M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention dans ce débat sur la programmation militaire des années 1997 à 2002 portera, pour l'essentiel, sur la nécessité de renforcer la formation de l'encadrement de notre armée, sous-officiers et officiers, afin d'assurer avec le maximum d'efficacité le passage à la professionnalisation de notre défense.
Tout d'abord, je souhaite saluer la décision courageuse qu'a prise le Gouvernement, qui a entrepris d'assurer conjointement l'optimisation de notre force de dissuasion dans un contexte international difficile et d'opérer rapidement la modernisation de notre armée afin de rejoindre les principales nations qui, avant nous, ont réalisé cette mutation indispensable.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui, dans des conditions budgétaires dont chacun reconnaîtra qu'elles sont délicates, est particulièrement ambitieux. En effet, il a pour objet la réorganisation de l'ensemble de notre défense afin d'accroître son efficacité, mais également la restructuration de notre industrie d'armement pour renforcer sa compétitivité sans négliger ses conséquences, inévitables pour l'emploi et l'aménagement du territoire.
Je reviendrai tout à l'heure sur cet aspect du problème, mais je note d'emblée avec satisfaction que des dispositions financières ont été prévues afin que ces transformations se fassent avec le minimum de traumatisme social et économique.
Le passage à une armée de métier a permis d'engager un vaste débat dans notre pays. Cela constitue une véritable révolution des mentalités et justifie qu'à l'automne le Parlement examine à son tour ce projet de suppression du service national obligatoire. Dans mon département, les Deux-Sèvres, avec mes collègues parlementaires de la majorité, nous avons également conduit une réflexion sur ce sujet avec le concours d'étudiants et de leurs professeurs qui, de manière très scientifique, ont sondé les jeunes Deux-Sévriens concernés par cette réforme. Les résultats de cette enquête seront, bien entendu, versés au débat.
D'autres collègues, beaucoup plus qualifiés que moi, ont évoqué et évoqueront sans doute le nouveau modèle d'armée, ses missions, ses moyens et son organisation.
Le passage à la professionnalisation de notre armée exige un renforcement des moyens de formation des personnels d'encadrement de nos soldats. En effet, selon le vieil adage, ce sont chez les civils que l'on recrute les militaires, et ce sont les formations dispensées qui font la force des armées. Nos écoles militaires ont une solide réputation et, parmi elles, dans les Deux-Sèvres, monsieur le ministre, l'Ecole nationale des sous-officiers d'active de Saint-Maixent, créée en 1963, après avoir été, depuis 1880, un centre de formation des officiers qui a donné son nom à la ville : Saint-Maixent-l'Ecole. A l'image de cette école, qui accueille chaque année plusieurs centaines de sous-officiers, femmes et hommes, destinés à former un encadrement compétent, efficace et adapté aux technologies modernes, les établissements militaires de formation ont un rôle essentiel à jouer dans le passage à une armée de métier, moderne, apte à une grande diversité de missions.
Les enjeux militaires et stratégiques ont été considérablement bouleversés lors de cette dernière décennie et nous savons combien il est important, pour la France, de conduire, au sein de l'Union européenne, le projet d'une identité européenne de défense. Cette identité européenne de défense s'avère de plus en plus nécessaire, à la lumière des récents événements de l'ex-Yougoslavie.
Aujourd'hui, la définition d'une politique de défense européenne commune fait partie des enjeux de la conférence intergouvernementale, ainsi que des négociations pour la refonte de l'OTAN.
La fin de la confrontation Est-Ouest n'a malheureusement pas mis un terme aux antagonismes et conflits ethniques et culturels.
A la lumière de cette constatation, il apparaît incontestable que les besoins en formation des militaires des pays européens vont aller grandissant. La France ambitionne à juste tire d'oeuvrer à la réalisation de cette politique étrangère de coopération et de sécurité. A cet égard, nos écoles militaires, dont la réputation est excellente, ont un rôle à jouer.
En outre, les récents événements en Afrique illustrent la nécessité du maintien de la politique de coopération de notre pays avec de nombreux Etats africains. Là aussi, je vois l'occasion de développer les échanges en direction de nos écoles militaires.
Ces établissements accueillent des officiers et sous-officiers étrangers qui se plaisent à souligner la qualité de la formation dispensée, ce qui ne peut que conduire le ministère de la défense à développer ces échanges.
J'ajoute que ces écoles militaires participent efficacement à la formation continue de nos soldats dans la perspective d'un retour futur à la vie civile.
La restructuration de notre défense doit être l'occasion de développer le rôle fondamental joué par la formation au sein de nos armées. Cet outil essentiel doit être préservé et amélioré. Nos concitoyens n'ont peut-être pas pris encore pleinement conscience de l'importance du choix, capital, que constitue pour notre pays ce passage à la professionnalisation. Il importe, à cet égard, là aussi, de continuer l'oeuvre pédagogique que vous avez entreprise, monsieur le ministre.
M. de Villepin, tout à l'heure, dans son propos liminaire, soutenait, à ce sujet, le projet d'établissement, tous les deux ans, d'une liste des sites concernés par la restructuration due à la suppression des régiments et à la fermeture de casernes. Ce projet ne paraît pas complètement satisfaisant pour beaucoup d'élus, tant sur le plan de la gestion des moyens que sur le plan psychologique.
Si, en effet, une annonce générale est faite au début du programme, il restera tous les deux ans, dans le projet de loi, des décisions à prendre quant au détail des opérations. Or il semblerait, monsieur le ministre, que cela pose aux élus locaux, maires, conseillers généraux et conseillers régionaux, un certain nombre de problèmes pour l'aménagement de leurs équipements.
Même si les décisions de l'état-major sont accompagnées de mesures de compensation aussi légitimes qu'indispensables, on ne peut laisser les personnels concernés dans l'incertitude et les élus locaux dans l'ignorance quant à l'avenir de leurs écoles, collèges ou lycées.
Il faut, à cet égard, monsieur le ministre, mettre au point un nouveau type de partenariat entre vos services et les élus, de façon à entamer la mise en oeuvre d'une réelle politique d'aménagement du territoire pendant la période de transition qui précédera la professionnalisation.
Les élus, qui ont le souci de préparer l'avenir de leurs communes, doivent être informés du sort qui sera réservé à « leur » régiment, auquel la population est toujours attachée, ne serait-ce que pour conduire différemment leurs projets communaux.
Je crois que l'occasion nous est donnée de mettre en oeuvre de nouvelles formules de démocratie locale.
Cette réserve étant partagée, je pense, par la très grande majorité des élus, je réaffirme résolument mon accord et mon soutien à ce projet de loi fondamental pour l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 qui nous est soumis découle, de nombreux intervenants l'ont montré, des grandes orientations en matière militaire décidées et exposées par le Président de la République, le 22 février dernier.
En s'éloignant de la conception strictement nationale et défensive d'une politique militaire limitée à la préservation des seuls intérêts du pays, le chef de l'Etat a opté pour une armée de métier dont la vocation principale serait d'être le bras armé d'une Europe étroitement intégrée à une Alliance atlantique sous domination américaine.
Un tel changement de cap ne peut être sans incidences majeures sur notre industrie d'armement, qui connaît, nous le savons tous, de grandes difficultés. Le choix de la constitution d'une armée composée en grande partie de forces projetables aux dépens d'une défense nationale se fera immanquablement au détriment de l'outil industriel national.
La défense du territoire n'apparaît plus comme une préoccupation majeure du Gouvernement, et je voudrais de nouveau relever qu'il est significatif que ne figurent à aucun moment dans le projet de loi les expressions « défense nationale » et « souveraineté nationale ».
Dans votre projet de loi, monsieur le ministre, vous indiquez qu'il faut adapter au nouvel environnement international le secteur de l'armement. Ce qui est grave, dans cette « adaptation », c'est que, à dépenses militaires égales, vous portez atteinte aux outils nationaux de production en les livrant « aux évolutions du marché et de l'environnement politique et financier ».
Le but réel, au-delà des arguments stratégiques, est de permettre la constitution, à partir de la fabrication des armements, de grands groupes européens, comme l'a prévu le traité de Maastricht avec l'Agence européenne de l'armement.
Cette nouvelle politique militaire aura des conséquences importantes sur le type d'armes à utiliser et, de manière plus générale, sur les industries travaillant pour l'armement. En effet, comme les interventions lointaines envisagées s'effectueraient, dans la plupart des cas, sur la base de corps expéditionnaires multinationaux, il est bien évident que les tendances à l'unification des armements conduiront à des productions communes.
C'est pour aller plus vite dans cette réalisation que le Gouvernement incite à la mise sur pied rapide de l'Agence franco-allemande de l'armement.
On s'oriente ainsi vers une politique dite de créneaux et de coproductions, qui impliquerait une spécialisation à outrance, et donc des abandons de production nationale. Mais on veut aussi fondre notre industrie de l'armement dans de grands complexes militaro-industriels allemands ou américains. Par exemple, la mise en place de l'Agence franco-allemande de l'armement se fera certainement au profit des grands groupes dominants à l'échelon mondial et au détriment de notre industrie nationale et de nos arsenaux qui ne réalisent plus, rappelons-le, que 5 p. 100 de nos besoins.
Les ambitions du projet de loi visent à faire de l'industrie de l'armement un marché juteux pour la finance en supprimant des emplois, des productions et en organisant des concentrations destinées à répondre à des objectifs européens au détriment de l'intérêt national.
Votre conception, monsieur le ministre, comme celle du Gouvernement dans d'autres domaines, est que toute fabrication industrielle, qu'elle soit civile ou militaire, ne relève pas de la compétence de l'Etat. Vous êtes en cela fidèle à une démarche financière qui a pris le pas sur une vision industrielle et nationale.
Cette conception explique pour une large part les mesures que vous voulez imposer à nos industries de l'armement. Elle est, par exemple, particulièrement significative en ce qui concerne GIAT Industries ou les projets de construction de l'avion de transport futur.
La situation financière de GIAT Industries s'explique d'abord par le désengagement massif de l'Etat. Elle résulte également - depuis le changement de statut de 1990 qui a de fait transformé le groupe en société de droit privé - d'une gestion hasardeuse guidée par la recherche exclusive de la rentabilité. Vous avez voulu faire de GIAT une entreprise comme les autres, soumise à des impératifs de productivité et de compétitivité dans le commerce des armes.
Votre décision, en mars dernier, d'ouvrir l'entreprise à des capitaux privés laisse entrevoir à terme une privatisation et la possibilité de son contrôle par de grands groupes étrangers de l'armement terrestre. Il s'agit ni plus ni moins d'une mise aux enchères à hauts risques qui est intervenue, il faut le souligner, après le souhait de la Grande-Bretagne de rejoindre l'Agence franco-allemande et de s'associer à la réalisation d'un nouveau véhicule blindé de combat d'infanterie préféré à celui qui devait être réalisé par GIAT et RVI, Renault véhicules industriels. Tout laisse craindre que cette association franco-germano-britannique ne se traduise par l'entrée exigée dans le capital de GIAT Industries de groupes ou de leurs filiales, tels que l'anglais Vikers, l'allemand Krauss-Maffei, et de Thomson, future entreprise privatisée.
Cela entre donc bien dans une stratégie globale : une fois recapitalisée, après la fermeture des sites les moins rentables et une sévère réduction des effectifs, GIAT Industries pourrait ainsi intéresser des entreprises privées avant que n'interviennent des regroupements à l'échelle européenne.
En refusant de financer le développement en Europe de l'avion de transport futur, position à laquelle s'est ralliée l'Allemagne au récent sommet de Dijon, le Gouvernement a innové en matière de défense. C'est en effet la première fois que des Etats délèguent à leur industrie de défense tous les risques financiers et lui demandent de se comporter à l'image du secteur de l'aviation commerciale, où les compagnies aériennes se contentent d'acheter « sur étagères ».
En agissant ainsi, vous avez mis le doigt dans un engrenage pouvant conduire l'Etat à se désengager peu à peu de ses obligations régaliennes de garantir la défense du pays, pour laisser aux lois du marché la régulation des moyens nécessaires à sa sécurité.
Par ailleurs, dans l'hypothèse où le groupe Aérospatiale se verrait confier une partie de la réalisation de l'ATF, la charge représentée par un développement de cet avion sans l'aide de l'Etat viendrait certainement accroître l'endettement et diminuer du même coup la valeur globale de cette entreprise, à un moment où le Président de la République a préconisé une fusion avec Dassault. Il y a là de vraies incohérences.
Comment peut-on, en effet, préconiser une réorganisation dynamique de l'industrie aéronautique de défense sur la base d'un désengagement financier de l'Etat et d'un effondrement des programmes ?
Ce sont ces orientations néfastes à l'intérêt national qui sont à la source du déclin programmé de nos industries de l'armement.
Comment ne pas comprendre la colère des travailleurs des arsenaux et des industries de l'armement apprenant la suppression de dizaines de milliers d'emplois ?
En la matière, le flux annuel, enregistré depuis 1990 - 10 000 disparitions d'emplois par - an devrait se poursuivre pendant toute la période couverte par votre projet de loi. Cela signifie que l'industrie de l'armement pourrait, au bas mot, perdre 60 000 emplois entre 1997 et 2002, soit un salarié sur cinq, dans un secteur qui en occupe directement 200 000 et indirectement 100 000.
On a pu parler de secteur d'activité sinistré ; ce serait vraiment le cas si vos projets devaient aboutir.
Pour GIAT Industries le plan présenté par la direction prévoit la suppression du quart des effectifs et la fermeture de nombreux sites en France.
Si votre projet de loi ne dit rien sur le devenir du statut d'Etat actuel de la DCN, on sait cependant que vous préparez la transformation en trois ans de ses activités industrielles en société anonyme, voie vers la mise en concurrence avec les arsenaux privés, et la mise en cause de leur caractère public. Les annonces répétées de prétendus sureffectifs font entrevoir, là aussi, la perspective de milliers de suppressions d'emplois : 4 500 selon certaines sources, soit 20 p. 100 des effectifs industriels de la DCN.
Les accusations de faible compétitivité ou de médiocre rentabilité ne tiennent pas davantage. La vérité, c'est que la baisse de 20 p. 100 des crédits d'équipement fera perdre à notre marine, en six ans, vingt-huit navires sur un total actuel d'une centaine.
Il faut noter, à cet égard, que la restructuration du secteur serait financée par les fonds pour l'adaptation industrielle dotée de 4,8 milliards de francs, dont 4,1 milliards de francs consacrés à la seule DCN. On se demande vraiment ce qui restera pour les autres.
Quant aux programmes d'armement, la plupart d'entre eux, je pense au Rafale et au char Leclerc, seront étalés dans le temps, ce qui va engendrer le surenchérissement de leur coût et porter atteinte à leur compétitivité sur les marchés.
Ce qui est vrai pour GIAT Industries ou pour la DCN l'est également pour nos industries liées à l'aéronautique, à l'électronique et à l'espace.
Alors que d'importantes économies pourraient être réalisées sur l'armement nucléaire - secteur dans lequel 106 milliards de francs sont prévus pour la poursuite de la modernisation, la simulation et la miniaturisation - l'abandon ou la diminution des commandes d'armes conventionnelles prévus par la défunte loi de programmation précédente aura des conséquences quasi immédiates pour nombre de sociétés.
Dans un premier temps, cela sert de prétexte à des fusions et à des privatisations avec, pour première conséquence, la réduction des effectifs par des économies d'échelle. La logique, poussée à son terme, entraînera des concentrations à l'échelon européen. Le redéploiement de l'activité se fera non pas à notre profit, mais en faveur des consortiums financiers, en particulier allemands.
C'est ainsi que ne peuvent qu'inquiéter de nouveau les intentions qui vous sont prêtées de réduire quasiment de moitié les commandes d'hélicoptères Tigre et NH 90. Si cela était confirmé, ce serait encore un millier d'emplois qui seraient supprimés parmi les 6 300 que compte la branche française du groupe Eurocopter. Je voudrais à cet égard réaffirmer le soutien de notre groupe aux salariés en lutte de cette entreprise, soutien que leur a témoigné notre collègue Louis Minetti par sa présence à la manifestation qu'ils ont organisée hier devant notre assemblée.
Toutes ces perspectives n'augurent rien de bon, c'est le moins que l'on puisse dire. Le tissu économique et social de nombreuses villes sera déchiré. Vos propositions pour pallier les conséquences des restructurations ne sont pas à la hauteur du sinistre qui s'annonce dans nombre de villes, de départements et de régions. Les sommes que vous prévoyez seront presque entièrement englouties par la DCN et porter le F.R.E.D. à deux milliards de francs reste très en deçà de ce qu'attendent les collectivités locales qui seront contraintes de mettre la différence. Nous n'avons d'ailleurs pas de garantie que les fonds proviendront du budget de l'Etat. Comme, de toute façon, ces crédits devront être débloqués, ils proviendront à coup sûr du titre V, ce qui conduirait à restreindre les commandes et donc à augmenter, une nouvelle fois, le nombre de suppressions d'emplois, donc de chômeurs.
A l'opposé des orientations définies dans votre projet de loi, il serait pourtant possible de faire d'autres choix, guidés par deux préoccupations majeures : le maintien de l'emploi et de la souveraineté nationale.
Tant que persisteront des besoins militaires, les équipements des armées devront être produits par des industries placées sous le contrôle de la nation : les armes ne doivent pas être considérées comme des marchandises ordinaires.
Pour adapter nos industries d'armement à la nouvelle donne internationale, qui a certes entraîné une baisse de nos besoins en matériels, il faudrait en priorité rendre aux arsenaux et aux industries d'Etat les productions dont elles sont aujourd'hui dépossédées.
Il faudrait également créer les conditions d'une diversification maîtrisée de l'aéronautique et de l'électronique. Cette mutation indispensable pourrait être conduite sans diminution d'emplois. Pour les établissements d'Etat, la reconquête des productions - on sait, par exemple, que la marine manque de navires de surface pour assurer ses missions côtières - l'embauche définitive des salariés travaillant sous contrats précaires et la limitation du recours à la sous-traitance permettraient la création d'emplois. Ainsi, également, comme le préconise l'ensemble des organisations syndicales de ce secteur, la réduction à trente-cinq heures de la durée du travail sans perte de salaire permettrait la création de plus de 11 000 emplois dans les établissements d'Etat et les arsenaux.
C'est dans cet esprit qu'il faut réintégrer GIAT Industries au sein du ministère de la défense et que nous nous opposerons à un éventuel changement de statut de la DCN. De même, avec un réengagement de l'Etat et des banques, il faudrait constituer un grand pôle public de l'aéronautique et de l'espace, solution évidemment bien différente de celle que vous avez choisie, car les salariés et les régions n'ont pas à payer les conséquences du « tout militaire » imposé depuis des années, ni celles de l'imprévision des gouvernements successifs en matière de diversification.
Enfin, une large concertation avec les organisations syndicales et les élus des régions concernés pourrait définir un moratoire permettant d'élaborer des solutions de nature à préserver l'emploi, les atouts et les nombreux savoir-faire de nos industries.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'opposeront à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le ministre, notre collègue Bertrand Delanoë est déjà intervenu dans la discussion générale pour expliquer les raisons de l'opposition du groupe socialiste à votre projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997-2002.
Je souhaite, à mon tour, insister sur quatre points qui ont attiré mon attention à la lecture du projet de loi.
D'abord, pourquoi une nouvelle loi de programmation militaire ?
Lors de la discussion de la précédente loi de programmation militaire, nous avions émis les plus expresses réserves sur les conditions d'application d'une loi qui ne prenait pas en compte des hypothèses financières réalistes et, surtout, qui négligeait la nécessaire planification des réductions de dépenses militaires.
Hier, avec MM. Balladur et Léotard, il s'agissait d'une programmation en trompe-l'oeil. Aujourd'hui, la même majorité, avec M. Juppé et vous-même, monsieur le ministre, voudrait nous faire adopter une programmation « bonsaï ».
C'est sous la contrainte financière que vous avez abandonné la programmation militaire Balladur-Léotard. C'est la même raison qui vous amène à proposer un nouveau projet de loi de programmation militaire. Vous abandonnez la conscription en raison, également, des contraintes financières.
Il n'y a pas de cohérence financière dans le présent projet de loi de programmation militaire. Les rapporteurs eux-mêmes ont présenté des réquisitoires que je trouve un peu sévères contre la crédibilité de vos engagements financiers.
M. Jean-Luc Mélenchon. Sévères, oui, mais pertinents !
M. Guy Penne. Les coûts de la réforme ne sont pas calculés.
Baisser les crédits de la défense, oui ! Mais il fallait entreprendre cette action, comme nous avions commencé à le faire il y a quelques années, d'une façon progressive et en cohérence avec les grands choix de notre défense.
Ce projet de loi n'est pas cohérent non plus avec le maintien d'une industrie de défense forte et performante, susceptible de donner à la France les moyens de son ambition internationale.
Les mesures les plus douloureuses doivent être annoncées dans le détail au mois de juillet prochain, c'est-à-dire après le vote de la loi de programmation.
L'équilibre financier du projet de loi est extrêmement fragile : si les crédits ne sont pas réellement maintenus, dès le budget 1997, tout l'édifice tombe, c'est-à-dire, que la professionnalisation se verra empêchée et, in fine, l'ensemble des programmes d'armement seront remis en cause.
Nous avons remarqué, ces dernières années, l'écart qui s'agrandit entre la loi de finances initiale, la loi votée par le Parlement et la réalité de dépenses « autorisées » par le ministère des finances. D'ailleurs, votre ministère n'est pas le seul à être touché par ce genre de pratiques, monsieur le ministre !
Il y a un pur effet d'annonce de vos économies. Il n'est pas très honnête de dire que le Gouvernement va réaliser 20 milliards de francs d'économies, puisqu'en réalité, par rapport au budget effectivement dépensé, il n'y a pas d'économies. Par exemple, dans le budget de 1994, les dépenses militaires de fonctionnement atteignirent 104 milliards de francs et celles d'équipement militaire 88 milliards de francs. Où est alors l'économie de 20 milliards de francs ?
Le deuxième point de mon intervention concerne les perspectives de la sécurité en Europe.
Je ne peux que regarder avec inquiétude l'évolution des conflits en Europe. Ces dernières années, les guerres se sont multipliées. Sur notre continent, au calme trompeur de la guerre froide succède une prolifération de conflits d'intensité variable.
Nous devons rester attentifs aux évolutions politiques et sociales qui ont lieu à l'Est de l'Europe. Les conditions de la sécurité dans cette partie du monde dépendent de la capacité de l'Union européenne à offrir un modèle politique, social et culturel capable d'entraîner les peuples de l'Est et de l'Ouest vers une cohabitation pacifique et prospère.
Cependant, avant d'en arriver là, nous avons besoin d'affirmer des objectifs communs de politique étrangère et une identité de défense propre à l'Union européenne. Vous l'avez compris, monsieur le ministre, je veux parler de la politique étrangère et de sécurité commune.
Nous avons la très nette impression que la politique européenne de la France change et que le Parlement est tenu à l'écart !
La reprise intempestive puis l'arrêt définitif des essais nucléaires, l'annonce de l'abandon de la conscription, le retour dans les structures militaires de l'OTAN, la remise en cause des programmes industriels militaires modifient les données de la politique européenne de sécurité sans que l'objectif de l'opération soit clair. Nous demandons un débat de fond sur la défense européenne.
Le tournant français en matière de politique étrangère a surpris aussi bien en France qu'à l'étranger.
Nos amis allemands, qui sont nos partenaires européens les plus importants, me semble-t-il, ont manifesté un certain agacement.
Si nous laissons la méfiance s'installer entre alliés, c'est la construction européenne que nous mettons en danger. Nous savons tous que cette construction est fragile, jamais à l'abri d'une « vache folle » ou d'une malencontreuse série d'essais nucléaires. Alors, il vaut mieux ne pas en rajouter et éviter d'accroître le nombre de difficultés.
Comme souvent, il y a les discours d'un côté et les actes de l'autre.
S'agissant des discours, le Président de la République a affirmé, le 8 juin dernier à l'Institut des hautes études de la défense nationale, l'IHEDN : « Il faut bâtir notre politique européenne de défense commune, comme nous y engage le traité de Maastricht » ; et il a ajouté : « l'UEO doit se doter rapidement des capacités de conduite des crises qui lui font défaut aujourd'hui ».
C'est bien ! Mais est-ce vraiment compatible avec le retour à l'OTAN « européanisée » ?
Nous pensons que vous avez décidé de sacrifier l'UEO sur l'autel d'un partenariat transatlantique qui aurait besoin d'un peu plus que d'un simple aggiornamento .
Autre discours, le ministre des affaires étrangères vient de déclarer, s'inscrivant dans la perspective de la Conférence intergouvernementale : « l'UEO, qui est le bras armé de l'Union européenne, doit être le lieu où l'identité européenne en matière de défense s'exprime ».
Pour ce qui est des actes, le retour à l'OTAN n'est pas vraiment concerté ou coordonné avec nos partenaires européens.
D'ailleurs, j'ai l'impression que, avant de discuter de ce que la France dépensera avec sa loi de programmation militaire, nous devrions nous pencher sur la question de nos alliances.
Faut-il des alliances « à l'ancienne », qui correspondaient au système figé, glacé, de l'affrontement entre les superpuissances ? Ou, au contraire, faut-il envisager des coalitions d'un nouveau type, des coalitions ad hoc , en fonction des objectifs à atteindre et des moyens dont on dispose ?
Ce débat mérite d'être engagé. Je pense que, à l'heure actuelle, les alliances traditionnelles peuvent être source de rigidité et d'inefficacité. Sans renier nos engagements internationaux, nous avons intérêt à favoriser un modèle de coalition qui pourrait nous faire gagner en autonomie de décision et en capacité d'initiative pour pouvoir réagir avec souplesse et célérité aux conflits du monde de demain.
Je pose ce problème aujourd'hui parce qu'il constitue une partie importante du débat de fond qui doit avoir lieu sur la défense européenne.
J'ai un souci fondamental : sauvegarder l'autonomie de décision de la France dans un monde où les concepts militaires envahissent l'ensemble de la sphère économique et sociale. C'est ainsi qu'on parle de guerre économique, de guerre de l'information, etc.
Il y avait une spécificité française par rapport à l'OTAN ; vous l'avez mal administrée, me semble-t-il, monsieur le ministre.
En ramenant la France dans les structures intégrées de l'OTAN, quelle autonomie avez-vous gagnée ? Aucune, je le crains !
Une autonomie européenne soumise au bon vouloir et aux moyens matériels américains ne nous convient pas.
Avez-vous alors augmenté les chances de faire émerger une défense européenne ? Là aussi, la réponse risque d'être négative.
Quel intérêt peuvent avoir les Etats-Unis à nous permettre de construire une défense européenne et à affirmer une identité européenne de défense ? Leur rôle de « république impériale », comme disait Raymond Aron, s'en trouverait alors diminué.
Pensez-vous qu'ils vont favoriser l'essor d'une industrie européenne de défense ? Ils font déjà tout ce qui est dans leur pouvoir pour la saborder.
Pensez-vous qu'ils vont accepter un partage raisonnable, équilibré, sinon équitable, des responsabilités internationales, par exemple, en Méditerranée, au Moyen-Orient, et même au regard de la Russie ?
Ne soyons pas naïfs ! Actuellement, la concurrence dans ce monde unipolaire est rude et, souvent, notre allié américain nous joue des tours pendables. Aérospatiale en sait quelque chose !
Franchement, croyez-vous que les Etats-Unis sont disposés à laisser l'Europe se doter d'une autonomie stratégique qui la conduirait à prendre, dans le domaine militaire, des décisions par elle-même ? Je ne le crois pas !
Les Etats-Unis, unique grande puissance, entendent profiter pleinement de leur hégémonie. C'est dans leur intérêt, nous n'avons rien à leur reprocher. Simplement, prenons-en acte et agissons en conséquence.
La marge d'autonomie de la France doit être préservée. Cela devient de plus en plus difficile si les Etats-Unis ont le contrôle du renseignement, de la logistique, de la frappe à distance, l'ambition et les moyens du commandement.
En outre, la politique du Gouvernement contribue à démobiliser les Européens, surtout ceux qui avaient des difficultés à se dégager de la protection exclusive des Etats-Unis.
Le président François Mitterrand avait compris, en complicité, dirais-je, avec le chancelier Kohl...
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je vous répondrai sur ce point !
M. Guy Penne. ... qu'il fallait à tout prix maintenir cette idée d'une identité européenne de défense.
Le traité de Maastricht était venu, malgré ses imperfections et ses carences, consacrer cette politique. Avec ce traité, la PESC a acquis ses premières lettres de noblesse. Tous les pays signataires étaient alors d'accord pour que l'UEO devienne le pilier européen de l'Alliance atlantique. Il s'agissait de renforcer le rôle opérationnel de l'UEO.
Votre politique actuelle tourne le dos à cet engagement, enterre l'UEO, et ne montre pas à nos partenaires la volonté de construire ce « pilier européen » ; elle incite, au contraire à rentrer dans le giron américain ou à y rester.
Sans son autonomie stratégique, la France perd de sa crédibilité. En nous alignant sur les positions américaines, nous ne rendons pas service à la PESC.
Cette reculade - c'est ainsi que les commentateurs étrangers analysent votre politique ! - ce retour vers l'atlantisme, nuit non seulement à la France en Europe, mais également à la France dans le monde.
La réforme de la structure du commandement de l'OTAN, décidée lors du Conseil de Berlin, semble répondre aux souhaits des autorités françaises. Toutefois, en ce qui concerne la mise en pratique de la réforme, c'est l'incertitude. Existe-t-il une base solide pour accomplir les prochaines avancées concrètes ?
Les dispositions pratiques de la déclaration de Berlin ne seront pas faciles à mettre en oeuvre sans une ferme volonté politique. Mais cela ne suffira pas ; il faudra pouvoir compter sur la cohésion et la cohérence de la position européenne et avec une réelle bonne volonté et un esprit de coopération de la part des Américains. Les négociations ne seront pas aisées. Or la France a déjà abattu toutes les cartes qu'elle pouvait utiliser dans cette négociation.
Il faut dire les choses clairement : si les Européens souhaitent être indépendants, avoir une politique étrangère et assurer leur sécurité et la défense de leurs intérêts, il faut qu'ils soient disposés à en payer le prix. S'ils font le choix de la « mise sous tutelle » de l'Union européenne, il faut qu'ils sachent que telle n'est pas la vocation de la France.
Quelle est votre stratégie, monsieur le ministre ?
La France désespère-t-elle de la capacité des Européens à se doter d'une défense commune et part-elle dorénavant du principe que seule la force américaine est crédible ? Ou bien considère-t-elle que les nouveaux rapports France-OTAN s'inscrivent vraiment dans une logique d'européanisation de la défense et de désengagement croissant des Etats-Unis ?
Ma troisième préoccupation est partagée par les élus de la région Midi-Pyrénéés, et plus particulièrement par notre collègue Mme Bergé-Lavigne.
Tout a été dit et écrit sur la nécessité de concevoir et de réaliser un avion de transport militaire et sur l'abandon du programme ATF.
L'ATF est-il utile ? J'insisterai sur l'importance qu'il y a à disposer d'un appareil de transport moderne, rustique, au gabarit adapté aux matériels français et utlile à l'accomplissement des missions d'interposition des soldats de la paix, missions qui sont assurées avec beaucoup de courage et d'abnégation par les militaires français au Liban et en Bosnie. Cet avion est nécessaire à l'exécution des missions humanitaires, comme au Rwanda, où l'absence d'un avion gros porteur s'est fait cruellement sentir, puisque nous avons dû louer des Antonov.
Manifestement, d'autres pays européens ont, eux aussi, reconnu l'utilité d'un tel appareil. Le projet de l'ATF apporte une réponse européenne à ce besoin bien réel, exprimé par les différentes armées européennes. En effet, il regroupe huit pays et huit groupes industriels européens, dont Aérospatiale, soit un marché de l'ordre de trois cents avions qui fournirait du travail à trente-cinq mille salariés, dont huit mille en France, pendant plus de vingt ans.
Etant donné les difficultés budgétaires réelles que rencontrent les différents Etats européens, les coûts de l'ATF ont été réduits. Le coût d'acquisition des cinquante-deux avions destinés à l'équipement de nos armées sera ainsi fixé, de façon ferme, à moins de 30 milliards de francs.
Or la décision prise par le gouvernement français, qui consiste à faire financer la construction de cet avion par les industriels, remet en cause le projet lui-même.
Faire appel au financement privé, c'est mettre notre industrie aéronautique dans les mains des banquiers. Cela engendrera un surcoût, monsieur le ministre, car il m'étonnerait que les banquiers prêtent de telles sommes à zéro p. cent d'intérêt.
Trouvera-t-on les financements ? Dans l'industrie aéronautique, les retours sur investissement se font à dix ou à quinze ans. A défaut de financement public préalable, sous forme d'acomptes ou d'avances remboursables, l'ATF ne pourra donc être réalisé.
Aucun programme aéronautique civil n'a d'ailleurs jamais été lancé sans acomptes ou avances remboursables. En effet, jusqu'à présent, la plupart des programmes civils européens ont été aidés à hauteur de 60 p. 100 de leurs coûts.
Même aux Etats-Unis, les programmes d'armement restent financés par des crédits publics. Le marché tiendra-t-il ?
En effet, la tentation sera forte pour les Etats européens d'acheter « sur étagère » - comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, en qualifiant de « scribouillards » ceux qui ont utilisé cette expression (M. le ministre fait un signe d'approbation.) - ces avions américains, à la production déjà rentabilisée, à des coûts inférieurs à ceux de l'ATF, projets qu'ils n'auront pas financés.
Cette solution, ainsi que l'affirme M. de Villepin, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, « risquerait de sonner le glas des espérances industrielles européennes dans ce secteur et, j'ajouterai, de donner à l'industrie américaine un monopole de fait dans le domaine du transport militaire stratégique ».
Le choix du financement du projet ATF par Aérospatiale ne peut que renforcer les difficultés, et, dans le contexte d'une fusion annoncée avec Dassault, diminuerait le poids de l'actionnariat public dans la future entité.
Monsieur le ministre, non seulement, vous n'avez pas répondu au besoin de recapitalisation d'Aérospatiale, mais en lui demandant de financer le projet ATF, vous aggravez son endettement.
« Kill Airbus » est le mot d'ordre qui court les ateliers et bureaux de Boeing. Après le textile, la sidérurgie, les machines-outils et bien d'autres, allons-nous perdre à son tour l'industrie aéronautique ?
Comme l'orateur précédent, je veux être ici l'interprète de l'étonnement, de la stupeur, de la tristesse de tous ceux qui, à l'annonce de l'abandon du financement par l'Etat de ce projet, ont été vraiment touchés.
Comment votre gouvernement peut-il refuser 2,7 milliards de francs à notre industrie aéronautique pour le développement d'un avion européen dont personne ne nie ni l'utilité ni le besoin, et qui contribuerait à créer 8 000 emplois ? Le dernier point de mon intervention concerne les missions des forces de projection.
Nous devrions d'abord dresser le bilan et tirer les leçons des interventions de ces dernières années, notamment en République centrafricaine, au Cambodge, en Bosnie, en Somalie, au Rwanda, ainsi que des plus anciennes au Liban et au Tchad. Vous n'êtes pas responsable de tout, monsieur le ministre ! Cette énumération peut être utile pour comprendre que ce que vous nous présentez comme une grande nouveauté du projet de loi n'en n'est pas une.
Des opérations extérieures sous drapeau national, international, de l'ONU, et peut-être même sans drapeau du tout, il y en a toujours eu, même avec une armée de conscription !
La nouveauté est ailleurs. Elle réside dans le « tout à l'extérieur » que vous voulez nous faire adopter et aussi dans le flou qui entoure cette nouvelle politique.
La nouveauté, c'est la préférence exclusive donnée à la projection par rapport à la défense du territoire et à la défense territoriale de l'Europe.
J'ai l'impression que vous échangez la participation de l'OTAN contre les interventions extérieures élevées au rang de « missions de projection ».
Concrètement, les faiblesses de votre dispositif, tel qu'il apparaît dans ce projet de loi de programmation militaire, vont nous placer sous le contrôle opérationnel des Américains, et nous risquons, à terme, de ne faire que les opérations ayant reçu, si j'ose dire, le feu vert politique de la Maison-Blanche.
Vous nous dites : « missions de projection ». Mais, si la tendance actuelle se confirme, nous aurons un porte-avions sans avions, une armée de terre sans hélicoptères, des forces d'action rapide sans avions de transport. Ce n'est pas raisonnable !
Le projet de loi tendrait à consacrer l'abandon de la défense du territoire à la seule force de dissuasion nucléaire. Vous inscrivez nos forces armées dans une seule perspective, les missions de projection à l'extérieur. Cela ne nous convient pas.
Nous vous demandons, dès maintenant, quelles sont les intentions du Gouvernement en ce qui concerne les principes et les conditions d'engagement de nos forces professionnelles. Nous refusons une dérive de type corps expéditionnaire.
Le général Fricaud-Chagnaud écrivait, en mars 1996 : « Pour éviter tout risque ou tout reproche d'aventurisme, il conviendrait d'adopter une loi sur l'engagement de la force. La possibilité qu'a l'exécutif français d'engager des forces professionnelles sans avoir à référer au Parlement, combinée avec la désuétude de la "déclaration de guerre", jamais utilisée depuis 1939, peut, par paliers, conduire à des engagements importants sans contrôle réel et donc sans que la nation se sente directement impliquée. Souhaiter qu'un tel vide juridico-politique soit rapidement comblé n'est faire à quiconque » - et pas à vous-même, monsieur le ministre - "un procès d'intention". Nous devrions tous méditer ensemble ces sages paroles ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les honorables et remarquables rapporteurs des commissions de la défense et des finances nous ont fait part de leurs observations de fond sur ce projet de loi relatif à la programmation militaire, et j'approuve leurs rapports.
Pour ma part, je souhaite intervenir sur un point particulier de ce projet.
Monsieur le ministre, depuis mes récentes interventions d'octobre 1995 et mars 1996, des informations diverses ont circulé concernant le sort des programmes d'armement, notamment des moyens de projection des forces armées. Mon propos concernera, après d'autres interventions, l'avenir de l'ATF.
La position du Gouvernement sur l'ATF est claire, avez-vous dit : nous souhaitons doter l'armée de l'ATF, mais pas à n'importe quel prix ; nous voulons un appareil non pas sophistiqué, mais adapté à la plupart de nos éventuelles missions et à un prix correspondant à nos moyens et au besoin d'exporter. On ne peut, effectivement, être plus clair !
J'ai noté avec satisfaction, au fil des déclarations, qu'il n'était effectivement pas question d'abandonner l'avion de transport futur, mais qu'il fallait redéfinir les modalités financières de son acquisition, que, le financement par l'Etat du développement de l'appareil n'étant pas compatible avec la situation budgétaire du pays, il fallait chercher et trouver de nouvelles modalités de réalisation.
Fin mars, le programme de l'avion de transport militaire européen semblait en passe d'être sauvé : Aérospatiale annonçait son intention d'autofinancer 50 p. 100 du développement, soit 3,5 milliards de francs à lever sur les marchés financiers, le reste étant constitué par des acomptes sur les commandes de l'Etat.
Mais, en avril, le Premier ministre m'informait qu'il était trop tôt pour évaluer si la proposition d'Aérospatiale était compatible avec les orientations à retenir dans le projet de loi de programmation militaire.
C'est alors qu'un groupe de parlementaires, députés et sénateurs, vous demandait, monsieur le ministre, d'étudier la proposition de la société Aérospatiale, l'ATF répondant aux objectifs exprimés par le Gouvernement, constituant la réponse la moins onéreuse aux besoins et permettant à la France et à l'Europe d'accéder à une autonomie totale de moyens.
En mai, vous m'informiez qu'il n'était pas possible de dégager des financements pour le développement de l'appareil dans la planification de vos programmes d'armement et que vous demandiez à vos services que soient recherchées d'autres solutions, mais en maitenant l'exigence du cadre européen.
Nous sommes en juin 1996 : où en sommes-nous après les rencontres de Bonn et de Dijon, et au moment de l'examen du projet de loi de programmation militaire par le Parlement ?
Une version rustique, plus simple et moins chère de l'avion européen est à l'étude. Interrogé début juin, vous déclariez monsieur le ministre, que l'ATF serait prêt pour 2005 : « La France et l'Allemagne se sont mises d'accord et proposent à tous les partenaires européens de faire construire un appareil par un consortium d'entreprises européennes et de passer commande dans une sorte de pool de pays européens qui s'engagent à commander européen ».
En clair, la volonté du Gouvernement est donc de gérer ce projet militaire comme un projet civil, le développement de l'ATF devant être financé en totalité par les constructeurs aéronautiques.
Position clarifiée, certes ! Encore faut-il, monsieur le ministre, pour que cette idée puisse être mise en oeuvre, que les Etats s'engagent sur la commande d'un certain nombre d'appareils !
A ce jour, nous sommes tous convaincus que l'ATF constitue un enjeu européen et national essentiel. M. de Villepin, rapporteur de la commission de la défense, puis M. Maurice Blin, rapporteur pour avis de la commission des finances, ont toutefois fait part de leurs inquiétudes quant à l'avenir de notre aviation, et plus particulièrement de l'ATF.
Que l'on renonce à l'ATF serait d'autant plus difficile à comprendre que la préférence de la France pour une solution européenne a été rappelée à plusieurs reprises et que la plupart des voeux que vous avez exprimés ont été satisfaits, avec la réduction des spécifications au strict nécessaire, l'utilisation maximale des acquis civils, le réaménagement du programme, la réduction des coûts et la constitution d'un consortium européen.
Mais son lancement par ce consortium européen suppose que la France clarifie aussi sa position en tant que client et s'engage, avec les pays partenaires, dans un processus de commandes fermes à brève échéance.
C'est pourquoi je proposerai, monsieur le ministre, un amendement visant à protéger l'émergence de cette alternative européenne.
Lors des discussions à l'Assemblée nationale, le financement bancaire a été évoqué pour l'ATF et accepté, je crois, pour le Rafale, sur proposition de M. Olivier Darrason. L'amendement que je proposerai pourrait assurer également l'avenir de l'ATF, mais il est évident que le développement de cet avion, avec le concours de financements bancaires, ne pourra être lancé sans commandes fermes préalables des Etats, d'où la nécessité de passer la commande française avec celle des autres pays européens en début de programmation et non en 2002, comme vous l'avez prévu dans votre projet.
Monsieur le ministre, au moment où l'industrie européenne est en crise, la question est bien de savoir si les 30 milliards de francs, et d'une façon plus large les 150 milliards de francs qui représentent l'ensemble des besoins européens, iront à la toute-puissante industrie américaine ou feront travailler l'industrie européenne dans toutes ses composantes - cellules, moteurs et équipements.
L'offre européenne est compétitive et porteuse d'emplois et d'avenir pour notre industrie aéronautique. Il faut donc, en clarifiant la loi de programmation militaire, sortir le projet européen de la phase de turbulences qu'il vient de vivre et le faire entrer dans la phase de développement et de fabrication.
Dans ces conditions et à ces conditions, monsieur le ministre, nous partagerons volontiers la confiance que vous affichez dans une procédure qui doit faire avancer l'Europe de l'armement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Husson.
M. Roger Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'adoption d'une loi qui engage l'avenir de nos armées, et donc la sécurité de notre pays, a toujours été un moment clé.
Avant de formuler quelques réflexions, je tiens à dire que je partage les orientations qui inspirent ce projet de loi, car celui-ci traduit un contexte dans lequel la France sera plus solidaire de ses alliés dans une Europe où, en principe, la menace conventionnelle majeure a disparu.
Je suis également satisfait de la priorité reconnue à la défense par le Gouvernement, notamment dans le domaine de la prévention et du renseignement, dans un contexte de rigueur budgétaire.
La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 est la première d'une série qui nous amènera au modèle d'armée 2015 ; c'est dire que l'ensemble des décisions, y compris budgétaires, s'étalent sur de longues périodes. Il s'agit là d'un changement qui, s'il a des avantages évidents en termes de planification industrielle et militaire, peut se révéler délicat.
En effet, cette loi prévoit d'attribuer aux armées un budget annuel en francs constants 1995 de 185 milliards, en retrait de 20 milliards de francs par rapport à la loi précédente. Cette baisse est supportée quasi intégralement par les crédits d'équipements, qui seront limités à 86 milliards de francs, les crédits de fonctionnement du titre III étant pratiquement intouchables.
Certes, le projet de loi ne supprime aucun des systèmes d'armement majeurs conçus avant l'élection présidentielle, mais il réduit sensiblement le volume des commandes initialement envisagées et étale leur exécution dans le temps en retardant le calendrier des livraisons.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, mon vote sera assorti d'un certain nombre d'interrogations et de réserves, d'abord dans le domaine des armements classiques, ensuite dans le domaine des restructurations de défense.
En matière d'armements classiques, je commencerai par l'armée de l'air.
Il est évident que, dans ce projet, cette arme est pénalisée, ce qui est assez incompréhensible lorsque l'on regarde l'importance de l'aviation dans les opérations extérieures. La guerre du Golfe est là pour nous rappeler combien les moyens aériens sont essentiels dans les combats. Projeter quelque 50 000 hommes à l'extérieur, c'est bien beau, mais encore faut-il avoir une couverture aérienne de protection efficace et suffisante !
Certes, l'armée de l'air devrait être autorisée à commander trente-trois Rafale, dont deux seront livrés vers l'an 2000 ; mais aucun de ces avions ne sera en ligne en 2002, le premier escadron n'étant opérationnel qu'en 2005.
On assistera donc, pendant la période couverte par la loi, à un vieillissement de la flotte de combat, dont l'âge moyen passera de dix à quatorze ans.
Pour que l'armée de l'air puisse disposer de 150 Rafale, à côté de 150 Mirage 2000, il faudra qu'elle attende l'horizon 2015.
Par ailleurs, le renoncement au financement du développement de l'ATF pose problème, bien que le renouvellement de la flotte par un avion de transport de nouvelle génération soit prévu par la loi, pour un montant de 650 millions de francs.
En effet, la France, en faisant le choix de la projection de puissance, devra se doter d'une flotte de transport au moins comparable à celle qui est actuellement disponible et remplacer, d'ici à 2015, une flotte vieillissante et mal adaptée de Transall et d'Hercules.
Mais, monsieur le ministre, comment concilier projection des forces et abandon du seul programme européen qui répondait à des spécifications très précises et strictement européennes de projection ?
Comment concilier la préférence communautaire avec l'éventuel achat sur étagère, aux USA, de C130J, même s'il est affirmé que la France achèterait européen si l'ATF est disponible à des conditions intéressantes ?
Comment lancer le programme ATF avec une provision budgétaire ne représentant que 2 p. 100 d'acompte, de plus payable en 2002 ?
La conjonction des programmes Rafale et ATF est donc un problème majeur pour l'avenir des capacités de notre armée de l'air, et mon premier réflexe est de vous dire que l'augmentation des crédits du titre V après 2002 me paraît être un impératif absolu.
J'en viens au maintien des capacités opérationnelles de notre groupe aéronaval.
La marine française a toujours joué à fond la complémentarité européenne ; mais en ce qui concerne la capacité de projection de force aéronavale, la complémentarité ne joue plus : seule la France a un groupe aéronaval capable d'une telle projection. A l'horizon 2002-2004, après le retrait du Foch du service actif, le Charles-de-Gaulle , qui aura succédé au Clemenceau , restera seul, ce qui pose un problème pour la permanence du groupe aéronaval et donc pour la commande du second porte-avions.
Un navire de ce type consomme du potentiel chaque année, de 2 000 à 3 000 heures, ce qui nécessite des périodes d'entretien plus ou moins longues. Que fera-t-on pendant ces périodes d'absence ? Pourra-t-on compter sur les porte-aéronefs de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et de l'Italie ? Avec leurs appareils à décollage court et vertical, ils ne peuvent pas assurer de missions de suprématie aérienne ou d'attaque massive. Ils sont aptes à la lutte anti-sous-marine ou antisurface, mais moins performants pour la lutte antiterrestre.
En Bosnie, il est flagrant que les appareils britanniques n'ont pas la même capacité que les appareils embarqués français, et que les porte-aéronefs britanniques ne peuvent pas mettre en oeuvre l'avion de guet embarqué américain, ce que le Charles-de-Gaulle pourra faire.
En outre, le groupe aéronaval ne disposera pas de sa première flottille de douze Rafale en version intercepteur avant 2002 et n'aura à sa disposition en 1998 que deux avions de guet embarqués américains, ce qui engendrera une inquiétante vulnérabilité opérationnelle en matière de lutte antiaérienne, compte tenu du fait qu'un appareil de ce type ne peut rester en vol plus de quatre heures.
Ne pas construire un deuxième porte-avions entraînerait donc une rupture historique dans la permanence du groupe aéronaval à partir de 2005 et il ne serait pas économiquement et militairement raisonnable de maintenir Le Foch en sommeil jusqu'en 2011-2012, date du second entretien programmé du Charles-de-Gaulle.
C'est pourquoi la seule solution pour ne pas payer à nouveau les 6 milliards de francs de développement du Charles-de-Gaulle - sur un coût total de 18 milliards de francs - et pour assurer sa relève en 2011 serait de commander un second porte-avions pareil au premier.
Mais cela supposerait de faire figurer ce projet, dès aujourd'hui, dans la planification souhaitée par le chef de l'Etat. Or, je constate, monsieur le ministre, que la présence d'un second porte-avions dans le modèle d'armée de 2015 est encore incertaine.
Pourtant, le chef d'état-major de la marine a réaffirmé devant notre commission que ce porte-avions serait bien programmé et le Président de la République lui-même a confirmé vendredi dernier à Brest la construction d'un second porte-avions en reprenant l'expression qu'il avait utilisée lors de sa campagne électorale : « Les porte-avions, c'est comme les gendarmes, ça va par deux ». Alors pourquoi continuer à faire planer le doute ?
Ma dernière observation concernant les armements classiques portera sur l'armée de terre.
Celle-ci, en effet, devrait être en état de commander trente-trois chars Leclerc chaque année, ce qui signifie une réduction d'un tiers de la cadence initiale de production.
A ce jour, GIAT Industries a reçu une commande ferme de 658 chars se décomposant ainsi : 222 pour l'armée française, 436 pour les Emirats arabes unis, dont 46 chars de dépannage.
A la fin de cette année, nous devrions disposer de 114 Leclerc et, en 2002, sauf réduction de cible, l'Etat aura donc commandé 420 chars Leclerc, objectif que son modèle d'armée 2015 a fixé à son parc de chars lourds.
La France aura ainsi dix fois moins de chars que la Bundeswehr ! On est donc loin des 1 400 exemplaires qui devaient être produits pour les seuls besoins français lorsque le programme a été lancé et qui devaient assurer le plan de charge des treize établissements de GIAT Industries.
De plus, les baisses de commandes vont entraîner des hausses de coûts unitaires et les décalages des intérêts moratoires payés par l'Etat.
Je suis donc légitimement inquiet pour l'avenir de cette entreprise. Aussi, monsieur le ministre, pour me rassurer à ce sujet, pourriez-vous, d'une part, me confirmer que la cible totale de Leclerc est bien de 420 chars et non de 406, comme il est indiqué à la page 42 de ce projet de loi relatif à la programmation militaire et, d'autre part, me dire pourquoi le nombre de dépanneurs « nouvelle génération » développés par GIAT Industries n'apparaît pas dans ce projet ? Serait-il compris dans la cible totale de Leclerc ?
J'évoquerai un autre sujet d'interrogation : les hélicoptères de combat de l'aviation légère de l'armée de terre, l'ALAT.
Je constate avec surprise que le projet de loi ne laisse plus de place à l'aéromobilité et réduit à presque rien les efforts menés ces dix dernières années pour développer un concept d'intervention rapide.
La France dispose actuellement d'une force d'action rapide, la FAR, au sein de laquelle se trouve la 4e DAM basée à Nancy. Ces dix dernières années ont servi à mettre au point ce concept d'intervention autonome.
Aujourd'hui, la 4e DAM est rodée et a prouvé qu'elle s'est adaptée à la gestion des conflits modernes. Or votre projet, monsieur le ministre, indique que l'armée de terre aura, en 2015, 168 hélicoptères en ligne, au lieu de 340 en 1996.
Bien sûr, on ne peut pas avoir autant de Tigre que de Gazelle, mais cette réduction quantitative se révèle anormale par rapport aux moyens de nos voisins.
Ainsi, en l'an 2000, l'Allemagne disposera de deux fois plus d'hélicoptères que la France, qui est pourtant le précurseur dans le domaine de l'aéromobilité.
De plus, ce projet prévoit les premières livraisons des Tigre en 2003. Or, pour des raisons évidentes d'entraînement tactique, l'armée de terre devrait disposer d'une escadrille dès 1999.
Bref, si ces réductions programmées sont maintenues et votées, elles risquent non seulement de mettre en question la capacité de notre armée de terre à assurer des missions de projection, mais encore d'entraîner des milliers de suppressions d'emplois et, comme l'a souligné M. de Villepin dans son rapport, ce projet de loi demeure ambigu et incohérent sur ce sujet, ce que je regrette amèrement.
Comme je vous l'ai annoncé au début de mon intervention, mon vote sera assorti d'interrogations également dans le domaine des restructurations de notre industrie de défense.
Il est évident que la remise à plat de notre défense aura des répercussions sur les industries de l'armement. Le Gouvernement a annoncé la fusion de Dassault avec Aérospatiale, sans grand succès à ce jour, et la privatisation de Thomson. Ce seraient 10 000 emplois directs ou indirects qui seraient supprimés chaque année. Vous avez promis, monsieur le ministre, qu'il n'y aurait pas de licenciement sec.
Certes, le projet de loi prévoit huit milliards de francs pour accompagner les restructurations, mais si ce projet est ambitieux, les inconnues d'ordre financier demeurent, notamment sur le coût réel des restructurations et de leur adéquation avec les fonds débloqués par votre ministère. Les élus comme les salariés de l'armement ont donc de légitimes raisons de s'inquiéter.
Pour conclure, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, combien je suis heureux de constater que, dans ce projet de loi, le renseignement stratégique bénéficie d'une augmentation de ses crédits qui lui permettra de se renforcer et de se moderniser.
Maire de la ville de Dieuze, où se trouve implanté l'un des quatre régiments de la BRGE, je sais combien le renseignement, qu'il soit de nature humaine ou de nature spatiale, est l'arme par excellence du politique pour prévenir et gérer une crise.
De plus, cette montée en puissance du renseignement stratégique me laisse présager que la BRGE ne sera pas touchée par le plan de dissolution ou de réduction d'unités que le Gouvernement a prévu de détailler courant juillet, et je m'en réjouis.
Ce projet de loi ne pouvait pas être autre chose en l'état actuel de nos finances publiques. Il est douloureux comme toute prise de conscience et repose sur un double pari : premièrement, que la croissance redémarre, deuxièmement, que les coûts des programmes baissent.
Certes, en annonçant le 22 février dernier, dans un contexte socio-économique difficile, la restructuration de notre défense, le Président de la République a pris une décision courageuse que je tiens à saluer, et du même coup a fait franchir le Rubicon à nos armées.
Je suis convaincu que ce double pari, puisque c'en est un, monsieur le ministre, peut réussir, car l'exécution de ce projet de loi relatif à la programmation militaire ira de pair avec les six dernières années du septennat du chef de l'Etat. C'est mon souhait le plus sincère et le plus cher.
J'ai formulé des observations en exprimant des inquiétudes, éventuellement en faisant quelques critiques, mais c'était mon devoir de représentant de la nation. Je reste donc vigilant et je vous assure, monsieur le ministre, de ma confiance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute ma vie d'élu de base - bien plus de trente années ! - a été consacrée à la pédagogie de contact avec toutes les personnes qui m'entourent, en particulier les militaires. En effet, je suis depuis plus de vingt années conseiller général du canton de Suippes, dans la Marne, canton très rural qui conserve les cicatrices de la Première Guerre mondiale, avec ses cimetières et ses monuments.
Ces régions d'invasion ont accueilli, sous Napoléon III, le camp de Mourmelon, que beaucoup connaissent, et, après 1918, le camp de Suippes. Ces deux établissements sont appelés les grands camps de Champagne.
Européen convaincu, j'ai toujours souhaité la réconciliation franco-allemande et la construction d'une unité européenne, tout comme vous, monsieur le ministre.
A cet égard, le projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez - et que je voterai - appelle quelques remarques de ma part.
L'élu local que je suis a toujours cherché à développer les relations entre l'armée et la nation, et pas seulement entre les nombreuses unités militaires qui sont stationnées sur le territoire de mon canton et les élus. D'une façon plus large, j'ai ainsi tenté de favoriser tout ce qui pouvait concourir à une meilleure connaissance de l'armée française par notre population : pas de réunion d'élus sans militaires, pas de manifestation militaire sans élus.
Mes préoccupations ne se limitent pas seulement à promouvoir des échanges et des relations entre ces deux mondes. Pour moi, la coopération armée-nation est avant tout une réalité concrète, et vous l'avez vous-même souligné, monsieur le ministre. J'en veux pour exemple les efforts déployés par les unités militaires de mon canton pour coopérer avec les instances locales à des projets qui bénéficient à l'ensemble de la population, comme celui que j'ai déjà cité à cette tribune de la piscine de Suippes, dont l'investissement et le fonctionnement sont assurés à parité par l'armée pour un tiers et par le district rural pour deux tiers.
Cette pratique de la relation armée-nation me conduit aujourd'hui à m'interroger sur l'avenir de notre armée professionnalisée. Le maintien d'un volontariat dans le cadre du service national et la mise au point d'un « rendez-vous citoyen » me paraissent être des options qui devront alimenter notre réflexion pour maintenir la communication entre l'armée et sa nation. A ce stade du débat, de nombreux points d'interrogation restent posés, mais nous évoquerons de nouveau ce sujet à la rentrée parlementaire.
A cet égard, le problème le plus important me paraît être l'avenir des relations armée-nation dans la phase de transition, période difficile et très sensible, comme chacun l'a souligné, et, une fois passée cette phase de transition, la professionnalisation des armées sera terminée.
Un danger menace ces relations : c'est celui de l'enfermement du monde militaire sur ses préoccupations, et la désaffection de l'opinion pour son armée. Je n'ignore pas que le service militaire n'était qu'un des éléments de la synergie armée-nation. Sa profonde mutation, que vous nous proposez par ce projet de loi de programmation militaire et par le projet de loi qui viendra à la rentrée parlementaire sur le service national, ne devrait pas, du moins je l'espère, trop affecter cet aspect des relations entre l'armée et la nation. Vous avez souhaité cet après-midi, monsieur le ministre, en faisant preuve d'une volonté affirmée, répondre par avance à mes questions sur ce thème armée-nation, mais permettez-moi d'y insister. Le problème est pour plus tard. Plus que jamais, la nation aura besoin de sentir que son armée n'est pas une simple réalité professionnelle, technique de haut niveau, mais située loin d'elle. A cet égard, je crois que le service d'information et de relations publiques des armées, le SIRPA, aura un rôle majeur à jouer pour continuer à faire connaître aux Français leur armée. Mais la communication va dans les deux sens. Il est nécessaire aussi que l'opinion publique continue de s'intéresser à son armée, et ne voit pas en elle un simple instrument de l'Etat destiné à protéger le pays.
M. Jean-Luc Mélenchon. Absolument !
M. Jacques Machet. Les armées de la nation n'ont pas seulement la vocation sacrée de défense de la patrie ; elles forment un prodigieux réservoir de l'identité nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon. Exact !
M. Jacques Machet. Elles sont l'instrument, à travers chacune des générations, d'une rencontre entre le passé de la nation, son présent et son avenir. Cette fonction ne devra pas s'affaiblir ni s'étioler. Elle nécessite la mise en place de nouveaux outils qui permettent le va-et-vient entre l'opinion et les armées d'informations et de valeurs, je le rappelle, pendant la longue période de transition et aussi lorsque l'armée de métier sera en place.
Comme mon ami et collègue M. le rapporteur Xavier de Villepin vous l'a demandé, je souhaite, monsieur le ministre, que les mesures nécessaires soient précisées dans les délais les plus proches. Pour nos militaires, nos élus et l'ensemble de nos populations, nous sommes en période de mutation... Pensons, pensez aux soucis du colonel qui va être muté dans un autre régiment et à qui, très bientôt, on annoncera la dissolution du régiment.
A une époque où notre société change, où la culture, sous l'effet des progrès techniques, change, l'armée demeure dépositaire d'une partie de l'identité nationale. Son devoir est de ne pas conserver cette part d'identité nationale uniquement pour elle.
La professionnalisation voulue par le chef de l'Etat, chef des armées, permettra à la France de rester une grande puissance militaire au sein du continent européen, puissance militaire au service de la paix et de l'équilibre européen. Mais il ne faudrait pas que cette « réussite professionnelle » banalise le rapport Etat-nation.
C'est en intensifiant les relations entre l'armée et la nation, tant vis-à-vis des collectivités locales que de l'ensemble de la population, que l'armée remplira son devoir de mémoire au service de la République dans le respect des principes fondamentaux de la grande démocratie qu'est la France. Que de contacts, que de réunions, que de pédagogie pour arriver à cette convivialité ! Cela fait maintenant partie intégrante de nos manières d'être, alors que, voilà environ quinze ou vingt ans, nos contacts sur le terrain n'étaient faits que de contentieux, de procès, de constatation de dégats, d'indemnités... C'est là que l'on voit le chemin parcouru !
Monsieurle ministre, j'aurais pu, comme beaucoup de mes collègues, vous assaillir de questions, de demandes, de rendez-vous !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais faites !
M. Jacques Machet. Je ne l'ai pas fait...
M. Jean-Luc Mélenchon. Hélas !
M. Jacques Machet. ... car c'est vous qui avez une vue globale de la situation pour opérer cette grande réforme ; moi, je n'ai qu'une vue parcellaire des choses.
Je ne voudrais pas pour autant, monsieur le ministre que l'on dise que, si les militaires partent, c'est que le parlementaire que je suis n'a pas fait son travail. Pour ma part, je considère ma mission tout autre.
Vous êtes l'exécutif et je suis le législatif. Votre vision globale se doit d'être adaptée à chaque situation et mon rôle de sénateur est de vous aider dans cette prise en charge de la réalité. Ne connaissant qu'une partie des problèmes, en l'occurrence ceux de l'armée de terre, dont vous venez de dire qu'elle était la plus touchée - cette armée de terre que j'ai toujours côtoyée depuis que je suis gamin - je n'ai pas l'immodestie de vouloir parler de choses qui ne sont pas de ma dimension. Puis-je me permettre de vous demander, monsieur le ministre, ce que vous inspirent mes réflexions ?
Permettez-moi en terminant mon intervention de m'adresser à tous nos militaires, du plus humble au plus grand, pour les féliciter de la dignité de leur réserve en cette période de grande mutation.
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne manquerait plus que ce soit le contraire !
M. Jacques Machet. Voilà, monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire sur cet aspect moral et psychologique de la professionnalisation. Je le répète, ce projet de loi que je voterai ne doit pas simplement aboutir à une modernisation de l'armée ; il doit également permettre le maintien de l'armée dans la nation, mais aussi le maintien de la confiance de la nation dans son armée, au service des idéaux de la France et de ceux de la construction européenne.
Je remercie MM. de Villepin et Blin, ainsi que leurs collaborateurs. Je vous remercie aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de m'avoir écouté. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Madrelle.
M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat sur les orientations de la politique de défense, j'avais exprimé notre position de principe sur les grandes lignes de la réforme que vous nous présentiez à l'époque.
J'avais alors exprimé mes réticences face à la méthode employée par le Gouvernement, mais aussi mes craintes à l'égard des retombées économiques et sociales des mesures envisagées.
J'avais malheureusement vu juste.
Le Président de la République s'est engagé personnellement dans cette réforme, qui comprend la réduction drastique des effectifs militaires, la professionnalisation des armées, la redéfinition de notre insertion dans les dispositifs de défense de l'Europe et de l'OTAN, la restructuration de l'industrie de la défense.
Il s'est engagé en faveur de dépenses annuelles de 185 milliards de francs constants pour la durée de la loi de programmation. Pourra-t-il tenir cette promesse ?
Une chose est sûre : la seule maîtrise comptable des dépenses ne peut pas servir de doctrine militaire à notre pays. Vous agissez sous la contrainte financière. Vous êtes victime des conséquences de la politique économique du gouvernement Juppé.
Vous attendez que le projet de loi soit adopté par une majorité docile et peu regardante sur ses reniements pour pouvoir annoncer, après la facture sociale de votre réforme, les fermetures des garnisons et les plans sociaux dans l'industrie.
Le titre V risque de faire rapidement les frais de la professionnalisation. Les frais de fonctionnement vont croître proportionnellement aux besoins des engagés. C'est l'équipement qui en pâtira, avec, à terme, de graves conséquences pour nos industries de défense. Nous irons ainsi tout droit vers une dépendance accrue à l'égard des matériels étrangers.
Ce projet de loi aura, à très court terme, de très graves conséquences économiques et sociales : nous en avons un exemple avec le plan de charge des arsenaux de la marine.
Je pense que vos propositions pour les restructurations ne sont pas à la hauteur des enjeux. Un fonds d'adaptation industrielle est prévu pour accompagner le développement de la compétitivité et de la productivité de la direction des constructions navales, la DCN. Mais il n'y a pas que la DCN ! Quelles sont vos idées pour les autres secteurs concernés ? Pour le GIAT par exemple ?
Vous savez bien qu'en portant les crédits du fonds de restructuration pour la défense à 2 milliards de francs, vous ne pouvez pas satisfaire les demandes des collectivités locales.
Je crains que les fonds nécessaires pour les restructurations et pour pallier les retombées sociales de votre réforme ne soient pris dans le budget du ministère de la défense. Le titre V va encore souffrir. Cela signifiera moins de commandes et plus de plans sociaux.
Je ne vois pas dans votre projet de loi de perspectives ouvertes à la reconversion des industries de l'armement.
Il faut du temps et de l'argent pour mettre en place les reconversions nécessaires. Vous manquez de l'un et de l'autre. Je voudrais savoir pourquoi les crédits consacrés au nucléaire atteignent encore 20 p. 100 du total des dépenses ?
Les reports de production des hélicoptères Tigre et NH 90 mettent en danger notre coopération industrielle européenne. Au moment même où l'offensive américaine se fait sentir avec force, nous donnons l'impression de vouloir baisser les bras. C'est très grave, et les salariés d'Eurocopter ont raison de vous demander des comptes.
Des pans entiers de notre industrie de défense sont en danger. L'abandon de l'ATF touche gravement Aérospatiale. Les retards du programme Rafale affectent Dassault. Le quasi-abandon du NH 90 risque de faire plonger Eurocopter. Des centaines de sous-traitants sont aussi touchés par vos mesures.
L'objectif de « zéro licenciement » que vous avez proclamé me semble juste et nécessaire. Mais comment peut-on affirmer qu'il n'y aura pas de licenciement sec dans l'industrie de défense alors que celle-ci est frappée par une réduction de près d'un quart de son plan de charge ?
Vous me permettrez, monsieur le ministre, d'évoquer la situation de l'atelier industriel de l'aéronautique de Bordeaux-Floirac, où deux cents emplois ont disparu depuis quatre ans ! Actuellement, 1 250 employés travaillent encore sur le site. On peut imaginer aisément, avec cette loi de programmation militaire, une perte de 50 p. 100 de l'effectif, ce qui rendrait cet établissement totalement inopérant. N'oublions pas que, en soixante ans d'existence, près de 25 000 moteurs ont été réparés et testés à l'AIA de Bordeaux, des premiers moteurs à piston aux M 53 équipant les Mirage 2000 ! Le changement du statut de l'AIA ne peut constituer une réponse à l'inquiétude des personnels.
Mes chers collègues, nous pouvons craindre que les plans sociaux ne s'enchaînent à un rythme infernal. A cela, vont s'ajouter les conséquences des fermetures de bases.
Monsieur le ministre, vous devez nous préciser les mesures d'accompagnement économique et social des restructurations.
Je vous confirme solennellement, depuis cette tribune, que le groupe socialiste est favorable à la participation des organisations syndicales aux décisions relatives à l'utilisation des crédits consacrés aux restructurations.
Plus largement, je considère qu'il est nécessaire d'associer, sur le plan local, toutes les forces vives à une véritable concertation pour l'action. Nous resterons d'une vigilance extrême sur la question des conséquences économiques et sociales de votre projet de loi.
Pensez-vous sérieusement que les crédits sollicités au titre du programme communautaire Konver ou ceux qui sont prévus en faveur du fonds pour les restructurations de la défense seront à la hauteur des restructurations industrielles et militaires à entreprendre ?
Le fonds d'adaptation industrielle me laisse perplexe. Que comptez-vous faire avec ces sommes ? Combien d'emplois seront supprimés à la DCN et au CEA ? Quel sera le coût de ces suppressions d'emplois ? Est-ce que les interventions de l'Etat en la matière se feront sur le budget de la défense ?
Depuis l'annonce de la réduction des crédits consacrés à la défense, le Gouvernement ne cesse de minimiser les conséquences qu'elle aura pour l'industrie de l'armement, alors que nous savons tous que le coût social de cette réforme sera lourd, douloureux, et qu'il vaut mieux avoir, à cet égard, les yeux bien ouverts.
Votre stratégie industrielle manque de clarté. Avez-vous bien réfléchi à la contradiction qui existe dans le fait de vouloir faire jouer la concurrence pour réduire les coûts tout en favorisant la constitution de quatre pôles industriels, nucléaire, aéronautique et espace, électronique, électromécanique ?
Ce « Meccano » industriel franco-français auquel vous vous employez est-il vraiment pertinent ?
Pourquoi quatre pôles au moment où, par exemple aux Etats-Unis, on cherche plutôt les synergies et les alliances entre l'aéronautique et l'électronique ? L'approche exclusivement technocratique des problèmes industriels n'est sans doute pas la meilleure.
Il y a les paroles et il y a les actes. D'un côté, vous discourez sur une politique européenne dans le domaine des industries de l'armement et, de l'autre, vous poussez aux regroupements franco-français. C'est incohérent et dangereux pour notre avenir industriel et technologique.
Notre collègue M. le président Xavier de Villepin relève, dans son excellent rapport - excellent, mis à part les conclusions (Sourires) - la poursuite d'une politique de réduction drastique de la part de la recherche dans le budget de la défense. Or cette politique compromet l'avenir des industries de défense ; en particulier, elle frappe les PME et PMI du secteur.
Une grave carence existe donc en ce qui concerne les crédits nécessaires aux dépenses de recherche et de développement.
J'attire votre attention, monsieur le ministre, et celle de la Haute Assemblée, sur l'inquiétude éprouvée quant à l'avenir du programme Rafale. Il me semble difficile que ce projet reste en l'état pour les six années à venir. L'évolution du parc d'avions de combat de l'armée de l'air posera alors problème. Cette inquiétude se porte également sur notre industrie et sur l'emploi, mais également sur la capacité réelle de nos forces au début du xxie siècle !
Votre promesse, celle du Président de la République, relative au départ d'officiers et de sous-officiers « sans loi de dégagement de cadres » me semble très difficile à tenir, et j'aimerais avoir des précisions à ce sujet.
Le fonds d'aide à la professionnalisation est doté de 9,1 milliards de francs pour la durée de la programmation, c'est-à-dire, 1,5 milliard de francs par an.
A quoi serviront ces sommes ?
Il faut savoir si les dépenses d'accompagnement des réformes militaires seront financées par différents ministères ou si c'est le budget de la défense qui sera mis à contribution. Il y a un précédent inquiétant : le versement par le ministre de la défense d'environ 900 millions de francs par an aux territoires polynésiens en contrepartie de la fermeture du centre d'essais nucléaires de Mururoa.
Cela laisse à penser que ce sera le budget de la défense qui supportera le plus gros des dépenses liées à la fermeture des garnisons et au déploiement des forces. Or ces dépenses peuvent être estimées à 4 milliards de francs par an pendant six ans.
Pouvez-vous nous dire si les crédits destinés au titre V, en principe consacrés aux fabrications d'armements, seront utilisés aussi pour les recapitalisations des sociétés nationales et pour le paiement des opérations réalisées à l'étranger ?
Le Gouvernement réserve pour la période estivale toutes les mauvaises nouvelles dans le domaine industriel et social.
Combien de suppressions d'emplois ? M. le ministre en a annoncé 10 000 par an pendant six ans.
Sur de nombreux programmes, ce projet de loi demeure flou et ambigu. On apprend dans le rapport de M. le président de la commission des affaires étrangères et de la défense que les commandes d'hélicoptères militaires seront réduites de moitié, ce qui est incohérent avec votre politique affichée de favoriser les missions de projection. Il faut aussi prendre en compte les nombreuses suppressions d'emploi que cela entraînerait. Ces réductions de commandes, qui concernent le Tigre et le NH 90, posent la question de l'aéromobilité.
Nous ne trouvons pas trace du second porte-avions dans votre projet de loi ; un amendement adopté à l'Assemblée nationale y fait allusion. Or, oralement, le Président de la République aurait, lors de sa récente visite à Brest, si on en croit les journaux, confirmé la mise en chantier future d'un second porte-avions. Je pense qu'il a pu, à cette occasion, vérifier le mécontentement des ouvriers de l'arsenal. Cependant, cette promesse présidentielle manque particulièrement de précision. Rien n'a été dit quant à la date de mise en chantier ni quant au mode de propulsion.
Les hypothèses retenues lors de l'élaboration de votre projet de loi ne pourront pas être tenues en 1997 et 1998 ; vous serez obligé de donner un nouveau tour de vis budgétaire, et adieu programmation, adieu Rafale, chars Leclerc et hélicoptères !
En plaçant sa politique dans le long terme, la France doit pouvoir oeuvrer pour une coordination plus étroite des politiques de recherche - j'insiste sur ce terme - et de fabrication d'armements entre pays européens.
Voilà quelques années, nos collègues sénateurs de la majorité s'opposaient aux ministres de la défense des gouvernements socialistes qui proposaient des budgets de la défense d'un montant de 200 milliards de francs. A l'époque, certains esprits forts réclamaient 210 milliards ou 220 milliards de francs par an.
Aujourd'hui, cette même majorité nous annonce des budgets atteignant péniblement 185 milliards de francs. A-t-elle été saisie par les démons du pacifisme ? Non, il s'agit simplement des conséquences de la mauvaise politique budgétaire menée depuis 1994.
C'est sous la contrainte financière qu'on envisage l'abolition de la conscription, la professionnalisation et les restrictions budgétaires. Vous nous proposez de professionnaliser parce que vous pensez faire ainsi des économies. C'est un mauvais calcul !
La professionnalisation totale, vous le savez, conduit à terme à une augmentation considérable du budget de fonctionnement. Le titre III prendra dans peu de temps définitivement le pas sur le titre V. Les crédits d'équipement continueront alors de chuter.
S'agit-il d'une évolution stratégique voulue ? En tout état de cause, c'est inéluctable.
C'est l'une des conséquences majeures de votre réforme militaire. Elle nous semble incompatible avec le modèle français d'indépendance nationale, fondé notamment sur une industrie de défense forte et ambitieuse.
La période postérieure à 2002 ne s'annonce pas meilleure.
Comment avez-vous prévu de financer la production du Rafale ?
Ce projet de loi n'est pas cohérent avec le maintien d'une industrie de défense forte et performante, susceptible de donner à la France les moyens de son ambition internationale.
Nous aimerions comprendre le sens de votre politique. En l'état actuel des choses, notre refus de la cautionner est catégorique.
Nos ouvriers de la défense, nos industriels mais aussi nos soldats attendent vos précisions. Ce projet de loi est un concentré de dangers pour nos industries, pour nos régions.
Nous ne pouvons, dans ces conditions, vous accorder notre confiance.
Nous aurions souhaité être associés à une baisse progressive, maîtrisée et concertée du budget de la défense. Ce n'est pas le cas.
Reconversion industrielle, aménagement du territoire, concertation locale : ces sujets vous sont étrangers.
Pourtant, la politique de défense, ses objectifs et ses moyens doivent faire l'objet d'un consentement toujours plus large, toujours plus marqué de l'ensemble des Français, car l'unité du peuple autour de sa défense est un atout essentiel pour la nation. En négligeant ces aspects-là, on affaiblit la défense nationale.
Avec votre gouvernement, la France entre dans le rang, elle se banalise, elle semble vouloir s'accommoder d'une révision à la baisse de ses ambitions internationales. A voir les moyens que vous consacrez à la politique étrangère et à la défense nationale, on ne peut que craindre le pire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Hier, en fin d'après-midi, je revivais, comme vous-même, monsieur le ministre, au mont Valérien, ce formidable moment de notre histoire commune que fut l'appel du 18 juin.
En quelques phrases fortes, tout était dit : une bataille perdue, qui n'était qu'une bataille régionale dans une guerre mondiale ; les causes de cette bataille perdue, à savoir le retard sur les techniques de pointe de la guerre mécanique, l'insuffisante mobilité des unités, la vision passéiste des états-majors.
Mais aussi quelle formidable leçon de pragmatisme que ce message qui se termine par un appel aux ingénieurs et ouvriers français des industries d'armement se trouvant en Angleterre ou qui viendraient à s'y trouver.
Rappel opportun, ô combien ! au moment où vient en discussion ce projet de loi de programmation militaire, qui découle d'une volonté nouvelle, exprimée avec force par le chef de l'Etat : adapter nos armes aux temps d'aujourd'hui en tirant les leçons des expériences vécues hier.
Errare humanum est, perseverare diabolicum. Je veux parler d'une erreur qui ne vous est pas imputable, monsieur le ministre, d'un sillon tracé dans la mauvaise direction mais que, une fois éclairé, vous ne sauriez continuer à creuser.
De quoi s'agit-il ?
Le 1er juillet 1990, le GIAT - groupement industriel des armements terrestres - est transformé en société nationale de droit privé et devient GIAT Industries.
Hélas ! un homme faisait un rêve, un rêve qui n'était soutenu par aucune des intraitables règles de la logique financière et bancaire, sans même parler des impératifs des intérêts nationaux, totalement oubliés. Sous l'impulsion de son ancien PDG et, par une funeste erreur, avec l'accord du gouvernement de l'époque, GIAT Industries reprit l'entreprise FN-Herstal, au bord de la faillite, et dont les moyens industriels dataient du xixe siècle.
M. Xavier de Villepin, rapporteur. C'est vrai !
M. Lucien Neuwirth. Certes, une coopération européenne dans le domaine de l'arme, associant les entreprises nationales et privées, pouvait répondre à un dessein réaliste et intelligent. Cependant, en ce qui concerne Herstal, les dés étaient pipés ; cela était connu de tous les milieux industriels et bancaires, sauf de la direction du GIAT de l'époque !
Malheureusement, il y a loin du rêve à la réalité. Par cette prise de contrôle, le GIAT espérait devenir le leader mondial de l'arme de guerre de petit calibre, des armes de chasse et de tir, ayant absorbé les grandes marques Winchester et Browning.
Informé par des amis belges que, pour parvenir à ses fins, le GIAT aurait conclu un accord secret prévoyant, en particulier, la mainmise d'Herstal sur la commercialisation de toutes les armes de petit calibre civiles et militaires au niveau mondial, hors le marché français - c'est bien le moins ! - j'intervins publiquement. Le lendemain, le ministre de la défense opposait « le démenti le plus formel ». Tu parles !
Le 16 janvier 1992, à une question écrite que j'avais posée, je recevais une réponse dérisoire, comme à la question orale posée le 14 mai 1992 où j'indiquais : « La direction du GIAT se conduit non en chef d'entreprise mais comme un joueur de Monopoly : elle achète une entreprise belge, mais retire des études à nos concepteurs nationaux. C'est un désastre. Tout un capital humain et technique est ainsi mis en péril. » A quoi le ministre de l'économie, remplaçant M. Joxe - en déplacement à l'étranger avec M. Mellick - me répondait, bottant en touche : « Cette entreprise tient la première place en Europe. » Tiens donc ! Il terminait en affirmant : « Il est vrai que l'avenir de GIAT Industries repose pour une grande part sur le programme du char Leclerc, qui devra être produit à une cadence suffisamment soutenue pour assurer une bonne utilisation de l'outil industriel. »
Et les autres activités du GIAT ? Personne n'en parlait !
Il y a loin de la coupe aux lèvres !
Le journal Les Echos du 7 juin dernier titrait sur cinq colonnes : « GIAT Industries cherche un repreneur pour Herstal ». L'article précisait : « Environ un milliard de francs a déjà été injecté de 1991 à 1995 dans cette industrie rachetée fin 1990. »
M. Xavier de Villepin, rapporteur. C'est vrai !
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le ministre, cette bataille étant perdue, il vous reste à gagner la guerre. Comment ? Nous allons le voir.
GIAT Industries avait retenu Herstal comme pôle d'excellence de l'activité « armes de petit calibre », et ce au détriment de Saint-Etienne.
Chargé de la commercialisation sur le marché mondial, Herstal n'a eu de cesse de tenter de substituer au FAMAS son FNC Herstal, ce modèle n'ayant jamais été performant ni en termes de prix, ni au regard de ses qualités de tir, alors que le FAMAS, je le rappelle, est toujours classé au premier rang et retenu en short list par les clients étrangers de plus de vingt et un pays, malgré la campagne d'élimination menée par Herstal. Il faut se rappeler que près de 400 000 FAMAS 5,56 auront été fabriqués à Saint-Etienne.
Le recours est là : le centre de Saint-Etienne possède un parc de machines des plus modernes : mécanisage, canonnerie, montage, tir et conditionnement.
Je crois en l'avenir du GIAT : il a les capacités humaines et matérielles de concrétiser, dans tous ses établissements, la nouvelle politique voulue par le Gouvernement.
Vous êtes, monsieur le ministre, en Rhône-Alpes, notre voisin ; venez voir par vous-même, comme Pierre Messmer, ministre avant vous, qui était venu en une autre époque et s'était exclamé : « A Paris, on m'avait raconté des histoires ! Ce que je vois là est stupéfiant. »
Oui, le recours est là !
Le pôle d'excellence de la mécanique légère doit être désormais rapatrié à Saint-Etienne, d'où il fut arraché inconsidérément.
De la royauté à la République, les armes stéphanoises ont participé aux grands événements du pays. D'autres activités s'y sont jointes depuis - NBC optique - avec une réussite incontestable.
Toute une population y croit. Les organisations syndicales y croient. La sous-traitance, exceptionnelle, est prête. Ils sont là précisément, ces ingénieurs et ouvriers d'armement cités dans l'appel que nous avons entendu hier ensemble !
Une armée de métier pour la France, oui, mais que ses armes individuelles soient forgées de ses mains !
Monsieur le ministre, je ne veux pas douter de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons bien compris que, comme chez nos voisins européens, l'heure était à la réflexion sur une grande réforme de notre défense, qui est appelée à se professionnaliser, car la typologie des risques de conflit de demain ne sera plus celle d'hier.
L'équipement de nos forces armées doit être modernisé. Le renseignement comme les communications devront être à la hauteur de notre ambition de garantir notre souveraineté et la paix dans notre pays. Cette programmation militaire pour les années 1997 à 2002 donne une nouvelle dimension à notre défense. Elle renforce notre sécurité intérieure. Elle doit aussi s'inscrire dans notre volonté de convergence avec les forces armées de nos partenaires européens.
C'est à ce prix que cette vision européenne nous permettra une représentation reconnue et influente au sein d'instances internationales comme l'OTAN.
Tout ce mouvement national, européen et international entraîne de grands bouleversements dans les mentalités, dans la vie des hommes qui concourent à notre défense, qu'ils soient militaires - professionnels et appelés - ou qu'ils travaillent dans l'industrie.
Des mesures d'accompagnement social doivent être mises en place, car ces changements entraîneront des répercussions sur l'emploi du fait même du redéploiement des unités et des effectifs, de la restructuration et de la mutation de notre industrie d'armement. Sur ce point, monsieur le ministre, nous vous faisons totalement confiance.
Nous devons, comme toujours lorsqu'il y a changement, gagner la confiance et l'adhésion de nos concitoyens. En effet, chacun de nous, individuellement, quelle que soit sa place dans la société, est le garant de la paix et de la sécurité. Cela s'appelle, monsieur le ministre, mes chers collègues, la citoyenneté.
Le service national, à cet égard, constitue précisément une étape privilégiée dans la formation du « citoyen responsable ». C'est ce que la nation attend de chacun d'entre nous.
Son évolution est inéluctable, en raison même de la professionnalisation de notre armée, mais cette réforme du service national, auquel sont attachés tous les Français, ne doit pas être un rendez-vous manqué.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre, ainsi que M. le Président de la République, une large concertation, qui a été menée au plus près des Français. C'est ainsi que, à votre demande des réunions ont été organisées par les maires. Dans ma commune de 3 000 habitants, plus de cent vingt personnes de tous âges se sont exprimées sur ce que devrait être ce nouveau service national.
Il ressort de cette consultation que les Français restent très attachés à ce rendez-vous avec la nation, pour des raisons variées allant du devoir civique au sentiment de solidarité.
Civil ou militaire, ou militaire et civil à la fois, ce service national doit être suffisamment long pour que chacun prenne conscience de son rôle dans l'entité que représente la nation, de ce que la défense signifie concrètement. Mais il doit aussi être suffisamment souple pour ne pas perturber une entrée dans la vie d'adulte qui devient si complexe de nos jours.
Ce sentiment d'appartenance à un groupe est indispensable à l'unité et à la cohésion nationales. Il doit s'inscrire dans un élan de solidarité entre les générations et entre les différentes couches sociales.
Je reviendrai sur ce sujet, monsieur le ministre, lors du débat sur le service national dans le cadre du projet de loi que vous soumettrez au Parlement à l'automne.
Monsieur le ministre, dans cette brève intervention, je voudrais formuler deux observations.
Tout d'abord, les maires que nous sommes, pour la plupart d'entre nous, sont allés à la rencontre de nos concitoyens. Cette rencontre s'est faite avec l'impression que la décision était déjà prise.
Je crois qu'à l'avenir il nous faut éviter de donner dans la précipitation afin que ce genre de problème ne se reproduise plus. Il en va de la crédibilité de ces rencontres et de ces consultations avec nos concitoyens qui ont manifestement l'avantage d'être plus simples à mettre en oeuvre que le référendum.
Ma seconde observation concerne le projet de loi sur le service national. Là encore, il s'agit non plus d'une impression mais d'une réalité...
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh voilà !
M. Pierre Hérisson. ... même si je reconnais la légitimité du Président de la République dans les décisions concernant la défense nationale.
Comme je vous le disais voilà un instant, la défense de notre pays est et doit rester l'affaire de tous. Elle ne peut se concevoir sans une adhésion massive, au-delà des problèmes budgétaires.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Pierre Hérisson. Monsieur le ministre, il eût été plus raisonnable de mettre au conditionnel les termes du projet de programmation militaire pour la partie concernant la transformation du service national.
Mais, au lendemain des anniversaires du 18 juin, qu'a rappelés tout à l'heure notre collègue M. Neuwirth, qu'il s'agisse d'ailleurs de 1815 ou de 1940, dates qui ont marqué l'histoire de notre pays, c'est avec la fidélité du grognard de l'Empire que je voterai ce projet de loi de programmation militaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les socialistes sont attachés au principe de la conscription comme à l'un des éléments essentiels de l'identité républicaine de la France et de l'efficacité de sa défense nationale. Ils condamnent donc le passage à l'armée de métier prévu par le projet de loi de programmation militaire.
Dans le contexte actuel, ni ce prétendu « rendez-vous citoyen », pitoyable mascarade, ni l'appel au volontariat ne peuvent faire illusion. La conscription est abolie. C'est un fait majeur. Tout un monde civique s'achève.
Oh ! certes, j'en fais l'aveu, nous n'avons pas su rénover autant qu'il le fallait le contenu de cette conscription lorsque nous en avions le pouvoir.
Certes, la réduction du temps de service que nous avions décidée n'a pas été aussi audacieuse que nous l'avions prévue et même promise.
De ce fait, vous avez pu plus facilement miser sur la réticence de la jeunesse face à ce qu'elle sait de ce système pour masquer toute la signification politique de votre réforme, ses implications géopolitiques et le modèle de société qu'elle implique.
Le débat a été habilement concentré sur la seule question du service national obligatoire. Après qu'on eut déclaré qu'elle ne servait plus à rien, l'obligation du service militaire a été mise en débat. Quel beau tour de passe-passe ! Au demeurant, la bonne question aurait été : « Etes-vous pour l'armée de métier ? » Je gage qu'il y aurait eu alors bien moins d'expectative.
Quoi qu'il en soit, je note que, dans les réunions auxquelles j'ai participé sur l'invitation des maires, la jeunesse ne tombait pas dans le panneau du lâche soulagement auquel l'invitait le chef de l'Etat. Du reste, je veux relever que la totalité des organisations de jeunesse dans la mouvance idéologique de la gauche, qui ont pourtant une longue tradition critique à l'égard de l'armée, se sont prononcées contre l'abandon de la conscription.
A nos yeux, cet abandon est la conséquence, et non la cause, du reformatage de notre système de défense. Mais si j'interviens à son sujet, c'est parce qu'il nous paraît essentiel de rappeler sa valeur opérationnelle à la fois du point de vue pratique et du point de vue des principes politiques qui sont en cause. J'ai bien dit « sa valeur opérationnelle », trop souvent balayée d'un revers de main sur la base des mauvais souvenirs du temps perdu à effectuer des corvées folkloriques.
Je récuse le terme de « professionnalisation » qui est utilisé pour caractériser la nature de la réforme engagée. Nos armées n'ont jamais cessé d'être professionnelles, et cela du fait même de la conscription.
Leur haut niveau de technicité est bien plutôt acquis à cette heure encore par la coopération des engagés et des appelés, chacun apportant au système de défense des compétences bel et bien professionnelles.
J'affirme que l'armée de métier que vous n'osez jamais nommer par son nom, sous le prétexte du « rendez-vous citoyen » et sans doute du volontariat, aura une capacité professionnelle moins grande que celle dont nous disposons aujourd'hui. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Comment pourrait-il en être autrement quand on prévoit de se priver des compétences des appelés informaticiens, médecins, ingénieurs, électriciens, mécaniciens, bref, de tout le savoir-faire que procure l'appareil de formation de notre pays ? Et pour les remplacer par qui ? Par des soldats de carrière payés au SMIC ? Qui ne devine aussitôt que ces engagés-là seront, pour l'essentiel, le bataillon des laissés-pour-compte du chômage signant à cette occasion un contrat pour porter les armes, faute de mieux ? A cet égard, les exemples anglais et américains sont tout à fait probants.
Ajoutons que, dans ces conditions, nous paierons six à sept fois plus cher pour une armée qui comptera 150 000 combattants de moins. Après avoir perdu en professionnalisme et en nombre, nous perdrons encore en capacité d'équipement et, de ce fait, en niveau technologique.
En effet, le budget de fonctionnement allant croissant alors que l'enveloppe globale restera constante - les engagements les plus solennels courent à ce sujet - c'est sur l'investissement que porteront les restrictions.
Dès lors, quel démenti est déjà apporté au discours selon lequel l'exigence technologique imposerait une armée de métier ! Au reste, pour moi, la ligne « techno », c'est la ligne Maginot.
M. Guy Penne. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. L'histoire récente le confirme. Les deux super-puissances technologiques d'avant 1989, les Etats-unis d'Amérique et l'Union soviétique, ont toutes les deux été vaincues, la première au Vietnam, la seconde en Afghanistan, par des adversaires infiniment moins bien pourvus techniquement. Mais ces adversaires avaient pour eux un atout principal, à savoir l'adhésion de la population aux objectifs de défense et sa participation active.
Cette adhésion et cette participation sont, chez nous, démocratie républicaine, vécues par la conscription. Celle-ci demeure une ardente exigence pour une défense réellement sûre et efficace de notre territoire. On vous la confiez tout entière cette défense à la dissuasion et, pour le reste, à la gendarmerie.
Plusieurs raisons nous conduisent à dire que ce dispositif est bien « poreux » et insuffisant. D'abord, il est impossible d'affirmer qu'à toute forme d'agression de notre territoire répond la dissuasion nucléaire. Evoquons seulement, en cet instant, l'hypothèse d'une offensive terroriste d'envergure dans notre pays. Ici, le ressort fondamental de la capacité de défense repose sur la préparation matérielle et psychologique des populations concernées, notamment autour des sites nucléaires et industriels sensibles du pays, qui sont des centres névralgiques de notre territoire. La gendarmerie et les pompiers, ne vous en déplaise, ne peuvent y suffire. Les effectifs suffisants, les compétences professionnelles nécessaires ne seront alors disponibles que par la conscription. Ajoutons que celle-ci fournirait, dans ces circonstances extrêmes, un élément de solidarité et de discipline nationale irremplaçable.
Nous en avons déjà eu un aperçu à l'occasion de la première phase du plan Vigipirate. Je dis hier « la première phase » pour ne pas donner l'impression, dans mon discours, que j'approuve ce que plan est devenu en termes de police.
Ensuite, telle qu'elle est, la dissuation n'est pas - et nous le savons tous, hélas ! trop bien - à jamais incontournable si l'on veut bien oublier un instant que le dispositif de la dissuasion n'entre en action qu'à titre posthume.
L'efficacité de nos sous-marins nucléaires n'est ce qu'elle est qu'aussi longtemps que les progrès de l'acoustique sous-marine en sont là où ils en sont. De son côté, la composante aérienne ne peut en aucun cas prétendre être incontournable.
Dans ces conditions extrêmes - mais, en matière de défense du territoire parle-t-on, hélas ! d'autre chose que de conditions extrêmes ? N'oublions jamais que l'ultime argument dissuasif et pratique c'est le peuple lui-même et, d'abord, la fraction de ses enfants directement partie prenante du dispositif de défense.
Cet esprit de défense ne se construit pas par l'habitude de confier à d'autres, payés à ce titre comme des prestataires de service, la prise en charge des menaces. Cet esprit de défense, entretenu et éduqué par la conscription, est le socle essentiel de l'indépendance nationale. Il n'est envisageable que si l'on sait ce que l'on défend et pourquoi on le défend. C'est ici l'essentiel. L'obsession pour les forces de projection semble l'avoir fait oublier. Ce n'est pas négliger notre rôle international que de le dire.
Mais la première des missions de nos armées est défensive. Elle s'applique au territoire auquel nous sommes liés par une communauté légale de droits et de devoirs qui fait de nous des citoyens. C'est aujourd'hui le territoire de la France, demain, je le souhaite, celui de l'Union européenne. Mais la décision, dans ces domaines, ne se partagera jamais tant qu'il n'y aura pas des institutions politiques voulues, contrôlées et organisées par les citoyens eux-mêmes.
C'est du territoire de la France dont nous parlons pour le moment. Mais on vérifie à ce propos que la citoyenneté effective, la défense indépendante, nationale ou européenne, sont indissolublement liées. C'est bien pourquoi nous dénonçons un lien de cause à effet très étroit entre l'abandon de la conscription et la réintégration de la France dans l'OTAN qui, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, nous soumet au droit de veto des Etats-Unis pour toute intervention, même de faible ou de moyenne intensité, y compris sur le sol de l'Europe.
C'est déjà commencer à rassembler beaucoup aux Américains et à leur modèle de société que de décider que le peuple est inutile aux armées.
Après la suppression du droit du sol, le démantèlement du service public et de la sécurité sociale, avec le projet de réforme pour un Etat minimum et à présent l'abolition de la conscription, c'est un pan supplémentaire de la nation républicaine qui est dissous dans le bain de la mondialisation libérale que dominent les Etats-Unis d'Amérique.
Voilà une situation si incongrue, mes chers collègues, si contraire à tout ce que nous sommes qu'en abolissant la conscription - permettez-moi cette petite note d'humour un peu grinçant - vous aurez même réussi à faire du refrain de notre hymne national, « Aux armes citoyens », un appel à l'émeute. (Murmures sur les travées du RPR.)
Mes chers collègues, hier et aujourd'hui, engagés et appelés s'exposaient et parfois mouraient pour la paix, pour la France, pour ses engagements internationaux, pour l'ONU, mais toujours pour le peuple français, en son nom et en celui de sa République leurs présents à tout instant dans leurs rangs.
Demain, on s'exposera et on mourra parce qu'on aura signé et qu'on est payé pour ça, et que les Etats-Unis l'auront permis. Quel pitoyable déclin ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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