DÉFICIT PUBLIC EXCESSIF EN FRANCE

Adoption d'une résolution d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution (n° 466, 1995-1996), adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, en application de l'article 73 bis, alinéa 8, du règlement, sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France. Application de l'article 104 C, paragraphe 7, du traité instituant la Communauté européenne (n° E 648). [Rapport n° 447 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, pour la troisième année consécutive, un projet de recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France.
Il s'agit de l'application exacte des dispositions du traité relatif à la constitution de l'Union économique et monétaire, l'UEM, qui organise, notamment, les règles de surveillance multilatérale des politiques économiques.
Parmi les quinze Etats membres de l'Union, un seul, le Luxembourg, respecte aujourd'hui l'ensemble des critères de convergence de ce traité, en particulier les deux critères définis en matière de finances publiques, à savoir une dette publique inférieure à 60 p. 100 du produit intérieur brut et un déficit public ne dépassant pas 3 p. 100 de ce même produit intérieur brut.
Six autres pays, dont la France, respectent un des deux critères.
Or, au-delà du strict examen des critères, la Commission européenne procède à une évaluation globale de la situation de chacun des Etats membres.
Elle a estimé, cette année, que douze Etats membres étaient en situation de déficit excessif, considérant que le Danemark et l'Irlande, qui ne respectent pas encore le critère relatif à la dette publique, étaient en bonne voie d'y parvenir grâce à une réelle et rapide réduction de leur ratio endettement public-produit intérieur brut.
S'agissant de la France, la commission des finances a d'abord estimé que nous ne pouvions que prendre acte de cette situation et reconnaître que nous ne respectons pas encore le critère relatif au déficit public.
Un examen plus approfondi du texte de la recommandation nous a conduits à formuler, par ailleurs, plusieurs obervations.
La Commission fait un constat : la France respecte difficilement ses objectifs de réduction du déficit, en dépit des efforts réalisés et soulignés par le texte communautaire.
Ainsi, en 1995, le déficit public a atteint 5 p. 100 du produit intérieur brut, soit moins qu'en 1994 - nous étions alors à 5,8 p. 100 - mais plus que ce qui avait été prévu dans le programme de convergence de novembre 1993 et recommandé par le Conseil l'année dernière.
Pour 1996, la Commission exprime une certaine inquiétude sur l'objectif de 4 p. 100. C'est pourquoi elle approuve les mesures de gel décidées par le Gouvernement au début de l'année.
La commission des finances souhaite, elle aussi, que l'objectif d'un déficit de 4 p. 100 en 1996 soit respecté.
La recommandation européenne estime qu'il est impératif de poursuivre la réduction du déficit pour parvenir à l'objectif de 3 p. 100 du produit intérieur brut en 1997.
Voilà qui correspond bien à ce que vous nous avez annoncé lors du débat d'orientation budgétaire, monsieur le ministre, et vous vous souvenez sans doute que la commission des finances vous a soutenu dans cette démarche de réduction du déficit.
Mais, comme nous vous l'avions également dit à cette occasion, le respect de l'objectif de 3 p. 100 exige un effort important principalement axé sur la maîtrise des dépenses.
La Commission européenne rappelle d'ailleurs, dans son projet de recommandation, la nécessité de maîtriser les dépenses de l'Etat et les dépenses de la sécurité sociale.
Elle souligne, en outre, la nécessité d'une mise en oeuvre intégrale de la réforme de la sécurité sociale qu'elle qualifie d'ambitieuse. La commission des finances a estimé que cette observation était justifiée et qu'il fallait absolument parvenir à un « déficit zéro » de la sécurité sociale en 1997.
Nous avons cependant ajouté un point important à la recommandation européenne, sur lequel la commission des finances a beaucoup insisté, monsieur le ministre. Nous venons d'ailleurs d'en parler à l'occasion de l'examen des perspectives financières de l'Union européenne. Mais je crois nécessaire, et en tout cas de mon devoir, de le redire : la rigueur budgétaire que s'imposent aujourd'hui tous les Etats membres doit également impérativement s'appliquer à l'Union européenne. Nous devrions, grâce à des économies, chercher à stabiliser, à défaut de réduire, le montant des contributions de chaque Etat membre.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes lignes du texte de la recommandation européenne et les observations de la commission des finances, reprises dans le texte de la résolution que nous vous proposons d'adopter.
Toutefois, monsieur le ministre, nous avons souhaité aller plus loin puisque, dans mon rapport écrit, j'ai fait figurer une annexe sur les expériences réussies qui ont été menées en matière de réduction de la dépense publique.
Je tiens à soumettre ces éléments à votre réflexion, au moment où vous participez à des conférences budgétaires qui doivent être assez délicates.
Aussi, avant de conclure mon propos, je souhaite vous faire part de l'appréciation de la commission sur ces expériences.
A cet égard, nous ferions bien de regarder plus souvent ce qui se passe dans les pays étrangers, car nous pourrions y trouver des expériences intéressantes qui, à défaut d'être totalement transposables chez nous, pourraient tout de même nous apporter quelques enseignements utiles.
Il apparaît que seuls les pays qui ont réduit leurs dépenses publiques ont réussi leurs politiques d'ajustement budgétaire. Il n'est en effet plus possible de faire face à l'explosion des dettes publiques en augmentant simplement les prélèvements obligatoires. Les agents économiques et les marchés nous incitent d'ailleurs à la rigueur. J'ajoute que les perspectives liées au vieillissement de la population doivent nous rendre encore plus conscients de cette nécessité.
Une analyse approfondie des expériences réussies en matière de réduction des dépenses montre que seuls certains types d'économies sont efficaces et durables. En effet, s'il est possible, à court terme, de geler les salaires de la fonction publique, de réduire forfaitairement tous les crédits ou de diminuer les dépenses d'investissement, cela ne modifie en rien le profil général des dépenses et permet, en réalité, simplement de reporter les dépenses correspondantes sur les exercices ultérieurs.
Les réductions de dépenses qui ont un effet durable sont, d'abord, celles qui s'attaquent aux dépenses dites improductives. Mon rapport écrit vous en fournit de nombreux exemples. C'est aussi et surtout la réduction des dépenses sociales et des dépenses de personnel.
Les exemples de l'Irlande, du Canada, de la Suède ou de la Nouvelle-Zélande, qui ont réduit très sensiblement leur niveau de dépenses publiques, montrent que la réduction des dépenses sociales ne consiste pas à supprimer des prestations, ce qui serait à la fois brutal et non souhaitable pour des pays ayant choisi de préserver une réelle solidarité nationale.
Il s'agit, le plus souvent, de mieux cibler les dépenses et de revoir certains critères d'attribution en instituant, par exemple, une condition de ressources pour le versement de certaines allocations, en exigeant des résultats scolaires pour les bourses d'études ou en créant des conditions de recherche d'emploi pour les allocations chômage.
Un réexamen systématique de nos diverses dépenses d'intervention, avec le souci de les rendre plus sélectives, pourrait sans aucun doute permettre de réaliser, à l'image des autres pays, de véritables économies.
Dans le même ordre d'idée, une réflexion sur le rôle de l'Etat et sur son champ d'intervention devrait permettre la remise en cause de certaines dépenses. Il n'est pas évident que l'Etat soit toujours le mieux placé pour effectuer certaines interventions ou actions au moindre coût. A un échelon plus réduit, les gestionnaires de collectivités locales que nous sommes en ont souvent fait la constatation. La réforme de l'Etat en cours devra donc nécessairement se traduire par des économies budgétaires.
L'examen des expériences étrangères que je viens d'évoquer m'a aussi conduit à observer l'utilité des réformes institutionnelles ou de procédure.
Si nous avons des difficultés à réduire la dépense publique en France aujourd'hui, peut-être serait-il bon de s'inspirer des pays qui ont remis en cause leurs dépenses par l'institution de procédures d'arbitrage collégiales au plus haut niveau politique.
De même, l'instauration d'une programmation pluriannuelle systématique des dépenses pourrait apporter des éléments d'analyse particulièrement utiles pour éclairer nos choix en termes aussi bien d'économies que de dépenses nouvelles.
Enfin, une grande transparence dans l'exécution des dépenses ou dans l'élaboration des prévisions économiques ne peut que contribuer à développer la prise de conscience de l'ensemble de la classe politique et de l'opinion publique sur la nécessité absolue de maîtriser les dépenses et sur le caractère obligatoire, incontournable et urgent de certains choix.
Dans mon rapport écrit, je développe plus longuement ces comparaisons. J'ai souhaité, monsieur le ministre, soumettre cette contribution à votre réflexion, sachant que vous étiez déjà en train de préparer le projet de budget pour 1997, afin que vous puissiez en tirer éventuellement tous les enseignements utiles dans la tâche qui est la vôtre.
Mes chers collègues, il ne faut pas nous le cacher, le prochain budget sera l'un des rendez-vous majeurs, non seulement pour la politique du Gouvernement, mais, au-delà, pour la France et sa place en Europe. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Hélène Luc. Je suis tout de même très étonnée que M. le rapporteur n'ait pas parlé de la proposition de résolution que mon groupe a déposée !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons maintenant la recommandation de la Commission des Communautés européennes en vue d'une recommandation du Conseil demandant à la France de respecter la discipline budgétaire prévue par le traité.
Comme l'a excellemment rappelé M. le rapporteur, la Commission recommande de poursuivre la réduction du déficit en 1996 et en 1997, afin de parvenir à limiter le déficit public à 3 p. 100 du produit intérieur brut en 1997.
Elle se félicite, en outre, de la réforme du système de sécurité sociale engagée par la France, des mesures de gel des dépenses publiques prises au début de cette année, ainsi que des orientations budgétaires pour 1997 que j'avais eu l'honneur, avec Jean Athuis, de présenter à votre assemblée.
La Commission insiste pour que la réforme du système de sécurité sociale soit intégralement mise en oeuvre et pour que les objectifs afférents à la croissance des dépenses de santé soient respectés.
Enfin, elle encourage le Gouvernement à réduire les dépenses de l'Etat en termes réels en 1997, pour compenser toute perte de recettes et atteindre l'objectif fixé en matière de déficit.
La recommandation de la Commission correspond, en fait, aux objectifs que nous nous sommes fixés, vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur. Il s'agit d'accomplir les efforts nécessaires en matière de finances publiques pour que leur assainissement concoure de nouveau à la croissance économique et que la France puisse respecter la totalité des critères prévus par le traité de Maastricht afin de participer à l'Union économique et monétaire dès le 1er janvier 1999.
A ce jour, sur les cinq critères prévus par le traité, la France en respecte quatre. Elle est l'un des pays de la Communauté parmi les mieux placés, et la politique que nous souhaitons mettre en oeuvre est de faire en sorte que, l'année prochaine, la France respecte les cinq critères.
La clarté de la stratégie budgétaire conduite, en particulier, depuis un an a eu le mérite de contribuer à la détente monétaire.
En renforçant la crédibilité de nos objectifs, cet engagement a permis à la Banque de France d'engager un processus de baisse sensible des taux d'intérêt, sans mettre en danger la stabilité de notre monnaie au sein du mécanisme de change européen.
Dans le même temps, les taux d'intérêt à long terme ont baissé. Rappelons qu'ils ne dépendent absolument pas de la Banque de France, puisqu'ils sont, en fait, le résultat du jeu des marchés et donc de l'opinion que l'ensemble des opérateurs du monde portent sur notre politique. Les taux d'intérêt sont donc maintenant très régulièrement inférieurs aux taux allemands et inférieurs aux taux américains.
Cette baisse des taux d'intérêt n'a été possible que parce que les objectifs de la politique monétaire étaient réaffirmés et parce que l'exécution de cette politique se faisait avec fermeté. Seule la poursuite d'une telle politique permettra aux taux d'intérêt de rester bas durablement et d'exercer un effet positif sur l'activité économique.
M. Emmanuel Hamel. Espérons-le !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. La maîtrise de la dépense sera l'instrument privilégié pour ramener le déficit des administrations publiques à 3 p. 100 du produit intérieur brut en 1997.
J'ai écouté attentivement ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, sur les exemples que nous fournissent les politiques engagées par plusieurs de nos partenaires étrangers, qu'ils appartiennent à l'Union européenne, comme l'Irlande ou la Suède, ou qu'ils y soient étrangers, comme le Canada ou la Nouvelle-Zélande.
Vous auriez pu aussi mentionner le cas très particulier de l'Italie, dont les déficits publics sont très élevés par rapport au produit intérieur brut, alors que, en ce qui concerne le budget de l'Etat, le déficit hors dette, ce que l'on appelle le déficit primaire, est en fait, si je puis dire, un excédent. Plus exactement, si l'on examine le solde hors dette, on constate que l'Italie dégage un excédent primaire.
Tous nos partenaires ont donc fait un effort considérable pour réduire les déficits publics. De la même manière, après avoir ramené ces déficits, qui étaient de près de 6 p. 100 du produit intérieur brut à la fin de 1994, à 5 p. 100 à la fin de 1995, notre objectif est d'exécuter la loi de finances pour 1996 de manière à ramener le déficit à 4 p. 100 à la fin de cette année et à 3 p. 100 en 1997. C'est la maîtrise de la dépense qui nous permettra à la fois de parvenir à ce résultat et d'engager, dès l'année prochaine, la baisse des prélèvements obligatoires dont notre économie a besoin.
Déjà, dans la loi de finances pour 1996, la progression des dépenses a été limitée à celle des prix, ce qui correspond à une stabilisation en volume, et c'est déjà une inflexion sensible par rapport aux évolutions passées - 4 p. 100 de croissance en valeur en moyenne depuis le début des années quatre-vingt-dix. De plus, compte tenu, malheureusement, du ralentissement économique survenu depuis l'été 1995, il a été décidé en début d'année de geler certains crédits pour un montant de 20 milliards de francs, afin de respecter en exécution le déficit fixé en loi de finances.
La commission des finances du Sénat a relevé que la recommandation de la Commission approuvait le réforme du système de sécurité sociale engagée à l'automne dernier.
Là aussi, nous avons décidé d'agir essentiellement du côté des dépenses pour éviter de recourir à une hausse excessive des prélèvements qui nuirait à notre compétitivité. La réforme engagée en novembre dernier vise ainsi principalement à maîtriser les dépenses pour éviter qu'elles ne progressent plus vite que l'activité économique à moyen terme.
Le budget pour 1997, que ce soit le budget national ou le budget européen, sera historique. C'est en effet la manière dont le budget national sera exécuté qui décidera de notre capacité à entrer dans l'Union économique et monétaire. En même temps, il constituera, pour notre politique économique nationale, un test qui éprouvera la capacité de notre pays à se réformer en profondeur et à engager une révolution culturelle identique à celle qui a été lancée voilà déjà plusieurs années par certains de nos partenaires, permettant de réduire la part de la dépense publique et des prélèvements dans l'économie.
Cependant, cet effort d'assainissement devra être poursuivi au-delà de 1997. D'ailleurs, nous avons eu l'occasion de le dire lors du débat sur les orientations budgétaires pour 1997, la « boule de neige » de l'endettement, qui continue actuellement de grossir, même alors que le déficit diminue, ne commencera à fondre que lorsque le déficit sera inférieur à 2 p. 100 du produit intérieur brut, ce qui fait qu'en réalité les engagements que nous avons pris à l'échelon européen sont insuffisants si nous voulons retrouver la pleine maîtrise de nos finances publiques.
En outre, cette discipline sera nécessaire pour le fonctionnement harmonieux de l'Union économique et monétaire. C'est pourquoi la France a appuyé l'initiative de l'Allemagne, qui a proposé à ses partenaires d'essayer de se mettre d'accord dès maintenant, avant la constitution de l'Union économique et monétaire, sur un programme de stabilité garantissant la cohérence des politiques budgétaires et, plus généralement, des politiques économiques des futurs membres de l'Union économique monétaire, dans les premières années de son entrée en vigueur.
Au cours des dernières années, nous avons éliminé notre déséquilibre externe en supprimant notre déficit courant ; nous devons maintenant éliminer notre déséquilibre interne en réduisant notre déficit public. La réduction de la désépargne publique qui en résulte pourra induire une réorientation de l'épargne vers les secteurs productifs. Cette meilleure allocation des ressources financières intérieures permettra de financer les investissements indispensables à la réalisation des gains de productivité et au maintien de notre compétitivité.
C'est pourquoi, sur la base du rapport approfondi présenté par M. Alain Lambert, il nous apparaît que la commission des finances a adopté une proposition empreinte de sagesse à laquelle le Gouvernement invite le Sénat à se rallier. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard. Je voudrais, là encore, expliquer notre position.
Si, sur le fond, le texte que nous examinons, qui a pour objet la limitation des déficits, n'est pas un sujet de désaccord, la motivation des auteurs de la résolution, notamment les appréciations qu'ils portent sur la politique économique et financière du Gouvernement, nous amène à ne pas nous solidariser avec eux.
Je veux, d'un mot d'abord, souligner que le débat relatif à la portée de l'intervention de la Communauté sur notre déficit est largement rétrospectif. Il y a peu de propositions tendant à ce que la France dénonce le traité sur l'Union européenne !
A partir du moment où tout le monde constate que le traité sur l'Union européenne fait partie de nos engagements internationaux, il est logique qu'il soit appliqué, notamment par ce dialogue qui s'instaure entre la Communauté et les autorités françaises sur le respect des objectifs.
L'appréciation que porte la commission sur le respect des critères de convergence nous paraît objective et réaliste. Elle a le caractère d'un simple constat. La commission souligne que, pratiquement, il est prévisible que le déficit de l'ensemble des finances publiques françaises au sens du traité soit non pas de 3 p. 100 seulement, en 1997, mais probablement un peu supérieur.
Il est logique que chacune des grandes forces politiques prenne position sur cette question. Notre sentiment est qu'il ne faut pas dramatiser cet écart, sachant que la situation structurelle de l'économie française est solide et que, notamment, nos comptes extérieurs font apparaître que ce pays est compétitif et qu'il est dynamique.
M. Emmanuel Hamel. On ne le rappelle pas assez souvent !
M. Philippe Marini. On n'entend pas souvent cela sur vos bancs !
M. Alain Richard. On n'entend pas non plus sur les vôtres, cher collègue, puisque vous souhaitez introduire un élément de polémique, le rôle joué par les différents gouvernements dans l'obtention de cette situation ; rappelez-vous où en était l'économie française au printemps de l'année 1981, notamment quant à sa compétitivité extérieure ! Donc, si vous cherchez quelques anicroches, vous aurez de quoi vous amuser.
M. Philippe Marini. En 1986, ce n'était pas brillant non plus !
M. Alain Richard. L'évolution en matière de déficits publics est de toute façon positive et il n'y a pas lieu, nous semble-t-il, d'alarmer les partenaires de la France et la Communauté sur notre capactié à entrer dans le dispositif de la monnaie unique.
En revanche, nous devons confirmer notre désaccord sur le processus et sur les méthodes suivis par le Gouvernement français pour rétablir cet équilibre, notamment en ce qui concerne la répartition des prélèvements supplémentaires.
Sur ce point, je ne peux pas être d'accord avec l'appréciation donnée par M. le ministre du budget à l'instant. Le plan de redressement de la protection sociale comporte des prélèvements supplémentaires importants : un a déjà été mis en valeur et porte sur un montant de 25 milliards de francs, d'autres figurent dans les projets à venir, notamment avec l'élargissement, annoncé par le Premier ministre, de l'assiette de la contribution sociale généralisée.
Il y a donc bien un alourdissement significatif des prélèvements.
Nous considérons - le premier secrétaire national de notre parti l'a rappelé encore récemment - que, si l'on admet l'objectif d'avoir un montant de déficit inférieur à un certain plafond, d'autres choix sont possibles aussi bien en matière d'économies qu'en matière de répartition des prélèvements.
Comme la proposition de résolution adoptée par la commission des finances a le caractère d'un satisfecit sur la stratégie budgétaire et financière suivie par le Gouvernement, nous ne pouvons, bien sûr, donner notre assentiment sur ce point.
Je conclurai sur l'objectif, qui reste aussi nécessaire que jamais, d'entrer avec détermination dans l'application de l'Union monétaire.
C'est aux Etats, au début du printemps de 1998, qu'il reviendra d'apprécier ensemble le respect des critères de convergence. Nous souhaitons, compte tenu des perspectives de l'économie française à l'heure actuelle, que la France insiste pour que ces critères soient appréciés en tendance, afin qu'il soit reconnu que la France et nombre de ses partenaires respectent lesdits critères. Nous souhaitons surtout que l'incertitude sur l'entrée en vigueur de la monnaie unique ne soit pas prolongée, car ce serait beaucoup plus dommageable que tout le reste.
C'est lorsque la monnaie unique sera entrée en vigueur que pourra être développée, à l'échelon communautaire, une stratégie monétaire plus favorable à la croissance.
M. Emmanuel Hamel. Vous en êtes sûr ?
M. Alain Richard. Au cours des dernières années, l'attente de l'Union monétaire a été propice à une politique de resserrement des choix monétaires qui a desservi la croissance. Nous pouvons tous le vérifier de façon objective. Quand on regarde le parcours de la principale économie concurrente de l'économie européenne, c'est-à-dire l'économie américaine, qui avait la possibilité d'avoir une politique monétaire souple, on constate que, tout en restreignant ses déficits, en menant une politique monétaire favorable à la croissance, la puissance américaine a, à l'évidence, augmenté ses marges de manoeuvre et, par conséquent, facilité la réduction de ses déficits.
Par ailleurs, il me semble important de rappeler l'objectif politique : la mise en oeuvre de la monnaie unique donnera à l'Europe la capacité collective d'agir en tant que grande puissance politique sur l'économie mondiale, au lieu d'être simplement un ensemble de pays moyens, témoins des évolutions décidées par d'autres.
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission de Bruxelles, comme à son habitude, vient d'adresser à la France, ainsi qu'à onze autres pays de l'Union européenne, une recommandation - est-ce vraiment le mot qui convient lorsque l'on examine le contenu de ladite recommandation ? - visant à les « encourager » à persévérer dans la voie de la réduction de leurs déficits publics.
En effet, à l'instar de l'année 1995, la situation des comptes publics de notre pays présente toutes les apparences d'un déséquilibre à hauteur de 4 p. 100 du produit intérieur brut, si l'on s'en tient aux termes de la loi de finances pour 1996.
Hélas ! ces projections macro-économiques sont d'ores et déjà contredites par les faits !
En effet, le déficit de trésorerie prévu pour les régimes de protection sociale en 1996 atteindrait 46 milliards de francs, soit, au bas mot, 11 milliards de francs de plus que ce qui avait été annoncé comme supportable aux termes de la discussion sur le rapport d'évolution budgétaire.
Par ailleurs, la prévision de croissance annoncée en loi de finances, à savoir 2,8 p. 100, a été largement surestimée puisque les conjoncturistes les plus optimistes considèrent que, avec une croissance en volume en augmentation de 1,6 p. 100, on pourrait s'estimer heureux.
Cette situation a évidemment un impact sur la réalité des recettes fiscales de l'Etat, alors même que les premiers éléments d'évaluation fournis par le Gouvernement lui-même se révèlent pour le moins inquiétants en termes de progression des recettes.
En effet, malgré la hausse des taxes sur l'essence, la pleine application de la majoration du taux normal de la TVA, l'absence de dispositions d'allégement de l'impôt sur le revenu en termes de barème progressif, l'évolution des recettes fiscales n'est que de 4 p. 100 au premier trimestre de l'année, alors que celle des dépenses est égale à 4,5 p. 100.
Ainsi, malgré cet alourdissement sensible de la pression fiscale - ou peut-être à cause de lui ! - qui pèse sur la consommation, c'est-à-dire d'abord et avant tout sur les ménages les plus modestes, le déficit public se creuse encore.
Cette pression fiscale a d'ailleurs pour conséquence de participer à la baisse, constatée depuis plusieurs mois, de la consommation, entraînant par là même de nouvelles mésaventures fiscales pour le budget général.
Ainsi, la progression de la TVA nette encaissée par les services fiscaux au premier trimestre est inférieure d'un point à celle qui était prévue à l'origine en loi de finances.
Si cette tendance se prolonge, ce sont 5 à 6 milliards de francs de déficit supplémentaires que l'on enregistrera en fin d'exercice budgétaire, entraînant de nouvelles coupes claires dans les dépenses publiques les plus utiles.
Les faits sont là : le déficit de l'Etat en ce premier trimestre de 1996 est plus important qu'il ne l'était à la fin du premier trimestre de 1995.
Pour autant, ce déficit est-il excessif ?
Tenter de répondre à cette question, c'est d'ores et déjà s'interroger non seulement sur le volume mais aussi sur la « qualité » de ce déficit.
Cela fait effectivement plusieurs années - pour le moins depuis mars 1993 - que les gouvernements qui se sont succédé ont mené une politique de réduction de la dépense budgétaire et de modification sensible de la portée de l'action de l'Etat dans notre pays.
Ces politiques déflationnistes, pleinement liées à la seule volonté des marchés financiers et dissimulées sous l'expression « franc fort » ; pèsent, en définitive, sur la croissance économique réelle, et donc sur l'emploi.
En effet, la dépense publique, n'en déplaise aux comptables sourcilleux de la Commission de Bruxelles et d'ailleurs, demeure dans notre pays un puissant vecteur de croissance dès lors qu'elle est judicieusement réalisée.
Pour prolonger cette analyse, on a même l'impression que le débat actuel sur la réforme fiscale, sur la réforme de l'Etat et sur la réduction des déficits publics n'est, en fait, que le point d'orgue d'une démarche depuis longtemps entreprise pour rendre à notre société une sorte de « pureté » libérale correspondant aux attentes de la classe sociale la plus aisée, du patronat et, enfin, des eurocrates obsédés par leur mode de construction européenne à la sauce néolibérale, version cuisine maastrichtienne, pureté libérale que la présence de l'Etat dans la vie de la nation aurait le mauvais goût de troubler.
Aujourd'hui, la marche en avant dans la construction européenne sert à tout : elle justifie, par exemple, que la France jette par dessus les moulins les principes du service public à la française, comme le montre cette offensive tous azimuts menée par la Commission et relayée au plus haut niveau contre le monopole de France Télécom, contre le monopole public de EDF et contre l'organisation de nos transports ferroviaires, comme semble l'y préparer la nouvelle mouture du contrat de plan Etat-SNCF, brisant l'unicité du service public.
Or ces objectifs, qu'on le veuille ou non, sont poursuivis depuis longtemps par ceux qui nous font aujourd'hui la leçon et ceux qui, en acceptant les termes de la recommandation, s'en font les défenseurs zélés et exigent qu'elle soit traduite dans la politique budgétaire et économique à moyen terme.
Le tout, évidemment, dans un contexte de fiscalisation accrue de la protection sociale, qui ne fait que compromettre, sur la durée, l'équilibre des comptes sociaux et la garantie de l'égalité d'accès aux soins et des principes de solidarité nationale qui président - on pourrait dire aujourd'hui « qui présidaient » - à la conception française de la protection sociale.
D'ailleurs, le déficit de nos comptes sociaux n'existe que depuis que les entreprises bénéficient de prises en charge par l'Etat de leur contribution à leur financement et que l'« allégement » de leurs charges n'a fait qu'accompagner la hausse du chômage.
Je me permettrai ici de souligner, à l'instar de mon amie Mme Marie-Claude Beaudeau lors du débat sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1994, que la seule application des dispositions d'allégement de charges sociales contenues dans la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle a produit une augmentation des dépenses publiques de plus de 20 milliards de francs, sans qu'il soit prouvé par la réduction du nombre des chômeurs que cette dépense se soit traduite positivement.
Il y a, dans les comptes publics, une série de gaspillages de cette nature qui ne cessent de croître et d'embellir, mais que la Commission de Bruxelles refuse, soit dit en passant, de constater.
Il est paradoxal que le Gouvernement actuel, comme celui qui l'a précédé et qui tirait sa légitimité de la même majorité parlementaire, nous appelle à réduire la dépense publique et les déficits alors même que l'on dépense sans compter pour aider les entreprises à bénéficier de salariés à moindre coût, pour aider les spéculateurs immobiliers à se tirer du guêpier où les a plongés la flambée artificielle des prix ces dernières années ou pour aider les ménages les plus aisés à tirer parti de niches fiscales toujours plus intéressantes, comme celle qui est créée par le projet de loi sur les quirats, que nous avons examiné tout à l'heure.
Nous nous devons de citer les dizaines de milliards de francs que l'Etat a consacrés à une politique de l'emploi qui n'a obtenu qu'un résultat : permettre aux entreprises privées de dégager un taux de profit encore plus élevé, du fait de la déflation salariale.
Ainsi, selon le rapport des comptes de la nation, nous atteignons pour 1995 un niveau record de 1 311 milliards de francs de profits bruts pour les entreprises privées, tandis que le montant des dividendes qu'elles ont versés à leurs actionnaires a connu une nouvelle hausse, passant en un an de 337 milliards de francs à 367 milliards de francs, ce qui représente une hausse annuelle de 9 p. 100, hausse que bien des salariés sont loin d'avoir connue.
La vie n'est donc pas dure pour tout le monde, ce que nous savions déjà.
M. Philippe Marini. Image d'Epinal !
M. Jean-Luc Bécart. Que dire aussi de la sollicitude dont ont bénéficié les souscripteurs de l'emprunt Balladur ? Voilà en effet un revenu établi sur une base de souscription de 110 milliards de francs qui ne subit pas l'impôt sur le revenu - et ce n'est pas une image d'Epinal, mon cher collègue - ...
M. Emmanuel Hamel. Epinal, c'est Philippe Séguin ! N'en dites pas de mal !
M. Jean-Luc Bécart. ... qui peut être remboursé en actions de sociétés privatisées, qui ignore tout droit de succession et qui méconnaît tout prélèvement social, y compris la cotisation de remboursement de la dette sociale, dont le Gouvernement a voulu faire le modèle de l'équité fiscale et sociale.
Il ne faut en effet jamais l'oublier : en dépit du discours pathétique sur les déficits, les revenus tirés de l'emprunt Balladur, comme d'ailleurs nombre de placements obligataires, sont situés dans une zone franche fiscale où l'on ne fait que jouir des produits du placement sans participer d'aucune sorte au financement des missions de l'Etat ou de la protection sociale.
Les différents rapports sur le sujet rendus par le Conseil national des impôts le soulignent régulièrement avec force : les deux tiers des revenus financiers échappent à tout prélèvement et, dans le tiers restant, une grande part bénéficie de taux de prélèvement libératoire particulièrement avantageux.
N'est-ce pas le Gouvernement de M. Balladur qui a réduit de 35 p. 100 à 15 p. 100 le taux de ce prélèvement sur les bons du Trésor et supprimé l'obligation de portage des options d'achat d'actions ?
N'y a-t-il pas, dans la nécessaire remise en cause des avantages fiscaux qui leur sont accordés, quelques pistes à explorer du côté des revenus financiers en vue de réduire les déficits publics ?
Le Gouvernement qui préside aujourd'hui aux destinées du pays vient d'ailleurs nous proposer d'approuver de nouveaux tours de vis fiscaux et sociaux pour le plus grand nombre.
Il est aujourd'hui évident que le taux normal de la TVA, qui pèse d'autant plus sur la consommation qu'il est l'un des plus élevés d'Europe, ne sera pas réduit tant que ne seront pas satisfaits les critères de convergence européens.
Il est de plus en plus question d'alourdir encore la fiscalité pesant sur le travail : on parle ainsi de la modulation de l'abattement de 20 p. 100 sur les pensions et retraites, de la suppression de l'abattement de 10 p. 100 accordé aux bénéficiaires de ces revenus ou de la majoration de la CSG, alors même que tout devrait pourtant nous conduire à réformer notre système fiscal et social en vue de le rendre plus juste et plus équitable.
Dans le même temps, on veut aller encore plus loin dans la réduction des dépenses publiques, ce qui signifie d'ailleurs clairement que l'on va demander aux Français de payer plus pour un service public réduit et une moindre intervention publique dans la vie de la nation.
Dans les faits, cette recommandation de la Commission européenne et l'acceptation qu'en propose la commission des finances par la voix de son rapporteur général servent les objectifs de la politique gouvernementale, tout comme cette même politique sert le mode de construction européenne que nous impose le traité de Maastricht.
M'adressant à M. Lambert, je souhaite lui dire combien il est regrettable qu'il n'ait pas eu un mot, dans son rapport oral, sur la proposition de résolution, pourtant solidement et sérieusement argumentée, me semble-t-il, que le groupe communiste républicain et citoyen avait déposée sur ce point de l'ordre du jour.
Je me doute bien que, en « Maastrichtien » convaincu, M. Lambert ne partage pas notre point de vue ; mais est-ce une raison pour l'ignorer ? Je ne le pense pas ! En revanche, je continue de considérer que notre proposition de résolution apportait sa pierre à ce débat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission de Bruxelles nous invite, dans sa recommandation, à poursuivre une politique de fracture sociale conduisant à l'émergence d'une société toujours plus dure et inégalitaire.
Nous ne pouvons donc qu'émettre un avis négatif sur la présente proposition de résolution.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous allons passer à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme Hélène Luc. Peut-être M. le ministre souhaite-t-il répondre auparavant aux intervenants ?
M. le président. Madame Luc, soyez assurée que, si M. le ministre avait demandé la parole, je la lui aurais donnée !

Question préalable