LOYAUTÉ ET ÉQUILIBRE
DES RELATIONS COMMERCIALES
Adoption d'un projet de loi
en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 392, 1995-1996), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales. [Rapport n° 408 (1995-1996 et avis de la commission des lois).]
J'informe le Sénat que la commission des affaires économiques et du Plan m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi actuellement en discussion.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
La nomination des représentants du Sénat à la commission mixte paritaire pourrait ainsi avoir lieu aussitôt après le vote sur l'ensemble du projet de loi, si le Gouvernement formulait effectivement sa demande.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de retrouver la Haute Assemblée pour l'examen, en deuxième lecture, de ce projet de loi, dont nous pensons tous qu'il rééquilibrera les relations commerciales et renforcera la loyauté de la concurrence.
Je tiens ici à remercier une nouvelle fois de leur travail la commission des affaires économiques et du Plan, saisie au fond, ainsi que son rapporteur, M. Jean-Jacques Robert, avec qui j'ai eu une collaboration intense et de qualité, et la commission des lois, saisie pour avis, ainsi que son rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest.
Le texte issu des débats en première lecture au Sénat et en deuxième lecture à l'Assemblée nationale représente un équilibre satisfaisant. Il maintient le principe fondamental de la liberté des prix et de la liberté contractuelle, qui est au coeur de notre processus économique et qui constitue l'acquis essentiel de la réforme de 1986. Il ne sanctionne que les abus.
Ainsi, afin de préserver la liberté des prix, ce texte entend lutter seulement contre les pratiques de prix de prédation. Il ne s'agit évidemment pas de restaurer un quelconque contrôle des prix par le bas. De même, soucieux de respecter la liberté contractuelle, le Gouvernement ne souhaite pas intervenir dans les délais de paiement, à quelques exceptions près.
Dans l'ensemble, ce texte clarifie très utilement la législation sur des points essentiels, comme la facturation. Il va rendre pleinement effective - enfin - l'interdiction de la revente à perte, dont le défaut actuel d'application déstructure certaines filières de production. On sait que les grandes surfaces, étant donné la faiblesse de l'ordonnance de 1986, avaient en effet pu tourner cette interdiction.
Il renforce aussi les producteurs en libéralisant le refus de vente et en mettant un terme à certaines pratiques abusives de la grande distribution : primes de référencement, déréférencements abusifs, « prix abusivement bas ».
Enfin, ce projet de loi renforcera la lutte contre le « paracommercialisme », qui constitue une concurrence déloyale vis-à-vis des commerçants.
Conformément à l'engagement que j'avais pris en première lecture, le Gouvernement a traité tous les problèmes qui ont été soulevés par la représentation nationale. Sur chaque point, j'ai largement consulté les professionnels et les rapporteurs de votre assemblée.
Je souhaite maintenant revenir sur plusieurs des thèmes abordés au cours de nos débats : l'agriculture, les carburants, le disque et la « civilisation » du droit de la concurrence.
En ce qui concerne l'agriculture, le Sénat avait, tout comme le Gouvernement, souhaité exempter certains accords agricoles de l'interdiction générale des ententes. Il n'y a, en la matière, aucune divergence, quant aux objectifs politiques, entre le Gouvernement et le Sénat, et nos objectifs communs rejoignent les souhaits des organisations professionnelles agricoles. L'intervention du Premier ministre devant la conférence agricole, en février dernier, l'atteste pleinement.
Le Gouvernement a estimé que le recours à des dispositions législatives, séduisant a priori, ne conférerait pas la sécurité juridique demandée par les professionnels agricoles, au contraire des décrets d'exemption, déjà prévus par la loi, mais jamais mis en pratique depuis dix ans.
Aujourd'hui, la démarche du Gouvernement, sur laquelle je m'étais engagé devant vous, est couronnée de succès. Les décrets d'exemption ont été publiés au Journal officiel le 11 juin dernier. La procédure de l'avis conforme du conseil de la concurrence a très bien fonctionné. Celui-ci a jugé conformes au droit actuel, tant français qu'européen, les décrets proposés par le Gouvernement, sous réserve de quelques modifications de forme. Ainsi, se trouvent légitimés les objectifs comme la méthode du Gouvernement et du Parlement.
Je me félicite que le conseil ait, de la sorte, renforcé la sécurité juridique tant recherchée par nos agriculteurs.
Dans son avis, que j'ai transmis aux rapporteurs du texte, le conseil de la concurrence approuve les décrets dans leur ensemble. Les modifications apportées n'altèrent en rien l'équilibre général et les objectifs que le Gouvernement et votre assemblée se sont assignés. Le conseil a amélioré les textes, de manière à les rapprocher au mieux des textes et de la jurisprudence communautaires, conformément à l'objectif de sécurité juridique.
Le premier décret autorise des ententes destinées à promouvoir la qualité, notamment au sein des labels ou des appellations d'origine contrôlées. C'est une excellente nouvelle pour l'ensemble de la politique de qualité de l'agriculture française.
Seules quelques modifications mineures ont été apportées.
Les « ententes-qualité » ne pourront inclure de parties détentrices de positions dominantes, ce qui ne gênera en rien nos petits producteurs agricoles.
Le conseil a aussi estimé que de tels accords ne pourront inclure de prix de vente conseillés au consommateur, conformément à la jurisprudence européenne. Cependant, les prix de filières demeurent admis.
De même, ces accords ne pourront pas excéder trois ans, ce qui ne pose pas de problème, car ils sont reconductibles.
Enfin, le conseil de la concurrence a exclu des accords de qualité les vins et spiritueux, accédant ainsi aux souhaits des professionnels concernés, qui s'estiment pleinement couverts par ailleurs.
Le second décret autorise des ententes pour faire face à des crises sectorielles structurelles. Le conseil de la concurrence l'a retouché en améliorant la définition de la crise et de la période de référence, conformément aux textes européens, mais ce décret reste tout à fait dans l'esprit de ce que nous entendons par « cartel de crise. »
Enfin, le conseil de la concurrence a estimé que les accords d'entente devraient être notifiés à l'administration.
Sur le thème agricole, le Gouvernement s'était engagé devant la Haute Assemblée ; les indications que je viens de vous donner vous permettent de constater qu'il a tenu parole.
En ce qui concerne les carburants, je m'étais engagé auprès de vous à approfondir le débat qu'ils suscitent.
Nous partageons clairement le même objectif : éviter la disparition des petits pompistes afin de lutter contre la désertification des zones rurales et de promouvoir l'aménagement du territoire. C'est un sujet que je connais bien, en tant qu'ancien ministre de l'industrie et actuel ministre en charge de la concurrence et de la consommation.
Certains souhaiteraient inclure les carburants dans les produits concernés par les « prix abusivement bas ».
La grande distribution réalise en moyenne une marge de 20 centimes par litre, contre 50 centimes dans les petites stations-service. Mais le problème réel est que les petits pompistes ne récupèrent que 15 centimes, les compagnies pétrolières ponctionnant, en moyenne, 35 centimes pour financer des activités diverses, en particulier le déficit du raffinage. C'est un des éléments qui ont créé une situation de concurrence déloyale au détriment des petits pompistes.
Réglementer les prix en instaurant une marge minimale dans la grande distribution ne réglerait pas les déséquilibres fondamentaux dans la profession pétrolière. En outre, ce serait très mal perçu par les consommateurs ; d'ailleurs, leurs organisations ont clairement fait savoir qu'elles étaient très fermement opposées à une telle mesure, alors qu'elles avaient soutenu à l'unanimité le projet de loi initial du Gouvernement.
Je tiens à préciser ici que les consommateurs ne sont manipulés par personne. Je présidais avant-hier le conseil national de la consommation, où sont représentées vingt associations nationales de consommateurs. Leurs délégués m'ont clairement exposé l'opinion des consommateurs et leurs conceptions sur le sujet.
Le problème des carburants doit donc être traité selon une autre logique : il faut appréhender les problèmes de l'ensemble de la filière.
Les difficultés dérivent des surcapacités structurelles du raffinage en France et en Europe. Aussi les raffineurs sont-ils prêts à vendre au seul coût marginal de court terme plutôt que de ne pas vendre du tout. Aucun dispositif contraignant sur les prix ne résorbera ce désajustement structurel entre une offre surabondante de carburants et une demande qui ne progresse plus guère.
Il faut donc, pour être efficace, envisager des pistes concrètes, qui aident véritablement les stations-service rurales et semi-urbaines à faible débit à trouver une rentabilité et à se placer dans les conditions d'une concurrence plus loyale.
Je pense d'abord à l'encouragement à la pluri-activité des petits pompistes.
On peut songer aussi à des dispositifs de rééquilibrage financier permettant le maintien des petits pompistes en zone rurale, idée que je me propose de développer lors de la discussion des amendements.
Le disque a également attiré l'attention de la représentation nationale.
Je tiens à rappeler que les prix des disques en France sont parmi les plus élevés du monde. Mais, au titre de l'exception culturelle, le Gouvernement s'est rangé au vote de la Haute Assemblée en première lecture.
Je crois toutefois que, pour éviter une dérive des prix et pour répondre véritablement à l'objectif de création, qui sous-tendait l'amendement d'origine parlementaire, il convient d'explorer d'autres pistes.
Avec mon collègue Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, en concertation avec les professionnels, et en plein accord avec Yves Duteil, qui a été le porte-parole de la création française, nous sommes convenus de créer des groupes de travail autour de quelques réformes possibles.
En premier lieu, nous devrons faire le bilan de la présente loi dans quelques mois : le renforcement de la revente à perte mettra un terme aux quelques pratiques abusives constatées dans certaines grandes surfaces. La fin de l'interdiction des ventes liées permettra aux distributeurs de vendre en même temps des disques faiblement connus, à côté des « tubes » du moment. Cette nouvelle dispositions encore peu connue de nos éditeurs phonographiques, devrait renforcer la diversification de la création.
En deuxième lieu, le Gouvernement va travailler avec les professionnels à la modernisation de la distribution du disque. Ainsi peut-on inciter les disquaires indépendants à se regrouper en centrales d'achat pour négocier des conditions plus favorables de vente.
En troisième lieu, les producteurs, quant à eux, ont lancé pour 1996 une charte de la chanson française, par laquelle ils s'engagent à promouvoir la nouvelle création francophone, tant par le nombre d'albums nouveaux que par leur politique de marketing. Cette initiative est tout à fait bienvenue, et je sais que mon collègue Philippe Douste-Blazy a à coeur de l'encourager.
En quatrième lieu, peut-être faut-il songer aussi à réformer certaines réglementations relatives à la télévision publique. On peut s'interroger sur l'ampleur de la publicité dans ce secteur. Certains professionnels estiment que cet accès sans limite à la publicité favorise quelques titres seulement, au détriment du reste de la création, française notamment, et qu'il conviendrait d'encadrer la publicité télévisuelle sur les disques.
Enfin, ne conviendrait-il pas que les chaînes publiques soient également astreintes à diffuser plus de chansons françaises et européennes aux heures de grande écoute ?
Bien sûr, il est trop tôt pour légiférer en la matière, sans avoir procédé à une large concertation. Mais le Gouvernement mènera, dans les prochaines semaines, la concertation nécessaire pour mettre en oeuvre ces réformes, avec Yves Duteil et les syndicats professionnels, au-delà de l'amendement voté par la Haute Assemblée, dans l'esprit de développement de la création et de maîtrise des prix dont je parlais tout à l'heure.
La dépénalisation du droit de la concurrence a également attiré l'attention du Parlement. Le débat à l'Assemblée nationale en deuxième lecture a été particulièrement fructueux à cet égard. Nous l'avons poursuivi ici avec MM. les rapporteurs.
Il paraît toutefois prématuré de s'engager dans la voie de la « civilisation », au risque de vider la loi de son caractère efficace et dissuasif.
Après que l'Assemblée nationale eut renoncé à un système instaurant des sanctions pécuniaires applicables par le juge civil, le président de la commission des lois s'est clairement engagé à étudier le problème de la « civilisation », notamment en procédant à des auditions. Cette décision est sage et éclairée.
En conclusion, je souhaite d'ores et déjà dresser un premier bilan de nos travaux, qui arrivent bientôt à leur terme.
Quels étaient les engagements du Gouvernement dans ce débat ? Il s'agissait, tout d'abord, de remédier aux dysfonctionnements de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sans en compromettre les principes essentiels, en premier lieu le principe de liberté des prix.
L'objectif était de rééquilibrer la situation du producteur, d'adopter un dispositif équilibré qui ne pénalise ni les producteurs ni nos emplois au profit des importations ou des délocalisations et, enfin, de prendre en compte l'intérêt des consommateurs, tout en apportant des réponses concrètes aux préoccupations des milieux professionnels et des parlementaires.
On nous prédisait souvent que la tâche serait impossible, que nous prenions un pari hardi en empruntant la voie parlementaire pour la première fois depuis soixante ans. Jusqu'à présent, ce sujet était en effet traité par voie d'ordonnances. Nous avons entendu bien d'autres prédictions pessimistes du même ordre. N'en déplaise aux Cassandre, force est de constater que ces débats ont été d'une grande tenue et d'une grande richesse.
Bien sûr, parfois, il y a eu des risques de dérapage. Certains ont pu croire que la ligne de crête que constituait le projet du Gouvernement allait être dépassée. Je vous rappelle les débats que nous avons eus sur les prix bas, sur les ententes ou sur les problèmes agricoles.
Mais, d'ores et déjà, des apports significatifs au droit existant peuvent être constatés. Quels sont-ils ?
Les deux décrets d'exemption pour la politique de qualité et les cartels de crise, en matière agricole, offrent un cadre juridique sûr pour nos agriculteurs. Les réaménagements de la facturation et de la revente à perte ont fait de ces deux dispositions un instrument désormais effectif et d'application simple pour le juge, en évitant les excès de la grande distribution et la tentation de détourner la loi.
La libéralisation du refus de vente est également un élément important du rééquilibrage des situations respectives du producteur et du distributeur.
Les moyens nouveaux en matière de lutte contre les abus de dépendance économique dont sont victimes les petits producteurs constituent une avancée significative de notre droit.
Sur tous ces points, les textes sont très largement acquis, comme le prouve l'examen des amendements qui ont été déposés. Je ne doute pas que, dans la discussion qui va s'engager, nous parviendrons à lever les dernières difficultés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n'avons pas constaté les dérives qui nous étaient promises. Nous avons su tenir nos engagements vis-à-vis des professionnels et des consommateurs. Nous avons su préserver l'équilibre du texte et les grands principes de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Nous avons, je crois, rempli notre contrat, et je voulais par avance vous en remercier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des séances des 28 et 29 mai derniers, l'Assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
Elle a adopté conformes un certain nombre de dispositions votées par la Haute Assemblée en première lecture, les 7 et 9 mai derniers, ou confirmé la suppression de certains articles.
L'Assemblée nationale est cependant revenue sur la position qu'elle avait elle-même adoptée en première lecture sur plusieurs articles importants. Ainsi, ont été adoptés conformes l'article 1er A, qui modifie la composition du conseil de la concurrence en lui adjoignant un dix-septième membre, vice-président, l'article 1er EA, de coordination, relatif aux compétences du conseil de la concurrence, l'article 1er FA, également de coordination, concernant la consultation du conseil de la concurrence par les juridictions, l'article 3 ter, qui fixe les délais de paiement pour les achats de viandes congelées ou surgelées et de poissons surgelés, et enfin, l'article 8, qui comporte des dispositions relatives à l'entrée en vigueur de la loi.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, confirmé la suppression de l'article 6, qui ouvrait l'action en justice aux organisations consulaires ou représentatives des consommateurs.
Elle est revenue, en tout ou partie, sur sa position initiale sur de nombreux autres articles du projet de loi que j'évoquerai brièvement.
A l'article 1er C, relatif aux ententes, elle a notamment rétabli la faculté de pratiquer des prix de cession communs. La commission des affaires économiques vous proposera de supprimer cet article.
A l'article 1er D, qui concerne l'offre ou la vente aux consommateurs à prix abusivement bas, l'Assemblée nationale a supprimé l'exception permettant d'appliquer le dispositif du prix abusivement bas aux ventes de carburants de détail. Vous vous êtes longuement exprimé sur ce point dans votre propos liminaire, monsieur le ministre.
Je rappelle que l'exception concernant les carburants avait été introduite par l'Assemblée nationale en première lecture, contre l'avis du Gouvernement, sur proposition de M. Marc Le Fur, rapporteur pour avis de la commission des finances. La commission des affaires économiques, suivie par le Sénat, l'avait adoptée à l'unanimité.
A l'heure actuelle, les ventes de carburants au détail sont soumises à l'interdiction de la revente à perte. Or, ce dispositif n'a pas pu y, à de rares exceptions près, être appliqué aux produits pétroliers, dans la mesure où les grandes surfaces, en particulier, ne les revendent pas à perte.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires économiques vous proposera de rétablir l'exception relative aux ventes de carburant de détail, qui permet de leur appliquer le dispositif du prix anormalement bas, cette nouvelle procédure trouvant là une place de choix.
A l'article 1er F, qui réglemente la publicité, la périodicité et la durée des promotions concernant les produits alimentaires périssables, l'Assemblée nationale a prévu que l'arrêté destiné à fixer cette réglementation serait interministériel ou, à défaut, préfectoral. Il s'agit là d'un compromis satisfaisant avec la position adoptée par le Sénat.
A l'article 1er, elle a réintroduit la notion de « réductions de prix » acquises sur les factures, notion que la commission des affaires économiques vous demandera de nouveau de remplacer par celles de « rabais, remises ou ristournes », qui sont mieux connues et plus facilement applicables.
A l'article 2 relatif à la revente à perte, l'Assemblée nationale a supprimé deux dispositions adoptées par le Sénat, qui autorisent la revente à perte, d'une part, des produits saisonniers à l'exception des vins de primeur et, d'autre part, des produits faisant l'objet du droit d'alignement, et ce quelle que soit la surface de vente du commerce y ayant recours. J'insisterai quelque peu sur ce point important.
L'Assemblée nationale a donc rétabli la limitation du droit d'alignement aux magasins disposant d'une surface de vente inférieure à trois cents mètres carrés.
Lors de la première lecture, la commission des affaires économiques, suivie par le Sénat, avait jugé dangereux de priver ainsi les commerçants de ce moyen de défense, j'allais dire d'autodéfense, qui permet à des commerces de taille modeste - il ne faut pas les oublier - de ne pas être contraints à l'immobilisme quand leur survie peut être en jeu.
Je rappelle qu'en vertu du droit en vigueur l'exception du droit d'alignement est autorisée pour l'ensemble des commerces, quelle que soit la surface de vente, et qu'elle n'a pas soulevé, que je sache, de difficultés particulières.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques proposera, comme en première lecture, d'autoriser l'exception d'alignement pour l'ensemble des commerces, ainsi que le prévoit le droit en vigueur.
A l'article 3 bis , l'Assemblée nationale a prévu que les conditions générales de vente devront mentionner le point de départ des délais de paiement et le barème des escomptes. Comme en première lecture, la commission des affaires économiques vous proposera de supprimer cette disposition.
L'article 4 concerne le refus de vente ou de prestation de services, les conditions restrictives de référencement et de rupture des relations commerciales. L'Assemblée nationale a complété cet article, notamment pour interdire la revente hors réseaux lorsque les produits concernés ont fait l'objet d'un contrat de distribution exclusive et/ou sélective. La commission des affaires économiques vous proposera la suppression de cette disposition.
L'Assemblée nationale est également revenue sur sa position en ce qui concerne l'article 5, relatif aux ventes à la sauvette, et sur l'article 5 bis, qui prévoit la publication des condamnations et des amendes en cas de récidive.
L'Assemblée nationale a rétabli l'article 7, relatif au contrôle des commissaires aux comptes, dans une rédaction cependant différente de celle qu'elle avait adoptée en première lecture et que le Sénat avait supprimée.
Elle a prévu que le rapport de gestion exposant la situation d'une société durant l'exercice écoulé devrait faire état du respect des dispositions des articles 31 et 35 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relatives aux mentions devant obligatoirement figurer sur la facture et aux délais de paiement. La commission des affaires économiques proposera de supprimer cet article.
L'Assemblée nationale a, en outre, supprimé quatre articles introduits dans le projet de loi, en première lecture, par le Sénat. Il s'agit de l'article 1er DA, relatif à l'autorisation d'exemption de certains accords individuels, de l'article 3 ter A sur les prix imposés, de l'article 3 ter B, qui fixe les délais de paiement pour les achats de produits et animaux de basse-cour, et de l'article 10 concernant les conditions d'opposabilité de la clause de réserve de propriété en cas de redressement ou de liquidation judiciaires.
La commission des affaires économiques vous proposera de rétablir l'article 1er DA et l'article 10, dans la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
L'Assemblée nationale a, enfin, introduit trois nouveaux articles dans le texte. Deux d'entre eux, à savoir les articles 1er EB et 1er EC, modifient la procédure devant le conseil de la concurrence. Le troisième, l'article 5 ter , impose une séparation comptable aux commerces de détail de plus de 300 mètres carrés procédant à la distribution de carburants. La commission des affaires économiques proposera de supprimer ces articles.
En conclusion, la commission des affaires économiques, dans un esprit de compromis, proposera de voter conformes un certain nombre d'articles dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale. En revanche, dans le souci d'équilibre qui l'a animé à l'occasion de l'examen du projet de loi en première lecture, elle proposera de revenir à la position adoptée par le Sénat sur certains aspects essentiels du texte.
Deux points méritent encore d'être soulignés. Il s'agit des ententes agricoles et des prix anormalement bas pratiqués dans le secteur du transport routier de marchandises.
S'agissant des ententes dans le secteur agroalimentaire, rappelons que, lors de la première lecture du projet de loi au Sénat, la commission des affaires économiques avait adopté un amendement tendant à autoriser ces ententes, afin de permettre l'organisation concertée des productions qui bénéficient d'une garantie officielle d'origine ou de qualité ou qui se trouvent en situation de déséquilibre important en ce qui concerne l'offre ou la demande.
La commission avait accepté, à votre demande, monsieur le ministre, de retirer cet amendement, en se réservant le droit de le représenter en deuxième lecture si l'avis du conseil de la concurrence concernant les deux projets de décret d'exemption élaborés par le Gouvernement sur ce point, en application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'était pas conforme.
Or, sans être totalement conforme, l'avis rendu par le conseil de la concurrence au début du mois de mai dernier ne remet pas en cause les aspects essentiels de ces décrets, comme vous venez de le souligner, monsieur le ministre.
Dans ces conditions, la commission des affaires économiques a jugé inutile d'inscrire de telles dispositions dans la loi, dans la mesure où elles feraient double emploi avec celles des décrets que vous seriez appelé à prendre.
La commission des affaires économiques avait, par ailleurs, adopté un amendement tendant à appliquer le dispositif du prix anormalement bas au secteur du transport public routier de marchandises.
A votre demande, monsieur le ministre, le rapporteur avait accepté de retirer, une fois de plus, cet amendement, puisque vous vous étiez engagé à ce que le Gouvernement « trouve les solutions adéquates » d'ici à la deuxième lecture au Sénat.
C'est, en réalité, au cours de la première lecture du projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat devant l'Assemblée nationale que Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports, a proposé des amendements de nature à répondre au problème. Je ne vous cache pas que ce procédé nous a quelque peu étonnés.
Cela dit, le Sénat sera prochainement amené à se prononcer sur ces propositions, qui font l'objet des articles 27 et 28 du projet de loi précité. Par conséquent, il n'y a plus lieu de débattre de ce sujet dans le cadre du présent projet de loi.
Au terme de cet exposé liminaire, je tiens à remercier M. le ministre et mon collègue M. Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois, de la collaboration étroite qui s'est instaurée entre nous. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos sera bref dans la mesure où le rapporteur de la commission saisie au fond a développé tous les aspects du projet de loi qui nous est présenté en deuxième lecture.
Je voudrais simplement rappeler que la commission des lois était attachée à un certain nombre de questions posées par ce projet de loi, notamment la composition du conseil de la concurrence. Sur ce point, l'Assemblée nationale a accepté le dispositif qui avait été introduit par le Sénat et visant à garantir la représentation du monde économique et la présence de la haute juridiction judiciaire.
Un certain nombre de dispositions qui nous sont soumises ont fait l'objet d'amendements de la commission des lois. Bien entendu, je ne me prononcerai pas sur le fond, notamment sur les problèmes d'applicabilité du dispositif relatif au prix abusivement bas pour les produits revendus en l'état. Je n'énumérerai même pas les cas, puisque M. le ministre vient d'expliquer qu'il accepte ce dispositif pour le disque tout en le considérant mauvais. Nous aurons sans doute l'occasion de débattre de cette question, qui ne concernait pas la commission des lois.
Cela étant dit, je me réjouis, monsieur le ministre, que les décrets d'exemption soient parus, faute de quoi nous aurions eu un débat extrêmement difficile en deuxième lecture, compte tenu des inquiétudes d'un certain nombre de producteurs. Il est bon que ces décrets d'exemption, qui étaient prévus par l'ordonnance de 1986, aient reçu un avis favorable du conseil de la concurrence, ce qui a permis leur publication.
Je vous proposerai, comme M. Jean-Jacques Robert, de supprimer la disposition introduite à l'article 1er C et visant à permettre les ententes consistant à organiser les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun. En effet, une telle disposition est contraire au traité sur l'Union européenne et à la jurisprudence communautaire.
En ce qui concerne les prix abusivement bas, je vous poserai simplement une question, monsieur le ministre.
En l'occurrence, il s'agit de la vente aux consommateurs. Or, un certain nombre de professionnels se sont inquiétés, notamment en ce qui concerne le louage d'ouvrages. Cette pratique existe essentiellement dans le cadre des marchés publics. Vous connaissez les difficultés actuelles. On attend avec impatience la réforme du code des marchés publics. En effet, dans ce domaine, on casse maintenant les prix, ce qui est regrettable, et l'inquiétude des professionnels est donc justifiée.
Les professionnels considèrent que, si l'on ne peut pas pratiquer des prix abusivement bas pour la vente au consommateur, a contrario on pourrait le faire en matière de louage d'ouvrages. En fait, cela ne peut pas être le cas, car le texte s'applique uniquement à la vente aux consommateurs.
Par conséquent, il conviendrait de rassurer les professionnels et de leur rappeler, comme les ministres concernés l'ont précisé à plusieurs reprises, que le Gouvernement souhaite qu'une réforme du code des marchés publics intervienne rapidement. En effet, compte tenu de la conjoncture, les professionnels du bâtiment et des travaux publics sont très inquiets, vous le savez, monsieur le ministre. Ils m'ont fait part de leurs interrogations. Je me devais, à mon tour, de vous en parler.
S'agissant de l'article 2, je serai bref. L'Assemblée nationale a introduit une disposition complémentaire. Je proposerai une autre rédaction.
En ce qui concerne l'article 3 bis , je me réjouis que l'Assemblée nationale ait confirmé la suppression de la peine d'exclusion des marchés publics pour les personnes morales, adoptée par le Sénat, sur proposition de sa commission des lois.
A l'article 5 bis, si l'Assemblée nationale a accepté dans son ensemble l'actualisation des dispositions de l'article 55 de l'ordonnance de 1986, elle a adopté un amendement de façon à viser également les infractions à l'article 28 de ladite ordonnance.
En fait, cette référence est erronée, car la responsabilité pénale des personnes morales n'est pas prévue par l'article 28 de l'ordonnance.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article 5 ter ainsi rédigé : « Pour toute installation de distribution au détail de carburants » - cela est lié au problème que nous évoquerons tout à l'heure - « annexée à un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 300 mètres carrés, l'activité de distribution des carburants est individualisée du point de vue comptable. »
La commission des lois considère que cette disposition est inapplicable au regard du droit des sociétés et en pratique. Aussi, elle proposera de la supprimer.
De même, elle proposera la suppression de l'article 7, visant à modifier l'article 340 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. M. Jean-Jacques Robert a évoqué ce point tout à l'heure. Je considère que la loi de 1966 ne doit pas être sans cesse modifiée, sauf à effectuer une réforme d'ensemble. Je me méfie beaucoup de l'introduction de certaines dispositions sous couvert d'améliorer la situation des entreprises. Je ne suis pas sûr que cela améliore leur situation. En tout état de cause, je n'aime pas voir rentrer par la fenêtre ce que l'on a jeté par la porte.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois soutient les propositions de la commission des affaires économiques et du Plan. Elle rappelle qu'il est bien de réglementer, mais qu'il faut assurer aussi la liberté du commerce, ce qui est essentiel pour les consommateurs et pour le développement économique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte revient donc en deuxième lecture au Sénat après que l'Assemblée nationale lui eut apporté un certain nombre de modifications qui vont à l'encontre de la volonté d'équilibre manifestée par les initiateurs du projet de loi.
On a beaucoup parlé, tout au long de ces débats, de l'ambition des auteurs de cette réforme de l'ordonnance de 1986 : rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs et distributeurs et modifier cette ordonnance qui traite de la transparence et des pratiques restrictives.
Ce texte a, reconnaissons-le, le mérite d'apporter certaines améliorations qui vont dans le sens souhaité, même si, sur certains points, il entretient des ambiguïtés qui seront difficiles à lever dans la pratique.
Améliorer la transparence de la facturation, renforcer la répression de la vente à perte, prévenir toute sorte d'abus tels que le chantage ou le déréférencement abusif, réprimer la pratique des prix abusivement bas qui déstabilisent une filière de production et nuisent au petit commerce, tout cela était inscrit dans le texte, et nous cautionnons ces dispositions, d'autant plus que, en ce qui me concerne, sénateur d'un des départements de ce monde rural dont tout le monde parle, j'ai vu, au cours des trente dernières années, s'asphyxier et disparaître irrémédiablement ce petit commerce de proximité qui faisait le charme et la convivialité de nos villages, et donc une part importante de notre vie.
Mais, comme les vitrines d'avant Noël font briller les yeux des enfants, les méthodes et les présentations de la grande distribution ont fait briller les yeux de nos ruraux et ont amené ces derniers, le samedi, à monter dans leur véhicule automobile pour aller à Intermarché, à Mammouth ou chez Leclerc, comme on se rendait autrefois au marché hebdomadaire de la ville voisine ; c'était un peu un jour de rencontre et de fête ; aujourd'hui, on se croise dans les allées du supermarché, la fête est différente.
La question lancinante que nous nous sommes posée tout au long de l'examen de ce texte et que certains de nos collègues ont évoquée aussi est encore présente aujourd'hui : ce texte va-t-il véritablement faire apparaître plus de loyauté dans les relations commerciales entre producteurs et fournisseurs ? Ne va-t-il pas, au contraire, engendrer d'autres déséquilibres, plus pernicieux, qui se retourneront contre ceux-là mêmes que l'on voulait protéger ?
Lors de mon intervention en première lecture, le 7 mai dernier, j'avais déjà émis, au nom du groupe socialiste, des doutes sur la portée réelle du texte. J'avais fait le constat que, malgré des avancées positives, il ne satisfaisait réellement personne parce qu'il essayait d'une façon incomplète de répondre aux attentes d'interlocuteurs dont les intérêts sont différents et contradictoires, à savoir la grande distribution, les producteurs et les consommateurs.
Dans votre réponse, à l'occasion de l'examen du texte en première lecture, vous m'aviez dit, monsieur le ministre, que mon inquiétude vous semblait sans fondement et que vous aviez recueilli l'accord de tous.
Pourtant, les courriers que j'ai reçus depuis n'ont fait que confirmer mes craintes : de celui du secrétaire général des organisations de consommateurs à celui du conseil national des professions de l'automobile en passant par la lettre de la fédération des industries de la parfumerie, je n'ai trouvé que des opinions radicalement opposées sur les articles de votre texte.
Pour illustrer mon propos, je reprendrai quelques points qui sont révélateurs de ces zones d'ombre et des espoirs quelque peu déçus des intéressés.
Le problème de l'agriculture est au coeur de ce texte, qui vise à redéfinir les relations entre distributeurs et producteurs. Les sénateurs avaient, sur la demande de M. le ministre, accepté de retirer un amendement tendant à autoriser les ententes dans le secteur agroalimentaire si les deux projets de décrets d'exemption élaborés par le Gouvernement recevaient un avis conforme du conseil de la concurrence. Qu'en est-il aujourd'hui ? L'avis rendu par le conseil de la concurrence n'est, certes, pas totalement conforme aux souhaits des producteurs, mais il répond globalement à leur attente en spécifiant que les accords autorisant les ententes destinées à promouvoir la qualité, qu'il s'agisse de labels ou d'appellations d'origine contrôlée, ne pourraient inclure un prix de vente conseillé - seuls les prix de filières seront admis.
Il restait une ultime étape à franchir, celle de la publication de ces décrets, qui vient juste d'intervenir. Nous l'attendions avec impatience, mais nous regrettons d'ores et déjà que certaines situations spécifiques à l'agriculture n'aient pas été prises en compte.
Certaines propositions ont été discutées âprement. Elles constituent l'« ossature » même des modifications voulues par le législateur, modifications qui visent à mieux protéger et armer le faible contre le fort - et Dieu sait si dans cette voie je serais prêt à vous suivre ! Cependant, elles manquent de lisibilité et de clarté quant au but final à atteindre.
Prenons le cas de la revente à perte : elle comporte de multiples exceptions, qui, au gré des lectures à l'Assemblée nationale et au Sénat, augmentent ou diminuent. N'est-ce pas là une situation révélatrice de l'ambiguïté de certaines dispositions ? Et que pensez-vous, monsieur le ministre, de l'avenir de ce texte étant donné les mesures qui seront vraisemblablement votées et qui le rendront difficilement applicable ?
Un autre point mérite d'être rappelé, car il illustre la dichotomie entre les souhaits exposés par le Gouvernement en présentant ce texte et la réalité des mesures qui seront définitivement votées ; c'est celui des prix abusivement bas.
Le Gouvernement a obtenu de l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, qu'elle fasse échapper les ventes de carburants des grandes surfaces aux sanctions de la législation sur les prix abusivement bas. Les supermarchés gardent donc, pour le moment, le droit de solder l'essence, au grand dam des professionnels de l'automobile - CNPA - et des industries pétrolières - UPIF - qui ont exhorté les sénateurs à rétablir cette notion en deuxième lecture, compte tenu des promesses maintes fois formulées par le Gouvernement.
Celui-ci a justifié sa position en déclarant que « cela aboutirait à majorer le prix de l'essence à la pompe, et donc à pénaliser les consommateurs ».
En échange, monsieur le ministre, vous vous êtes très fermement engagé à trouver « des solutions concrètes avant la fin de l'année », solutions qui auraient, bien sûr, leur traduction budgétaire, pour lutter contre la disparition massive des petits pompistes.
Lors de l'examen de ce texte en première lecture au Sénat, mon collègue Bernard Dussaut avait rappelé les déclarations que vous aviez faites, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires économiques et du Plan, le 19 mars dernier. Vous vous étiez alors engagé à apporter une réponse précise sur la disparition des stations-service, dans le cadre d'un texte spécifique.
A force de tenir des promesses un peu floues et des engagements qui engagent peu, vous vous êtes tout de même attiré les foudres de tous les partenaires concernés par ce difficile dossier lié à l'aménagement de notre territoire. Qui faut-il croire, monsieur le ministre ? Nous savons que les grandes surfaces utilisent le prix des carburants comme prix d'appel, et nous devons nous opposer à ces pratiques.
Mais, en même temps, la réintroduction de cette notion de prix abusivement bas pour la vente au détail de carburants résoudra-t-elle le problème du maintien, de la survie, devrais-je dire, des pompistes ? Nous en doutons fortement et j'ai exprimé, dès le début des débats, nos réticences sur la façon dont ce dossier était traité.
Il y a aussi la mentalité et les habitudes des hommes. Me permettez-vous, monsieur le ministre, une anecdote ? J'ai rencontré, il n'y a pas si longtemps - c'était après la première lecture de votre projet de loi - le garagiste d'un village gascon, qui est aussi distributeur de carburants, à la sortie d'un supermarché. C'était un samedi après-midi ; accompagné de sa femme, il poussait devant lui un caddy abondamment rempli de provisions, alors que, dans son village, subsistent encore difficilement quelques petits commerçants. Je sais cet homme, à l'occasion, très revendicateur sur sa situation professionnelle. Dois-je vous avouer que, parce que je le connaissais bien, je lui ai demandé s'il n'envisageait pas d'aller faire le plein à la pompe du supermarché avant de repartir ?
Je crois tout simplement que de nouvelles habitudes de chalandises sont nées dans notre monde d'aujourd'hui et que, les habitudes étant dans la vie quotidienne des hommes plus fortes que les traditions, il faudra plus qu'un texte de loi pour les faire changer et plus que les mesures dont nous discutons pour sauver les commerces du monde rural de notre enfance. Il faudra, certes, faire un monde rural vivant, fort et moderne, mais il ne sera plus jamais celui d'hier.
La nostalgie du passé, lorsqu'elle devient passéisme, est le pire ennemi des progrès vers l'avenir. Membre d'un parti qui se veut de progrès, je souhaite pour nos villages des lendemains d'espoir et non pas de regret, et je crois que l'aménagement du territoire doit avoir pour les habitants de nos campagnes d'autres ambitions que celles dont nous débattons aujourd'hui.
Je pourrais aussi évoquer, pour rendre compte de ce malaise global que nous laisse notre travail législatif sur ces dispositions, un autre secteur auquel devait s'appliquer le dispositif du prix anormalement bas : le transport public routier de marchandises. La disposition le visant a disparu et s'est retrouvée sous la forme d'un amendement gouvernemental dans le projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, qui nous sera soumis lundi prochain.
Les dispositions contenues dans ce projet de loi ne me semblent pas répondre à une amélioration notable des relations commerciales existantes, même si nous avons honnêtement voulu y chercher et noter les avancées positives dont je vous donne acte.
Il nous semble même que ce texte rencontre, dans la mise en application de certaines de ses dispositions, de nombreuses difficultés insurmontables.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir exprimé tout au long de ces débats nos doutes et même nos craintes sur la portée de cette réforme.
Toutes ces interrogations conduisent le groupe socialiste à maintenir sa position : il s'abstiendra lors du vote sur ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales qui nous revient en deuxième lecture comporte encore bon nombre de dispositions en discussion, ce qui témoigne de la difficulté du Parlement à moraliser les relations commerciales entre professionnels sans que cela se fasse au détriment du consommateur.
Réalisée à l'origine pour libéraliser la concurrence, l'ordonnance de 1986 a fait la preuve que, sans un minimum de réglementation, la liberté d'action instaurée ne pouvait s'exercer qu'au détriment des producteurs, des petits commerçants, qui, comme le service public, font la vie de nos villages, des quartiers de nos villes et, en définitive, au détriment des consommateurs, qui peuvent constater tous les jours que, à part quelques promotions, les prix de détail restent toujours aussi élevés.
Depuis une dizaine d'années, les principales chaînes de grands magasins et leurs centrales d'achats ont vu leur puissance économique et financière croître de manière très importante, au point d'acquérir au fil des ans une position dominante dans le domaine de la distribution.
Elles sont parvenues à attirer vers elles l'essentiel des marges bénéficiaires en exerçant de formidables pressions commerciales sur les agriculteurs et les petites et moyennes entreprises, qui n'ont pas véritablement été en mesure de résister à leur puissance.
Elles se sont de plus arrogé un pouvoir quasi bancaire en se faisant payer la plupart du temps au comptant par les consommateurs, tout en appliquant des délais de paiement exagérément longs et des conditions de vente souvent déraisonnables à leurs fournisseurs, qui sont obligés de se soumettre sous la menace du « déréférencement » immédiat.
De tels comportements déloyaux envers les autres structures de vente et très déstabilisants pour les filières de production sont, de toute évidence, préjudiciables à l'emploi.
Dans ces conditions, une réforme en profondeur de la réglementation de la concurrence nous semble absolument nécessaire, non pas pour revenir à un encadrement strict des prix et des conditions de vente, mais pour mettre réellement fin aux multiples pratiques répréhensibles que nous connaissons aujourd'hui.
Certes, l'affaire n'est pas simple, car l'équilibre des droits et obligations en matière de concurrence est traditionnellement un équilibre si précaire qu'il convient de prendre toutes les précautions pour ne pas déstabiliser l'ensemble de l'édifice et aboutir à des situations encore plus dommageables pour l'économie.
Cependant, cela n'exclut pas des mesures de fond plus courageuses que celles qui sont proposées par un gouvernement et une majorité qui, ne voulant vexer ni les grandes surfaces, ni les petits commerçants, ni les artisans, ni les responsables des petites et moyennes entreprises, se contentent d'un simple toilettage de la législation en vigueur.
Ainsi, on se refuse à agir vraiment contre les délocalisations de productions françaises à l'étranger, qui sont pourtant l'un des principaux facteurs de déstabilisation de nos marchés autant que de l'emploi dans notre pays.
Sous le prétexte fallacieux que cinq millions de Françaises et de Français travailleraient pour l'exportation, le Gouvernement s'en remet, nous a-t-on dit en première lecture, à l'action de M. Leon Brittan auprès de l'Organisation mondiale du commerce pour lutter contre ces pratiques fondées sur le dumping social. Quand on sait les options ultralibérales de celui-ci et la célérité qu'il a mise à défendre les intérêts français et européens lors des négociations qui ont conduit à l'accord de Marrakech, il y a de quoi être inquiets !
Quand Adidas ferme ses usines de l'est de la France pour les réouvrir en Chine ou quand Thomson ferme ses unités de production situées dans notre pays pour les transférer du côté de Singapour ou de la Thaïlande, n'est-ce pas pour faire une concurrence déloyale à ceux de leurs concurrents qui seraient tentés de continuer à produire en France ?
De même, pour préserver les profits spéculatifs des géants de la distribution, le Gouvernement et sa majorité se refusent à agir pour une véritable réduction des délais de paiement, qui sont une grande injustice pour les agriculteurs comme pour les petites et moyennes entreprises et qui constituent un type de concurrence particulièrement déloyale à l'égard du petit commerce, lequel paie très souvent au comptant les produits qui lui sont livrés.
Le pouvoir se contente donc d'agir à la marge en préconisant des actions destinées notamment à clarifier les modalités de facturation, à favoriser le bon fonctionnement et l'action du conseil de la concurrence, à lutter contre la revente à perte, contre les prix « abusivement bas », ou à réglementer la périodicité et la durée des promotions concernant les produits alimentaires périssables.
Malgré les promesses de M. Vasseur, le texte en discussion ne comporte toujours pas de véritable volet agricole, et les deux petits décrets qu'il a pris pour permettre les ententes professionnelles aux agriculteurs en cas de « perturbations graves du marché » et pour permettre un « développement coordonné » des productions de qualité bénéficiant d'un label ou d'un signe de reconnaissance de qualité demeurent très insuffisants.
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale reste donc timoré, et nous ne pouvons, par exemple, que nous étonner qu'on protège, à juste raison, l'industrie du disque et qu'on ne le fasse pas pour les distributeurs de carburants, qui contribuent pourtant au maintien de l'activité économique à la campagne et qui sont également victimes de pratiques commerciales déloyales de la part des grandes surfaces.
Nous regrettons que l'article 6 du projet de loi, qui ouvrait le droit des organisations consulaires ou représentatives de consommateurs, ait été supprimé.
Enfin, nous insistons de nouveau sur le caractère très laxiste des peines appliquées à ceux qui mettent en oeuvre des pratiques déloyales, alors que celles que l'on prévoit d'infliger aux vendeurs à la sauvette nous semblent tout à fait disproportionnées.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles, en plus des arguments développés par Félix Leyzour lors de la première lecture, le groupe communiste républicain et citoyen ne pourra se prononcer en faveur de ce projet de loi et maintiendra son vote d'abstention.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Yves Galland, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai en quelques mots aux différents intervenants.
M. le rapporteur connaît la réflexion générale que nous menons en matière de carburants : il sait que nous divergeons non pas sur la philosophie, mais sur les méthodes qui permettront de régler le problème.
Il sait également que, s'agissant de l'exception d'alignement, nous avons des points de convergence et que les différences entre nous portent sur l'application du dispositif. Mais nous y reviendrons au cours de l'examen des amendements.
M. le rapporteur pour avis s'est étonné que nous n'étendions pas à d'autres produits le dispositif que nous avons accepté pour le disque. Je rappellerai la convergence qu'il y a eu sur l'ensemble des travées de la Haute Assemblée pour se battre pour l'exception culturelle, et je ne vois pas en quoi on peut élargir cette dernière à un ensemble de produits !
M. Hyest m'a interrogé sur les prix abusivement bas concernant le code des marchés publics, et je tiens à le rassurer à cet égard. Je tiens à lui dire combien je suis de son avis quand il dit que bien réglementer, c'est assurer la liberté du commerce, en particulier pour les consommateurs.
Monsieur Garcia, les décrets dont vous attendez la parution ont été publiés mardi dernier !
Vous avez indiqué que, s'agissant du carburant, je m'étais engagé, à l'Assemblée nationale, à trouver avant la fin de l'année des solutions, qui auraient leur traduction budgétaire. J'aurai l'occasion d'aller plus avant sur ce point lors de la discussion des articles.
Madame Borvo, vous ne pouvez pas dire que nous nous en remettons à sir Leon Brittan pour régler le problème du dumping social ! En effet, s'il y a un pays qui est engagé sur le plan du dumping social et de la concurrence loyale en matière internationale, c'est bien la France ! Vous en avez encore eu récemment une démonstration avec l'attitude et l'engagement du Président de la République à Genève, qui ont entraîné un certain nombre d'autres pays. Nous avons l'intention d'aborder ces problèmes lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce à Singapour, en décembre prochain.
C'est donc un vrai sujet sur lequel la France est non pas à la remorque de la Commission européenne, mais leader sur le plan international.
Mme Nicole Borvo. Nous verrons à Singapour !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er C