M. le président. « Titre III : 1 322 096 919 francs ».
Par amendement n° II-36, Mme Luc, MM. Renar et Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de réduire ces crédits de 4 000 000 000 francs.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Notre amendement concerne la transformation des heures supplémentaires en emplois.
Ainsi que nous avons eu l'occasion de l'illustrer au cours de la discussion générale, les besoins ne sont pas en réduction en matière d'éducation, contrairement à ce que l'on veut bien dire en arguant de la baisse démographique dans l'enseignement scolaire notamment, car il faut précisément en profiter pour améliorer de manière sensible le taux d'encadrement, pour augmenter la réussite scolaire et pour que les enfants vivent avec bonheur les heures d'école.
Oui, nous savons tous combien les besoins sont immenses en enseignants, en personnels d'éducation, en personnels administratifs, techniciens, ouvriers et de service, en médecins, en infirmières, en psychologues et en conseillers d'orientation. La liste est longue des insuffisances en personnels.
Il en est de même pour l'informatique, liée aux problèmes pédagogiques.
Une première dotation a été attribuée aux collègues dans les années 1984-1985, mais ce matériel est aujourd'hui complètement dépassé, et la demande des professeurs grandit, tout naturellement.
Les conseils généraux, conscients de l'importance de l'informatique, font tout ce qui est possible, mais ils ne peuvent supporter cette charge seuls.
Est-il, par ailleurs, besoin de rappeler la situation dramatique de nombreux auxiliaires - plus de 15 000 - qui étaient sans emploi à la rentrée scolaire ?
Faut-il encore mettre en avant le combat des jeunes inscrits sur des listes complémentaires dont seule la détermination a permis de régler cette question.
Le bon sens comptable, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues - cet argument on nous le rappelle souvent - le simple bon sens impose une transformation massive des heures supplémentaires en emplois.
Ainsi, les 811 858 heures supplémentaire inscrites au budget de l'enseignement du second degré en 1995 représentaient 45 000 emplois. De plus, le coût annuel de dix-huit heures supplémentaires, compte tenu du manque à gagner pour la sécurité sociale et de l'indemnisation chômage des maîtres-auxiliaires, s'élève à plus de 225 000 francs.
Mais il y a aussi les conséquences sociales, à savoir la violence à l'école, une médecine scolaire au rabais, l'absence de structures d'accueil adéquates et d'aide psychopédagogique.
Tels sont les obstacles que notre école doit pouvoir surmonter face à une logique qui vise à étendre toujours davantage la précarité, l'absence de statut.
L'amendement que nous vous proposons, mes chers collègues, vise à réduire de 4 milliards de francs le chapitre consacré au paiement des heures supplémentaires d'enseignement et à réaffecter ces crédits à la création d'emplois. Il rendrait possible, s'il était adopté, la création de 20 000 postes d'équivalents certifiés.
Voilà qui permettrait à l'ensemble de la communauté éducative de retrouver confiance. Les enseignants veulent enseigner. Des milliers de jeunes inscrits dans des formations d'IUFM attendent un signe d'espoir, alors que le nombre des places ouvertes au concours ne cesse de diminuer. L'école, les jeunes ont besoin de ces postes, tant en métropole que dans les départements et territoires d'outre-mer où il faut scolariser tous les enfants, les aider et les soutenir.
Nous avons vu ce qui est arrivé en Guyane. Il en avait été de même à la Réunion.
Je veux exprimer notre satisfaction qu'après les luttes aient été créés un rectorat en Guyane et un rectorat en Guadeloupe, comme nous l'avions demandé voilà deux ans.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons je vous demande de bien vouloir adopter notre amendement.
Monsieur le ministre, j'ai bien compris votre démonstration sur le vent. J'en profite pour vous rappeler qu'Isabelle Autissier reprend la course. Elle la reprend avec courage et persévérance. Elle a la volonté d'aller jusqu'au bout.
Pour ma part, je vous demande, non pas seulement de faire un constat, mais de renverser la situation, en transformant le paiement des heures supplémentaires en créations de postes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Delong, rapporteur spécial. L'amendement n° II-36 appelle de la part du rapporteur spécial de la commission des finances que je suis deux observations : l'une porte sur la forme, et l'autre sur le fond.
Voici l'observation sur la forme : dans sa rédaction, cet amendement pose un problème d'ordre arithmétique. Il me semble en effet très difficile de soustraire 4 milliards de francs d'un titre III estimé à 1 322 096 919 francs. Il s'agit d'une opération délicate, qui mériterait une très ample réflexion !
A titre indicatif, cependant, et pour informer nos collègues, je précise que, à la vérité, les crédits du titre III s'élèvent à 235 696 275 787 francs, et les crédits du chapitre 31-95 à 6 273 313 254 francs.
Voici l'observation sur le fond : cet amendement n'a pas été soumis à la commission des finances. La conclusion que, en tant que rapporteur spécial, je dois en tirer, est que la commission des finances, ayant voté à une très large majorité le budget du ministère de l'éducation nationale tel qu'il a été présenté, se serait, selon toute vraisemblance, opposée à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame Luc, le Gouvernement ne sera pas favorable à votre amendement. Je le dis à regret, non seulement parce que j'ai opéré des conversions d'heures supplémentaires en emplois, mais aussi parce qu'il s'agit là d'une des rares marges de manoeuvre possibles pour les années à venir.
J'ai retracé tout à l'heure l'historique de la création des heures supplémentaires. J'ai rappelé que ce sont les gouvernements d'avant qui, les trois dernières années, ont fait passer les heures supplémentaires de 598 000 à 805 000, si ma mémoire est fidèle.
Ces chiffres montrent bien que le problème n'est pas simple. J'imagine, en effet, quelles que soient les réserves que je puisse avoir sur l'inspiration de ces gouvernements, qu'ils n'ont pas agi par hasard ou avec désinvolture.
A la vérité, si ces gouvernements ont augmenté les heures supplémentaires plutôt que de créer des emplois, c'est parce qu'ils étaient animés par le souci légitime de penser aux charges que l'Etat devrait assumer lorsque ces fonctionnaires seraient à la retraite. Or, il est clair que ce serait assez lourd.
Je crois cependant que, si l'on essaie de faire une projection des recrutements dans l'avenir et de mesurer quelles seront les conséquences de départs à la retraite assez nombreux, on peut imaginer, à condition de le faire avec rigueur et sérieux, qu'un jour prochain nous disposerons là d'une marge de manoeuvre.
C'est pourquoi je ne rejette pas l'idée d'un revers de main, madame Luc. Elle est souvent défendue, et je la crois juste. Il faut cependant faire preuve de précaution.
J'ajoute que, cette année, l'ambiance, le contexte, le « vent », n'étaient pas à la multiplication des emplois de fonctionnaires, et que nous devions en tenir compte. Je crois cependant qu'un jour nous aurons à nouveau une petite latitude sur ce sujet.
Je répète toutefois que, s'agissant de trésorerie, et si, au jour de sa création, un emploi ne coûte pas plus cher qu'un certain nombre d'heures supplémentaires, c'est une autre histoire sur une longue durée.
L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-36.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, je voudrais d'abord, à la suite de l'intervention de M. le rapporteur de la commission des finances, préciser à nouveau qu'il s'agit, au chapitre 31-95, de 6 273 313 254 francs. Autrement, l'amendement ne tiendrait pas, parce qu'il est difficile de déduire 4 milliards de francs de 1,3 milliard de francs !
Je tiens maintenant à revenir sur des propos qui ont été tenus récemment, et qui m'ont conduit à réagir, obéissant en cela à mon tempérament quelque peu méditerranéen.
Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir m'en excuser, mais on ne se refait pas, chacun à son héritage, qui est culturel, mais aussi un peu chromosomique...
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous êtes un Méditerranéen, vous ? (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Un peu, oui ! Vous savez d'ailleurs très bien, monsieur le ministre, que dans le Sud de la France il y a eu un certain nombre d'invasions ! (Sourires...)
M. le président. Il n'y a pas que là, vous savez !
M. Jean-Louis Carrère. Certains peuvent se prendre pour Henri IV, disons que moi, j'aime à penser que je suis méditerranéen !
Je veux simplement dire que, lorsque, un peu abusivement, on a établi un parallèle entre la progression des heures supplémentaires et les gouvernements socialistes, j'ai pris la mouche. Il est en effet contrariant, et même malséant, de comparer les masses budgétaires et les progressions des budgets dans une certaine période avec celles que nous sont proposées maintenant.
Cette faille, que je ne conteste pas, puisqu'il y a bien eu une progression de 535 000 à 805 000 heures supplémentaires, ne doit cependant pas cacher la forêt des avancées dues à ces gouvernements tant en faveur de l'enseignement scolaire que de l'enseignement supérieur ou, d'ailleurs - comme nous aurons l'occasion de le dire tout à l'heure - de la recherche. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Les fortes acclamations sur les travées de la majorité, toutes tendances confondues, qui ont salué la belle démonstration de M. le ministre soulignant qu'il était décevant et dommageable à l'éducation nationale de laisser se pérenniser ce volume d'heures supplémentaires, m'incitent à penser que cet amendement sera voté à l'unanimité, d'autant qu'il n'a pas d'incidence budgétaire.
J'annonce donc, premièrement, que le groupe socialiste votera cet amendement, et, deuxièmement, que je compte sur la sagesse et la cohérence de tous les membres de la majorité du Sénat pour qu'ils votent l'amendement du groupe communiste républicain et citoyen.
M. Jacques Delong, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Delong, rapporteur spécial. Je tiens à apporter une simple précision : je ne suis pas méditerranéen, je ne pourrai donc pas m'associer aux propos de M. Carrère. (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Il était inutile de le préciser !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-36, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : moins 16 924 949 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

ETAT C