M. le président. Nous poursuivons la discussion des dispositions du projet de loi de finances concernant l'enseignement scolaire.
La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après le très bel hommage rendu à André Malraux par Alain Peyrefitte, nous quittons les cimes pour revenir aux contraintes de la réalité ; si elles ont aussi leur grandeur (Exclamations sur les travées socialistes), convenons que ce ne sont pas les mêmes !
Après avoir répondu ce matin à MM. Delong et Bernadaux, j'en viens maintenant aux questions posées par M. Carrère.
Vous avez noté, monsieur le rapporteur pour avis, qu'il n'y avait pas de document budgétaire spécifique. Ce n'est pas la première fois que je vous répondrai - c'est la quatrième, je crois - que ces documents ne relèvent pas de la décision du ministre de l'éducation nationale.
Pour ce qui touche à la loi de programmation, vous savez très bien - je l'ai souvent dit à cette tribune - que l'estimation du nombre de postes permettant de réaliser la loi de programmation n'impliquait pas que ces postes soient créés : il y avait - vous l'avez évoqué vous-même - une part de création - nous avons créé plusieurs milliers de postes - et une part de redéploiements, c'est-à-dire d'utilisation de postes déjà existants.
Vous avez longuement abordé le thème de l'apprentissage, monsieur Carrère. Je voudrais dire ma conviction à cette tribune qu'il n'y a pas contradiction entre la formation professionnelle sous statut d'apprentissage, c'est-à-dire sous contrat de travail, et la formation professionnelle sous statut scolaire,...
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... qui, d'une manière ou d'une autre, devra un jour trouver sa place dans le même cursus de formation pour les jeunes.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. C'est très bien !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je suis absolument convaincu qu'il ne se passera pas beaucoup de temps avant que nous devions repenser dans un sens de réconciliation l'apprentissage et la formation professionnelle sous statut scolaire, l'idée étant que la formation professionnelle sous statut scolaire sert à donner aux jeunes un certain nombre de bases professionnelles et théoriques essentielles à l'exercice de leur métier et que l'on peut parfaitement imaginer que, pour un plus grand nombre d'entre eux, l'apprentissage soit, au contraire, le meilleur moyen d'insertion professionnelle et une transition extrêmement utile et efficace vers l'emploi. C'est donc dire que, naturellement, je continue à maintenir l'objectif de 500 créations de sections d'apprentissage dans les établissements d'enseignement public, comme cela est prévu dans le Nouveau contrat pour l'école...
M. René-Pierre Signé. Les formations sont trop courtes !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous m'avez interrogé sur les propositions de M. Fauroux, dont l'inspiration, s'agissant de la formation professionnelle, me semble excellente. C'est cette année même que je prendrai un certain nombre de décisions qui iront dans ce sens.
Quant à la sécurité et à la responsabilité des chefs d'établissement et des régions, que vous évoquez à juste titre, je veux vous communiquer les décisions que, dans l'immédiat, j'ai prises.
Tout d'abord, les recteurs devront examiner personnellement et concrètement l'état du parc des établissements publics et privés sous contrat de leur académie ; en liaison avec les collectivités régionales concernées, ils devront prendre toutes les mesures permettant de garantir la sécurité des élèves, tout en assurant la continuité du service public de l'enseignement ; au besoin, ils pourront signer avec le président de la région et le directeur régional du travail un accord permettant d'accélérer la mise en conformité du parc et d'effectuer en urgence les travaux dans les secteurs prioritaires.
Ensuite, les chefs d'établissement dont la responsabilité pourrait, en effet, être recherchée, vont recevoir des instructions leur donnant un cadre d'intervention précis : premièrement, réalisation immédiate d'un état du parc et évaluation des risques ; deuxièmement, signalement des risques aux autorités régionales et académiques ; troisièmement, information des chefs de travaux et enseignants, des comités d'hygiène et de sécurité, des conseils d'administration, de l'état des machines de leur établissement, détermination des précautions à prendre pour chaque machine ; enfin, si un danger grave et immédiat persistait, il serait légitime que le chef d'établissement arrête la ou les machines concernées.
J'examinerai l'ensemble des propositions qui me seront présentées par l'Observatoire national de la sécurité dans quelques jours, lors de la remise de son rapport de 1996, afin que, le cas échéant, ce dispositif puisse être complété.
Monsieur Carrère, vous m'avez également demandé quand nous imaginerons des dispositifs permettant de mettre en oeuvre le principe de validation des acquis afin que l'expérience professionnelle puisse être prise en compte. J'espère que nous pourrons le faire au mois de janvier. En effet, je travaille actuellement avec les directeurs des ressources humaines des grandes entreprises à une opération exceptionnelle qui devrait permettre de compléter les dispositifs existants des contrats d'apprentissage, ou contrats de qualification : cela permettrait aux étudiants diplômés ou sortis de l'université, en tout cas aux étudiants en voie de formation universitaire ou secondaire souhaitant effectuer un stage, de valider celui-ci dans le cadre de leurs études et de compléter leur formation dans la perspective de l'un des diplômes qu'ils préparent.
J'ai déjà répondu à un certain nombre de points évoqués par M. Carle. S'agissant du partenariat entreprise-famille-école dont l'orientation devrait, à votre avis, faire l'objet, vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur. C'est bien entendu dans cette voie que devra être pensée la nouvelle politique d'orientation que je proposerai à mes interlocuteurs dans quelques jours.
Si l'orientation n'est pas préparée en amont, alors elle n'a pas de sens. On se trouve ainsi devant des décisions aléatoires qui, la plupart du temps, sont en réalité extrêmement pénalisantes pour les jeunes parce que ce sont soit des décisions d'orientation par défaut, soit, au contraire, des décisions prises « au petit bonheur la chance ». C'est pourquoi il importe de vérifier la véritable motivation de l'élève et de préparer la maturation de sa décision d'orientation.
Vous avez enfin évoqué l'idée, qui m'est chère, que des retraités et des préretraités pouvaient intervenir dans ce cadre. C'est un de mes chevaux de bataille, et je suis très heureux que nous puissions ensemble faire progresser cette idée.
M. Legendre m'a interrogé sur les langues vivantes. Il a repris la formule amusante de Claude Hagège qui, parlant de la politique d'initiation précoce aux langues vivantes - que j'ai d'ailleurs préparée avec lui - a dit : « C'est une politique excellente ; elle n'a qu'un seul défaut : il faudrait y interdire l'anglais. » Il est vrai que cela aurait sa logique puisque, en réalité, ce que soutient Claude Hagège, c'est que les élèves apprendront l'anglais un jour ou l'autre. Mais cette mesure ne serait opératoire que pour ceux qui pourraient trouver à apprendre l'anglais ailleurs. Ne nous y trompons pas : pour les autres, ce serait une discrimination.
En revanche, je suis tout à fait d'accord avec M. Legendre s'agissant de la nécessité de réduire autant que possible l'écart entre la première langue vivante et la seconde. Je souscris complètement à cette idée qu'il faut s'efforcer d'initier les enfants à deux langues vivantes le plus tôt possible et, dans mon esprit, quand j'ai présenté cette idée, sept ans me paraissait un bon âge pour commencer à apprendre une langue vivante. Peut-être la maternelle sera-t-elle un jour le lieu de cette initiation, sous une forme que nous devrons examiner ?
Je suis en tout cas complètement d'accord avec vous pour que le Sénat et le ministère s'efforcent de progresser ensemble dans la définition du meilleur âge pour l'initiation aux langues vivantes. Mais il y a, il faut le savoir, un problème de moyens et, plus encore, d'opinion publique. Le sentiment qu'éprouvent certains parents que l'esprit de leurs enfants ne serait pas assez développé pour accueillir toutes ces connaissances, sentiment évidemment faux, constitue un frein puissant à de telles expérimentations. Je pense qu'avant de généraliser ce genre de décision, il faut donc en montrer la pertinence. En tout état de cause, sachez que j'ai été très frappé par la qualité du travail accompli sur ce sujet par votre commission.
A terme, je pense que nous pourrons sans risque développer une politique d'échange des enseignants entre la France et les pays qui l'entourent. Il n'est d'ailleurs pas besoin d'un franc de dépense supplémentaire pour réussir à construire avec les pays européens un socle d'échanges d'enseignants qui permettra des interventions extrêmement pertinentes, efficaces et justes.
J'ai proposé d'encourager ces échanges d'enseignants avec l'Allemagne et avec l'Espagne et je suis persuadé que nous pouvons progresser dans cette voie. En effet, de nombreux jeunes enseignants français seraient heureux d'aller compléter leur formation dans des pays voisins. Sans trop de dépenses supplémentaires, nous pourrions ainsi disposer d'une « force de frappe » pour les langues qui serait extrêmement utile.
Monsieur Carrère, je vous ai répondu sur l'essentiel. J'ajoute que si, dans certains rectorats, la ligne consacrée aux frais de déplacement n'a pas été prévue, il faut me le faire savoir.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n'est pas à moi de le faire !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je mettrai alors les points sur les « i », car rien ne justifie que certains rectorats se soustraient à leurs obligations. Je vous rappelle que nous avons fait des frais de déplacement une ligne de notre propre budget, et je suis tout à fait d'accord pour vérifier avec vous qu'il en est bien ainsi dans les différents rectorats.
Madame Luc, je vous remercie d'abord d'avoir noté quel était l'état d'esprit réel de l'opinion à l'égard de l'école et d'avoir reconnu la qualité de l'enquête que l'organisation syndicale que vous avez citée, la Fédération syndicale unitaire, a réalisée sur ce sujet.
Vous m'avez demandé un bilan de la journée des droits de l'enfant. Je le ferai établir et je vous l'enverrai.
Vous m'avez interrogé en essayant de mettre en contradiction le ministre et l'essayiste modeste - modeste mais tout à fait déterminé - sur le sujet des marchés.
M. Ivan Renar. Elle n'a pas essayé, elle y est parvenue !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je voudrais clarifier ma pensée sur ce point.
Il en est du politique et des marchés comme du marin et des vents : ce n'est pas donner raison au vent que de reconnaître le vent ! Le marin est donc obligé de reconnaître l'état de la mer et la direction du vent ; cela ne l'empêche pas de naviguer quelquefois contre le vent ! C'est exactement la position du politique à l'égard des marchés.
M. Ivan Renar. Cela, c'est l'Ecclésiaste : on n'arrête pas le vent, et le vent souffle où il veut !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Permettez-moi de dire, madame Luc, que vous avez fait, comme nous, l'expérience de ce qu'était l'échec d'une philosophie, d'une idéologie et d'une politique qui niaient les marchés. C'est exactement le même cas que le marin qui aurait nié le vent : les deux politiques se sont brisées sur les récifs.
M. Paul Raoult. Non, le libéralisme !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Et je ne fais là que reprendre les vers d'Aragon : c'est sur les récifs que les naufrageurs enflent la mer.
Mme Hélène Luc. Nous sommes dans les grands écrivains !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est, au contraire, en reconnaissant la logique et la puissance des marchés que l'on a une chance de pouvoir naviguer contre eux, comme c'est en reconnaissant le vent que le marin sait naviguer contre le vent et remonter au vent.
Il me semble donc qu'il n'y a pas de contradiction entre le politique qui reconnaît les marchés et l'essayiste qui pense que ce n'est pas aux marchés de fournir l'horizon à la vie, en particulier à la vie des peuples. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Il s'en est bien tiré !
Mme Hélène Luc. Nous n'avons pas la même logique !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cela étant, madame Luc, vous avez dit que les suppressions de postes ne permettront pas la réalisation de l'objectif de vingt-cinq élèves par classe de maternelle en ZEP, ni la réalisation du moratoire de l'école rurale, etc.
Je vous donne rendez-vous, madame Luc, lors de la rentrée prochaine : vous vérifierez alors que les adaptations de postes n'auront pas porté atteinte aux objectifs que nous nous sommes fixés. Je me suis donné les moyens de réaliser tous ces objectifs : les 852 classes uniques du moratoire rural, les vingt-cinq élèves par classe en ZEP, les études dirigées, etc. Je me suis donné les moyens pour que ces objectifs puissent être intégralement satisfaits, simplement parce que les adaptations administratives ne sont pas des amputations pédagogiques.
Mme Hélène Luc. Vous ne pourrez pas supprimer les classes à trois niveaux qui se développent, ni les classes maternelles à trente élèves dans les zones rurales !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Laffitte, vous m'avez interrogé sur la société de l'information et sur sa place dans les établissements.
A ce sujet, j'ai une conviction : les réseaux multimédia peuvent puissamment contribuer à l'égalité des chances à l'école. Je pense en particulier à ce système que nous nous sommes donné les moyens de mettre en place et pour lequel les collectivités locales, je l'espère - parce que ce n'est pas très cher -...
Mme Hélène Luc. Si, c'est cher !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... nous serviront de partenaire actif, à savoir l'offre dans chaque établissement secondaire d'options rares par l'intermédiaire de ces réseaux multimédia, en particulier pour ce qui concerne certaines langues étrangères, monsieur Legendre.
En effet, quel est le principal frein à l'étude du russe, du polonais, du néerlandais, de ces langues que vous avez évoquées ce matin à très juste titre comme une richesse nationale ?
C'est l'inquiétude où sont des élèves commençant l'étude de ces langues de ne pouvoir poursuivre leur apprentissage s'ils se trouvent appelés à aller dans un autre établissement qui ne disposerait pas des professeurs exigés.
Je suis sûr que nous pouvons mettre en place, avec le Centre national d'enseignement à distance, le CNED, auquel M. le président du Sénat est si attaché, un système de formation qui intègre ces réseaux multimédia pour que tous les jeunes collégiens et lycéens puissent, s'ils le veulent, bénéficier d'options rares dans leur établissement.
Je dois ajouter, monsieur Legendre, que l'idée de réseaux d'établissements qui se répartiraient l'offre de formation linguistique par bassins de formation est une des idées les plus justes qui aient été avancées par la commission des affaires culturelles du Sénat. Je me propose d'essayer de la mettre en oeuvre dans un certain nombre de départements expérimentaux, car elle est, me semble-t-il, de nature à répondre aux interrogations qui sont les vôtres.
M. Habert m'a interrogé sur les personnels enseignants à l'étranger. Je lui transmettrai par écrit, s'il le veut bien, les réponses précises à ses deux interrogations techniques, car je crains de prendre un peu trop de notre temps en les lui livrant ici.
Je vous remercie, monsieur le sénateur, de m'avoir communiqué le jugement positif de M. Maman sur un certain nombre de réformes en cours.
Je voudrais vous rassurer sur la suppression des assistants de langue. En effet, si des postes d'assistants sont supprimés, j'ai cependant bon espoir que nombre de ces suppressions pourront être compensées par des contrats sur moyens d'enseignement : c'est une facilité administrative que nous nous sommes offerte. Je reconnais que, du point de vue pédagogique, les assistants sont utiles et, plus nous pourrons en conserver, mieux ce sera.
Monsieur Richert, je vous donne acte que l'observatoire des flux doit jouer le rôle que vous souhaitez et non celui que vous décrivez dans votre propre département. Je me prépare donc à indiquer aux autorités académiques d'Alsace que c'est bien votre conception qui doit être retenue en la matière. En effet, l'observatoire est non seulement un lieu de documentation, mais aussi un lieu de préparation, de décision et de concertation.
Je vous ai répondu sur les rythmes scolaires.
Vous avez aussi soulevé un problème très important sur l'affectation des enseignants. Je ne suis pas satisfait par le système actuel, qui n'a pas été revu depuis longtemps. Je considère, en particulier, que, pour ce qui concerne les titulaires académiques, nous ne faisons pas bien notre travail. En effet, à quoi sert de prendre une décision nationale comme celle que j'ai prise afin que les enseignants débutants ne soient jamais nommés sur un poste difficile si cette mesure est respectée à l'échelon national et non à l'échelon académique ?
J'ai donc proposé à l'ensemble des partenaires du système éducatif que nous nous remettions autour de la table pour reprendre ensemble ce sujet - qui ne l'a pas été depuis longtemps - des conditions techniques de l'affectation des enseignants,...
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. C'est essentiel !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... et je suis décidé à conduire cette réflexion dès cette année.
M. Jean-Louis Carrère. Et la déconcentration ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est une piste, monsieur Carrère, mais, comme vous le savez, elle n'est pas soutenue par tout le monde.
M. Jean-Louis Carrère. C'était ce que vous aviez promis voilà trois ans !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Non, j'ai dit que nous allions tendre vers une plus grande déconcentration, mais pas que ce serait la règle !
Enfin, pour ce qui a trait à la formation continue, monsieur Richert, vous avez rapporté à cette tribune un certain nombre d'exigences formulées par les enseignants.
Je crois pouvoir dire que nous sommes en bonne voie pour signer un nouvel accord sur la formation continue, même si certaines précisions doivent être encore apportées.
Monsieur Martin, vous avez raison - je ne serai pas le premier ministre de l'éducation à le répéter - quand vous regrettez l'importance toujours sous-estimée ou en tout cas jamais suffisamment soulignée de cet outil fondamental qu'est l'apprentissage de la lecture à l'école primaire. S'il y a un dossier que je regrette de n'avoir pas suffisamment fait avancer depuis que j'ai pris mes fonctions - pourtant, il avait fait l'objet, dès ma nomination, de ma première déclaration - c'est celui de la lecture.
Nous sommes, en effet, dans l'incertitude sur la réflexion méthodologique et sur l'importance des différents éléments qui, combinés, sont à même d'assurer à nos élèves l'acquisition d'une bonne capacité de lecture. J'ai organisé plusieurs réunions de travail ces dernières semaines avec des maîtres du cours préparatoire, et je souhaite, d'ici à quelques semaines ou même dans quelques jours, pouvoir faire sur ce sujet une communication publique, peut-être sous une forme inédite.
Il est très important que l'institution scolaire remette la lecture au centre de ses préoccupations concrètes. Certes, elle est officiellement au centre des préoccupations, du moins dans les textes ou dans les déclarations, mais je ne peux pas être satisfait quand je sais qu'un élève sur six ne maîtrise pas la lecture au sortir de l'école primaire. Je sais, en effet, pour l'avoir vérifié moi-même - je l'ai souvent écrit - que ces situations se rattrapent très rarement, et que c'est donc l'exclusion que nous préparons dès le plus jeune âge. Je suis même persuadé que, probablement, à l'issue du cycle II, les choses sont déjà figées. Au terme de la première année de cours élémentaire, si l'enfant n'est pas à l'aise avec le texte écrit, il aura le plus grand mal à rattraper son retard ensuite.
Je crois donc très important que nous essayions de reposer le problème une nouvelle fois, mais en faisant en sorte qu'aucun enseignant ne puisse avoir le sentiment que sa pratique professionnelle est mise en cause par ce questionnement. Si j'ai eu tant de mal à aborder cette question, c'est sans doute, en effet, parce que je n'ai pas eu la prudence de le rappeler lorsque j'ai commencé à en parler.
Les enseignants connaissent la difficulté de leur métier. Ils en éprouvent à la fois une légitime fierté et une inquiétude. Il est très juste, à mon sens, à la fois de reconnaître leur pratique professionnelle et de leur demander de réfléchir avec nous aux conditions qui lui donneraient une plus grande efficacité. Cette réflexion professionnelle devra tenir compte de l'ensemble des pratiques pour vraiment changer l'apprentissage de la lecture. J'estime que l'on peut y parvenir, mais je connais la très grande difficulté de l'exercice et, pour l'instant, les choses n'ont pas profondément changé. Elles doivent changer !
Monsieur Sérusclat, vous m'avez signalé que l'EPI, cette association pour le développement de l'informatique à l'école, n'avait pas reçu de subvention cette année. La raison en est simple : le ministère n'a été saisi d'aucune demande en ce sens. Je vous invite à y solliciter très, très rapidement cette subvention, c'est-à-dire dans les toute prochaines heures afin que j'aie encore le temps d'honorer la demande. C'est une affaire d'heures, vous êtes trop familier de ces pratiques pour l'ignorer.
Mme Hélène Luc. Voulez-vous dire, monsieur le ministre, que vous êtes prêt à accorder une subvention pour le développement de l'informatique ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il s'agit, madame, d'une association qui oeuvre pour la promotion de l'informatique à l'école.
Mme Hélène Luc. C'était trop beau !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ensuite, je vous donne bien volontiers raison sur la place de Saint-Fons et d'Hérouville-Saint-Clair dans le rapport sur les rythmes scolaires.
Enfin, vous m'avez interrogé sur les nouvelles techniques d'information et de communication. Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit à M. Laffitte, sinon quelques chiffres. Nous avons en ce domaine treize académies pilotes, mille établissements d'ores et déjà branchés et dix-huit qui le seront bientôt, car nous pouvons aller plus loin dès cette année.
M. Othily m'a interrogé sur la situation en Guyane. Je lui ai d'ores et déjà donné raison dans mon introduction sur les rythmes scolaires et sur l'adaptation.
M. Jean-Louis Carrère. Là, vous avez tout donné !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Carrère, si d'autres avaient réglé le problème avant moi, je n'aurais pas eu à le faire ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Les parlementaires de Guyane avaient, il est vrai, depuis longtemps attiré l'attention des pouvoirs publics sur les difficultés administratives créées par l'éloigement du rectorat des Antilles-Guyane, dont le siège se trouve à 2 000 kilomètres de la Guyane.
M. Jean-Louis Carrère. Et la Guadeloupe ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Mme Olin m'a interrogé en particulier sur la prévention de ces deux fléaux que constituent la drogue et le sida.
Je veux lui rappeler que nous avons édité des films à destination des enseignants et des élèves pour que chacun puisse repérer les attitudes ou les conduites risquées. Ces films donnent, me semble-t-il, des armes nouvelles et nous allons en préparer d'autres, notamment pour tout ce qui concerne l'enfance maltraitée et les abus sexuels.
Je tiens maintenant à remercier M. Castaing du caractère particulièrement juste et objectif de l'évaluation à laquelle il s'est livrée sur les établissements qu'il connaît et sur la réforme des collèges. (Marques de satisfaction sur les travées socialistes.) Cette intervention était, à l'évidence, nourrie par l'expérience, en particulier sur le rôle des études dirigées et sur ce que ces dernières avaient donné comme armes aux enseignants dans la réforme des collèges.
En ce qui concerne l'affectation des enseignants, je lui ai donné raison à l'instant.
Enfin, s'agissant de la qualité des enseignants, qu'il a soulignée à cette tribune, je voudrais non seulement lui donner raison, mais appeler la Haute Assemblée à une réflexion.
C'est un véritable leitmotiv - on le trouve dans toutes les interventions politiques sur l'éducation nationale - que de souligner à l'envi la qualité des enseignants tout en critiquant le système. Je crois, moi, que l'on juge l'arbre à ses fruits : si les enseignants sont si bons, c'est que le système ne doit pas être si mauvais ! (Sourires.)
C'est une réflexion que j'ai souvent envie de faire à la lecture d'un certain nombre de déclarations publiques. Je suis persuadé qu'il y a un lien, en France, comme dans les autres pays du reste, entre la qualité des enseignants et celle du système.
Notre système a des défauts, certes, mais je suis persuadé qu'il a aussi des qualités et qu'en tout cas il est étroitement calqué sur la réalité historique de la France. Or on ne peut pas, me semble-t-il, bouleverser l'éducation nationale sans toucher à la réalité historique de la France. Je tenais à le dire après vous, monsieur le sénateur.
M. Jean-Louis Carrère. Et La décennie des mal-appris ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, j'ai écrit La décennie des mal-appris pour défendre le système : peut-être l'avez-vous lu ?
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez beaucoup changé.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pas du tout ! Pas sur un seul mot.
Monsieur Joly, je souscris tout à fait au jugement que vous portez sur l'école en milieu rural. C'est une des raisons pour lesquelles je veux rappeler ici que, dans mon esprit, la décision de refuser la fermeture des écoles en milieu rural n'a rien d'un moratoire. Il s'agit à la fois d'aménagement du territoire et de pédagogie. Je suis décidé à défendre cette politique.
J'en suis d'accord, l'éducation nationale doit s'impliquer dans la politique que vous avez décrite à cette tribune et qui me paraît juste, notamment pour ce qui a trait aux langues vivantes et au patrimoine architectural. J'ai trouvé dans vos propos d'excellentes idées.
M. Signé m'a interrogé sur la suppression des emplois dans la Nièvre. Il lui semble inconcevable que les fonctionnaires restent dans le département. Il convient de distinguer les emplois et les fonctionnaires. Les fonctionnaires occupent un emploi, mais les départs à la retraite autorisent une adaptation entre le nombre des emplois dans le département et les fonctionnaires qui les occupent.
Il n'y a donc rien de paradoxal à ce que les emplois aillent à un autre département alors que les fonctionnaires restent sur place. C'est le volume des emplois qui change tandis que les fonctionnaires, eux, sont attachés au département ; cela fait partie de leurs droits. Le paradoxe n'est qu'apparent, mais il n'y aucune contradiction sur le fond.
Il est donc clair que les dix-sept postes qui ont été repris à la Nièvre ont été attribués à un autre département français, où la démographie était en progression, et ce sans que les écoles rurales soient fermées dans la Nièvre, de même qu'elles ne sont pas fermées ailleurs.
Enfin, M. Gouteyron a posé un certain nombre de questions. Je tiens à le rassurer.
En ce qui concerne l'évaluation, sachez que le ministère ne procède pas à des évaluations uniquement quantitatives, elles sont aussi souvent qualitatives. Vous le savez, chacun des lycées français est apprécié au regard de ses résultats par rapport à la population qu'il accueille. Des indicateurs sont édités dans un annuaire dont les hebdomadaires se font l'écho chaque année, mais que chacun peut obtenir. Une telle information me semble tout à fait normale.
S'agissant des programmes, ceux de l'école primaire sont entièrement publiés, ainsi que les programmes de la sixième. Les programmes de la cinquième sont en cours de publication.
M. Jean-Louis Carrère. Et les programmes de CM 2 ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les programmes du CM 2 aussi, puisque nous avons publié en un seul volume l'ensemble des programmes de l'école primaire.
En ce qui concerne les classes de formation préprofessionnelles en alternance, vous avez raison, il a fallu un peu de temps pour les mettre en place. C'est, dans mon esprit, lié aussi à la question des réponses pédagogiques à apporter aux élèves des collèges en échec lourd. Ces derniers doivent se voir offrir mieux qu'une scolarisation forcée. Il faut une nouvelle pratique, une nouvelle approche pédagogique, et les classes de formation préprofessionnelles ne sont pas les seules concernées.
Vous avez, après d'autres, abordé la question de la validation des acquis. Je le répète, c'est au mois de janvier que nous proposerons un système, je l'espère, efficace de validation des acquis professionnels ou préprofessionnels et que nous pourrons ainsi réconcilier avec l'éducation nationale un certain nombre de ceux qui, pour l'instant, doutent un peu d'elle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mission des enseignants comme la mission des politiques ne peut pas être totalement détachée de la question du sens de la vie. Nous avons des valeurs à défendre en commun. Ces valeurs ne préjugent pas les choix philosophiques et personnels de conscience qui sont ceux de chacun des Français, mais elles permettent de réconcilier ces choix de conscience individuels dans les choix de conscience communs. Cela s'appelle la République et cela tient, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'essence de notre mission. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche : I. - Enseignement scolaire.

ÉTAT B