M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Que s'est-il donc passé depuis deux ans, monsieur le ministre, pour qu'aujourd'hui vous mettiez les membres de votre majorité parlementaire en situation de se renier ?
Quels événements se sont produits dans le monde pour que vous nous présentiez un projet de loi dont le titre V est inférieur de 18 milliards de francs par année à celui qui a été voté par le Parlement en 1994 ?
Pourtant, en 1993, le RPR, dont M. Jacques Chirac était le président et M. Alain Juppé le secrétaire général, se présentait comme « la seule formation politique à prévoir un effort accru de défense ».
Puisque vous reconnaissez vous-même, monsieur le ministre, que l'ordre géostratégique ne s'est pas modifié depuis 1994, je ne peux pas croire que l'élection de M. Jacques Chirac à la présidence de la République, sans en sous-estimer l'importance, ait à elle seule bouleversé l'ordre des relations internationales.
Vous nous présentez un projet de loi différent de celui que vous avez vous-même voté il y a deux ans. Ce texte, il est vrai, s'inscrit dans la logique de la « décision de professionnaliser l'ensemble des forces de défense », selon les termes très exacts du Président de la République. Je m'étonne d'ailleurs que nous n'ayons pas débattu d'abord du texte sur le service national, qui détermine l'organisation de nos armées. Mais je laisserai le soin à Claude Estier de développer plus en détail ce point en défendant la question préalable déposée par le groupe socialiste, d'autant que la décision prise par le Président de la République constitue une véritable rupture dans l'histoire de la politique de défense de la Ve République.
Je voudais évoquer un point majeur sur lequel, curieusement, nous n'avons pas entendu le Président de la République.
En effet, nous avons appris, au mois de décembre 1995, que le ministre français de la défense et le chef d'état-major des armées pourront désormais siéger au sein du comité militaire de l'OTAN. En soi, cette décision pourrait se justifier au moment où des soldats français servent en Bosnie avec l'IFOR, sous le commandement opérationnel de l'Alliance atlantique. Cependant, nous savons que la modification de l'attitude française sur ce sujet n'est pas dictée par des préoccupations conjoncturelles, mais qu'elle est motivée par un changement profond de politique.
La décision prise à Berlin le 3 juin permettant aux Européens d'utiliser des moyens de l'OTAN sans participation américaine nous est présentée comme un événement historique. Il l'est en effet, car il signifie que la France a choisi de tourner la page de 1966. Je ferai remarquer au passage que le Premier ministre de l'époque, Georges Pompidou, avait tenu à s'exprimer devant le Parlement afin de donner les raisons de ce départ. Nous attendons M. Juppé !
Sur le fond, vous nous dites avoir renforcé l'identité européenne de défense. En fait, je crains que vous n'ayez conclu qu'un marché de dupes. Il suffit d'examiner la presse américaine pour s'apercevoir que la lecture des événements n'est pas la même des deux côtés de l'Atlantique.
Si l'on en croit M. de Charette, la France, après avoir siégé de nouveau au sein du comité militaire, devrait poursuivre sa réintégration au sein des instances de l'OTAN. Les faits vont démontrer qu'il y a antinomie entre le concept de l'intégration européenne et celui de l'intégration atlantique, ainsi que l'affirmait déjà M. Couve de Murville en 1966.
Les raisons du départ de la France du commandement intégré, nous les connaissons. Il ne s'agissait pas, à l'époque, de vouloir rééquilibrer la situation au profit d'un pilier européen. La décision du général de Gaulle était dictée par le souci de l'indépendance nationale. La France était hostile à l'adoption par l'Alliance d'une stratégie de riposte graduée en contradiction avec notre dissuasion nucléaire. La France refusait ainsi d'être entraînée dans un conflit qui ne serait pas le sien. Et surtout, elle refusait toute hégémonie américaine.
Depuis la rencontre dans le Caucase, le 16 juillet 1990, entre le chancelier Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev permettant la réunification de l'Allemagne, membre de l'Alliance atlantique, les données sont modifiées. Désormais, le devenir de l'OTAN est posé. Sous l'impulsion de François Mitterrand, la France a pesé de tout son poids politique afin de faire prendre en compte par le Conseil atlantique la nécessité de construire une entité européenne de défense, notamment à travers l'UEO, et ce sans rompre le lien de solidarité avec l'Alliance atlantique.
Or, quoi qu'il en dise, votre gouvernement a abandonné la voie de la construction d'une identité européenne de défense autonome. Les Etats-Unis, tout en en ayant mesuré les risques pour leur influence, ont finalement accepté de donner quelques moyens aux Européens, car ils éviteront ainsi, dans le futur, d'être impliqués dans des opérations non conformes à leurs intérêts stratégiques.
Déjà, en 1952, M. Raymond Aron expliquait, en préface à un ouvrage de George Kennan consacré à la diplomatie américaine, que le « désir de ne pas être entraîné dans des conflits européens est aussi enraciné dans une certaine tradition que la foi dans la mission américaine en Asie ».
Désormais les Etats-Unis ont une porte de sortie pour leurs troupes au sol en Bosnie. Pour monter des opérations, les Européens auront besoin de moyens de transport aérien sur longue distance, d'avions ravitailleurs, de systèmes de commandement, de contrôle et de communication, et de satellites de renseignement. Tous ces moyens américains, ceux-ci garderont de ce fait un droit de contrôle sur ces opérations. De surcroît, celles-ci ne pourront se faire qu'avec le feu vert du Conseil atlantique, ce qui donne un droit de veto aux Etats-Unis.
Sur l'essentiel, les Américains n'ont rien cédé, notamment sur la chaîne de commandement, en particulier le commandement suprême des forces alliées en Europe, le SACEUR, mais ils ont réussi, sans avoir rien demandé - j'insiste sur ce point - à ramener la France au sein des instances militaires de l'OTAN.
En réalité, nous devons juger la volonté des Européens de se doter d'une défense autonome selon deux critères : la définition d'une politique étrangère commune et l'affectation des crédits de défense qui donnent les moyens de l'autonomie. Or, sur ce dernier point, je ne peux que constater le fait suivant : la France est le pays européen qui opère les coupes les plus brutales dans ses crédits d'équipement.
Dès lors, nous comprenons un peu mieux cette loi de programmation militaire. En réduisant nos effectifs, en opérant des coupes dans les programmes, vous entendez vous conformer aux standards de l'OTAN. La réduction des cibles, le décalage des commandes et des livraisons dans le temps, la suppression de plusieurs programmes nous rendrons de plus en plus dépendants de nos alliés pour assurer notre défense. Telle est, monsieur le ministre, la logique de votre programmation.
Vous avez dû, en outre, affronter une autre difficulté : celle de tenir, ou plutôt de tenter de tenir, tous les programmes prévus dans une enveloppe budgétaire réduite à 86 milliards de francs pour le titre V. C'est la sanction du choix de la professionnalisation. Désormais, je le regrette, les dépenses de fonctionnement prendront de plus en plus d'importance, et je crains qu'elles n'aillent en augmentant, au détriment, bien sûr, des crédits d'investissement.
Je souhaite examiner cette loi en reprenant les grandes fonctions opérationnelles définies par le Président de la République et en insistant plus particulièrement sur les grands programmes des trois premières.
Il est indispensable, si nous voulons conserver notre autonomie de décision, de pouvoir être renseignés complètement et de façon indépendante. Si une leçon devait être tirée de la guerre du Golfe, c'est bien celle-là. Je note d'ailleurs avec satisfaction - ce sera le point du projet de loi que j'approuverai, un point seulement - que les grands programmes spatiaux, Hélios I et II, Horus, Syracuse III, sont maintenus et que les organismes de renseignement, la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et la Direction du renseignement militaire, la DRM, verront leurs effectifs en principe augmenter. Les moyens consacrés à la politique spatiale militaire représenteront, sur six ans, 20,7 milliards de francs, soit 4 p. 100 du titre V.
Nous sommes très loin cependant des 15 milliards de dollars investis chaque année par le Pentagone. Sur ce point, je partage l'analyse que faisait M. de Villepin en 1992 sur la nécessité de poursuivre l'effort financier et de l'amplifier dans les années à venir. Il le chiffrait à l'époque à 8 milliards de francs par an pour la fin du siècle. Cela implique que des sommes importantes soient investies dans les études de recherche-amont. Vous-même, monsieur le ministre, déclariez, le 30 juin 1995 : « L'effort dans ce domaine devra être amplifiée, si nécessaire, au détriment d'autres équipements. »
Nous devons en effet réfléchir au développement d'autres systèmes ; je pense plus particulièrement au satellite de détection avancée et de surveillance anti-balistique, que notre collègue M. Jean Faure chiffrait à 10 milliards de francs dans son dernier rapport.
Le développement et la maîtrise des technologies spatiales revêtent un caractère stratégique. C'est pourquoi la France ne doit pas relâcher son effort, eu égard à ses responsabilités vis-à-vis de ses partenaires européens. Il n'y aura pas de politique spatiale militaire européenne si la France n'en donne pas l'impulsion. L'Allemagne a franchi de ce point de vue un pas positif, que je qualifierai de stratégique, en décidant de participer aux projets Hélios 2 et Horus.
Concernant la deuxième fonction, celle de la dissuasion, je constate l'absence de débat au sujet de la suppression de la composante terrestre. Je le regrette d'autant plus que je crois qu'il existe un consensus en France sur la reconnaissance de la dissuasion nucléaire comme élément fondamental de notre défense et de notre sécurité. Nous le savons tous : si nous fermons le plateau d'Albion, c'est d'abord, et avant tout, pour des raisons budgétaires.
Le missile balistique fixe basé au sol a des qualités que n'a pas le missile aéroporté, à savoir l'instantanéité, la permanence et la sûreté d'emploi. Le site d'Albion avait une vertu stratégique : toute attaque à son encontre aurait signifié une agression caractérisée contre la France et ses intérêts vitaux. Or nous allons démanteler le système stratégique sol-sol le plus protégé et le plus durci implanté en Europe occidentale. Dans la réalité, nous ne conserverons qu'un seul système qui soit réellement stratégique, celui qui est fondé sur les sous-marins.
Le nucléaire perd peu à peu la priorité au profit d'une stratégie d'action. La restructuration de notre appareil de défense a pour objectif la constitution d'une force de projection. Désormais, cette force de 30 000 hommes devrait constituer le noyau de l'armée française. En effet, nous aurons une armée de terre de 136 000 militaires, soit un effectif de 40 000 combattants, si je reprends le ratio d'un combattant sur trois, défini par l'état-major de l'armée de terre.
Avec de tels effectifs, il est évident que nous ne pourrons plus tout faire. La défense conventionnelle de l'Europe reposera désormais sur l'Allemagne, qui n'a pas la même vision de la menace à l'Est que vous, monsieur le ministre. J'en veux pour preuve les déclarations de l'ancien secrétaire d'Etat allemand à la défense, le général Schönbom, qui déclarait récemment à un hebdomadaire français : « il n'y a peut-être plus de menace directe à l'Est, mais personne ne sait quelle sera l'évolution de la Russie. C'est pourquoi nous avons besoin d'une armée conventionnelle nombreuse et équipée. » Ce que l'on a pu constater ces derniers jours, ce que l'on peut redouter pour les semaines, les mois et les années qui viennent m'amènent à penser que l'on devrait méditer cette remarque.
Je ne donnerai qu'un exemple de cette future disproportion de forces. La France, pour assurer sa défense et participer à celle de l'Europe, disposera, en 2002, de 420 chars lourds, dont 250 Leclerc. Ce chiffre correspond à la force blindée du Danemark. Les Allemands disposent d'ores et déjà, quant à eux, de 2 690 chars, dont deux tiers de Leopard 2. Ces chiffres se passent de commentaires.
La France a donc fait le choix de l'intervention extérieure. Il semblerait logique que cette future force de projection soit rapidement dotée des moyens nécessaires afin de faire face à toute crise. Et c'est là tout le paradoxe de votre projet de loi, monsieur le ministre. Cette future force sera dotée de moyens, mais ce seront des moyens virtuels.
En effet, vous arrêtez les crédits de développement du projet d'avion de transport futur. Vous supprimez l'achat des deux A 310. Vous ne prévoyez pas la livraison du Rafale-marine les premières années de la mise en service du futur porte-avions. Vous ne donnez aucun chiffre, dans ce projet de loi, sur le nombre précis d'hélicoptères Tigre et NH 90.
Vous interprétez l'alignement de l'Allemagne sur notre démarche commerciale comme une victoire. J'aimerais partager votre optimisme car ce sont des milliers d'emplois qui sont en jeu. Mais je crains plutôt qu'il ne faille lui donner la signification de la fin des espoirs des Européens de construire leur avion de transport militaire. Les Britanniques avaient déjà porté un coup dur à ce programme en achetant des C 130 J américains. Si Français et Allemands se retirent du projet industriel, pensez-vous un seul instant que les autres partenaires, l'Espagne, l'Italie, qui connaissent également des difficultés budgétaires, resteront dans le projet ? Je sais bien que M. Richard Hoolbroke définit les Etats-Unis comme la seizième puissance européenne, mais est-ce une raison suffisante pour accepter le monopole américain en matière d'avions de transport ?
Je note également qu'aucune solution n'est trouvée quant au remplacement des DC 8. La France a pourtant besoin d'appareils de transport à long rayon d'action. Plutôt que d'acheter des C 17, la possibilité d'utiliser une version militarisée de l'A 340 avait été envisagée. L'auriez-vous abandonnée ?
Quant au porte-avions, vous avez finalement choisi de trancher le débat entre les partisans d'une rénovation des Crusader et ceux de l'achat de F 18. Vous avez adopté une troisième solution : pas d'avions du tout à court terme. En effet, le Charles-de-Gaulle ne sera équipé de sa première flottille d'avions-intercepteurs Rafale qu'en 2002. Cela signifie très concrètement que nous aurons un porte-avions qui devra, durant trois ans, éviter toutes les zones à risque, en Méditerranée par exemple ! Pouvez-vous affirmer que la France pourra éviter toute zone à risque pendant ce temps-là ? Et moi qui croyais que, par définition, un groupe aéronaval était destiné à être employé en zone et en temps de crise !
A l'Assemblée nationale, vous avez accepté l'amendement relatif à la construction d'un deuxième porte-avions « sous réserve que les conditions économiques le permettent ». Je souhaiterais connaître les solutions de remplacement que votre ministère envisage au cas où ces conditions, justement, ne seraient pas remplies.
En effet, lors du débat sur les orientations de la politique de défense, j'avais évoqué la possibilité de construire un bâtiment à vocation mixte pouvant transporter des troupes et du matériel, mais étant capable de mettre en oeuvre des avions à décollage court et des hélicoptères. Dans le cadre d'Euromarfor, ce porte-aéronefs pourrait assurer, en liaison avec ses homologues italien et espagnol, une continuité opérationnelle lorsque le porte-avions nucléaire serait indisponible. Je pense que cette solution mériterait d'être étudiée, et j'attends votre réponse sur ce point.
Je voudrais dire un dernier mot sur les hélicoptères, qui sont un atout maître dans la mobilité des forces et leur protection. Les programmes Tigre et NH 90 semblent être préservés puique onze commandes sont prévues pour la version marine et vingt-cinq pour la version appui-protection du Tigre. Mais nous ignorons tout du nombre global d'hélicoptères que le ministère entend commander. M. le président de Villepin évoque, au conditionnel, à la page 126 de son rapport, les chiffres de 120 Tigre et 68 NH 90. Or, si j'en crois les propos tenus par l'un de nos responsables militaires dans une revue spécialisée, le format minimal de l'aviation légère de l'armée de terre serait de 500 hélicoptères. Cela correspond, à peu près, au nombre d'appareils détenus par le Royaume-Uni pour une armée de terre de 116 000 hommes. Pourriez-vous, monsieur le ministre, donner à la représentation parlementaire des indications plus précises sur ce sujet ?
Les retards apportés dans les livraisons de matériel risquent de compromettre toutes leurs chances à l'exportation. En effet, si le projet de loi ne permet pas d'équiper correctement nos armées, il n'aide pas non plus nos industriels dans la conquête de marchés extérieurs.
Je crains que le chiffre des commandes à l'exportation pour 1996 ne soit encore plus mauvais que celui de 1995. A ma connaissance, mais j'espère me tromper, aucun contrat significatif n'a été signé à ce jour. Or, vous le savez, la concurrence sera de plus en plus dure. Nos matériels aéronautiques ont indiscutablement une avance technologique qui les rend compétitifs, à condition de pouvoir profiter de cette avance. Or vous n'ignorez pas que les Américains ont adopté une démarche résolument « agressive » dans ce domaine. La raréfaction des commandes intérieures par le Pentagone a obligé les industriels américains à se lancer à la conquête des marchés extérieurs, en éliminant tout concurrent et, bien sûr, d'abord les Européens.
L'administration américaine, pourtant peu imprégnée de culture colbertiste, n'hésite pas à faire ce qui semble être un tabou Quai de Bercy. Ainsi, à titre d'exemple, le gouvernement américain vient de décider l'achat de 36 Blackhawk, afin de soutenir l'activité de la firme Sikorsky avant l'arrivée du prochain hélicoptère d'attaque, le Comanche. Cet hélicoptère arrivera sur le marché au moment même des premières livraisons du Tigre. D'ailleurs, s'il y avait le moindre doute, il vient d'être levé avec la révélation faite par le magazine Aviation Week. Un document du département américain du commerce demande à l'ensemble des représentations diplomatiques de se mobiliser afin de conquérir les marchés aéronautiques européens, plus précisément là où les matériels français auraient une chance. Ce sont le NH 90, le Tigre et l'avion de combat Rafale qui sont explicitement visés.
Or, le même problème va se poser avec le Rafale ! L'avance que cet appareil avait sur son concurrent l'Eurofighter 2000 est en train d'être comblée. La première unité opérationnelle d'Eurofighter dans la Luftwaffe est annoncée pour 2003. Or, le premier escadron de Rafale ne sera opérationnel qu'en 2005, voire 2007, si l'on en croit un rapport d'information de notre collègue député Olivier Darrason. D'ici là, les Américains ne resteront pas inactifs. Dès aujourd'hui, ils « cassent leurs prix » sur les F-16. On me cite le chiffre de 17 millions de dollars l'appareil pour un marché au Proche-Orient. L'année prochaine, ils produiront une version améliorée du F/A 18 et, dès septembre 1997, leur avion furtif de supériorité aérienne, le F-22. Vous le voyez, plus nous attendons et plus le Rafale deviendra difficile à exporter.
L'étalement des commandes, la réduction des cibles, l'annulation de programmes, l'incertitude des marchés à l'exportation, toutes ces mesures auront des répercussions sur notre industrie de défense et sur l'emploi. Il semble que le chiffre de 50 000 suppressions d'emplois évoqué par certains soit d'ores et déjà dépassé puisque vous-même, monsieur le ministre, avez parlé de 10 000 suppressions d'emploi par an devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le 13 mai dernier.
Nous ignorons tout des intentions de l'Etat quant au devenir de notre industrie de défense. Je constate simplement son désengagement à l'égard de ses obligations régaliennes lorsque vous privatisez Thomson et abandonnez le projet de l'ATF. La logique des intérêts privés semble tenir lieu peu à peu de politique industrielle de défense.
J'aurais pourtant aimé, monsieur le ministre, vous apporter le soutien du groupe socialiste car il s'agit d'un texte qui concerne la défense de la France.
Mais le Président de la République, en décidant de professionnaliser l'ensemble de nos forces armées, va non seulement couper le lien privilégié qui existait entre la nation et son armée, mais également rompre le consensus qui existait sur la défense. Je suis même persuadé - j'en ai eu confirmation tout l'après-midi par nombre d'interventions - que la ligne de clivage ne passe pas seulement entre votre majorité et l'opposition.
Je ne conteste pas la baisse des crédits, mais ce choix de la professionnalisation vous place dans une impasse financière. Les dépenses de fonctionnement ont la priorité et la conserveront dans le futur. Ces 185 milliards de francs sont, certes, considérés aujourd'hui par le ministère des finances comme un « sanctuaire ». Mais qu'en sera-t-il demain, quand on sait que cette loi n'a aucun caractère impératif et que les lois de finances votées par le Parlement - quelles que soient les majorités parlementaires, quels que soient les gouvernements - sont souvent contournées par les gels ou les annulations de crédits.
Cette loi ne prépare pas l'avenir. Elle programme au contraire la désorganisation de nos armées : le Charles-de-Gaulle ne pourra pas s'aventurer au-delà de la rade de Toulon pendant trois ans, l'armée de l'air attendra le bon vouloir du Military Air Command ou bien regardera le prix de location des Antonov pour transporter nos troupes, et l'armée de terre devra patienter encore quelques années avant de se doter d'hélicoptères modernes.
Enfin, on ne prépare nullement nos industriels à subir le choc des assauts de l'industrie d'outre-Atlantique. Bien au contraire, on les désarme en ne commandant pas les matériels nécessaires au moment voulu.
Pour ces quatre raisons principales, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera contre votre projet. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur de représenter ici un département qui, au cours de l'histoire, particulièrement l'histoire de ce siècle, a connu le prix de la défense de notre pays. Depuis quelques années, il connaît, de plus, le prix des premières restructurations militaires : cinq régiments disparus d'un coup dans un département d'où les industries de pointe ont été chassées entre les deux guerres, au motif qu'il était trop près de la frontière. Cela a été, sur le plan économique, un moment très difficile à passer, et nous n'en sommes pas encore complètement sortis.
C'est vous dire l'attention avec laquelle les habitants de ce département et leurs représentants observent l'évolution actuelle des problèmes militaires. Ils le font, bien sûr, d'un point de vue patriotique, animés par la volonté de voir la défense de notre pays être la plus efficace possible. Mais, dans le même temps, ils s'inquiètent, et au premier chef les responsables des collectivités territoriales, des conséquences que pourraient avoir les réformes en cours sur la vie du département.
Ce débat, me semble-t-il, se déroule dans une étrange époque, donne lieu à l'énoncé d'étranges certitudes et suscite d'étranges réactions chez nos concitoyens.
Etrange époque : il n'y a pas si longtemps, nous étions plongés dans un monde très dangereux, mais aussi très clair dans la mesure où y régnait une certaine cohérence. Nous percevions bien la nature de la menace et, en fin de compte, l'organisation de la défense de la France était relativement facile à concevoir.
Nous sommes maintenant devant une incertitude totale quant à l'évolution du monde, aussi bien en Europe qu'à l'extérieur et, par conséquent, dans une incertitude totale quant à la nature des menaces auxquelles nous aurons à faire face.
Ces menaces pourront être lointaines, nous contraignant donc à nous projeter loin, mais nous savons déjà que nous ne pourrons pas nous projeter seuls.
Ces menaces pourront aussi être proches, voire internes, ce qui nous imposera de concevoir un maillage du territoire ou une défense active de nos frontières. Or, en la matière, les expériences les plus récentes - c'est une autre étrangeté de notre époque - nous prouvent combien il est difficile d'anticiper. C'est d'ailleurs pourquoi je trouve singulièrement surprenantes certaines certitudes affirmées sur le plan de la théorie militaire.
Certes, la guerre du Golfe a montré que nous avions du mal à jouer notre rôle dans une coalition à caractère essentiellement moderne et mécanique. Mais nous ne nous trouverons pas tous les jours dans un désert préservé par un émir pour monter ce genre d'opérations !
Les événements récents au Moyen-Orient attestent que, si performante, si équipée, si moderne que soit une armée, l'absence d'hommes à pied sur le terrain rend l'efficacité de ses méthodes plus relatives qu'on ne le croyait. Et cela fait partie des incertitudes et des étrangetés du climat dans lequel nous sommes actuellement plongés, comme peut-être aussi du débat dans lequel nous sommes engagés.
Et puis il y a les étranges réactions de notre opinion publique.
Je ne parle pas de ceux qui, pendant des années, nous ont expliqué que les crédits militaires étaient toujours trop importants, le surarmement toujours patent, et qui, maintenant, s'indignent de la réduction des crédits, hurlent aux conséquences désastreuses des restructurations. Tout à l'heure, on parlait de front renversé. Eh bien, nous sommes en plein dedans !
Ce que, en cet instant, je veux évoquer, c'est d'abord l'attachement inattendu de nos concitoyens à la notion de service national. Peut-être avait-on pensé que la facilité l'emporterait dans leur esprit. Il s'avère que l'inquiétude à la fois quant au creuset républicain que représente ce service national et quant aux capacités futures de mobilisation de réserves sur le territoire lui-même l'emporte sur la satisfaction relative qu'ils pourraient retirer de la suppression de cette obligation.
Par ailleurs, nous nous trouvons devant un débat - cela a été dit, et pas forcément par mes amis politiques - qui, d'une certaine manière, tire les conséquences d'une décision sur laquelle la représentation nationale n'a pas encore pris de décision, ou du moins n'a pas donné son avis, à savoir la professionnalisation irréversible de notre armée. Et nous retrouvons là l'incertitude des menaces.
L'armée professionnelle, nous en avons sûrement besoin. Mais à partir de quand et jusqu'à quel point peut-on considérer que nous pourrons nous passer d'une masse d'hommes sous les armes à un moment quelconque ? Cette masse d'hommes sous les armes, on ne peut pas la trouver ailleurs que dans des réserves mobilisables, au moins pour la défense opérationnelle du territoire.
Je ne suis pas compétent, je l'avoue, pour parler des caractéristiques des hélicoptères ou de la qualité des satellites d'observation militaire, mais j'ai vu se dérouler le plan Vigipirate et j'ai pu observer le rôle qu'a joué le militaire du rang dans nos rues pour apaiser l'inquiétude de nos populations. Se priver complètement de la capacité de rappeler du monde sur le terrain pour affronter une telle situation - et je rappelle que, voilà quatre-vingt ans, la bataille de Verdun a été gagnée par les hommes et contre le matériel, car, à l'époque, le pari allemand était d'écraser les hommes sous le matériel - comporte une part de risque, et cela trouble ma conscience.
Je sais, monsieur le ministre, que votre conviction est ferme, votre loyauté entière et votre désir de servir le pays immense. Comprenez néanmoins que nous ayons des scrupules au moment de nous engager dans cette démarche et que le représentant du département où se trouve le Chemin des Dames en ait encore plus que d'autres. Mais nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à mesurer la gravité du débat engagé.
Le Gouvernement est dans son rôle lorsqu'il dessine des perspectives mais nous sommes dans le nôtre lorsque nous vous disons nos troubles, d'autant que, en définitive, la question qui nous est posée n'a jamais été évoquée lorsque nous avons reçu le mandat que nous exerçons.
Je me suis trouvé dans la même situation lorsque j'ai été chargé de rapporter le texte sur la suppression de la peine de mort au nom d'une commission des lois qui n'avait pas réussi à se forger une opinion sur la question. De la même façon qu'aujourd'hui nous étions appelés à nous prononcer sur une question qui n'avait pas été soulevée lorsque nous avions postulé les mandats que nous exercions.
Je retrouve, dans l'affaire qui nous réunit, les scrupules qui étaient alors les miens. C'est pourquoi, sans vouloir nuire au Gouvernement, ni vous gêner, monsieur le ministre, mais pour exprimer mon désarroi, je m'abstiendrai lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La France fut faite à coups d'épée, nos pères entrèrent dans l'Histoire avec le glaive de Brennus. Ce sont les armes romaines qui lui portèrent la civilisation. Grâce à la hache de Clovis, la patrie reprit conscience d'elle-même après la chute de l'Empire. [...] Mais s'il faut la force pour bâtir un Etat, réciproquement, l'effort guerrier ne vaut qu'en vertu d'une politique. »
Ces quelques mots de Charles de Gaulle, tirés de La France et son armée, montrent bien, me semble-t-il, toute l'importance du projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté. Il s'agit de déterminer l'ampleur de notre effort militaire et, ainsi, d'arrêter notre politique de défense rien de moins, et cela pour plusieurs années, jusqu'en 2002. En réalité, fondée sur une planification à plus long terme, cette loi nous engagera, bien au-delà.
Sans varier quant à ses buts, notre politique de défense, du moins dans le schéma qui nous est proposé, connaît un bouleversement quant à ses moyens. Le principal élément de ce bouleversement est bien la professionnalisation programmée de nos forces. Mais il en est d'autres, qui concernent, en particulier, le déroulement des programmes d'équipement.
C'est dire que le projet qui nous est présenté requiert de notre part et de la part de la nation tout entière un intérêt réaffirmé, un engagement renouvelé.
Ce n'est pas la force de l'habitude, ni le respect d'une tradition qui vous ont poussé, monsieur le ministre, à préparer une nouvelle loi de programmation, c'est une conviction forte, une ferme volonté : permettre à notre défense de prendre un nouveau départ, dans la clarté et avec le souci de la vérité.
Chacun le sait, la situation politique française des dernières années faisait de la précédente loi de programmation militaire une loi d'attente. La situation politique de notre pays a changé : un nouveau chef de l'Etat préside la République, un nouveau chef de gouvernement gouverne, un nouveau ministre de la défense prépare nos armées à leurs missions. A l'attente doit succéder le renouveau.
Cependant, ne nous cachons pas la réalité. Cette loi doit avoir un autre but, j'allais dire une autre vertu : il lui faut rétablir la confiance. Trop de lois non respectées ont insinué le doute et fait naître la défiance des armées, des industriels, de l'opinion publique, et même de certains parlementaires, à l'égard d'une programmation qui, trop souvent, a tenu davantage de l'illusion que d'un exercice sincère de prévision des besoins des armées.
A cette défiance à l'égard de la programmation s'ajoute une défiance à l'égard de son auteur : l'Etat. Je voudrais ici souligner que cette loi ne concerne pas uniquement la défense mais qu'elle doit participer, qu'elle participe de l'ensemble de la politique du Président de la République : rendre l'espoir et la confiance à la nation.
Grâce à l'action menée depuis plus d'une année, Jacques Chirac a su redonner confiance au peuple français quant au rôle de la France dans le monde. La cohérence de son action en politique étrangère a déjà apporté de nombreux succès diplomatiques à notre pays. La réforme de la défense française participe à cette nouvelle expression de l'action extérieure de la France.
Monsieur le ministre, soyez assuré de l'importance majeure que revêt pour nous ce projet de loi de programmation.
Est-il à la hauteur des espoirs que nous avons mis en lui ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'examiner l'aune à laquelle nous allons le mesurer. Quels critères doit-on retenir pour juger de la qualité d'une loi de programmation ?
Pour simplifier, il me semble que l'on peut en retenir trois. Une loi de programmation doit, bien évidemment, préparer l'avenir. Mais elle doit aussi assurer le présent, c'est-à-dire les cinq années qui suivront son adoption et qui correspondent à sa durée d'application. Enfin, elle doit assumer le passé. En effet, on ne construit pas sur une table rase. La politique de défense et, plus généralement, la politique de la nation s'inscrivent dans une continuité, cette continuité qui fait, selon sa présence ou son absence, la force ou la faiblesse d'un Etat.
Avouons-le, peut-être plus qu'aucune autre, cette loi doit d'abord assumer le passé ; le poids des programmes militaires engagés précédemment ne permettait pas d'agir autrement.
Mais assumer le passé ne signifie pas tout conserver. Que fallait-il conserver ? Sans doute est-ce là l'une des questions essentielles que vous avez été amené à vous poser, monsieur le ministre.
Vous avez donc dû faire des choix, dont certains ont été douloureux, nous le savons.
Mais l'avenir ne s'arrête pas à l'horizon de cette première loi de programmation de la présente planification.
Ce qui s'imposait, c'était d'engager la profonde réforme de la défense dont notre pays a besoin.
Notre défense, comme d'autres secteurs, a été « mise sous cocon » pendant de trop nombreuses années. Aucune décision n'a été prise, aucun véritable choix n'a été fait, si ce n'est celui d'attendre.
Il fallait assumer ce passé pour repartir sur des bases saines. C'est la voie que le Gouvernement a choisie en maintenant les programmes les plus importants mais en privilégiant un déroulement de ces programmes. D'aucuns jugent ce choix imparfait, mais il est compatible avec les finances publiques dont nous avons hérité.
Assurer le présent était le deuxième impératif de cette loi.
Disons, tout d'abord, que les fondements de notre sécurité demeurent. Ainsi, la dissuasion reste le fondement de notre défense. Certes, notre « posture » nucléaire connaîtra des adaptations avec notamment la suppression de la composante sol-sol. Mais le socle de cette dissuasion, la force océanique stratégique, conservera les capacités nécessaires. Ses armes seront modernisées avec la livraison progressive des SNLE de nouvelle génération et la mise en place des missiles M 45.
Ainsi, dans le contexte géostratégique actuel, notre dissuasion reste conforme au principe de suffisance.
Les forces conventionnelles, quant à elles, seront certes resserrées, mais professionnalisées, densifiées et modernisées. Je ne citerai que quelques exemples. Nous aurons moins de chars lourds mais plus de la moitié seront des chars Leclerc dont on connaît la valeur, la maniabilité et la puissance de feu.
Notre flotte aérienne bénéficiera de l'arrivée des Mirage 2000-5 et de nouvelles livraisons du Mirage 2000-D. Notre marine disposera du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle et des premiers Rafale-marine.
Voilà pour quelques matériels. Mais, au-delà des équipements, il y a des hommes. Ce sont eux qui font toute la valeur d'une armée. Permettez-moi, ici, de rendre hommage aux militaires français dont notre pays, en toutes circonstances, a toujours pu être fier. Je pense notamment à la guerre du Golfe et au conflit yougoslave.
« L'armée de métier, écrivait le général de Gaulle, assurera aux soldats le ressort de la force et la compensation de leurs sacrifices, à savoir l'esprit militaire. L'esprit militaire, en effet, confère aux guerriers groupés sous son égide le plus haut degré de puissance. »
Or ces militaires d'active spécialement entraînés et prêts au combat seront plus nombreux. De 297 000 hommes en 1996 ils passeront à 330 000 en 2002. Souvenons-nous qu'entre 1988 et 1993 quatre divisions de l'armée de terre, soit une cinquantaine de régiments, ont été supprimées sans accroître pour autant nos capacités opérationnelles.
De plus, 27 170 postes seront offerts aux volontaires du service national. Leur engagement volontaire fera d'eux des soldats plus déterminés, mieux formés, c'est-à-dire des soldats opérationnels.
Assumer le passé, assurer le présent, la loi de programmation devait aussi préparer l'avenir, envisager le long terme. Plus qu'aucune autre elle y parvient. Tout d'abord, elle s'inscrit dans une planification longue dont l'échéance est 2015. Cette loi n'est donc pas un texte de circonstance. Il s'agit d'une étape sur l'ambitieuse et longue voie de la construction d'une nouvelle armée.
Surtout, cette loi fait des choix, retient des priorités. C'est, pour nous, la meilleure garantie. En effet, les précédents textes s'abstenaient de décider. Tous les programmes étaient maintenus en dépit de l'évolution du contexte stratégique et de la situation de nos finances publiques.
Continuer dans cette voie, c'était l'assurance qu'aucun des grands programmes militaires n'auraient pu, en définitive, être réalisé. Nous étions face à un mur financier impossible à franchir. Nos efforts d'aujourd'hui garantissent en vérité l'emploi de demain.
C'est ainsi que nos armées pourront, en fin de compte, disposer des équipements modernes dont elles ont besoin. Je pense au Rafale qu'il aurait été irresponsable de remettre en cause. A cet égard, je m'interroge sur les moyens de faire cesser la déplorable cacophonie, véritable guerre de l'information autour de ce programme, dont les conséquences peuvent être graves pour notre industrie, notre technologie et notre influence.
Je pense aussi au Leclerc, au NH 90 et au porte-avions nucléaire.
S'agissant de l'avenir, permettez-moi de vous poser trois questions.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous exposer la position du Gouvernement sur la défense aérienne élargie, embryon d'une défense antimissile que nous sommes nombreux à appeler de nos voeux ?
Pourriez-vous, en particulier, préciser l'attitude française à l'égard du programme MEADS, qui prévoit la réalisation d'un système sol-air moyenne portée contre tous types de cibles aériennes ?
Par ailleurs, ne sera-t-il pas nécessaire, d'ici peu, d'accentuer notre effort financier pour la réalisation de systèmes d'acquisition d'objectifs tous temps qui ont largement contribué à faire la décision lors de la guerre du Golfe ?
Enfin, je dois vous faire part, comme d'autres, de mon inquiétude sur la solution retenue en ce qui concerne les porte-avions. La « mise sous veille » du Foch est-elle bien réaliste ? Ne fallait-il pas admettre que nous ne disposerions, pendant une période transitoire, que d'un seul porte-avions ? Cela dit, je ne puis que me réjouir de l'annonce, faite voilà quelques jours par le Président de la République à Brest, de la construction du second porte-avions.
Une troisième garantie pour l'avenir est constituée par la mutation de notre industrie de défense. Modernisée, regroupée et plus compétitive, elle devrait permettre à nos armées de s'équiper à un meilleur coût.
Le développement des commandes « pluriannuelles », le recours dans certains cas aux achats « sur étagère » lorsque l'indépendance nationale n'est pas en cause, la réforme de la DGA et de nouvelles méthodes de définition des programmes d'armement seront d'autres atouts essentiels dans cette perspective. Il faut y ajouter la coopération européenne. Notre industrie d'armement a en effet vocation à se recentrer autour de pôles spécialisés à dimension européenne.
La mutation de nos industries a été trop longtemps différée. Depuis plusieurs années, chacun le sait, les industriels souffrent d'une absence de lisibilité de l'avenir.
Sans cette lisibilité, il est impossible de mener à bien les indispensables évolutions qui doivent faire de notre industrie de défense l'un de nos fleurons.
Sans cette lisibilité, le renforcement de notre industrie était voué à l'échec. Nous n'avons que trop tardé. Il nous faut préparer l'avenir de notre défense mais aussi celui de notre industrie : des milliers d'emplois sont en cause. L'immobilisme, le statu quo les condamneraient irrémédiablement.
Face à la concurrence internationale et aux profondes restructurations opérées notamment outre-Atlantique, la relance de notre industrie de défense sur des bases saines et solides est indispensable.
C'est pourquoi la loi de programmation qui est l'un des instruments de cette relance était une urgente nécessité, une ardente obligation. En la déposant, le Gouvernement a pris ses responsabilités. Il lui a fallu du courage. Qui peut nier en effet qu'à court terme la potion sera amère, l'objectif étant de ne pas faire des désespérés plus tard ? A nous, maintenant, d'assumer nos responsabilités devant la nation.
A ce sujet, qui oserait affirmer que les plans Armées 2000 et Optimar ne comportaient pas de rédution d'effectifs ni de suppressions d'emplois ?
S'agissant de notre industrie de défense, je tiens ici à souligner l'importance de deux éléments. En premier lieu, nous ne pourrons la renforcer que si nous adoptons une politique d'exportation plus dynamique. Le marché national est trop étroit, le marché européen, pour être nécessaire, est trop encombré pour offrir des débouchés suffisants. Il nous faut trouver de nouveaux marchés.
Cette politique doit sans doute tendre à un renforcement de la présence de la France dans des zones en forte expansion, comme l'Extrême-Orient ou l'Amérique latine. Elle passe par une implication forte de tous les échelons institutionnels de l'Etat et doit être globale.
Elle ne saurait se limiter à des aspects financiers mais elle doit prendre en compte les domaines de la culture, par une stratégie de communication adaptée, ou de la coopération, notamment grâce à des échanges de personnels.
Il paraît surtout indispensable de donner une plus grande cohérence à l'action des différents intervenants en la matière. Le Gouvernement ne gagnerait-il pas à disposer d'une structure interministérielle qui, loin de limiter son action au contrôle des exportations, serait chargée de les soutenir ? Ne serait-il pas utile de rationaliser le dispositif actuel de commercialisation caractérisé par l'existence d'une multiplicité d'offices ?
Enfin, le financement des opérations d'exportations ne doit pas être négligé. Le dispositif législatif existant ne peut-il être aménagé et amélioré ? Je serais heureux, monsieur le ministre, de connaître vos intentions en la matière.
Nous ne parviendrons à équiper nos armées et à atteindre l'objectif de réduction des coûts - c'est le second élément essentiel - que si la loi de programmation militaire est enfin respectée. Les étalements, les retards et les réductions de cibles ne font qu'accroître les coûts unitaires.
Vous connaissez, monsieur le ministre, ma vigilance, celle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de son président, M. Xavier de Villepin, en ce qui concerne l'application de la loi de programmation. L'engagement personnel du chef de l'Etat est bien évidemment un fait essentiel sur lequel il me semble nécessaire d'insister. Il constitue, pour nous tous qui croyons à l'avenir de notre industrie de défense, le plus puissant motif d'espoir.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi est celle du courage et de l'avenir. Je m'en suis expliqué. Mais il serait absurde de la considérer isolément en la sortant de son contexte. Elle s'inscrit en effet dans l'ambitieux projet du Président de la République de redonner à la France toutes ses chances, après plusieurs années d'immobilisme.
La réforme de notre outil de défense, comme les autres réformes qui ont été mises en oeuvre depuis un an, est caractérisée par l'annonce, la concertation et l'accompagnement.
L'annonce a été faite dès la campagne présidentielle par Jacques Chirac. La concertation a été engagée par vous, monsieur le ministre, lors de débats et de rencontres avec les responsables militaires, les élus locaux et les jeunes.
Enfin, des mesures d'accompagnement seront prises puisque la loi de programmation prévoit un soutien économique et social aux restructurations militaires et industrielles. Ces mesures d'accompagnement sont de grande ampleur et devraient permettre de réussir le passage à l'armée française de demain.
Ce texte n'est pas seulement un assemblage de chiffres et un catalogue de programmes ; il est bien la concrétisation d'un projet, d'un idéal, celui d'une armée forte et moderne pour une France confiante et ravivée, comme l'avait déjà modernisée dès 1960 le général de Gaulle, sans le soutien ni le vote de ceux qui, plus tard, ne contestèrent plus ses choix stratégiques.
« L'armée française sort d'une longue histoire. Pour elle, comme pour Hamlet, "le jour n'est pas si jeune". Quelle qu'elle fût, cependant, on ne la vit puissante que par l'effet d'un idéal, sorti des sentiments dominants de l'époque et tirant de cette harmonie sa vertu et son rayonnement. »
L'idéal, nous l'avons. Sachons lui être fidèle et avec vous, monsieur le ministre, le traduire dans les faits. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq.)