M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici réunis pour une nouvelle lecture du projet de loi relatif à la détention provisoire.
En effet, animés du souci constant de légiférer dans de bonnes conditions, nos collègues membres de la commission mixte paritaire, sous la houlette du président Jacques Larché, ont permis la reprise de la navette et nous conduisent ainsi à procéder à cette nouvelle lecture du texte.
Je les en remercie vivement. A en juger par l'excellent rapport de notre collègue Georges Othily, c'était vraiment souhaitable.
Toutefois, monsieur le garde des sceaux, entre la première lecture au Sénat, le 29 mai dernier, et aujourd'hui, un fait nouveau est intervenu : la publication du rapport de Mme le professeur Michèle-Laure Rassat. Rédigé à votre demande, selon une formule dont je salue la nouveauté - il ne s'agit en effet pas d'une énième commission de réflexion - ce rapport contient de nombreuses propositions de réforme du code de procédure pénale, propositions qui, en particulier, concernent la détention provisoire.
Sur la forme, vous me permettrez de faire observer qu'il y aurait quelque incohérence à légiférer aujourd'hui sans tenir compte de ce travail, soit dans l'esprit, soit dans la lettre, sauf à considérer que le présent texte est un coup d'épée dans l'eau dans l'attente du suivant ou bien que le rapport auquel je fais référence est à classer dans les rayonnages de la bonne conscience républicaine.
Mais je ne doute pas, monsieur le garde des sceaux, que telles ne sont pas vos intentions. C'est pourquoi je m'efforcerai de démontrer la similitude des objectifs poursuivis tant par le rapport de Mme Rassat que par le présent projet de loi, afin de mieux mettre en évidence l'intérêt des solutions proposées par la commission des lois.
Les objectifs sont clairs : éviter le recours à la détention provisoire et limiter la durée de cette dernière. Tel fut d'ailleurs, en première lecture, le sens des compléments apportés par la Haute Assemblée au texte initial du Gouvernement.
Néanmoins, toute la difficulté en la matière consiste à établir un équilibre entre la présomption d'innocence et la nécessité d'apporter certaines restrictions à la liberté.
Ainsi, dans sa rédaction de 1958, l'article 137 du code de procédure pénale dispose que la détention provisoire ne peut être prononcée qu'à titre exceptionnel. Le principe est donc la liberté de la personne mise en examen. Si cette liberté ne peut être intégrale, le mis en examen peut être placé sous contrôle judiciaire. C'est seulement si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des nécessités de l'instruction ou des exigences de la sécurité publique que le mis en examen peut être placé ou maintenu en détention provisoire.
Pourtant, force est de constater que, malgré les efforts répétés du législateur, notamment depuis 1970, le nombre des détenus provisoires n'a pratiquement jamais cessé d'augmenter non seulement en nombre absolu, ce qui ne ferait que suivre l'augmentation générale de la délinquance, mais surtout en pourcentage des incarcérés, ce qui ne peut avoir la même explication.
Il représentait 37,5 % des détenus, en 1970, près de 52 %, en 1984, pour osciller aujourd'hui entre 40 % et 50 % de la population carcérale. J'ai bien compris qu'il faut relativiser ces chiffres, car sont comptabilisés non pas seulement les détenus en cours d'instruction mais aussi ceux qui, condamnés en première instance, sont en attente d'un jugement d'appel.
Enfin, la durée moyenne des détentions provisoires n'a cessé de s'élever et demeure très souvent largement supérieure aux maxima théoriques fixés.
Dès lors, il nous faut identifier les raisons de cet état de fait. Le professeur Rassat en isole deux principales.
La première tient de la théorie du « serpent qui se mord la queue ». A force de vouloir limiter la détention provisoire, on l'a enfermée dans un régime tellement contraignant pour le juge d'instruction que, finalement, celui-ci passe le plus clair de son temps à gérer des détentions provisoires, ce qui l'empêche d'accomplir ses tâches principales d'investigation, allonge la durée moyenne des instructions et, par voie de conséquence, celle des détentions provisoires.
Je cite : « La meilleure façon d'obtenir un raccourcissement des détentions provisoires et aussi des instructions est d'inverser complètement la vapeur et de rechercher tous les moyens possibles d'alléger la tâche du juge d'instruction, notamment en le déchargeant le plus possible de la gestion des détentions provisoires, qui occupe une trop grande partie de son temps utile. »
La seconde raison est que l'on traite de la « détention provisoire » en général sans se demander s'il n'y aurait pas diverses formes de détention provisoire qui pourraient relever de plusieurs régimes différents en fonction des buts qu'elles poursuivent. Pour ma part, je crois volontiers en la pertinence des causes ainsi énoncées.
L'auteur de ces réflexions en conclut que trois régimes de détention avant jugement devraient coexister.
Le premier, c'est celui de la détention utile à la manifestation de la vérité ou détention provisoire stricto sensu. Le juge d'instruction doit avoir, en effet, la possibilité de placer en détention provisoire tout mis en examen dont il démontre que la liberté nuirait à l'efficacité de son instruction.
Le deuxième régime, c'est celui de la détention visant à garantir la sécurité publique, ou détention préventive, puisqu'elle a bien pour but de prévenir les atteintes au mis en examen, la commission d'infractions, les réactions d'incompréhension de la population, etc. Cette détention préventive, comme il convient donc de la qualifier, devrait non plus être prononcée par le juge d'instruction, mais demandée par le ministère public.
Enfin, troisième forme de détention, la détention censée prévenir la fuite.
Il est certain que les modalités techniques proposées par le rapport Rassat et ainsi résumées ne correspondent pas, point par point, à celles qui sont contenues dans le projet loi dont nous débattons aujourd'hui.
Il n'en demeure pas moins qu'elles visent les mêmes objectifs. Et si l'on en juge par le nombre de procédés divers et variés essayés depuis les lois du 14 juillet et du 12 août 1865 pour réduire le domaine, le volume et la durée de la détention provisoire, on est pris de vertige. On mesure aussi combien la vérité, en la matière, est toute relative. Seule la pratique nous démontrera l'efficacité des dispositions que nous allons adopter.
Néanmoins, je suis convaincu que, sur la base des conclusions de notre rapporteur, nous parviendrons à un texte équilibré. C'est pourquoi je me bornerai à faire quelques observations.
Concernant la communication aux parties de copies du dossier d'instruction, je partage pleinement la position de la commission, qui estime que cette question doit être réglée dans le cadre d'une démarche globale concernant la présomption d'innocence et le secret de l'instruction dans leur ensemble.
Dans le même esprit, la durée maximale de deux ans prévue pour la détention provisoire lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement et inférieure à dix ans apparaît excessive. Il est donc opportun de revenir au texte que nous avions adopté en première lecture et qui fixait cette durée maximale à un an.
En outre, je ne peux qu'approuver la rédaction proposée par la commission pour l'article 7, rédaction qui vise à rétablir le référé-liberté, dont l'objet demeure le prononcé de la suspension des effets de l'ordonnance de placement en détention provisoire.
De même, l'inscription dans la loi du principe du placement sous surveillance électronique comme substitut à la détention mérite d'être saluée. Du principe à la pratique, il n'y a qu'un pas. Il devrait être franchi par l'adoption prochaine de la proposition de loi de M. Cabanel.
Enfin, comment ne pas être satisfait de la rédaction de l'article 5 bis, qui ouvre l'indemnisation pour détention provisoire abusive à toute personne dont la détention a causé un préjudice sans même exiger que celui-ci soit anormal ! Bien entendu, il appartiendra à la commission d'indemnisation d'apprécier chaque cas d'espèce.
En conclusion, monsieur le ministre, je soutiendrai sans réserve les amendements de la commission, qui, j'en suis persuadé, donneront à notre texte le cap indispensable pour braver l'outrage du temps. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici de nouveau confrontés à de difficiles problèmes de procédure pénale.
Difficiles en soi, par leur nature même.
Encore plus difficiles peut-être, monsieur le garde des sceaux, parce que le choix fait par le Gouvernement de nous proposer un texte partiel - sans attendre la réflexion générale demandée par lui à un professeur de droit et à laquelle il a été fait allusion voilà quelques instants, sans attendre donc les conclusions qu'il lui appartiendra d'en tirer - nous prive de la vue d'ensemble qui eût été souhaitable.
Vous me permettrez sans malice, monsieur le garde des sceaux, de remarquer que, dans cette circonstance - mais j'admets qu'il y a des urgences pressantes ! - vous avez cru pouvoir procéder sans attendre un des rapports de ceux que vous avez consultés, ce qui n'a pas été votre méthode dans un autre domaine. Mais, enfin, sans doute avez-vous vos raisons !
Difficiles, enfin, et peut-être surtout, parce que l'insuffisance des moyens de la justice rend encore plus grand l'écart entre le souhaitable, sur lequel on est généralement assez d'accord, et le possible, que l'on a bien du mal à mesurer, ce qui, pour les esprits soucieux d'efficacité plus que de satisfactions verbales, dont je suis, rend la présente démarche encore plus précaire. Je me bornerai ici à l'examen des deux questions qui me paraissent être les plus grosses de conséquences : d'une part, le référé-liberté ; d'autre part, l'accès des prévenus ou des personnes mises en examen, pour parler plus exactement, aux pièces de leur dossier.
S'agissant du référé-liberté, c'est-à-dire du moyen de limiter - il faut bien se rappeler le but - la marge d'erreur du juge d'instruction, juge unique dans cette décision si capitale, si lourde de conséquences irréparables qu'est la mise en détention préventive, il convient - nous devrions être d'accord sur ce principe - de rechercher le dispositif le plus efficace, même s'il n'est pas, intellectuellement, du point de vue de la théorie et de l'organisation générale des pouvoirs judiciaires, le plus cohérent avec notre système pénal.
Je crois, à cet égard, et j'en suis même de plus en plus persuadé au fur et à mesure qu'avance notre discussion, qu'il est meilleur de soumettre ce référé au président du tribunal de grande instance.
En effet, la proximité immédiate qui en résulte - car tout ne se passe pas toujours dans des cours d'appel où il suffit de traverser quelques couloirs pour aller du bureau du juge d'instruction à celui du président de la chambre d'accusation, il est quantité de cas où il y a plus de cent kilomètres à parcourir - la proximité immédiate, dis-je, facilite et accélère, en premier lieu, le fonctionnement du système de transmission des pièces d'intervention du ministère public, de l'avocat, du mis en examen.
Or, nous sommes dans un domaine où la rapidité, je dirai l'instantanéité, est essentielle, car, dès lors qu'il y a un délai - ce qui, pour des raisons pratiques que l'on devine bien, est inévitable s'il y a une distance géographique - en fait, la détention préventive commence, et ce sont les premières heures qui sont les plus traumatisantes, nous le savons tous.
En deuxième lieu, la proximité permet, en particulier, l'audition directe de la personne concernée, audition qui n'a pas lieu - ou alors très rarement - quand on va devant le président de la chambre d'accusation. Or, cette audition directe me semble être un élément essentiel au regard de la décision à prendre, car aucune pièce, aucun procès-verbal ne pourra jamais remplacer l'expression directe.
Enfin - j'ai la faiblesse de croire que cela est plus important qu'on ne l'imagine - le fait de soumettre la décision au président du tribunal de grande instance où se trouve le juge d'instruction permet audit président, qui est, reconnaissons-le, pour lui rendre hommage, l'un des rouages les plus opérationnels de notre système judiciaire, indépendamment de la décision ponctuelle qu'il prend, d'exercer en permanence, par ses contacts quotidiens avec ses juges d'instruction, une influence régulatrice qui me paraît être tout à fait importante. Celle-ci n'est pas exercée par les décisions du président de la chambre d'accusation, qui, forcément lointain, statue dans la plupart des cas sur pièces et donc d'une manière abstraite. C'est ce qui donne, je crois, un caractère très limité à l'efficacité du système actuel.
On ne peut en espérer les effets modérateurs que nous souhaitons, en attendant l'institution de la collégialité, qui est la seule solution convenable face à un tel enjeu, à supposer que les moyens nécessaires soient réunis, ce qui nous ramène à ce qui est, à mes yeux, le problème essentiel de la justice, un problème de moyens infiniment plus qu'un problème de textes.
M. Christian Bonnet. Voilà !
M. Pierre Fauchon. Vous avez fait observer, tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux, que cela ne cadrait pas avec notre système général. Eh bien ! même si cela ne cadre pas, si cela permet de mieux atteindre le résultat que nous souhaitons, prenons la voie la plus efficace...
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Pierre Fauchon. ... sans nous soucier trop de ce qui cadre ou de ce qui ne cadre pas !
Par ailleurs, il me semble que vous avez assimilé peut-être un peu rapidement la notion de sursis à exécution et la notion de décision sur le fond. Ce que nous attendons du président du tribunal de grande instance, c'est simplement un sursis à exécution. Or, il est habituel à notre système judiciaire - cette fois, c'est moi qui m'y réfère - de distinguer très clairement la notion de sursis à exécution de la notion de décision sur le fond.
Au total, je crois qu'il serait véritablement sage - ce n'est pas une question de doctrine, c'est une question de pratique - d'adopter le système que nous proposons, sans aucun entêtement, mais parce que nous sommes persuadés qu'il est tout simplement plus efficace.
J'avoue que mes idées sont beaucoup moins arrêtées en ce qui concerne la question de la communication aux parties de la reproduction des copies du dossier de l'instruction, question que la commission n'a pas voulu dissocier - c'est le sens de sa décision - de l'ensemble des problèmes du secret de l'instruction.
Mon hésitation tient non pas aux principes mais aux modalités. Au plan des principes, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer - notre excellent collègue Michel Dreyfus-Schmidt ne s'est pas fait faute de le rappeler tout à l'heure avec un mélange de gentillesse et peut-être d'une certaine perversité,... je me le demande ! - (Rires sur les travées socialistes) et je ne manquerai pas d'exprimer encore la conviction qui est la mienne, et celle, je crois, de tout avocat, que tout accusé a le droit de savoir non seulement de quoi mais aussi sur le fondement de quoi on l'accuse.
Savoir, c'est, évidemment, avoir la capacité d'examiner directement et dans des conditions normales les pièces de son dossier, toutes les pièces. Cela suppose, bien sûr, la disposition de copies.
On ne peut ignorer, cependant, que la disposition de telles pièces peut donner lieu à des abus préjudiciables à des tiers, et on est pris, alors, entre le souci d'informer le prévenu et celui de ne pas porter une atteinte illégitime à des tiers. Il est très difficile de faire de tels choix, et on en vient ainsi au problème général du secret de l'instruction.
La pratique actuelle - il faut tout de même bien le rappeler - laisse à l'avocat la responsabilité d'apprécier, en son âme et conscience, ce qu'il peut faire ou ne pas faire dans le cadre d'un texte dont le caractère restrictif n'est certes pas satisfaisant et qui, chacun le sait, est constamment violé, ce qui, disons-le aussi, dans l'immense généralité des cas, ne pose pas de problèmes réels. Il a malheureusement fallu que quelques cas d'espèce obligent la Cour de cassation à rappeler la loi dans son caractère formel, ce qui nous a conduits à nous interroger sur une modification de cette loi.
La modification qui est proposée par l'Assemblée nationale ou, par voie d'amendements - je simplifie - par nos excellents collègues du groupe socialiste, a le mérite de poser le principe de la communicabilité, mais l'inconvénient de tenter d'en prévenir les abus par une sorte de censure confiée au juge d'instruction.
Je ne vois pas comment, en fait, peut fonctionner cette censure. Notamment, le dispositif qui a été imaginé par l'Assemblée nationale, dont j'oserais dire, si j'étais dans les couloirs, qu'il s'agit d'une véritable « usine à gaz » (Sourires), me paraît véritablement compliqué, car on crée une procédure supplémentaire, de surcroît minutieuse, qui confie au juge d'instruction la charge, dangereuse pour lui comme pour tous, de s'opposer à la communication de certaines pièces. Comme s'il n'avait pas déjà une tâche assez lourde !
Je ne puis m'empêcher d'imaginer, dans un autre contexte sans doute - il ne faut pas abuser du rapprochement, mais enfin, il semble intéressant tout de même - l'instructeur de l'affaire Dreyfus déclarant non communicable le faux Henry ! On comprend, alors, que ce qui a été fait à l'époque, et qui était une forfaiture, pourrait trouver, demain, aux termes du nouveau texte, un semblant de justification, une amorce de justification.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! C'était un faux.
M. Pierre Fauchon. Et que dire de la situation d'un avocat, cher confrère, qui se sera cru obligé, en conscience, de communiquer à son client une pièce que le juge aura déclarée non communicable ? Cela peut arriver, cela arrivera et, dans ce cas, on aura placé cet avocat dans une situation pire que celle dans laquelle il se trouve actuellement,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Ce sera la même chose !
M. Pierre Fauchon. ... car il n'aura plus aucune excuse.
Des voix fort autorisées me disent que cette sécurité, en fait, ne jouera pas. Qui peut le garantir et, dans ce cas, où est la sécurité ?
Dans le doute, il me semble que la pratique actuelle est préférable. Je le dis en toute modestie car, il est vrai, j'ai changé d'avis sur ce point ; dans un premier avis, un peu précipité et n'ayant peut-être pas mesuré les dangers de cette procédure de contrôle par le juge d'instruction, j'avais précédemment voté un amendement qui allait dans ce sens. Or il me semble, maintenant, que la pratique actuelle, qui repose sur la déontologie des avocats, sur celle des magistrats et sur celle du Parquet, et qui n'a donné lieu qu'à de très rares accidents, peut être considérée comme préférable, en attendant que l'on invente quelque chose de mieux.
J'avoue, encore une fois, que je n'ai aucune certitude suffisante, à la différence de certains des collègues de mon groupe, en particulier, je tiens à les citer, mes collègues François Blaizot et Pierre Lagourgue, qui sont tout à fait favorables au texte de l'Assemblée nationale ou, en tout cas, à celui de l'amendement qui vous sera présenté tout à l'heure.
Pour ma part, je reste parfaitement convaincu qu'il n'y a pas d'Etat de droit sans clarté et sans transparence, mais je répugne à voter une disposition qui présente le double inconvénient de n'être que l'approche partielle d'un problème d'ensemble, celui du secret de l'instruction, et de recéler un mécanisme de contrôle susceptible de fournir l'occasion, ou le prétexte, à des abus pires que le mal.
C'est cette incertitude qui me conduira à suivre l'avis de la commission.
Ma conclusion sera évidemment, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, qu'il faut rendre possible l'appréciation collégiale de la mise en détention privisoire et aborder de front l'ensemble des problèmes du secret de l'instruction. Le plus tôt sera - ou serait - le mieux ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes propos s'inscriront directement dans la ligne de ceux de mon excellent prédécesseur à la tribune, M. Fauchon.
Je le remarquerai d'emblée, on ne peut pas dire que, dans ce domaine, le législateur ait manqué de zèle ! C'est un problème essentiel de la justice pénale française et, quand on voit le nombre de textes qui se sont succédé, avec une accélération dans les dernières années de cette inflation législative, on se prend à penser qu'il faudrait au moins que les alternances n'entraînent pas, en la matière, des changements de procédure, avec toutes les conséquences que cela implique pour le fonctionnement de la justice pour la magistrature, et pour les avocats.
En tout cas, on peut tirer de cette longue série de textes intervenus depuis 1970 deux enseignements.
Quel dispositif a eu une influence heureuse sur le taux de détention provisoire ? De tant d'expériences législatives, quels résultats positifs pouvons-nous dégager ? Nous constatons que n'ont eu d'effets positifs que, d'une part, les textes qui fixent des butoirs au délai de la détention provisoire - je pense, en particulier, à la loi de 1975 - et, d'autre part, ceux qui renforcent les garanties des justiciables quand ils sont suceptibles de faire l'objet d'un placement en détention provisoire, et je pense ici, en particulier, à la loi du 9 juillet 1984.
Je dois, à cet égard, rappeler que, de 1985 à 1995, contrairement à une idée reçue trop répandue dans le public, et jusqu'à ce jour depuis la loi de 1984, le taux de détention provisoire - je parle ici du placement par les juges d'instruction dans les prisons françaises - n'a cessé de décroître, et de manière très sensible. En effet - j'ai ici les chiffres de l'administration pénitentiaire - nous sommes passés de 55 969 placements en détention provisoire décidés par des magistrats instructeurs en 1985 à 44 650 en 1995, soit une différence de 28 %.
En revanche, en ce qui concerne le nombre de détenus qui se trouvent dans les prisons françaises - ce que l'on appelle le « stock » - je fais miennes les observations du président Jacques Larché, avec quelques précisions. Il est certain que le délai de détention est de plus en plus long, ce qui veut dire, en clair, que c'est non pas le nombre mais bien la durée des détentions provisoires qui est aujourd'hui le premier problème.
A partir de ces deux évidences - réduction du nombre de détentions en fonction de garanties apportées aux justiciables et réduction des détentions en fonction de délais butoirs - et au regard du texte en discussion devant nous, il est aisé de répondre aux questions qu'il soulève.
En ce qui concerne le délai butoir, il est évident que le choix fait par le Sénat - un an au lieu de deux ans s'agissant des infractions susceptibles d'être punies d'une peine de cinq à dix années d'emprisonnement - est préférable parce que c'est un délai butoir mieux venu que celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Sur ce point, il faut, par conséquent, suivre les propositions de la commission des lois.
En ce qui concerne le problème, plus complexe, des garanties apportées aux justiciables, il est certain que la véritable réponse, c'est la collégialité ; cela a été dit par mon ami Michel Dreyfus-Schmidt ainsi que par vous-même, tout à l'heure, monsieur Fauchon, et par d'autres encore.
Or, je le rappelle, cette garantie - garantie clé losrqu'il s'agit du placement en détention provisoire - a déjà été adoptée à trois reprises, sous des formes différentes, mais toujours en affirmant le principe. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en reparler lorsque viendra en discussion la réforme annoncée du code de procédure pénale.
Croyez-moi, hors la collégialité, il n'y a pas de véritable salut, il y a seulement des mesures temporaires !
Or, puisque nous n'en sommes pas ou plus à la collégialité - pour l'instant tout au moins, car nous y reviendrons - se pose la question du choix : quelle amélioration des garanties des justiciables ? Deux systèmes de référé-liberté s'offrent à nous, l'un qui donne compétence au président de la chambre d'accusation, l'autre, horizontal, qui relève de l'autorité du président du tribunal de grande instance.
Le système qui a été adopté et qui, à l'heure actuelle, est en vigueur, est celui du référé devant le président de la chambre d'accusation. Il apparaît à cet égard que, dans la version dont nous discutons à l'heure actuelle, qui est celle de l'Assemblée nationale, on n'a sans doute pas mesuré toutes les conséquences du choix opéré.
Jusque-là, dans le cas où la détention n'avait manifestement pas lieu d'être, il n'était question que de suspendre les effets de la décision, c'est-à-dire de suspendre l'exécution de la décision en attendant que la chambre d'accusation se prononce. Or, dans la version qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, on est passé à l'infirmation de la décision du magistrat instructeur. A cet instant, c'est donc le président de la chambre d'accusation qui détient seul le pouvoir d'infirmer.
Fort bien, dira-t-on, puisqu'il ne s'agit que du pouvoir d'infirmer et, par conséquent, de remettre du même coup en liberté celui qui aura été placé en détention. Je demande à chacun, cependant, de mesurer ce que voudrait dire la décision inverse. Croit-on sérieusement que, lorsque le président de la chambre d'accusation aurait refusé d'infirmer la décision de placement en détention prise par le magistrat instructeur, la même chambre d'accusation, se réunissant quelques jours après autour du même président, pourrait infirmer, en quelque sorte, la décision de son président ? C'est tout simplement inconcevable !
Dans ces conditions, ce qui constitue, de la part de l'Assemblée nationale, me semble-t-il, une erreur d'appréciation, c'est que l'on aboutit, dès lors, purement et simplement à un paradoxe : alors que nous aspirons à la collégialité, qui est la meilleure garantie pour la liberté individuelle dans un cas comme celui-là en première instance, on vient la supprimer cette fois-ci au niveau de la cour d'appel, sans pour autant l'établir en première instance. Je ne pense pas que cela soit véritablement une mesure qui fasse progresser la liberté individuelle ou qui soit susceptible de diminuer le taux de détention provisoire.
Reste le référé-liberté au niveau du président du tribunal. Il suscite les objections que nous connaissons, elles ont été évoquées fort bien par les uns et par les autres. Mais, en l'état, il a tout de même cette supériorité pratique de laisser intacte - j'insiste sur ce mot « intacte » - l'appréciation par la chambre d'accusation des décisions qui auront été prises en première instance. C'est là la vocation même des cours d'appel qui, par définition - ai-je besoin de le souligner - statuent toujours en collégialité, a fortiori quand il s'agit, on le comprendra, d'une mesure concernant la liberté individuelle.
Donc, le référé-liberté au niveau du président du tribunal constitue un tempérament original qui appelle évidemment des interrogations mais qui, en l'espèce, constitue, me semble-t-il, une garantie de plus, sans pour autant diminuer en quoi que ce soit les possibilités de la chambre d'accusation. Voilà ce que j'avais à dire s'agissant de ce qui est proposé dans le projet de loi.
Par ailleurs, s'agissant toujours des garanties de la liberté individuelle qu'il convient de renforcer, mes collègues du groupe socialiste, notamment mon ami Michel Dreyfus-Schmidt, et moi-même - ce sera, je pense, un moment important du débat qui interviendra tout à l'heure - avons souhaité, de la façon la plus instante, saisir la Haute Assemblée de ce qui nous paraît constituer un progrès sensible dans ce domaine.
Il existe depuis 1984, comme je l'évoquais, une véritable « audience tenue dans le cabinet du juge d'instruction lorque celui-ci évoque la possibilité d'un placement en détention provisoire ». Audience, cela veut dire débat contradictoire en présence de celui qui est mis en examen et dont le sort va se décider, en ce qui concerne le placement en détention, entre le ministère public et l'avocat. C'est une véritable audience, et j'ajoute que c'est la seule audience contradictoire existant dans la procédure d'instruction.
Vous connaissez le principe posé par la Convention européenne des droits de l'homme dans son article 6-1 : toute audience, spécialement en matière pénale, doit être publique, mais sous certaines réserves qui s'imposent.
Quand il s'agit d'une instruction, il ne faut pas compromettre les droits de la personne dont on demande le placement en détention et qui est présumée innocente ; l'audience ne sera donc publique que si l'intéressé le demande.
En outre, afin de ne pas compromettre le bon déroulement de l'information, on ne doit pas méconnaître les risques qu'une publicité de l'audience peut entraîner à l'encontre des droits des tiers ; il appartiendra donc aux magistrats instructeurs de statuer sur la demande d'audience publique et de la refuser par ordonnance motivée.
On pense en particulier aux affaires de terrorisme, de trafics organisés de stupéfiants, de viols ou d'attentats aux moeurs, d'où la publicité doit être à mon sens proscrite, en tout cas dans certains cas graves.
Enfin, il convient de prendre en compte l'intérêt de la justice elle-même. En effet, nous le savons tous, depuis quelques années notamment, il se déroule autour d'un certain nombre de placements en détention provisoire des sortes de campagnes de désinformation qui aboutissent aux pires conséquences.
Rien ne vaut, pour garantir les droits des justiciables comme pour préserver les intérêts de la justice, la transparence. Quand on entend les arguments d'un côté et de l'autre, la presse est loyalement informée et l'on n'assiste pas à des dévoiements et tentatives de manipulations de l'information qui sont constants.
L'audience publique constitue un progrès sensible, c'est une garantie qui, j'en suis sûr, aura des conséquences importantes en ce qui concerne les placements en détention provisoire.
Tout homme, toute femme courant le risque qu'une telle décision soit prise à son encontre doit pouvoir faire entendre sa voix au-delà de ce qui est simplement le champ clos du cabinet du juge d'instruction.
Je terminerai sur ce point, que je reprendrai tout à l'heure, en disant que l'audience publique, c'est aussi l'intérêt des magistrats instructeurs eux-mêmes. En effet, lorsque l'on connaîtra les arguments pour et contre, le soupçon qui pèse, qui est nourri ou entretenu à l'égard de certains magistrats instructeurs - et je me plais à dire que je n'en ai jamais connu qui soient des fanatiques des mandats de dépôt - sera balayé. Seule la transparence peut faire taire ces soupçons. Voilà qui s'inscrit directement dans l'ordre des préoccupations de la Haute Assemblée.
Je suis heureux de dire que la commission des lois, ce matin, a approuvé notre amendement qui constituera, me semble-t-il, un élément très important de notre discussion. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Fauchon applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article additionnel avant l'article 1er AA
ou après l'article 2