi lorsque le Conseil constitutionnel censura, le 13 août 1993, une disposition de la loi portant sur l'immigration, en application des conventions de Schengen, au motif qu'elle portait atteinte au principe à valeur constitutionnelle du droit d'asile, consacré par le préambule de 1946. La Constitution fut révisée le 25 novembre 1993 en intégrant un nouvel article 53-1 portant sur le droit d'asile.

- La question incidente du contrôle de la loi par référence aux normes internationales (le « contrôle de conventionalité ») et à l’ordre juridique communautaire

Si le contrôle de constitutionnalité interne est aujourd'hui globalement bien admis, beaucoup soulignent la concurrence que pourrait lui porter la montée en puissance des contrôles externes, notamment celui de la Cour européenne des droits de l'homme et celui de la Cour de justice de l'Union européenne.

Leur jurisprudence extensive dans des domaines nouveaux qui, jusqu'à présent, relevaient des seules juridictions nationales (les droits et libertés, le principe d'égalité, etc.) lance un nouveau défi à la loi, dont la force normative devient plus précaire.

Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a pas accepté de prendre en compte les normes du droit international comme source directe de son contrôle de constitutionnalité dans le cadre de l'article 61 de la Constitution. Il n'en demeure pas moins probable que le rapprochement et l'intégration progressive des législations protectrices des droits et libertés dans les États de l'Union européenne et les États-membres du Conseil de l'Europe poseront, à un moment ou à un autre, la question de la place des Constitutions nationales dans le droit positif. 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne peut pas ne pas tirer les conséquences de la montée en puissance de l’ordre juridique communautaire dès lors, notamment, qu’il a lui-même contribué à sa reconnaissance dans la Constitution.

Après une évolution graduelle, une décision du Conseil (DC 2004-496) du 10 juin 2004 s’est référée explicitement à l’ordre juridique européen comme source de droit distincte du droit interne, imposant au législateur national de transposer les directives communautaires « sauf disposition contraire expresse de la Constitution ».

Dans une décision (DC 2006-543) du 30 novembre 2006, le Conseil a accompli un pas décisif supplémentaire, fondé sur l’idée que « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences » et que dès lors, « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle » ; de ce fait, le Conseil constitutionnel, dans le cadre de son contrôle de la constitutionnalité des lois, doit veiller à ce qu’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire respecte bien cette exigence, avec toutefois une double limite :

  • sur le fond, la transposition d’une directive ne doit pas aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ;
  • sur le plan de la procédure, le Conseil constitutionnel ne pouvant saisir à titre préjudiciel la Cour de justice européenne, il ne s’autorisera à déclarer non conforme à la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer, les autres autorités juridictionnelles nationales étant tenues, le cas échéant, de saisir cette Cour à titre préjudiciel, conformément aux principes reconnus du droit européen.

Rien n’interdit donc de penser que tôt ou tard, la frontière assez étanche entre le droit constitutionnel interne et le droit international -au plan communautaire, tout au moins- finira par s’estomper.

[1] Dans sa décision DC 84-983 du 7 novembre 1984, le Conseil constitutionnel a décidé qu'un membre de droit devait être considéré comme mis en congé pendant la durée de son mandat électif national.