M. le président. « Art. 22. _ Les engagements réglementés des fonds d'épargne retraite ne peuvent être représentés pour plus de 65 % par des titres de créance tels que définis au 2° de l'article premier de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 relative à la modernisation des activités financières, à l'exclusion des obligations convertibles, remboursables ou échangeables en titres de capital, ou par des parts ou actions d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières investies à titre principal dans ces mêmes titres de créance. Un décret fixe les modalités d'application du présent article. »
Sur l'article, la parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Cet article 22 est particulièrement important. Il concerne en effet l'utilisation des fonds collectés sur les plans d'épargne retraite.
J'ai cru comprendre que l'essentiel des flux des sommes collectées sur les plans d'épargne retraite serait orienté, pour un volume maximal d'environ 65 %, vers des obligations émises par le secteur privé ; le reste serait orienté vers des actions ou des placements en quasi-fonds propres ou des souscriptions de parts d'organismes de placement collectif.
J'ai cru comprendre aussi que, dans cette logique, les placements sur des titres de la dette publique seraient exclus.
Je souhaite que M. le ministre et M. le rapporteur confirment ou infirment l'analyse que je fais ici et qu'ils nous expliquent en quoi la souscription de titres du Trésor serait contre-indiquée pour les fonds de pension.
Je rappelle, par ailleurs, que des actions qui sont aujourd'hui considérées comme des placements « de père de famille » peuvent, du jour au lendemain, devenir des titres risqués. Je me souviens que les pouvoirs publics et toute la place financière préconisaient, il y quelques années, l'achat d'actions d'Eurotunnel que le titre Crédit foncier de France était encore, voilà deux ou trois ans, un placement de père de famille.
Bref, comment M. le rapporteur et M. le ministre entendent-ils garantir la sécurité des souscripteurs face à ces placements à risque qui sont également un complément de retraite ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 95, MM. Massion, Autain, Mélenchon, Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 30 rectifié, M. Marini, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Les engagements réglementés des fonds d'épargne retraite ne peuvent être représentés pour plus de 65 % par des titres de créance visés au 2° de l'article premier de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 relative à la modernisation des activités financières ou par des parts ou actions d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières investis à titre principal dans ces mêmes titres de créance.
« Un décret fixe les conditions d'application du présent article. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 156, présenté par M. Loridant, Mmes Beaudeau et Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et tendant, dans le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 30 rectifié, après les mots : "65 % par", à insérer les mots : "des titres émis par l'Etat ou des personnes morales de droit public,". ».
La parole est à M. Massion, pour défendre l'amendement n° 95.
M. Marc Massion. Les réglementations en matière de placements des sociétés d'assurance ont pour objectif d'assurer la sécurité, le rendement et la liquidité des investissements.
L'inscription dans la loi d'une seule limitation par catégorie de placements ne me semble pas répondre à ce triple objectif.
Quelle est sa justification exacte ? Quelle sera la valeur des règles de placement que l'on trouve dans le code des assurances ?
Une telle inscription exclut, me semble-t-il, l'application des autres règles de placement qui ne figurent que dans la partie du code des assurances.
Comment seront placés les 35 % restants ?
Il eût été préférable, nous semble-t-il, de laisser le Gouvernement fixer ces règles par voie réglementaire - à laquelle vous avez renvoyé plusieurs de nos amendements ! - sous réserve, bien entendu, que ces règles respectent le principe de prudence.
M. le président. La parole est à M. Marini, pour défendre l'amendement n° 30 rectifié.
M. Philippe Marini, rapporteur. Cet amendement se situe à l'intérieur du raisonnement de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire en admettant le bien-fondé du seuil des 65 %. Si on l'admet, et en termes strictement techniques, il faut préciser la ligne de partage entre, d'une part, les titres de créance ou valeurs à revenu fixe - la famille des obligations - et, d'autre part, les titres de capital ou de fonds propres, ou valeurs à revenu variable - la famille des actions.
Reste à savoir ce que l'on fait des produits mixtes. Nous suggérons que les obligations échangeables, remboursables ou convertibles en actions soient considérées comme faisant partie des titres assimilables aux actions.
Par ailleurs, nous souhaitons qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur le fait que les SICAV ou, d'une façon plus générale, les produits d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières de capitalisation soient bien compris, s'agissant des obligations, dans le ratio, c'est-à-dire à l'intérieur des 65 %.
En résumé, cet amendement a un double objectif : d'une part, les obligations échangeables, remboursables ou convertibles en actions doivent être assimilées à des actions et figurer dans les 35 % ; d'autre part, les OPCVM de capitalisation doivent faire partie des titres de créance et être dans les 65 %.
M. le président. La parole est à M. Bécart, pour défendre le sous-amendement n° 156.
M. Jean-Luc Bécart. Ce sous-amendement tend à autoriser les fonds de pension à souscrire des titres publics de long ou de court terme.
Dans une logique de trésorerie, on peut même envisager que le partage des 65 % prévu par l'article s'effectue, dans le cadre du décret, autour de 25 à 30 % pour ces titres publics, et que ces titres puissent, par exemple, être répartis à parité entre titres de court terme et titres de long terme.
Il s'agit, dans les faits, de donner une certaine sécurité aux placements des actifs des fonds de pension susceptible de diluer les risques et de pallier, notamment, les pertes enregistrées sur les placements en actions et plus encore sur les FCP-risque ou FCP-innovation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 95 et sur le sous-amendement n° 156 ?
M. Philippe Marini, rapporteur. L'amendement n° 95, présenté par M. Massion, nous permet d'ouvrir quelques instants un vrai débat.
Le seuil maximal de 65 % en titres de créance ou obligations et valeurs assimilées paraît, à première vue, très élevé.
Il convient, à ce stade, de se référer au débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale.
A l'origine, la proposition de loi présentée notamment par M. Jean-Pierre Thomas tendait à introduire un plancher en actions. Nous partageons cette intention.
Toutefois, il se trouve que le plancher en actions est incompatible avec le droit communautaire en vigueur : on ne peut imposer de plancher ni en actions, ni en obligations, ni en valeurs représentatives du secteur immobilier.
Il faut donc raisonner en termes de plafond. Si nous raisonnons en termes de plafond, nous prenons naturellement un risque d'ordre psychologique ; on l'a constaté à la lecture de la presse financière. Je me souviens d'un titre qui indiquait en substance : « Les députés acceptent que les fonds de pension soient constitués de 65 % d'obligations, et c'est tout à fait décevant. » Je l'ai bel et bien lu ! Certains observateurs de ce sujet ont très vite considéré - à tort, bien entendu ! - le plafond en obligations comme une sorte de proportion conseillée par le législateur. Naturellement c'est absurde ! Le législateur n'a aucun conseil à donner aux gérants d'actifs. Il établit un cadre, des règles, des garanties, et c'est aux gérants de gérer. A chacun son métier ! Ce n'est pas à nous de leur dire ce qu'ils ont à faire et les risques qu'ils doivent prendre ou ne pas prendre.
M. Massion a donc raison de soulever ce point et de lancer le débat.
A mes yeux, la règle des 65 % relève un peu du fétichisme. En effet, ce qui est important, c'est de se placer dans une optique de gestion conduisant rationnellement à privilégier les actions par rapport aux obligations. C'est ce que nous avons fait hier soir, mes chers collègues, en excluant les régimes à prestations définies. Pour que les adhérents bénéficient de la revalorisation la meilleure possible, dans le contexte que nous avons fixé, il faut qu'ils jouent les marchés d'actions.
Il convient de rappeler au Sénat que toutes les analyses effectuées sur une longue période comparant le rendement des actions, des obligations et de l'immobilier - ces analyses concernant tous les pays à économie de marché - montrent que la palme revient, sur la longue période, aux actions plutôt qu'aux obligations ou à l'immobilier.
D'ailleurs, dans un récent article du Journal des finances , j'ai fait allusion à ces analyses, en citant également les chiffres issus d'une étude récente d'une société de bourse, chiffres qui me semblent parfaitement fiables et sérieux.
En résumé, plutôt que de fixer une proportion administrative, qui serait mal interprétée et risquerait d'engendrer des effets pervers, mieux vaut se fier à la logique de gestion des gérants, sachant qu'ils sont placés dans le cadre le plus adéquat pour privilégier les actions.
Ayant dit cela, je devrais émettre un avis favorable à l'amendement de M. Massion. Cela me gêne de le faire, non pas parce qu'il émane de votre groupe, mon cher collègue - ne croyez surtout pas cela -, mais parce que je ne voudrais pas donner, moi aussi, un signal défavorable sur le plan psychologique.
Je crois également savoir que nos collègues députés ont considéré que cette disposition était substantielle. Aussi, ayant exactement les mêmes objectifs - je l'ai dit en bien des occasions - que M. Jean-Pierre Thomas, rapporteur à l'Assemblée nationale, et que ceux de ses collègues qui l'ont soutenu dans sa démarche, je ne veux pas avoir l'air de me placer en opposition avec eux sur ce point.
L'ensemble de ces considérations contradictoires me conduisent, comme la commission des finances qui en a délibéré, à émettre un avis de sagesse sur l'amendement n° 95.
M. Marc Massion. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. S'agissant du sous-amendement n° 156, la commission émet un avis défavorable. La disposition proposée est superfétatoire, car elle est déjà incluse dans la référence au 2° de l'article 1er figurant dans votre amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 95 et 30 rectifié, ainsi que sur le sous-amendement n° 156 ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je partage assez largement l'analyse de M. le rapporteur en ce qui concerne l'amendement n° 95. En réalité, comme il l'a excellement indiqué, il aurait été nécessaire de fixer dans la loi un plancher de placements en actions. Il se trouve que le droit communautaire ne nous le permet pas. A défaut, avec ce système de plafond de placements en obligations ou en d'autres titres à revenus fixes, nous aboutissons à une présentation en creux, ce qui comporte un inconvénient très bien décrit par M. le rapporteur : la fixation de ce plafond risque d'apparaître comme une sorte de conseil donné aux gestionnaires de fonds.
En réalité, d'un point de vue financier, l'objectif de la mise en place de ces fonds d'épargne retraite est d'encourager les placements en actions et d'améliorer les fonds propres des entreprises. Bien entendu, il est souhaitable que chaque fonds d'épargne retraite bénéficie d'une très grande souplesse quant aux possibilités de placements. En effet, selon la structure démographique des adhérents au fonds, notamment, il sera plus ou moins intéressant de faire des placements en valeurs à revenu fixe ou en valeurs à revenu variable, donc en actions. M. le rapporteur a rappelé que, sur une longue période, donc pour des adhérents jeunes à des fonds de pension, il sera préférable de développer les placements en actions.
Cela étant dit, le plafond de 65 % est en effet considéré comme une disposition substantielle par l'Assemblée nationale et par ceux qui envisagent de mettre en place les fonds de pension. Le Gouvernement souhaite donc que, sur ce point, le dispositif retenu par l'Assemblée nationale soit maintenu et que la sagesse du Sénat, à laquelle s'en est remis M. le rapporteur, penche en faveur d'un rejet de l'amendement n° 95.
De plus, si cet amendement était adopté, on risquerait, demain, de voir la presse financière titrer : « Le Sénat souhaite que les placements des fonds de pension puissent aller jusqu'à 100 % d'obligations », ce qui aurait un effet particulièrement contre-productif.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 95.
En revanche, il est favorable à l'amendement n° 30 rectifié, qui améliore la rédaction ; mais il est défavorable au sous-amendement n° 156.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 95.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Je saisis, en fait, cette occasion de reprendre la parole pour dire à M. le ministre que je n'ai pas obtenu de réponse à la question que j'ai posée. Je souhaiterais savoir si les fonds de pension auront, ou non, la possibilité de souscrire des titres du Trésor, relatifs à la dette publique.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Monsieur le sénateur, si je ne vous ai pas répondu, c'est parce que M. le rapporteur l'avait fait avant moi. Il vous a répondu par l'affirmative. La rédaction actuelle du texte prévoit implicitement que les titres du Trésor peuvent faire partie des placements des fonds d'épargne retraite, ce qui peut, dans ce cas, justifier le retrait de votre amendement.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. J'apprécie beaucoup le souci, exprimé par un certain nombre de collègues, d'assurer la sécurité des placements des fonds de pension !
A mes yeux, ce qui compte le plus, même s'il est important de savoir comment les sommes seront placées, c'est la liberté. Lorsque l'on met en place des garde-fous, on s'aperçoit, cinq ou dix ans plus tard, qu'ils doivent être remplacés par d'autres garde-fous.
Aussi, je suis surpris que le souci qui anime nos collègues ne les ait pas conduits à poser des questions ou à déposer des amendements sur la gestion proprement dite des fonds de pension, qui doit être axée essentiellement sur le placement, et non sur la spéculation.
En effet, ce qui est dangereux pour des organismes de ce genre, et ce qui a coûté cher à certains dans le passé, lors des grandes bourrasques boursières, c'est la spéculation, ce petit jeu sur les primes, les opérations à terme. Rappelez-vous les déboires du MATIF, voilà quelques années ! Je suis étonné que nos collègues n'aient pas abordé - peut-être est-ce dû à une insuffisance de culture financière ! - l'essentiel en matière de garantie de gestion.
M. Lucien Lanier. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 95, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 156.
M. Paul Loridant. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 156 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 22 est ainsi rédigé.

Article 23