M. le président. « Art. 1er AB. - I. - Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale est remplacé par huit alinéas ainsi rédigés :
« Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.
« Les avocats peuvent transmettre une reproduction des copies ainsi obtenues à leur client. Celui-ci atteste au préalable, par écrit, avoir pris connaissance des dispositions de l'alinéa suivant et de l'article 114-1.
« Seules les copies des rapports d'expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense.
« L'avocat doit donner connaissance au juge d'instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client.
« Le juge d'instruction dispose d'un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s'opposer à la remise de tout ou partie de ces reproductions par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure.
« Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai à l'avocat. A défaut de réponse du juge d'instruction notifiée dans le délai imparti, l'avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes dont il avait fourni la liste. Il peut, dans les deux jours de sa notification, déférer la décision du juge d'instruction au président de la chambre d'accusation, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours. A défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l'avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste.
« Les modalités selon lesquelles ces documents peuvent être remis par son avocat à une personne détenue et les conditions dans lesquelles cette personne peut détenir ces documents sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.
« Par dérogation aux dispositions des huitième et neuvième alinéas, l'avocat d'une partie civile dont la recevabilité fait l'objet d'une constestation ne peut transmettre à son client une reproduction des pièces ou actes de la procédure sans l'autorisation préalable du juge d'instruction, qui peut lui être notifiée par tout moyen. En cas de refus du juge d'instruction ou à défaut de réponse de ce dernier dans les cinq jours ouvrables, l'avocat peut saisir le président de la chambre d'accusation, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables, par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. En l'absence d'autorisation préalable du président de la chambre d'accusation, l'avocat ne peut transmettre la reproduction de pièces ou actes de la procédure à son client. »
« II et III supprimés.
« IV. - Après l'article 114 du code de procédure pénale, il est inséré un article 114-1 ainsi rédigé :
« Art. 114-1 . - Sous réserve des dispositions du sixième alinéa de l'article 114, le fait, pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d'une procédure d'instruction a été remise en application de cet article, de la diffuser auprès d'un tiers est puni de 25 000 francs d'amende. »
Je suis saisi de neuf amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, M. Othily, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Les huit amendements suivants sont présentés par MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter, les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 7 tend à rédiger comme suit l'article 1er AB :
« I. - Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale est remplacé par les dispositions suivantes :
« Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.
« Les avocats peuvent transmettre à leur client la copie obtenue. Celui-ci atteste au préalable par écrit avoir pris connaissance des dispositions des deux alinéas suivants, qui sont reproduits sur chaque copie.
« Cette copie ne peut être communiquée à des tiers que pour les besoins de la défense.
« Le fait de la publier par tous moyens, en tout ou en partie, est puni de 25 000 francs d'amende.
« A titre exceptionnel, le juge d'instruction peut s'opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée, à la transmission par l'avocat à son client de certaines copies de pièces ou actes du dossier ».
« II. - Après le premier alinéa de l'article 180 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'ordonnance de renvoi est devenue définitive, le prévenu et la partie civile peuvent se faire délivrer copie du dossier et ce, sauf lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement, à leurs frais. »
« III. - Au troisième alinéa de l'article 186 du code de procédure pénale, après les mots : "de l'ordonnance", sont insérés les mots : "prévue au dernier alinéa de l'article 114 ainsi que de l'ordonnance". »
« IV. - L'article 194 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En matière d'appel de l'ordonnance prévue au dernier alinéa de l'article 114, la chambre d'accusation doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de l'appel, faute de quoi l'avocat est en droit de transmettre à son client les copies ou actes de dossier en cause. »
« V. - L'article 279 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 279 . - Il est délivré gratuitement à chacun des accusés et parties civiles copie du dossier. »
« VI. - L'article 280 du code de procédure pénale est abrogé. »
L'amendement n° 8 vise à rédiger ainsi le 3e alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour remplacer le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale :
« Les parties ou leurs avocats peuvent communiquer pour les besoins de la défense les copies des pièces mises à leur disposition à tout expert qui est alors soumis aux textes régissant le secret professionnel et le secret de l'instruction. »
L'amendement n° 9 a pour objet, au début du 3e alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour remplacer le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « seules les copies des rapports d'expertise » par les mots : « Les copies ».
L'amendement n° 10 tend à supprimer le 4e alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour remplacer le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale.
L'amendement n° 11 vise, après les mots : « tout ou partie de ces reproductions », à rédiger ainsi la fin du 5e alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour remplacer le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale : « par l'avocat à son client. »
L'amendement n° 12 a pour objet, dans la deuxième phrase du sixième alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « non susceptible de recours ».
L'amendement n° 13 tend à supprimer le 7e alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB pour remplacer le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale.
L'amendement n° 14 vise :
I. - Dans le texte proposé par le paragraphe IV de l'article 1er AB pour l'article 114-1 du code de procédure pénale, à remplacer les mots : « diffuser auprès d' » par les mots : « remettre à ».
II. - A compléter in fine le texte proposé par le IV de l'article 1er AB pour l'article 114-1 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé :
« Il n'y a cependant pas de délit lorsque la remise a pour but de dénoncer la longueur déraisonnable de ladite instruction ou de répliquer à une information publique relative à la même instruction. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Georges Othily, rapporteur. Nous abordons ici la question de la remise aux parties de copies du dossier d'instruction. Je me suis déjà largement exprimé à ce sujet à l'occasion de la discussion générale.
Je voudrais rappeler rapidement le droit actuel. Aujourd'hui, les avocats peuvent déjà avoir des copies du dossier, mais ces copies leur sont remises pour leur usage exclusif. Quant aux parties, elles ne peuvent pas avoir de copies, mais elles peuvent, c'est bien naturel, consulter le dossier.
Il faut donc relativiser les choses : on ne saurait affirmer, sous prétexte que les parties ne peuvent obtenir de copies, que les droits de la défense ne sont pas assurés. Si tel était le cas, la France, soyez-en persuadés, aurait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Or, non seulement nous n'avons pas été condamnés, mais la Cour européenne des droits de l'homme a expressément affirmé, en septembre 1993, qu'il n'était pas incompatible avec les droits de la défense de réserver à l'avocat l'accès au dossier.
L'enjeu de l'article 1er AB n'est donc pas de consacrer des droits de la défense qui sont déjà garantis par notre droit ; il est de répondre à la question de savoir si l'on doit aller plus loin et à quel prix.
La commission n'est pas opposée à l'idée d'aller plus loin, c'est-à-dire d'autoriser les parties à obtenir des copies du dossier et non plus seulement à le consulter.
Elle se refuse, en revanche, à le faire au prix du sacrifice d'autres principes essentiels de notre droit, notamment au mépris de la présomption d'innocence.
La remise de copies aux parties doit avoir des contreparties pour éviter une diffusion préjudiciable à d'autres parties, voire à des tiers. Imaginez, mes chers collègues, ce qu'il adviendrait si des copies du dossier circulaient un peu partout.
Certes, il est théoriquement interdit aux parties de communiquer les copies à des tiers, mais, quand il y aura dix, vingt, cinquante parties à une affaire, comment saura-t-on d'où est venue la fuite ?
Par ailleurs, techniquement, l'article 1er AB contient de nombreuses failles. Ainsi, il ne prévoit pas que l'on puisse s'opposer à la remise des copies pour préserver la présomption d'innocence, pas plus qu'il ne prévoit que l'on puisse s'y opposer en cas de risque de concertation frauduleuse entre complices ou de disparitions de preuves.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois propose de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre les amendements n°s 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne me suis pas inscrit sur l'article, monsieur le président, car le fait de défendre l'ensemble de ces amendements me donnera le temps de bien me faire comprendre.
« Il faut mettre fin à une hypocrisie », a-t-on dit ! Nous sommes au siècle de la photocopie et les copies circulent d'ores et déjà partout, tout le monde le sait.
Par ailleurs, je rappelle que d'ores et déjà la loi a donné à l'avocat le droit d'obtenir la copie du dossier d'instruction.
La question est de savoir ce que l'avocat peut en faire. Il a le droit de montrer le dossier à son client soit dans son cabinet, soit à la prison, et si son client lui demande qui l'accuse, il est évident qu'il a le devoir de le lui dire de manière que l'intéressé puisse se défendre.
Chacun devrait penser que s'il lui arrivait d'être mis en examen, il aimerait bien avoir en main la copie de son dossier pour savoir exactement ce qu'on lui reproche et qui le lui reproche. Il ne s'agit de rien d'autre !
Lorsque nous avons proposé l'amendement n° 7, nous avons voulu tenir compte de ceux qui prétendent qu'à titre exceptionnel le juge d'instruction doit pouvoir s'opposer à la transmission par l'avocat à son client de certaines copies de pièces du dossier. Si nous avons fait figurer une telle disposition dans l'amendement n° 7, c'est uniquement pour tenir compte de ceux-là. Le comble, c'est que notre collègue M. Fauchon ne veut pas de notre amendement, précisément parce qu'il institue un contrôle par le juge d'instruction !
De manière à obtenir au moins la voix de notre collègue M. Fauchon,...
M. Pierre Fauchon. Il faut y mettre le prix ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... je demanderai un vote par division afin que le Sénat se prononce d'abord sur les cinq premiers alinéas du paragraphe I, puis sur son dernier alinéa et, ensuite, sur le reste de notre amendement.
J'en viens à l'amendement lui-même.
Le paragraphe I commence par une disposition qui figure déjà dans la loi, à savoir : « Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier. »
Puis, il précise, c'est le système allemand : « Les avocats peuvent transmettre à leur client la copie obtenue. Celui-ci atteste au préalable par écrit avoir pris connaissance des dispositions des deux alinéas suivants qui sont reproduits sur chaque copie. »
Qu'est-ce qui y est reproduit ? D'une part, que « cette copie ne peut être communiquée à des tiers que pour les besoins de la défense. » D'autre part, que le « fait de la publier par tous moyens, en tout ou en partie, est puni de 25 000 francs d'amende. »
Ensuite, vient la disposition qui motive ma demande de vote par division, à savoir : « A titre exceptionnel, le juge d'instruction peut s'opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée, à la transmission par l'avocat à son client de certaines copies de pièces ou actes du dossier. »
Si vous ne voulez pas voter cette disposition, vous ne la voterez pas, mais vous pourrez toujours vous prononcer sur la remise des pièces du dossier sans aucun contrôle du juge d'instruction. Nous sommes en vérité, M. Fauchon et nous, socialistes, d'accord sur cette manière de faire. Ceux qui veulent être rassurés voteront l'alinéa complémentaire.
Le paragraphe II, auquel je ne tiens pas en vérité, - car ce n'est peut-être pas le moment - retient la gratuité de la copie dès qu'il s'agit d'une infraction qui, il n'y a guère, était un crime.
Le paragraphe III prévoit la possibilité d'appel de l'ordonnance du juge s'opposant à la communication par l'avocat à son client de tout ou partie du dossier.
Le paragraphe IV impartit un délai maximum de quinze jours à la chambre d'accusation pour statuer.
Enfin, les paragraphe V et VI consacrent la pratique - depuis qu'il y a des photocopies en matières d'assises - c'est-à-dire la communication gratuite à l'accusé de la copie de la totalité du dossier,...
M. Charles de Cuttoli. Sauf ses propres déclarations !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... je dis la totalité du dossier, alors que la loi ne vise encore que les pièces principales qu'elle détermine.
Par conséquent, pour mettre en harmonie les principes et la réalité, nous demandons que la totalité du dossier soit remise gratuitement à l'accusé.
Quant à nos amendements n°s 8 à 14, ils s'appliquent au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale et qui n'a pas été retenu par la commission. Etant donné que ce texte a les faveurs du Gouvernement, pour le cas où notre amendement n° 7 ne serait pas adopté - son adoption serait évidemment la meilleure solution puisque c'est ce texte-là que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait pris en considération - il nous faut en effet proposer de le modifier sur les points que nous jugeons particulièrement critiquables.
L'amendement n° 8 vise le troisième alinéa du texte proposé par le paragraphe I de l'article 1er AB : « Seules les copies des rapports d'expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense. »
Pour notre part, nous demandons que, pour les besoins de la défense, toutes pièces puissent être communiquées.
C'est très bien de penser aux rapports d'expertise. Dans une affaire d'accident de la circulation, par exemple, si l'expert prévoit une incapacité permanente de 25 %, que fait la victime ? Elle va vouloir obtenir l'avis d'un autre médecin. Elle va donc demander à son avocat de lui remettre la copie du rapport d'expertise afin de la communiquer au médecin en question.
Or, actuellement, tous deux tombent sous le coup de la loi : l'avocat, d'abord, qui n'a pas le droit de remettre la copie du rapport d'expertise à son client, et le client, qui n'a pas le droit de la remettre à un tiers médecin.
Mais il n'y a pas que le rapport d'expertise qui doit pouvoir être communiqué. Imaginons une affaire un peu plus compliquée, portant par exemple sur un grave accident du travail qui s'est produit à l'occasion de l'utilisation d'une machine : il y a des constatations faites par la direction de la main-d'oeuvre, des déclarations de personnes ayant travaillé sur cette machine, etc. Si l'on veut demander l'avis d'un homme de l'art, on ne peut pas se contenter de lui remettre la copie du rapport d'expertise ; il faut qu'il puisse prendre connaissance de l'ensemble du dossier.
C'est pourquoi nous proposons, par cet amendement n° 8, que les parties ou leurs avocats puissent communiquer, pour les besoins de la défense, les copies des pièces mises à leur disposition à tout expert, qui est alors soumis aux textes régissant le secret professionnel et le secret de l'instruction.
En cet instant, nous ne voulons pas de mal au secret de l'instruction : nous voulons simplement qu'il soit partagé avec ceux avec lesquels il doit être partagé.
L'amendement n° 9 est un amendement de coordination.
Avec l'amendement n° 10, nous arrivons au plus beau ! Il s'agit du quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 1er AB. C'est en fait un sous-amendement que vous avez présenté, monsieur le garde des sceaux, au texte qui était notre amendement.
« L'avocat doit donner connaissance au juge d'instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception... »
Peut-on imaginer procédure plus lourde ? Le fax, cela existe ! Aujourd'hui, les juges d'instruction communiquent avec les avocats par fax pour leur dire qu'ils refusent une mise en liberté ou qu'il sera procédé tel jour et à telle heure à un interrogatoire.
Là, vous voulez que l'avocat se rende au cabinet du juge d'instruction ou qu'il lui envoie une lettre recommandée avec accusé de réception ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas très rapide ! Or il peut être urgent de remettre une pièce au client.
Et de quoi donc l'avocat doit-il ainsi donner connaissance au juge d'instruction ? De « la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client ».
C'est énorme !
Cela signifie que l'avocat doit préciser au juge d'instruction celles des pièces du dossier qu'il a l'intention de remettre à son client. Mais les rapports entre le client et son avocat, c'est quelque chose d'absolument sacré ! Ce sont des droits fondamentaux que ceux de la défense, reconnus par le Conseil constitutionnel comme étant eux-mêmes constitutionnels. Comment pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, admettre dans un texte de loi l'obligation pour l'avocat de faire savoir au juge d'instruction quelles pièces exactement il entend remettre à son client ?
Dans le sytème que nous vous proposons, l'avocat demande soit un certain nombre de pièces soit la totalité du dossier, sans préciser celles qu'il veut ou non communiquer à son client, et le juge peut dire - si le Sénat adopte le dernier aliéna de notre amendement - qu'il s'oppose à ce que telle au telle pièce soit communiquée au client. Mais ne demandez pas à l'avocat de dévoiler ses desseins et sa stratégie à travers la révélation des pièces qu'il entend communiquer à son client ! C'est tout à fait impossible ! Cela nous paraît, encore une fois, anticonstitutionnel.
J'en viens au cinquième alinéa du paragraphe I et à l'amendement n° 11.
Faute d'ajouter à cet alinéa la précision que nous proposons, à savoir que c'est à la remise « par l'avocat à son client » de tout ou partie des reproductions que le juge d'instruction peut s'opposer dans un délai de cinq jours, on paraîtrait revenir sur la possibilité qui est actuellement donnée par la loi de remettre la totalité du dossier à l'avocat. L'amendement n° 12 est également très important.
Le sixième aliéna du paragraphe I prévoit que, si le juge s'oppose à la communication des copies au client, l'avocat peut saisir le président de la chambre d'accusation, qui rendra alors une « décision écrite et motivée ; non susceptible de recours ». Et bien, nous ne voyons pas pourquoi il ne pourrait y avoir de recours !
S'il y a une opposition de la part et du juge et du président de la chambre d'accusation mais que cela peut faire l'objet d'un recours, il est bien évident que, néanmoins, l'avocat ne pourra jamais remettre la pièce à son client, car, lorsque la Cour de cassation statuera, l'affaire sera terminée depuis longtemps. Cependant, cela présentera tout de même l'intérêt de voir la Cour de cassation établir une jurisprudence valable pour l'ensemble du pays en la matière.
L'amendement n° 13 vise une disposition issue d'un sous-amendement présenté par le Gouvernement :
« Les modalités selon lesquelles ces documents peuvent être remis par son avocat à une personne détenue et les conditions dans lesquelles cette personne peut détenir ces documents sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
Nous disons non, et ce pour une raison très simple.
Je sais bien qu'un arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 1995 s'appliquait à un détenu qui avait jeté par la fenêtre les pièces du dossier d'instruction que son avocat lui avait remises. Mais ce genre de choses n'arrive pas tous les jours, il faut bien le dire !
Dans toutes les affaires d'assises, les accusés se voient remettre la totalité de leur dossier. En outre, depuis les décisions de la Cour de cassation du 12 juin 1996, dès que l'instruction est terminée, tous les détenus ont d'ores et déjà le droit de se voir remettre la totalité de leur dossier.
Si vous voulez absolument prendre un décret, vous prendrez un décret simple, car le régime pénitentiaire relève du décret simple. Si vous prévoyez un décret en Conseil d'Etat, il suffira de ne pas prendre ce décret - et nous savons bien que, très souvent, un certain temps s'écoule avant que les décrets d'application soient pris, quand ils sont pris ! - pour que les détenus n'aient pas la possibilité d'avoir la copie de leur dossier. Or l'article 716 du code de procédure pénale, repris par les articles D 67 à D 69 du même code, explique déjà que la communication de l'avocat et de son client est libre dès lors qu'elle est compatible avec les exigences de la discipline et de la sécurité de la prison.
Si vous avez quelque chose à ajouter à cela, vous le direz par un décret simple, mais la loi doit s'appliquer dès sa parution. Tel est l'objet de notre amendement n° 13.
J'en arrive enfin à l'amendement n° 14, qui est extrêmement important.
De quoi s'agit-il ?
Il arrive que le secret de l'instruction soit violé dès le départ, par exemple parce qu'un procureur de la République tient une conférence de presse, ce qui n'est pas autorisé par la loi : des circulaires - des circulaires, mais non pas la loi - autorisent les procureurs à faire des communiqués, mais la conférence de presse n'est pas prévue.
Quoi qu'il en soit, il est clair que, dès lors, il n'y a plus de secret de l'instruction ; à partir du moment où il est violé, l'instruction se trouve sur la place publique. Est-ce que celui dont on va ainsi savoir, du fait du procureur, qu'il est mis en examen va avoir le droit de se défendre sur la place publique ? Il faudrait qu'il l'ait. Et, dans une telle hypothèse, qu'une pièce soit publiée ne devrait pas être un cas de condamnation.
M. le garde des sceaux voit bien de quoi je parle, car il a lui-même demandé que soit mis en examen un journaliste de L'Est républicain, M. Laïd Sammari, auquel il est reproché d'avoir publié des documents dans l'affaire Gigastorage, documents qui avaient pour but de démontrer que l'accusation portée contre M. Christian Proust, président du conseil général du Territoire de Belfort, ne tenait pas.
C'est dans ce cas-là que M. le garde des sceaux a, pour la première fois, demandé que soient engagées des poursuites pour violation du secret de l'instruction, ce qui est tout de même un comble !
Que l'on fasse poursuivre lorsque la violation du secret de l'instruction a pour but de salir quelqu'un, de le « jeter aux chiens », par exemple, on peut le comprendre ! Mais, lorsqu'elle a pour but d'empêcher qu'une affaire soit étouffée ou de permettre à un innocent de s'expliquer, alors que le secret de l'instruction a été violé par le parquet lui-même, il faudrait féliciter le journaliste !
Pour l'instant, dans notre amendement, il n'est question que de « la partie », mais il prévoit qu'il n'y a pas de délit lorsque la remise à un tiers a pour but de dénoncer la longueur déraisonnable de l'instruction ou de répliquer à une information publique relative à la même instruction.
Nous serons heureux d'entendre l'avis de M. le garde des sceaux sur cet amendement.
Sur ces différents sujets, nous n'avons pas pu entendre la commission puisqu'elle n'a purement et simplement pas voulu retenir la possibilité, pour l'avocat, de communiquer une pièce...
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, il me semble que vous avez défendu tous vos amendements. Nous pourrions maintenant entendre ce que la commission et le Gouvernement ont à dire à leur sujet. Vous aurez sûrement l'occasion d'intervenir à nouveau tout à l'heure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En effet, monsieur le président, j'ai terminé. Cela étant, je ne sais pas si j'ai dépassé le temps de parole auquel j'ai droit.
M. le président. Si vous l'aviez dépassé, je vous l'aurais dit ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme ce n'est pas le cas, je m'étonne que vous m'interrompiez.
M. le président. Je l'ai fait parce que vos propos ne portaient plus sur vos amendements eux-mêmes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. le président. Il en est du moins ainsi décidé par la présidence ! (Nouveaux sourires.)
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 7 à 14 ?
M. Georges Othily, rapporteur. Monsieur le président, je serai moins long pour donner l'avis de la commission sur ces amendements. En effet, ils partent du principe que les copies des pièces doivent être communiquées aux parties. Ayant refusé d'admettre ce principe, la commission ne peut qu'y être défavorable.
(M. Jean Delaneau remplace M. Yves Guéna au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je crois que la meilleure façon de répondre à l'amendement de suppression de l'article 1er AB de la commission et aux amendements que M. Dreyfus-Schmidt vient d'exposer est en fait d'expliquer au Sénat le système qui a été adopté par l'Assemblée nationale.
L'article 1er AB s'inscrit dans la droite ligne, d'une part, des propositions du rapport « Justice et transparence », en date du mois d'avril 1995 et rédigé par M. Jolibois, et, d'autre part, de la proposition de loi déposée par M. Dreyfus-Schmidt et présentée au Sénat à la fin de l'année 1995.
Le texte proposé à l'époque par M. Jolibois était extrêmement lapidaire puisqu'il consistait à compléter l'article 114 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé : « Sous leur propre responsabilité, les avocats peuvent transmettre à leur client, pour leur usage exclusif, les copies ainsi obtenues. »
Le texte proposé par M. Dreyfus-Schmidt, dont la dernière mouture figure d'ailleurs dans le rapport de M. Othily, était plus précis et donnait la possibilité au juge d'instruction de s'opposer à la délivrance des copies sous le contrôle du président de la chambre d'accusation en cas d'appel.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale n'est, en réalité, que l'aboutissement de cette réflexion entamée depuis au moins deux ans.
Tout d'abord, le principe de la communication des pièces est clairement posé. M. Jolibois, dans son rapport, en avait émis le voeu. La proposition de M. Dreyfus-Schmidt tendant à donner la possibilité au juge d'instruction de refuser la communication des pièces est également reprise. Les modalités d'application de cette faculté sont toutefois précisées. Tel n'était pas le cas dans le texte de M. Dreyfus-Schmidt, ce qui constituait d'ailleurs une lacune évidente. Comment le juge d'instruction pourrait-il s'opposer à la communication des pièces s'il ne sait pas que l'avocat veut communiquer celles-ci ? Il faut donc - c'est ce que prévoit le texte - que l'avocat prévienne le juge d'instruction de son intention, ce dernier disposant d'un court délai, puisqu'il n'est que de cinq jours ouvrables, pour s'y opposer.
Pour que la décision du juge d'instruction puisse intervenir en toute connaissance de cause, l'avocat doit bien évidemment préciser les pièces qu'il souhaite communiquer.
Prenons le cas d'un dossier de proxénétisme dans lequel figurent les procès-verbaux de certains témoins vulnérables ainsi que des constatations policières. Si l'avocat ne souhaite communiquer que ces dernières, il est logique qu'il l'indique au juge d'instruction, qui pourra ne pas s'y opposer alors qu'il refuserait la transmission des procès-verbaux sur lesquels figurent, par exemple, l'adresse des témoins.
Il n'y a là aucune immixtion du juge, comme le dit M. Dreyfus-Schmidt, dans le système de défense de l'avocat qui doit informer son client du contenu des témoignages à charge sans pour autant lui préciser l'adresse des témoins.
Cette précision sur les pièces dont la communication est envisagée évitera, en pratique, des refus inutiles.
Par ailleurs, le refus du juge d'instruction devra être motivé, comme le souhaitait M. Dreyfus-Schmidt, mais par référence au risque de pressions. Cette précision utile limite donc les possibilités de refus du juge. Il me paraît totalement injustifié de demander l'avis du bâtonnier sur une telle question, comme l'envisageait la proposition de loi socialiste.
Le recours contre la décision du juge est porté devant le président de la chambre d'accusation. Cette procédure est plus efficace et plus rapide qu'un contrôle devant la chambre d'accusation. Il en est de même du système relatif au refus de délivrance du permis de visite.
J'ai introduit à l'Assemblée nationale un système plus rigoureux pour les parties civiles dont la recevabilité de la demande est contestée. Leurs avocats devront être préalablement autorisés à communiquer les pièces du dossier à leurs clients. Il peut en effet s'agir de ce que j'ai appelé de véritables « coucous » procéduriers, qui n'ont aucun rapport avec la procédure et qui viennent seulement y faire leur nid pour en diffuser ensuite les pièces dans les médias.
Enfin, l'interdiction faite aux parties de communiquer à un tiers les pièces remises par l'avocat connaît une exception pour les rapports d'expertise lorsque cette communication est nécessaire pour les besoins de la défense.
La sanction de l'inobservation de ces différentes règles est assurée de façon efficace. En effet, la partie qui communiquerait à un tiers les pièces remises par son avocat encourt une amende de 25 000 francs. Pour prévenir de tels faits, le client devra être averti de cette sanction par son avocat.
Quant à l'avocat qui communiquerait les pièces à son client en dépit du refus du juge, il serait passible, comme aujourd'hui, de sanctions disciplinaires.
Enfin, la publication de ces pièces dans les médias est punie, en vertu de l'article 38 de la loi sur la liberté de la presse, de 25 000 francs d'amende.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale est donc cohérent et équilibré. C'est pourquoi je vous demande de l'adopter, c'est-à-dire de ne pas voter l'amendement de suppression proposé par la commission des lois.
J'en viens aux amendements présentés par le groupe socialiste.
S'agissant de l'amendement n° 7, comme je viens de l'expliquer, la rédaction retenue par l'Assemblée nationale pour le paragraphe I est meilleure. En effet, M. Dreyfus-Schmidt propose, dans le dernier alinéa de ce paragraphe, que le juge d'instruction choisisse les pièces qui peuvent être communiquées, alors que, selon le texte de l'Assemblée nationale, c'est l'avocat qui dresse la liste des pièces qu'il veut communiquer ; le juge la refuse ou l'accepte.
Quant au paragraphe II de l'amendement n° 7, il est inutile, car la jurisprudence consacre déjà ce principe.
S'agissant des paragraphes III et IV, comme je l'ai expliqué, l'appel doit être interjeté devant le président de la chambre d'accusation.
Enfin, les paragraphes V et VI me paraissent relever de la réforme de la cour d'assises et non du présent projet de loi.
Pour ce qui est de l'amendement n° 8, la possibilité, pour les besoins de la défense, de transmettre les copies de rapports d'expertise à des tiers me semble nécessaire ; en revanche, la proposition tendant à prévoir la possibilité de communiquer n'importe quelle pièce aux seuls experts est à la fois trop large et trop réductrice.
Quant à l'amendement n° 9, il serait, à mon sens, excessif de permettre aux parties de transmettre n'importe quelle pièce du dossier à des tiers.
S'agissant de l'amendement n° 10, il est, à mon avis, indispensable que le juge d'instruction sache, contrairement à ce que prévoit cet amendement, quelles pièces l'avocat va remettre pour statuer en toute connaissance de cause. Cette disposition ne porte nullement atteinte aux droits de la défense.
Concernant à l'amendement n° 11, j'ai déjà indiqué que le texte de l'Assemblée nationale n'est nullement ambigu. Le refus éventuel du juge d'instruction ne concerne bien évidemment que la transmission par l'avocat à son client des pièces du dossier et non la communication par le juge à l'avocat de ces mêmes pièces.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Autant le dire !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 12 dans la mesure où, comme je viens de le dire en présentant le texte de l'Assemblée nationale, il s'agit exactement de la même règle qu'en matière de permis de visite prévue par la loi du 4 janvier 1993 votée, je le rappelle, par la majorité socialiste. Il ne faut donc pas non plus multiplier les contentieux. Le refus du juge d'instruction devra être motivé en fait, ce que ne peut contrôler la Cour de cassation.
Quant à l'amendement n° 13, pourquoi est-il nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d'Etat ? La procédure pénale est du domaine de la loi, mais le législateur peut renvoyer certaines précisions techniques au décret.
Je vous rappelle que le code de procédure pénale comporte deux parties réglementaires : la première comprend les articles R. 1 à R. 250 et la seconde, les articles D. 1 à D. 600.
Par ailleurs, le régime pénitentiaire relève du décret simple. Mais pourquoi refuser en l'espèce la garantie supplémentaire que constitue l'avis obligatoire du Conseil d'Etat ?
Troisièmement, les articles actuels régissant les relations entre l'avocat et le détenu, qui concernent la communication et non la remise des documents, sont insuffisants pour régler la question.
Je peux m'engager, au nom du Gouvernement, à ce que ce décret soit publié aussi rapidement que possible, étant observé que la loi n'entrera pas en vigueur avant la fin du mois de mars 1997, ce qui laisse le temps nécessaire pour préparer ce texte.
Enfin, s'agissant de l'amendement n° 14, il est clair qu'une partie n'est pas liée par le secret de l'instruction ; c'est la règle actuelle. Elle peut rapporter tout ce qu'elle veut à la presse sans lui remettre les pièces du dossier. Voilà pourquoi je suis également opposé à l'amendement n° 14.
Pour toutes les raisons importantes que je viens d'exposer, je souhaite que le Sénat s'en tienne au texte qui vient de l'Assemblée nationale.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je ne crois pas que le texte qui résulte des travaux de l'Assemblée nationale et qui vient d'être soutenu par M. le garde des sceaux soit satisfaisant du point de vue de la technique juridique. Nous sommes dans le domaine de la procédure pénale. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Il ne faut ni alourdir des dispositions, ni légiférer quelque peu dans la hâte au risque d'aboutir à des textes inapplicables.
Permettez-moi, tout d'abord, monsieur le garde des sceaux, de relever l'un de vos propos.
Vous avez cité tout à l'heure la proposition de M. Charles Jolibois, mais vous l'avez extraite de son contexte. En effet, elle n'intervenait que comme la conséquence d'une remise en ordre de toutes les dispositions relatives au secret de l'instruction. Elle était, en quelque sorte, un aboutissement mais elle n'était pas susceptible d'être prise isolément, comme vous l'avez fait, pour en tirer argument. Je ne crois pas que celui-ci puisse être retenu. Nous sommes ici plusieurs à avoir suivi les travaux de M. Charles Jolibois avec beaucoup d'intérêt, et nous y avons même participé. M. Jolibois n'a jamais présenté une proposition de ce type de manière isolée.
Monsieur le garde des sceaux, je vous ai écouté attentivement. Il vous a fallu presque quatre minutes pour nous expliquer la procédure que vous nous proposez ! Voilà ce que vous nous suggérez pour permettre aux avocats d'avoir enfin - et vous sembliez le souhaiter - connaissance de quelques pièces qui seraient peut-être nécessaires - M. le rapporteur vous a parfaitement démontré qu'il n'en était rien - pour assurer les droits de la défense.
J'ai indiqué en commission des lois que j'avais cru comprendre le cheminement intellectuel de la Chancellerie et, en tout cas, le vôtre. Il fut un temps où vous avez été défavorable à la modification de l'article 114 du code de procédure pénale. On peut changer d'avis, me direz-vous, mais, mesurant la portée exacte de la modification de cet article, vous vous êtes aperçu qu'il n'était pas possible d'en venir au seul système envisageable si cet article était supprimé, c'est-à-dire un système de liberté absolue ou quasi absolue.
Vous avez alors inventé une procédure. Je ne retiendrai pas, à mon tour, pendant quelques minutes l'attention du Sénat pour essayer d'expliquer cette procédure, car elle est si complexe qu'elle entraînera, à toutes les étapes de sa mise en oeuvre, des difficultés qui devront être arbitrées dans des conditions qui ne sont même pas précisées.
Ce texte n'est pas bon, monsieur le garde des sceaux. Il s'agit non pas de prendre position pour ou contre le Gouvernement mais, tout simplement, de savoir si nous élaborons, dans ce domaine si sensible de la procédure pénale, un texte qui améliore la situation actuelle et qui soit applicable. Or, je suis au regret de vous dire que la commission, dans sa majorité, a estimé que tel n'était pas le cas avec cet article. C'est donc pour cette raison que, dans l'immédiat, il a été jugé préférable de s'en tenir au texte actuel, qui pourra peut-être être amélioré. C'est un point que nous devrons étudier dans le cadre général d'une réforme de la procédure pénale.
En tout cas, personnellement, je ne souhaite pas - et j'ai tenu à le dire - que le Sénat donne sa caution à une disposition qui sera inapplicable.
Notre soutien au Gouvernement n'est pas en cause à l'égard de mesures de ce genre. Mais il appartient au législateur d'essayer d'élaborer des dispositions qui soient applicables. Or celles-ci ne le sont pas.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La position de la commission est évidemment tout à fait inadmissible.
On a suffisamment dit que, en pratique, un avocat a besoin de communiquer les pièces du dossier à son client. En outre, il est légitime qu'une personne mise en examen souhaite avoir connaissance de son dossier.
La commission des lois s'y refuse ! A l'en croire, il faudrait continuer à poursuivre les avocats qui remettent des pièces à leur client ! Cette pratique s'est suffisamment instaurée pour que, récemment, il ait fallu recourir au droit de grâce exercé par le Président de la République afin qu'un avocat ne soit pas sali et puisse continuer à exercer son métier.
Il s'agit d'un point important ! Si vous votez l'amendement de la commission, contre l'avis du Gouvernement, contre notre avis et contre l'avis de beaucoup, vous décidez de maintenir l'hypocrisie qui consiste à interdire à un avocat de remettre tout ou partie de la copie de son dossier à son client.
Par conséquent, je demande au Sénat de repousser l'amendement de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7, sur lequel M. Dreyfus-Schmidt a demandé un vote par division.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, la commission est quelque peu embarrassée, car la position qui est la sienne n'a pas été retenue. Bien évidemment, elle en prend acte, mais elle ignore à quelle proposition positive elle peut aboutir.
La commission a présenté un amendement tendant à supprimer l'article 1er AB. Pour des raisons que je comprends parfaitement, cet amendement n'a pas été adopté par un certain nombre de nos collègues. Toutefois, la commission ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé du texte du Gouvernement. Je demande donc une suspension de séance, monsieur le président, de façon que la commission puisse se réunir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre la demande de réunion de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur Dreyfus-Schmidt, en tant que président, c'est moi qui demande cette réunion !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai bien compris !
M. le président. Dans ce cas, monsieur Dreyfus-Schmidt, elle est de droit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais les commissaires ne sont pas présents !
M. le président. Mes chers collègues, pour permettre à la commission des lois de se réunir, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures trente.)