PROGRAMMATION MILITAIRE
POUR LES ANNEES 1997-2002

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 415, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002. [Rapport n° 427 (1995-1996) et avis n° 430 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Etat est fait pour « libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve ... son droit naturel d'exister et d'agir .... La fin de l'Etat est donc en réalité la liberté ». Ainsi s'exprimait, voilà plus de trois siècles, Spinoza, qui faisait de la sécurité la condition sine qua non de la liberté, de la prospérité et de la paix. Aujourd'hui, cette vérité demeure au coeur de l'action de l'Etat. Fonction régalienne par excellence, la défense constitue le socle de la République. Dissuader l'ennemi, résister à la violence des armes, garantir l'intégrité de notre territoire et de nos intérêts vitaux et stratégiques, voilà l'objet même de la défense, condition première de l'existence et de l'épanouissement de la nation et de notre démocratie.
En réhabilitant la volonté politique, en distinguant clairement les moyens et les fins, le Président de la République a permis à la France de répondre présent à trois rendez-vous : celui des valeurs, celui du courage et celui de la sécurité.
En Bosnie, la France a répondu présent au rendez-vous des valeurs. En affirmant le devoir des armées à réagir, à résister, à riposter à l'inacceptable, le Président de la République a rompu avec le fatalisme, l'attentisme et l'humiliation. Il a fait prévaloir la logique de l'honneur sur la logique de la démission. Il a confirmé ce qui justifie la vocation universaliste de la France et ce qui a inspiré son action en Bosnie : la défense inconditionnelle de la dignité de l'homme, l'attachement indéfectible à la paix en Europe et dans le monde.
Avec la reprise d'une ultime série d'essais nucléaires, la France a répondu présent au rendez-vous du courage. En prenant cette décision à contre-courant, en la menant sans tergiverser à son terme, le Président de la République a redonné pleine priorité à la garantie à long terme des intérêts vitaux de la nation par rapport à des considérations médiatiques, diplomatiques et commerciales de court terme.
M. Yves Guéna. Très bien !
M. Charles Millon, ministre de la défense. En engageant une réforme sans équivalent de sa défense, la France répond présent au rendez-vous de sa sécurité, de ses responsabilités et de son influence. Adapter notre outil de défense aux défis du présent et le préparer à ceux de l'avenir, c'est le choix que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs. Poursuivre la hausse des crédits budgétaires serait revenu à léguer à des gouvernements ultérieurs, acculés par la contrainte financière, l'obligation de procéder à des décisions draconiennes et sans doute peu conformes à l'intérêt national. Respecter les habitudes, conforter l'organisation de notre défense aurait conduit les armées à faire un jour l'expérience brutale de leur inadaptation stratégique. Différer les choix d'équipement aurait signifié laisser le dernier mot à la concurrence étrangère.
En vous soumettant cette neuvième loi de programmation militaire de la Ve République, le Gouvernement mène à son terme une démarche stratégique qui a débuté avec les analyses du Livre blanc de 1994 ; il place la réforme non pas à la marge, mais au coeur de l'action politique ; il saisit la représentation nationale du premier acte de l'indispensable modernisation de l'Etat.
Le projet de loi de programmation pour les années 1997-2002 exprime une ambition militaire et stratégique, une ambition économique et industrielle, et enfin, une ambition humaine et civique.
Face au bouleversement radical que connaît la sécurité européenne, ce projet de loi définit une ambition militaire.
La professionnalisation, qui répond à l'évolution des menaces et aux nouveaux impératifs de notre sécurité, en est, vous le savez bien, l'axe majeur. Dès 1994, le Livre blanc constatait que l'agression massive en Centre-Europe n'était plus le scénario principal qui devait guider l'organisation de notre défense. Aujourd'hui, le Gouvernement en prend acte et met fin à un principe d'organisation et de recrutement qui datait de 1905, celui de la conscription militaire.
Première évolution opérationnelle de notre défense, la professionnalisation s'accompagne de la réduction du format des forces. D'ici à 2002, le format de la marine diminuera d'environ 19 p. 100, celui de l'armée de l'air connaîtra une réduction de 24 p. 100, tandis que les effectifs de l'armée de terre seront réduits de près de 36 p. 100. A la structure divisionnaire traditionnelle de l'armée de terre succédera la création de forces dites robustes : une force blindée, une force mécanisée, une force d'intervention blindée rapide et une force d'infanterie d'assaut.
Véritable changement de système d'hommes, la professionnalisation permettra une meilleure adaptation des moyens aux besoins. Le métier, l'entraînement et le savoir-faire des hommes garantiront la cohérence, la disponibilité et l'interopérabilité des forces qui assumeront les quatre grandes fonctions opérationnelles tout en étant capables de s'associer, pour la défense de l'Europe ou le règlement de crises internationales, avec des unités alliées.
Cette révolution humaine va de pair avec la révolution technologique des équipements de nouvelle génération, condition évidente de notre supériorité opérationnelle.
Porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle, chars Leclerc, avions Rafale, hélicoptères Tigre, frégates Horizon, tels sont les nouveaux systèmes d'armes qui seront associés à des armes intelligentes comme les antichars longue portée de troisième génération, les missiles de croisière de précision de la famille Apache et SCALP, ou les armements guidés laser.
Le Triomphant, le Téméraire, le Vigilant, tels sont les sous-marins lanceurs d'engins de nouvelle génération - SNLE-NG - dont la France disposera dans six ans. La commande du quatrième SNLE-NG interviendra en 2000. L'avènement d'une nouvelle génération concernera également les missiles avec le missile balistique M51 et le missile aérobie ASMP amélioré.
Hélios I B, Hélios II, Horus, tels sont les systèmes stratégiques de renseignement qui seront lancés ou développés au cours de la programmation.
Mais, au-delà de l'ambition militaire, il y a l'ambition stratégique, qui se traduit par la poursuite d'une politique de défense résolument européenne et par l'inscription de cet effort dans un cadre transatlantique rénové.
La rupture de 1989 a imposé aux nations européennes de revoir leurs stratégies de défense, et aux alliances de redéfinir leurs missions et leur organisation.
Dans ce contexte, la question de la défense européenne a pris un sens nouveau. Le traité de Maastricht a fait de la politique de défense commune un objectif pour toutes les nations de l'Union européenne.
Le modèle d'armée, dont vous avez débattu au mois de mars dernier et dont la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 représente la première étape décisive, s'inscrit dans cette perspective. Les quatre grandes fonctions opérationnelles de nos armées - la dissuasion, la prévention, la projection et la protection - portent d'ailleurs la marque de l'ancrage européen.
Ainsi, s'agissant de la dissuasion, la modernisation de ses deux composantes - la composante aéroportée et la composante maritime - constitue un atout dans la perspective d'une dissuasion concertée, telle qu'elle a été présentée par M. le Premier ministre.
En ce qui concerne la prévention, les programmes spatiaux permettent le développement d'une capacité européenne de renseignement. Tout le processus engagé autour de Hélios et de Horus doit conduire l'Europe à une organisation de l'observation et du renseignement spatial. Chacun sait d'ailleurs que c'est là l'un des pivots d'une identité européenne de défense.
J'en arrive à la projection, avec les moyens de commandement interarmées et les forces projetables. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que le projet de loi de programmation prévoit la mise sur pied de structures de commandement projetables qui permettront, dans le cadre européen et en vue de la rénovation de l'Alliance atlantique, de donner à la France un rôle déterminant.
Enfin, la protection porte également la marque de l'ancrage européen, avec la surveillance coordonnée entre tous les pays européens des approches aériennes et maritimes et le prochain renforcement de la coopération en matière de sécurité intérieure, et ce suite aux accords de Schengen.
Certains se sont demandé pourquoi la rénovation de l'Alliance atlantique était au coeur de notre projet.
La construction européenne se fera, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense. Elle se fera d'autant mieux que nous progresserons avec réalisme, en tenant compte des données fondamentales que sont, d'une part, l'Alliance atlantique et, d'autre part, le lien de sécurité euro-américain.
L'accord obtenu à Berlin, en juin, puis à Bruxelles, la semaine dernière, montre qu'une telle entreprise est à notre portée. La réforme que nous engageons est fondée sur un consensus des seize pays membres ; l'Alliance atlantique doit se rénover en profondeur. Il s'agit non pas simplement d'un rhabillage de l'Alliance atlantique, mais d'une rénovation fondamentale. L'Organisation atlantique doit s'adapter, dans le sens d'une plus grande efficacité, au monde de l'après-guerre froide.
Cette adaptation donnera une plus grande légitimité politique aux structures de l'Alliance atlantique grâce à l'affirmation du rôle des instances politiques - le Conseil - et militaires - le comité militaire - conformément à l'une des exigences posées par la France. Ces instances multilatérales non intégrées exerceront donc tout leur rôle.
Cette adaptation apportera une souplesse et une flexibilité accrues au commandement allié, grâce aux groupes de forces interarmées multinationales, les GFIM, qui impliquent la rationalisation et l'allégement de la structure militaire. Elle confortera la dimension européenne au sein de l'Alliance atlantique, conformément au mouvement d'union politique qui organise progressivement le continent. Elle favorisera enfin l'élargissement de l'Alliance atlantique à de nouveaux membres, selon un processus qu'il convient de définir et de respecter avec scrupule.
L'affirmation de l'identité européenne de défense, quant à elle, s'appuiera sur quatre principes qui ont été définis à Berlin et qui permettent de démontrer qu'il n'y a pas contradiction mais, au contraire, renforcement mutuel des initiatives prises dans le domaine de la rénovation de l'Alliance atlantique et de l'affirmation de l'identité européenne.
Ces quatre principes sont les suivants : premièrement, le contrôle politique et la direction stratégique par l'Union de l'Europe occidentale des opérations que les Européens mèneraient ; deuxièmement, l'identification rapide des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition des Européens en cas d'engagement d'une opération conduite par l'UEO ; troisièmement, la définition des arrangements nécessaires pour actionner des capacités de commandement européen indispensables à la conduite des opérations dirigées par l'UEO ; quatrièmement, enfin, la planification et l'entraînement dès le temps de paix des éléments ainsi identifiés dans l'OTAN.
Certains observateurs, commentateurs ou hommes politiques font mine d'opposer l'affirmation de l'identité européenne de défense et la rénovation de l'Alliance atlantique. Mais quelle crédibilité aurait aujourd'hui une rhétorique qui réclamerait la constitution d'une organisation militaire complète et spécifique, hors de l'Alliance atlantique ?
Notre politique européenne et notre engagement pour la rénovation de l'Alliance atlantique sont les deux faces d'une même politique. La clarté à l'égard de l'OTAN est une garantie pour le développement, sans complexe, d'une politique de défense européenne.
J'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir sur ce point pour démontrer que la politique déterminée par le Président de la République, M. Jacques Chirac, s'inscrit totalement dans la démarche définie par le général de Gaulle en 1966,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah oui ! Cela va être intéressant.
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... démarche qui avait amené le général de Gaulle à quitter le commandement militaire intégré de l'Alliance atlantique parce que l'identité de défense européenne et la garantie d'une autorité partagée n'avaient pas été accordées. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Il va falloir distordre l'histoire !
M. Charles Millon, ministre de la défense. A l'époque, vous étiez favorables à ce que l'on reste dans l'Alliance atlantique et vous étiez défavorables aux décisions du général de Gaulle. Alors, aujourd'hui, ne nous donnez pas de leçons sur la politique à suivre ! (Tout à fait ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. Vous avez la mémoire courte. Vous aviez une politique étrangère à la dérive !
M. Claude Estier. C'est vous qui avez la mémoire courte !
M. Charles Millon, ministre de la défense. La troisième ambition de cette programmation est d'ordre économique : construire une défense plus efficace et moins coûteuse.
C'est l'ambition de faire en sorte que l'effort que la nation consacre à sa défense soit compatible avec les moyens dont elle dispose. C'est l'ambition de construire une programmation qui résiste à l'épreuve du temps.
Fallait-il accepter la facilité d'une programmation militaire dont les crédits, toujours en hausse, seraient sans cesse remis en cause ?
Fallait-il accepter de jouer avec la modernisation des équipements, avec la réussite de la professionnalisation des armées et avec la crédibilité de l'Etat à l'égard des entreprises de défense ?
Fallait-il accepter que la dérive des comptes publics mine la croissance et l'emploi, la cohésion sociale et l'unité nationale, qui sont le socle même de l'esprit de défense ?
Le ministre de la défense a entendu le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et un certain nombre d'orateurs souhaiter, lors du débat d'orientation, que l'on puisse concilier deux objectifs dans cette loi de programmation : d'une part, concilier l'esprit de défense et l'outil de défense ; d'autre part, faire une programmation qui résiste au temps.
Avec 185 milliards de francs constants 1995, l'enveloppe de la programmation est, en matière d'équipements, en retrait de près d'une vingtaine de milliards de francs sur celle qui avait été retenue en 1994 et sur laquelle sont fondés les échéanciers physiques et financiers des équipements militaires en cours de réalisation.
La réforme de la défense apporte donc une contribution essentielle à la réduction des déficits publics, et, ainsi, au redressement des finances publiques et du renforcement de la cohésion sociale.
Mais, pour la première fois, ces ressources sont garanties par un engagement personnel du Président de la République de veiller à ce que la programmation soit respectée.
Pour la première fois, tous les moyens mis à la disposition des forces armées, qu'il s'agisse des emplois, des crédits de fonctionnement et des crédits d'équipement, sont programmés.
Pour la première fois, les investissements sont programmés en termes d'autorisations de programme et de crédits de paiement.
La programmation ne redéfinit pas simplement cette enveloppe financière ; elle place la défense à l'avant-garde de la réforme de l'Etat.
Remettre en cause les habitudes et les structures, redéfinir les besoins et les procédures, reconstruire un nouveau système mieux adapté à notre temps, tel est, en effet, le défi de la réforme, tel est l'objectif poursuivi par ce projet de programmation militaire.
La défense est la mission régalienne par excellence. Elle est la plus ancienne des missions régaliennes. Il n'est donc pas étonnant que sa profonde mutation soit à la fois le symbole de la capacité de l'Etat à se remettre en cause et le moteur de son indispensable réforme.
A l'objectif d'une efficacité accrue de la dépense publique se rattache en grande partie l'ambition industrielle de cette programmation.
Depuis le début des années soixante, notre base industrielle a largement contribué à notre autonomie stratégique, au rang qui est le nôtre dans le concert des nations. Nos scientifiques, nos ingénieurs, nos techniciens ont relevé avec succès tous les défis techniques : la force de dissuation, la supériorité aérienne, le combat aéroterrestre, les bâtiments de surface et les sous-marins classiques ou nucléaires, l'accès à l'espace, les systèmes de commandement et de communication, les moyens de renseignement, etc. Dans tous ces domaines, nous avons développé des capacités nationales qui nous ont ouvert toutes les dimensions de l'armement moderne.
Mais chacun peut constater aujourd'hui que notre industrie de défense est soumise à une compétition acharnée, exacerbée, j'allais dire sans pitié. La grande qualité de ses produits ne suffit plus à emporter les marchés extérieurs. La dérive des coûts des programmes risque d'entraîner nos propres armées sur la pente du désarmement structurel. Si nous n'y prenons garde, si nous n'engageons pas les réformes qui s'imposent, nous nous dirigerons vers la destruction assurée de notre potentiel industriel.
Comment répondre aux défis industriels et commerciaux qui s'annoncent ? En engageant une révolution des modes d'acquisition, en assurant la promotion de la dimension européenne, en acclimatant notre industrie d'armement à la culture de la concurrence. C'est ce que je vous propose de faire, mesdames, messieur les sénateurs.
Tout d'abord, seule une révolution des modes d'acquisition permettra de fournir aux armées françaises les équipements dont elles ont besoin.
Toutefois, cela ne signifie absolument pas, comme certains scribouillards l'ont noté, que l'ont achèterait systématiquement « sur étagère ». cela signifie simplement - j'aurai l'occasion d'y revenir - qu'il faudra définir un mode de fabrication, de développement, d'industrialisation qui soit différent de celui qui, aujourd'hui, est la référence.
M. Claude Estier. Qui sont les scribouillards ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous vous êtes reconnus ! (Rires.)
M. Claude Estier. Merci quand même !
M. Guy Penne. C'est trop facile !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Trois impératifs se conjuguent désormais dans le domaine des matériels : l'excellence technique, le meilleur rapport qualité-prix et le respect des délais requis.
Si nous ne voulons pas céder à la facilité de l'achat systèmatique à l'étranger, notre industrie doit diminuer ses coûts. L'objectif de 30 p. 100 de réduction que j'ai fixé au délégué général pour l'armement nous permettra de retrouver des marges financières. Celles-ci faciliteront la transition vers le nouveau modèle d'armée et permettront d'accélérer l'exécution des programmes d'équipement ; j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir au cours du débat qu'aujourd'hui j'introduis.
Ensuite, seule la dimension européenne permettra de conforter notre base industrielle et technologique de défense.
Grâce à la diversité et à la qualité de ses activités, l'industrie française doit être au centre de l'indispensable concentration du secteur européen de défense. Pour faire face à la concurrence américaine - c'est une évidence - pour permettre une baisse des coûts, pour faciliter une recherche européenne plus efficace, enfin, pour permettre une synergie qui donne la possibilité à l'Europe d'acquérir une place essentielle, prééminente dans le concert mondial.
Tel est le sens des différentes restructurations industrielles qui ont été engagées.
Les rapprochements entre Aérospatiale et DASA, Matra et British Aerospace, Dassault Aviation et Aérospatiale, la privatisation de Thomson vont dans le sens de la constitution de pôles industriels européens cohérents dans les secteurs de haute technologie. Notre industrie doit s'y préparer et les maîtres d'oeuvre français prendre le chemin de la concentration qu'ont déjà emprunté leurs homoligues américains, britanniques ou allemands.
Enfin, seule la culture de la concurrence permettra de conquérir des marchés extérieurs.
Vous le savez, seule la conquête des marchés extérieurs permettra de stabiliser ces pôles européens de technologie ou d'industrie que je viens d'évoquer.
C'est plus que jamais, pour nos entreprises, une nécessité impérieuse qui permettra d'améliorer leur compétitivité et leur santé financière.
C'est le sens de la réforme engagée pour GIAT Industries et de celle que j'annoncerai dans quelques jours pour la direction des constructions navales, la DCN.
Ces deux opérateurs industriels, qui ont fait l'objet de critiques d'un certain nombre d'observateurs, ont des compétences exceptionnelles. Il convient aujourd'hui de valoriser ces compétences. Or, nous le savons, cette valorisation passe par une réorganisation profonde et une amélioration de leur productivité.
Elles devront également, pour affronter la concurrence, mettre en oeuvre des politiques commerciales offensives. J'ai eu l'occasion de l'expliquer sur le terrain, en ce qui concerne aussi bien GIAT Industries que la DCN.
Mais n'oublions jamais que les matériels de défense se distinguent non seulement par leur qualité, mais également par leur coût, par les services après-vente, par la formation dispensée aux futurs utilisateurs, par les compensations industrielles et par l'ingénierie financière.
C'est dans cet esprit que je présenterai avant la fin de l'année - bien sûr, devant la commission que vous présidiez, monsieur de Villepin, président, mais aussi devant toutes les instances concernées - un plan de soutien à nos exportations.
Je voudrais tout simplement vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'avoir une industrie de défense qui puisse assurer l'autonomie et l'indépendance stratégique si cette industrie de défense n'a comme marché que le seul marché national.
La baisse des budgets - du budget de la France comme du budget de tous les grands pays développés - conduit inévitablement toutes les industries d'armement à s'ouvrir sur les marchés extérieurs, afin d'assurer leur stabilité et leur rayonnement.
Tel est l'objet du plan de soutien à nos exportations, que j'aurai la responsabilité d'élaborer et l'honneur de présenter.
Le cinquième objectif réside dans l'ambition humaine de la réforme que je vous soumets aujourd'hui.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la défense de la France, c'est une communauté de près de six cent mille personnes composée de militaires d'active, d'appelés et de civils.
La défense de la France, ce sont encore des entreprises, des groupes industriels - petits, moyens et grands - et plus de cinq mille PME, qui rassemblent au total près de un million de salariés.
La défense de la France, ce sont aussi des régions, des départements, des communes, des bassins d'emploi, des vallées, pétris dans cette tradition et répartis sur tout le territoire. Près de trois millions de personnes vivent dans une famille liée à l'industrie de défense.
Le succès de la réforme de notre outil de défense dépend de ces femmes et de ces hommes. Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, a l'ambition de répondre à leurs attentes.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas ce qu'ils disent.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Dès le mois de décembre dernier, ici même, je me suis engagé à ce qu'un dispositif d'accompagnement de la réforme soit présenté lors du dépôt du projet de loi de programmation militaire. C'était un voeu que vous aviez émis. J'y ai répondu favorablement. Aujourd'hui l'engagement est tenu.
Pour la communauté militaire, accompagner la réforme, c'est prévoir les moyens de réussir la professionnalisation des armées, c'est mettre au point des modes de recrutement, de mutation, d'incitation au départ ou à la mobilité. C'est la raison pour laquelle un fonds de professionnalisation a été prévu dans la loi de programmation d'un montant de 9,1 milliards de francs.
Pour notre outil industriel, accompagner la réforme, c'est prévoir le financement des mesures sociales qui permettront d'adapter les structures : 4,8 milliards de francs sont prévus - 4,1 milliards de francs seront consacrés à la direction de la construction navale et 700 millions de francs à la direction des applications militaires du commissariat à l'énergie atomique, le CEA - et seront suivis au sein d'un fonds d'adaptation industrielle.
Je précise à tous ceux qui doutent que c'est la première fois que, dans une loi de programmation militaire, est inscrit un fonds d'adaptation industrielle doté de crédits importants.
Pour les collectivités locales touchées par les restructurations, accompagner la réforme, c'est mettre en place un dispositif pour faire face aux conséquences de ces mesures sur l'emploi et sur l'aménagement du territoire.
M. René-Pierre Signé. C'est la ruine !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ainsi, 2,2 milliards de francs seront affectés au financement de mesures de reconversion économique. Cette somme est inscrite dans le projet de loi de programmation.
Examinez bien les lois de programmation militaire précédentes et vous constaterez que peu d'entre elles ont prévu des crédits aussi importants pour accompagner de telles opérations.
M. Claude Estier. C'est vous qui l'avez faite, la dernière !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Permettez-moi, mesdames, et messieurs les sénateurs, d'ajouter un mot sur ce dernier point.
Elus locaux, vous suivez tous avec attention les conséquences de la réforme pour chaque région, chaque département, chaque bassin d'emploi, chaque commune. Je sais que nombre d'entre vous comptent, dans leur commune, dans leur circonscription, dans leur département, dans leur région, des unités militaires ou des établissements industriels du secteur de l'armement. Je comprends vos inquiétudes, car je suis moi-même élu local. Toutefois, je ne peux vous promettre qu'une réorganisation aussi vaste n'aura pas d'incidence sur l'aménagement du territoire. Je ne serais qu'un menteur si je vous affirmais l'inverse.
Certaines unités seront dissoutes ou réorganisées, tandis que d'autres, professionnalisées, bénéficieront d'un pouvoir d'achat accru. Certaines entreprises verront leurs effectifs diminuer, comme elles ont déjà pu, hélas !, le vivre au cours de ces dernières années, tandis que d'autres, qui auront renforcé leur compétitivité et qui auront su exploiter des marchés, intérieurs comme extérieurs, pourront embaucher.
En revanche, je peux m'engager devant vous à ce que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour atténuer les conséquences locales des restructurations. Je l'ai dit devant vous et je le répète : ce sera un traitement sur mesure, au cas par cas, bassin par bassin, site par site, entreprise par entreprise.
Le 25 avril dernier, le Premier ministre a présidé le premier comité interministériel pour les restructurations de défense. Les procédures administratives sont prêtes, les hommes qui sont chargés de les mettre en oeuvre ont été nommés, les crédits nécessaires sont inscrits à cet effet dans la programmation.
Mais, vous le savez - en tant qu'élus, vous le savez mieux que quiconque - rien ne pourra se faire sans vous. Les mesures de reconversion économique ne se sont jamais conçues et ne se concevront jamais à Paris.
M. René-Pierre Signé. Où ont-elles été décidées ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Les mesures de reconversion économique se conçoivent au plus près du terrain.
M. René-Pierre Signé. Elles ont été décidées à Paris !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est pourquoi j'ai mis en place un dispositif extrêmement déconcentré et décentralisé, avec des délégués régionaux et des chargés de mission dans chaque bassin d'emploi concerné.
C'est aussi la raison pour laquelle je compte sur vous qui réagissez pour que, dans votre localité, vous vous investissiez et qu'au lieu de critiquer vous accompagniez ces mesures de conversion.
C'est encore la raison pour laquelle toutes les régions qui le souhaitent pourront signer une convention avec l'Etat fixant les objectifs auxquels nous devons parvenir et déterminant le rôle des uns et des autres.
De telles conventions sont déjà conclues avec les régions Aquitaine, Bretagne, Rhône-Alpes, et le seront bientôt avec les régions Midi-Pyrénées, Centre, Lorraine et Provence - Alpes - Côtes-d'Azur.
M. René-Pierre Signé. N'importe quoi !
Mme Josette Dirieu. Il n'y a rien dans ces conventions !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette réforme sera portée par un corps social qui connaît pour la deuxième fois en trente ans un bouleversement de ses habitudes et de ses traditions.
Militaires, civils, ouvriers de la défense, tous sont animés du même esprit. Tous - j'y insiste - savent faire primer l'intérêt national sur la poursuite d'une carrière. Et qu'on ne me dise pas que c'est la seule discipline des armées qui inspire leur attitude ! Ce serait faire injure au dévouement, au sens du service de la France dont ils font tous les jours la preuve.
M. René-Pierre Signé. Voilà le lyrisme !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Cette réforme sans équivalent révèle l'attachement de la communauté de défense à l'intérêt national. Je voudrais profiter de mon intervention à cette tribune pour lui rendre un hommage tout particulier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
Cette programmation relève également d'une grande ambition civique, ambition qui passe, en premier lieu, par le renforcement du lien armée-nation.
Longtemps, le service national, et singulièrement le service militaire, a été le lieu privilégié où s'est forgé l'attachement à la défense nationale.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Le service national est-il encore synonyme d'universalité et d'égalité ? Est-il encore synonyme de brassage social ?
Entre nous, personne n'y croit ; nous savons tous que les jeunes Français qui ont le plus besoin d'être accompagnés ou intégrés sont souvent ceux qui, précisément, sont laissés au bord du chemin parce qu'ils sont dispensés ou exemptés.
Pendant des années, le service national et le service militaire ont rempli un rôle éminent ; ils ont sans doute été l'un des éléments déterminants de la cohésion nationale et républicaine.
Pendant des années, des cadres militaires - je veux de nouveau leur rendre hommage - se sont consacrés avec passion, dévouement et dans l'anonymat à la formation des jeunes du contingent, à leur préparation au combat.
Les évolutions que nous connaissons, sans remettre en cause l'enthousiasme de ces cadres ni leurs compétences, nous amènent toutefois, aujourd'hui, à nous poser un certain nombre de questions.
Notre société a évolué : les menaces auxquelles elle est exposée également. Les travaux conduits par votre commission, sous la présidence de Xavier de Villepin, ont conclu que le service national, dans sa configuration actuelle, ne satisfaisait plus la double vocation, militaire et sociale, qui avait été la sienne pendant des décennies.
A l'Assemblée nationale, la mission d'information commune présidée par Philippe Séguin est parvenue à un constat similaire, sinon identique.
C'est également l'un des principaux enseignements de la consultation nationale conduite par les maires et les associations : on savait les jeunes attachés à une formule de service volontaire ; le débat local aura montré qu'une large majorité d'adultes les rejoignaient dans cette approche.
Dans le même temps, un consensus s'est formé sur l'impérieuse nécessité de préserver, et si possible de promouvoir, le lien armée-nation.
Le risque n'est pas de voir la future armée professionnelle se couper de la nation par je ne sais quel réflexe de repli sur soi. Les militaires professionnels - mes récentes visites dans les armées me l'ont encore confirmé - sont ouverts sur la société. Quand bien même ils auraient tendance à se replier, leur épouse, leurs enfants, leurs amis les amèneraient, en fait, à s'ouvrir sur la société civile !
M. René-Pierre Signé. Il faut compter sur les femmes !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ils constituent, avec leurs familles, une communauté parfaitement bien intégrée, je dirai même un pôle de stabilité et de sérénité dans une société en proie à bien des tourments et parfois saisie de vertige.
M. Jean-Luc Mélenchon. N'en rajoutez pas !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le défi que nous avons à relever est donc plutôt de réussir la réforme du service national sans diminuer en rien l'adhésion des Français à la défense du pays, sans dissoudre le lien qui doit les unir à ceux qui ont fait le choix d'y consacrer plusieurs années de leur vie.
Les propositions du Président de la République relatives au rendez-vous citoyen et aux volontariats...
M. Jean-Luc Mélenchon. Gadgets !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... sont, précisément, l'expression d'une volonté de rassemblement et d'échange.
Une volonté de rassemblement, tout d'abord, car, si cette formule est adoptée, après discussion, après amendements, après modifications, le rendez-vous citoyen sera progressivement ouvert à tous, garçons et filles, non à des fins de sélection, comme c'était jusqu'à présent le cas lors des « trois jours », mais afin de leur procurer un bilan personnel, de les sensibiliser aux enjeux de notre société, de les orienter, de faciliter leur intégration dans la vie active et, pour certains, de leur permettre de choisir la voie du service de la nation. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. En dix jours !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Le nouveau service sera aussi un lieu d'échange puisqu'il permettra aux jeunes, grâce aux volontariats, d'exprimer concrètement leur générosité en offrant plusieurs mois de leur vie au service de la collectivité dans l'un de ces trois domaines : sécurité et défense, cohésion sociale et solidarité, coopération internationale et aide humanitaire.
C'est dans ce dessein que le projet de loi de programmation militaire prévoit l'ouverture progressive de postes de volontaires du service national dans les armées, pour un effectif de 27 200 en 2002.
Tant le rendez-vous citoyen que le volontariat sécurité-défense apporteront leur contribution à la pérennité du lien armée-nation.
Mais l'ambition civique, que j'évoquais à l'instant, ne se limitera pas à cela. Elle sera également présente dans la réorganisation des réserves.
Moins nombreuses que l'effectif thérorique actuel à savoir 500 000, mais beaucoup plus nombreuses en pratique puisque l'effectif pratique actuel et de 50 000, les réserves constitueront, avec 50 000 hommes dans les armées et autant dans la gendarmerie, une véritable force de complément, voire de substitution dans certains cas.
Mieux entraînées, plus disponibles, davantage sollicitées que sous le régime actuel, les futures réserves feront certes appel à d'anciens militaires, à des jeunes passés par le service national sécurité-défense, mais également à des volontaires.
Afin d'offrir aux réservistes les meilleures garanties en matière d'emploi, un statut du réserviste sera élaboré en liaison étroite avec les entreprises, qui seront, de la sorte, associées à cette mobilisation civique.
Enfin, les réserves participeront, elles aussi, à la préservation du lien entre l'armée et la nation auquel j'ai fait référence.
Le Parlement sera, bien sûr, un acteur à part entière de cette évolution. Le débat que nous allons ouvrir sur ce projet de loi de programmation en fournit déjà un premier témoignage. Il sera suivi d'autres débats aux mois d'octobre, novembre et décembre prochains, lorsque nous discuterons du projet de loi portant réforme du code du service national et du projet de loi portant organisation générale de la réserve.
Vous avez bien compris, mesdames, messieurs les députés,... (Exclamations)
M. Jean-Luc Mélenchon. Après les scribouillards, les bafouillards !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... mesdames, messieurs les sénateurs, à travers l'exposé que je viens de faire, l'importance de cette réforme.
Celle-ci n'est pas simplement une réforme de structure. Elle n'est pas simplement une réforme quantitative ou qualitative touchant à la défense nationale. C'est une réforme de société.
Nous arrivons, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d'une longue réflexion sur la défense de la France.
Cette réflexion a été engagée il y a bien longtemps.
Pour préparer ces débats, qui n'a relu...
M. Jean-Luc Mélenchon. Jean Jaurès !
M. Charles Millon, ministre de la défense... Vers l'armée de métier du général de Gaulle, ou Le Rôle social de l'officier , du maréchal Lyautey (Exclamations sur les travées socialistes), ou encore les écrits de Jean Jaurès (Exclamations de satisfaction sur les mêmes travées) ,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est mieux !
Un sénateur de l'Union centriste. Pas de sectarisme !
M. Charles Millon, ministre de la défense ... comme les écrits de tous les Français qui sont attachés à l'armée et à la nation ?
Qui ne s'est remémoré, pour prendre la mesure des réformes nécessaires, les drames et les victoires, les joies et les sacrifices qui ont marqué ce xxe siècle ?
Qui n'a pris la mesure de la dimension spécifique de la défense ?
Qui n'a compris que la défense ne se réduit pas à la seule force mécanique, au seul matériel, aussi sophistiqué soit-il, aux seuls systèmes de combats ?
Qui n'a saisi le fait que la défense nationale, c'est, au-delà de l'outil, un esprit, l'esprit de défense, l'esprit de volonté, l'esprit de résistance ?
L'aurions-nous oublié que la célébration des héros de la Grande Guerre par le Président de la République, dimanche dernier à Douaumont, ou encore la commémoration, hier, de l'appel du général de Gaulle le 18 juin 1940 seraient venues nous le rappeler !
En participant à ce débat, en votant le projet de loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de vous présenter, vous donnerez à nos armées, j'en suis sûr, les moyens d'assumer leurs missions. Mieux, vous affirmerez, je le souhaite, leur confiance en elles pour assurer la défense de la France, de cette France qui dépasse ses habitants, porteuse qu'elle est d'une histoire et de valeurs.
Vous n'oublierez pas tout au long de ce débat ce que le général de Gaulle écrivait dans son ouvrage Vers l'armée de métier : « Si cette refonte nationale devait commencer par l'armée, il n'y aurait là rien que de conforme à l'ordre naturel des choses. Non seulement parce que la force reste plus nécessaire que jamais aux nations qui veulent vivre, mais aussi pour cette raison que le corps militaire est l'expression la plus complète de l'esprit d'une société. »
Vous l'avez bien compris, la loi de programmation militaire s'inscrit dans un projet de réforme, dans un projet de société. Nous n'en sommes qu'à la première étape. Je vous demande de la franchir. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Xavier de Villepin, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé est d'une importance majeure.
Il vise, certes, comme les programmations militaires qui se sont succédé depuis le début des années 60, à fixer l'enveloppe financière des crédits militaires : cette enveloppe sera, pour les six prochaines années, de 185 milliards de francs constants 1995, à hauteur de 99 milliards de francs pour le titre III et de 86 milliards de francs pour les titres V et VI.
Mais, ne nous y trompons pas, cette nouvelle programmation militaire a une ampleur et une ambition tout autres. Elle constitue la traduction législative principale de la réforme d'ensemble, complète et profonde, de notre appareil de défense, dont le Président de la République a tracé les contours les 22 et 23 février dernier et précisé les modalités, en ce qui concerne le service national, le 28 mai.
Il ne s'agit que d'une première étape en vue de la réalisation du modèle d'armée à l'horizon 2015, dont la mise en oeuvre intégrale devra s'étendre - ce n'est pas la moindre des incertitudes - sur les deux programmations suivantes. Mais cette première programmation est, naturellement, décisive pour la réussite de la réforme entreprise.
Cette réforme globale vise fondamentalement à mettre à profit ce que le chef d'état-major des armées a appelé devant notre commission la « pause stratégique » pour adapter notre défense à l'évolution fondamentale des menaces et des besoins de sécurité qui caractérisent l'après-guerre-froide et dont tous les grands pays industrialisés ont d'ailleurs déjà, avant nous, tiré les leçons.
Naturellement, il s'agit non pas de baisser la garde ou de relâcher notre vigilance face à un monde troublé, incertain et imprévisible, mais de tenir compte de deux évolutions majeures : la France, d'abord, ne connaît plus de menace militaire permanente à proximité immédiate de ses frontières, ce qui permet de réduire, à la condition de les garantir et de les stabiliser, les ressources consacrées à la défense ; mais nous devons simultanément faire face à des dangers nouveaux, diffus, imprévisibles mais réels, pour lesquels nos forces sont fréquemment sollicitées - trente fois depuis 1990 - ce qui suppose en particulier de renforcer nos capacités de renseignement et de prévention et de disposer, dans des délais très brefs, de troupes immédiatement disponibles, opérationnelles et donc professionnelles.
Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, est fondamentalement une programmation de réforme. L'exercice est exceptionnellement difficile. Cette programmation revêt quatre caractéristiques majeures.
En premier lieu, elle était indispensable : d'abord, pour organiser et planifier cette adaptation globale de notre défense et notamment le bouleversement profond et la très délicate transition qui doit conduire, d'ici à l'an 2002, à l'armée professionnelle ; ensuite, pour définir de façon réaliste les conditions de la modernisation de nos équipements, compte tenu de l'impérative maîtrise des finances publiques et du « décrochage », à l'évidence définitif, entre les prévisions antérieures et la réalité des budgets militaires ; enfin, pour donner aux industriels de la défense la vision minimale de l'avenir qui leur est nécessaire à l'heure où ce secteur industriel traverse une crise et une période de restructurations d'une ampleur exceptionnelle.
Une nouvelle programmation est donc nécessaire. Son exécution pleinement satisfaisante sera indispensable à la réussite de la refonte complète de notre appareil de défense. Si tel ne devait pas être le cas, l'adaptation indispensable de la défense française se trouverait compromise. Après les expériences malheureuses de 1992 - programmation avortée - et de 1994 - programmation mal appliquée et finalement abandonnée - c'est aussi le principe même des lois de programmation qui se trouverait durablement remis en cause.
MM. Charles Pasqua et Jacques Genton. Très bien !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Tout doit être fait pour éviter une telle issue, dont notre défense serait la première victime.
La deuxième caractéristique de cette programmation est qu'elle est financièrement très contrainte, je le souligne, mes chers collègues. Adaptée à nos besoins dans le nouveau contexte international, elle se veut aussi adaptée à nos moyens financiers. Elle a fait à ce titre le pari du réalisme. Elle renverse en quelque sorte le processus habituel : plutôt que de fixer des masses financières conformes à nos ambitions en matière de défense, mais que l'Etat se révèle ensuite incapable de financer, la démarche a été cette fois de garantir à notre défense une enveloppe financière et de bâtir, en fonction de cette enveloppe, un modèle de défense cohérent.
Cette enveloppe financière réduite représente un effort d'économies considérable, d'environ 20 milliards de francs par an par rapport aux prévisions précédentes.
M. René-Pierre Signé. On verra la suite !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Il ne faut pas se leurrer : les difficultés qui devront être surmontées, les efforts qu'il faudra consentir seront considérables. Il s'agit de relever le défi de construire, dans les prochaines années, une armée à la fois plus efficace et moins coûteuse.
Je rappellerai toutefois que voilà quelques mois les hypothèses les plus couramment envisagées étaient encore bien inférieures aux fameux 185 milliards de francs. C'est, d'une certaine manière, un point d'équilibre raisonnable et la moins mauvaise des hypothèses envisageables qui nous est proposée.
Cette enveloppe financière de 185 milliards de francs par an, exprimée en francs constants 1995 et échappant ainsi à la règle qui sera applicable à l'ensemble des ministères civils, n'inclut par ailleurs - écoutez-moi bien, monsieur le ministre - ni les recettes de fonds de concours et la consommation de crédit de report, ni le coût des formes civiles du service national, ni les crédits affectés à la recherche duale.
En ce qui concerne les rustructurations, la défense ne financera que les crédits du FRED et les mesures d'accompagnement social destinées aux personnels de la défense.
S'agissant enfin du financement des opérations extérieures, vous avez précisé, monsieur le ministre, que seules les opérations extérieures « courantes » seront imputées à l'avenir au budget de la défense, et que les opérations « exceptionnelles », décidées par le chef de l'Etat et le Premier ministre, devront donner lieu à une décision d'affectation budgétaire complémentaire. Cette solution va dans le bon sens. Elle ne nous rassure cependant pas complètement, sauf si elle implique que le ministère de la défense se trouvera totalement exonéré du surcoût des opérations jugées « exceptionnelles », ce que je souhaite sans en être totalement convaincu. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques précisions sur ce point ?
M. Claude Estier. C'est important !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Ce projet de loi repose ensuite - c'est sa troisième caractéristique - sur une méthode de programmation affinée, conforme d'ailleurs à des voeux exprimés au cours des dernières années par notre commission.
Il est d'abord global, puisqu'il porte à la fois sur les crédits d'équipement, les moyens de fonctionnement et l'évolution précise des effectifs.
La programmation s'inscrit ensuite dans le cadre d'une planification à long terme, à l'horizon 2015. Le cap est ainsi clairement fixé pour nos forces armées : l'armée de terre sera plus compacte puisque ses effectifs seront réduits à 170 000 hommes, mais elle sera plus souple et interviendra plus facilement sur des théâtres extérieurs ; le tonnage de la marine sera moindre, puisqu'elle comptera vingt bâtiments de moins, mais ses capacités seront maintenues et même modernisées pour ce qui est de leur mise en oeuvre hors métropole ; l'armée de l'air sera fortement resserrée, mais à terme, nous l'espérons, modernisée ; enfin, la gendarmerie sera renforcée.
Exprimé en autorisations de programme et en crédits de paiement, ce projet de loi permet ainsi le développement des commandes pluriannuelles. Je souhaite que ce développement se traduise de la manière la plus large possible, car il s'agit à la fois d'une source d'économies substantielles pour la défense et d'une garantie pour les entreprises.
Ces dispositions positives ne garantissent pas, à elles seules, nous le savons bien, l'application intégrale de la programmation. Celle-ci exigera bien sûr une traduction rigoureuse dans les budgets annuels. Elle supposera surtout de renoncer aux régulations budgétaires en cours d'année, qui sont, je le rappelle, contradictoires avec les votes du Parlement, préjudiciables au bon déroulement des programmes et contraires à tout effort de bonne gestion. Les errements passés, et encore tous récents, doivent être en ce domaine impérativement corrigés.
Rien n'est définitivement acquis. Mais le contexte politique - à cet égard, il faut souligner que la durée de la programmation correspond au mandat du chef de l'Etat - et la détermination affichée par le Président de la République, qui a indiqué solennellement qu'il veillerait personnellement au respect de la programmation, sont de bon augure. Il s'agit là d'un aspect essentiel. (M. René-Pierre Signé manifeste son scepticisme.)
La dernière caractéristique majeure de cette programmation que je voudrais souligner est sa forte dimension européenne.
Des capacités de projection renforcées doivent nous permettre de participer, avec nos partenaires européens et nos alliés, à des opérations en Europe ou hors d'Europe avec des forces professionnelles adaptées, rompues à la coopération interalliée.
Les capacités de prévention et de renseignement doivent être également améliorées par une coopération européenne renforcée, en particulier pour les systèmes spatiaux d'observation.
Il va également de soi que la restructuration accélérée de notre industrie de défense a pour objectif majeur de participer à l'édification de capacités européennes fortes et compétitives de nature à résister à la concurrence internationale, principalement américaine ; enfin, malgré les très fortes contraintes budgétaires qui caractérisent cette programmation, les programmes conduits en coopération européenne verront leurs crédits doubler entre 1997 et 2002.
J'en viens maintenant au passage à l'armée professionnelle, qui constitue le point central de la présente programmation et de la réforme de notre appareil de défense. J'évoquerai successivement quatre points.
La professionnalisation, que je crois pour ma part totalement justifiée, se traduira par un bouleversement des composantes de nos forces. Celles-ci connaîtront, pendant la période de transition que constituera cette programmation, une véritable rupture. Cette mutation sera difficile à vivre. J'ai la conviction que les premières années seront décisives pour son bon déroulement.
Je ne reviendrai pas longuement - de nombreux orateurs le feront - sur les options relatives à l'avenir du service national que notre commission a longuement étudié, et je tiens à en remercier notre collègue M. Serge Vinçon.
La formule du volontariat, préconisée par le rapport de notre commission et proposée par le Président de la République le 28 mai dernier, a fait l'objet d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale. Aux termes de cet amendement, le nombre de « jeunes du service national » sera progressivement réduit à 27 171 volontaires en 2002.
Je rappelle enfin que le principe de la conscription est maintenu avec un « rendez-vous citoyen », dont la durée exacte reste à préciser, mais dont on ne saurait ignorer l'incidence budgétaire dès lors qu'il devra être clairement financé dans le cadre de l'enveloppe annuelle retenue pour le titre III.
La professionnalisation se traduira également par quatre autres évolutions majeures en termes d'effectifs.
Premièrement, nous assisterons à plus d'un doublement du nombre des militaires du rang engagés, dont les effectifs passeront de 44 000 en 1996 à 92 000 en 2002. Cet objectif sera difficile à atteindre pour parvenir à un recrutement suffisant en quantité et en qualité. Cela suppose des incitations financières fortes et des perspectives de reconversion intéressantes ; cela supposera aussi l'allongement de la durée moyenne des engagements.
Deuxièmement, les personnels civils passeront de 73 700 en 1996 à 83 000 en 2002.
Troisièmement, les effectifs de sous-officiers passeront de 215 000 aujourd'hui à 199 000 en 2002, tandis que les effectifs d'officiers diminueront peu - 267 postes - cette quasi-stabilité recouvrant cependant des évolutions plus contrastées selon les armées.
Enfin, quatrièmement, le projet de loi vise, pour 2002, un effectif de 100 000 réservistes. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre ; je n'y reviens donc pas.
La réduction du format des forces - 24 p. 100 globalement - recouvre, elle aussi, des situations différentes.
Pour l'armée de terre, les effectifs globaux seront réduits de 36 p. 100. Il en résultera des restructurations d'autant plus accélérées que l'armée de terre doit rallier au plus vite son format futur. Ainsi une quarantaine de régiments et plusieurs dizaines de formations devront être dissous.
Je souhaite, pour ma part, que les restructurations que vous annoncerez dans quelques semaines, monsieur le ministre, couvrent les trois prochaines années - 1997, 1998 et 1999 - afin de les préparer sur le plan local, de la manière la moins douloureuse possible.
L'armée de l'air, pour sa part, verra ses effectifs décroître de 24 p. 100 et le nombre de ses bases passer de quarante-quatre en 1993 à trente-neuf en 1997 et à trente-deux en 2002.
En ce qui concerne la marine, ses effectifs subiront une contraction de 19 p. 100. Mais, à la différence de l'armée de terre et de l'armée de l'air, la marine compensera la disparition des appelés non par une augmentation des militaires d'active, mais par le recrutement de personnels civils.
Enfin, la gendarmerie est, vous le savez, la seule force dont les effectifs seront appelés à augmenter, de 4,5 p. 100, pendant la période de programmation. Cette évolution reposera essentiellement sur l'augmentation des effectifs civils.
Ces évolutions considérables exigent, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de fortes mesures d'accompagnement économique et social. Ce pari sera difficile à tenir et je redoute, pour ma part, des dérives financières dans les prochaines années. Le projet de loi prévoit en effet de consacrer plus de 9 milliards de francs à la professionnalisation.
Les crédits consacrés au recrutement des engagés permettront d'améliorer la rémunération des militaires du rang et de prévoir des mesures de reconversion dans le civil.
Enfin, la gendarmerie est, vous le savez, la seule force dont les effectifs seront appelés à augmenter de 4,5 p. 100 pendant la période de programmation. Cette évolution reposera essentiellement sur l'augmentation des effectifs civils.
Ces évolutions considérables exigent, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, de fortes mesures d'accompagnement économique et social. Ce pari sera difficile à tenir et je redoute, pour ma part, des dérives financières dans les prochaines années. Le projet de loi prévoit en effet de consacrer plus de 9 milliards de francs à la professionnalisation.
Les crédits consacrés au recrutement des engagés permettront d'améliorer la rémunération des militaires du rang et de prévoir des mesures de reconversion dans le civil.
Ma dernière observation portera sur le volume et la cohérence des crédits de fonctionnement.
Compte tenu, en particulier, du poids des rémunérations et des charges sociales, les crédits de fonctionnement devront diminuer de 20 p. 100 durant la période de programmation. Si la réduction du format des armées doit permettre des économies, je suis préoccupé, monsieur le ministre, par l'incidence de cette réduction des crédits de fonctionnement sur la capacité opérationnelle de nos forces. La question est particulièrement aiguë pour l'armée de terre, où les rémunérations et les charges sociales représenteront près de 85 p. 100 du titre III en 2002.
Ce titre III m'apparaît ainsi globalement caractérisé par une très grande rigidité et une très faible marge de manoeuvre. Je crains que les tensions et les difficultés ne soient, dans les années à venir, au moins aussi fortes sur le titre III que sur le titre V.
J'en viens précisément aux crédits d'équipement, qui représentent 86 milliards de francs par an, et aux grands programmes.
En ce qui concerne la dissuasion nucléaire, je relèverai brièvement trois points.
Le premier concerne la réduction sensible du format de nos forces nucléaires.
Ces décisions, permises par le nouveau contexte stratégique et conformes au principe de suffisance, doivent être approuvées, selon moi. Je m'interroge, en revanche, même si l'on peut en comprendre les raisons, sur la décision de démanteler immédiatement nos centres d'expérimentation du Pacifique : la France sera en effet désormais la seule puissance nucléaire définitivement privée de toute capacité matérielle d'expérimentation, alors que la conclusion d'un traité relatif à l'interdiction générale des essais nucléaires réellement universel et vérifiable est loin d'être garantie et que la mise au point des programmes de simulation constitue un défi technologique considérable.
Le deuxième point concerne la modernisation assurée de la composante sous-marine avec, d'abord, la poursuite du programme exceptionnel des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération ; ensuite, la décision, très importante, de commander le quatrième SNLE-NG en l'an 2000 pour une admission au service actif en 2008, ce qui permettra de maintenir, si nécessaire, deux SNLE à la mer ; enfin, le renouvellement programmé des missiles M 45 par des missiles M 51 à l'horizon 2010-2015.
Au total - c'est ma troisième observation - près de 106 milliards de francs, soit 20,5 p. 100 du titre V, seront consacrés au nucléaire sur les six années de la programmation, soit, en moyenne, 17,5 milliards de francs par an. Cela représente une réduction d'environ trois milliards de francs par an des crédits consacrés au nucléaire.
Cette enveloppe est calculée au plus juste. Je crois que l'on atteindra là un seuil strictement incompressible. J'insiste en particulier, monsieur le ministre, pour que les programmes de simulation, qui sont essentiels pour l'avenir à long terme de notre dissuasion, disposent des enveloppes financières indispensables pour être en mesure d'assurer la fiabilité des nouvelles têtes nucléaires.
Le projet de programmation maintient ensuite une priorité marquée en faveur du renseignement, de l'espace et des capacités interarmées. Les programmes militaires spatiaux disposeront ainsi, sur la période de programmation, de 4 p. 100 des crédits inscrits au titre V.
Il faut en particulier se féliciter de l'accord conclu avec l'Allemagne sur les programmes d'observation optique Hélios 2 et radar Horus. Il s'agit là d'un événément stratégique de première importance au moment où l'Europe militaire spatiale est encore balbutiante. Je rappellerai en effet que, malgré son caractère dominant en Europe, le budget militaire spatial français est de moins de 4 milliards de francs par an, alors que le budget américain dépasse largement 15 milliards de dollars...
En ce qui concerne les équipements classiques, les décisions prises visent à la fois à adapter les équipements au resserrement général du format et à rendre crédible l'enveloppe financière.
Cette démarche réaliste et courageuse doit être approuvée. Elle entraîne cependant, pour chacune de nos armées, des sujets de préoccupation sur lesquels je serais heureux, monsieur le ministre, que vous puissiez apporter devant le Sénat quelques précisions.
S'agissant des forces terrestres, la nouvelle réduction de cible des chars Leclerc, finalement limitée à 406 chars sur la base de trente-trois livraisons annuelles, peut être justifiée par l'évolution du contexte international, encore que le char Leclerc, qui est un remarquable instrument de guerre,...
M. René-Pierre Signé. On ne fait plus la guerre !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. ... par sa polyvalence et sa mobilité, pourrait être projeté plus facilement que les autres chars dans le cadre d'opérations extérieures.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. On ne saurait en tout cas mésestimer les conséquences industrielles, pour GIAT Industries, des réductions décidées.
Un sénateur du RPR. Tout à fait !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. De même, les décisions concernant les hélicoptères Tigre et NH 90, qui se traduisent par une amélioration différée de l'aéromobilité, vont peser lourdement à la fois sur les perspectives industrielles et exportatrices d'Eurocopter et sur les capacités de financement qui seront nécessaires après 2002.
J'en viens, monsieur le ministre, à une question dont je vous ai déjà souvent parlé : les perspectives financières de l'armée de l'air, qui sont à mes yeux les plus préoccupantes pour le futur. L'élément le plus visible du modèle retenu est la diminution du nombre d'avions de combat en ligne, qui passera de 405 aujourd'hui à 360 en 2002. Serons-nous à 300 en 2015, monsieur le ministre ?
Cette forte réduction pourrait, en soi, être jugée inquiétante. Mais le principal sujet d'inquiétude pour les prochaines programmations réside dans la capacité financière de notre armée de l'air d'atteindre ce format lui-même, format pourtant inférieur à celui de nos principaux alliés. Car, pour ses deux programmes majeurs bien que d'ampleur financière différente, le Rafale et l'ATF, l'armée de l'air est contrainte, pour des raisons financières, à l'attentisme et à l'incertitude.
Pour le Rafale, l'effort prévu sur la période de programmation - environ 4 milliards de francs par an pour la loi que nous discutons - se traduit par des économies considérables dans les années à venir, mais il ne permet, mes chers colègues, que deux livraisons et trente-trois commandes sur la période et repousse à 2005 la constitution du premier escadron de Rafale, avec les conséquences qui risquent d'en résulter à l'exportation. En effet, ne passerons-nous pas après l'avion européen concurrent et, bien sûr, après l'avion américain ?
Surtout, ce choix repousse après 2002 l'essentiel de l'effort et il faudra miser alors, pour le seul Rafale, dans la prochaine loi de programmation, non pas sur 4 milliards de francs comme actuellement, mais sur 7 milliards de crédits annuels pour atteindre l'objectif visé en 2015. Il est permis de nourrir de fortes inquiétudes quant à la tenue de ce pari pour notre armée de l'air.
Pour la flotte d'avions de transport, l'incertitude persiste sur les appareils qui devront succéder aux Transall à partir de 2003. Le projet de loi ne comprend aucun financement pour le développement de l'avion de transport futur, l'ATF, et les Allemands nous ont récemment rejoints sur cette position. Notre commission souhaite vivement la réalisation effective du projet européen, dont l'abandon constituerait un inquiétant aveu d'impuissance. Mais pouvons-nous encore y croire ?
J'insiste sur ces difficultés futures. Mais il va de soi que la période de programmation verra simultanément la modernisation et le déroulement satisfaisant de nombreux programmes aériens, à commencer par les Mirage 2000 D et les Mirage 2000-5.
Le principal problème pour la marine, qui sera réduite à terme à 80 bâtiments au lieu de plus de 100 aujourd'hui, concerne l'avenir du groupe aéronaval, sa capacité de permanence et sa capacité défensive.
Première difficulté : le projet de loi ne prévoit, en fin de planification en 2015, que l'éventualité d'un second porte-avions, si les conditions économiques le permettent ; or, le Clemenceau sera retiré du service en 1997 ; le Foch, pour sa part, sera mis en sommeil en 1999 lors de l'admission au service actif du Charles-de-Gaulle, avant d'être remis en service vers 2004 lors de la preimère révision programmée du Charles-de-Gaulle ; au-delà de cette date, il est à craindre qu'une indisponibilité non programmée du porte-avions ne puisse être compensée dans les délais requis par une intervention en temps de crise ; il va enfin de soi qu'au-delà de 2010 la permanence du groupe aéronaval ne pourra être maintenue que si le second porte-avions voit le jour.
Une seconde difficulté pour le groupe aéronaval concerne son aviation embarquée et le délai qui séparera le retrait des Crusader de l'arrivée en 2002 de la première flottille de douze Rafale marine ; ce délai affectera, pendant plus d'un an, la protection du groupe aéronaval.
La dernière partie de mon intervention sera consacrée aux incidences du projet de loi sur les industries de défense. Vous en avez beaucoup parlé, monsieur le ministre. Je formulerai quatre observations sur les mesures nationales indispensables.
La réduction des coûts des programmes constitue une nécessité absolue pour rendre plus compétitive notre industrie. C'est dans cet esprit que vous avez demandé à la délégation générale pour l'armement, la DGA, de diminuer de 30 p. 100, sur la période de programmation, ses coûts et ses délais d'intervention pour parvenir à une réduction équivalente des coûts et des délais des programmes d'armement. Cet objectif, très ambitieux, ne peut constituer qu'un ordre de grandeur. Il sera, à l'évidence, très difficile à atteindre, en tout cas de manière systèmatique et uniforme.
Le but est de renforcer nos structures industrielles. L'Etat a pris à cet égard des initiatives fortes. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez aujourd'hui faire le point devant le Sénat des perspectives concernant la privatisation du groupe Thomson, des modalités et du calendrier envisagé pour le rapprochement difficile annoncé entre Dassault Aviation et Aérospatiale, des perspectives de recapitalisation de GIAT Industries dont, nous en sommes conscients, l'avenir reste sombre et qui, bien qu'implanté sur des sites trop nombreux, touche des bassins d'emploi déjà fortement atteints, et, enfin, sur la répartition des 4,1 milliards prévus dans le projet de loi pour accompagner la lourde mais indispensable adaptation de la Direction des constructions navales, la DCN, à son plan de charge.
Le projet de loi prévoit un dispositif substantiel d'accompagnement économique et social des restructurations.
Ma dernière observation porte sur la nécessité - j'insiste sur ce point, monsieur le ministre -, d'un dispositif cohérent d'aide à l'exportation des industries liées à la défense.
Nous faisons, en matière d'aide à l'exportation, beaucoup moins bien que nos concurrents américains. Il faut renforcer notre présence en ce domaine.
Mes chers collègues, les difficultés de mise en oeuvre de la profonde réforme qui nous est proposée ne doivent en aucune manière être mésestimées.
Ainsi, la professionnalisation de nos forces, qui est, à mes yeux, tout à fait nécessaire, constitue un bouleversement majeur pour nos armées, tout particulièrement pour l'armée de terre. La réussite de la politique de recrutement des engagés constituera une étape très difficile, des efforts exceptionnels devront être consentis, tant pour l'organisation des forces que pour les personnels, et la période de transition qui s'achèvera en 2002 sera, monsieur le ministre, particulièrement délicate à gérer ; il en résultera, et nous devons en être conscients, une limitation de nos possibilités d'engagement extérieur dans les prochaines années.
Par ailleurs, la réduction des crédits d'équipement aura des conséquences lourdes : des efforts d'économies systématiques ont été faits et tout a été calculé « au plus juste », pour reprendre les termes employés par le chef d'état-major des armées.
Enfin, l'effort ne s'arrêtera donc pas en 2002, et il devra être poursuivi au-delà de cette date pour atteindre l'objectif visé pour 2015. Les prochaines programmations seront donc décisives pour le financement d'équipements majeurs et très lourds dont la réalisation a été reportée. Chacune de nos armées sera alors confrontée à ce que l'un de nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a appelé d'inquiétantes « bosses » financières.
C'est avant tout le problème de la montée en puissance du Rafale et du financement simultané des avions de transport pour l'armée de l'air. C'est aussi, pour la marine, le problème de la permanence de la cohérence du groupe aéronaval et du financement du second porte-avions. C'est encore notamment, pour l'armée de terre, la question de l'aéromobilité, dont la modernisation paraît - je dis bien « paraît », monsieur le ministre - avoir été différée. C'est, enfin, l'adaptation impérative des structures de notre industrie d'armement, qui n'ira pas non plus sans difficultés.
Le pari est donc très ambitieux. Il n'en doit pas moins, selon la commission, être relevé, car il s'agit à la fois d'un pari nécessaire et d'un pari raisonné, et cela au moins à quatre titres.
La réforme qui nous est proposée se caractérise d'abord par sa cohérence d'ensemble. La démarche entreprise a un caractère global et prend en compte, pour la première fois, tous les aspects de notre défense. C'est là un premier gage de réussite.
Cette réforme est ensuite caractérisée par son réalisme. Elle se veut adaptée à nos moyens. Il aurait, certes, été aujourd'hui plus facile pour nous d'adopter une loi de programmation ignorant les contraintes financières et le contexte de nos finances publiques. Mais cet effort systématique d'économies constitue précisément le facteur essentiel de crédibilité de la programmation qui nous est soumise. Cette masse financière reste au demeurant ambitieuse puisqu'elle privilégie les crédits militaires qui seront maintenus en francs constants.
La réforme qui nous est soumise se caractérise aussi par son caractère progressif. Cette progressivité est indispensable pour accompagner la professionnalisation et la réduction de format de nos armées.
Enfin, la réforme proposée s'inscrit fondamentalement dans une perspective européenne forte qui touche, là encore, tous les aspects du modèle de défense retenu : organisation de nos forces, équipements, stratégie industrielle.
Pour toutes ces raisons, cette réforme de notre appareil de défense m'apparaît à la fois courageuse et exemplaire. Monsieur le ministre, je tiens à vous en remercier. La programmation qui nous est soumise, malgré toutes les difficultés qu'il faudra surmonter, constitue la rampe de lancement indispensable de l'adaptation de notre défense.
Tel est bien l'enjeu. Nous n'avons dès lors pas le droit à l'erreur. L'échec n'est pas permis. C'est la raison pour laquelle l'exécution fidèle et intégrale de cette programmation constituera un impératif auquel notre commission portera, tout au long des années à venir, la plus grande vigilance.
Je suis, à cet égard, moins pessimiste que pour les précédentes programmations, et ce pour deux raisons majeures : l'enveloppe financière est d'abord, cette fois, raisonnable et réaliste, et l'engagement personnel du Président de la République constitue ensuite un élément primordial de respect de la loi et un gage de crédibilité essentiel.
Mes chers collègues, je voudrais, en quelques mots, vous résumer ma conviction personnelle pour terminer, et je rejoins votre conclusion, monsieur le ministre.
Quatre-vingts ans après la bataille de Verdun, cinquante-six ans après l'appel du 18 juin, l'armée française ouvre aujourd'hui un nouveau chapitre de son histoire. L'heure n'est ni à la résignation ni au scepticisme. Nos armées attendent et méritent avant tout notre engagement résolu, notre reconnaissance et notre soutien.
C'est sous le bénéfice de ces observations que votre commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Blin, rapporteur pour avis.
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien des choses ont déjà été dites sur la décision prise par le Président de la République de procéder à une refonte générale de notre appareil de défense. Elles le furent, souvenez-vous-en, lors du débat d'orientation qui s'est déroulé au Sénat le 26 mars dernier. D'autres remarques, remarquablement pertinentes, et auxquelles je m'associe, viennent d'être faites à l'instant même par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense saisie au fond.
L'avis de la commission des finances, que j'ai mission de rapporter devant vous, les rejoint largement. Il se limitera à l'aspect financier de cette loi de programmation à six ans, tout particulièrement au titre V, qui traite des équipements. Il est vrai que cet aspect financier est essentiel dans la mesure où la révision profonde du format de nos armées a été inspirée non seulement par le bouleversement de notre environnement géostratégique, mais aussi et au moins autant par des contraintes budgétaires.
Celles-ci sont en effet bien différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient voilà deux ans lorsque fut élaborée par le précédent gouvernement, puis votée par le Sénat, une première loi de programmation 1994-2000. De l'une à l'autre, les crédits consacrés à notre défense subissent une réduction forte de 20 p. 100 ; ils s'établissent désormais, tous titres confondus, à 185 milliards de francs par an.
Ce chiffre doit cependant être interprété. En réalité, et malgré les apparences, il s'agit moins d'une suppression brutale et massive de moyens que d'un constat. Il représente, en effet, une partie de l'écart qui, de 1991 à 1995, s'est régulièrement établi entre les crédits votés par le Parlement et ceux qui furent réellement consommés. Des annulations ou reports divers, soit 45 milliards de francs en cinq ans, c'est-à-dire 30 p. 100 des crédits initialement prévus, ont affecté essentiellement le titre V. Ceux-ci ont constitué, disons-le très clairement, sur la période la principale variable d'ajustement budgétaire. Ces fluctuations brutales, imprévisibles sont dommageables à bien des titres : elles perturbent les conditions de production des entreprises, elles génèrent des intérêts moratoires que l'Etat doit verser. C'est ainsi - chiffres impressionnants - que ceux-ci ont atteint 350 millions de francs en 1994 et 550 millions de francs en 1995.
En inscrivant dans la loi le montant annuel des crédits qui seront désormais consacrés à la défense nationale, le Gouvernement fait donc oeuvre de vérité et de clarté, S'y ajoutent deux garanties : ces 185 milliards de francs seront calculés en francs constants et cette ligne budgétaire devra être scrupuleusement respectée ; le Président de la République en a pris solennellement l'engagement. Pour les entreprises, l'avenir devrait donc, désormais, être durablement balisé.
Cette loi de programmation à six ans, qui sera suivie de deux autres pour atteindre 2015 dans le cadre d'une planification qui verra s'achever le remodelage complet de notre système de défense, n'est pas, vous le voyez, sans mérite. Elle satisfait en tout cas notre goût bien national d'ordre et de clarté.
Mais, comme chacun le sait depuis Napoléon, en matière militaire, tout est dans l'exécution. Or c'est là, et plus particulièrement dans la période si délicate de mue qui va marquer nos armées jusqu'en l'an 2000, que des ombres apparaissent, et certaines sont malheureusement épaisses.
La première ombre tient à la réduction très sensible de leurs moyens matériels.
Pour l'armée de terre, les crédits régressent de 23,8 milliards à 19 milliards de francs. Les chars passeront de 930 à 420, nombre inférieur à celui de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne, inférieur même à celui des Emirats arabes unis, auxquels nous avons vendu nos chars Leclerc.
M. Emmanuel Hamel. C'est dramatique !
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis. Les hélicoptères passeront de 340 à 168, les véhicules tout terrain de 800 à 500, les véhicules de l'avant blindés de 2 000 à 1 230.
La marine perdra 23 bâtiments. Le porte-avions Clemenceau sera désarmé en 1997 ; le Charles-de-Gaulle à propulsion nucléaire sera opérationnel en 1999. La construction d'un second porte-avions de même type n'est pas prévue pour le moment. Or - M. de Villepin l'a rappelé tout à l'heure - pour assurer la présence d'au moins un bâtiment à la mer, il en faut, on le sait, deux. Il est donc envisagé de garder le Foch , quasi-frère du Clemenceau, « en sommeil », situation dont les conditions techniques de mise en oeuvre me paraissent très imprécises. En revanche, un quatrième sous-marin nucléaire sera construit.
Mais c'est - je le répète après M. de Villepin - l'armée de l'air qui va connaître la reconfiguration la plus profonde. Sa flotte d'appareils a vieilli ; ses coûts d'entretien augmentent. Leur nombre devrait passer de 450 avions à 300 en 2015.
Son sort est désormais lié à celui du Rafale. Cet appareil d'un type radicalement nouveau, dans la mesure où il sera polyvalent, propre à la fois à l'interception et à l'attaque, destiné en outre, dans sa version marine, à équiper le porte-avions Charles-de-Gaulle , devait, lorsque sa construction fut engagée, en 1988, être opérationnel en 1996. Or il ne serait plus mis à la disposition de l'armée de l'air qu'en 2005, soit avec près de dix ans de retard. En 2002, il est vrai, douze Rafale-Marine embarqueraient sur le Charles-de-Gaulle et deux seraient livrés à l'armée de l'air aux seules et uniques fins de démonstration.
Ce retard présente deux inconvénients graves ; je pense que vous en conviendrez, monsieur le ministre. Il privera pendant trois ans, de 1999 à 2002, le porte-avions de la protection aérienne qui lui est nécessaire. Mais, surtout, le Rafale risque de voir singulièrement compromises ses chances à l'exportation, celle-ci étant pourtant indispensable à la rentabilisation de son coût de développement très élevé puisqu'il atteint 40 milliards de francs, dont 35 milliards de francs sont à la charge de l'Etat. Dans la concurrence féroce qui caractérise le marché des avions d'armes, le Rafale disposait jusqu'ici d'une avance de plusieurs années par rapport à l'avion européen concurrent et aux appareils américains F 15, F 16 et même F 18, qui, bien que de qualité, sont vieillissants et moins performants, en attendant la sortie du futur avion d'attaque interarmes américain, qui n'est pas prévue avant 2004 en démonstration et 2009 en série.
Il s'ouvrait à lui un créneau qu'il pouvait occuper presque seul sur le plan mondial.
S'il venait à perdre cette avance et si l'armée française ne s'en équipait pas à temps, cet atout majeur disparaîtrait, avec les conséquences commerciales et financières qu'on peut imaginer.
Je m'attarderai moins - cela vient d'être fait par M. de Villepin - sur l'arme nucléaire dont les crédits diminuent de 20 p. 100. Abandon du missile Hadès, qui inquiétait assez justement l'Allemagne, démantèlement du plateau d'Albion, des installations de Pierrelatte et Marcoule, celle-ci à la charge du CEA, poursuite du programme PALEN de miniaturisation des essais nucléaires, tout cela traduit la priorité donnée au vecteur air ou mer de notre force de frappe, moins vulnérable, du moins aussi longtemps que le sous-marin restera indétectable. Si ce n'était plus le cas demain, le choix de l'abandon définitif du plateau d'Albion ne serait pas sans conséquences.
La seconde inquiétude exprimée par la commission des finances concerne les programmes d'équipement prévus dans le cadre de la coopération européenne, plus particulièrement avec l'Allemagne. Ils représentent 60 milliards de francs et sont en forte progression, nous nous en félicitons.
Dans le domaine prioritaire du renseignement, cette coopération devrait se dérouler comme prévu. Nous construirons le satellite Hélios II avec notre voisin allemand, qui a résisté aux pressions insistantes menées par les Etats-Unis pour l'en détourner. Il en sera de même pour les satellites d'observation Horus et Osiris, à la construction desquels d'autres pays européens s'associeront, ainsi qu'en matière de télécommunications pour le satellite Syracuse.
En revanche, dans le domaine des hélicoptères, la situation est beaucoup moins bonne. Le Tigre, hélicoptère d'attaque - appui et protection - produit par la société Eurocopter, dans laquelle Aérospatiale se partage majoritairement le capital avec DASA, s'est déjà heurté à la forte concurrence de l'Apache américain, qui lui a ravi les marchés anglais et hollandais. Il se heurtera, demain, à celle du Comanche, toujours américain. Il devait être produit à 430 exemplaires et être armé du missile Trigat. Mais ce chiffre est désormais incertain et, en tout état de cause, les délais de fabrication seront allongées et passeraient de 1992 à 2002. Il en va de même du NH 90, hélicoptère de transport, qui intéresse sept pays européens, avec un marché estimé entre 500 et 800 appareils.
Mais c'est sur le sort futur de l'ATF que j'insisterai, car il pose, et de loin, le plus gros problème. Je m'étais déjà exprimé à son sujet lors du débat d'orientation de mars dernier, mes chers collègues, certains se le rappellent peut-être. Seul cet appareil garantirait à la fois notre capacité de projection des forces, l'une des raisons d'être de la loi de programmation que vous nous proposez, monsieur le ministre, et assurerait l'indépendance de la France et des pays européens face aux Etats-Unis. Produit à 300 exemplaires pour sept pays, plus de 100 à l'exportation, il entraînerait la création de 15 000 emplois en Europe. Or, et c'est là une étrange contradiction, ce programme est absent du projet de loi que nous examinons. Il ne serait envisagé que dans la prochaine, c'est-à-dire après 2002, et à la condition que notre situation financière le permette.
Au cours des derniers mois, mes chers collègues, cette affaire d'une importance capitale a fait l'objet d'une active confrontation entre les industriels concernés et le Gouvernement. Celui-ci a raison de mettre la barre très haut - elle ne l'a sans doute pas été assez lorsque fut décidée, en son temps, la construction du Rafale - en demandant, d'une part, une réduction significative des spécificités de l'appareil et donc de son coût et, d'autre part, la prise en charge quasi totale de son coût de développement par les industriels. Cette contrainte, sans précédent dans le domaine de l'aviation militaire, peut paraître très, sinon trop sévère. De toute façon, les industriels ne pourraient y consentir que si les Etats clients s'engageaient sur un programme ferme de commandes. C'est en effet la condition sine qua non de la rentabilité du projet et de l'intérêt qu'il pourrait susciter dans les sociétés de droit privé. Si ce chiffre de 3,5 milliards de francs, qui correspondrait à la part que l'Etat pourrait finir par consentir à prendre dans le coût de développement de l'appareil, est exact, il apparaît bien faible par rapport à l'enjeu.
La commission des finances espère donc qu'un accord entre les partenaires - Etats utilisateurs et industriels - pourra être trouvé - il devra l'être - et vous demande, monsieur le ministre, de tout faire en ce sens.
Une troisième source d'incertitude tient à l'exigence, tout à fait justifiée, émise par le Gouvernement de voir réduit de façon très sensible le coût des fabrications d'armement grâce à une augmentation de la productivité de 30 p. 100 à l'horizon de 2002, soit un gain de 5 p. 100 par an.
J'observe que ce coût représente plus du double de ce que prévoyait la loi de programmation de 1994, objectif qui ne fut d'ailleurs pas atteint l'an dernier.
Ce chiffre est très ambitieux. Il nous paraît peu compatible avec la réduction des séries et l'allongement des délais prévus par ailleurs. Il suppose une meilleure articulation entre la recherche civile et militaire, une meilleure coopération avec et entre les différents organismes, fussent-ils d'Etat, tels le CNES, le Centre national d'études spatiales, et le CEA, le Commissariat à l'énergie atomique ; il suppose la forfaitisation systématique des contrats, etc. Mais surtout il implique un changement de culture total de la part de la direction générale des armements, la DGA. En effet, il ne s'agira plus, demain, de répondre comme hier par des moyens financiers régulièrement accrus aux exigences, toujours plus sophistiquées, des techniciens de la chose militaire qui devront désormais, au contraire, adapter leurs demandes aux crédits mis à leur disposition. Cette prise en compte de la loi du marché - puisque c'est l'Etat qui est consommateur - constitue une véritable révolution.
Elle répond, en outre, à un autre impératif qu'on ne sent pas assez, monsieur le ministre, ni dans votre projet de loi ni dans les commentaires qui l'ont accompagné, celui de l'exportation. Le marché des armes connaît une concurrence acharnée. Le facteur prix y joue désormais un rôle déterminant, dû entre autres à la présence accrue de matériels d'occasion. Savez-vous que les ventes françaises d'armes ont chuté en dix ans de 72 p. 100 ? Leur excédent est passé de 34 milliards à 7,2 milliards de francs.
Leur avenir est donc plus que jamais lié à la lutte pour l'abaissement des coûts.
Reste, enfin, une quatrième et dernière source d'inquiétude, et ce n'est pas la moindre. Elle est liée à la fragilité de l'équilibre prévu dans le projet de loi de programmation entre les crédits de fonctionnement et les crédits d'équipement, soit respectivement 99 milliards et 86 milliards de francs. La commission des finances voudrait être certaine qu'on n'assistera pas à des transferts indus des seconds vers les premiers. Ce fut le cas dans le passé. C'est le cas aujourd'hui au niveau du budget général de l'Etat dont, depuis cinq ans, le train de vie n'a cessé d'augmenter alors que les crédits d'équipement civil régressaient.
Notre crainte est d'autant plus vive que les occasions de dérive sont multiples. Le traitement de problèmes aussi difficiles que le redéploiement des sites de production, avec les reconversions économiques et sociales qu'il entraînera, le financement de nouvelles dépenses d'infratructures, faiblement compensé par la cession des actifs immobiliers de l'armée, la recapitalisation des sociétés de conversion, les restructurations industrielles, à l'occasion desquelles les effectifs seront fortement réduits, les compensations assurées à la Polynésie pour la fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique : tout cela a, certes, été prévu, mais le coût, estimé approximativement, me semble-t-il, a toutes chances d'être supérieur.
Il en va de même pour le coût des opérations extérieures, estimé à 4 milliards ou 5 milliards de francs. En effet, la distinction faite entre les opérations courantes, dont le financement est prévu dans la loi, et les autres, qui devraient donner lieu à un supplément de ressources, nous paraît bien théorique. Comment qualifier, par exemple, l'engagement de nos troupes en Bosnie ? Que dire encore des mutations touchant le personnel militaire, dont mon collègue M. Trucy parlera tout à l'heure beaucoup mieux que moi ?
Un seul exemple : le coût du « rendez-vous citoyen » est estimé à 750 millions de francs. Mais il peut beaucoup varier selon la durée. Or celle-ci ne sera traitée que dans un prochain projet de loi. Pour l'instant, l'incertitude demeure.
En résumé, mes chers collègues, le contraste est grand entre la clarté et l'ambition du but que le chef de l'Etat a fixé à la nation, but que nous approuvons, et la fragilité des perspectives financières qui entourent les moyens qu'il faudra réunir pour l'atteindre.
Ce contraste paraît plus particulièrement sensible et dangereux à la fin de la période couverte par cette loi de programmation, c'est-à-dire entre 1999 et 2002. A ce moment-là, en effet, comme l'a dit M. de Villepin, le budget devra assumer à la fois le plein effet des mesures de redéploiement des sites de production, ainsi que celui de la conversion du personnel militaire et, dans le même temps, la mise en fabrication de l'avion Rafale et le lancement éventuel de l'ATF.
Il n'y parviendra que si, d'ici là, la charge de la dette publique générale, qui représente aujourd'hui 20 p. 100 de nos recettes, a été, sinon définitivement, du moins significativement réduite. Or elle ne pourra l'être qu'au prix d'une réduction drastique du coût du fonctionnement civil de l'Etat. Et cette tâche, vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, sera rude !
A cet égard, toutefois, la loi prévoit, dans son article 3, que le Gouvernement présentera chaque année au Parlement, lors du dépôt du projet de loi de finances, un rapport sur l'exécution de la loi de programmation et sur les mesures à caractère économique et social qui l'accompagneront. De même, tous les deux ans, un débat parlementaire aura lieu sur ce rapport, qui pourra inclure une révision des échéanciers des programmes industriels. Ces dispositions, introduites par l'Assemblée nationale, nous paraissent utiles et méritent notre approbation.
Je conclurai mon intervention en formulant une ultime crainte. Elle touche un point aux incidences financières certaines : la sécurité intérieure. Les menaces que font peser sur celle-ci le terrorisme, la drogue, bref, toutes les formes extrêmes - et il en est bien d'autres - de malaise social, ne sont pas minces. Le renforcement de 4,5 p. 100 des effectifs de la gendarmerie suffira-t-il à y répondre ?
Je rappelle que le plan Vigipirate, pourtant modeste, a exigé le renfort de 50 000 appelés. Cette tâche essentielle pourrait, demain, devenir prioritaire. Une armée professionnelle pourra-t-elle l'accomplir ? A défaut, qui s'en chargera, et avec quels moyens ? La question méritait d'être posée.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, dont certaines, vous l'aurez constaté, s'assortissent, non pas de réserves...
M. René-Pierre Signé. Si, et très dures !
M. Maurice Blin, rapporteur pour avis. ... mais d'une assez grande perplexité, la commission des finances vous propose d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Emmanuel Hamel. Merci de vos arguments pour voter contre ce projet de loi néfaste !
M. le président. La parole est à M. Trucy, rapporteur pour avis.
M. François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ce projet de loi de programmation militaire, vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, est partie d'un projet de société, partie d'un projet de réforme.
Le budget de la défense prendra sa part des économies de la dépense publique.
Le Gouvernement, que nous soutenons, a entrepris des réformes considérables, toutes nécessaires à notre pays.
Il s'applique tout d'abord à lui-même un effort de réduction du déficit budgétaire de l'Etat, de la dette publique et des dépenses publiques.
Il a mis en route la réforme de la sécurité sociale ; il tente de redresser la situation de la SNCF ; il réforme les télécommunications et modernise le statut de France Télécom. Il réformera, demain, une fiscalité devenue incompréhensible parce que trop complexe et poussera au redressement d'un système bancaire français très mal en point.
Comment imaginer, dans ces conditions, que la défense militaire ne prenne pas sa part de la réduction de la dépense publique ? La géopolitique permet de le tenter ; la situation financière l'exige.
Le budget de la défense économisera donc 20 milliards de francs par an. En échange, il obtient une garantie inusitée : l'assurance doit être doté de 1 110 milliards de francs pour les six années 1997-2002, dont 594 milliards de francs pour le titre III, soit 99 milliards de francs par an.
Puisse cette programmation militaire inaugurer une ère nouvelle de réalisme et de cohérence.
Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est la première étape vers le nouveau modèle d'armée ; mais il marque déjà une véritable rupture et amorce une très profonde mutation.
Vous me direz que ce n'est ni la première réforme de notre dispositif de défense ni la première loi de programmation militaire ; vous l'avez rappelé tout à l'heure, c'est la neuvième. Mais les réorganisations successives de l'armée que la France a conduites, soit à l'issue des grands conflits mondiaux, soit à la fin de la phase coloniale de notre histoire, sont déjà oubliées dans la mémoire collective. Le choc d'aujourd'hui est donc tout neuf.
Les lois de programmation successives ont un seul point commun, tout le monde le sait, celui de n'avoir jamais été respectées. L'auraient-elles été dans les lois de finances que, année après année, les régulations budgétaires, les gels de crédits, les changements de programme n'auraient cessé d'annuler, et ce dans des proportions notables, les dispositions retenues dans les budgets de la défense. Le sort cruel réservé à la dernière loi de programmation militaire est très significatif.
Il faut passer de la méthode des voeux et des cachotteries budgétaires à celle du réalisme de la cohérence.
Partageant pleinement toutes les idées exposées à l'instant par MM. de Villepin et Blin, je ne ferai qu'exprimer ici des regrets et des craintes, des satisfactions, des espoirs, avant de faire part de la confiance que j'ai dans la réussite de la réforme et de formuler enfin quelques questions.
Parmi les regrets, figure d'abord celui de voir disjoints les deux débats : programmation, d'une part, et service national, d'autre part.
Bien sûr, monsieur le ministre, vous avez fort honnêtement, pour répondre à cette critique, fait figurer dans le texte le tableau des effectifs des deux options retenues par vous pour le service.
Cela permet de débattre dans la clarté, certes, mais aussi de constater que ces deux options sont à cent lieues de l'organisation actuelle du service. Sur ce point, nous craignons que le débat ne soit donc clos par avance et qu'il n'attende pas les résultats de la prochaine consultation du Parlement.
Regret d'avoir lu et entendu, pas de vous, monsieur le ministre, des propos tout à fait regrettables et psychologiquement maladroits sur la conscription. Ils étaient déplacés, injustes et faisaient bon marché du dévouement et de la compétence des militaires de carrière en charge du service.
Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Le service avait de grands défauts, dont le principal était sans doute son caractère de plus en plus inégalitaire, mais ce n'était pas la faute des militaires eux-mêmes.
En tout cas, il était ni utile ni correct de le dénigrer pour mieux promouvoir la professionnalisation.
Regret, à propos du choix de la professionnalisation, des références, à mon avis beaucoup trop louangeuses, aux armées britanniques et américaines.
Je constate, témoignages à l'appui, que l'exemple britannique n'est pas si brillant que cela, vu du côté des Britanniques eux-mêmes, et que l'armée américaine, si puissante soit-elle, n'offre pas le visage de la perfection.
Il faudra donc - et nous adorons cette expression - faire vivre une armée professionnelle à la française. Sur cela, au moins, je ne nourris aucune inquiétude, monsieur le ministre : le pari sera gagné.
Regret de voir se réduire dans de telles proportions les effectifs de trois de nos armées, jusqu'à se poser le problème suivant : le seuil critique est-il atteint ? Est-il dépassé ? Qu'on en juge : 130 000 militaires de moins en regard de quelques civils de plus pour assurer les tâches non opérationnelles jusqu'alors confiées précédemment aux appelés ; au total, 120 000 personnes en moins dans les six ans qui viennent.
Mais, surtout, l'armée n'est-elle pas, de nos jours, non seulement un grand corps de l'Etat, solide et bien organisé, que l'on ne voit pas modifier sans appréhension, mais plus encore l'un de ces corps - j'aurais tendance à dire « le corps » - au sein desquels les notions de patrie, de valeur, de vertu, de courage, de rigueur et de discipline sont le mieux entretenues et défendues, et cela quels que soient les lieux et les circonstances ?
L'armée, même réduite, conservera, j'en suis sûr, toutes ces qualités, mais il y aura un déficit quantitatif dans un domaine qui, de l'avis d'un grand nombre d'entre nous, au Sénat ou ailleurs, est particulièrement peu satisfaisant en France à l'heure actuelle.
Après ces regrets et ces craintes, j'exprimerai des motifs de satisfaction.
Satisfaction de constater que la consultation nationale, le débat d'orientation sur la défense et les multiples dialogues engagés par vous, monsieur le ministre, sur tous les terrains, ont provoqué la prise en compte, quelquefois assez tardive mais réelle, de nombreux éléments importants à nos yeux et qui n'étaient pas traités ou à peine ébauchés dans le projet initial.
Il en est ainsi du problème des réserves et de ce que l'on appelle maintenant le « rendez-vous citoyen », en attendant de trouver une dénomination plus claire. Encore faudra-t-il, monsieur le ministre, que ce rendez-vous soit bien organisé, bien encadré, qu'il ait une durée suffisamment longue pour apporter ce qu'on en attend : éducation civique, esprit de défense, débouchés vers l'une ou l'autre des formes d'engagement, militaire ou civique, mais aussi bilan intellectuel, physique, social et recensement.
Satisfaction, pour le rapporteur du titre III du budget de la défense, de voir enfin le champ de la loi de programmation militaire étendu aux dépenses de fonctionnement. Ne l'avions-nous pas réclamé, à cette tribune, pendant plus de six ans ! Dès 1997, le titre III atteindra 99 milliards de francs 1995, soit le même niveau qu'en 1996.
Autre grande satisfaction : vous avez inscrit dans le projet de loi de programmation militaire des rendez-vous majeurs pour le « rapport annuel sur l'exécution de la loi de programmation militaire » et les mesures d'accompagnement économique et social.
Le débat bisannuel au Parlement sur cette exécution est également prévu à l'article 3. Vous avez précisé, ce qui est très important à nos yeux, qu'il « pourra inclure une révision des échéances des programmes industriels », permettant ainsi de « coller » à la réalité de cette restructuration.
Enfin, vous vous êtes engagé, à l'article 5, à ce que le Gouvernement présente avant la fin de 1996 un rapport sur les mesures d'aide et de soutien à l'exportation des matériels de défense.
J'en viens maintenant aux espoirs et à la confiance dans la réussite de la réforme.
Espoir que les crédits affectés à cette programmation de six ans en francs 1995 resteront intangibles - les deux orateurs précédents ont beaucoup insisté sur cette idée -, quelles que soient les conditions économiques et politiques que la France connaîtra durant cette période, et que les crédits du titre III résisteront à la pression considérable qui s'exercera sur eux.
Si ce n'était pas le cas, les objectifs fixés ne seraient pas atteints, en particulier la restructuration industrielle des établissements de fabrication des matériels militaires, déjà bouleversée par les nouveaux programmes d'armement.
Nous avons enregistré avec soulagement les engagements explicites et chiffrés du Président de la République et les vôtres, monsieur le ministre.
Espoir que les reconversions des sites industriels touchés recevront les crédits promis et, surtout, l'attention minutieuse que réclame la situation des personnels, qu'il s'agisse des ouvriers d'Etat ou des salariés des industries civiles.
Nous savons que ces industries représentent un secteur économique et social vital pour notre pays.
Ces dirigeants, ces ingénieurs, ces cadres, ces salariés de tous grades ont assuré indéfectiblement notre idépendance pendant des décennies et une qualité remarquable de matériels très divers. Ils ont relevé tous les défis technologiques. Nos armes sont excellentes, souvent les meilleures. Il ne faut oublier ni cela ni le fait, qu'a déjà rappelé M. Blin, que c'est une industrie exportatrice, même si chacun est bien conscient, ou doit le devenir, qu'il y a de très gros progrès à accomplir en termes de productivité et de compétitivité.
Espoir que cette loi, qui vise à garantir notre sécurité extérieure face aux nouveaux conflits de notre temps et notre sécurité intérieure face au terrorisme et aux violences de toutes sortes, nous apporte des moyens suffisants.
Ne faut-il pas aussi nous battre contre la concurrence redoutable, dans le domaine des matériels militaires, que les rapporteurs précédents ont évoquée ?
Nos alliés américains affichent ouvertement une volonté de détruire - et je pèse mes mots - l'industrie européenne de l'armement en jetant dans la balance le soutien financier de l'Etat fédéral à la recherche et au développement - supérieur de dix points au nôtre - et une très efficace pression - je n'ai pas dit « chantage » - jouant sur le soutien diplomatique, financier et militaire des Etats-Unis.
Le défi est immense, et il englobe tout, de la révolution technologique à la commercialisation.
Espoir que le débat au Parlement apportera, d'ici à sa conclusion, un maximum de précisions et de réponses à nos questions.
Espoir, enfin, monsieur le ministre, que vous veillerez à l'évolution de chacune de ces réformes dans la réforme, et surtout au respect de tous les engagements.
Mais, au-delà de l'espoir, il y a la confiance.
Nous avons confiance dans la détermination du Président de la République de mener cette réforme à bonne fin, de la soutenir tout au long de son difficile parcours.
Sa volonté, clairement exprimée à plusieurs reprises, l'impulsion qu'il donne, la garantie personnelle qu'il apporte, sous une forme inusitée mais ô combien précise et chiffrée, nous inspirent confiance.
Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre, et en votre équipe pour assurer leur pleine efficacité aux objectifs retenus, à savoir la protection de nos intérêts vitaux en France et hors de France, celle de nos intérêts stratégiques de puissance mondiale responsable, le maintien des grandes fonctions opérationnelles de nos armées, c'est-à-dire la dissuasion, la prévention et la projection, la professionnalisation, la cohérence avec une coopération internationale indispensable dans les domaines politiques militaires, économiques et industriels, et, en corollaire, la mutation du service militaire par la conscription vers une autre forme de participation des jeunes au service de la nation.
Monsieur le ministre, durant de longs mois, vous avez multiplié les consultations et les concertations au sein des armées, les visites et le dialogue. Aujourd'hui, au Sénat, vous engagez un débat. Demain, nous savons que vous mettrez la même rigueur à réussir la réforme dans la concertation. Voilà qui mérite notre confiance.
Il faudra également faire confiance au sens civique des Français. Peut-être le challenge est-il plus risqué ? Pour que le lien armée-nation et, plus important, plus fondamental encore, le lien nation-citoyen résistent à la réforme, pour que ces liens ne se délitent pas, il faudra de la confiance, sans doute, mais aussi de la vigilance.
Enfin, et surtout, monsieur le ministre, quelques questions se posent.
S'agissant du sort des personnels, pouvez-vous nous confirmer les propos rassurants et légitimes que vous avez tenus sur la deuxième carrière civile des militaires de carrière quittant le service, qui est un sujet plus brûlant encore qu'autrefois ?
Quel sera le sort des nombreux contractuels ?
Quelles perspectives se dégagent pour les avancements dans ce contexte de réduction des effectifs ? L'encadrement des nouveaux engagés professionnels résoudra-t-il ce problème ?
Le fonds d'accompagnement de la professionnalisation, doté de 9,1 milliards de francs, suffira-t-il à financer les mesures d'incitation au départ, à stimuler le recrutement des engagés, à revaloriser les soldes et à faciliter la reconversion ?
Je ne comprends toujours pas comment le service de santé des armées va s'en sortir sans les appelés médecins, chirurgiens et dentistes. Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous me l'expliquerez.
Qu'en est-il de la fermeture d'établissements, de la convention avec les hôpitaux civils, les cliniques privées et les praticiens libéraux ?
Comment maintiendrons-nous, outre-mer, nos forces et le service militaire adapté qui s'est si vite rendu indispensable ?
Comment seront qualifiées - M. Blin l'a dit à l'instant - les opérations extérieures imprévisibles et coûteuses ? Comment seront-elles financées ? Jusqu'à présent, elles l'étaient dans des conditions scabreuses et dans des collectifs.
Le rôle des réserves reste encore, pour certains d'entre nous, nous ne vous le cachons pas, plein d'incertitudes.
Le mois de juin est l'objet de nombreuses manifestations sportives, tant en France qu'à l'étranger. Quel sort sera réservé au bataillon de Jointville, élément fort du sport et de la compétition sportive militaire ?
Telles sont nos réflexions et nos interrogations essentielles. Je suis plein d'espoir et confiant dans votre action.
La tâche est rude pour vous, monsieur le ministre, mais aussi pour chacun d'entre nous et pour un nombre considérable d'hommes et de femmes, qui sont aujourd'hui inquiets sur leur sort et pour l'armée qu'ils aiment et qu'ils servent de leur mieux.
M'exprimant comme M. Maurice Blin à l'instant avec les mêmes mots et dans le même état d'esprit, j'ai proposé à la commission des finances du Sénat de donner un avis favorable sur le titre III du projet de loi de programmation militaire. Puisse l'avenir nous donner à tous raison. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 85 minutes ;
Groupe socialiste, 73 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 63 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 53 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 40 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 35 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Beaucoup de choses ayant été dites par vous-même, monsieur le ministre, ainsi que par les rapporteurs, je m'efforcerai d'éviter les redites en vous interrogeant sur un certain nombre de points plus précis.
En cet instant, ce débat peut se résumer en trois points : la pertinence de la volonté de réformer, l'audace de la profondeur de la transformation et, enfin, les difficultés d'application que nous ne pouvons pas cacher. Cependant, l'importance des conséquences de cette nouvelle programmation, la neuvième depuis 1958, ne manque pas de susciter certaines interrogations. En effet, elle implique une remise en cause totale de notre système de défense.
Sa mise en oeuvre coïncide peut-être avec le moment le plus difficile du point de vue financier. Nous sommes confrontés, en effet, à un impératif majeur, la limitation des déficits publics, qui impose de privilégier les aspects financiers par rapport à l'ensemble des facteurs économiques. Il en résulte une réduction des budgets de tous les ministères à laquelle l'enveloppe financière de la défense ne peut échapper.
La programmation proposée pour les six prochaines années prévoit donc une baisse sensible des crédits budgétaires par rapport à la précédente et récente loi qui n'a d'ailleurs pas été respectée. On en constate naturellement les effets tant sur le rythme de la modernisation des équipements des forces que dans la réduction de quelque 25 p. 100 des effectifs militaires. Ces conséquences seront sensibles et parfois douloureuses à supporter.
Le regroupement dans les 85 régiments maintenus entraînera la fermeture d'un tiers des installations de garnisons et la restructuration sur l'ensemble des sites conservés. On ne peut nier que ces actions portent en elles le risque de profondes mutations économiques et sociales difficiles à gérer pour les collectivités locales concernées.
Cependant, force est de constater - il faut, sur ce point, ne pas faire preuve d'hypocrisie - que le processus de limitation des crédits budgétaires consacrés à la défense était engagé depuis plusieurs années par les annulations de crédits au travers des lois de finances rectificatives.
Le niveau des crédits de paiement des titres V et VI de 1993, de 1994 et de 1995 a été très proche de celui qui est proposé pour la programmation 1997-2002, soit 86 milliards de francs par an.
Sur ce point, le projet de loi en discussion a l'avantage de la franchise et de la clarté.
Quant aux crédits du titre III, destinés à assurer le fonctionnement, c'est-à-dire la vie quotidienne et l'entraînement des forces, ils sont fixés à 99 milliards de francs par an. Nous n'avons pas à nous réjouir qu'ils prennent le pas sur les crédits du titre V. Il s'agit d'une vieille querelle des rapporteurs du budget de la défense. Faut-il donner la priorité à l'équipement, c'est-à-dire au titre V, ou à la vie quotidienne des armées, c'est-à-dire au titre III ?
En l'espèce, il faut savoir que ces 99 milliards de francs par an permettront tout juste de faire supporter la difficile transition vers la professionnalisation.
L'originalité du projet de loi tient au fait que la programmation affiche les niveaux de crédits à la fois pour les titres V et VI et pour le titre III. Tel était le souhait exprimé depuis longtemps par la commission des affaires étrangères auquel j'ai l'honneur d'appartenir. De plus, elle en garantit la valeur en francs constants 1995 pour toute la durée de la programmation, grâce à une clause d'actualisation par application de l'indice des prix à la consommation hors tabac.
Mais encore faut-il que les 185 milliards de francs consacrés chaque année à la défense de 1997 à 2002, soient, selon l'expression souvent employée, « sanctuarisés », pour éviter d'être touchés par de nouvelles annulations au gré des aléas de la vie financière nationale. Un engagement ferme du Gouvernement sur ce point est nécessaire, car descendre en deçà des chiffres avancés risquerait de mettre en réel danger l'équilibre de la défense de la France.
Ainsi, le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté constitue le volet principal d'un ensemble législatif destiné à permettre à la France de relever le défi de l'adaptation de notre système de défense aux réalités nouvelles du monde.
Cette politique, impulsée par le Président de la République au lendemain de son élection, a le mérite de la cohérence. Le 22 février dernier, M. Jacques Chirac s'adressait aux Français et leur révélait l'ampleur de la réforme et de ses objectifs, à savoir adapter la défense française « aux données stratégiques, technologiques, industrielles et financières de notre pays, pour nous permettre de faire face dans les meilleures conditions aux défis qui se dessinent à l'aube du XXIe siècle ». Cet objectir me paraît plus stimulant que cette longue quête des dividendes de la paix qui a été menée en vain pendant plusieurs années.
Après le chapitre heureusement clos des expériences nucléaires françaises dans le Pacifique, la discussion de ce projet de loi est une étape décisive. Il suffit, pour s'en rendre compte, de reprendre les trois grands chapitres définis dans l'exposé des motifs de ce texte à savoir la professionnalisation des armées, la restructuration de l'outil de défense et la modernisation des équipements, et enfin, l'avancée vers la défense européenne.
S'agissant de la professionnalisation des armées, la mutation sera vraisemblablement délicate quels que soient la nature et les crédits alloués au dispositif prévu à cet effet, en liaison avec les régions. Il s'agit bien de procéder - c'est le fait humain - au départ de deux cent cinquante officiers et de deux mille cinq cents sous-officiers par an pendant six ans et de dissoudre une quarantaine de régiments pour réduire les effectifs des armées au niveau fixé par la réforme.
La professionnalisation des armées sera bien évidemment accompagnée - et c'est le deuxième aspect, le fait psychologique - d'une modification du service national qui, selon la déclaration du Président de la République en date du 28 mai dernier, prendrait la forme d'une suppression du service militaire obligatoire par la suspension de la conscription.
L'hypothèse d'une réduction importante de la durée du service national qui avait été avancée par certains pour en maintenir l'obligation me paraît peu compatible avec le volume de crédits du titre III et sans véritable efficacité opérationnelle. Certes, la question sera débattue au Parlement à l'automne, mais il ne faut pas sous-estimer le fait psychologique.
Nombre de nos concitoyens sont conscients de la nécessité de rénover notre système de défense mais ils sont aussi inquiets de la suppression ou de la suspension de la conscription. Ils craignent que le sentiment de citoyenneté, qui est déjà très affaibli pour une grande partie de la jeunesse française, ne s'en trouve tout à fait altéré.
C'est pourquoi, contrairement à certains de mes collègues, je suis favorable au « rendez-vous citoyen ». Pour qu'il soit une réussite, il doit comprendre deux phases. Tout d'abord, une première semaine, ou cinq journées, serait consacrée au recensement d'une classe d'âge, à l'appréciation des capacités physiques et psychiques, à l'évaluation du niveau des connaissances et à la diffusion indispensable des notions élémentaires de la vie et de la solidarité nationales ainsi que de l'esprit de défense avec la possibilité d'y participer à titre professionnel ou volontaire ou encore dans les réserves.
Une deuxième semaine ou quelques jours encore après une période de réflexion permettrait des rencontres avec des sujets déclarés aptes, ce qui, à mon sens, favoriserait l'engagement ou la possibilité de servir en tant qu'appelé volontaire. Je pense notamment aux VSL, les volontaires service long. A cet égard, un chiffre a d'ailleurs été retenu dans la loi de programmation après le débat à l'Assemblée nationale.
La restructuration de l'outil de défense et la modernisation des équipements posent de sérieux problèmes.
Tout d'abord, il est demandé aux industriels de l'armement de réduire de 30 p. 100 les coûts de fabrication. Je ne sais si ce chiffre correspond à un véritable objectif, mais il me paraît assez difficile à atteindre.
Vous avez appelé la Délégation générale pour l'armement à remettre ses conclusions dans le courant de l'été pour réaliser des économies substantielles. La tâche est particulièrement difficile. Il est à craindre qu'à force de chercher à réduire les coûts on en arrive à opter pour des équipements moins sophistiqués ou pour des achats à l'étranger de matériel sur étagère.
En ce domaine, la concurrence des Etats-Unis est forte. Ceux-ci ont relevé le défi financier et sont parvenus en dix ans à réduire de deux tiers leur budget d'acquisition des armements. L'entreprise n'était pas irréaliste, mais à quel coût social ? Les salariés des industries françaises d'armement ont déjà beaucoup souffert. Des milliers d'emplois ont disparu depuis dix ans.
Le projet de loi de programmation militaire prévoit d'importantes réductions de commandes avec des étalements et des reports de projets. Sommes-nous prêts à payer le prix par une nouvelle vague de suppressions d'emplois ?
A ce sujet, plusieurs questions nous préoccupent. D'abord, le programme Rafale pour l'équipement de l'aéronavale et de l'armée de l'air sera reporté à 2003 ou à 2005. Je partage, à cet égard, le sentiment de M. Blin. N'y-a-t-il pas là un rique de rendre sa commercialisation plus difficile à l'étranger ? On a parlé, pour le Rafale, d'une fenêtre favorable sur le marché international, puisque le nouvel avion de combat américain est en cours de conception et que Eurofighter, son concurrent européen, n'est pas encore performant mais est en cours d'amélioration. Ces éléments ne devraient-ils pas nous inciter à engager un effort particulier ? Cet effort est-il possible ? Tel est le sens de ma question.
J'ajoute que la situation du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle , admis au service en 1999, sera inconfortable. Devant attendre jusqu'en 2002 sa première flotille de Rafale Marine, il n'aura donc aucune couverture réelle d'intercepteurs. Les Crusaders du Foch et du Clemenceau sont en effet parvenus aux limites d'utilisation. Je note toutefois l'acquisition de trois et non plus de quatre Grumann Hawkeye qui sont également indispensables à la sécurité de notre porte-avions nucléaire.
La différence réside dans le fait qu'un groupe aéronaval a besoin de deux porte-avions pour en avoir toujours un apte à prendre la mer. Le Clemenceau quittera prochainement le service. Le Foch , malgré de nouveaux efforts d'entretien, n'aura qu'une utilisation réduite après l'an 2000. Dès lors, l'importance d'un groupe aéronaval en Méditerranée et sur le flanc sud de la France et de l'Europe incite à une réflexion rapide sur la mise en chantier, non prévue à la programmation, du deuxième porte-avions à propulsion nucléaire.
Naturellement, il ne s'agit pas de décider cette mise en chantier maintenant. Il s'agit d'avoir, au-delà de la programmation militaire, l'assurance que la politique du groupe aéronaval sera poursuivie.
Je constate, par ailleurs, que la dissuasion nucléaire trouve une solution logique d'adaptation avec la fermeture prochaine du site du plateau d'Albion, et la suppression du régiment d'Hadès ainsi que dans les mesures prises pour les composantes maritimes et aériennes, qui permettent d'espérer une dissuasion nucléaire suffisante, mais minimale.
Parallèlement, aucune défaillance ne doit être admise dans le développement du programme PALEN pour remplacer définitivement les essais dans le Pacifique. La réalisation du laser mégajoule au CESTA est bien prévue. Elle doit être menée avec énergie. Je me réjouis, à ce sujet, des accords qui se dessinent pour l'échange d'informations avec les Etats-Unis dans le domaine de la simulation nucléaire en laboratoire afin de s'assurer de la fiabilité des armes. Ainsi, la France pourrait signer la prorogation du traité de non-prolifération et souscrire à l'option zéro en matière d'essais nucléaires, conformément à l'engagement du Président de la République.
J'aurais également souhaité obtenir quelques précisions sur la place des recherches et du développement technologique dans ce projet de loi de programmation, mais le temps qui m'est imparti ne me permettra pas de m'étendre sur ce point.
J'exprimerai enfin un regret, non sur l'attribution annuelle de un milliard de francs à la Polynésie française pour compenser la fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique, mais sur le fait qu'il soit prélevé sur les crédits du titre III. J'aurais préféré que des crédits spécifiques soient prévus pour cela. Vous partagez sans doute ce regret, monsieur le ministre ( M. le président de la commission sourit. ) car un crédit supplémentaire de un milliard de francs dans ce projet de loi de programmation aurait été le bienvenu.
Le dernier point de mon intervention concernera la défense européenne. Je suis président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que je sois acquis à la construction d'une défense traduisant la solidarité des nations de l'Union européenne. Vous regretterez cependant avec moi, j'en suis convaincu, que la politique étrangère et de sécurité commune soit l'un des objectifs européens les plus difficiles à concrétiser.
La France a, bien entendu, un rôle primordial à jouer dans la matérialisation de cette politique. Notre pays dispose d'atouts indéniables, du point de vue nucléaire, spatial ou aéronautique.
Ainsi, l'espoir existe de voir naître une Agence européenne de l'armement efficace, bien que des désillusions récentes, à l'occasion de la conclusion de marchés d'armement européens, ne nous conduisent pas à accorder une grande confiance à nos partenaires européens. Toutefois, la volonté de coopération de l'Allemagne. Cela est une voie de salut pour nos industries nationales, qui aurait peut-être dû nous inciter à consentir un effort particulier en ce qui concerne la commande d'hélicoptères NH 90 et de Tigre, mais l'un des membres de mon groupe en parlera plus longuement.
La profonde mutation opérée en France à la suite de la réforme en cours fournira des arguments supplémentaires pour plaider en faveur de la défense européenne. De plus, la récente évolution de l'attitude de la France dans le cadre de l'OTAN est également porteuse d'espoirs, grâce à la reconnaissance en cours du pilier européen par nos alliés américains. Il s'agit d'aller au-delà de la brigade franco-allemande et de l'Eurocorps.
Cependant, il serait dangereux de croire trop vite au succès. Une défense européenne verra le jour, j'en suis certain, mais c'est un travail de longue haleine, qui requiert l'adhésion de tous. Les résultats de la conférence intergouvernementale donneront peut-être matière à progresser.
Je conclurai, monsieur le ministre, en reconnaissant l'importance et la nécessité de la réforme que vous nous proposez. Je soulignerai aussi le nombre des difficultés économiques, sociales et culturelles qu'elle soulève. Traduisant une certaine inquiétude, mes interrogations ont été nombreuses. Malgré toutes les réserves émises, je ne pense pas que la France puisse se permettre l'économie de la réforme de son système de défense. C'est pourquoi je voterai le projet de loi aujourd'hui présenté. Au sein du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, certain de mes collègues vous feront part de leur propres réserves, mais la majorité du groupe apportera ses suffrages au projet de loi de programmation, avec l'espoir que ses dispositions seront, cette fois, intégralement respectées. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bourges.
M. Yvon Bourges. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit est d'une particulière importance. Chacun d'entre nous en a conscience. Il est souhaitable de l'aborder avec la seule préoccupation de l'intérêt national et une sérénité qui ignore les clivages partisans.
Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis vient à son heure, car il était grand temps de tirer les enseignements de la nouvelle situation géostratégique née de l'affrontement du bloc communiste et dont les conséquences, évidentes pour l'Europe, ne sont pas moins importantes pour la communauté internationale.
Oui, il n'est que temps d'entamer une réflexion prospective sur les données nouvelles de la sécurité pour la France et l'Europe et au-delà, dans un monde où l'abolition des distances et du temps révèle instantanément la solidarité de tous les continents et de tous les pays.
C'est le mérite du Gouvernement d'ouvrir ce débat sur l'initiative du Président de la République, chef des armées.
Comment, depuis sept années qu'est intervenu un des événements sinon le premier événement majeur de ce siècle, avoir continué à poursuivre, comme si de rien n'était, une politique de défense immuable alors que l'organisation et l'équipement de nos forces armées étaient subrepticement mis en cause, les budgets militaires votés étant partiellement gelés, les programmes d'armement inconsidérément étalés, avec, comme première conséquence, une majoration des coûts ? Ainsi, progressivement, était mise en cause la cohérence de notre outil militaire, comme on ne l'a que trop perçu à l'occasion de la guerre du Golfe ou des événements survenus dans l'ex-Yougoslavie.
La politique de défense qui doit permettre d'assurer la sécurité du pays et de notre continent ainsi que de jouer dans le monde le rôle qui doit être celui de nos vieilles nations, repose sur une analyse de la situation actualisant les menaces et définissant les moyens propres à y faire face.
Le pays connaît les conclusions du comité stratégique chargé de ces études auprès du ministre de la défense et la décision historique et courageuse du chef de l'Etat d'adapter nos armées aux missions qu'elles auront désormais à assurer dans le monde multipolaire face aux incertitudes qu'il recèle.
L'éventualité d'une confrontation massive, totale, avec l'ex-URSS n'est plus plausible, surtout si nous savons associer la Russie à son destin européen. Les menaces sont plus diffuses, aujourd'hui incertaines, mais des situations nées de la misère, de conflits idéologiques, raciaux ou religieux, ou d'une volonté de puissance peuvent conduire à des agressions que l'on ne saurait sous-estimer. A juste titre, le Gouvernement considère que tant le maintien d'une capacité mesurée de dissuasion que la disposition de forces bien équipées, opérationnelles en permanence, sont les exigences de notre temps.
Dans l'organisation et le volume de nos moyens propres, il faut aussi considérer l'Europe et le rôle que nous y pouvons et devons tenir. Nous voulons que l'unité européenne exprime une volonté politique commune dans les domaines des relations extérieures et de la sécurité. Cela se traduira par le rassemblement des capacités militaires de chacun pour répondre à un danger ou un risque partagé. Il faut donc tenir compte de cette solidarité européenne, face à certaines menaces, dans la constitution de nos forces armées.
Enfin, la France a des missions particulières à assumer, qui tiennent à la présence de terres françaises dans tous les océans, d'engagements, notamment de coopération, vis-à-vis de pays alliés ou partenaires et, plus généralement, à sa vocation universelle et à son statut international.
Pour satisfaire à ces missions, le Gouvernement propose une armée plus réduite et professionnalisée. Le projet de loi envisageait deux hypothèses : un service national volontaire ou un service national obligatoire. L'Assemblée nationale a tranché en ne retenant, dans un article 2 bis nouveau, que l'engagement volontaire.
Il est vrai que, dans le volume global des effectifs des armées, le nombre d'engagés ou d'appelés ne varie guère de l'une à l'autre solution et que, dans le cas du maintien d'un service national obligatoire, le nombre des jeunes le remplissant dans les armées ne correspond qu'à un pourcentage de l'ordre de 10 p. 100 d'un contingent, ce qui pose avec acuité le problème de l'inégalité du service militaire.
Pour autant, le service national obligatoire n'est pas écarté. Il s'agit, s'en tenant à la disposition adoptée par l'Assemblée nationale, de définir ce qu'il pourrait être dans son exécution, sa durée et ses moyens. C'est un autre sujet sur lequel nous aurons l'occasion de légiférer à l'automne.
Les auteurs du projet de loi de programmation militaire proposent de décider de l'importance et de l'organisation des armées ainsi que de leur armement et de leurs moyens d'intervention. C'est sur ces deux points que nous avons à nous prononcer.
Nous en avons conscience, le projet de loi dont nous débattons apporte une grande et profonde réforme de nos armées pour en faire une force militaire moderne, adaptée à la situation stratégique de cette fin de siècle. Elle marque un tournant historique de notre politique militaire.
L'armée française, avec un effectif global de 440 000 hommes dont 98 000 gendarmes, n'est pas une armée diminuée ; elle constitue une force adaptée. Son volume est du même ordre que celui de l'armée allemande après réunification et supérieur à celui de l'armée britannique. Elle donnera, à terme, à notre pays une capacité opérationnelle supérieure aux possibilités de notre organisation actuelle.
Il s'agit de faire face aux situations et aux missions que j'ai précédemment rappelées.
L'armée de terre sera organisée à partir de quatre composantes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, offrant par leur équipement et leur spécialisation le moyen de constituer sans retard des forces opérationnelles aptes à répondre à une mission déterminée.
Une chaîne de commandement permanente - un état-major des forces et des états-majors d'unités organiques - est conçue pour constituer rapidement un état-major spécifique, adapté à chaque situation particulière.
La professionnalisation et la spécification des diverses composantes des forces, jointes à des moyens de commandement prêts à être immédiatement rassemblés, donnent au pays la possibilité d'agir rapidement et efficacement sur le plan militaire en fonction des circonstances.
La marine va être également constituée en grandes unités organiques répondant aux spécialisations des composantes de la flotte sous-marine ou de surface et offrant au commandement la possibilité de créer des groupes d'intervention satisfaisant aux nécessités de chaque action à conduire.
L'armée de l'air dispose déjà de structures répondant aux capacités propres de chaque type de mission. La réforme portera sur le renforcement de la spécialisation des grandes unités, notamment dans le domaine de la détection et de l'information. Ici encore, le rassemblement des moyens permettra de satisfaire à chaque type de mission pour qu'elle puisse être assurée sans délai.
L'organisation de nos trois armées répond à une même préoccupation : assurer la mise en oeuvre, dans les meilleures conditions, de forces opérationnelles adaptées à chacune des missions qu'elles doivent remplir.
La première de ces missions est la dissuasion, à un niveau qui garantisse la crédibilité des armes confiées à la marine ou à notre aviation. Le retrait des moyens du plateau d'Albion ou des vecteurs Hadès résulte de la nouvelle situation stratégique, qui exige une posture nucléaire redéfinie.
Une autre consiste en la projection sur le théâtre européen, dans le cadre d'une politique commune de défense, ou sur des théâtres extérieurs, pour assumer le rétablissement de situations de crise ou de conflit dans le cadre de nos engagements nationaux ou internationaux.
Tout aussi importante est la prévention des menaces par des moyens de veille appropriés.
Enfin, au rang de ces missions figure la protection du territoire en toutes circonstances par des opérations militaires ou la participation d'unités militaires à un engagement plus global de l'appareil de l'Etat selon la nature de la menace.
Pour ces missions, l'apport des réserves est non seulement nécessaire mais souhaitable. Des crédits sont incrits dans le projet de loi, mais nous souhaitons que soient plus précisement définies les modalités de leur organisation et les moyens dont elles disposeront.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Yvon Bourges. Le renouveau de nos armées exige sans nul doute des efforts particuliers pour tous les corps et tous les échelons. Pour ma part, je suis persuadé que la communauté militaire, que je connais bien, accepte ces sacrifices ou ces efforts pour atteindre l'objectif qui a été fixé.
S'il est possible de réaliser l'accomplissement du renouveau des armées dans des limites budgétaires correspondant aux exigences de l'heure, ce ne saurait être cette seule considération qui doit le guider. C'est parce qu'elles répondent à la situation stratégique nouvelle en Europe et dans le monde que nous souscrivons à la dimension et à l'organisation de notre appareil militaire que le Gouvernement propose.
Le deuxième volet du projet de loi de programmation dont nous débattons définit les armements et les moyens d'action dont doivent disposer nos unités militaires.
Sur ce sujet, il est clair que le programme qui nous est soumis est conditionné par les limites des finances publiques. Si l'on peut le regretter, on ne saurait s'en étonner, ni par conséquent le refuser. Il me semble, en tout cas, préférable de disposer d'un cadre réaliste qui apporte la garantie de la réalisation des programmes que de s'en tenir, comme ce fut trop souvent le cas, à des dispositions fallacieuses qui donnent l'illusion de promesses qui ne sont pas tenues. Tel ne sera pas le cas puisque ce projet de loi englobe les titres III - fonctionnement - et V - investissements - et les exprime, outre les autorisations de programme, en crédits de paiement. C'est d'ailleurs la méthode que j'avais choisie pour la loi de programmation du 19 juin 1996 - c'est son anniversaire - pour la période 1977-1982, qui fixait en crédits de paiement les montants des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'investissement assurant, chaque année, à ces dernières une part progressive.
Cette procédure permit le respect de ces prévisions financières dans les budgets de 1977 à 1981. Nous sommes assurés qu'il en sera de même pour la période 1997 à 2002, d'autant plus que le Président de la République s'en est porté personnellement garant.
Aussi, mes chers collègues, il me paraît que le projet de loi que nous examinons apporte, dans une époque où les financements publics sont difficiles et, à bien des égards, incertains, l'assurance des moyens, en francs constants, qui seront attribués à nos armées. Encore faut-il, comme l'a souligné le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que ces crédits soient totalement et exclusivement consacrés aux besoins de nos armées et aux finalités du projet de loi qui nous est soumis. En effet, une érosion des engagements financiers sous prétexte de nécessités étrangères - malgré les apparences - aux exigences de notre défense ne serait pas acceptable pour nous.
Sur ce sujet essentiel, nous attendons, monsieur le ministre, un engagement clair du Gouvernement. A l'occasion de l'examen des articles du projet de loi, nous aurons l'occasion d'en débattre.
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. Yvon Bourges. Il n'en est pas moins vrai que les limites mêmes de cet effort obligent à des choix, tant dans la hiérarchie des projets que dans le calendrier des réalisations. Encore ne faut-il pas oublier que des programmes, importants au double plan technique et financier, ont été lancés, et que l'architecture des investissements ne peut les méconnaître.
La programmation proposée s'efforce de donner à chaque armée les moyens exigés pour leurs missions actualisées. Il s'agit pour notre défense d'une planification qui, au-delà de l'horizon de l'actuel septennat, doit englober une période s'étalant sur une vingtaine d'années et dont le présent projet de loi ne constitue que la première étape. En effet, la conduite d'une politique de défense appelle cohérence dans les objectifs et persévérance dans l'action. C'est pour avoir méconnu ces exigences que notre appareil militaire se dégradait lentement. L'effort conduit de 1960 à 1980 a heureusement permis d'en ralentir le processus.
M. René-Pierre Signé. Et après ?
M. Yvon Bourges. A la dissuasion sont consacrés 20,5 p. 100 des crédits, pour doter la force océanique stratégique de 4 SNLE-nouvelle génération et des missiles M 51 donnant à sa composante marine une modernisation répondant aux exigences de sa sécurité et de sa crédibilité. Les forces aériennes stratégiques, y compris la composante aéronavale, seront dotées d'un nouveau missile ASMP aux performances améliorées. Enfin - et ce n'est pas le moins important - le projet de loi prévoit le financement des programmes de simulation nécessaires à la fiabilité de nos armes nucléaires.
Pour les équipements classiques, l'effort nouveau à retenir est la constitution d'une force de détection, d'information, de surveillance et de contrôle qui disposera, outre des moyens conventionnels, de moyens spatiaux, dont certains en coopération avec l'Allemagne.
Sur un plan général, les programmes d'équipement retenus correspondent aux nécessités des diverses composantes d'une armée renouvelée. Leur contenu valable en qualité est sans doute quantitativement insuffisant. Si, dans l'immédiat, les dotations en sont mesurées, elles s'inscrivent dans un effort à plus long terme. La situation stratégique actuelle nous permet l'étalement de l'effort militaire. Encore ne faut-il pas tarder à l'engager car nul ne sait quelles seront les évolutions à venir dans cette situation.
Je veux croire, monsieur le ministre, que si les ressources budgétaires s'améliorent ou si l'action que vous assumez pour réduire le coût des armements réussit, il sera possible de compléter, de renforcer les programmes d'équipement de nos armées, ce qui me semble constituer une priorité nationale.
La réforme militaire que nous engageons s'inscrit dans le cadre d'une politique extérieure globale tant sur le plan national que sur le plan européen. C'est, à mes yeux, un élément essentiel dans le projet que le Président de la République propose au pays avec l'ambition de donner à la France le rang et l'influence qui doivent être les siens dans les affaires du monde. L'on retrouve dans cet engagement le prolongement de la politique du général de Gaulle, dans un environnement différent et par des moyens adaptés mais répondant à une même inspiration et à une égale ambition. Les gaullistes ne peuvent que l'apprécier et l'approuver sans réserve. Je crois qu'il est possible d'affirmer sans emphase que la France est de retour dans les affaires du monde.
En Europe, nous recherchons la constitution d'un pilier européen dans une Alliance atlantique renouvelée. L'on sait les prémices déjà obtenues récemment dans un contexte qui exige sans doute des délais pour y satisfaire.
Dans le monde, résolument favorable au désarmement et à la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, la France entend, dans la fidélité à ses engagements internationaux, participer activement - et notamment avec ses partenaires européens - à la vie internationale et à la sécurité globale. On a vu en Bosnie et plus récemment dans la recherche d'une conciliation entre Israël et les pays arabes ce qu'une volonté clairement affirmée permet d'obtenir. Nous pouvons en être légitimement fiers.
M. René-Pierre Signé. Les Américains !
M. Yvon Bourges. Encore faut-il disposer des possibilités de soutenir cette ambition. C'est bien ce que prévoit et permet, pour ce qui est des moyens militaires, la loi de programmation.
Il est enfin remarquable que dans la conduite de la transformation de nos armées soient pris en compte pour la première fois les moyens nécessaires aux conséquences des restructurations d'unités et des commandes programmées des divers équipements. Le projet de loi n'oublie pas non plus les mesures propres à faire face aux répercussions de la réduction des effectifs tant militaires que civils. Les financements intéressant les reconversions internes à l'outil militaire sont inclus dans la loi de programmation. Les projets de loi sur les mesures d'accompagnement économique et social de la réforme seront inscrits à l'automne à l'ordre du jour de la prochaine session du Parlement.
Vous savez d'expérience, monsieur le ministre, et vous comprenez la légitime préoccupation des élus sur les répercussions que peut avoir sur l'activité et l'économie de leur région la politique militaire que vous avez la charge de mettre en oeuvre. Des conventions, vous l'avez rappelé, sont intervenues et interviendront entre l'Etat et nos collectivités pour apprécier la situation, examiner les mesures et moyens capables d'y faire face, voire les compensations propres et en atténuer les effets. Nous serons - vous le savez - vigilants et exigeants dans la prise des décisions que nous attendons pour que l'accomplissement d'une politique dont nous reconnaissons la nécessité et l'intérêt pour le pays n'entraîne pas une aggravation de la situation économique et de la fracture sociale dans les villes et zones concernées.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Yvon Bourges. En votant le projet de loi de programmation militaire, le groupe du RPR du Sénat, conscient de l'enjeu de ce texte pour le pays, apporte son approbation et son adhésion sans réserve à la politique courageuse du chef de l'Etat, et exprime sa confiance au Gouvernement et à vous-même, monsieur le ministre, pour mener à bien l'ambitieuse réforme de notre défense. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en février dernier, M. le Président de la République traçait les contours d'une réforme d'ensemble, complète et profonde de notre travail de défense et en précisait les modalités, du moins en ce qui concerne le service national, trois mois plus tard.
Je constate avec satisfaction que ces annonces successives sont la concrétisation rapide de la volonté affichée par le chef de l'Etat et par le Premier ministre, dès le printemps de 1995, de faire de la modernisation de notre outil de défense un objectif prioritaire de leur action.
Ce processus, ainsi engagé, trouve aujourd'hui sa traduction législative dans le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, que vous nous présentez, monsieur le ministre.
Je voudrais tout d'abord dire un mot de la méthode qui a été retenue, tant elle conditionne le contenu du texte et les prolongements qu'il implique.
En effet, dès votre entrée en fonction, vous vous êtes attelé, monsieur le ministre, à cette très lourde tâche visant à faire en sorte que la France dispose d'une défense à la fois plus efficace, plus moderne et moins coûteuse.
Les plus frileux y verraient une mission impossible. Tel n'est pas votre cas, monsieur le ministre, puisque vous affrontez ces difficultés avec courage et lucidité et, plus encore, avec une ouverture d'esprit...
M. René-Pierre Signé. En fermant les entreprises !
M. Bernard Plasait. ... et un sens de l'écoute dont je voudrais vous remercier et dont témoigne la qualité du débat que nous avons eu ici même le 26 mars dernier.
Au cours de ce débat d'orientation sur la politique de défense, je m'interrogeais sur l'opportunité de présenter une nouvelle loi de programmation militaire - la neuvième du genre depuis 1960, comme cela a été rappelé - tant il est vrai que la dernière, celle de 1994, fut mal appliquée et finalement abandonnée. Comme l'a très justement rappelé M. de Villepin, près de 30 milliards de francs manquent à l'appel dans les lois de finances de 1995 et 1996. Dans ces conditions, il est légitime de craindre que ne se perpétue la fâcheuse habitude prise ces dernières années et consistant à remettre en cause, en cours d'exercice, le budget d'équipement, c'est-à-dire les crédits prévus au titre V du ministère de la défense, et ce sans préavis et de façon massive, et, bien entendu, sans que l'aval préalable du Parlement ait été obtenu.
Cependant, plusieurs éléments sont venus dissiper très largement mes inquiétudes.
Tout d'abord, le calendrier politique fait que, contrairement à ce qui s'est passé pour les dernières lois de programmation, le Chef de l'Etat doit pouvoir conduire à son terme l'exécution de la prochaine loi de programmation, puisque le projet de loi couvre les années 1997 à 2002.
Ensuite - je crois que c'est M. de Villepin qui le rappelait tout à l'heure - le Président de la République a indiqué solennellement, le 23 février dernier, qu'il veillerait personnellement au respect de la loi de programmation.
Enfin, la caractéristique essentielle de ce projet de loi est l'extension de son champ d'application à l'ensemble des crédits d'équipement et la programmation de ces dépenses d'investissement en autorisations de programme et en crédits de paiement, en crédits budgétaires et en francs constants, ce qui garantit le respect intégral des dispositions du texte. Bien entendu, je ne peux que m'en réjouir très vivement.
Visant à adapter notre défense à l'évolution des menaces et des risques auxquels notre pays doit désormais faire face depuis la chute du Mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, le présent projet de loi constitue une première étape en vue de la réalisation du modèle d'armée à l'horizon 2015.
Ce modèle vise à obtenir une armée de terre plus compacte et plus souple, avec une organisation territoriale entièrement revue pour accompagner la réduction de 30 p. 100 de ses effectifs, c'est-à-dire pour passer en six ans de 271 500 hommes à 170 000 hommes, et une capacité de projection des forces, avec quatre-vingt-cinq régiments répartis en quatre forces de 15 000 hommes environ.
La marine sera de moindre tonnage, mais ses capacités seront maintenues. Avec, à terme, quatre-vingt-un bâtiments et 54 500 hommes, ses capacités de dissuasion seront inchangées et ses capacités de projection de puissance seront modernisées, grâce en particulier à la mise en service, en 1999, du porte-avions Charles-de-Gaulle doté d'avions Rafale.
Quand à l'armée de l'air, elle sera modernisée et fortement resserrée, avec 70 000 hommes et 300 avions polyvalents de type Rafale, en 2015.
Enfin, la gendarmerie sera renforcée : elle verra ses effectifs croître de 5 p. 100 afin de prendre en compte l'extension de ses missions de protection du territoire.
A cet égard, monsieur le ministre, je voudrais vous poser une question. La tendance de ces dernières années a été de regrouper les unités de gendarmerie, ce qui a pour effet une sorte de désertification en matière d'uniformes bleus. L'augmentation des effectifs de la gendarmerie vous conduira-t-elle à inverser ce mouvement ? Il me paraît en effet très important d'intégrer la gendarmerie dans l'aménagement du territoire.
A l'heure des politiques de proximité, des politiques de qualité de vie, de vie quotidienne, il est primordial de maintenir le gendarme dans le tissu de nos campagnes. Le service public de la sécurité, mission essentielle de l'Etat, doit aussi être rendu comme un service de proximité.
Le présent texte traduit ces objectifs puisqu'il repose sur une enveloppe financière constante de 185 milliards de francs par an, soit au total 1 110 milliards de francs pour l'ensemble des six années - de 1997 à 2002 - couvertes par la programmation.
Les crédits de fonctionnement - 99 milliards de francs par an - marqueront une quasi-stabilité pour accompagner le passage progressif à l'armée professionnelle.
Contrairement aux hypothèses les plus alarmistes, les crédits d'équipement du titre V afficheront une dotation annuelle de 86 milliards de francs 1995, ce qui traduit certes une réduction moyenne d'environ 18 p. 100 par rapport aux dotations prévues par la précédente programmation, mais aussi une stabilisation par rapport aux crédits votés dans la loi de finances initiale de 1996.
Il en résulte certes des abandons ou des différés de programmes ; mais, dans le contexte budgétaire actuel, le réalisme pragmatique du texte est de loin préférable à une utopie porteuse de désillusions.
En tout état de cause, l'enveloppe retenue correspond à un point d'équilibre raisonnable et permet de relever le défi que représente la construction, dans les prochaines années, d'une défense à la fois plus efficace et moins coûteuse.
Cependant, monsieur le ministre, ce projet de loi appelle des prolongements.
En effet, il n'est que la première traduction des objectifs affichés à l'horizon 2015 et il devra être suivi de deux autres lois de programmation qui permettront d'achever l'édifice.
Il est cependant un autre aspect tout aussi important qui concerne les conséquences de la professionnalisation de nos armées. Je considère cette professionnalisation comme souhaitable, mais je ne peux que réitérer ici l'attachement que j'ai marqué à cette tribune au maintien d'un lien fort mais non formel entre l'armée et la nation, tant il me paraît vraiment fondamental que l'armée soit la partie de la nation en armes au service de la nation tout entière.
Ce lien, ou plutôt cette imbrication armée-nation, sera assuré par le maintien d'un service national dont nous aurons à débattre à l'automne prochain. Mais le rôle dévolu aux réserves sera capital, et j'y attache la plus grande importance.
Dans la société civile, la réserve est un peu le gardien de la flamme de l'esprit de défense. C'est un rôle capital qui demande du courage et de la constance, surtout au cours des périodes où la menace n'est pas très fortement ressentie par les citoyens et où la paix semble installée durablement. En effet, parler alors de défense paraît souvent saugrenu.
Pour que la réserve joue pleinement son rôle...
M. René-Pierre Signé. Il faut la guerre !
M. Bernard Plasait. ... et ne reste pas, si j'ose dire, sur la réserve, il faut la motiver, et il faut qu'elle perçoive clairement son rôle intégré dans le système de défense du pays.
C'est l'un des très grands mérites du projet de loi de programmation militaire que vous nous proposez, monsieur le ministre, que d'intégrer totalement, peut-être pour la première fois, les réserves dans le futur système d'hommes de nos armées.
M. René-Pierre Signé. C'est la garde nationale !
M. Bernard Plasait. Comme le rappelait très justement le 6 juin dernier, à l'Assemblée nationale, M. Guy Tessier, « une armée professionnelle, au format strictement limité, a besoin de forces de complément dès l'apparition d'une crise, afin de permettre le renfort opérationnel des forces si c'est nécessaire, la montée en puissance des unités de support logistique ou des unités de santé, entre autres, et, enfin l'utilisation des spécialistes "rares". »
Le Livre blanc sur la défense de 1994 et la mission parlementaire conduite par notre collègue M. Haenel ont permis une réorganisation des réserves afin de les adapter à l'évolution des menaces.
Les réserves sont désormais limitées aux besoins réels des armées.
Les besoins des réserves pour le ministère de la défense ont été évalués à 100 000 hommes, dont 50 000 pour la gendarmerie.
Cette « première réserve » sera utilisée en complément des forces, en substitution, éventuellement en projection et, enfin, en protection du territoire,...
M. René-Pierre Signé. Ils ne sont pas formés !
M. Bernard Plasait. ... ce qui implique une grande disponibilité et donc une grande motivation.
Une « deuxième réserve » comprendra ceux qui ne pourront pas ou plus satisfaire aux exigences de la « première réserve ».
Néanmoins, des questions subsistent, au premier rang desquelles figure le maintien de la possibilité juridique d'un appel automatique ou l'obligation de servir dans la réserve prévue dans le contrat d'engagement dans l'active.
Enfin, la question financière se posera avec acuité, tant il est vrai que des moyens seront nécessaires pour disposer d'effectifs suffisants et de qualité.
Je conclurai mon propos en exprimant mon souhait de voir instituer un statut social du réserviste, qui garantisse le maintien de son emploi civil ou de ses ressources, le maintien d'une couverture sociale, une assurance complémentaire couvrant les risques particuliers de son emploi militaire.
Voilà autant de points particuliers qui justifieront la présentation d'un projet de loi portant organisation générale des réserves.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, votre projet de loi est à la fois lucide et courageux, qualités premières qui emportent mon adhésion. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Genton.
M. Jacques Genton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun comprendra, je pense, qu'après avoir été durant plus de vingt ans, depuis 1974, le rapporteur pour le Sénat des projets de programmation militaire je ne puisse m'abstenir d'intervenir dans ce débat.
Bien qu'ayant estimé qu'un bail de longue durée ne devait pas être considéré comme un droit de propriété (Sourires), les charges de rapporteur n'étant pas conférées à vie, et que l'heure était venue de passer la main, au moment où la France s'apprête à tourner un chapitre de son histoire militaire, je ne voudrais pas que ce geste fût, en aucune manière, considéré comme une marque de désintérêt à l'égard de notre défense, à l'avenir de laquelle je suis plus que jamais attaché, non plus que comme un manque d'attention pour la fonction militaire, dont j'ai souvent soutenu les charges et les mérites.
Je concentrerai ma brève intervention autour de trois thèmes : le bien-fondé des lois de programmation militaire, la dimension européenne de notre politique de défense et l'avenir de nos industries de l'armement.
S'agissant de l'existence même des lois de programmation militaire, il serait exagéré de dire que je n'ai jamais ressenti le moindre scepticisme, voire la moindre amertume, devant l'exécution incomplète de ces lois. Et j'approuve totalement M. de Villepin, lorsqu'il estime, dans son rapport écrit, que, si la loi qui résultera de nos débats d'aujourd'hui n'était pas correctement mise en oeuvre, c'est le principe même des lois de programmation qui se trouverait remis en cause et qu'il vaudrait mieux alors « renoncer à un exercice législatif, pourtant souhaitable, mais qui aurait alors perdu toute crédibilité ».
Arriver à cette extrémité serait évidemment très grave, cela signifierait que l'adaptation globale de notre système de défense qui nous est proposée aurait échoué. C'est une hypothèse que je ne veux même pas évoquer, car les conséquences seraient alors désastreuses pour nos forces armées et dangereuses pour notre sécurité. Ce serait d'autant plus regrettable que l'efficacité relative des lois de programmation, si elle est souvent décevante, est toujours réelle et justifie leur pérennité. Je m'étais efforcé de le démontrer dans mes derniers rapports, car les mêmes causes suggéraient déjà les mêmes interrogations. Il apparaissait clairement, d'une part, que l'exécution imparfaite des lois de programmation n'avait finalement pas empêché, sur la longue période, les crédits d'équipement militaire de suivre tendanciellement les montants définis par ces lois et, d'autre part, que les lois de programmation avaient permis, au cours des dernières décennies, depuis 1965, une croissance des crédits d'équipement militaire supérieure à celle des crédits d'équipement civil.
L'évolution de ces dernières années vient-elle infirmer ces conclusions, après la programmation mort-née de 1992 et la caducité, aujourd'hui constatée, de la programmation votée en 1994 ? Je ne le crois pas. Nos contacts avec nos armées et les industriels, qui se trouvent ainsi privés de repères fiables et de la « lisibilité » de l'avenir qui leur est indispensable, nous permettent, au contraire, de mesurer les dégâts causés par la disparition de la référence que doit constituer une programmation militaire.
Je ne saurais mieux faire que de citer, sur ce point, M. Boyon, rapporteur du présent projet de loi de programmation à l'Assemblée nationale : « Aurait-on voulu montrer les dommages que provoque l'absence de programmation qu'on n'aurait pas trouvé meilleur moyen. Rien n'est pire que l'absence de programmation. Mieux vaux une programmation sévère, rigoureuse, peu généreuse. » J'ajouterai seulement ceci : tel est bien le cas du texte qui nous est proposé aujourd'hui !
J'en viens à la dimension européenne de notre politique de défense.
Il est satisfaisant de constater le doublement prévu, sur la période de programmation, des crédits affectés aux programmes conçus en coopération européenne.
Je considère, en particulier, comme très important pour l'avenir le renforcement, principalement avec l'Allemagne, de la coopération dans le domaine de l'espace militaire ; je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser les modalités et les conditions de sa mise en oeuvre ; je pense aux programmes Hélios II et Horus d'observation optique et radar. Dans votre déclaration liminaire, vous avez rappelé qu'ils seront lancés et poursuivis et vous avez souligné le rôle qu'ils doivent jouer dans la mise en place d'une Europe de la défense.
Je crains, toutefois, que certaines des décisions que vous avez été conduits à prendre concernant d'autres programmes - qu'il s'agisse de l'abandon du programme Brevel, des reports ou réductions de cibles des programmes d'hélicoptères - ne facilitent ni nos relations avec notre partenaire privilégié qu'est l'Allemagne ni la concrétisation d'une véritable volonté européenne commune en matière de défense.
Je crois, surtout, qu'il faut poursuivre, après les derniers sommets de l'OTAN à Berlin et franco-allemand à Dijon, un effort d'explication, de clarification et d'information de nos partenaires sur les nouvelles orientations de la politique de défense française qui doit favoriser, et non pas contrarier, l'édification de la construction européenne en matière de défense.
J'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises à cette tribune que l'affirmation concrète de l'identité européenne de défense constitue aujourd'hui un impératif militaire et industriel. Rappellerai-je qu'il s'agit aussi d'une obligation politique pour les pays de l'Union européenne qui se sont engagés à mettre sur pied une politique étrangère et de sécurité commune par un traité ?
C'est dans cet esprit que j'ai compris les propos que vous avez tenus à cette tribune dans votre discours liminaire, monsieur le ministre.
Je serais heureux que vous puissiez préciser devant le Sénat, d'une part, les objectifs que la France souhaite atteindre dans ce domaine dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, d'autre part, les conséquences qui vous paraissent devoir résulter, pour l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, des principes retenus à Berlin, notamment en vue de permettre la constitution des fameux « groupements de forces interarmées multinationales ».
J'évoquerai enfin l'avenir - qui demeure très inquiétant - des industries de défense, dont je n'ai pas besoin de rappeler le poids en termes économiques et l'impact en termes d'emplois.
Je me félicite de la politique volontariste et de la stratégie forte et ambitieuse affichée en la matière par le Gouvernement et par le présent projet de loi. Mais nous connaissons aussi l'effet quasi automatique des réductions des crédits d'équipement militaire sur l'industrie et sur ses effectifs.
Le projet de loi que vous nous soumettez est incontestablement plus réaliste que celui qui a été voté voilà deux ans, compte tenu des contraintes financières qui s'imposent aujourd'hui. Il reste qu'il marque une diminution annuelle de quelque vingt milliards de francs des crédits d'équipements !
L'industrie de défense a perdu, depuis 1990, environ dix mille emplois par an. La même tendance, dit-on dans le projet de loi, se poursuivra pendant la prochaine période de six ans couverte par la programmation.
Certes, des mesures d'accompagnement économique et social substantielles sont prévues, qui devraient, si les moyens financiers suivent - cette réserve est essentielle -, atténuer les conséquences de ce nouveau choc subi par ce secteur industriel.
Mais ce choc sera rude, les conséquences locales importantes ; vous ne les avez pas ignorées. J'appartiens au groupe des parlementaires particulièrement attentifs et sensibles à cette situation angoissante pour leur région d'élection. Les nouvelles restructurations s'ajouteront aux précédentes, et les nouvelles suppressions d'emplois à celles, très importantes, qui ont déjà été effectuées. Veillons à ne pas dépasser le seuil du supportable !
S'agissant des restructurations industrielles annoncées, je vous poserai, monsieur le ministre - j'espère aller à votre rencontre -, deux questions.
Tout d'abord, pouvez-vous nous donner des précisions sur le contenu et les modalités du rapprochement souhaité entre Aérospatiale et Dassault Aviation ? Quelles en seront, en particulier, les conséquences sur les liens établis entre ces entreprises et des partenaires étrangers ?
Dans l'industrie des missiles, notamment, les besoins de l'armée française sont le plus souvent coordonnés avec les besoins d'autres pays européens, générant ainsi des programmes développés en coopération européenne. C'est le cas des systèmes de missiles antichars de troisième génération, moyenne portée ou longue portée, en cours de développement entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne ; c'est le cas du futur antinavire nouvelle génération, l'ANNG, successeur de l'Exocet, qui fait l'objet d'une coopération franco-allemande ; c'est également le cas des systèmes de défense surface-air moyenne portée utilisant le système missile Aster, missile anti-missile, pour ne citer que quelques exemples.
Il est clair que tout décalage dans le temps du développement et de l'industrialisation de ce type de programme nécessite une concertation avec nos principaux partenaires européens.
Je pense, notamment, aux accords entre Dasa et Aérospatiale, validés lors du sommet franco-allemand du 7 décembre 1995. Cette alliance constituera la première entreprise européenne dans les missiles.
Pour assurer son avenir, cette société a besoin, cela est évident, des programmes en coopération France-Allemagne, en cours depuis longtemps, ainsi que de l'antinavire nouvelle génération que l'actuel projet de loi de programmation ne retient pas.
Ensuite, s'agissant de GIAT Industries, les réductions de commandes de chars Leclerc et les fortes incertitudes qui demeurent dans le domaine des munitions ne risquent-elles pas de compromettre la réussite du dernier plan social de l'entreprise, qui s'est fixé comme objectif un retour à l'équilibre en 1998 ?
Le Parlement a le devoir de prévoir ce qu'il adviendrait si cet objectif n'était pas atteint.
Je conclurai, chers collègues, en saluant la cohérence de ce projet de loi qui s'efforce d'amorcer, dans un contexte financier terriblement restrictif, une refonte d'ensemble de notre défense.
Mais quelle que soit la cohérence de la démarche globale, l'enjeu n'en devient que plus grand et plus périlleux.
C'est pourquoi tout devra être mis en oeuvre pour garantir, cette fois - j'insiste sur ces deux derniers termes - le respect intégral des dispositions financières prévues.
L'effort à accomplir est considérable. Acceptons-le avec lucidité ! Il devra être prolongé au-delà même du terme de la période couverte par le projet de loi que le Gouvernement nous propose. Au moment de voter ce texte, mes chers collègues, nous devons en être tout à fait conscients. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révision de notre politique de défense, indiquée par le Président de la République et contenue, ainsi que les prévisions de dépenses d'équipement, dans la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, suscite à l'évidence bien des réflexions, des interrogations et des inquiétudes.
Je formulerai tout d'abord une remarque sur l'annonce des réformes les plus importantes, pour ne pas dire de véritables « chamboulements », qui modifieront en profondeur notre défense.
Cette remarque, bien des parlementaires l'ont exprimée, tant en mars dernier, lors du débat d'orientation, qu'à l'Assemblée nationale voilà deux semaines.
Le problème me paraît suffisamment grave pour le souligner à nouveau aujourd'hui. Nous avons assisté à une véritable dérive présidentialiste, avec des effets d'annonce intempestifs dans les médias, laissant apparaître les réformes comme déjà décidées par le Président de la République, le Parlement n'ayant plus qu'à les entériner.
Il n'est pas du domaine réservé du Président de la République de décider seul de la création de l'armée de métier, de la suppression de la conscription ou du retour de la France dans l'OTAN !
Vous vous étiez défendu, monsieur le ministre, d'accepter cette dérive à la Eltsine. Pourtant, force est de constater que le gouvernement auquel vous appartenez continue d'accréditer cette démarche.
La publication officielle du Premier ministre, La Lettre du Gouvernement, dans son numéro 10 daté du 5 juin 1996 consacré à la loi de programmation militaire, indique en première page : « Pour parvenir au nouveau modèle d'armée arrêté » - j'insiste sur ce dernier mot - « par Jacques Chirac, le chantier est immense... »
La même publication indique, à la page 4 : « Décidée » - j'insiste également sur ce terme « le 22 février 1996 par le Président de la République, la professionnalisation de l'armée avait pour corollaire la réforme du service national... »
Est-il utile d'ajouter un commentaire à ces citations ?
Mon amie Danielle Bidard-Reydet, qui interviendra pour défendre la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité déposée par mon groupe, aura l'occasion de développer une solide et pertinente argumentation sur ce point comme sur de nombreux autres.
N'ayant pas approuvé la loi de programmation militaire votée en 1994, nous avons quelques raisons de nous réjouir de sa remise en cause et de sa suppression, mais nous avons aussi des raisons d'inquiétude.
Tout d'abord, nous avons des raisons de nous réjouir, car cette loi se caractérisait, nous l'avons dit, par un niveau de dépenses qui ne tenait pas compte de l'évolution du monde et des possibilités financières du pays. Prévoyant la réalisation d'une centaine de programmes d'armements, elle plaçait la France en situation de seule nation industrielle à maintenir à un très haut niveau ses dépenses militaires, notamment à poursuivre de lourds et coûteux programmes de surarmement nucléaire, comme si rien ne s'était passé dans le monde ces dernières années, comme si la guerre froide sévissait toujours.
Les sénateurs communistes avaient été les seuls à voter contre cette loi et la politique qui la sous-tendait. Deux ans plus tard, rien ne nous fait regretter ce vote. Je m'adresse à nos collègues de la majorité sénatoriale qui, voilà deux ans, ricanaient et voulaient nous donner des leçons de patriotisme, des leçons d'esprit de responsabilité parce que nous souhaitions faire baisser de 70 milliards de francs en cinq ans les crédits d'équipement militaire, notamment nucléaires, dans la loi de programmation de 1994 ! Ceux-là mêmes sont prêts aujourd'hui à entériner une baisse de 120 milliards de francs en six ans. Quel retournement de situation, mais quelle incohérence !
Ensuite, nous avons des raisons d'inquiétude, car la faillite de la loi de programmation de 1994 a entraîné de nouvelles et graves perturbations dans notre industrie de défense par la remise en cause de programmes que nous considérons comme prioritaires pour la défense du pays.
Qu'il s'agisse de la défense de notre espace aérien, avec le troisième ou le quatrième report de l'avion Rafale, ce remarquable appareil qui devait assurer à la fin de ce siècle le renouvellement de notre flotte aérienne !
Qu'il s'agisse de la défense de notre espace maritime, avec le non-renouvellement de notre marine nationale dont les trois quarts des bâtiments ont besoin soit d'être remplacés, soit d'être plus ou moins rénovés !
Qu'il s'agisse de l'équipement de nos forces terrestres, avec les reports de commandes du char Leclerc ou la remise en cause des programmes d'hélicoptères !
M. René-Pierre Signé. Quelle philippique !
M. Jean-Luc Bécart. Ce projet de loi de programmation militaire ne corrige pas les désordres qui découlent de la faillite de la loi de programmation de 1994 et il accentue, une fois de plus, la réduction des commandes à l'industrie nationale de défense.
Avec cette terrible perspective de la suppression de 50 000 à 70 000 emplois dans notre industrie d'armement, finalement, vous voulez vous orienter vers la suppression de nos établissements dans leur forme actuelle, fidèle que vous êtes aux orientations atlantistes et aux modalités du traité de Maastricht, notamment avec la création de cette Agence européenne, donc supranationale, de l'armement.
Notre ami Claude Billard axera son propos sur ce point douloureux pour des dizaines de milliers de familles et pour des régions entières.
Avec 85 milliards de francs de dépenses annuelles d'équipement au lieu de 105 milliards de francs, la France engage un effort qui est plus compatible avec ses possibilités financières et avec l'environnement mondial. Mais, vous le savez, monsieur le ministre, nous aurions souhaité que cette diminution des crédits affecte le surarmement nucléaire et épargne les programmes dont la réalisation nous semble indispensable à la défense de notre espace national, que j'évoquais tout à l'heure.
L'heure n'est-elle pas, par exemple, à la conclusion d'un moratoire sur les armes nucléaires nouvelles accompagnant la signature d'un traité international d'interdiction des essais nucléaires ou de leur simulation en laboratoire ?
Nous appelons de nos voeux des initiatives françaises pour redonner vigueur au processus de désarmement nucléaire engagé sur la planète et pour consolider la non-prolifération.
Pour ce faire, doit-on rappeler que la France peut s'appuyer sur certaines décisions positives récentes, comme la signature du traité de dénucléarisation du Pacifique Sud, le démantèlement du centre d'essais nucléaires du Pacifique ou des dix-huit missiles stratégiques S 3 D du plateau d'Albion, le retrait des derniers missiles tactiques Hadès ou la fermeture de l'usine de production de Pierrelatte ?
Au-delà de cela, vous maintenez le cap d'une course aux nouveaux armements nucléaires : le nouveau missile stratégique M 51, le nouveau missile aéroporté ASMP, la nouvelle génération de sous-marins lanceurs d'engins, la simulation en laboratoire des essais nucléaires.
En fait, la France semble ne pas respecter sa parole, donnée solennellement, de s'engager de bonne foi dans le désarmement nucléaire, comme l'article 6 du récent traité de non-prolifération lui en fait obligation.
Ne pas réaliser ce nouveau missile nucléaire M 51, par exemple, nous ferait économiser 10 milliards de francs dans la présente loi de programmation, sur les 31 milliards de francs que coûte ce programme. Renoncer à la simulation en laboratoire nous ferait économiser dix autres milliards de francs.
Ces crédits ne seraient-ils pas plus utiles aux grands programmes visant à défendre notre espace national, dont je parlais tout à l'heure ? Ne pourraient-ils pas donner un ballon d'oxygène salvateur à la direction des constructions navales, la DCN, à GIAT Industries ou à Dassault ? Ce déplacement de crédits ne pourrait-il pas inverser la tendance de déclin imposée à notre industrie de défense et éviter bien des drames humains, en sauvant les emplois menacés, ou tout au moins le plus grand nombre d'entre eux, et surtout un savoir-faire industriel ?
Monsieur le ministre, effectuez ces changements et vous aurez, sur ce point des crédits d'équipement, le soutien du groupe communiste républicain et citoyen !
Je souhaite exprimer aussi notre accord sur le renforcement de nos capacités de renseignement, en particulier par le développement du secteur spatial, car, nous l'avons déjà dit, on ne peut parler de défense nationale véritable sans indépendance complète des moyens de renseignement, de surveillance et de transmission. Vous le savez, tout ce qui va dans ce sens a d'emblée le soutien de notre groupe.
En revanche, vous connaissez nos réserves, voire notre opposition, sur d'autres orientations, comme la création d'une force d'armée de métier projetable, comme la suppression du service militaire de conscription ou encore comme la réintégration de nos forces armées dans l'OTAN.
Il aurait été normal que les questions du format et de la nature de nos forces armées soient débattues et fassent l'objet d'une décision avant l'examen de cette loi de programmation militaire. A nous aussi, il nous paraît en effet logique que le montant des crédits soit établi après la décision concernant le format des armées et le vote de la réforme du service national, que vous avez programmée en octobre prochain.
Certes, pour essayer d'atténuer cette incohérence, vous avez introduit, à l'Assemblée nationale, par simple amendement, un article fixant les effectifs de nos armées. Nous examinons donc aujourd'hui une loi qui, en quelque sorte, anticipe, voire spécule, sur l'adoption d'une future autre loi. C'est une première !
C'est un manque évident de logique, sauf à considérer que le Parlement est une chambre d'enregistrement entérinant sans sourciller les annonces du Président de la République !
Et si le format des armées retenu en octobre n'était pas le même que celui qui esr prévu dans cette loi de programmation, ladite loi deviendrait caduque. Aussi, nous apporterons notre soutien à la motion déposée par nos collègues socialistes, et tendant à opposer la question préalable, ne serait-ce que pour remettre la charrue derrière les boeufs !
Cela étant, nous pensons profondément que le Président de la République, le Gouvernement et sa majorité parlementaire prennent une lourde responsabilité en supprimant la conscription, en réduisant, par là même, les effectifs de nos armées de 150 000 hommes et en décidant la création d'une armée de métier dont la première mission assignée serait la projection de puissance.
C'est là un changement majeur de doctrine. A la notion de défense de l'intégrité du territoire national, vous voulez substituer la notion de défense de nos intérêts vitaux partout où ils seraient menacés, notion aux contours flous comportant des dérives potentielles dangereuses et qui n'est pas sans rappeler quelque part la politique de la canonnière.
Nous redisons avec force notre refus de toute défense engageant nos forces armées au gré d'intérêts n'ayant rien à voir avec la défense du pays. L'armée de métier projetable est d'abord conçue pour aller faire la guerre ailleurs, et nous voulons que l'on mette suffisamment de garde-fous pour écarter les dérives de type corps expéditionnaire ou gendarmerie de l'ordre économique dominant.
Nous comprenons fort bien qu'une partie de nos forces armées soient organisées en unités de forces projetables, mais, pour nous, cette projection de forces armées se conçoit en priorité pour participer à des missions engagées sous mandat de l'ONU, alors que, pour vous, cette projection de puissance se comprend, d'abord, dans le cadre d'interventions placées sous l'égide de l'OTAN et des Américains.
C'est là une des premières raisons de notre opposition à la création de l'armée de métier.
Il y en a d'autres. Je n'insisterai pas sur la jubilation de Le Pen, qui a applaudi en son temps le plus fort à cette idée avec les arrière-pensées que l'on sait !
En revanche, j'insisterai, bien évidemment, sur la sauvegarde de ce pilier démocratique qu'est l'armée républicaine de conscription, composante d'une armée mixte, car, pour nous, professionnalisation de certaines unités et service national d'appelés, loin de se voir opposés, comme vous le faites, doivent être considérés en termes de complémentarité, de cohésion.
Certes, le service militaire est malade. Ce vieux pilier républicain est très souffrant. Les jeunes, pour parler vrai, y perdent beaucoup leur temps. L'instruction civique et militaire y est souvent sommaire et médiocre.
Le service est trop long. C'est, pour beaucoup de jeunes, un obstacle à la recherche du premier emploi, ou un handicap dans le cursus des études ou de la formation.
Il y a trop de passe-droits. Trop souvent, les plus diplômés, les plus favorisés font un service civil ; trop souvent, les plus influents en sont dispensés.
Le service militaire manque cruellement de moyens pour être efficace et formateur. Finalement, faute d'avoir été réformé à temps, il a perdu l'essentiel de sa crédibilité. Oui, il est malade. Aidons-le à guérir plutôt que de décider de sa disparition !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Luc Bécart. Car, malgré ses lourdeurs et ses défauts, le service militaire a contribué à favoriser l'émergence de la France moderne par le brassage des classes sociales, par le brassage des terroirs.
Il a contribué à conforter l'adhésion de bon nombre de jeunes aux valeurs républicaines.
Même si, bien sûr, cela était plus vrai autrefois qu'aujourd'hui, il reste malgré tout un passage à l'âge adulte, aidant bon nombre de garçons à sortir de l'adolescence, à commencer à assumer leur condition d'adulte et peut-être, d'une certaine façon aussi, leur condition de citoyen.
Dans une société qui dérive vers l'égoïsme, il reste encore, pour bon nombre de jeunes, une première expérience de vie communautaire, où chacun est obligé de composer avec les autres. Cela vaut aussi bien pour les jeunes surprotégés, qui sortent ainsi de leur cocon, que pour les jeunes des milieux en difficulté, qui sortent pour la première fois de leur ghetto social et vivront ainsi une expérience d'intégration.
De toute façon, nous récusons, vous le savez également, le service national civil généralisé, que vous aviez un temps envisagé, et dont l'aspect « corvée obligatoire » sautait aux yeux, sans compter le danger de suppressions d'emplois dans la fonction publique du fait de l'arrivée annuelle de quelque 250 000 jeunes appelés amenés à exercer une activité souvent en lieu et place d'un fonctionnaire. Cette idée a été abandonnée. Tant mieux !
Nous, nous proposons de maintenir un service militaire de conscription complètement rénové, c'est-à-dire plus court, plus condensé, sans perte de temps inutile, réduisant les obstacles à la recherche du premier emploi et au déroulement des études.
Il faut que ce service soit efficace, avec une instruction civique et militaire digne de ce nom, faisant appel, par exemple, à des réservistes chevronnés et à du personnel de l'éducation nationale pour seconder utilement la tâche des cadres professionnels.
Il faut qu'il soit universel, au moins dans sa phase dite « des classes », et que tout passe-droit soit supprimé.
Il faut aussi qu'il respecte le jeune en tant que citoyen ; la citoyenneté peut tout à fait cohabiter avec les nécessités de la discipline et de la hériarchie.
En résumé, si notre défense a besoin de bons professionnels, elle a autant besoin des jeunes Français ; et, réciproquement, même si cela peut paraître un peu désuet, les jeunes, selon nous, ont besoin, pour devenir des citoyens accomplis, d'une formation civique et militaire de base.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Luc Bécart. La défense du pays et, plus précisément, l'esprit de défense doivent être l'affaire de chaque Français et pas seulement de ceux qui seraient temporairement payés pour assurer cette défense.
Le Livre blanc de 1994, dont vous avez souligné qu'il était encore le socle de votre politique de défense, disait clairement et justement : « Le service national demeure le meilleur gage de l'attachement de la nation et des citoyens à leur défense. » Rien à redire !
Le même Livre blanc indiquait également : « La conscription, par le potentiel qu'elle recèle, est et sera en mesure de fournir les ressources humaines qui rendront possible le format des armées permettant de faire face, avec l'ensemble de ses moyens, aux risques du futur. »
Quant à l'armée de métier, le même Livre blanc était net : « L'armée de métier ne permettrait pas de répondre à l'ensemble des missions déjà évoquées, sauf à imaginer des dépenses budgétaires et un flux d'engagements qui paraissent déraisonnables, voire hors de portée. »
Par rapport à ce Livre blanc, la même majorité parlementaire va voter, à peine deux ans après, des dispositions fondamentales tout à fait contraires !
M. Emmanuel Hamel. Pas tous ! (Rires.)
M. Jean-Luc Bécart. Sur ce point, en tout cas, mon cher collègue !
Je n'ai guère envie d'épiloguer sur le remplacement des épreuves de sélection du service national, dites « trois jours » - trois jours qui, comme l'on sait, se sont réduits, au fil du temps, à une seule journée - par ce séjour de cinq jours - cinq jours au début, mais combien après ? - baptisé pompeusement « rendez-vous citoyen ».
C'est vraiment une bien pauvre réponse aux inquiétudes suscitées par la suppression du lien principal entre la population française et son armée ! C'est totalement illusoire et déplacé.
Quant à l'argument d'une armée de métier plus performante techniquement qu'une armée mixte, il ne nous paraît pas sérieux, car la conscription apporte à l'armée bon nombre de jeunes formés aux technologies modernes et d'un niveau moyen, il faut bien le dire, supérieur à celui des engagés.
Je souhaite, avant de conclure mon propos, aborder un autre aspect dangereux des changements que le Gouvernement veut entreprendre dans le domaine de la stratégie de défense.
Votre politique de défense, avez-vous dit, monsieur le ministre, s'inscrit désormais dans une perspective européenne et non plus dans une perspective de défense indépendante de l'intégrité du territoire national.
Si l'on peut comprendre que la France tente de se positionner en leader d'une éventuelle politique commune européenne, notamment industrielle, il faut aussi comprendre qu'une perspective de défense européenne indépendante est et sera longtemps encore une vue de l'esprit ou un argument de communication politique.
D'ailleurs, pour avoir une politique de défense commune, il faut avoir une vision politique commune, une politique étrangère commune, une volonté commune d'indépendance vis-à-vis des Américains, une solidarité industrielle et commerciale commune. Tout cela est loin, très loin d'être le cas !
La Grande-Bretagne ne jure que par l'OTAN américanisée. Elle n'est pas prête à renoncer à son matériel américain, à commencer pas ses vecteurs nucléaires.
L'Allemagne a, certes, une position beaucoup plus nuancée, mais elle ne jure que par le parapluie nucléaire américain et achète à tour de bras de l'armement américain, comme, d'ailleurs, la plupart des autres pays européens.
De plus en plus, on éprouve les plus grandes difficultés à mettre en chantier en Europe des programmes de coopération, dès lors que les équipements ainsi créés entreraient trop en concurrence avec ceux qui sont produits par les Américains, qui se sont accaparé plus de 50 p. 100 du marché mondial de l'armement.
Il est à remarquer que le premier acte politique français engagé pour avancer dans cette perspective de défense européenne aura été de réintégrer l'OTAN, qui est, il faut bien le dire, tout sauf une organisation marquant la nécessaire indépendance européenne, dominée qu'elle est par les Américains, militairement, politiquement, voire monétairement.
Mes chers collègues, il faut toujours se souvenir qu'il y a longtemps que le problème de la monnaie unique européenne a été résolu, dans le domaine de l'armement en tout cas, comme d'ailleurs dans celui de l'aéronautique : cette monnaie unique, c'est le dollar américain !
Ce ne sont pas les discussions en cours, notamment les récents accords de Berlin et de Bruxelles, qui modifieront cet état de fait.
Selon nous, il ne pourra y avoir de défense européenne tant qu'il y aura le veto américain sur les décisions du pilier européen de l'OTAN, tant qu'il y aura dépendance complète au niveau des équipements et de la logistique. Sur ce point, les Américains ne sont pas prêts de transiger. Leur hégémonie politique et industrielle dépend trop de leur position dominante dans l'OTAN.
Nous, nous sommes opposés à l'OTAN, car nous sommes opposés à toute dépendance de nos forces armées de toute organisation militaire ou politique que ce soit.
Certes, nous sommes partisans des coopérations militaires les plus larges, à commencer, bien entendu, avec nos partenaires européens, mais à la condition de toujours garder la maîtrise de nos forces armées et de nos technologies.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions de mon groupe sur les grandes lignes de la présente loi de programmation militaire.
Elles sont exprimées avec la volonté de voir doté notre pays d'une défense nationale efficace et dissuasive, en phase avec l'environnement mondial, en rapport avec les possibilités financières du pays et les priorités sociales, une défense qui s'appuie sur les valeurs républicaines fondant l'esprit de défense de la population.
Nous aurions souhaité que les moyens soient mieux répartis, qu'ils soient davantage orientés vers nos programmes de défense du territoire, que l'on engage la marche arrière dans le domaine du surarmement nucléaire, que l'on donne à notre industrie de défense, l'oxygène dont elle a besoin pour éviter ces dizaines de milliers de suppressions d'emplois.
Elles sont exprimées, enfin, avec la volonté de mettre le cap sur l'indépendance de notre politique et de nos forces armées, ce qui n'exclut pas les coopérations les plus larges en Europe et au-delà.
Nous ne retrouvons pas tout cela dans ce que vous proposez. Aussi, le groupe communiste républicain et citoyen ne pourra que voter contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Il aura raison !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, à ce stade du débat, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)