M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la culture.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n'ayons pas peur des chiffres !
On ne manquera pas de nous rappeler, au cours de la discussion, que les crédits du ministère de la culture, qui ont atteint 15,5 milliards de francs en 1996, s'élèveront à 15 millards de francs en 1997 et qu'ils vont accuser ainsi une diminution de 500 millions de francs, soit une baisse de 2,9 %.
On ne manquera pas non plus de souligner que, si l'on tient compte d'un transfert de compétences portant sur une somme considérable, 902,6 millions de francs, la diminution est encore plus importante, d'environ 8 %, et que, selon le mode de calcul choisi, le budget de la culture représente non pas 1 % du budget total mais 0,97 %, voire 0,90 %.
Eh bien, selon la commission des finances, cela ne nous dispense pas de rechercher des motifs de satisfaction, de déceler aussi des motifs de perplexité et, enfin, de justifier les critères qui ont déterminé le jugement final que nous inviterons la Haute Assemblée à partager.
Le premier motif de satisfaction concerne l'architecture.
Certains d'entre vous se rappellent certainement les réserves - c'est un euphémisme ! - qu'avaient appelées, l'an dernier, les conditions dans lesquelles s'était opéré le transfert de l'architecture du ministère de l'équipement au ministère de la culture.
Les dispositions de ce projet de budget remédient totalement à ce que nous avions déploré l'an dernier.
L'augmentation de 17 % du budget de l'architecture est très appréciable d'autant plus qu'il faut prendre en compte également la progression relativement supérieure des crédits alloués aux vingt-deux écoles d'architecture, auxquelles viendront d'ailleurs prochainement s'ajouter deux autres écoles, l'une à Tours et l'autre à Compiègne. Les écoles jouent un rôle qui est essentiel en matière d'architecture dans le domaine de la formation continue.
Tel est le premier motif de satisfaction.
Le deuxième, qui, selon nous, est tout aussi important, concerne le titre IV, c'est-à-dire les crédits d'intervention du ministère de la culture.
Certes, il ne faut pas prendre au pied de la lettre l'augmentation de 15,5 % de ce chapitre puisqu'elle est due, dans une large mesure, au transfert d'une enveloppe de 902,6 millions de francs correspondant à un nouveau transfert de compétences très important et tout à fait justifié dans son principe, celui des bibliothèques municipales et départementales.
Cependant, même si nous tenons compte de ce transfert, le résultat est, selon nous, satisfaisant ; il démontre que vous avez su faire en sorte que les interventions publiques ne soient pas victimes de la rigueur. Elles ne le sont effectivement pas, et cela se traduit par un fait extrêmement important que vous voudrez bien, j'en suis sûr, confirmer tout à l'heure : les 45 000 .professionnels du spectacle peuvent être désormais assurés de la préservation des dotations allouées au spectacle vivant.
J'ajoute, à propos de ce même titre IV, que les crédits consacrés à l'enseignement artistique sont en légère augmentation.
Bref, votre ministère a le grand mérite, certainement dû en majeure partie à votre action, de ne pas sacrifier l'essentiel, c'est-à-dire les interventions publiques au fonctionnement.
Enfin, il est un troisième motif de satisfaction, qu'appréciera tout particulièrement, j'en suis sûr, la Haute Assemblée. Il s'agit du fameux problème du déséquilibre entre Paris et ce qu'André Malraux ne voulait pas appeler la province, problème dont nous avons si longuement débattu dans le passé. Il est maintenant résolu : un tiers du budget d'investissement est consacré à Paris et deux tiers à la province. Il en résulte qu'un certain nombre d'opérations extrêmement importantes seront achevées au cours de l'année 1997. D'autres, vous le savez, l'ont été en 1996, par exemple l'Institut Louis-Lumière à Lyon.
En 1997, nous assisterons à la mise en oeuvre d'un certain nombre d'opérations importantes, telles que le centre d'archives contemporaines de Reims, pour un coût de 144 millions de francs, l'auditorium de Dijon, pour un coût de 20 millions de francs, le musée d'art contemporain de Toulouse, pour un coût de 25 millions de francs, le musée Saint-Pierre à Lyon, pour un coût de 11 millions de francs, et le centre du costume de scène de Moulins pour un coût de 13 millions de francs.
A ces 211 millions de francs que représentent les travaux que je viens d'énumérer s'ajoutent des opérations moins importantes qui constituent ce que vous appelez le « maillage » culturel et qui s'élèveront, en 1997, à 175 millions de francs.
Je voudrais ici ouvrir une brève parenthèse pour évoquer le Centre Georges-Pompidou, puisque j'ai été appelé à présider son conseil d'orientation. Ce centre, dit-on, coûte cher, ce qui est vrai sur le papier. Les travaux aux abords du centre ont coûté quelque 250 millions de francs. L'équivalent d'un budget annuel, c'est-à-dire 440 millions de francs, sera consacré, au cours des trois prochaines années, à la réfection du bâtiment central. Mais ces constatations chiffrées doivent être nuancées pour trois éléments.
En premier lieu, quand, voilà vingt ans, j'avais moi-même rapporté devant le Sénat le projet de loi portant création du Centre Georges-Pompidou, j'avais mis en garde le gouvernement de l'époque sur la nécessité d'ajouter au coût de la construction celui de l'entretien et celui du fonctionnement. Si, pour le second, nous avons été partiellement entendus, nous ne l'avons pas été pour le premier. C'est cette carence, voire cette imprudence, qu'il faut payer maintenant.
Une deuxième nuance doit être introduite, sur laquelle j'attire votre attention. Le Centre Georges-Pompidou finance aujourd'hui 19 % de ses dépenses par ses ressources propres, contre 7 % voilà une dizaine d'années, alors que j'étais membre du conseil d'orientation sans en être le président. C'est mieux que l'Opéra de Paris, pour lequel ce taux n'est que de 15 %.
Il faut noter pour s'en féliciter que, si le Centre Georges-Pompidou est situé à Paris, il n'est pas ou il n'est plus une institution parisienne. Il dispense en effet aux musées de province une assistance technique, dont j'ai pu moi-même constater l'importance et les heureux résultats. En outre, il donne des oeuvres d'art en dépôt à certains d'entre eux.
L'architecture, le titre IV et le rééquilibrage entre Paris et la province sont donc les trois motifs de satisfaction.
Permettez-moi ici de faire une brève allusion à ce que vous aviez appelé, au cours de notre débat de l'an dernier, vous inspirant d'un exemple venu de haut, la correction du déséquilibre social et que l'on nomme maintenant la fracture sociale.
J'ai lu très attentivement tous les documents budgétaires, mais je suis incapable de dire à quelle somme correspond exactement l'effort que vous avez l'intention de déployer en 1997 dans ce domaine. J'ai cru comprendre que les 450 millions de francs octroyés l'an dernier - encore était-ce un calcul approximatif - étaient aujourd'hui réduits à quelque 150 millions de francs.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, dresser devant nous un bilan, même sommaire, de la trentaine d'opérations que vous avez eu l'heureuse idée d'entreprendre dans des quartiers défavorisés ?
J'en arrive maintenant aux motifs d'inquiétude, d'un certain désarroi ou d'une certaine perplexité.
Nous avons d'ores et déjà eu l'occasion de parler à plusieurs reprises des transferts de compétence. Cette année, il s'agit du transfert d'une enveloppe de quelque 900 millions de francs affectée, comme je l'ai déjà précisé, aux bibliothèques municipales et départementales. Personne ne peut nier que la lecture publique fait partie de la culture. Nous pouvons toutefois nous demander si ce transfert ne peut pas être considéré comme une astuce pour se rapprocher du fameux 1 %, sans pour autant l'atteindre.
A vrai dire, je ne soulèverais pas cette question si je n'avais pas été amené à m'interroger sur l'ensemble des transferts de compétence. J'ai réellement envie de vous dire, monsieur le ministre, d'arrêter ces transferts, qui sont trop nombreux et trop onéreux. Examinons-les attentivement.
L'an dernier, a été opéré un transfert de compétence concernant l'architecture, qui était justifié dans son principe, et que j'ai même personnellement approuvé, portant sur 724 millions de francs. Cette année, le transfert de compétence portera, je le répète, sur une enveloppe de plus de 900 millions de francs, somme plus considérable, affectée aux bibliothèques municipales et départementales ; ce transfert est justifié dans son principe.
Mais ces transferts ne s'arrêtent pas là. En 1996, le ministre de la culture - j'attire votre attention, mes chers collègues, sur ce point - bénéficiait d'un transfert de compétence de plus de deux milliards de francs, soit, monsieur le ministre, le cinquième de votre budget : 542 millions de francs au titre de la Cité des sciences et de l'industrie, 357 millions de francs au titre des orchestres de Radio France, 265 millions de francs au titre de la SEPT-ARTE et 70 millions de francs au titre des activités de dépôt légal de l'Institut national de l'audiovisuel.
Je ne puis m'empêcher de procéder ici à une comparaison : on a ainsi mis 20 % sur un plateau de la balance et 11,6 % sur l'autre, soit la différence entre l'augmentation de votre budget, qui, l'an dernier, était d'environ 14,5 %, et la réduction de 2,9 % qu'il subit cette année. L'écart est donc de neuf points, ce qui, rapporté à votre budget, correspond à peu près à 1,3 milliard de francs.
Ainsi - je vous donne un conseil amical, avec la discrétion qui s'attache à un débat public - si l'an prochain, par miracle, il vous était accordé une augmentation de 1,3 milliard de francs de votre budget, vous pourriez dire merci, non pas pour cette progression, mais pour le rattrapage, car c'est bien de cela qu'il s'agirait.
Cependant, le sujet le plus litigieux, celui qui nous a troublés le plus et qui a fait l'objet des plus longs débats, est, indubitablement, le patrimoine.
M. Charles Revet. Oh oui !
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Quelle est la situation lorsque le budget nous parvient de l'Assemblée nationale ?
D'une part, le secteur du patrimoine voit ses autorisations de programme baisser de 35 %, soit quelque 600 millions de francs, en raison des nouvelles règles relatives à l'application des lois de programme. Il a ainsi été décidé de ralentir l'exécution de la loi de programme sur le patrimoine, comme d'ailleurs celle de toutes les lois de programme. Soit !
Mais, le plus grave est que ces 600 millions de francs font suite à un gel budgétaire de 316 millions de francs intervenu en 1996. Ces crédits étaient d'ailleurs sous la menace d'une annulation totale. Nous en étions donc à quelque 900 millions de francs, c'est-à-dire à la moitié des autorisations de programme de la direction du patrimoine. Depuis, fort heureusement, un certain nombre de faits se sont produits.
En premier lieu - il s'agit, je le reconnais, d'un petit pas mais il doit tout de même être signalé au passage - sur ces 316 millions de francs, seuls 50 millions de francs ont été dégelés.
En second lieu, et je tiens à vous en remercier par avance, monsieur le ministre, vous avez accepté, après une longue négociation, de présenter un amendement tendant à restituer 70 millions de francs au budget de la direction du patrimoine au titre des autorisations de programme.
M. Philippe Marini. Grâce à notre rapporteur spécial !
M. Jacques Chaumont. Absolument !
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Si l'on ajoute les 50 millions de francs de crédits dégelés à ces70 millions de francs, on obtient 120 millions de francs, ce qui représente 250 à 350 opérations.
Enfin, et ce point est très important, au cours d'une réunion de la commission des affaires culturelles à laquelle j'avais eu l'honneur d'être convié, puis dans une lettre que vous nous aviez adressée, vous aviez souligné que vous aviez trois moyens de récupérer des crédits supplémentaires : tout d'abord, en augmentant de 30 à 40 % le taux d'exécution des autorisations de programme dès le début de l'année ; ensuite, en utilisant les reports, c'est-à-dire les crédits non consommés d'opérations antérieurement arrêtées ; enfin, en accélérant la clôture des dossiers relatifs aux opérations achevées, ce qui permettra de dégager encore quelques crédits.
Alors, je vous pose la question, monsieur le ministre, et je vous la pose avec confiance, car je devine la réponse : la certitude est-elle maintenant acquise s'agissant de la préservation des emplois - c'est un point essentiel - dans les entreprises spécialisées qui se consacrent au patrimoine ? Sur les neuf mille emplois qui sont en cause, trois mille étaient en effet menacés de disparition. Il est incontestable que, si ce résultat n'avait pas été acquis, la commission des finances n'aurait pas été en état de proposer l'adoption du budget de la culture ; elle s'en serait remise à la sagesse du Sénat.
Mais le résultat est acquis, grâce à la fois à la négociation qui a eu lieu et au concours qui a été apporté par le président de la commission des finances et par le président de la commission des affaires culturelles ; je tiens à les en remercier l'un et l'autre. Si bien que, les choses étant ce qu'elles sont, et votre réponse étant celle que je devine, nous aurons la possibilité et le plaisir de corriger notre intention première dans un sens favorable à vos souhaits, monsieur le ministre.
M. Denis Badré. Très bien !
M. Maurice Schumann. En conclusion, quels ont été les critères - vous les avez déjà devinés, mes chers collègues - en vertu desquels nous avons formé notre jugement ?
Le premier, c'était l'emploi. Pourquoi ai-je insisté sur le titre IV ? En raison des 45 000 professionnels du spectacle. Pourquoi nous sommes-nous battus comme nous l'avons fait pour le patrimoine ? Non seulement, bien sûr, pour le patrimoine lui-même, mais également, et peut-être d'abord, pour les neuf mille salariés en cause.
Le deuxième critère a été la mise en garde contre certaines pratiques, que vous réprouvez, j'en suis certain, même s'il vous est impossible de le dire à voix trop haute : les pouvoirs publics doivent renoncer à l'utilisation de certains procédés, qui faussent le jugement et compromettent le rôle des assemblées.
Je vous ai dit : halte aux transferts ! Ils ont été trop nombreux, et votre budget en a été victime ; je crois l'avoir démontré à l'aide de quelques chiffres.
Je voudrais également pouvoir dire : halte, dans toute la mesure possible - et il faut que cette mesure soit constamment élargie -, aux gels en cours d'année ! Il va de soi, en effet, que, lorsque nous avons passé des heures et des heures, en commission des finances, dans les commissions spécialisées ou en séance publique, à élaborer des accords équilibrés avec le Gouvernement, si ces accords sont remis en cause sans concertation préalable, voire sans information préalable, en cours d'année, eh bien ! notre travail s'en trouve dangereusement compromis.
Je sais bien qu'un budget est une autorisation de dépenser, et non pas une obligation de dépenser. Je sais bien aussi que les temps sont durs. Mais nous avons tenu compte de la dureté des temps : nous ne sommes pas sur le point d'adopter un projet de budget facile et populaire. Alors, il faut qu'il y ait au moins, de la part de l'exécutif - de tout l'exécutif ! - une contrepartie.
Enfin, le troisième et dernier critère a été le suivant : nous n'avons jamais considéré que l'opposition dût être systématique ; nous avons, au contraire, toujours pensé qu'elle devait être constructive. Aujourd'hui, nous sommes la majorité, et la majorité a aussi un devoir d'alerte et de mise en garde.
Vous m'avez demandé un jour, monsieur le ministre, de vous donner une définition de la culture. Je vous avais alors répondu - il vous en souvient - que la culture est ce qui console de la politique quand la politique oublie la culture. Eh bien !, vous le savez aussi, ce qu'il y avait de curare dans cette petite flèche ne vous visait en aucune manière. Bien au contraire, pour notre part, nous n'avons cessé d'admirer la persévérance avec laquelle vous conciliez la règle d'or de la solidarité ministérielle et des efforts constamment déployés pour obtenir les moyens nécessaires à l'accomplissement de vos missions.
Nous avons donc le sentiment de ne pas vous déplaire en nous conformant, de notre côté, à une autre règle d'or : le respect du pacte non écrit qui relie la défense de la culture à la dignité du Parlement. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Pourtaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Nachbar, rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget qui nous est aujourd'hui présenté appellera de ma part, à l'instar de M. Schumann, une appréciation contrastée. En effet, à des motifs de satisfaction réels et profonds, s'ajoute une inquiétude quant aux effets que la rigueur pourrait avoir sur la politique culturelle de la France.
Ces motifs de satisfaction et d'inquiétude s'inscrivent dans les deux grandes caractéristiques que revêt ce projet de budget : d'une part, l'enveloppe budgétaire globale est préservée ; d'autre part, les priorités sont placées sous le signe de la continuité.
L'enveloppe budgétaire globale est préservée.
Les crédits affectés à la culture s'élèvent à 15 007 millions de francs, soit 0,97 % du budget de l'Etat. Le « 1 % » - nombre mythique ! - n'est pas atteint. A la vérité, vous n'en êtes pas loin, monsieur le ministre, et il convient de rendre hommage à l'effort que vous avez dû faire dans les difficiles arbitrages auxquels vous avez été soumis préalablement à la présentation de ce projet de budget. Nous y sommes tous sensibles.
Certes, deux raisons particulières peuvent expliquer très partiellement le maintien de cette enveloppe budgétaire.
Il s'agit, en premier lieu, du transfert de la dotation générale de décentralisation des bibliothèques municipales et départementales, pour un peu plus de 900 millions de francs. Je ne peux que m'en réjouir, car ce transfert - comme ceux qui sont intervenus l'année dernière - ne remettra pas en cause, vous l'avez indiqué en commission, l'automaticité d'attribution des aides, et il se situe dans la logique de l'action menée en faveur de la lecture publique.
Encore faudrait-il qu'il ne s'accompagnât pas, comme l'a rappelé avec talent M. Schumann voilà quelques instants, d'une diminution des crédits affectés aux grandes missions de votre ministère : s'ajoutant, en effet, aux transferts considérables intervenus en 1996 - ces transferts sont louables, car ils vous ont permis d'agrandir le pré carré de la culture sur le plan administratif - il ne faudrait pas que l'ensemble de ces transferts, qui représentent près de un cinquième de votre budget, s'effectuent au détriment des grandes missions, et notamment - j'y reviendrai dans un instant - de la préservation du patrimoine.
Un deuxième effet mécanique peut expliquer le maintien de l'enveloppe budgétaire : la baisse de 570 millions de francs des crédits affectés pour la troisième année consécutive aux grands travaux parisiens. L'expression « grands travaux parisiens » me déplaît, car il s'agit, en fait, de grands équipements nationaux.
Il restera à achever - il s'agit de priorités - la Bibliothèque de France et le Grand Louvre, qui sera sans contestation possible l'un des plus beaux ensembles muséographiques du monde.
Un motif de satisfaction : les crédits d'intervention sont maintenus. Le titre IV - derrière l'aridité de cette expression apparaît tout un maillage culturel du territoire - est maintenu, y compris lorsqu'on y inclut les crédits relatifs à la dotation des bibliothèques ; il représente près du tiers de votre budget, ce qui permettra - je le souhaite en tout cas - de préserver la culture vivante sur l'ensemble du territoire.
Un motif de satisfaction, une inquiétude.
Pardonnez-moi ce balancement circonspect, comme on dirait en d'autres lieux, qui me conduit à nuancer ce que je viens de dire en évoquant le patrimoine.
L'essentiel de l'effort de rigueur porte, en effet, sur la loi de programme du 31 décembre 1993 relative au patrimoine monumental : elle est étalée sur une année supplémentaire. L'économie sera donc, pour 1997, de 569 millions de francs, soit une diminution de 34,6 % par rapport à 1996.
Si elle avait dû être effective, une telle décision aurait porté atteinte non seulement à la préservation de notre patrimoine, c'est-à-dire à la mémoire de notre pays, mais aussi à l'emploi, dont nous savons qu'il constitue la priorité première du Gouvernement. En effet, dans un tel cas de figure, les conséquences sur l'activité des entreprises spécialisées auraient été désastreuses : 2 000 à 3 000 emplois auraient pu s'en trouver supprimés, sur un total de 11 000 emplois.
La création de la Fondation du patrimoine, dont nous attendons d'heureux effets sur le patrimoine rural non protégé, n'aurait pu avoir un effet de compensation, puisqu'elle exclut de son champ de compétences les monuments historiques classés ; ceux-ci auraient été victimes de la rigueur budgétaire.
Nous connaissons votre souci de protéger le patrimoine, monsieur le ministre, et de préserver les crédits qui lui sont affectés ; vous l'avez dit devant la commission des affaires culturelles et vous l'avez écrit dans un courrier que vous avez adressé voilà quelques jours aux sénateurs. Je tenais ici à rendre hommage, comme l'a fait M. Schumann, à l'opiniâtreté avec laquelle vous avez su, en ces temps de rigueur, obtenir que le patrimoine ne figurât pas parmi les variables d'ajustement du budget de la nation.
Qu'il s'agisse des engagements que vous avez pris en matière de crédits de paiement, qu'il s'agisse de l'amendement que vous présenterez tout à l'heure devant le Sénat, qu'il s'agisse des méthodes - vous les avez exposées longuement devant la commission - vous permettant de compenser l'effet des mesures de rigueur, il était essentiel, monsieur le ministre, que, dans ce domaine, le patrimoine continuât à figurer au rang des priorités du ministère.
Il conviendra de veiller, tout au long de l'année, à ce qu'aucune annulation d'autorisations de programme ne vienne compromettre les efforts que vous avez accomplis, avec l'appui du Sénat, pour la sauvegarde des monuments.
Monsieur le ministre, je ne résiste pas au plaisir d'évoquer ce que l'un de vos prédécesseurs disait à la tribune de notre Haute Assemblée, le 22 mai 1962, en présentant la première loi de programme relative au patrimoine. Il s'agit, vous l'avez deviné - je manque d'originalité ! - d'André Malraux : « Le songe aussi nourrit le courage, et nos monuments sont le plus beau songe de la France. »
L'inquiétude qu'a formulée M. Schumann concernant le patrimoine et que je viens d'exprimer à mon tour est tempérée par la grande satisfaction éprouvée à la lecture des trois priorités que vous avez su maintenir, monsieur le ministre, comme vous vous y étiez engagé à cette même tribune, l'an dernier, lors de la présentation de votre projet de budget.
J'évoquerai, tout d'abord, l'accueil des services de l'architecture.
Inutile de vous cacher, monsieur le ministre, que le transfert, dès la fin de l'année 1995, des services de l'architecture du ministère de l'environnement à celui de la culture avait été accueilli avec une certaine appréhension par les intéressés, qui craignaient de quitter un département bien doté pour un département, certes prestigieux, mais infiniment moins riche.
Vous avez su réserver à l'architecture un traitement qui a fait disparaître les craintes et les préventions qui s'étaient alors fait jour, et cela de trois manières : création de la direction autonome de l'architecture le 22 mars 1996 ; augmentation des crédits de l'architecture de 20,36 % cette année - en seront les principaux bénéficiaires, d'une part, les écoles d'architecture, d'autre part, les secteurs sauvegardés et les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager - enfin, engagement, que vous avez renouvelé devant la commission, de poursuivre la réforme des études d'architecture, réforme qui est essentielle pour faire face à la crise dramatique des débouchés que connaissent aujourd'hui les jeunes architectes.
La deuxième priorité maintenue cette année concerne l'effort de réduction des inégalités sociales par la culture, au travers, d'une part, des projets culturels de quartier - vous avez inscrit à votre budget vingt-neuf opérations exemplaires dans des sites « quartiers difficiles ou ville en crise », répartis sur l'ensemble du territoire - et, d'autre part, des enseignements artistiques, indispensables pour assurer l'égalité des chances et l'initiation à la pratique culturelle dès le plus jeune âge : les crédits progressent de 1,21 %, ce qui est méritoire dans un budget comme le vôtre.
Dans le même temps, les opérations nouvelles engagées l'an dernier seront poursuivies : classes culturelles, ateliers de pratique artistique, jumelage d'institutions culturelles avec des établissements scolaires. Elles assurent l'ouverture de l'école sur la vie culturelle.
Enfin, la troisième priorité maintenue cette année a trait au rééquilibrage de l'action culturelle entre Paris et la province : plus des trois quarts des crédits d'investissement du ministère sont désormais consacrés à la province, contre un peu plus de la moitié seulement voilà une dizaine d'années.
Les grands projets régionaux - M. Schumann vient d'en évoquer quelques-uns parmi les plus importants - continuent de représenter une priorité pour le ministère : 264 millions de francs leur seront consacrés, cependant que le maillage culturel du territoire se poursuivra cette année comme l'année dernière.
Ouvrant une parenthèse, je tiens à rappeler devant notre assemblée - elle y sera, me semble-t-il, très sensible - le rôle essentiel que jouent les collectivités locales dans le financement public de la culture : en quinze ans - de 1978 à 1993 - les dépenses culturelles des départements, des régions et, surtout, des communes - plus de la moitié - ont été multipliées par 2,5 %.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Elles atteignent aujourd'hui 50,3 % des financements publics affectés à la culture.
Derrière l'aridité de ces chiffres apparaît, en fait, la multiplication des initiatives locales, que tous les élus qui sont ici connaissent parfaitement et qui font que la vieille expression de Jean-François Gravier « Paris et le désert français » a perdu son sens, tout au moins en matière culturelle.
Toutefois, le projet de budget que vous nous avez présenté, monsieur le ministre, est contrasté. Aux aspects positifs que sont la poursuite des priorités dégagées l'année précédente pour la réduction des inégalités tant sociales que géographiques, l'accueil réussi de l'architecture, le rééquilibrage entre Paris et la province, le maintien des crédits affectés à la culture vivante, le transfert de la dotation aux bibliothèques, qui étend le domaine d'influence d'un ministère qui doit embrasser l'ensemble de la culture et non pas seulement, comme c'était le cas jusqu'à l'an dernier, une partie de cette activité, vient s'ajouter l'inquiétude qui était la nôtre sur le patrimoine.
Vous nous avez, dans une large mesure, rassurés, en nous montrant que la rigueur budgétaire, dont les raisons nous sont connues, ne pouvait pas s'appliquer avec autant de brutalité dans un domaine où elle aurait de graves conséquences tant pour l'image de notre pays que pour l'emploi, et nous savons l'importance que vous attachez à ce dernier.
Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, et le Sénat sera à vos côtés, pour que la culture reste une priorité dans sa globalité, dans le passé et dans le présent, dans le patrimoine comme dans la création, car l'un et l'autre sont tout à fait indissociables.
Les engagements que vous avez pris devant la commission et les décisions que vous avez annoncées, par écrit et oralement, et que vous nous confirmerez tout à l'heure, m'incitent à nuancer, comme l'a fait M. Schumann, l'avis qui avait été émis par mes collègues et par moi-même. La commission des affaires culturelles, vous le savez, s'en est remis à la sagesse du Sénat. Cependant, compte tenu des éléments que vous nous avez apportés, monsieur le ministre, le rapporteur pour avis vous indique qu'il votera le budget de la culture. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vidal, rapporteur pour avis.
M. Marcel Vidal, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour le cinéma et le théâtre dramatique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'examinerai successivement les crédits du cinéma et ceux du théâtre dramatique.
Avant de vous présenter les crédits du cinéma, je tiens, mes chers collègues, à replacer ce projet de budget dans son contexte général.
Les évolutions qui ont affecté l'économie du cinéma en 1995 et en 1996 me paraissent relativement positives.
En 1995, la fréquentation des salles s'est accrue de 4,1 %, pour atteindre 130 millions d'entrées. C'est le meilleur résultat depuis 1987.
Les films français ont particulièrement profité du redressement de la fréquentation. Leur part de marché est en effet passée de quelque 28 % en 1994 à près de 35 % en 1995. Il est vrai que le cinéma américain conserve une position dominante avec 54 % de parts de marché.
En matière d'exploitation cinématographique, le nombre de salles augmente pour la deuxième année consécutive. Là encore, après dix ans de baisse continue du nombre de salles, ce secteur fait preuve d'un nouveau dynamisme.
En ce qui concerne la production, ont été produits, en 1995, 149 films, dont une centaine ont été financés entièrement ou majoritairement par des partenaires français.
Après des années de crise de la fréquentation, ces résultats portent, certes, à l'optimisme mais il faut rester très vigilant. La santé de l'industrie cinématographique française est en effet fragile.
Elle doit, face à la concurrence des nouveaux services audiovisuels et à l'intégration toujours plus poussée des groupes de médias multinationaux, entreprendre un effort important de modernisation.
Les pouvoirs publics devront favoriser cette modernisation. Ils devront aussi en limiter les effets pervers pour préserver le pluralisme du cinéma français.
Cela est vrai dans le domaine de la production, où il s'agit de maintenir une place à la production indépendante. C'est également le cas dans le secteur de l'exploitation cinématographique, où le développement des salles multiplexes, qui a, par ailleurs, une incidence positive sur la fréquentation, peut, si l'on n'y prend garde, entraîner le déclin des salles de quartiers qui animent nos centres-villes.
Les crédits affectés au cinéma dans le projet de loi de finances pour 1997 concourent globalement à ces objectifs.
Ils s'élèvent à 1 526,3 millions de francs, en diminution de 2,7 % par rapport à 1996.
Cette baisse est le résultat d'une évolution contrastée.
Les crédits du compte de soutien à l'industrie cinématographique et à la production audiovisuelle affectés au cinéma, qui représentent 80 % du budget du cinéma, progressent de plus de 5 %.
Cette progression permettra, notamment, de renforcer les moyens consacrés au soutien sélectif à la production et, en particulier, à l'avance sur recettes. Elle permettra aussi de soutenir l'aide sélective à l'exploitation cinématographique, afin d'aider les salles situées en centre-ville et soumises à la concurrence des salles multiplexes.
En revanche, les dotations budgétaires du ministère de la culture affectées au cinéma régressent de 25 % pour s'établir à 298,5 millions de francs.
Ainsi, la dotation de fonctionnement affectée au CNC, le Centre national du cinéma, baisse de plus de 50 %, diminution compensée par un prélèvement sur le compte de soutien. De même les crédits d'intervention destinés au secteur cinématographique sont réduits de 16 %.
De ce fait, si les moyens de fonctionnement et d'intervention du CNC sont globalement maintenus, c'est notamment grâce à un transfert, au compte de soutien, de 37 millions de francs de dépenses antérieurement financées par le budget du ministère de la culture. Cette évolution peut s'expliquer dans un contexte de rigueur budgétaire. Elle me paraît cependant inquiétante pour les années à venir.
J'observe, à cet égard, que la suppression de la dotation budgétaire de 26 millions de francs en compensation de l'exonération des câblo-opérateurs de la taxe sur les services audiovisuels devrait avoir pour contrepartie une extension de l'assiette de cette taxe à l'ensemble des services de télévision. Or, cette réforme, sans laquelle les prévisions de recettes du compte de soutien ne pourront se réaliser, ne figure pas dans le projet de loi de finances. Aussi, nous aimerions savoir, monsieur le ministre, dans quels délais cette réforme sera soumise au Parlement.
Je note, enfin, que les crédits d'investissement destinés au cinéma s'élèveront, pour 1997, à 47 millions de francs, soit une baisse de près de 50 % par rapport à 1996. Cette diminution s'explique par une pause dans les travaux du Palais du cinéma. Les crédits restants serviront essentiellement à la poursuite du plan pluriannuel de restauration des films anciens.
Au total, la commission des affaires culturelles a estimé que ce projet de budget préserve tout de même pour l'essentiel les moyens consacrés au cinéma français.
Votre rapporteur voudrait également exprimer sa satisfaction en ce qui concerne le dossier des SOFICA, les sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle. Je vous rappelle, mes chers collègues, que l'Assemblée nationale avait adopté un amendement visant à plafonner à un tel niveau la déduction fiscale liée aux SOFICA que cela revenait, dans les faits, à supprimer ce dispositif. Le Sénat a, dans sa sagesse, supprimé ce plafond. La commission des affaires culturelles, qui avait déposé un amendement à cet effet, s'en félicite.
Elle souhaiterait toutefois attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de contrôler, voire de renforcer, les obligations des SOFICA en matière de financement de la production indépendante, comme le suggèrent d'ailleurs les conclusions du rapport de MM. Bloch-Lainé et Calderon, qui a été remis au ministère de la culture en juillet dernier.
Je voudrais, enfin, vous faire part, mes chers collègues, de questions qui me semblent être des enjeux importants pour la politique du cinéma.
Favoriser le développement et la diversité du cinéma français exige d'adapter constamment les dispositifs de soutien à l'évolution et aux priorités du secteur cinématographique. Dans cette perspective, deux sujets méritent, aujourd'hui, un examen attentif.
La question des règles relatives à la fixation du prix des places de cinéma, entre exploitants et distributeurs, n'a toujours pas reçu de réponse cette année. Une initiative pour résoudre les difficultés engendrées par l'incohérence des textes sur ce sujet me paraît d'autant plus nécessaire que ces difficultés risquent de s'accentuer avec le développement des salles multiplexes.
Il me semble également nécessaire d'engager une réflexion sur la réglementation régissant les rapports entre la télévision et le cinéma.
Monsieur le ministre, vous aviez évoqué la possibilité de réformer les obligations des chaînes de télévision en matière de production dans un sens favorable à la production indépendante. Nous aimerions, là aussi, connaître vos intentions.
Mes chers collègues, je serai plus bref dans la présentation des crédits du théâtre dramatique.
Ces crédits s'élèveront à 1 308,4 millions de francs en dépenses ordinaires et autorisations de programme, soit une baisse de 6,2 % par rapport aux crédits votés en 1995.
Cette diminution s'explique essentiellement par l'achèvement des travaux du Théâtre national de Strasbourg. Les moyens affectés aux titres III et IV étant pratiquement stables, on peut considérer que c'est un budget de reconduction.
Pour le secteur public dramatique, j'indiquerai brièvement la répartition des subventions selon les catégories d'établissements.
Les subventions de fonctionnement accordées aux cinq théâtres nationaux seront globalement reconduites, soit 338 millions de francs.
Les crédits affectés aux établissements de la décentralisation, soit une quarantaine de centres dramatiques nationaux et une soixantaine de « scènes nationales », atteindront 566,2 millions de francs, soit une légère diminution de 0,2 %.
J'en arrive à la contribution de l'Etat au renouvellement de la création et à la découverte de nouveaux talents.
La politique de soutien aux compagnies dramatiques indépendantes, qui bénéficie à environ six cents compagnies, devrait être poursuivie avec un budget constant par rapport à 1996, soit 184 millions de francs.
Le théâtre privé, qui regroupe une cinquantaine de théâtres parisiens, bénéficie d'une subvention de l'Etat de près de 25 millions de francs, qui représente près de 30 % du fonds de soutien pour le théâtre privé.
Les théâtres privés traversent actuellement une forte crise de fréquentation : ils ont perdu 27 % de leurs spectateurs depuis 1990. Dans ce contexte, le soutien de l'Etat, qui sera reconduit en 1997, semble particulièrement justifié : le théâtre privé joue, en effet, comme les scènes publiques, un rôle fondamental dans la découverte de nouveaux talents.
Au total, ce projet de budget préserve les moyens affectés à l'art dramatique. Cependant, il exigera de la part des théâtres et des compagnies dramatiques un surcroît de rigueur et de dynamisme pour conquérir de nouveaux publics et mener une politique ambitieuse de création.
Sous réserve de ces remarques, la commission des affaires culturelles est favorable à l'adoption des crédits du cinéma et du théâtre dramatique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 17 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Mes chers collègues, de nombreux orateurs sont inscrits dans cette discussion ; je serai obligé de me montrer strict quant au respect du temps de parole qui leur a été accordé par leur groupe. Aussi, une minute avant la fin du temps dont ils disposent, je ferai clignoter la lampe rouge de la tribune, ce qui leur facilitera la gestion de la conclusion de leur intervention.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le ministre, je vous ai entendu, j'ai écouté vos déclarations et j'ai lu vos textes et les multiples documents d'information que vous avez diffusés, et j'ai étudié le projet de budget de votre ministère.
Peut-être n'êtes-vous pas tout à fait responsable de l'écart qui existe entre votre discours et le présent projet de budget. En ces temps d'extrême rigueur, Bercy, il est vrai, ne doit pas être très clément envers votre département ministériel qu'il considère sans doute comme un ministère bien petit, voire superflu. Et pourtant, dans le même temps, on sanctifie et on « panthéonise » Malraux.
C'est en effet un projet de budget « peau de chagrin » que nous examinons aujourd'hui. Je vais donc me livrer à cet exercice fastidieux mais nécessaire qui consiste à montrer point par point, chiffres à l'appui, que la culture est à présent loin, très loin d'être une priorité de l'Etat. Les chiffres, parfois, parlent mieux que de longs discours.
Pour 1996, vous annonciez, monsieur le ministre, un budget atteignant le taux symbolique de 1 % du budget de l'Etat. Nous avions alors dénoncé la supercherie : votre budget avait été gonflé à l'aide d'un certain nombre de transferts.
Cette année, vous semblez assumer la baisse de vos crédits. Hors transferts de compétences, admettez-vous, le budget subirait une baisse de 5 %. Une fois encore, malheureusement, c'est par l'effet d'un trompe-l'oeil que vous parvenez à minimiser une baisse qui représente en réalité 9 %.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Non, 8 % ! C'est déjà assez !
Mme Danièle Pourtaud. Votre nouvelle astuce est la suivante : vous avez fait inscrire au budget de la culture des crédits qui étaient jusqu'à présent inscrits au budget du ministère de l'intérieur au titre de la dotation générale de décentralisation relative aux bibliothèques. La somme en cause n'est pas négligeable. Qu'on en juge : il s'agit de 902 millions de francs.
En réalité, à structure constante, le budget de la culture représente 0,79 % du budget de l'Etat. En 1993, dans le projet de loi de finances initiale, il représentait 1 % du budget de la nation. Pour aller au devant de votre objection, je vous concède que, compte tenu du projet de loi de finances rectificative, ce taux fut ramené à 0,99 %. Quoi qu'il en soit, depuis 1993, la part du budget de la culture a donc subi une baisse de 20 %.
Compte tenu du temps de parole qui m'est imparti, je me contenterai de citer quelques exemples emblématiques des conséquences catastrophiques de cette loi de finances.
Le premier exemple concerne le patrimoine : ce dernier apparaît - « apparaissait », pourrai-je dire si vous nous apportez une bonne nouvelle à ce sujet ; mais encore faudra-t-il savoir quel est le montant de l'effort consenti par Bercy ! - comme la grande victime des coupes budgétaires. Il ne s'agit en aucun cas de querelles partisanes, puisque MM. les rapporteurs eux-mêmes l'ont regretté et que, comme vous l'avez entendu, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles, et donc votre majorité au sein de la commission, n'a pas approuvé votre projet de budget.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. ... ne l'avait pas approuvé !
Mme Danièle Pourtaud. Effectivement !
Quels sont les faits ? Une baisse des crédits d'investissement de 35 % et une loi de programme étalée sur une année supplémentaire.
Croyez-vous vraiment que cette baisse sera compensée par le réinvestissement des crédits non utilisés l'année dernière ?
Soyons sérieux ! Ces restrictions risquent de mettre en péril pas moins de 3 000 à 4 000 emplois dans le secteur. Des savoir-faire précieux pourraient disparaître, l'équilibre financier des petites entreprises de restauration serait sérieusement mis à mal. Mais je n'insiste pas sur ce point, qui a été longuement développé par les rapporteurs.
J'en viens à un second exemple : le cinéma français vous est cher, monsieur le ministre. Vous vous êtes avec raison battu pour le maintien du régime des SOFICA ; mais était-ce avec l'idée que celles-ci compenseraient quelque peu la baisse des crédits du CNC ? Là encore, vous affichez une hausse qui est en réalité exclusivement liée aux taxes parafiscales retenues sur le prix des billets d'entrée ainsi qu'aux contributions des diffuseurs. Et malgré vos efforts pour le nier, les moyens budgétaires du CNC baissent de 60 millions de francs.
Comme vous le savez, la demande d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles va exploser, le passage au numérique promettant d'ores et déjà une multiplication par huit du nombre d'heures de diffusion. Comment le cinéma français pourra-t-il relever ce défi si vous l'amputez d'une part essentielle de son financement ?
Ces deux exemples parlent d'eux-mêmes. Ils mettent en évidence le désengagement considérable de l'Etat en matière de culture. A cela s'ajoute une pratique systématique qui consiste à décider le gel des crédits en cours d'exécution. Cela fait trois ans que ce gel budgétaire s'abat, puis se transforme en annulation des crédits, ce qui provoque une hécatombe parmi les petites associations. Nombreuses en effet sont celles qui ont cessé leurs activités.
Pour justifier ce désengagement, vous avancez deux explications : l'achèvement des grands travaux, d'une part, le climat de rigueur budgétaire, d'autre part.
Je ne vois pas en quoi l'achèvement des grands travaux permettrait de justifier la réduction des crédits de la culture. Pourquoi ne pas avoir redéployé ces crédits au bénéfice du budget général ?
L'achèvement des grands travaux devrait tirer vers le haut, et non vers le bas, l'ensemble des crédits de la culture.
Votre ministère, dites-vous, doit participer comme les autres à l'effort de rigueur. Mais s'il y participait comme les autres, monsieur le ministre, nul besoin d'être grand mathématicien pour savoir que sa part relative dans le budget de la nation devrait rester la même. En réalité, il en pâtit beaucoup plus que les autres.
Un si petit budget mettrait à ce point en péril l'équilibre global du budget de l'Etat ? Vous ne le ferez croire à personne ! Vous risquez, en ne défendant pas assez votre budget, de mettre en cause l'exception culturelle française.
Vous citez beaucoup Malraux, monsieur le ministre, Malraux qui avait permis à la culture de se doter d'une administration à part entière et de ne plus être la dernière roue du carrosse de l'Etat. Mais à quoi bon, si cette administration ne dispose d'aucun moyen ?
Je voudrais maintenant démontrer que les deux grands objectifs de votre politique restent à l'état de bonnes intentions.
Vous disiez à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, que le budget est avant tout le reflet d'une politique. Vous affichez deux grandes ambitions : réduire la fracture sociale, d'une part, atténuer le déséquilibre entre Paris et la province, d'autre part. Mais en fait, sur ces deux points, vous ne vous donnez pas les moyens de mettre votre discours en pratique.
Ainsi, la lutte contre la fracture sociale ne doit pas être le faire-valoir d'une volonté politique sans contenu réel.
Une fois encore, je me contenterai de relever quelques chiffres.
La délégation au développement et aux formations voit ses crédits diminuer sensiblement. Elle est pourtant l'un des outils privilégiés de la lutte contre la fracture sociale. Hors transferts, ses crédits d'intervention baissent de 21 millions de francs. Comme vous le savez tous, mes chers collègues, ces crédits concernent notamment les actions en faveur des publics défavorisés ou la politique de la ville. Quant à ses crédits d'équipement, qui atteignaient 313 millions de francs en 1993, ils représentent à présent seulement 76 millions de francs.
Ce ne sont pas quelques interventions ponctuelles qui constitueront une véritable politique culturelle, sociale et citoyenne.
Je salue la création d'un pôle de développement culturel et économique dans la friche de la Belle de Mai, ainsi qu'un certain nombre d'initiatives locales allant dans le même sens. Mais elles ne peuvent remplacer une action de fond. Les quartiers en difficulté ne sont pas des laboratoires où vous pouvez vous contenter de quelques actions expérimentales, seule une vingtaine de projets étant prévue cette année.
La culture pour tous, monsieur le ministre ? Oui ! Nous ne pouvons que souscrire à ce principe, et sans doute le beau s'apprend-il !
L'éducation artistique est bien évidemmment au coeur de cet apprentissage. Le rapport Rigaud en fait une cause nationale. Or, je ne vois pas que, dans ce projet de loi de finances, elle soit particulièrement l'objet de vos préoccupations. Le projet de budget pour 1997 affiche le maintien de l'ensemble des crédits consacrés aux enseignements artistiques. Cependant, ce maintien n'est encore une fois possible que par l'augmentation des crédits provenant des écoles d'architecture. Hors transferts, les crédits sont tous en baisse, fut-elle légère. Est-ce bien là ce que l'on pouvait attendre pour une cause nationale ?
Je ne crois pas que votre projet de budget montre une véritable volonté de contribuer à promouvoir une culture citoyenne et accessible à tous, monsieur le ministre.
Vous avez à peine maintenu les crédits du titre IV pour l'aide à la création. Cela signifie, je vous le rappelle, une baisse en francs constants. Vous avez semblé en être fier à l'Assemblée nationale ; les créateurs sauront juger !
De la même manière, les lieux de spectacle vivant marquent le pas. L'année prochaine, par exemple, le festival d'Avignon devra refuser 40 000 personnes faute de moyens. Les 2 millions de francs octroyés au festival d'Avignon l'année dernière sont seulement venus combler une baisse équivalente des crédits alloués par la ville d'Avignon, dont le maire, rapporteur à l'Assemblée nationale, se félicitait des efforts entrepris pour la province. On la comprend !
Le budget du festival d'Avignon est équivalent à celui du festival d'Aix-en-Provence alors qu'il accueille un nombre de spectacles et de spectateurs considérablement plus important. Certes, l'opéra coûte cher ; mais cela ne justifie pas une telle disproportion, surtout lorsque l'on se targue de promouvoir la culture pour tous.
Ce festival reste l'un des seuls festivals en France à s'ouvrir à un vrai public, large et non réduit aux professionnels. Et le théâtre, plus que d'autres formes d'expression, donne une place primordiale au spectateur et à sa capacité critique. Il devrait être l'un des piliers de la promotion d'un public citoyen.
Je voudrais revenir maintenant sur les multiples attaques contre des institutions et des manifestations culturelles des mairies Front national. Ces attaques sont doublement inadmissibles et dangereuses : elles sont inadmissibles comme tout acte de censure ; elles sont dangereuses parce qu'elles encouragent la tentation de repli sur soi de populations victimes de la crise économique.
Alors, monsieur le ministre, si je rends hommage à votre engagement clair pour refuser la censure dans les bibliothèques d'Orange ou à la fête du livre de Toulon, si nous vous donnons acte de votre soutien à Gérard Paquet, nous nous interrogeons néanmoins sur le comportement du préfet Jean-Charles Marchiani.
Je ne vois que deux mauvaises hypothèses : soit le Gouvernement ne peut se faire obéir de son préfet ; soit le Gouvernement tient un double langage.
C'est pourquoi je pense urgent non seulement de régler ce problème, mais également de remettre le citoyen au coeur de la politique culturelle. A ce moment-là seulement, la lutte contre la fracture sociale sera autre chose qu'une simple incantation.
J'en viens à la seconde grande ambition de votre politique, monsieur le ministre, à savoir l'atténuation du déséquilibre entre Paris et la province. Je dirai d'emblée que le supposé effort envers la province ne se traduit pas concrètement.
Vous avez annoncé, non sans fierté, que les deux tiers de vos crédits d'équipement allaient être consacrés à la province. Mais une telle assertion ne résiste pas à un examen détaillé de votre projet de budget.
Encore une fois, ce ne sont pas quelques opérations phares qui suffisent à nous convaincre. Comprenez-moi bien, monsieur le ministre : ces opérations ne sont pas contestables en elles-mêmes, et nous ne pouvons que nous réjouir de la construction d'un centre d'archives contemporaines à Reims et de la création d'un centre d'art contemporain à Toulouse.
Mais elles ne sauraient dissimuler une baisse générale tant des crédits d'investissement destinés aux actions dans les régions de la plupart des directions que des crédits d'équipement affectés au patrimoine monumental. Or, monsieur le ministre, nous n'ignorez pas que la mise en valeur du patrimoine est un atout essentiel pour le rééquilibrage entre Paris et la province.
Si la culture est un puissant facteur d'aménagement du territoire, il faudrait que vous nous expliquiez pourquoi des consignes sont données dès aujourd'hui aux directions régionales des affaires culturelles pour qu'elles réservent au moins 5 % de leurs budgets.
Quant aux crédits consacrés aux autres bâtiments que les monuments historiques, les deux tiers seront en réalité attribués à des opérations parisiennes. Selon les estimations, quelque 61 % de ces crédits d'équipement seront investis à Paris, et ce alors même que les grands travaux s'achèvent.
Je ne comprends donc pas bien ce qui vous permet d'affirmer que les deux tiers des crédits d'équipement seront consacrés à la province.
En France, les dépenses culturelles sont financées à hauteur de 40 % par les communes. Leur contribution est donc essentielle.
La ville de Paris fait exception. Les dépenses culturelles n'y représentent en effet que 7 à 8 % du budget. Il semble donc nécessaire que M. Tibéri s'aligne sur la moyenne des villes de France si vous voulez pouvoir atteindre vos objectifs de rééquilibrage, monsieur le ministre.
Face à un budget qui consacre le désengagement de l'Etat du domaine de la culture, alors que la culture a plus que jamais un rôle essentiel à jouer pour restaurer le lien social, je rappellerai ce que disait Sénèque : « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que les choses sont difficiles. »
C'est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas ce projet de budget.
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens d'une soirée au théâtre de Chaillot, alors dirigé par Antoine Vitez : Luigi Nono avait présenté son oeuvre Prometheo, et, ensuite, nous avions longuement discuté : « Notre devoir, c'est d'être attentifs aux voix de partout, aux voix oubliées, aux voix secrètes, aux voix censurées, aux voix inconnues, aux voies intérieures auxquelles la musique donne leur envol », disait Luigi Nono, « Faisons cela sans crampes mentales. Il faut non pas chercher l'unanimité, le succès, l'approbation, mais essayez d'entendre la diversité », ajoutait-il. Et il concluait ainsi : « Evidemment, ce genre d'attitude ne correspond pas aux besoins du marché ! »
J'ai donc voulu aller écouter toutes les voix qui, aujourd'hui, parlent de cette question de la culture ; toutes, sauf une, bien sûr ; celle du maire purificateur de Toulon, qui, avec la complicité ou le silence du préfet Marchiani, fait condamner le groupe NTM, ce « tambour de bouche » scandant le malaise et la colère de la jeunesse des banlieues, interdit l'écrivain Marek Halter dans sa ville et veut chasser le directeur du Théâtre national de la danse et de l'image de Châteauvallon, Gérard Paquet.
Tout le monde connaît les nombreuses répliques qui s'inspirent - du moins je le crois - de Walter Benjamin, quand il disait : « Que cela suive ainsi son cours, voilà la catastrophe. »
Autrement dit, il est bien qu'il n'y ait pas d'inertie, de passivité, de fatalisme, et qu'il y ait au contraire de l'intransigeance face à cette irruption de l'insensé, face à cette pollution des rapports humains, face à cette pensée restreinte du commun, face à cette manipulation de la culture.
Il est bien que, dans ce combat de civilisation au quotidien, votre voix et vos actes, monsieur le ministre, soient avec la liberté. Cela valait d'être dit, d'autant que le populisme et l'« identitarisme » inspirent aussi des démarches ailleurs qu'à Toulon, à Orange et à Marignane et méritent également une réplique de conscience.
J'aborderai maintenant la discussion relative à la culture et à mes écoutes.
Je parlerai tout d'abord de l'écoute des artistes : j'en rencontre en ce moment beaucoup à l'occasion du Tour de France des états généraux de la culture ou lors de participations à des assises, qu'elles concernent la danse à Belfort, les arts plastiques à Tours, les auteurs à l'UNESCO, les cinéastes à Beaune, les directeurs de conservatoires et d'écoles des beaux-arts à La Courneuve. Je serai fidèle à ce que j'ai entendu.
On observe actuellement chez les artistes, en France, une anxiété, une inquiétude grave, voire un cri d'alerte face à une déstabilisation de la culture qui touche aussi bien les artistes pris individuellement - je pense à l'offensive du CNPF contre les annexes 8 et 10 et de l'UNEDIC, à l'offensive du ministère de l'économie et des finances sur les frais professionnels - que les structures : nombre de jeunes compagnies sont en train de « couler », et un théâtre comme le Théâtre national populaire est même touché, à court terme, par de substantielles soustractions de crédits de l'Etat et de collectivités territoriales.
Je ne peux énumérer tous les domaines fragilisés, encore que le patrimoine, tout à l'heure évoqué, mérite, par devoir, d'être nommé.
Oui, partout, j'ai rencontré jusqu'à de la colère. Un artiste m'a même dit : « Nous ne nous plaignons pas, nous portons plainte ! » Et ne vous y trompez pas : il n'y aura pas de division, même si les propos sont multiples !
Les artistes expriment leur lassitude face à des crédits annoncés, dans le meilleur des cas stabilisés, puis fatalement minorés, voire gelés, et versés, pour ce qui reste, avec beaucoup de retard. Les projets sont ainsi malmenés, empêchés et abandonnés, voire difficiles à mettre debout. Il est un peu joué aux dés avec les artistes, qui entrent de plus en plus dans la précarité, rejoignant ainsi le sort de nombre de nos concitoyens.
Quel est, précisément, l'avis de nos concitoyens ?
Le service des études et recherches du ministère de la culture a fait à ce propos un travail tout à fait intéressant : selon cette étude, 90 % de nos concitoyens considèrent que l'aide de l'Etat en faveur de la culture est positive. Mais, plus significatif, à la question : « en temps de crise, les crédits culturels doivent-ils être diminués, augmentés ou laissés en l'état ? », 46 % estiment qu'ils doivent rester en l'état, et 14 % pensent qu'ils doivent augmenter, soit 60 %. Il y a donc dans ce pays, s'agissant de la culture, un acquis citoyen sur lequel il nous faut vraiment nous appuyer.
J'en viens à l'écoute des experts. Comme vous le savez, monsieur le ministre, j'ai été membre assidu et constructif de la commission Rigaud, qui a notamment traité de la dépense culturelle, qui, pour moi, est un investissement humain.
Ecoutons cette commission : « La dépense culturelle est comme mise en examen budgétaire, mais de façon rampante, avec ce qu'il faut de non-dits pour créer le trouble dans les esprits ».
Que constate-t-elle ? « La dépense culturelle semble accusée en elle-même, comme si, sans le dire, on lui reprochait d'exister. On a l'impression qu'au sein même de l'appareil d'Etat on a décidé d'instruire le procès de la dépense culturelle. »
La commission - et vous connaissez la diversité de l'engagement de ses membres - a par ailleurs refusé tout redéploiement et réclamé un effort nouveau accru.
Il est clair que la culture et son développement sont un grand enjeu national pour la République.
La commission considère aussi qu'il y a nécessité d'une régulation d'ensemble du marché et que « la politique culturelle ne saurait être traitée comme une annexe de la politique sociale ».
Ainsi, les avis des artistes, des citoyens et des experts convergent.
L'avis de la mémoire aussi ! On a beaucoup parlé, ces jours-ci, d'André Malraux, et je ferai simplement, à cet égard, une citation de l'auteur de L'Espoir : « Il convient d'opposer aux puissants efforts des usines de rêves producteurs d'argent celui des usines de rêves producteurs d'esprit ... Nous sommes la première génération d'héritiers de la terre entière ... Que s'agit-il, de faire ? Le maximum de liberté ».
Quant à Jean Vilar, il disait : « Ce qu'il est très difficile d'admettre désormais, c'est un certain axiome ancré dans bien des consciences de hauts responsables qu'en France les artisans, comme les deuxième classe, se débrouillent toujours ».
Et, dans une lettre à Malraux, le 16 mai 1971, il écrivait : « J'ai bien compris que l'épaisseur sociale empêcherait tout mouvement, toute réforme profonde, toute révolution artistique ... Cette société est triste et sans esprit parce qu'on ne lui donne qu'à penser fric ».
Voilà deux grandes interpellations on ne peut plus actuelles !
Je suis allé aussi à Strasbourg, les 14 et 15 octobre dernier, au premier forum des cinémas européens ; j'y ai pris connaissance du document établi sur la stratégie audiovisuelle globale des Etats-Unis, en sept points. J'en extrairai le point n° 3 - « Eviter les drames et les querelles inutiles sur les questions culturelles », et le point n° 4 - « Lier les questions audiovisuelles et le développement des nouveaux services de communication et de télécommunication dans le sens de la déréglementation. »
Cela, c'est l'avis des « grandes affaires » et, malheureusement, les grandes affaires françaises rejoignent en la matière les grandes affaires américaines.
La politique française, de ce point de vue, est courte : les quotas, on sait ce qu'il en est advenu, et je pense que le droit de veto de la France est aujourd'hui un recours nécessaire. Mais je crois qu'à côté de ce recours il faut contribuer, en prenant des initiatives européennes, à la création d'une véritable industrie de production d'images en Europe qui porterait un coup d'arrêt au différentiel de recettes entre l'Europe et les Etats-Unis qui, de 2,1 milliards de dollars en 1988, était de 6,3 milliards de dollars en 1995 - on parle d'emplois ; voilà les chiffres ! - et empêcherait que tout soit dominé, au moment de l'avènement du numérique, par une distribution axée sur le juteux système du péage, distribuant majoritairement non pas des oeuvres françaises ou européennes, non pas même des oeuvres américaines, mais des produits américains.
Face à tous ces avis qui convergent - sauf le dernier, celui des « grandes affaires », dont je dissocie l'avis du mécénat industriel, que j'ai pu apprécier aux assises de l'Admical le 15 octobre dernier, parce qu'il a souci lui aussi de la création - je regrette que l'avis du Gouvernement ne suive pas ces ardentes revendications, ces ardentes obligations et reste ainsi dans la marge du mouvement profond de la société.
Votre budget, monsieur le ministre, n'est pas à la hauteur des enjeux de société et de civilisation auxquels nous sommes confrontés.
En 1996, il était proclamé 1 % ; en réalité, à compétence constante, 0,88 % et, aujourd'hui, 0,81 %. En 1997, vous nous annoncez 0,97 %, alors qu'en réalité, à compétence constante, ce sera de 0,79 %.
Mais permettez-moi de rapprocher ces chiffres-ci de ces chiffres-là.
En 1995, le produit intérieur brut égalait 7 674 milliards de francs ; le budget de l'Etat s'élevait à 1 600 milliards de francs ; celui de la culture s'établissait à 13,5 milliards de francs.
En 1997, le produit intérieur brut s'élèvera, selon les prévisions, à 8 170 milliards de francs ; le budget de l'Etat, à 1 553 milliards de francs - avec un « en plus », on aboutit à un « en moins » - et le budget de la culture, à compétence constante, à 12,2 milliards de francs.
Les diminutions budgétaires ne sont donc pas seulement de caractère économique, mais de caractère politique et la culture est plus touchée que l'ensemble du budget. Alors que la refondation culturelle exigerait un tournant vers le haut, nous sommes confrontés à un tournant vers le bas.
Je n'examinerai pas en détail votre budget, monsieur le ministre, encore que me semblent significatifs certains « moins », notamment ceux qui touchent à la notion de responsabilité publique là où il y a croisement avec le privé. Je pense à la diminution des crédits publics pour le cinéma.
Bien sûr, le fonds de soutien compense la diminution, mais la mise à distance de l'Etat n'est pas heureuse, d'autant qu'on la retrouve pour Arte, la chaîne culturelle, qui perd une partie de ses financements publics, et pour FR 3, qui est autorisée, via la publicité, à augmenter ses financements privés.
Je le sais, le Président de la République, dans une interview au Figaro, mais aussi dans son discours à l'occasion du transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon, a tenu de forts propos. Mais la mesure réelle de la politique du Gouvernement en faveur de la culture, pour le moment, c'est le budget de 1997. Il fait d'ailleurs malheureusement référence pour nombre de collectivités locales, qui connaissent une pépie financière souvent du fait de l'Etat.
J'ai lu, dans Le Monde du 29 novembre, un article annonçant une dotation de 1 milliard de francs d'ici à 2001 en faveur de l'éducation artistique. Je trouve que cette annonce est heureuse, mais qu'en est-il dans le budget pour 1997 ? Je n'ai pas le détail de ce programme, mais j'ai l'expérience de ma ville, Je considère que la somme annoncée est très insuffisante. Imaginez Jules Ferry lançant, à la fin du siècle dernier, l'école gratuite, laïque et obligatoire avec un déficit monétaire au départ !
Je veux évoquer un sujet qui me tient particulièrement à coeur, le Métafort d'Aubervilliers. Je reconnais que vous le financez à hauteur d'un tiers, mais on ne me fera jamais croire que, s'agissant de nouvelles technologies, les finances publiques nationales ne peuvent payer un équipement qui ne coûte pas plus qu'un lycée !
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas en rester là. Comme je l'avais déjà proposé l'an dernier, ce trop court débat budgétaire appelle un grand débat sur la culture au Sénat comme à l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, je vais proposer à la commission des affaires culturelles l'organisation d'un débat sur le document américain que j'ai évoqué. Je demanderai également que nous nous intéressions à la discussion qui se déroule actuellement - et en catimini ! - à l'OCDE, en vue d'un accord multilatéral sur les investissements. En effet, elle est une nouvelle fois organisée par le ministère des finances, et vous n'y êtes pas partie prenante.
Je souhaite que l'on sorte de la démarche selon laquelle « il est fatal qu'il soit fatal que la culture soit toujours traitée après... alors qu'elle est au centre de la vie ».
J'aimerais continuer à dialoguer avec rigueur, mais je dois conclure, et je le ferai en présentant quelques propositions précises : il faudrait poser l'exigence d'une augmentation du budget de la culture eu égard à la refondation culturelle, favoriser la province, les banlieues et considérer le monde rural, aborder le spectacle vivant et la création contemporaine comme une priorité, verser selon un calendrier rigoureux les subventions annoncées, financer l'éducation artistique - ce qui implique un engagement jamais connu de l'éducation nationale et d'autres ministères - étendre à d'autre secteurs que le cinéma la pratique du fonds de soutien, taxer la Française des jeux pour constituer un fonds national pour l'innovation culturelle et pour la jeune création avec - 2 %, nous aurions, vous auriez 1,2 milliard de francs ; il y a donc là quelque chose à faire, il y a un juste retour de cette société de loisirs, que moquait légitimement Malraux parce qu'elle n'est pas réellement une société de loisirs, vers une société de conscience où la culture serait centrale - et il faudrait encore hausser, dans une première étape, le budget de la culture de la Communauté européenne à 1 % des fonds structurels et, enfin, contrairement aux engagements présidentiels du pacte de stabilité des finances communales, mettre un terme à la pratique d'un Etat minorant sans cesse son intervention, pourtant déjà faible, dans les budgets communaux.
Je conclurai par un souvenir : le 12 mai 1976, il y a vingt ans, à l'Assemblée nationale, la commission spéciale chargée d'examiner des propositions de loi relatives aux libertés et aux droits fondamentaux recevait des témoins. C'était, après Mgr Etchegaray, Edmond Maire et Georges Séguy, le tour d'André Malraux. J'étais juste devant la tribune d'où il parlait de crise de civilisation, d'audiovisuel et de travail à faire. Il eut alors cette remarque qui me semble tout à fait forte, je dirai même puissante : « Avec 1 % de majorité, on peut faire une loi, mais pas un gouvernement historique. » Aujourd'hui, la culture, l'art, sont des questions historiques. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Othily applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le ministre, à une époque où chacun semble montrer qu'il est attaché à la notion d'identité culturelle, je souhaite, à titre liminaire, profiter de votre présence et de ce débat pour vous faire part de deux messages, l'un de modestie, l'autre de responsabilité.
Modestie, à savoir que les mieux placés pour penser l'identité, la culture, sont d'abord ceux qui les produisent, les créateurs, ceux qui sont les garants de la société civile et qui montrent son épanouissement à travers le défi de la création et de la créativité peintres, écrivains, artisans, tous ceux qui font que nous sommes sûrs d'être.
Responsabilité aussi, particulièrement de la part des responsables communaux, régionaux, étatiques et associatifs.
La raison en est simple : c'est que, dans nos pays de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, aucun défi politique, aucun statut administratif, aucun avenir politique et économique n'a de sens s'il ne se fonde d'abord sur la puissance de l'identité, sur la puissance de notre culture.
L'identité culturelle est un concept très difficile à appréhender en Guyane, région qui trouve sa particularité dans la présence sur son sol de nombreuses communautés à culture différente : amérindienne, bushinenguée, haïtienne, brésilienne et asiatique. Dépourvus de l'esprit de tolérance indispensable à la cohésion sociale, il nous sera difficile, sans une alchimie extraordinaire, d'arriver à une forme identitaire commune. Est-elle possible ? Est-elle réalisable ? Nul ne peut connaître l'histoire de la prochaine aurore. En tout cas, engageons-nous à ouvrir ce vaste chantier pour l'avenir de nos populations.
Il n'en demeure pas moins que l'Etat français doit s'affranchir de cette diversité afin d'encourager l'émergence d'une identité culturelle guyanaise, derrière laquelle l'ensemble de la population se reconnaîtra, par une politique qui nous rassemble dans une Guyane française qui nous ressemble.
L'affirmation de ce concept identitaire m'oblige à engager le débat sur les moyens mis à la disposition de la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, qui sont insuffisants si l'on doit mettre en place une politique culturelle non définie en partenariat avec les acteurs du développement culturel guyanais.
Je ne puis vous cacher que c'est avec quelque déception que j'ai pris connaissance de l'enveloppe budgétaire allouée au ministère de la culture.
En effet, monsieur le ministre, alors que vous entendez poursuivre des objectifs ambitieux, parmi lesquels le rééquilibrage en faveur de la province - mesure qui me touche particulièrement - les crédits budgétaires qui vous sont alloués enregistrent une baisse de 3 %.
Toutefois, je n'ignore pas que nous devons faire face à des difficultés financières importantes et qu'en conséquence l'heure est aux économies budgétaires.
Pour ma part, je souhaiterais aborder les aspects délicats que soulève l'affectation des crédits de votre ministère au département de la Guyane.
L'un de mes illustres prédécesseurs au groupe du Rassemblement démocratique et social européen, Edouard Herriot, nous a apporté du Japon cette maxime aujourd'hui connue de tous : « La culture, c'est ce qui demeure dans l'homme lorsqu'il a tout oublié. »
Je ne saurais résister à la tentation de vous dire, monsieur le ministre, que, la Guyane étant parfois la « grande oubliée » de la France, ses habitants devraient voir leur accès à la culture facilité d'autant...
Monsieur le ministre, vous savez que la direction régionale des affaires culturelles guyanaise a un rôle majeur à jouer dans l'avenir de la jeunesse de ce département. En effet, à une époque où celle-ci est en passe de perdre ses racines - les événements du mois dernier l'ont montré - l'action culturelle peut se révéler un remède efficace dans la sensibilisation des jeunes contre la drogue, l'alcoolisme ou la délinquance. L'ancien ministre de la santé que vous êtes ne peut rester insensible aux démarches effectuées en ce sens !
Malheureusement, la DRAC de Guyane n'a pas les moyens de sa politique. En effet, ce n'est pas avec treize personnes seulement qu'il lui est possible d'asseoir son action à travers les 92 000 kilomètres carrés que compte la Guyane.
Afin que la DRAC puisse mener à bien les missions qui lui sont confiées, il est indispensable de procéder à des recrutements complémentaires, et ce dès le début de l'année 1997. Tout d'abord, le directeur, qui officie seul, a absolument besoin d'un adjoint et d'une secrétaire supplémentaire. Ensuite, le poste de conseiller au service du patrimoine, qui a été supprimé, doit impérativement être rétabli. Enfin, il nous faut également un autre conseiller au titre de la musique et de la danse !
En Guyane, ce n'est ni en fonction du nombre d'habitants, ni en fonction de la densité de la population, mais au regard des temps de trajet qu'il faut déterminer le nombre d'agents nécessaires. J'ouvre une parenthèse pour vous signaler, monsieur le ministre, que cette remarque concerne aussi bien le ministère de la culture que l'ensemble des administrations représentées en Guyane.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le sénateur.
M. Georges Othily. J'y viens, monsieur le président !
Une autre de mes préoccupations concerne la revalorisation et la restauration du patrimoine guyanais. Il y a dans ces deux tâches des progrès considérables à effectuer.
Ces missions doivent être étudiées avec d'autant plus de soin qu'elles permettraient d'assurer sans conteste un grand nombre de créations d'emplois.
Avant de conclure, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous me donniez des informations relatives à la poursuite des contrats de plan Etat-région. Si l'Etat et la région ont déjà débloqué certains fonds en faveur de la création d'activités nouvelles, nous sommes toujours dans l'attente de la dotation européenne complémentaire.
Monsieur le ministre, je sais que, rigueur financière oblige, vous n'avez que très peu de latitude dans la détermination des crédits nécessaires à votre ministère. Aussi, bien que déçue par la faiblesse des ressources attribuées, mais confiante dans l'utilisation qui en sera faite et en espérant que vous tiendrez compte de ces observations, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen et moi-même vous apporterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de trente ans - c'était en 1962 - défendant son projet de loi sur les monuments historiques, le ministre de la culture de l'époque déclarait à cette tribune, et je ne résiste pas au plaisir de le citer à nouveau : « Nos monuments sont le plus grand songe de la France. C'est pour cela que nous voulons les sauver : non pour la curiosité ou l'admiration, légitime d'ailleurs, des touristes, mais pour l'émotion des enfants que l'on y tient par la main. »
Vous avez pu lire comme moi cette belle phrase dans le rapport pour avis de notre excellent collègue M. Philippe Nachbar, et vous savez que ce ministre était celui que, voici à peine plus d'une semaine, dans le froid glacial d'un soir de novembre, nous avons accompagné jusqu'aux marches du Panthéon.
André Malraux a fait beaucoup pour le patrimoine monumental de la France. N'est-il pas paradoxal, et un peu triste, que nous ayons à examiner, à l'heure même où l'on célèbre sa gloire, un budget dans lequel les monuments historiques sont les grands sacrifiés ?
Dans son ensemble, le budget du ministère de la culture atteindra en 1997 un peu plus de 15 milliards de francs, accusant une baisse de 2,9 %, ce qui représente environ 450 millions de francs.
Cependant, les moyens consacrés aux monuments historiques chutent, passant de 1,646 milliard de francs en 1996 à 1,077 milliard de francs en 1997, ce qui correspond à une baisse de 569 millions de francs et à une réduction de 34,6 % !
Nous sommes bien loin des 2 % d'augmentation annuelle prévues par la loi de 1993 !
Il n'est pas utile d'insister sur les aspects moraux et sentimentaux d'une telle régression, mais je voudrais dire un mot des conséquences matérielles, notamment au regard du problème qui nous préoccupe tous actuellement, l'emploi.
Sur les sommes investies dans la restauration du patrimoine monumental, 60 % à 85 % vont au marché du travail, dans un « bassin » de 34 000 professionnels. Les experts nous disent que la diminution des crédits sera la cause d'environ 3 000 licenciements de personnels hautement spécialisés, notamment des tailleurs de pierre, des maîtres verriers, des restaurateurs de peinture et des facteurs d'orgue.
Et que dire des immeubles classés et de ceux qui relèvent des collectivités territoriales ? Prenons l'exemple d'un immeuble appartenant à des particuliers et inscrit à l'inventaire supplémentaire. Il n'est aidé, en moyenne, qu'à hauteur de 25 %. Les trois autres quarts investis sont à la charge du propriétaire, qui souhaite toujours maintenir ses biens dans le meilleur état possible, et donc ne cesse pas, si les moyens lui en sont donnés, de soutenir très largement l'emploi.
Lors de la journée du patrimoine, en septembre dernier, 8 millions de Français, soit 15 % de la population, ont montré leur attachement aux monuments historiques.
Afin de poursuivre une politique de restauration et d'entretien d'un patrimoine monumental unique au monde, qui est apprécié des Français et qui constitue le principal moteur de l'industrie prospère du tourisme en France, il faudrait, monsieur le ministre, pouvoir combler, dès que possible, du moins en partie, cette brêche de plus de 500 millions de francs qui s'est produite dans le projet de budget.
Un deuxième point m'est apparu digne d'un intérêt particulier. Dans son rapport, présenté avec toujours le même talent, M. Maurice Schumann a souligné que priorité avait été donnée aux services de l'architecture. Les crédits, hors dépenses afférentes au traitement des personnels, ont en effet augmenté de 26 %, soit une progression de 57 millions de francs. Avec une enveloppe de 137 millions de francs, les vingt-deux écoles d'architecture en sont les principales bénéficiaires, et nous nous en félicitons.
Deux chantiers de construction d'écoles sont prévus, respectivement à Compiègne et à Tours. Toutefois, on peut s'interroger sur cette hausse budgétaire dans un secteur en crise.
Il y a aujourd'hui, selon les statistiques officielles, trop d'architectes sur le marché de l'emploi. En effet, les effectifs d'architectes diplômés ont triplé entre 1960 et 1995, passant de 8 372 à 26 623. Les crédits affectés à la construction d'écoles supplémentaires n'auraient-ils pas pu être affectés à des besoins plus urgents ?
Enfin, un troisième point a tout particulièrement retenu mon attention. Il s'agit du poste « lutte contre l'exclusion », dont font partie les projets culturels de quartier. Des crédits de 160 millions de francs sont attribués à cette action. La proximité est, certes, facteur de succès en matière d'action culturelle locale, et il convient donc d'encourager l'action culturelle de terrain entreprise par les collectivités territoriales. Leurs dépenses ont été multipliées par 2,5 entre 1978 et 1993, puisqu'elles sont passées de 12,75 milliards de francs à 32,4 milliards de francs.
Voilà qui est satisfaisant, mais ces crédits ne devraient-ils pas se trouver, au moins pour partie, dans le budget du ministère de la ville ?
Et quels sont, monsieur le ministre, pour l'utilisation de ces importants crédits, vos rapports ou vos accords avec le ministère délégué à la ville et à l'intégration ? Dans quel esprit cette collaboration est-elle comprise ? Fait-on en sorte que ce qui est créé sur le terrain atteigne vraiment les buts recherchés ?
Il faut veiller à éviter les doublons. Ainsi, le centre d'art contemporain qui est créé à Toulouse pour 25 millions de francs ne va-t-il pas faire double emploi avec le fonds régional d'art contemporain ? Cette création est-elle vraiment nécessaire ?
M. le président. Mon cher collègue, je vous demande de conclure.
M. Jacques Habert. On ne peut que se réjouir de la rénovation de lieux de diffusion musicale et chorégraphique, mais la facture de 40 millions de francs déjà affectés à un lieu pluridiciplinaire, tel un Zénith mobile, semble élevée et l'objectif à atteindre bien mystérieux.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous donniez des précisions : s'agit-il de rap ? Quelles foules comptez-vous attirer ?
Enfin, il existe un projet qui suscite un certain étonnement. Il est beaucoup question de l'installation au palais de Chaillot d'un coûteux musée des Arts premiers, qui va, paraît-il, déloger notre beau musée de la Marine, ce que personnellement, et je ne suis pas le seul, je déplore beaucoup. Nous en reparlerons à une autre occasion.
Mais est-il nécessaire de créer de surcroît un département « art premiers » au musée du Louvre ? Ce projet, évalué à 30 millions de francs, est vivement contesté par les conservateurs, qui n'en voient pas la pertinence. Je dois dire que, pour ma part, je partage entièrement leur point de vue.
Monsieur le ministre, je pense que vous voudrez nous éclairer sur les différents points dont j'ai nourri mes observations. A la lumière de vos réponses, j'espère, bien sûr, que le groupe des non-inscrits pourra accueillir favorablement les crédits de votre budget. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'insiste auprès de vous, mes chers collègues, pour que chacun respecte le temps de parole qui lui est imparti. A défaut, le dernier orateur inscrit de chaque groupe verra son propre temps de parole amputé.
La parole est à M. Revet, pour cinq minutes.
M. Charles Revet. Le Gouvernement a décidé de conduire une politique de réduction des déficits budgétaires, nous y adhérons. Bien entendu, la culture a dû apporter sa contribution à cet effort de redressement, ce qui explique la faiblesse de votre budget pour 1997, monsieur le ministre.
Dans le laps de temps qui m'est imparti, et que vient de rappeler M. le président, je ne pourrai traiter de tous les sujets, d'ailleurs nos trois rapporteurs l'ont fait excellement. Je me bornerai donc, pour ma part, à deux réflexions.
Tout d'abord, après M. Schumann, rapporteur spécial, et M. Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, d'avoir décidé un rééquilibrage des crédits inscrits à l'action culturelle entre Paris et la province. Je prendrai deux exemples pour illustrer l'importance de cette décision.
Le premier concerne le développement des associations culturelles. Nos concitoyens, même dans le plus petit de nos villages, sont très demandeurs d'un développement de la politique d'action culturelle. Il n'est que de considérer le nombre de personnes qui se déplacent pour assister aux concerts ou aux manifestations culturelles diverses pour s'en convaincre.
Il y a donc un besoin important, qu'il nous faut satisfaire. Le département que j'ai l'honneur de représenter, la Seine-Maritime, connaît de grandes manifestations culturelles, telles que le festival « Octobre en Normandie », qui vient d'être récompensé, il y a quelques jours, par un prix européen, sans parler d'autres manifestations peut-être un peu plus modestes, mais qui permettent d'animer l'ensemble des territoires. Or il est important que l'Etat s'associe à ces manifestations, aux côtés des collectivités locales.
Je prendrai un second exemple.
En tant que président de conseil général, je suis amené, comme tous les élus, à inaugurer un certain nombre de bâtiments représentant autant d'investissements de nos collectivités locales. Nous fêtions tout récemment le cinquantième anniversaire de la bibliothèque départementale de prêt de la Seine-Maritime. A cette occasion, je soulignais que, dans les inaugurations qui m'incombent, les bibliothèques sont presque les plus nombreuses. Cela signifie, encore une fois, qu'il y a une demande, un besoin. Quelquefois, ce sont des petits villages de trois cents ou cinq cents habitants qui ont décidé, avec les associations, de construire une bibliothèque. Ce mouvement aussi est important, monsieur le ministre, peut-être plus important que jamais, et il faut le soutenir.
Je voudrais, en second lieu, conduire une réflexion sur le budget du patrimoine.
J'avoue que les premières annonces nous ont tous inquiétés.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Oui, tous !
M. Charles Revet. On a parlé d'une diminution de 35 % du budget du patrimoine. Pour un département comme le mien, qui compte un des patrimoines les plus riches de France, je ne vous cache pas que cela a soulevé un tollé, et à juste titre. Les propos qu'a tenus M. Schumann tout à l'heure et les mesures que, j'espère, vous allez nous annoncer, monsieur le ministre, seront sans doute de quelque réconfort à nos concitoyens. Permettez-moi, au passage, de vous suggérer, à vous et à vos services, d'examiner de près la dotation budgétaire de la Seine-Maritime. C'est l'une des plus faibles, alors que, je le disais, ce département possède l'un des patrimoines les plus importants de notre pays. En toute franchise, monsieur le ministre, compte tenu de l'effort que nous consentons nous-mêmes, cela mérite, là aussi, un rééquilibrage.
Je voudrais rapidement, en conclusion, - cinq minutes, c'est vite passé, monsieur le président (Sourires.) - pour illustrer ce propos, vous donnez le résultat d'une enquête à l'occasion de laquelle nous avons demandé à tous les habitants du département quelles étaient leurs attentes.
Bien sûr, leur première préoccupation, c'est l'emploi, ce qui est normal. Notre surprise, c'est que 15 % d'entre eux ont tenu à manifester leur attachement au patrimoine.
Voilà qui mérite notre attention, votre attention, monsieur le ministre. Voilà qui nous oblige, s'il en était besoin, à renforcer notre effort en ce domaine.
Monsieur le ministre, je souhaite que, dans quelques instants, vous répondiez à l'appel que viennent de vous lancer M. Schumann et notre collègue M. Nachbar concernant les crédits affectés au patrimoine.
C'est très important, car derrière les entreprises spécialisées, voire très spécialisées dans la restauration, il y a des personnels, qu'il serait regrettable de licencier, des hommes de l'art, et il serait difficile d'en former de nouveaux.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Très juste !
M. Charles Revet. Monsieur le ministre, la limitation de l'enveloppe budgétaire de votre ministère ne facilite pas votre tâche ; la nôtre non plus d'ailleurs. Mais chacun connaît votre volonté d'assurer le développement de la culture dans notre pays, particulièrement en direction des jeunes. Nous serons donc à vos côtés, mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même voterons votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette période de restrictions budgétaires intenses, ne convient-il pas de se réjouir des sommes allouées à la culture ? Avec un peu plus de 15 milliards de francs, soit près de 1 % du projet de loi de finances pour 1997, les crédits de la culture nous réservent quelques motifs de satisfaction.
Tout d'abord, le budget de la culture marque une légère augmentation, due en particulier au transfert de compétences nouvelles. Comment ne pas s'en féliciter ?
M. Schumann a démontré dans son rapport les précautions qu'il faut prendre en citant les chiffres, voire la perversion que ce dispositif introduit.
Par analogie, on pourrait dire que s'applique à la culture la même logique que les collectivités locales et territoriales dénoncent depuis des années : d'une part, satisfaction de bénéficier de transferts de compétences, mais, d'autre part, désagrément de constater que les charges induites ne sont pas compensées par les transferts équivalents de moyens, d'où difficultés croissantes pour assurer, comme par le passé, les activités traditionnelles.
Le second motif de satisfaction, c'est l'architecture.
J'étais intervenu l'an dernier, avec d'autres, pour solliciter la création d'une direction de l'architecture qui soit distincte de celle du patrimoine. Vous-même, monsieur le ministre, ainsi que vos services, m'aviez fait remarquer la difficulté de suivre cette suggestion. Je constate qu'elle n'est cependant pas restée lettre morte, et je m'en félicite.
J'avais également milité pour un renforcement sensible des moyens des écoles d'architecture afin de permettre aux concepteurs de nos cités du xxie siècle de travailler dans de meilleures conditions. Avec une hausse de plus de 26 % du budget des établissements et la mise en place d'une formation continue digne de ce nom - les crédits passant de 1,6 million à 10 millions de francs - vous répondez pleinement à mon attente.
Il ne m'est pas possible de passer en revue l'ensemble des chapitres de votre budget, je vais donc limiter mon intervention à l'un des points qui m'a valu des désenchantements, à savoir le budget du patrimoine.
Le patrimoine constitue très nettement le parent pauvre du budget de la culture pour 1997 : après une annulation, le 16 novembre, de 230 millions de francs de crédits de paiement et de 306 millions de francs d'autorisation de programme, le budget du patrimoine était déjà très atteint. Il subit aujourd'hui un second choc : en baisse de 34 % pour 1997, la ligne patrimoine suscite de vives inquiétudes, qui me paraissent légitimes.
A-t-on bien mesuré les conséquences directes et indirectes que cette diminution de crédits sans précédent pourrait entraîner ? Face à la levée de boucliers, vous avez commencé à nous répondre et à nous rassurer.
D'abord, il y a la transformation de 50 millions de francs d'annulations de crédits en gels de crédit, ensuite, la réduction des retards accumulés dans l'exercice des programmes et l'utilisation des reliquats de programmes antérieurs devraient permettre une nouvelle fois de limiter les annulations de programmes pour 1997, en partie du moins.
Mais personne ne peut imaginer, malgré ces ajustements, qu'une diminution de 500 millions de francs des financements de l'Etat puisse rester sans effet sur le volume des travaux engagés, à moyens terme, et sur l'état du patrimoine. En fait, il s'agira de milliards de francs, et de multiples chantiers risquent de ne pas être engagés.
Pourtant, la fréquentation de notre patrimoine monumental est sans cesse en augmentation, et ce sans tenir compte des journées du patrimoine, qui témoignent du véritable engouement de nos concitoyens pour cette richesse extraordinaire que sont nos monuments.
Dès lors, les priorités de votre budget ne devraient-elles pas suivre cet intérêt croissant des Français, intérêt d'ailleurs partagé par les étrangers qui visitent notre pays ?
Si les monuments risquent d'avoir à souffrir de ces mesures, il se peut qu'il en soit de même d'un certain nombre de professions. Les métiers d'art, par exemple, qui vivent en grande partie de la restauration de notre patrimoine architectural seront eux aussi touchés de plein fouet par ces dispositions. Les entreprises artisanales elles aussi - et cela a déjà été évoqué ici - risquent d'en faire les frais.
Il est vrai que la disparition de 500, de 1 000 petites entreprises artisanales employant chacune deux ou trois salariés est moins spectaculaire que l'annonce de la fermeture d'une entreprise industrielle accompagnée de 700 à 800 licenciements. Mais les conséquences sur l'emploi sont les mêmes, voire plus graves.
Quelles reconversion peut-on proposer dans des secteurs aussi spécialisés ? Que vont devenir les 9 000 compagnons hautement qualifiés, dont il a également déjà été question ? Renoncer à leur métier revient, pour les artisans d'art, à devoir abandonner un savoir-faire acquis tout au long de dizaines et de dizaines d'années. Si ces artisans disparaissaient, qui accomplirait demain cet inestimable travail de préservation de notre capital commun ? C'est dans ce legs du passé, dans notre riche histoire, que nous touverons des ressources pour nourrir l'enthousiasme et la confiance dans l'avenir. A nous de ne pas décevoir ceux qui, aujourd'hui, sont les avant-défenseurs de ce patrimoine et ceux qui l'entretiennent.
Je sais, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas insensible à ces demandes et à ces démarches, et que les limites de votre budget vous sont imposées par les contraintes de la réduction du déficit budgétaire et la nécessaire solidarité entre ministères. J'espère pourtant que nos interpellations pourront servir, car il me semble qu'il est possible de suivre plusieurs voies pour conforter le patrimoine.
Tout d'abord, monsieur le ministre, je crois savoir - nous en avons d'ailleurs eu confirmation par les documents qui nous ont été distribués - qu'il n'est pas exclu que vous obteniez de Matignon et de Bercy le feu vert pour une rallonge budgétaire. Pouvez-vous nous en dire plus ? Ces 70 millions de francs permettraient de calmer quelque peu nos inquiétudes.
Permettez-moi de vous le rappeler, ce patrimoine historique est souvent la richesse non seulement de Paris et de nos métropoles régionales, mais aussi du milieu rural. Ces crédits irriguent donc, en fait, tout le territoire national. Dès lors, monsieur le ministre, il serait important que vous puissiez témoigner de votre intérêt, comme vous le faites pour d'autres secteurs culturels, pour le patrimoine protégé des sites non majeurs de notre pays.
A cette fin, je vous ai invité à venir visiter les chantiers de restauration de deux châteaux-forts d'Alsace, celui du Lichtenberg et celui de la Petite-Pierre, qui sont implantés dans des communes de 500 à 600 habitants. Ils constituent le coeur d'un véritable contrat de développement de tout un pays d'une vingtaine de communes.
S'appuyant sur l'histoire et le patrimoine au travers de projets dépassant ensemble 70 millions de francs, ils deviennent les moteurs de développement économique, culturel et touristique ! J'espère que, lors de votre visite, monsieur le ministre, vous pourrez nous conforter dans notre démarche et nous rassurer quant aux perspectives de ces opérations. Tous les amoureux du patrimoine attendent de vous un message fort en faveur du patrimoine rural.
Enfin, je voudrais me permettre de vous poser une question et de faire trois suggestions.
Quelles sont les perspectives à court terme pour la Fondation du patrimoine, cet outil précieux que le Parlement a créé sur votre proposition pour répondre aux besoins d'intervention sur le patrimoine non protégé ?
Voici maintenant ma première suggestion : face aux difficultés qui existent dans la définition des projets sur et à proximité du patrimoine protégé, nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous souteniez la proposition de loi adoptée au Sénat relative au rôle des architectes des bâtiments de France.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Philippe Richert. Voici ma deuxième suggestion : il conviendrait de réfléchir à une nouvelle répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, en particulier dans le secteur du patrimoine. La lourdeur des démarches, les retards parfois excessifs, l'implication grandissante des collectivités par leurs financements, mais aussi l'intérêt qu'elles portent à ces opérations plaident en faveur d'une telle solution.
Enfin, voici ma troisième et dernière suggestion : il faudrait simplifier les procédures concernant la protection du patrimoine et les projets de restauration. Est-il normal, par exemple, que, pour le simple et strict entretien, il faille avoir des autorisations de l'administration ? Est-il aujourd'hui justifié, pour les biens immobiliers privés classés, que la maîtrise d'ouvrage revienne automatiquement à l'Etat ?
Je pense, monsieur le ministre, que nous avons là un certain nombre de pistes. A nous de trouver des réponses.
Vous aurez compris, monsieur le ministre, qu'il ne nous est pas facile de nous prononcer sur ce budget avant d'avoir obtenu de vous certaines assurances. Mais vous ne manquerez pas, j'en suis sûr, de nous les apporter. C'est alors en toute confiance que nous voterons ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où les cendres d'André Malraux sont transférées au Panthéon, nombreux sont ceux qui attendaient un acte symboliquement fort en faveur de la culture.
L'ultime hommage de la nation au « père fondateur » du ministère de la culture ne s'inscrivait-il pas dans la décision politique de placer la culture au coeur de l'action gouvernementale ?
Pourtant, monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous présentez n'atteint même pas le symbolique 1 % promis voilà un an et demi.
Plus grave : si l'on fait abstraction des nouvelles compétences transférées à votre ministère, le budget de la culture ne réprésente plus que 0,79 % du budget de l'Etat.
Vous conviendrez donc avec moi, monsieur le ministre, que les hommages rendus ne peuvent être suffisants pour afficher une volonté politique.
Le Gouvernement est bien loin de la voie tracée par André Malraux : les choix opérés en matière culturelle ne s'inscrivent pas dans son action, ils conduisent malheureusement à l'impasse !
Monsieur le ministre, nous ne doutons pas un seul instant de vos convictions et de votre engagement personnel en faveur de la culture. Vous l'avez démontré, récemment encore, en accueillant Marek Halter et en dénonçant toute forme de censure ou de racisme culturels.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Très bien !
M. Marcel Vidal. Mais l'énergie que vous déployez pour mener l'action culturelle n'est, hélas ! pas soutenue par vos collègues, notamment par le ministre des finances.
Nous serions prêts à soutenir votre engagement, mais le budget que vous nous présentez, revu et corrigé par Bercy, nous l'interdit.
Ne faut-il pas rappeler, par exemple, le rôle joué par la politique culturelle en matière d'aménagement du territoire ? Or les disparités culturelles sont de plus en plus flagrantes, tant dans les villes qu'en milieu rural.
Vous vous préoccupez à juste titre d'oeuvrer en faveur d'une meilleure répartition géographique de l'action culturelle mais, en affectant 60 millions de francs aux lieux de diffusion et 40 millions de francs pour la construction d'équipements de proximité à vocation pluridisciplinaire, vous serez loin de répondre à une forte demande, témoignant du dynamisme des initiatives locales, lesquelles doivent être activement soutenues par l'Etat.
Trop souvent, l'Etat a tendance à s'abriter derrière la décentralisation pour ne plus jouer son rôle d'initiateur et de régulateur. Le résultat se traduit par une « fracture » du territoire culturel, où l'on distingue des régions, des départements et des communes particulièrement entreprenants et d'autres qui attendent que l'Etat donne le signal.
Le partage des compétences dans le domaine culturel engendre des confusions. Il est source de lourdeurs - mon collègue M. Richert l'indiquait à l'instant -, de paralysie, quelquefois d'inertie, et il conviendrait de clarifier les responsabilités des uns et des autres pour réduire les disparités. Bref, il est urgent, à tous les niveaux, d'assouplir et de simplifier.
Mais l'Etat doit aussi jouer son rôle de régulateur, et je ne pense pas que le projet de budget que vous nous présentez soit de nature à réduire cette fracture du territoire dans le domaine culturel.
Si votre effort en faveur de l'architecture mérite d'être souligné et salué - cela est très important -, en revanche les crédits alloués au patrimoine ne correspondent absolument pas à la réalité. Cette baisse sans précédent est inquiétante - il y a unanimité sur ce point - car elle traduit et confirme le désengagement de l'Etat que nous avions pressenti lors de la présentation de votre projet de création de la Fondation du patrimoine, à propos de laquelle nous attendons, monsieur le ministre, un premier bilan.
Contrairement à vos propos rassurants, votre budget ne permettra pas de mener une politique de restauration et de mise en valeur du patrimoine historique. Tout à l'heure, M. Schumann l'a exprimé avec netteté, précision et courtoisie.
On s'aperçoit que c'est d'ailleurs tout le secteur du patrimoine qui est sinistré quand on observe l'inadéquation entre les crédits affectés à ce secteur et l'immense tâche qui repose sur les architectes des Bâtiments de France. Faute de moyens de fonctionnement et d'investissement, les architectes des Bâtiments de France ne peuvent plus remplir leur mission dans les conditions normales du service public.
Dans ce domaine aussi, monsieur le ministre, il faudrait moderniser, assouplir des règles de procédure qui engorgent les services du patrimoine et de l'architecture et, surtout, créer de nouveaux postes d'architecte des Bâtiments de France pour donner aux directions régionales les moyens indispensables à l'accomplissement de leurs missions.
Les réductions des crédits « patrimoine » auront, par ailleurs, d'inévitables conséquences économiques. En effet, des milliers d'artisans au savoir-faire exceptionnel, déjà dans une situation précaire, subiront la baisse des mises en chantier.
Compte tenu de la faiblesse des crédits d'Etat, les collectivités locales devront assumer le coût des restaurations du patrimoine. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu'elles en ont les moyens lorsqu'elles doivent prendre en charge le budget de fonctionnement des bibliothèques, des écoles de musique, des médiathèques, des maisons pour tous ?
Cette liste, qui s'allonge d'année en année, de budget en budget, démontre le désengagement de l'Etat dans la vie culturelle de notre pays.
Comment résoudre, par exemple, le problème des écoles de musique en milieu rural ? Comment convaincre les élus locaux de participer à leur financement, quand l'Etat ne joue plus son rôle de partenaire ? Devra-t-on aussi, dans ce domaine, faire appel aux acteurs privés ?
Je terminerai mon intervention en attirant votre attention sur la situation dans laquelle se trouvent l'association de gestion de l'opéra de Montpellier et l'orchestre philharmonique de Montpellier - Languedoc-Roussillon qu'anime M. René Koering.
Comme vous en a informé la municipalité de Montpellier, ces deux associations viennent de recevoir une notification de redressement à la suite d'un contrôle fiscal. Il leur est réclamé 22 millions de francs.
Vous voudrez bien admettre, monsieur le ministre, que cette notification des services fiscaux est inacceptable et dommageable : inacceptable, car on ne peut considérer que ces deux associations culturelles exercent une activité à but lucratif, alors qu'elles pratiquent une politique de sensibilisation de tous les publics par une politique de tarifs différenciés ; dommageable, car ce redressement signerait la mort de l'orchestre philharmonique de l'opéra de Montpellier et du festival de Radio France, avec toutes les conséquences que vous pouvez imaginer.
Aussi, je souhaite que vous m'indiquiez si la même procédure a été engagée à l'encontre des orchestres de Lyon, de Nice, de Toulouse, de Bordeaux, etc. - si tel était le cas, c'est l'ensemble des formations orchestrales de notre pays qui serait en sursis - ou si, au contraire, seuls l'orchestre et l'opéra de Montpellier sont concernés.
Quelles que soient les motivations du ministère des finances, on ne peut sacrifier sur l'autel de la rigueur budgétaire des formations musicales dont la renommée dépasse les frontières hexagonales.
Monsieur le ministre, nous le déplorons, Bercy pèse beaucoup, Bercy pèse trop sur la vie culturelle. Aussi, nous comptons sur vous pour communiquer à ses fonctionnaires votre engagement en faveur de la culture et les convaincre de vous donner les moyens budgétaires correspondant aux ambitions de votre politique culturelle. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Maurice Schumman, rapporteur spécial, et M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une société en crise, économique, crise sociale, a plus besoin encore que d'autres, sans doute, de trouver à travers son expression culturelle des points de repères forts, non pas comme un dérivatif, non pas comme un luxe, mais comme indispensable élément de l'intelligence et du coeur, et aussi - faut-il le souligner ? - comme un important facteur de lien social.
L'attente est donc grande. Et comment ne pas regretter avec vous, monsieur le ministre, que les moyens dont vous disposez ne puissent pas être à la mesure de cette attente ?
Certains rêves seront donc sacrifés sur l'autel de la rigueur budgétaire, rigueur que nos responsabilités nous obligent cependant d'accepter si nous voulons que notre pays puisse retrouver, rapidement et durablement, l'équilibre de ses finances publiques.
C'est dans les limites de ces contraintes-là que vous avez été amené, monsieur le ministre, à faire les choix que vous soumettez au Parlement et dont certains me paraissent particulièrement significatifs.
Le projet de budget marque d'une manière très forte la volonté de donner, au sein du ministère de la culture, une place éminente à l'architecture et à la formation des architectes, justifiant ainsi le récent transfert de cette compétence ; nous ne pouvons que nous en réjouir.
J'en viens à un autre motif de satisfaction : le maintien de l'effort consenti à tout ce qui se rapporte au spectacle vivant. Cette orientation sera appréciée par tous ceux qui portent la gestion, souvent très lourde, de structures que fréquente un public de plus en plus nombreux, de plus en plus averti et de plus en plus demandeur de théâtre, de musique et de chorégraphie.
Cette orientation sera également appréciée par les professionnels du spectacle - ils sont 50 000 environ - qui nourrisent non seulement leur âme, mais aussi leur existence matérielle de leur contact quotidien avec le public, et qui ne cessent de craindre pour leur emploi.
Et comment ne serions-nous pas sensibles, représentants des élus de tout l'Hexagone, à la volonté affirmée et traduite dans les faits de rééquilibrer, tant quantitativement que qualitativement, ce qui est fait pour Paris et ce qui est fait pour la province ? L'aménagement du territoire doit aussi être une réalité sur les plans de la création et de la diffusion culturelles.
Un autre motif de satisfaction réside dans l'accroissement de plus de 3 % des crédits consacrés au cinéma et à l'audiovisuel. Considérés comme des secteurs économiques à part entière, porteurs d'activité et d'emplois, ils sont également le vecteur privilégié de l'expression culturelle de la proximité immédiate pour tous, et celui du rayonnement français hors de nos frontières.
Je voudrais souligner, ensuite, la permanence, voire l'accroissement, de l'effort consenti pour participer à la lutte contre l'exclusion, à hauteur de 160 millions de francs au total.
Cette lutte contre l'exclusion s'exerce surtout dans les zones urbaines les plus sensibles de notre pays, là où, pour des causes multiples - causes que la crise économique et sociale a encore exacerbées - c'est l'équilibre même et les valeurs républicaines qui sont remis en cause.
Dans cette stratégie de reconquête, le ministère de la culture intervient, lui aussi, et il le fait d'une manière qui est à la fois forte et interactive, et qui doit, pour porter ses fruits, s'inscrire dans la durée, sans céder à la tentation, ni de la complaisance ni de la démagogie.
J'ai eu l'occasion de suivre de très près l'action que Paul Vecchiali a conduite dans les zones franches des coteaux à Mulhouse et qui aura permis de réaliser un film présenté lors de la biennale de Venise.
Cette démarche, conduite en 1996 sur vingt-neuf sites, est incontestablement positive, puisqu'il s'agit de culture vécue et non de culture octroyée, et puisque l'action, loin d'être ponctuelle, doit trouver en elle-même ce qui nourira son prolongement dans le temps.
Sans doute cet objectif pourrait-il être approché d'une manière plus pertinente encore si les actions étaient pilotées par des artistes dont l'enracinement serait plus local. Il ne manque pas de talents dans chacune de nos régions !
Je pense, par exemple à ces très belles oeuvres plastiques réalisées avec des éléments provenant de deux tours implosées dans un quartier sensible de ma ville, oeuvres sur lesquelles un sculpteur régional, Louis Perrin, a conduit pendant près de cinq ans, avant, pendant et après la démolition, un remarquable travail d'écoute, de pédagogie et de concertation avec les habitants du quartier, particulièrement les plus jeunes d'entre eux, tout un pan de la ville s'étant ainsi approprié ces réalisations.
Cela me donne l'occasion de rappeler ici, pour souligner combien leur implication dans la création et la diffusion culturelles sont grandes, que les collectivités territoriales ont, ces dernières quinze années, multiplié par deux et demi leurs dépenses culturelles, qui passent de 14 milliards de francs à 32 milliards de francs.
La commission des affaires culturelles, par la voix de son éminent président, M. Adrien Gouteyron, et par celle de son excellent rapporteur pour avis, M. Philippe Nachbar, mais aussi le président Maurice Schumann, rapporteur spécial de la commission des finances, avec l'autorité incontestée qui est la sienne, ont jugé inacceptable, pour des raisons diverses, la réduction drastique des dépenses consacrées à la conservation du patrimoine.
Nous avons apprécié d'avoir été entendus, et nous avons pris bonne note des dispositions que vous nous avez annoncées, monsieur le ministre ; elles atténueront, dans une certaine mesure, les effets redoutés, aussi bien pour notre patrimoine lui-même que pour un secteur professionnel menacé.
Sur ce point, je voudrais exprimer le souhait que, dans les discussions interministérielles, on fasse, sur certains problèmes, une étude macro-économique qui aille au-delà du seul aspect de la dépense.
S'agissant de la réhabilitation du patrimoine, les travaux effectués sur les bâtiments génèrent des cotisations sociales d'un montant significatif, ainsi qu'une recette de TVA de 20,6 % lorsque ces bâtiments n'appartiennent pas à l'Etat.
Par ailleurs, comme l'indiquent les représentants des professions concernées, si 3 000 pertes d'emploi étaient venues s'ajouter aux quelque mille emplois perdus en 1995, cette situation eût engendré un coût social important.
Une étude prenant en compte ces éléments, à court et à moyen terme, démontrerait peut-être ici - comme aussi dans le domaine du logement - qu'une économie budgétaire peut n'être qu'apparente, au moins partiellement, et que l'on a parfois tort de se priver d'un effet de levier dont l'activité économique et l'emploi auraient le plus grand besoin.
Monsieur le ministre, dans le contexte budgétaire dans lequel nous ont placés les années écoulées, vous vous battez pour donner à la culture la place qui lui revient dans notre pays. Vous le faites en utilisant au mieux les moyens dont vous disposez, tout à la fois avec pragmatisme et avec ambition.
Comment, en cette fin d'année 1996, et dans le cadre de la discussion du budget de la culture, ne pas citer Malraux : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert ». C'est un combat dans lequel vous nous trouverez à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la culture est au coeur de l'identité nationale et régionale. Je parlerai non pas du volume financier consacré à la culture, mais d'une bonne répartition des moyens.
Paris, certes, est l'une des capitales culturelles du monde, mais le reste de la France, monsieur le ministre, mes chers collègues, contribue aussi à notre rayonnement culturel. L'aménagement du territoire mérite que le ministère de la culture, ce symbole qui nous intéresse fort, se préoccupe aussi des régions.
Je sais, monsieur le ministre, que vous y êtes sensible ; vous avez d'ailleurs déjà passé certaines conventions avec des départements, y compris les Alpes-Maritimes ; vous avez lancé de grands projets en région.
Mais je sais aussi que vous avez hérité d'un passé séculaire de jacobinisme culturel ! Les grands projets parisiens se surajoutent à d'autres projets. Ils nécessitent des investissements massifs entraînant par là même des frais de gestion importants, des frais d'entretien qui laissent rêveur, mais qui, surtout, ne laissent à 80 p. 100 des Français provinciaux qu'une portion congrue des crédits dont vous disposez !
Je suis particulièrement heureux de la décision que vous avez prise à la suite de demandes réitérées, notamment de notre éminent collègue, M. le ministre Maurice Schumann, pour que le patrimoine culturel de la France soit mieux servi qu'il ne l'était jusqu'à présent. Nous voterons avec plaisir votre budget, compte tenu de l'amendement gouvernemental que vous allez nous présenter.
L'hypertrophie parisienne me paraît spécialement dangereuse pour la culture dans nos régions sur au moins deux points liés à l'évolution moderne.
Le premier concerne la culture scientifique et technique.
C'est un élément qui désormais vous est rattaché pour partie. Je pense à la Cité des sciences et de l'industrie de La Villette. A Paris, sont aussi concentrés le Muséum national d'histoire naturelle, le Conservatoire national des arts et métiers, le palais de la Découverte. Pour la royauté, la Révolution, le Front populaire et la Ve République, la France, c'était, et c'est surtout Paris... La Cité des sciences et de l'industrie a, par définition, une vocation nationale. Peut-on espérer qu'une partie des moyens de cette cité soit affectée à des opérations de développement culturel en province ? Cinq pour cent des moyens de la Cité des sciences permettraient de doubler, et largement, le potentiel existant pour 80 % de nos concitoyens, qui ont besoin d'un développement de la culture scientifique et technique, laquelle est la nécessaire prise de conscience de la liaison entre la modernité et notre tradition culturelle. Cela établirait vraisemblablemement en même temps un meilleur lien avec notre industrie, laquelle n'est ni très bien connue ni très bien aimée, mais qui aurait besoin de l'être si nous voulons créer et développer des emplois.
Le deuxième point que je me permettrai d'évoquer, monsieur le ministre, est le cas des grands projets en régions, et particulièrement ceux qui concernent les nouvelles technologies, les produits et services multimédias, type CD Rom ou services en ligne.
Il n'y a aucune raison que les nouvelles technologies ne se développent qu'en région parisienne. Pourtant, je constate qu'on y a aidé un certain nombre d'opérations majeures, qui coûtent par conséquent de l'argent, alors que d'autres régions semblent oubliées. Je pense bien sûr au Centre de création multimédia de Sophia-Antipolis et de la Côte d'Azur. Celui-ci bénéficie pourtant d'une qualité de l'environnement scientifique et technique et d'une concentration de créateurs d'art contemporain la plus importante de France après Paris. Vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui y venez souvent pour inaugurer des expositions, et vous avez constaté la richesse en muséologie moderne de cette région.
Le budget 1997 fait état, certes, de projets d'investissement à Dijon, à Lyon ou à Toulouse, moins importants qu'à Paris, mais j'ai l'impression que le Sud-Est a été quelque peu oublié. Est-ce une attitude délibérée ? Est-ce parce que le dossier n'a pas été assez bien préparé ? Est-il possible de continuer dans ce sens ?
Cela dit, la majorité de mon groupe votera ce budget. (Applaudissements sur le banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes ici pour examiner l'un des budgets, le plus essentiel peut-être : celui de la culture.
Face à la montée des incertitudes sociales et économiques, la culture doit en effet plus que jamais offrir les points de repère qui manquent à notre société et permettre ainsi le dépassement de soi.
Malgré l'effort de rigueur, sans précédent sous la Ve République, demandé par M. le Premier ministre, ce budget traduit concrètement la volonté du Gouvernement de préserver la capacité d'engagement et d'intervention du ministère de la culture.
Cette année encore, monsieur le ministre, vous consacrez deux tiers de vos crédits d'équipement à la province. L'aménagement du territoire passe par un rééquilibrage nécessaire entre Paris et les régions. Je me félicite donc, monsieur le ministre, de voir se réaliser de grands projets tels que le centre d'archives contemporaines de Reims, le musée d'art contemporain de Toulouse, l'auditorium de Dijon ou le centre du costume de scène de Moulins.
Vous aidez les collectivités locales à rénover leurs équipements culturels. Nous le savons bien, les régions, les départements, les communes jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la vie culturelle. Cette nouvelle politique des « pays » constitue enfin une approche pragmatique de l'action culturelle. Le renforcement de la politique de contractualisation entre l'Etat et les collectivités locales ne pourra qu'améliorer les conditions d'accès à la culture pour le plus grand nombre. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je soutiens ce budget qui mobilise en priorité les structures locales déjà existantes.
Concrètement, votre politique se traduit par un meilleur accueil du public et une plus grande coopération entre les élus locaux, les experts et les représentants des ministères chargés du tourisme et de l'aménagement du territoire. Globalement, vous poursuivez votre action en faveur de la lutte contre les inégalités sociales et géographiques.
Si je mets l'accent sur votre politique en faveur de la province, ce n'est pas seulement en tant que président d'un syndicat de communautés de communes, un pays, mais c'est aussi en tant que président du festival Berlioz.
Depuis trois ans, ce festival est réapparu à La Côte-Saint-André, où naquit le compositeur en 1803. Le pari de relance est donc gagné. Il nous faut désormais remporter celui de la pérennité.
Elle passe tout d'abord par la fidélisation du public. Elle implique également l'appropriation du festival par toute une population pour dépasser le stade purement événementiel et devenir un vecteur permanent de la décentralisation culturelle et du développement rural.
Cette pérennité nécessite enfin la confiance des partenaires publics et privés. Par un engagement conséquent, ils permettent aux activités culturelles d'atteindre leurs dimensions d'équilibre. Il s'agit également d'instaurer l'échange dans nos villages les plus modestes et les plus reculés.
Les disparités culturelles doivent s'apprécier non pas seulement en densité de volume d'équipements, mais aussi en qualité des services offerts.
Le disctrict de La Côte-Saint-André a été dernièrement le lieu de rencontre entre les deux principaux acteurs de la vie culturelle locale et un groupe de hauts fonctionnaires étrangers, représentants des Etats d'Argentine, de Bulgarie, du Liban, d'Egypte, d'Italie, de Malte, de Cuba et du Venezuela.
Le festival Berlioz et l'association culturelle Bièvre-Liers ont été choisis par l'observatoire des politiques culturelles de Grenoble pour témoigner de leur expérience de projet artistique en milieu rural.
Le festival est plus orienté vers la promotion d'oeuvres musicales pendant une semaine en été. L'association culturelle, elle, sensibilise les publics locaux à diverses expressions artistiques pendant toute l'année.
La combinaison de ces deux approches complémentaires a fortement intéressé ce groupe d'étude.
En effet, les expériences de terrain permettent de regrouper les partenaires locaux et dynamisent la vie des régions rurales. Elles les ouvrent les unes aux autres. Elles évitent l'isolement des petites collectivités.
Aussi, monsieur le ministre, votre volonté de vous associer à la nouvelle politique des « pays » me semble des plus importantes. Bien plus, une véritable politique des publics grâce à un travail d'information et d'éducation artistique doit être menée. En outre, elle doit s'adapter aux défis technologiques de notre temps.
Pourquoi ne pas imaginer alors un concours national, en collaboration avec le ministère de l'éducation nationale, dont l'objet serait la présentation par des enfants scolarisés, des créateurs passés ou présents, célèbres ou non encore connus, de leur région natale ? La diffusion de leurs travaux pourrait emprunter les pages d'Internet.
Ce sont des projets comme celui que, bien modestement, je vous propose, qui peuvent faire évoluer les outils culturels vers plus de modernité et d'accessibilité. Vous mettrez les nouveaux médias au service d'une culture de qualité. Ainsi, votre budget trouvera sa véritable dimension. Il permettra à chacun d'acquérir, par l'art et la culture, une conscience humaniste et citoyenne.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je le voterai avec un certain bonheur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Avec un budget en légère baisse, vous réussissez, monsieur le ministre, à préserver vos priorités : notre rapporteur spécial, M. Maurice Schumann, l'a fort bien et clairement rappelé tout à l'heure.
Nous connaissons votre détermination à faire de la culture un instrument de lutte contre les exclusions, tout comme nous connaissons votre volonté de restructurer la politique culturelle mais aussi l'énergie que vous déployez pour encourager l'élan créatif.
En juin dernier, j'ai eu la chance d'apprécier directement votre disponibilité ainsi que la passion qui vous anime. Vous avez, en effet, consacré une demi-journée complète à visiter ma commune. Vous avez alors admiré l'engagement de très nombreux animateurs professionnels et bénévoles, ceux-là même qui font de la culture une réalité vivante dans la ville. Vous avez mesuré le soin avec lequel ils développent leurs interventions de manière cohérente en se mettant, ensemble, au service de la cité. Vous les avez félicités et encouragés à viser toujours l'excellence et surtout à en donner le goût aux plus jeunes.
Vous étiez là, monsieur le ministre, dans votre rôle. Je pense que, de la même manière, la mission la plus forte que peuvent assumer vos services consiste à accompagner, à assister attentivement, jour après jour, les élus que nous sommes dans leur démarche de terrain. La culture, en effet, c'est avant tout du quotidien et du terrain, mais c'est aussi un budget car, comme l'a dit très joliment Yehudi Menuhin : « S'il faut des violonistes dans notre société, il y faut aussi des comptables ». Encore nous faut-il leur apprendre à essayer de jouer à l'unisson ! (Sourires.)
Je n'analyserai pas dans le détail votre projet de budget, mais je souhaite m'arrêter sur deux points : l'enseignement artistique et le patrimoine.
Vous avez l'ambition, monsieur le ministre, de donner une nouvelle impulsion aux enseignements artistiques. C'était nécessaire, et, au moment où vous menez une vaste consultation sur ce thème, il me paraît utile de rappeler qu'ils ne doivent pas être les parents pauvres du monde éducatif.
Il s'agit en effet de former et des amateurs et des professionnels dans des disciplines majeures, qui sont essentielles à l'équilibre et au progrès de la société.
Vous affirmez que l'éducation artistique constitue un droit ; nous nous en réjouissons ; mais encore faut-il donner à celle-ci les moyens d'exister.
C'est donc avec beaucoup d'impatience que nous attendons la mise en place du grand réseau de l'enseignement que vous projetez.
Vous avez déjà engagé un effort sensible en faveur des écoles d'architecture. C'était indispensable, mais il reste du chemin à parcourir : en me situant simplement sur le plan européen, j'insiste pour vous demander de résoudre rapidement les problèmes qui subsistent en ce qui concerne la licence d'exercice des architectes. Cela est nécessaire si nous voulons favoriser les échanges d'étudiants.
Il faut aussi que les formations proposées par nos écoles puissent déboucher sur la recherche. Il est donc urgent que soit signé le protocole en préparation avec le ministère chargé de l'enseignement supérieur.
Je voudrais également, bien sûr, attirer votre attention sur nos écoles nationales de musique. L'Etat s'en désengage progressivement en laissant l'essentiel de leur financement à la charge des communes. Or, lorsqu'il s'agit d'établissements décernant des diplômes d'enseignement supérieur, il peut paraître surprenant que l'Etat se satisfasse d'octroyer des subventions, d'ailleurs trop souvent versées avec d'énormes retards. Il y a là une évidente anomalie : en effet, on ne demande pas aux communes qui accueillent des écoles d'ingénieurs ou qui sont le siège d'une université de médecine ou de droit de financer ces établissements. Les professions artistiques seraient-elles donc des professions au rabais ?
La situation actuelle est très délicate dans la mesure où nombre de communes ne peuvent plus faire face ; les écoles de musique, rejetées par les contribuables, risquent de fermer les unes après les autres.
Ce problème doit être réglé. J'espère que le projet de loi que vous préparez le permettra, comme je souhaite qu'il nous appelle à organiser un peu mieux le réseau des conservatoires, qu'il favorise leur rayonnement local et soutienne les efforts engagés en faveur de l'initiation à la musique de nos jeunes.
J'en viens au second sujet que je voulais aborder : le patrimoine.
L'année 1996 a bien commencé puisque vous avez annoncé la création d'une fondation du patrimoine. Pouvez-vous nous confirmer, aujourd'hui, que celle-ci va mobiliser des moyens suffisants pour sauver de l'abandon notre immense patrimoine de proximité.
A ce sujet, je rappellerai, allant un peu à l'encontre de certains des intervenants qui m'ont précédé, que si celui-ci est largement rural, il concerne aussi nos villes et des départements urbains. Dans ce domaine au moins, il faudrait que la province laisse un peu de place à l'Ile-de-France !
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Ah !
M. Denis Badré. Concernant le patrimoine monumental, je mentirais en disant que je ne suis pas inquiet. La forte réduction des crédits provoquée par l'étalement de la loi de programme sur une année supplémentaire aura des conséquences pour la restauration de nos monuments, notamment privés. Elle risque aussi, malheureusement, de détruire des emplois hautement qualifiés et de compromettre l'équilibre d'entreprises artisanales spécialisées particulièrement performantes. Celles-ci représentent aussi une part de notre patrimoine ! Elles participent à la renommée et au rayonnement de notre pays. Nous devons tout faire pour les soutenir car leur disparition pourrait être sans retour. Monsieur le ministre, je sais que vous partagez cette inquiétude et je vous remercie de veiller à nous rassurer.
S'agissant toujours du patrimoine, je vous surprendrais, je pense, si je n'évoquais pas, même très rapidement, le dossier du parc de Saint-Cloud. Si je le fais, c'est uniquement parce qu'il peut prendre valeur d'exemple ! (Sourires.)
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Uniquement, bien entendu !
M. Denis Badré. Si le parc représente un fleuron de notre patrimoine public, les communes riveraines se sentent également concernées par son avenir : elles sont les premières à souhaiter que le parc soit protégé et entretenu ; elles souhaitent également, très légitimement, qu'il soit accueillant pour tous. A notre demande, vous avez mis en place une structure de concertation : ce sera certainement bon pour le parc, et il sera sûrement intéressant pour vos services comme pour nous de travailler ensemble.
Vous le savez, nous souhaitons l'officialisation la plus formelle de cette instance et nous attendons d'elle qu'elle soit en mesure de se fixer des objectifs ainsi qu'un calendrier de travail précis. Nous demandons en particulier qu'une solution soit rapidement dégagée, telle que la protection des étangs de Ville-d'Avray ne soit plus subordonnée à l'objectif d'alimentation en eau du parc.
Depuis que Corot les a immortalisés, les étangs font partie de notre patrimoine commun. J'en tire un enseignement : ne faut-il pas apprendre à régler les conflits qui naîtront inévitablement de la nécessité de protéger en même temps des biens d'époques différentes ou de nature diverse ?
Vos directions du ministère de la culture ont une mission souvent difficile, nous sommes les premiers à le reconnaître. Je pense qu'ils la remplissent mieux lorsqu'ils acceptent d'associer les élus locaux à leurs préoccupations. Ils découvrent alors en effet que ceux-ci sont rarement leurs « adversaires », qu'ils veulent généralement bien faire et qu'ils ont même du bon sens. Si cela n'est pas encore entré totalement dans leur « culture » administrative, vos services doivent comprendre qu'ils auront toujours beaucoup à gagner à engager sans a priori un dialogue constructif avec les responsables des collectivités territoriales. Je considère même que ce genre d'effort peut être largement aussi efficace que « plus de budget ».
Bien entendu, et malgré ces quelques réserves, conscients des efforts considérables que vous faites, mesurant la portée de vos ambitions et votre détermination, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même voterons votre projet de budget. (Applaudissement sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Le Monde du 21 septembre affirmait, avec quelque regret, que « les vieilles pierres ne défilent pas dans la rue ».
Je suis de ceux qui pensent qu'il n'est pas toujours nécessaire de défiler dans les rues, voire de les obstruer, pour se faire entendre. C'est au Parlement qu'il faut se faire entendre. C'est au Parlement que notre patrimoine doit trouver ses défenseurs.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je veux vous dire avec force et passion combien nous sommes attachés à ce que les pouvoirs publics aient une politique aussi déterminée que continue de préservation du patrimoine, et je sais que nombreux sont les élus locaux qui partagent ce sentiment.
Maire d'une cité ancienne pendant quinze ans, j'ai mené une importante politique de rénovation, de réutilisation et de mise en valeur du patrimoine local, qui nous a valu le prestigieux label de ville d'art et d'histoire.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Très justifié !
M. Jacques Legendre. Je peux vous assurer que cette action m'a donné certaines de mes plus grandes satisfactions.
C'est vous dire quelle a été mon inquiétude quand des informations nous sont parvenues, au début de l'été, indiquant que l'essentiel des restrictions budgétaires auxquelles était soumis votre ministère, comme tous les autres, frappait les crédits du patrimoine. J'avais d'ailleurs été de ceux qui avaient tenu à vous faire part de leurs craintes par le moyen de questions écrites. Votre réponse, alors, je dois l'avouer, ne m'avait guère rassuré.
Je me réjouis que votre bonne volonté, votre quasi-complicité et la tenace détermination de M. Maurice Schumann, auquel il faut rendre hommage, aient permis d'apporter à nos préoccupations une réponse plus intéressantes et, disons-le, plus substantielle.
Pour seconder vos efforts et vous aider dans vos arbitrages internes comme dans vos rapports avec Bercy, je souhaite dire ici à haute voix, et fort heureusement après bien d'autres, que si les vieilles pierres ne défilent pas, elles ont au Parlement des amis passionnés et capables de mobilisation parce que le patrimoine, c'est beaucoup de l'âme de notre pays.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jacques Legendre. L'âme de notre pays, monsieur le ministre, s'exprime aussi très largement par sa langue.
Vous n'êtes plus à la tête du ministère de la culture et de la francophonie, mais vous avez montré, cette année encore, votre souci d'être le ministre de la langue française, ce dont je tiens à vous remercier.
Il vous revient tout d'abord, avec le concours actif de la délégation générale à la langue française, de veiller à l'application de la loi qui porte le nom de votre prédécesseur, M. Toubon.
Les décrets d'application ont tous été pris et la loi commence effectivement à s'appliquer. Je veux simplement souhaiter que la volonté du Gouvernement ne se relâche pas quant à cette application.
Cette loi était une nécessité. Des témoignages venus de milieux qui l'ont redoutée, et même parfois caricaturée, tels les publicitaires, en apportent la preuve. C'est ainsi que M. Seguela, dans un entretien accordé au Figaro Magazine du mois d'août, découvrait l'intérêt économique de l'expression en français.
A l'occasion du festival de la publicité qui se tenait à Cannes, il dénonçait l' « anglosaxonite » qui, une fois de plus, triomphait au détriment de la France.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Il a eu raison !
M. Jacques Legendre. Et il déclarait : « Pourquoi ne pas faire respecter chez nous notre langue ? »
Mieux vaut tard que jamais ! La francophonie sur le chemin de Damas, voilà qui est intéressant ! (Sourires.)
Quelques résultats, mais bien peu, peuvent être relevés dans notre environnement.
AOM se voulait the french airlines ; elle se définit maintenant comme « lignes aériennes françaises ». N'est-ce pas tout de même plus satisfaisant ? (Nouveaux sourires.)
Il faut toujours être attentif à ce que soit autorisé - je dis bien : « autorisé » - l'usage du français dans les colloques, en particulier scientifiques, qui se passent... en France.
Un regret tout de même : alors que le Premier ministre a prescrit aux administrations de respecter l'obligation d'utiliser notre langue, la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations ont profité d'un texte, qui n'avait rien à voir avec la langue, pour faire préciser en catimini qu'elles n'étaient pas concernées par les stipulations de la loi sur la langue. Je crains que ce ne soit pas la meilleure façon de maintenir ce qui peut être maintenu de l'usage du français dans les institutions financières internationales !
Mais je voudrais ici me réjouir - et vous en féliciter - de la mise sur pied d'un observatoire de la langue française, présidé par M. Yves Berger. Notre commission des affaires culturelles avait, il y a deux ans, déjà souhaité une telle création.
J'ai lu aussi avec beaucoup d'intérêt le rapport de la délégation générale à la langue française sur la situation de la langue française dans les institutions internationales. Cette délégation étant placée sous votre autorité, ce rapport mérite bien d'être évoqué ici.
Le Président de la République a dit à différentes reprises que l'avenir du français comme langue internationale se jouerait dans les institutions européennes. Or le rapport confirme que le rôle du français dans les institutions de l'Union est de plus en plus remis en cause.
Quelques observations me paraissent, à cet égard, particulièrement inquiétantes, et il est bon de les évoquer ici, publiquement, au Sénat :
« Lors des réunions avec les pays tiers, l'anglais est systématiquement privilégié comme langue de communication unique de l'Union.
« Certains services de la Commission utilisent exclusivement la langue anglaise pour la soumission et le suivi des appels d'offres des programmes PHARE et TACIS. »
Je rappelle que c'est par le biais de ces programmes qu'agit l'Union européenne dans la CEI ou dans les pays d'Europe centrale, tels que la Hongrie et la Pologne, qui ont vocation à entrer dans l'Union européenne.
Et le rapport poursuit : « De telles pratiques nuisent gravement aux intérêts des entreprises et organismes non anglophones. »
A cela, il faut ajouter que les documents issus des cabinets de consultants travaillant pour l'Union européenne sont presque exclusivement rédigés en anglais.
La semaine dernière, notre ambassadeur à Beyrouth me disait sa colère quand des consultants envoyés au Liban et payés par l'Union européenne exigent des Libanais qu'ils ne débattent avec eux qu'en anglais. Quel signe extérieur donne là l'Union européenne de la place de la langue française en son sein !
Le résultat de tout cela est clair : l'anglais va de plus en plus être perçu comme la langue des relations extérieures de l'Union européenne, et le français aura alors perdu le principal argument qu'il pouvait faire valoir pour rester une langue internationale : son rôle très important pour entrer en rapport avec l'Union européenne.
Monsieur le ministre, vous avez montré beaucoup d'opiniâtreté pour que le français garde sa place au jeux Olympiques d'Atlanta. Vous y êtes parvenu, grâce à une mobilisation et une détermination exceptionnelles.
Il faut que vous incitiez le Gouvernement tout entier à faire preuve d'une identique détermination, quitte à aller éventuellement jusqu'à l'incident, pour que le français garde son rôle dans l'Union européenne.
Je tenais aujourd'hui à vous le dire, monsieur le ministre de la culture, persuadé que vous aurez à coeur de participer à ce combat et de continuer à justifier ainsi l'appellation que je me plais à vous donner de ministre de la langue française. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du projet de budget est toujours l'occasion de prendre un peu de recul, de manière à ne pas envisager seulement des évolutions comptables et à mieux percevoir l'enracinement de nos projets dans les réponses à apporter aux défis de la société.
Aux défis sociaux qui ont été évoqués tout à l'heure et dont je mesure toute l'importance, j'ajouterai d'autres défis, de caractère peut-être plus enthousiasmants - encore que les défis sociaux soient également des plus motivants -, ceux qui ont trait aux innovations technologiques particulièrement stimulantes pour l'esprit : je pense ici, bien sûr, à l'audiovisuel et au multimédia.
Il ne s'agit point pour moi d'anticiper la réflexion sur le budget de la communication ; je veux seulement mettre en relief l'articulation existant entre le secteur du multimédias et la culture. Car, comme d'autres intervenants, je suis convaincu que les secteurs du multimédia et de l'audiovisuel ne doivent pas être abordés sous un angle exclusivement technique. Je pense même qu'une telle approche sera de moins en moins pertinente, et les derniers contacts que nous avons pu avoir le confirment : les questions relatives au support et au coût d'accès vont progressivement se diluer pour laisser la première place - la place de majesté, pourrait-on dire - à la problématique du contenu.
A travers les contenus, c'est bien évidemment la question du français et, au-delà, de la vision française et européenne du monde qui va émerger de la confrontation des différentes cultures.
J'ai le sentiment que les jeunes générations et a fortiori les générations à venir accéderont à la culture, au moins dans un premier temps, par la voie audiovisuelle et multimédiatique. Je me crois donc parfaitement fondé à évoquer ces questions à l'occasion de cette discussion sur le budget de la culture.
Dès lors, nous devons mener une réflexion sur l'évolution des contenus et sur le rôle de l'Etat en la matière. Pour autant, cette réflexion ne se confond pas avec celle dont le service public doit faire l'objet. Les deux démarches doivent être parallèles.
En outre, se pose la question non moins importante du rapport entre les contenus multimédiatiques et les autres formes d'expression : il s'agit au fond de savoir comment les nouveaux médias peuvent servir les arts plastiques, la musique, le théâtre, le cinéma, etc.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Voilà un vrai sujet !
M. Jean-Paul Hugot. Je souhaite que ces questions soient traitées non pas en annexe d'un budget de la communication, mais bien comme un point nodal du budget de la culture.
A mon sens, monsieur le ministre, cela devrait d'ailleurs déboucher sur un débat national. Sachez en tout cas que c'est bien volontiers que nous prendrions part à un débat parlementaire qui serait consacré à ce dossier.
En outre, le fait de poser le problème en ces termes revient à poser différemment celui de l'Europe de la culture. Je songe ici non pas à l'émergence d'une culture européenne, qui ne nous a pas attendus pour assurer la libre circulation des talents, mais plutôt à un débat qui nous est commun et qui consiste, face à d'autres pays, voire à d'autres continents particulièrement agressifs, à assurer à l'Europe les moyens d'exister sur le plan culturel.
Après cette rapide introduction, j'aborderai deux points qui concernent l'environnement culturel et la transmission de la culture.
Je reste convaincu que le débat sur la transmission de la culture et la création n'a pas de fondement authentique. Ceux qui envisageraient une politique d'aide à la création coupée de la transmission de la culture laisseraient supposer que la création culturelle partirait de rien et déploierait toutes les nuances de l'imagination sans aucun fondement. Il est bien clair que la culture humaine est cumulative et qu'elle se déploie sur l'acquis. C'est la raison pour laquelle il ne saurait y avoir de développement culturel qui ne soit fondé sur la notion de transmission et, par là-même, vous en conviendrez, monsieur le ministre, sur celle de patrimoine.
Je tiens d'ailleurs à ne pas limiter cette notion de patrimoine au patrimoine monumental. Il faut également prendre en compte la qualité de l'environnement culturel.
De ce point de vue, j'exprimerai un regret et deux motifs de satisfaction.
Je regrette bien évidemment la diminution des aides au patrimoine monumental. Je n'insisterai pas davantage. Je crois savoir que des efforts vont être déployés en ce domaine, et nous nous associons au souhait pressant, monsieur le ministre, de voir réaliser un plan programme patrimonial sérieux et respectant les échéances. Si, cette année, quelques divergences apparaissent, retrouvons rapidement notre rythme de croisière. Mettons à profit ces divergences pour préparer, d'ici à deux ans, un nouveau plan quinquennal. Nous serions ainsi complètement rassurés.
Mais, s'agissant d'environnement culturel, vous apportez deux éléments positifs sur lesquels je souhaite insister. Tout d'abord, qu'est-ce que l'aide à l'architecture sinon la volonté d'avoir une qualification toujours plus poussée en matière d'environnement et d'avoir, à côté de monuments historiques, des oeuvres contemporaines qui soient d'un bon niveau tant en termes de création qu'en termes de qualité de l'environnement ? Je considère donc, monsieur le ministre, que les efforts accomplis en faveur de l'architecture profitent à tout le moins au patrimoine de demain, et je les mets donc bien volontiers à votre actif.
S'agissant de la Fondation du patrimoine, j'en sais suffisamment pour vous confirmer, monsieur le ministre, que les forces qui peuvent être sollicitées pour accompagner le beau projet que votre prédécesseur et vous-même avez souhaité mettre en place sont prêtes à se mobiliser.
Nous savons qu'il faut suivre une procédure. Nous attendons un décret qui ne saurait tarder ; peut-être allez-vous d'ailleurs nous donner quelques précisions à ce sujet. J'espère qu'après avoir parlé de mois puis de semaines nous pourrons parler de jours.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses.
Je crois deviner dans votre volonté de renforcer, à l'échelon régional, les moyens humains de vos DRAC un avant-signe d'une coopération que nous attendons avec impatience.
S'agissant de la transmission, le patrimoine est bien évidemment essentiel, qu'il soit monumental, bâti ou, pour reprendre la formule de M. Rigaud, immatériel.
Je souhaite maintenant insister sur l'option politique que nous avons choisie, à une très large majorité, et qui tend à confirmer et à développer ce que le chef de l'Etat appelle la citoyenneté culturelle. En effet, il s'agit bien, en matière d'enseignement artistique et d'éducation culturelles, de rendre accessibles à tous les oeuvres majeures de notre pays et de l'humanité.
Cela dit, il s'agit, à travers ces oeuvres, de permettre à chacun d'accéder aux technologies et de pouvoir se former un sens critique.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger, ainsi que les membres du Gouvernement qui partagent avec vous cette responsabilité, sur l'enseignement artistique. Je ne vous cache pas que les élus locaux que nous sommes - c'est aussi l'une de mes casquettes - sont engagés dans une phase expérimentale dont nous souhaiterions connaître la finalité. En effet, à l'invitation de vos collègues de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, ainsi que sur la vôtre, nous approfondissons des démarches de type associatif tendant à rendre l'enseignement artistique et l'éducation culturelle toujours plus accessibles à tous.
Cependant, je constate que le chef de l'Etat ne cesse d'évoquer l'enseignement artistique non pas comme une action laissée à la libre appréciation des partenaires de terrain, mais, selon sa propre formule, comme un grand plan national impliquant largement l'éducation nationale. Il parle de formation des maîtres et de modification des programmes, tant et si bien que les élus se réjouissent de la perspective d'une nouvelle grande réforme qui, après la formation de l'intelligence, permettra à chacun de former sa sensibilité. Nous pensons que nous assumerons ainsi les responsabilités d'un grand service national.
Nous nous demandons donc si les expériences auxquelles nous sommes invités à participer ont pour objet d'essayer « sur le terrain », au sens où l'entendaitMontaigne, différentes modalités de sensibilisation. Il faut se demander si l'environnement local est le meilleur facteur de mobilisation des jeunes à l'égard de la culture - c'est mon point de vue - ou bien si l'expérimentation à laquelle nous procédons n'est pas plutôt une sorte de clé de répartition financière dont la part la plus importante reviendrait aux collectivités locales, l'Etat assurant, en la matière, un financement complémentaire et, en toute hypothèse, un rôle d'impulsion, de contrôle, voire d'évaluation.
Pour avoir participé à de nombreux groupes de travail traitant aussi bien des rythmes scolaires que de l'éducation artistique - vous ne serez sans doute pas surpris que nous puissions nous-mêmes être désarçonnés par la diversité des sources gouvernementales - je souhaite savoir si l'enseignement artistique constitue l'un des grands projets du septennat tendant, dans des délais raisonnables, à permettre à tous nos jeunes concitoyens, quelles que soient les volontés ou les difficultés locales, d'avoir accès à la culture.
Sur ce point, nous avons besoin d'assurances, et je vous remercie de bien vouloir donner un sens aux propos tenus récemment en public par le chef de l'Etat. Nous sommes invités à créer « une démocratie culturelle » et nous y adhérons fort volontiers, tout en sachant, pour reprendre une formule que j'ai relevée dans le rapport de la commission Rigaud que vous avez fort opportunément mise en place, monsieur le ministre, que le problème ne réside plus dans la mise en oeuvre d'une action culturelle en faveur d'un public.
En effet, nous savons qu'une culture populaire ne manque pas de trouver rapidement ses limites, puisqu'elle ne concerne que quelques millions de Français. En effet, la communauté culturelle reconnue aujourd'hui ne regroupe guère plus de 8 millions de personnes. En revanche, nous devons véritablement mettre en oeuvre une politique culturelle pour le peuple, ...
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Il le faut !
M. Jean-Paul Hugot. ... c'est-à-dire une politique qui ne peut en aucune façon faire l'impasse sur quelque catégorie de population que ce soit. N'est-ce pas d'ailleurs la meilleure façon d'éviter le déploiement de cultures non pas marginales, car elles ont toutes le droit d'exister, mais de réaction, comme si plusieurs types de citoyenneté culturelle existaient, ce qui ne serait pas très normal ?
Je souhaite que vous répondiez à ces quelques questions, monsieur le ministre.
Je vous remercie d'avoir pris en compte les problèmes d'environnement culturel dans votre budget. Comme je le disais tout à l'heure, peut-être y aura-t-il une évolution en matière de patrimoine monumental. En tout cas, je constate que les choses vont dans le bon sens en ce qui concerne l'architecture et la Fondation du patrimoine.
En termes de citoyenneté culturelle et d'enseignement artistique, je sais que le ministère de la culture, avec un budget de 1,3 milliard de francs, engage des efforts considérables et joue vraiment un rôle de locomotive. Nous avons besoin d'y voir clair dans ce domaine, nous voulons savoir si les quatre prochaines années verront la mise en place d'un service public national.
Je vous remercie enfin d'avoir, par le biais de la commission sur la refondation du ministère de la culture, dont le rapport est passionnant, ouvert la possibilité d'un prochain débat parlementaire sur cette politique culturelle qui me paraît nécessaire compte tenu des changements que nous vivons et, par là même, sur la nécessité de redéfinir des perspectives pour la vie et l'action culturelles. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le ministre, je crois que je n'ai pas besoin d'expliquer, au terme de ce débat, quel est le sens de l'avis émis par la commission des affaires culturelles.
Vous avez compris qu'il s'agissait, monsieur le ministre, non pas de vous convaincre, mais de convaincre vos interlocuteurs et les nôtres que l'amputation sévère des crédits du patrimoine et l'étalement sur trois ans des deux dernières années de la loi de programme n'étaient pas acceptables.
La commission des affaires culturelles a considéré que la mesure n'était compatible ni avec les devoirs de l'Etat, ni avec les attentes des collectivités ou des particuliers propriétaires, ni avec la situation de l'emploi. Je n'y reviens pas, les différents intervenants, notamment M. Schumann, au nom de la commission des finances, et MM. Nachbar et Vidal, au nom de la commission des affaires culturelles, s'étant longuement exprimés à ce sujet. Nous savions parfaitement ce que nous ne pouvions pas accepter.
Monsieur le ministre, nous attendons de vous l'annonce évoquée tout à l'heure par M. Schumann, que je tiens, moi aussi, à remercier tout particulièrement. Nous nous sommes associés à ses efforts. J'espère que nous nous réjouirons des propos que vous allez tenir et qui permettront à la majorité de la commission de voter sans réticence votre projet de budget, monsieur le ministre.
Lorsque vous êtes venu devant la commission, vous nous avez exposé avec beaucoup de précision les mesures envisagées pour que l'activité des entreprises soit maintenue à un niveau suffisant et pour que le nombre des chantiers ouverts ne s'effondre pas.
Vous voulez augmenter le taux d'engagement des autorisations de programme ouvertes en 1997 et utiliser celles qui sont disponibles sur les exercices antérieurs. Ces intentions sont certes louables, monsieur le ministre, mais le résultat est tout de même incertain dans la mesure où Bercy - il faut bien le nommer - qui vous reproche de ne pas consommer vos autorisations de programme, sait aussi, il faut bien le dire, faire ce qu'il faut pour que ce résultat soit obtenu.
Il serait intéressant par exemple de regarder comment ont été délégués les crédits de paiement en 1995 et en 1996, et nous savons bien qu'en ce domaine votre responsabilité n'est pas, si je puis dire, entière.
La vigilance est donc d'autant plus nécessaire, monsieur le ministre, que la complexité des procédures joue toujours dans le même sens. Je veux insister sur ce point après certains orateurs qui viennent de s'exprimer : simplifiez, nous vous en supplions, et accélérez les procédures !
Pour vous y aider, la commission des affaires culturelles souhaite que vous acceptiez de venir devant elle faire le point de la consommation de vos crédits en cours d'exercice. Nous confronterons les informations que vous nous donnerez à celles que nous recueillerons à la base en voyant s'ouvrir ou être différés les chantiers qui nous intéressent.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Excellente idée !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. J'ai parlé de vigilance. Oui, il faut être vigilant dès cette année, pour l'année prochaine, monsieur le ministre, car, permettez-moi d'insister sur ce point, nous aurions bien du mal à accepter d'être soumis en 1998 au même régime qu'en 1997. Ce qui est difficile à admettre pour une année est insupportable pour trois années.
Nous attendons donc aussi de vous que vous affirmiez votre volonté de faire en sorte que, en 1998, les crédits concernant le patrimoine retrouvent un niveau exprimant une véritable ambition nationale.
Monsieur le ministre, la conscience patrimoniale s'est éveillée tard et progressivement chez nous. François 1er n'hésita pas à faire raser au Louvre le donjon de Philippe Auguste et, deux cent cinquante ans plus tard, l'abbé Grégoire inventa le mot « vandalisme » pour dénoncer la rage de détruire, avant que la Convention, enfin ! promulgua un décret protecteur. Au vandalisme a longtemps succédé l'insouciance ou l'impuissance.
Les lois de programme relatives au patrimoine monumental sont le dernier moyen que s'est donné la puissance publique pour que - j'utilise ici Michelet - « la France continue à travers ses monuments à se voir elle-même dans son développement de siècle en siècle et d'hommes en hommes ».
N'acceptons pas que la dernière loi de programme votée en la matière, à l'application de laquelle nous avons à veiller, perde de son efficacité.
Nous discutons du budget de la culture et je ne veux pas, moi non plus, terminer ce propos sans évoquer, comme vient de le faire mon collègue Jean-Paul Hugot, une interview récente du Président de la République. En effet, plus les temps sont difficiles et plus les moyens sont restreints, plus l'ambition qui sous-tend la volonté des responsables politiques doit être forte et exigeante. M. Jacques Chirac affirme sa volonté, cela a été dit, de promouvoir la « démocratie culturelle » et de donner « à chacun les clés de notre patrimoine commun ».
Il y a, dans votre budget, des traces de ce grand dessein. Trop rares et faibles, elles constituent néanmoins comme des signes d'espoir. Je fais allusion, par exemple, aux crédits qui seront consacrés à la lutte contre l'exclusion, cela a déjà été indiqué lors des interventions précédentes.
Le temps me manque pour parler des enseignements artistiques, mais je souhaite reprendre à mon compte les demandes d'élucidation présentéees tout à l'heure par notre collègue Jean-Paul Hugot, ainsi que son souhait d'une définition claire des rôles respectifs des collectivités et de l'Etat et d'une culture qui s'adresse non pas à quelques millions de citoyens, mais à tous les citoyens. Ce sera, n'en doutons pas, une oeuvre de longue haleine, mais raison de plus pour commencer vite. Nous avons déjà perdu beaucoup de temps !
Monsieur le ministre, je voyais un jour, en un lieu que vous connaissez, La Chaise-Dieu, un groupe de jeunes passer indifférent devant la « Danse macabre ». Je m'en offusquai d'abord, mais je me dis ensuite que nous n'avions pas fait assez, loin de là, pour que les jeunes Français ne restent pas devant les grandes oeuvres sans curiosité et sans émotion. Les guider sur la voie qui leur permettra d'y accéder, c'est sans doute difficile, mais c'est la plus belle des ambitions. Nous souhaitons que ce soit celle du Gouvernement, donc la vôtre, monsieur le ministre, et nous vous soutiendrons dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord vous remercier de la qualité des contributions que vous avez apportées au débat relatif au projet de budget de mon ministère.
Je commencerai mon intervention par une donnée chiffrée générale, qui répond d'ailleurs à quelques-unes de vos questions : pour 1997, le projet de budget qui vous est présenté s'établit à 15,1 milliards de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement, soit environ 0,97 % du budget de l'Etat.
L'examen des crédits de l'ensemble des départements ministériels auquel vous êtes en train de procéder souligne l'étroitesse des marges de manoeuvre au sein desquelles le Gouvernement peut se mouvoir.
Comme tous mes collègues, j'ai dû prendre en compte une mesure décidée, à titre exceptionnel, par le Gouvernement face aux contraintes - que l'on ne saurait sérieusement nier - qui pèsent sur le budget de l'Etat : l'allongement d'un an de la durée d'application de la loi de programme relative au patrimoine monumental et des contrats de plan Etat-région. Je veillerai toutefois à ce que cette mesure ne vienne mettre en péril ni la restauration des monuments les plus fragiles ni le volume global des chantiers de restauration qui seront ouverts en 1997.
Pour cela, et en réponse aux inquiétudes qui ont été exprimées notamment par MM. Schumann et Gouteyron, le Gouvernement a décidé d'abonder de 70 millions de francs le budget de cette loi de programme. Je vous proposerai de voter un amendement en ce sens.
Au-delà de cette mesure budgétaire, un effort très réel de gestion sera mis en oeuvre par mes services pour maintenir au même niveau les crédits que l'Etat pourra engager pour la rénovation des monuments historiques. Cet effort passera par une meilleure mobilisation, au niveau central comme au niveau déconcentré, des autorisations de programme ouvertes en faveur du patrimoine monumental par les lois de finances successives et par une plus grande utilisation des crédits européens.
Il est un autre aspect, plus spécifique à mon département ministériel, qui explique la diminution des crédits d'investissement : la baisse naturelle des crédits destinés aux grands travaux.
Je souligne d'ores et déjà - j'apporterai des précisions sur ce point ultérieurement - que les moyens d'intervention, qui avaient crû de 400 millions de francs l'an dernier, seront consolidés.
Ces chiffres étant donnés, il faut revenir aux grands principes qui sous-tendent la politique que j'entends mener : sauvegarde du patrimoine dont la nation est le dépositaire ; soutien, dans le pluralisme et la tolérance, de la création artistique ; enfin, égalité d'accès à la culture.
Je suis persuadé non seulement que l'Etat doit inscrire son action dans la continuité, mais également qu'il doit le faire selon une politique volontariste d'équipement, de diffusion et d'enseignement artistique pour répondre à ce grand dessein : rendre la culture accessible à tous, comme vient de le dire M. Gouteyron.
Au début de l'année 1996, j'ai demandé à M. Jacques Rigaud d'animer une réflexion collective sur ce que j'ai appelé la refondation du ministère de la culture, réflexion dont il fut tout de suite convenu qu'elle n'aurait de sens que si elle était parfaitement pluraliste et entièrement libre.
Il en est découlé - vous avez raison, monsieur Ralite - un rapport riche de propositions, dont les moindres ne sont pas celles qui sont relatives à la répartition des compétences culturelles entre l'Etat et les collectivités locales.
J'ai l'ambition que le Sénat et l'Assemblée nationale débattent de la notion même de mission de service public culturel, à un moment qui nous laisserait plus de temps que celui que nous offre le calendrier de la procédure budgétaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Il est devenu essentiel, sur des questions dont certaines touchent les racines mêmes de notre vouloir vivre ensemble, de prendre le temps de la réflexion. Je souhaite vivement, dans notre époque pressée, que l'action ne devienne pas précipitation et que le média ne soit pas notre horizon immédiat.
La mission du groupe animé par M. Jacques Rigaud était d'abord d'écouter. Mon ministère est, par essence, à l'écoute des milieux professionnels. Je sais que l'on dit parfois, çà et là, qu'il l'est trop. Permettez-moi de m'élever contre cette interprétation : la création, dans ce qu'elle a de plus exigeant, de plus complexe, de plus choquant parfois, n'a pas trop lieux où s'exprimer. Je suis heureux et fier que mon ministère soit de ceux-là.
Cette mission nous enjoint d'être à l'écoute de nos publics, et aussi de ce que les sociologues appellent nos non-publics.
Le terme n'était pas à la mode à l'époque de Jean Vilar, mais c'était bien aux mêmes que s'adressait le TNP lorsqu'il voulait - et il y parvenait ! - faire entendre et, surtout, faire aimer Racine, Shakespeare ou Claudel à ceux qui n'avaient pas l'habitude de fréquenter la Comédie française. Cette mission nécessite que nous fassions de l'aménagement culturel du territoire notre priorité.
Je suis particulièrement attaché, vous le savez, en tant que ministre, mais aussi en tant qu'élu d'une ville moyenne, éloignée de la capitale, à ce que le ministère de la culture rééquilibre ses actions au profit du terrain local, et ce en matière aussi bien d'interventions que d'équipements. Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons, le succès de cet objectif passe par un fort volontarisme dans nos choix, qu'il s'agisse de l'équipement ou de l'aide au fonctionnement.
Ce sont donc deux tiers des crédits d'équipement pour 1997, madame Pourtaud, qui seront consacrés à cet effort de rééquilibrage, effort qui mettra l'accent sur deux types d'équipements culturels qui se trouvent, en quelque sorte, aux deux bouts de la chaîne : les équipements lourds, qui constituent la clé de voûte du réseau culturel, et les équipements de proximité, qui en assurent l'irrigation.
Des institutions nouvelles seront donc construites en région ; M. Schumann les a évoquées.
Il s'agit de la maison de la mémoire des archives de la Ve République, à Reims. Ce projet, que je conduis avec le ministre de la défense, viendra compléter le réseau des centres des archives nationales implantées hors de Paris, à savoir les centres de Fontainebleau, de Roubaix, d'Aix-en-Provence et d'Espeyran.
En outre, le Centre national des costumes de scène sera accueilli à Moulins, dans l'ancienne caserne Villars.
L'Etat aidera également les collectivités territoriales à édifier les équipements ambitieux qui peuvent contribuer à leur rayonnement tant culturel que touristique et économique : ce sera le cas de l'auditorium de Dijon et du musée d'art contemporain de Toulouse. L'ensemble de ces opérations s'inscrit dans le programme des grands projets en région ; plus de 200 millions de francs y seront consacrés l'an prochain.
Au-delà de ces projets ambitieux, l'Etat doit aussi, au quotidien, aider les collectivités territoriales à réaliser leurs projets. Ces dernières n'apportent-elles pas autant d'argent public au financement de la culture que tous les ministères réunis ?
La mission de l'Etat est de contribuer, chaque fois qu'il le peut, à apporter non seulement son expertise, mais aussi la participation financière qui permettra à tel projet de salle municipale ou de lieu de diffusion musicale de se concrétiser, ou à tel musée de se moderniser.
Je propose de réserver 175 millions de francs pour ce type d'opérations, au plus près des besoins des populations éloignées de l'offre culturelle, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain difficile.
Cette réorientation, centrée autour des publics réels et potentiels de la culture, passe par une réflexion de fond sur les voies de l'accès à la culture, qui débouche inévitablement sur ce besoin, éclatant, évident, et encore insatisfait, d'éducation artistique et de sensibilisation culturelle.
Je consacrerai plus de 160 millions de francs l'an prochain aux publics défavorisés. L'expérience des projets culturels de quartiers a été lancée cette année, monsieur Schumann. Elle porte ses premiers fruits. Cet élan ne sera pas brisé ; je soutiendrai les initiatives les plus originales, les plus prometteuses, comme la transformation de la friche de la Belle de mai, à Marseille, en pôle de développement culturel et économique.
Je vous invite, les 9 et 10 février prochain, à venir à la Villette, mesdames, messieurs les sénateurs, pour y voir l'ensemble de ces projets culturels de quartier. Les auteurs « monteront », comme l'on dit, à Paris pour s'exprimer et montrer leurs réalisations depuis un an. Nous avons considéré l'ensemble des jeunes et des moins jeunes de ces quartiers défavorisés non pas comme des spectateurs de la culture mais, au contraire, comme des acteurs.
M. Eckenspieller parlait tout à l'heure du film réalisé par Paul Vecchiali avec des jeunes, et qui a été projeté à Venise. Il est parti d'un quartier difficile de Mulhouse. Personne ne croyait qu'on y parviendrait ! Je pourrais citer aussi, bien sûr, Christiane Véricelle à Lyon, qui fait danser plusieurs centaines d'adolescents dans un quartier difficile, ou encore Armand Gatti à Sarcelles. Tels sont les projets de quartier !
Je veillerai également à mettre en place des politiques tarifaires qui facilitent l'accès des jeunes à des représentations, à des expositions, à des concerts. J'intensifierai les actions lancées pour apporter la culture à ses publics les plus improbables, car éloignés de ses réseaux traditionnels : incarcérés, malades, handicapés, personnes âgées.
A M. Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles, je dirai que j'ai voulu que ce projet de budget mette l'accent sur les enseignements artistiques ; j'y reviendrai. Il s'agit d'une tâche fondamentale, que le ministère de la culture ne saurait accomplir seul. Il faut une mobilisation nationale, à commencer par celle de l'Etat tout entier.
Aujourd'hui, il importe de renforcer la coordination des initiatives entre mon département ministériel, celui de l'éducation nationale, celui de la jeunesse et des sports, ainsi que la coordination des initiatives des collectivités territoriales.
Le ministère de la culture peut intervenir selon deux axes.
Il s'agit, d'abord, de la formation supérieure des artistes, des créateurs, des architectes de demain. Il est indispensable, à cet égard, de mieux préciser le cadre dans lequel s'inscrivent les compétences de l'Etat et celles de ses partenaires, à commencer par les collectivités territoriales.
Je voudrais commencer ce travail par l'enseignement de la musique et de la danse : je vous proposerai, l'année prochaine, de débattre d'une loi-cadre.
M. Denis Badré. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. L'Etat doit, en outre, veiller à donner à tous les médiateurs professionnels de la culture la meilleure formation possible, formation initiale comme formation permanente. C'est pourquoi l'Ecole du Louvre sera érigée en établissement public autonome. Cela explique aussi les 8 millions de francs supplémentaires que je consacrerai à la formation continue des professionnels, au développement de nouvelles formations pour les créateurs et à la sensibilisation des publics scolaires.
C'est la raison pour laquelle, enfin, j'augmenterai de 26 % les crédits de fonctionnement alloués aux écoles d'architecture, qui m'ont été transférées l'an dernier, tout en consacrant 57 millions de francs à la rénovation de leur équipement.
J'en viens ainsi à l'architecture. Le retour de ce secteur au sein de mes compétences ministérielles est, j'en suis sûr, l'occasion d'un ressourcement.
C'est pourquoi j'ai décidé de confier cette attribution à une direction autonome, non pas que je pense que l'architecture soit antinomique du patrimoine. Les services départementaux de l'architecture s'appelleront d'ailleurs désormais « services départementaux de l'architecture et du patrimoine ».
Mais je crois, comme Malraux, que l'architecture est l'art le plus immédiat, le plus proche de notre quotidien et que sa prise en compte doit être l'épine dorsale d'une politique culturelle.
Je place résolument l'architecture au coeur de ce projet de budget pour 1997. Hors écoles d'architecture, ses crédits augmenteront de plus de 20 %, ce qui permettra de multiplier par deux les actions de promotion et de diffusion, et par sept celles qui visent à développer la sensibilisation à l'architecture et la formation professionnelle.
Les moyens des services départementaux de l'architecture et du patrimoine seront accrus de 12 % et je consacrerai 18 millions de francs à leur équipement. Enfin, je doublerai le soutien aux secteurs sauvegardés et aux zones de protection du patrimoine architectural et urbain, pour donner un nouveau souffle à la grande oeuvre lancée par Malraux en 1964.
Cet effort sans précédent ne me conduit pas, pour autant, à négliger l'appui que mon département doit apporter aux institutions qui ont su gagner et fidéliser leur public. C'est le sens du maintien à un niveau historiquement très élevé des crédits d'intervention dont je dispose.
Je poursuivrai, en effet, la politique de contractualisation des relations entre l'Etat et le réseau théâtral français, politique qui, à mes yeux, a valeur d'exemple car elle permet un engagement réciproque en faveur d'une offre culturelle de qualité vers le plus large public.
Les théâtres lyriques en régions, les grandes institutions chorégraphiques et musicales, les festivals de premier plan retiendront toute mon attention, comme en témoigne l'attribution récente du label d'Opéra national à l'Opéra du Rhin, après celui de Lyon.
Mais je veillerai, surtout, à soutenir les institutions les plus proches des publics, que ce soit en zone rurale ou en faveur de la chanson et du jazz, aujourd'hui formes majeures d'expression. En 1997, un « hall de la chanson » verra le jour au coeur du parc de la Villette, cet exemple quasi unique au monde de réussite d'intégration culturelle, architecturale et paysagère.
L'ensemble de ces actions, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais les mener sans m'efforcer d'inscrire la culture comme une dimension pleine et entière de l'activité gouvernementale.
J'inscris l'action du ministère de la culture dans le cadre de la réforme de l'Etat.
Les crédits déconcentrés augmenteront de 50 millions de francs l'an prochain. J'ai décidé d'accroître très significativement - plus de 17 % - les crédits d'intervention de la direction du patrimoine, afin que l'Etat puisse non seulement améliorer l'accueil dans les monuments historiques dont il a la charge, mais aussi développer son aide au réseau des routes historiques et des villes d'art et d'histoire, avec les collectivités.
Je souhaite également simplifier la gestion de procédures administratives et juridiques, tout en demeurant très vigilant à l'égard des spécificités de la matière dont j'ai la responsabilité.
Aussi bien en matière d'industries culturelles qu'en ce qui concerne notre patrimoine le plus fragile - je pense notamment aux vestiges archéologiques, dont notre civilisation ne peut effacer les traces au nom de la rationalité économique - ce ministère, oui, est le ministère des équilibres fragiles.
La recherche de l'équilibre entre liberté de création, nécessité de conservation et utilité sociale est au coeur de ma politique culturelle. J'emploie cette expression à dessein, avec ce qu'elle implique de volontarisme.
Il est vrai qu'une famille politique - dois-je d'ailleurs employer ce terme de famille ? - qui a eu l'occasion de montrer, dans plusieurs municipalités du Sud, sa conception de la liberté et de l'égalité culturelle, est hostile à l'idée même de politique culturelle, jouant sur les mots, comme a l'habitude de le faire son mentor, pour y lire je ne sais quelle culture d'Etat.
Prenons-y garde : un pouvoir, fût-il municipal, qui trie la pensée dans les bibliothèques, qui fait détruire au bulldozer des créations plastiques, n'a qu'un petit pas à faire pour écarter l'art « dégénéré » et la pensée dérangeante. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Que ce parti sache que nous ne le laisserons pas, que vous ne le laisserez pas, attenter, fût-ce d'un cheveu, à la liberté de création et d'expression, legs irremplaçable de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Je me battrai aussi, mais sur le terrain de la raison cette fois, contre ceux qui entendent laisser le marché réguler toute activité culturelle.
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je ne suis pas un fanatique de la réglementation, mais nous savons tous que l'absolue dérégulation, dans le domaine dont j'ai la charge, n'aboutirait, selon la formule célèbre de Lacordaire, qu'à laisser le « renard libre dans le poulailler libre ».
Avec votre appui, mesdames, messieurs les sénateurs, je défendrai dans les instances nationales et internationales l'exception culturelle. (M. le rapporteur spécial fait un signe d'assentiment.) Notre culture, notre langue, monsieur Legendre, notre création artistique sont des atouts exceptionnels, que nous ne pouvons laisser sans défense face aux risques d'écrasement et de nivellement qui découleraient de la destruction de pans entiers de notre législation culturelle.
Guidé par cette préoccupation, je consacrerai en 1997 plus de 80 millions de francs de crédits d'intervention et de soutien supplémentaires au secteur du cinéma et de l'audiovisuel. C'est avec votre aide que nous maintiendrons un mécanisme, les SOFICA, qui est essentiel à la production indépendante.
M. Pierre Laffitte. Bravo !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je ne laisserai pas non plus, monsieur Ralite, faire le procès de la dépense culturelle. Si l'acte culturel est parfois gratuit, il n'est jamais vain. Souvenons-nous, face à ceux qui ne s'y intéressent que pour en étudier la rentabilité, que le théâtre comme la démocratie sont des héritages de la Grèce classique.
Sachons leur dire non pas qu'il faut, dans ce domaine, dépenser sans compter - j'ai à cet égard, et mon département ministériel a été le pionnier en la matière, développé la politique d'évaluation - mais que, plus que jamais, nous devons tous ensemble comprendre que l'accès de tous à la culture, à toutes les cultures, constitue un approfondissement de la République. Ce que la IIIe République, république de bâtisseurs mûs par un idéal démocratique intact, a fait pour l'école, c'est à nous de le faire, en ce XXe siècle finissant, pour la culture.
Je voudrais maintenant répondre aux différents intervenants et à MM. les rapporteurs.
Je voudrais, après cette présentation du projet de budget de la culture pour 1997, revenir sur un point qui préoccupe, à juste titre, nombre d'entre vous. Je pense, bien entendu, aux crédits du patrimoine. Permettez-moi de m'y arrêter quelques instants.
Je connais, comme vous, l'effet multiplicateur des crédits de la loi de programme et les risques que fait peser sur les entreprises et sur la préservation de métiers hautement qualifiés la réduction des autorisations de programme qui seront ouvertes l'an prochain. Je suis parfaitement d'accord avec l'analyse macro-économique présentée par M. Eckenspieller. C'est pourquoi le Gouvernement, comme je vous l'ai dit, a décidé d'abonder de 70 millions de francs les crédits destinés au patrimoine. En cet instant, je souhaite, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, remercier M. Schumann de sa combativité, de son enthousiasme et de sa grande efficacité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Je n'ai pas été le seul !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je suis bien conscient que cette mesure budgétaire ne compense que partiellement la diminution des crédits. Toutefois, je pense que cet effort de rigueur qui nous est demandé devrait pouvoir être compensé par une meilleure utilisation, c'est-à-dire une utilisation plus rapide, des crédits ouverts, ainsi que par une plus grande mobilisation des crédits européens.
Vous conviendrez avec moi que ce qui compte au premier chef pour les entreprises, c'est le carnet de commandes, c'est-à-dire, au niveau de l'Etat, l'engagement de tranches de travaux.
Il faut d'abord travailler sur les autorisations de programme ouvertes en loi de finances pour qu'un montant plus important fasse l'objet d'engagements l'an prochain. Compte tenu de la spécificité des procédures de travaux sur les monuments historiques, pleinement justifiée par la nécessité de procéder à des restaurations adéquates, actuellement, environ 30 % des autorisations de programme ouvertes par la loi de finances de l'année font l'objet d'un engagement lors du même exercice budgétaire.
C'est très expliquable. A l'échelle d'une région, il faut programmer ces opérations, ce qui suppose une large consultation. Ensuite, il faut passer accord avec le propriétaire, généralement une commune ou une personne privée, sur les financements et le calendrier. Puis il faut conduire les études qui définiront le parti de restauration retenu. Cela prend beaucoup de temps, et c'est normal, car on ne restaure pas à la va vite !
La mobilisation des services et des partenaires - les collectivités territoriales ne sont pas les moindres - devrait nous permettre de fixer un objectif global d'engagement d'environ 40 %. En 1996, au vu des autorisations de programme ouvertes, le carnet de commandes issu des autorisations de programme « monuments historiques » ouvertes en loi de finances initiale devrait s'élever à environ 470 millions de francs. En 1997, à taux d'engagement constant, il s'élèverait à 310 millions de francs. Le passage à un taux moyen d'engagement de 40 % permettra de mobiliser 100 millions de francs de plus, et donc de quasiment compenser la baisse des crédits.
Il faut aussi agir pour utiliser au mieux les crédits ouverts les années précédentes et non consommés à ce jour, comme le disait M. Schumann voilà un instant.
Je vais donc demander à mes services d'accélérer au maximum leur effort sur les autorisations de programme ouvertes les années antérieures, afin de maximiser le taux d'engagement sur ce stock déjà ouvert. Il reste actuellement environ 1 milliard de francs d'autorisations de programme déjà affectées à un programme précis de restauration, mais qui n'ont pas encore fait l'objet d'engagement. Ce travail d'accélération sur le stock existant permettrait de dégager entre 100 millions de francs et 200 millions de francs par rapport au rythme actuel d'engagement des crédits.
Il existe une troisième source qui devrait permettre de dégager des autorisations de programme pour de nouvelles opérations. Il s'agit des opérations qui sont terminées, ou en voie de l'être. Quand une opération est déclarée terminée, on rapproche la réalité des paiements constatés des autorisations de programme ouvertes. Dans certains cas, le montant total des paiements est inférieur au montant ouvert d'autorisations de programme. Ces reliquats d'autorisations de programme peuvent être réutilisés pour de nouveaux travaux. J'estime qu'un travail d'accélération des clôtures d'opérations permettrait de dégager environ 100 millions de francs.
Enfin, j'ai demandé aux préfets de mobiliser des fonds interministériels européens en faveur du patrimoine. Nous n'utilisons pas suffisamment ces sources de financement. Je pense que, là aussi, nous pouvons facilement mobiliser 100 millions de francs.
Ces efforts cumulés devraient donc permettre, d'une part, de maintenir le niveau d'engagement, et donc de commandes aux entreprises sur des opérations nouvelles, et, d'autre part, de les faire plus et mieux travailler sur les opérations en cours.
A ce prix, je pense pouvoir annuler l'impact récessif de la décrue des crédits de la loi de programme sur le patrimoine monumental.
Ainsi, le volume de travaux, ce qui compte vraiment dans la réalité, devrait être maintenu.
Afin de vérifier la consommation des crédits, j'ai mis en place, avec les entreprises de restauration, un comité de suivi.
Monsieur Gouteyron, je suis bien évidemment à la disposition de la commission des affaires culturelles pour faire un point en cours d'année sur le niveau des engagements.
Merci, monsieur Schumann, de la pertinence de la présentation que vous avez faite de mon projet de budget. Je voudrais, en quelques mots, essayer de lever vos inquiétudes, puisque vous avez divisé votre exposé en trois parties.
J'ai déjà longuement parlé du patrimoine et j'espère vous avoir convaincu.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial. Oui !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Merci !
J'en viens aux transferts.
Je vous donnerai un seul indicateur : depuis 1994, le ministère de la culture a vu croître de 1 milliard de francs le montant des crédits consacrés à ses compétences « traditionnelles », c'est-à-dire à champ de compétences inchangé. Par ailleurs, il s'est vu attribuer, c'est vrai, de nouvelles prérogatives, qui consolident son rôle et son influence : l'architecture - vous l'avez dit - la Cité des sciences et de l'industrie, la contribution de l'Etat au soutien des missions culturelles de l'audiovisuel public.
Cette année, il s'agit de la part de la dotation globale de décentralisation allouée par l'Etat aux bibliothèques publiques. Ces nouvelles compétences ne se font pas au détriment des compétences traditionnelles. Je pense qu'elles permettent de renforcer l'influence du ministère dont j'ai la charge, et je prendrai, à cet égard, l'exemple des bibliothèques.
Les atteintes au pluralisme auxquelles nous sommes confrontés sont venues souligner la nécessité d'une loi sur les bibliothèques dont le Gouvernement, sur ma proposition, a décidé la mise à l'étude, et que je souhaiterais vous présenter au second semestre de l'année 1997.
Même si la préservation et le renforcement du pluralisme ne sont pas le seul élément de mon projet de loi, ils constituent néanmoins un aspect important. En effet, avec la très grande majorité des élus et des professionnels, il nous faut pouvoir opposer une notion authentique du pluralisme des collections à la notion dévoyée que certains mettent en avant.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Au-delà de cet aspect, une loi sur les bibliothèques me paraît nécessaire pour construire l'offre documentaire du xxie siècle en établissant un réseau de grands établissements régionaux de la Bibliothèque nationale de France, pour renforcer la protection et l'enrichissement des fonds patrimoniaux, pour conforter la compétence des professionnels et leur présence à la tête des établissements de lecture publique et, enfin, pour refondre et réaffirmer la coopération des différentes collectivités publiques et collectivités locales.
C'est dans la perspective de l'élaboration de cette loi que la gestion des crédits de la dotation générale de décentralisation relative aux bibliothèques a été transférée à mon ministère pour le budget de 1997.
Monsieur Nachbar, comme vous, je suis très sensible au bon fonctionnement des grandes institutions culturelles.
A quoi cela rimerait-il d'avoir consacré des sommes aussi considérables aux grands travaux si ces établissements, une fois construits ou rénovés, devaient rester fermés ?
Ces économies sur le fonctionnement, lorsqu'elles sont réalisées sans discernement, ont souvent, d'ailleurs, des effets pervers : elles peuvent conduire à des travaux bien plus lourds de réhabilitation ; elles peuvent également être « antidémocratiques » lorsqu'elles conduisent à une restriction de l'accès au public. C'est pourquoi le Gouvernement, à ma demande, a décidé que les espaces grand public de la Bibliothèque nationale de France seraient ouverts le dimanche.
Je voudrais remercier M. Vidal d'avoir souligné, dans son rapport écrit, que le projet de budget préserve, pour l'essentiel, les moyens consacrés au cinéma.
S'agissant de la nouvelle législation sur l'ouverture des salles de cinéma dites « multiplexes », je tiens à vous préciser, monsieur le rapporteur, que c'est précisément pour veiller à ce que cette nouvelle législation ne conduise pas à freiner exagérément la modernisation des grandes salles de cinéma tout en atteignant son objectif, qui est la préservation des salles de quartier, que j'ai souhaité la participation des directeurs des directions régionales des affaires culturelles et des services du CNC à la procédure d'instruction des demandes.
Monsieur Othily, j'ai apprécié vos propos relatifs à l'identité culturelle de la Guyane, dans un équilibre complexe entre les valeurs nationales, les patrimoines culturels et toutes les composantes de la société guyanaise.
Sachez que je suis particulièrement attentif à la situation de la direction régionale des affaires culturelles de Guyane. Je répondrai brièvement et point par point à vos questions.
L'architecte des bâtiments de France, actuellement en poste en Guyane, l'est effectivement à tiers temps. Ce n'est pas suffisant. J'affecterai dans cette région un architecte à temps complet à partir de 1997.
S'agissant de la mise en place d'un système de défiscalisation pour la restauration des bâtiments classés et des anciennes maisons guyanaises, la loi Pons, en effet, ne s'applique pas à la restauration du patrimoine bâti. Compte tenu de l'intérêt qu'elle pourrait représenter pour la protection du patrimoine local et pour les emplois qui y sont liés, je pense comme vous qu'il conviendrait de réfléchir aux conditions de son extension à la restauration du patrimoine. C'est, à mon avis, une excellente idée.
La participation du ministère de la culture à la réalisation du contrat de plan a suivi le déroulement des actions programmées. Seules la complexité des projets et les difficultés de mise au point des programmes définitifs ont retardé la réalisation de l'école de musique.
La DRAC de Guyane a été créée en 1991. Elle est donc récente et en cours de renforcement.
Un conseiller pour le livre et un vérificateur, dont le recrutement est en cours, seront nommés en 1997, dans le cadre d'un programme pluriannuel de renforcement des effectifs.
Madame Pourtaud, je vous apporte effectivement une bonne nouvelle, selon votre formule, avec l'amendement en autorisations de programme visant à augmenter de 70 millions de francs les crédits du chapitre 56-20 « Patrimoine monumental », que je présenterai tout à l'heure, et dont j'ai parlé à plusieurs reprises. J'ai souhaité que nous puissions corriger au niveau du budget cette aide pour le patrimoine.
Je ne reviendrai pas sur la question du patrimoine car j'en ai déjà parlé longuement. Néanmoins, je ne vous laisserai pas dire un certain nombre de choses, madame le sénateur.
Je ne vous laisserai pas dire qu'il n'y a eu que des transferts de compétences dans le budget de 1996 puisque, ainsi que je viens de le rappeler, ce budget de 1996 a fait l'objet d'un milliard de francs de mesures nouvelles. Le seul titre IV a connu une augmentation de 400 millions de francs, qui sont d'ailleurs préservés en 1997.
Je ne vous laisserai pas dire que le budget du CNC diminue, puisqu'il sera en hausse de 80 millions de francs, soit de plus de 3,2 %.
Je ne vous laisserai pas dire que la pratique des gels est récente : c'est justement cette méthode qui, en 1993, a empêché vos amis, alors au pouvoir, d'atteindre le taux de 1 % qui avait été voté.
Mme Danièle Pourtaud. Nous avons atteint 0,99 % !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Vous voyez que ce n'est pas 1 % ! (Sourires.)
Je ne vous laisserai pas dire que nous n'agissons pas pour régler la fracture sociale. Les résultats sont là, et je vous donne rendez-vous - cela me ferait très plaisir de vous y retrouver - les 9 et 10 février prochain à La Villette, où les jeunes auront nombre de choses à nous dire.
Il y a effectivement des retards d'équipements en province, madame Pourtaud : on a beaucoup fait pour Paris, et moins pour la province ; on a beaucoup fait pour les villes, et moins pour les campagnes ; on beaucoup fait pour les centres-villes, et moins pour les banlieues et les périphéries. Il nous faut maintenant prendre l'habitude d'élaborer des budgets consacrant plus à la province et aux périphéries des villes qu'à Paris et aux centres de nos cités.
Quant aux enseignements artistiques, le budget est en hausse, et j'aurai l'occasion de présenter un projet de loi prochainement à cet égard.
S'agissant du titre IV, les créateurs jugeront, et ils jugent déjà.
J'en viens au festival d'Avignon. A cet égard, je vous remercie d'avoir souligné l'effort tout particulier que nous avons fait cette année, effort qui continuera - c'est pour moi l'occasion de le dire - en 1997. Je crois d'ailleurs que le maire d'Avignon ne conduit pas l'action que vous lui prêtez et qu'elle est revenue sur les coupes présentées récemment. Vous devriez donc, à mon avis, mettre à jour votre discours sur le festival d'Avignon, madame le sénateur !
Enfin, vous avez indiqué que les crédits de la délégation aux développements et aux formations étaient en baisse. Je tiens, là aussi, à rétablir la vérité.
Si ce poste budgétaire marque, en effet, une diminution de 21 millions de francs, cette baisse correspond à des transferts opérés vers d'autres directions. Je ne prendrai que deux exemples : les crédits permettant la gratuité d'entrée au musée du Louvre le premier dimanche de chaque mois, mesure que nous avons voulue, sont transférés à la direction des musées de France. En outre, les crédits correspondant à la création de cent cafés-musique sont transférés à la direction de la musique et de la danse.
Monsieur Habert, s'agissant des arts premiers, il me paraît important que le futur musée des arts premiers bénéficie d'une antenne au musée du Louvre. Si cette mesure est certes symbolique, vous comprenez néanmoins la forme de reconnaissance qu'entraîne l'entrée de ces arts dans un musée comme le Louvre.
Je tiens également à vous rassurer : il existe une bonne coordination entre le ministère de la ville et le ministère de la culture. Nous contribuons d'ailleurs en particulier au fonds interministériel pour la ville.
Enfin, vous avez évoqué le zénith mobile. C'est, à mon avis, un aménagement culturel du territoire : il s'agit non pas de servir telle ou telle musique mais, au contraire, de permettre à des zones rurales ou à des quartiers périphériques des villes de recevoir des grands spectacles comme cela se fait dans les centres-villes.
Monsieur Richert, le musée du Trocadéro constitue non pas un nouveau « grand projet », mais un projet s'inscrivant dans l'existant et qui, partant d'une rénovation décidée depuis longtemps, celle du Musée de l'homme, lui donnera une double dimension, à la fois artistique et scientifique.
Monsieur Revet, je vous remercie d'avoir souligné l'importance de la diffusion culturelle. Je suis, comme vous, l'élu local d'un département rural. J'ai par ailleurs déjà répondu à vos interrogations concernant le patrimoine.
MM. Richert et Vidal ont abordé la situation des architectes des bâtiments de France. Ces derniers jouent un rôle essentiel à la tête des services départementaux de l'architecture et du patrimoine. Ils sont moins de deux cents pour traiter, chaque année, près de 400 000 demandes.
Ces effectifs ne sont pas assez importants, j'en suis bien conscient. Toutefois, comme vous le savez, ces services n'ont été transférés que récemment à la culture. Sept cent cinquante personnes travaillent dans les SDAP, les services départementaux de l'architecture et du patrimoine. J'ai décidé, par redéploiement interne - les effectifs globaux du ministère seront en effet constants en 1997 - de créer trente-trois postes dans les SDAP.
Par ailleurs, le pouvoir exercé par les architectes des bâtiments de France ne l'est pas sans contrôle, et le décret du 9 mai 1995 est venu, à cet égard, renforcer ce contrôle en étendant très largement les possibilités de recours contre les avis des architectes des bâtiments de France.
Ces modalités de recours peuvent sans doute être encore perfectionnées dans le sens d'une plus grande transparence et d'une plus large concertation. Encore faut-il s'assurer que la volonté, légitime, de multiplier les procédures de recours et de s'entourer du plus grand nombre d'avis ne paralyserait pas l'instruction des demandes de permis de construire.
Mais la principale question, monsieur le sénateur, est surtout, à mon sens, de passer d'une protection imposée et quelque peu arbitraire à une protection négociée, et donc acceptée : c'est l'objet de la procédure des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, instituée par la loi du 7 janvier 1983, et dont j'ai eu l'occasion de dire à la Haute Assemblée que j'entendais la développer considérablement.
Vous constaterez que, dans le projet de loi de finances pour 1997, je dispose des moyens de cette ambition, puisque les crédits d'études pour les ZPPAUP passent de 9,3 millions de francs en 1996, à 17,1 millions de francs soit une augmentation de plus de 80 %.
Je dirai un mot sur l'orchestre de Montpellier, puisqu'une question m'a été posée à cet égard.
Je suis très conscient des répercussions désastreuses que le redressement fiscal en cours pourrait entraîner sur le fonctionnement de l'orchestre philharmonique et de l'opéra de Montpellier.
J'ai saisi mon collègue du ministère de l'économie et des finances, M. Jean Arthuis. Je m'apprête à recevoir le maire de Montpellier pour explorer avec lui les voies d'une solution.
MM. Laffitte, Hugot et Boyer ont parfaitement posé les enjeux culturels liés à l'émergence des nouvelles technologies. Si les termes de société de l'information évoquent les mots d'échanges, de savoir, de liberté, ils peuvent aussi masquer les mots d'isolement ou d'inégalité. Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder autour de soi : il y a ceux qui usent avec facilité de ces nouveaux outils de communication et qui participent déjà de la société du xxie siècle ; puis il y a ceux qui ne possèdent pas ces outils ou qui ne savent pas les maîtriser, et qui ne doivent pas être évincés de ce futur.
Je crois cependant que ces mutations sont porteuses d'espoirs.
C'est ce que je vais faire pour la Bibliothèque nationale de France. C'est aussi, monsieur Laffitte, ce que j'ai demandé à la Cité des sciences et de l'industrie, qui doit renforcer ses collaborations avec les régions.
Enfin, monsieur Laffitte, je poursuivrai les grands projets de régions. J'y consacrerai 200 millions de francs en 1997. Mais nous n'aurons pas épuisé tous les projets, dont certains, comme celui de Sophia-Antipolis, se poursuivront les années suivantes. Sachez toute l'importance et tout l'intérêt que j'attache à ce projet, référence en matière d'aménagement du territoire, référence en matière de développement des initiatives françaises dans les nouvelles technologies.
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Oui, monsieur Jean Boyer, il faut multiplier les réalisations comme le festival Berlioz ou l'association de Bièvre-Liers. Ce sont elles - j'en suis conscient, comme vous - qui permettront une revitalisation de nos zones rurales. C'est là tout le sens du maintien des crédits d'intervention de mon ministère.
Messieurs Badré, Richert et Vidal, comme vous le savez, la fondation du patrimoine ne deviendra pleinement opérationnelle qu'avec la publication du décret en Conseil d'Etat qui approuvera ses statuts.
Ce décret a été discuté avec les différents ministères intéressés et avec les entreprises fondatrices. Il sera transmis au Conseil d'Etat dans les prochains jours et publié, je l'espère, avant la fin du mois de décembre.
Je saisis ici l'occasion qui m'est donnée de remercier encore une fois M. Jean-Paul Hugot du rôle capital qu'il a joué, avec mon prédécesseur, dans la naissance même de la fondation du patrimoine.
Je me rejouis, mesdames, messieurs les sénateurs, des amendements fiscaux adoptés par votre assemblée, qui permettront à la fondation de fonctionner sur des bases saines et claires.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Enfin, je vous précise que plus de 40 millions de francs - 41,5 millions de francs exactement - sont déjà réunis dans le capital de cette fondation.
Monsieur Badré, je vous confirme que nous parlerons ensemble - et avec plaisir - du parc de Saint-Cloud afin d'officialiser des objectifs précis.
M. Denis Badré. Merci !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je partage l'analyse de M. Legendre : l'avenir du français se joue en Europe, notamment dans les institutions de l'Union européenne.
Le français a actuellement une place privilégiée, mais des signes inquiétants de recul se manifestent, qu'il s'agisse des appels d'offre de plus en plus souvent diffusés exclusivement en anglais, de la politique extérieure de l'Union européenne, notamment avec la Russie et les pays d'Europe centrale et orientale, ou encore, par exemple, du programme PHARE, lui aussi établi en anglais.
Le Gouvernement veille avec détermination à préserver la place du français et du plurilinguisme. Il appuie toutes les initiatives de l'Union européenne qui favorisent l'apprentissage des langues étrangères et le plurilinguisme, comme le programme « Multilinguisme et société de l'information ».
Il a mis en place un dispositif d'apprentissage du français pour les fonctionnaires des Etats membres appelés à travailler dans les institutions européennes et il réagit systématiquement chaque fois que des manquements au régime linguistique de l'Union sont observés. Ainsi, une intervention récente a permis d'obtenir des assurances en ce qui concerne les appels d'offre.
Je vous remercie en tout cas de l'attention que vous portez à l'application de la loi élaborée par mon prédécesseur sur l'usage de la langue française.
Après le décret d'application paru en mars 1995, le Premier ministre a signé, en mars 1996, une circulaire préparée par mes services et destinée à répondre aux questions posées sur l'interprétation de certaines dispositions, et surtout à préciser le champ d'application de la loi et à récapituler les informations relatives à son contrôle et à son calendrier. Cette circulaire donne, ainsi, des exemples concrets d'application de la loi pour les documents destinés à l'information de l'utilisateur et du consommateur, qui doivent être rédigés en français. Ce texte a été très largement diffusé.
Sachez que je suis très attaché à la politique en faveur de la langue française et que j'ai fortement accru ses moyens.
Enfin, je terminerai, monsieur le président, en m'adressant à M. Gouteyron, mais également à MM. Badré, Hugot et Vidal, qui ont évoqué le projet de loi sur les enseignements artistiques.
Vous êtes nombreux à être intervenus sur ce sujet et je vous comprends, car la préparation d'une loi sur les enseignements artistiques est au coeur de mes priorités.
Ce projet de loi devra répondre à trois priorités.
Il faut d'abord accroître l'égalité d'accès des jeunes à l'enseignement de la musique, de la danse et de l'art dramatique. Chacun, dans le centre des grandes villes comme en zone rurale - vous avez raison, monsieur Vidal - doit pouvoir trouver un lieu de formation et d'expression. Pour cela, nous travaillerons région par région avec les communes et les départements pour concevoir les collaborations entre écoles et améliorer l'offre d'enseignement.
Il faut, ensuite, que ce projet participe à la réduction des inégalités sociales. En collaboration avec l'éducation nationale, nous nous efforcerons de mieux aménager le temps de l'enfant, afin qu'il puisse pleinement s'épanouir dans une activité artistique. Les écoles et les conservatoires doivent s'ouvrir plus et à plus d'enfants.
M. Denis Badré. Exactement !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Il faut, enfin, fournir à la nation les maîtres dont elle a besoin. Pour cela, je désire que des instituts de formation soient implantés en région et qu'ils contribuent à y fixer les jeunes professionnels, afin qu'ils participent au développement culturel local. Mieux formés, davantage qualifiés, les jeunes musiciens qui se destinent à une carrière d'enseignant intégreront plus facilement ces emplois et ils se déploieront sur le territoire de façon plus harmonieuse.
Il va de soi qu'un tel projet nécessite des moyens importants.
Il me semble que le ministère de la culture devrait se donner pour objectif de doubler en cinq ans les moyens qu'il consacre aux établissements d'enseignement et de formation artistiques.
Comme cela ne suffira probablement pas, il faudra procéder à une concertation avec les collectivités territoriales, afin de mieux déterminer le champ d'intervention de chacune d'entre elles. C'est dans ce partenariat que s'inscrira l'effort de l'Etat : s'engager dans une véritable politique de contrats d'objectifs entre partenaires - l'Etat, les communes, les départements et les régions - nous obligera, dans le même temps, à clarifier ces domaines de compétences respectifs.
Mes services ont élaboré un avant-projet. Il fera l'objet d'une large concertation avec l'ensemble des institutions représentatives des collectivités territoriales, pour aboutir à un projet définitif qui pourrait être soumis au Parlement dans le courant du second semestre de 1997.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments de réponse que je voulais vous apporter. Je vous remercie, pour conclure, de la qualité de vos remarques et de vos encouragements, et je vous assure de l'importance que revêt pour moi ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la culture et figurant aux états B et C.

ÉTAT B