M. le président. « Art. 5. - Il est inséré dans la même loi un article 29-1 ainsi rédigé :
« Art. 29-1. - 1. Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi.
« L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité.
« L'entreprise nationale France Télécom emploie librement des agents contractuels sous le régime des conventions collectives.
« 2. En vue d'assurer l'expression collective des intérêts du personnel, il est créé auprès du président de France Télécom, par dérogation à l'article 15 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, un comité paritaire. Ce comité est informé et consulté notamment sur l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise ainsi que sur les questions relatives au recrutement des personnels et les projets de statuts particuliers. Ce comité est présidé par le président de France Télécom ou son représentant. Outre des représentants de l'entreprise, il comprend un collège représentant les agents fonctionnaires et un collège représentant les agents relevant de la convention collective ainsi que les agents non titulaires de droit public mentionnés à l'article 44 de la présente loi.
« Ces deux collèges se répartissent les sièges réservés aux représentants des personnels en tenant compte de la proportion de chacune des deux catégories dans l'effectif global de l'entreprise nationale. Un décret en Conseil d'Etat précise les attributions et les modalités de fonctionnement de ce comité ainsi que sa composition. Il précise également les cas dans lesquels le comité siège en formation plénière ou en formation paritaire limitée à l'un des deux collèges. »
Sur l'article, la parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Attaché au service public des télécommunications, je ne reviendrai pas sur les raisons profondes qui nous ont amenés à refuser que la nouvelle société France Télécom soit désormais qualifiée d'« entreprise nationale ».
A notre avis, il est incohérent de vouloir faire effectuer les missions inhérentes au service public, a fortiori celles qui sont regroupées sous les vocables de « service universel » ou de « missions d'intérêt général », par des personnes qui n'ont que le statut de contractuel.
Si le Gouvernement ne voit pas d'objection à cette situation, c'est bien qu'il ne conçoit ce projet de loi que comme l'ultime étape avant la privatisation totale de toutes les activités rentables de France Télécom.
Comment peut-on prétendre créer une « entreprise nationale » tout en limitant son champ d'activité par une loi de « déréglementation » qui la prive de son monopole d'activité et de l'influence prépondérante que l'Etat devrait exercer sur elle pour la satisfaction de l'intérêt général ?
Avec cette notion d'« entreprise nationale », nous sommes face à la contradiction majeure qui est au coeur de ce texte.
En demandant de nouveau la suppression de cette notion, nous ne nous opposons bien évidemment pas au principe de l'existence d'entreprises nationales.
Nous avons même, je vous le rappelle, toujours refusé qu'il soit porté atteinte au secteur public et nationalisé qui est essentiel pour le développement économique et social de la nation.
Nous restons fidèles aux engagements pris par le Conseil national de la Résistance et par le général de Gaulle à la Libération, engagements qui ont été tenus et qui ont permis le redressement et la reconstruction du pays.
M. Robert Pagès. Eh oui !
M. Alain Gournac. Belle époque !
M. Félix Leyzour. Le rôle moteur du service public et des entreprises publiques dans le progrès et l'essor économique et social n'est plus à démontrer.
France Télécom en est elle-même l'exemple concret par sa réussite technologique et sa capacité à répondre aux besoins de nos entreprises comme de l'ensemble de la population et même à anticiper ceux-ci.
Or, en affirmant, comme vous le faites, votre volonté de livrer l'entreprise publique aux appétits du privé, vous montrez le peu de cas que vous faites de l'intérêt général et vous préparez de surcroît une chute brutale et importante des ressources de l'Etat.
Pour toutes ces raisons, nous insistons donc pour qu'on ne masque pas la réalité de vos intentions en qualifiant « d'entreprise nationale » une entreprise que vous voulez avant tout assujettir aux lois d'un marché qui est aujourd'hui rendu artificiel par la réalité du monopole dont jouit, à juste raison, France Télécom.
Mme Hélène Luc et M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Sur l'article 5, je suis saisi de vingt et un amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 11, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Garcia, Mélenchon, Pastor, Peyrafitte et Saunier, et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer cet article.
Les vingt amendements suivants sont présentés par MM. Billard, Leyzour et Minetti, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 57 tend à remplacer les quatre premiers alinéas du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 par un alinéa ainsi rédigé :
« Le statut des personnels fonctionnaires de France Télécom est régi par les dispositions du titre II du statut général des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales. »
L'amendement n° 58 vise, dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à supprimer les mots : « l'entreprise nationale ».
L'amendement n° 59 a pour objet, dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de supprimer les mots : « de nomination et ».
L'amendement n° 60 tend, dans la deuxième phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à supprimer les mots : « l'entreprise nationale ».
L'amendement n° 61 vise à supprimer le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.
L'amendement n° 62 a pour objet, au début du deuxième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de supprimer les mots : « L'entreprise nationale ».
L'amendement n° 63 vise, dans le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à remplacer le mot : « peut » par le mot : « doit ».
L'amendement n° 64, tend, dans le second alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à supprimer les mots : « jusqu'au 1er janvier 2002 ».
L'amendement n° 65 a pour objet de compléter le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 par une phrase rédigée comme suit : « Elle est tenue de respecter le droit des fonctionnaires qu'elle emploie, d'opter pour le maintien intégral de leur statut de fonctionnaire et ne peut s'opposer à leur reclassement à un poste équivalent dans une autre administration. »
L'amendement n° 66 vise à rédiger comme suit le début du troisième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 :
« En application des dispositions de l'article 4 de la loi n° 94-16 du 11 janvier 1984 portant sur les dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, France Télécom... »
L'amendement n° 67 tend à rédiger comme suit le début du troisième alinéa du texte présenté par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 :
« Dans la mesure où elle ne parvient pas à pourvoir les postes de travail créés ou existants par des fonctionnaires, France Télécom... »
L'amendement n° 68 a pour objet, au début du troisième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de supprimer les mots : « L'entreprise nationale ».
L'amendement n° 69 vise, à la fin du troisième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à remplacer les mots : « des conventions collectives » par les mots : « d'un accord d'entreprise plus favorable que les conventions collectives applicables ».
L'amendement n° 70 a pour objet, dans le quatrième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de supprimer les mots : « par dérogation à l'article 15 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ».
L'amendement n° 71 tend, dans la deuxième phrase du quatrième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, après le mot : « gestion », à insérer les mots : « , les orientations économiques ».
L'amendement n° 72 vise, après le mot : « personnels », à supprimer la fin de la deuxième phrase du quatrième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.
L'amendement n° 73 tend, dans la dernière phrase du quatrième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, après le mot : « représentants », à insérer les mots : « de la direction ».
L'amendement n° 75 a pour objet de compléter in fine le quatrième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu'il siège en formation plénière, il peut alerter le ministre chargé des postes et télécommunications et le Parlement de toute situation propre à mettre en cause la pérennité de l'entreprise, l'exercice de ses missions de service public et les intérêts généraux de ses personnels. »
L'amendement n° 74 vise, dans la première phrase du cinquième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, après le mot : « collèges », à insérer le mot : « élus ».
L'amendement n° 76 tend, dans la première phrase du cinquième alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article 29-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, à supprimer les mots : « de l'entreprise nationale ».
La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° 11.
Mme Danièle Pourtaud. Avec l'article 5, nous abordons un point crucial du projet de loi puisqu'il traite de l'emploi au sein de France Télécom. Que prévoit le Gouvernement en ce domaine ?
Il organise, dans un premier temps, la coexistence dans une même entreprise de personnels ayant un statut différent et, dans une second temps, la disparition, il faut bien le dire, d'une catégorie de personnels, à savoir les fonctionnaires.
Outre les difficultés de management, comme on dit aujourd'hui, qui ne doivent pas être sous-estimées, le projet de loi met en place sans aucune justification la coexistence de personnels ayant deux statuts différents mais exerçant des métiers semblables.
Ainsi, des agents fonctionnaires qui occupent, par exemple, des postes à responsabilité bénéficieront de la garantie de l'emploi mais ils percevront un salaire inférieur à celui de leurs collègues contractuels de droit privé, qui, eux, auront été embauchés sous le régime de la convention collective mais qui pourront être licenciés du jour au lendemain.
Pourquoi cette différence de traitement ? Nul ne le sait. Le fonctionnement de l'entreprise en sera-t-il modifié ? Nullement. Pis, cette différence ne pourra que démobiliser le personnel de France Télécom, qui, contrairement à ce que vous croyez, monsieur le ministre, n'adhère pas à votre réforme mais est tout bonnement démoralisé.
Qu'est-ce qui vous incite à organiser désormais le recrutement d'un personnel de droit privé ? C'est, encore une fois, l'introduction de l'actionnariat privé. En effet, peut-on imaginer un actionnaire privé admettre que France Télécom n'embauche pas dans les mêmes conditions que la concurrence ? C'est inimaginable !
Il est vrai qu'il est difficile de se débarrasser des agents fonctionnaires qui, par définition, ne peuvent être licenciés. Qu'à cela ne tienne, on généralise l'emploi sous le régime des conventions collectives. Toute restriction à l'embauche de non-fonctionnaire est désormais levée. Vous programmez l'extinction d'un corps de fonctionnaires parmi les plus dynamiques, les plus qualifiés et les plus compétents dont notre pays dispose.
Certes, vous accordez une largesse : France Télécom pourrait, si son président le veut bien, continuer à embaucher des fonctionnaires jusqu'en 2002. La belle affaire ! Ce même président ne déclarait-il pas voilà peu dans un quotidien de province - vous l'avez lu comme moi - qu'il fallait savoir « tourner la page » ? S'il a quelques hésitations, les nouveaux actionnaires les lui feront vite lever.
En fait, votre projet de loi prépare purement et simplement l'abrogation de ce corps de fonctionnaires. Il en est désormais terminé du déroulement de carrière des fonctionnaires de France Télécom. Ceux-ci vont se retrouver dans des grades en voie d'extinction, sans possibilité de promotion. Pour hâter leur sortie, vous organisez même, à l'article 7, un système généralisé de départ à la retraite anticipé des fonctionnaires.
Vous vous êtes même livré à de savants calculs : d'ici à l'an 2015, dans l'hypothèse basse, 20 p. 100 du personnel embauché ne sera plus fonctionnaire. Mais il n'est nul besoin de se propulser si loin dans l'avenir car si votre majorité reste au pouvoir, ce que nous ne souhaitons pas, vous aurez déjà modifié par la loi le statut de France Télécom pour privatiser cette entreprise. Il n'y aura donc plus de fonctionnaires, comme certains orateurs l'ont longuement démontré dans la discussion générale.
Là encore, nous ne pouvons vous suivre. En effet, implicitement, derrière votre discours, se cache un présupposé intolérable : les fonctionnaires ne peuvent être des salariés performants ; il faut donc s'en débarrasser. Pourtant, ce sont eux qui ont fait de France Télécom le quatrième opérateur mondial des télécommunications. Je vous rappelle, par ailleurs, qu'ils représentent 97 p. 100 du personnel de l'opérateur public.
Ce sont donc des motivations de circonstances et des motivations idéologiques que nous réprouvons qui vous amènent à prendre des dispositions visant à supprimer ce corps de fonctionnaires. Mais dois-je encore vous rappeler que les télécommunications ne sont pas un secteur marchand comme un autre ? Il s'agit d'un service public. Or qui est mieux à même de servir les missions d'intérêt général que les fonctionnaires ? N'est-ce pas la raison même de leur existence ?
Le service public n'est rien sans le respect le plus scrupuleux des principes d'égalité et de neutralité. Planifier la mort d'un corps de fonctionnaires, c'est planifier la mort d'un service public. Nous ne le voulons pas. C'est pourquoi nous demandons au Sénat d'adopter cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Minetti, pour défendre l'amendement n° 57.
M. Louis Minetti. Cet amendement tend à faire directement référence à l'applicabilité du statut général des fonctionnaires de l'Etat aux fonctionnaires de France Télécom. Cette question nous semble importante à plus d'un titre.
Tout d'abord, ce projet de loi laisse planer de lourdes menaces sur l'emploi à France Télécom. Tout le monde sait que des milliers d'emplois sont menacés dans les toutes prochaines années, à cause du changement de statut qu'organise le présent projet de loi et du projet de loi de réglementation des télécommunications dont nous avons débattu la semaine dernière.
On nous a même indiqué que, sur deux départs à la retraite, un seul serait véritablement compensé et encore le serait-il, dans l'immense majorité des cas, par l'embauche de contractuels, voire - pourquoi pas ? - de personnels sous contrat à durée déterminée.
Le résultat final de toute cette opération tiendra en deux points : d'une part, un affaiblissement des capacités de développement de l'entreprise publique et, d'autre part, un déclassement global des conditions d'embauche, de travail, de salaire, de protection sociale et d'avancement dans l'ensemble du secteur des services et réseaux de télécommunication.
Je rappelle que France Télécom recrute actuellement par concours ou sur titre, ce qui signifie que cette entreprise ne recrute que des personnels potentiellement compétents, à qui elle assure un complément de formation adapté aux besoins de développement du service public et aux capacités des personnes recrutées.
Avec le système de la contractualisation maximale des emplois, l'entreprise ne pourra évoluer que vers des emplois moins qualifiés, perpétuellement soumis aux aléas de la conjoncture économique, voire vers un recrutement impliquant plus ou moins une certaine dose d'appréciations subjectives ou de favoritisme, ce que certains appellent « à la tête du client ».
Il nous semble également important de faire référence au statut général des fonctionnaires dans le corps même de ce texte, précisément pour protéger les fonctionnaires travaillant actuellement à France Télécom.
Il convient en effet de considérer que ceux-ci ont souvent mis leurs compétences et leur dévouement au service du développement du service public des télécommunications, à une époque où ils auraient pu prétendre à des salaires plus importants dans l'industrie.
Il serait donc particulièrement injuste de les priver aujourd'hui ou demain d'une quelconque manière du statut de la fonction publique auquel ils ont droit.
Notre amendement tend donc à répondre à un souci de justice et d'équité autant que d'efficacité économique.
Mme Hélène Luc et M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Compte tenu du vote émis par le Sénat sur l'amendement n° 35 à l'article 1er, l'amendement n° 58, ainsi d'ailleurs que les amendements n°s 60, 62, 68 et 76 n'ont plus d'objet.
Mme Hélène Luc. Ah non !
M. le président. Madame Luc, ces six amendements tendent à supprimer les mots « l'entreprise nationale ». L'amendement n° 35 ayant été repoussé hier, les autres amendements deviennent sans objet. Imaginez que l'un d'entre eux soit adopté : le Sénat serait alors en contradiction avec la décision qu'il a prise hier.

Rappel au règlement