M. le président. Par amendement n° 3 rectifié, M. Hyest, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 3, un article additionnel rédigé comme suit :
« Après le dernier alinéa de l'article 706 du code de procédure civile (ancien), insérer un alinéa rédigé comme suit :
« Si le montant de la mise à prix a été modifié dans les conditions prévues au sixième alinéa de l'article 690 et s'il n'y a pas eu d'enchère, le bien est immédiatement remis en vente sur baisses successives du prix fixées par le juge, le cas échéant jusqu'au montant de la mise à prix initiale. A défaut d'adjudication, le poursuivant est déclaré adjudicataire pour cette mise à prix. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 11, présenté par M. Allouche et les membres du groupe socialiste et apparentés et tendant, après les mots : « s'il n'y a pas eu d'enchère », à rédiger comme suit la fin du texte proposé par l'amendement n° 3 rectifié : « le poursuivant n'est déclaré adjudicataire qu'avec son accord ».
M. Guy Allouche. Je retire ce sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 11 est retiré.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 3 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous en arrivons à un point important qui concerne la suite qui sera donnée à la mise aux enchères publiques s'il n'y a pas d'enchérisseur.
Jusqu'à présent, c'est le créancier poursuivant qui fixait la mise à prix. Bien entendu, cette règle n'était pas satisfaisante dans la mesure où, s'agissant du logement principal - et généralement de prêteurs institutionnels -, la tentation était grande de fixer une mise à prix couvrant simplement la créance en capital ! Or, bien souvent, les personnes ont encore une dette importante après que leurs biens ont été vendus, et c'est donc cette situation que nous devons essayer de prévenir.
La proposition de loi de l'Assemblée nationale consistait à juste titre à prévoir - je suis tout à fait d'accord, et nous l'avons d'ailleurs décidé - que l'on pouvait faire un dire sur la mise à prix. Quand cette dernière est manifestement trop basse, le débiteur peut demander qu'elle soit relevée par le juge, sinon en fonction des prix du marché, du moins en fonction des enchères habituellement pratiquées pour des biens comparables.
Je rappelle tout de même que, s'agissant d'enchères, la mise à prix a par définition pour vocation non pas de fixer le prix final, mais d'attirer des enchérisseurs. Sinon, ce n'est pas la peine d'organiser des mises aux enchères ! Il vaut mieux des ventes amiables systématiques, dès lors qu'il existe un marché.
Pour l'Assemblée nationale, si le juge a modifié la mise à prix et s'il n'y a pas d'enchérisseur, l'adjudicataire est automatiquement le créancier. Mais ce système présente un vice grave ! Cela veut dire en effet que le créancier estime que ce n'est pas le bon prix ou qu'il n'y a pas de marché. Il sera donc adjudicataire d'un bien pour lequel il n'a pas fixé la mise à prix. Parfois, il peut d'ailleurs très bien ne pas être en mesure de payer le prix fixé par le juge !
Citons un exemple précis, celui des syndicats de copropriété, qui peuvent poursuivre en cas de carence de l'un des copropriétaires.
Imaginez que, dans un immeuble, on dise aux copropriétaires que la mise à prix a été modifiée par le juge et qu'ils doivent apporter une somme extrêmement importante pour couvrir le montant du bien dont la copropriété a été adjudicataire. Je pense tout de même qu'il y a là une réelle difficulté, car on ne peut pas décider de rendre adjudicataire le créancier en tout état de cause, quel que soit le montant fixé par le juge ! Cela me paraît impossible.
M. Pierre Fauchon. C'est évident !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Partant de cette réflexion, monsieur le garde des sceaux, et pour essayer d'en sortir, si la mise à prix ne rencontre pas d'enrichisseurs, le juge - et ce n'est pas contesté car, cela peut être une question de marché - peut très bien décider, après avoir fixé une mise à prix et constaté l'absence d'enrichisseur, une baisse de 20 %, mais bien entendu en restant au-dessus de la mise à prix fixée initialement par le créancier poursuivant.
Il se peut très bien qu'il y ait alors des enchères et, dans ce cas, s'applique de nouveau le dispositif habituel du code de procédure civile. Quelqu'un peut décider de prendre 20 % de moins, quelqu'un d'autre peut être intéressé à 10 % de moins...
Bien entendu, si, avec des baisses successives de la mise à prix, il n'y a toujours pas d'enchérisseur, l'adjudicataire sera le créancier, à sa mise à prix de départ.
Je le reconnais, il s'agit, en quelque sorte, d'une innovation, bien que cela existe dans d'autres secteurs, notamment en matière de liquidations d'entreprises, à l'occasion desquelles on peut trouver des repreneurs dans de telles conditions.
Monsieur le garde des sceaux, je ne connais pas exactement le dispositif global que vous proposez, ce qui m'ennuie un peu. Vous m'avez opposé que le système adopté par la commission des lois n'était pas bon. Je suis prêt à en convenir, mais je demande qu'on m'en propose un autre qui soit équilibré. Ou bien on détruit totalement le système actuel de la saisie immobilière, mais il faut trouver un adjudicataire à défaut d'enchère - M. Allouche l'a d'ailleurs bien compris puisqu'il a retiré son sous-amendement - ou bien on crée, comme à l'Assemblée nationale, un système qui me paraît déséquilibré au détriment du créancier de bonne foi.
L'amendement de la commission a précisément pour objet de prendre en compte la faculté de contestation de la mise à prix introduite par l'Assemblée nationale et de l'assortir d'un mécanisme de sortie pour éviter que le créancier soit, le cas échéant, adjudicataire à un autre prix que sa propre mise à prix.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je comprends très bien le souci de la commission des lois, notamment le fait qu'il lui paraisse difficile de justifier que le créancier poursuivant se voie automatiquement imposé de devenir propriétaire d'un bien pour un prix qu'il n'a pas fixé.
L'idée qui consiste à permettre au juge, à défaut d'enchérisseur, d'abaisser la mise à prix qu'il a fixée n'est donc pas en soi condamnable. Toutefois, le système de mise aux enchères décroissantes proposé par la commission des lois me paraît présenter des inconvénients, sur les plans pratique et psychologique.
Psychologiquement, d'abord, il est peu satisfaisant pour le débiteur qui voit la mise à prix de son bien baisser successivement ; il ne l'est pas non plus pour le juge - comme vient de le dire M. Hyest pour qui chaque baisse de la mise à prix constitue une sorte de désavoeu.
Qui plus est, ce système peut présenter très facilement un effet pervers, dans la mesure où les amateurs éventuels se garderont bien d'enchérir sur la mise à prix fixée par le juge. Ils attendront systématiquement qu'elle se réduise le plus possible.
Pour autant, comme je l'ai dit tout à l'heure à la tribune, nous n'avons pas encore trouvé de solution pleinement satisfaisante en la matière. Comment pallier cette difficulté qui fait que le créancier, faute d'enchérisseur, est déclaré automatiquement adjudicataire ? Comment trouver un système qui permettrait au créancier de se trouver enchérisseur pour sa propre mise à prix ?
Je ne méconnais pas les problèmes liés à cette situation ni la difficulté d'y apporter une solution. Or je n'ai pas encore, à l'occasion de la préparation du projet de loi sur la saisie immobilière, trouvé de solution.
Dès lors, ne serait-il pas plus sage, en attendant une solution meilleure, de s'en tenir au système actuel ? Je pense que le Sénat devrait en décider ainsi. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'en remet à sa sagesse.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je tiens à indiquer que, dans la dernière phrase de l'amendement n° 3 rectifié, qui prévoit que, « à défaut d'adjudication, le poursuivant est déclaré adjudicataire pour la mise à prix », il s'agit bien de la mise à prix initiale. Cela me paraît aller de soi, mais peut-être fallait-il ici le préciser.
M. Pierre Fauchon. C'est clair !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est effectivement très clair !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le créancier ne peut être adjudicataire à un prix qu'il n'a pas fixé lui-même, cela n'est pas acceptable. Vous venez de nous dire, monsieur le garde des sceaux, que vous ne pouviez pas proposer de solution, parce que vous n'en aviez pas trouvé. Bien entendu, pour notre part, nous aurions été preneurs d'une solution susceptible de s'intégrer dans la réforme générale de la saisie car, on ne peut prévoir un dispositif particulier pour le logement principal et un dispositif d'ordre général pour les saisies immobilières sans tomber dans l'absurde. Il faut trouver une solution commune. Mais j'observe qu'en l'état vous ne nous en proposez pas.
Par ailleurs, je ne pense pas que la baisse de la mise à prix fixée par le juge constitue une remise en cause de celui-ci.
De toute façon, il va falloir que nous cheminions ensemble pour trouver une solution intelligente. J'estime toutefois que celle de la commission mérite d'être creusée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. La solution proposée ne me semble pas un pis-aller. Au contraire, je crois que nous avons trouvé une bonne solution, et qui correspond à une pratique beaucoup plus fréquente qu'on ne le croit.
Il y a deux éléments difficiles à concilier : d'une part, on ne peut pas obliger le créancier à acheter plus cher que ce qu'il offre ; d'autre part, il faut essayer de faire en sorte que le débiteur vende le plus cher possible. Comment faire ?
Nous proposons de partir de l'enchère haute et de baisser le prix s'il n'y a pas d'amateur. C'est un bon système et, je le répète un système de pratique courante.
Ayant, pour mon malheur peut-être, tendance à céder aux tentations des salles des ventes, j'ai assisté de nombreuses fois, s'agissant notamment d'objets d'art ou de livres d'art - il en va sans doute de même pour les autres ventes - à des scénarios dans lesquels le commissaire-priseur, pour pousser les prix, fait une mise à prix assez élevée à laquelle personne ne souscrit ; puis il diminue jusqu'à descendre bas ; les preneurs commencent alors à se manifester, de peur que le bien ne leur échappe. La fluctuation des prix est donc motivante. Ensuite, on voit l'enchère remonter et dépasser la mise à prix initiale. Cela arrive constamment dans les salles des ventes ! C'est un système très souple, qui est, je crois, satisfaisant.
En revanche, il est regrettable que ces biens soient vendus sans donner lieu à publicité. En effet, c'est elle qui fait la réussite d'une vente. Dans les conditions normales, la vente d'un bien est précédée d'une publicité : des annonces paraissent dans la presse. Mais il vrai que par définition, le débiteur qui est obligé de vendre n'a pas le moyen de payer une publicité, si ce n'est une publicité confidentielle dans des revues que très peu de gens lisent. Et il n'y a pas de solution pour remédier à cet inconvénient.
En l'occurrence, j'apprécie que l'on ait consenti un délai de six mois au débiteur, car il pourra le mettre à profit pour trouver une agence qui l'aidera à vendre son bien dans les meilleures conditions.
Pour conclure, je répète que le système des enchères en « yoyo » se pratique quotidiennement et qu'il fonctionne fort bien. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Les arguments avancés par notre rapporteur me semblent convaincants. Il est vrai qu'on ne peut pas forcer un créancier à être adjudicataire à un prix qu'il n'a pas fixé ; c'est vrai notamment dans le cas d'une copropriété.
Toutefois, je crains que la disposition que souhaite introduire la commission ne facilite les ententes. Le risque existe ! Peut-être cette mesure va-t-elle inciter les débiteurs à ne pas être trop gourmands dans la contestation, mais il est à craindre qu'à partir du moment ou l'on saura qu'il n'y aura pas d'enchérisseur au prix fixé baisser celui-ci, et que le juge va automatiquement, il y ait une entente.
Aussi, monsieur le garde des sceaux, je vous demanderai de veiller, lors de l'élaboration du projet de loi que vous êtes en train de préparer, à assurer la publicité de ces mises en vente par adjudication, qui, actuellement, sont un peu trop confidentielles, ce qui facilite les collusions. Peut-être une meilleure information du grand public réduira-t-elle ce risque.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.

Article 4