M. le président. « Art. 4. - A l'article 39 de la loi de finances pour 1996 (n° 95-1346 du 30 décembre 1995), les mots : "dans la limite des 16,5 premiers milliards de francs et au-delà en recettes du compte d'affectation spéciale n° 902-27" sont supprimés. »
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cette prise de parole découle de la discussion générale qui a eu lieu cette nuit ; j'en avais en quelque sorte informé M. le ministre délégué au budget.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, nous avons évoqué hier les dotations aux entreprises publiques. Sur ce point, quelques ambiguïtés nous paraissent devoir être dissipées.
Comment comptez-vous financer les 36 milliards de francs de dotations en capital au secteur public en 1996 ? En particulier, pouvez-vous nous préciser quel sera le montant des versements effectués à Thomson, compte tenu des événements qui entourent actuellement sa privatisation ? On a parlé de 11 milliards de francs, puis on y a ajouté 2,9 milliards de francs correspondant à un engagement pris par l'Etat de racheter les titres détenus par l'entreprise dans le Crédit Lyonnais. Qu'en est-il réellement ?
Pouvez-vous nous donner également des précisions sur l'évaluation implicite du Crédit Lyonnais que cet engagement suppose ?
S'agissant du Crédit Lyonnais, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur l'état actuel et les perspectives des engagements financiers de l'Etat pour le redresser ? Notre excellent collègue M. Yann Gaillard, que j'ai joint au téléphone ce matin, et qui représente le Sénat au conseil d'administration de l'EPFR, l'établissement public de financement et de réalisation, estime, quant à lui, qu'il conviendrait de doter cet établissement de 9 milliards à 13 milliards de francs en 1997.
Qu'avez-vous donc prévu ? En particulier, pouvez-vous nous dire si l'EPFR a commencé à provisionner les pertes en capital de la défaisance ?
Enfin, monsieur le ministre, laissez-moi conclure par le souhait que vous apportiez à la représentation nationale, dans les toutes prochaines semaines, les précisions qu'elle est en droit de réclamer sur les conditions d'utilisation des 27 milliards de francs de crédits qui sont prévus pour soutenir, en 1997, les entreprises publiques. Ce faisant, vous nous rassurerez sur la capacité de l'Etat à maîtriser la gestion et l'avenir du secteur public.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le rapporteur général, tout d'abord je vous répondrai que l'option prise par le Gouvernement est de procéder, le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions, à la privatisation de toutes les entreprises relevant du secteur concurrentiel.
L'acte de privatisation peut s'accomplir selon différentes modalités. Je tiens à vous dire que nous sommes confrontés à des résistances fortes dans certaines circonstances.
En effet, lorsque les entreprises connaissent des situations positives, on peut imaginer une cession moyennant l'encaissement d'une somme d'argent par le budget de l'Etat. A l'inverse, lorsque les sociétés qui doivent être transférées à un actionnaire privé sont dans une situation globalement négative, nous nous trouvons en présence de difficultés qu'il nous faut bien surmonter. Nous y parviendrons grâce à un effort de communication et de meilleure association du personnel. Il paraît en effet très important d'offrir aux salariés de ces entreprises la possibilité de devenir actionnaires, et ainsi plus solidaires du devenir de leur entreprise. C'est un principe qui s'appliquera pour toutes les privatisations à venir.
J'en viens aux financements pour 1996. Les 36 milliards de francs proviendront pour 8,7 milliards de francs de dotations budgétaires et pour 27 milliards de francs du produit de cessions.
Ainsi, un certain nombre d'opérations ont été conduites pendant l'année 1996 et, à ce titre, 27 milliards de francs devraient être encaissés par l'Etat au terme de cette année. Cela ne suffit pas, notamment pour pourvoir au déficit, et donc à la nécessité de recapitalisation, de l'EPFR. Vous observerez que c'est par un prélèvement budgétaire qu'est assuré ce financement.
S'agissant de Thomson, je vous confirme que nous aurons à procéder à une recapitalisation. Nous devrons arrêter les modalités de la privatisation des deux sociétés du groupe Thomson, puisque le Gouvernement a décidé, la semaine dernière, d'interrompre la première procédure de privatisation, le choix préférentiel rendu public par lui le 26 octobre n'ayant pas été validé par la commission de la privatisation.
Le Gouvernement reprendra cette procédure en ouvrant aux intérêts privés d'abord le pôle électronique de défense Thomson-CSF, dont la situation est largement positive ; cette opération pourra s'engager sans recapitalisation.
En revanche, s'agissant du pôle multimédia, il faudra de toute évidence procéder préalablement à une recapitalisation. On ne va pas attendre la privatisation pour mettre en oeuvre un plan de redressement. Le Gouvernement assumera cette responsabilité et, bien sûr, dès que les conditions seront réunies, il sera procédé à la privatisation de Thomson multimédia.
On peut dire a priori , sous réserve d'expertises complémentaires, que les besoins de recapitalisation de Thomson multimédia seront de l'ordre d'une dizaine de milliards de francs.
S'agissant des actions que détient Thomson-CSF dans le capital du Crédit Lyonnais, une convention a été établie entre les deux établissements aux termes de laquelle l'Etat s'oblige à racheter pour 2,9 milliards de francs la participation détenue par Thomson-CSF.
Voilà, monsieur le rapporteur général, les précisions que je suis en mesure de vous apporter sur ce point.
S'agissant de 1997, il vous sera, bien sûr, rendu compte, au fur et à mesure, du détail du produit attendu.
Pour l'instant, les 27 milliards de francs correspondent à une estimation et, pour l'essentiel, il s'agit des ressources attendues du placement d'une première quotité d'actions de France Télécom.
Quelques autres opérations pourront être menées à bien, mais je doute qu'elles apportent une ressource considérable.
Quoi qu'il en soit, nous procéderons à la réactualisation de ces estimations dans le courant de l'année 1997, et vous en serez tenu régulièrement informé.
Subsistent des interrogations, notamment celle qu'exprime M. Yann Gaillard, votre représentant au sein de l'EPFR.
Le besoin pour 1997 est estimé à 7,6 milliards, qui seront financés en 1997, 1,2 milliard de francs l'ayant été en 1996.
Au fil des mois, nous aurons une image plus précise de la situation patrimoniale de l'EPFR. Je ne vous cache pas qu'il faut faire face à une difficulté majeure. Nous aurons à prendre en compte, dans les finances publiques, le coût effectif des aventures malheureuses du Crédit Lyonnais. Nous le ferons avec le souci de préserver les intérêts de l'Etat.
Nous devons par ailleurs procéder au financement de ces établissements, dont certains parmi vous se sont trouvés administrateurs par délégation. Nous avons en la matière une obligation de transparence, de sincérité et de vérité. Pour l'immédiat, l'Etat fait face à ses obligations.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. le ministre vient de nous indiquer que le produit attendu était estimé à 27 milliards de francs pour 1996 ; sauf s'il m'a échappé quelque information à l'heure où nous débattons, je n'en connais que 23 milliards. Y aurait-il d'autres encaissements prévus avant la fin de l'année ? Quels moyens le Gouvernement envisage-t-il de mettre en oeuvre pour combler la différence ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le rapporteur général, nous rapprocherons nos chiffres, mais je ne doute pas de mon estimation.
Une OPA a été lancée par le groupe Hoechst sur Roussel-Uclaf. L'Etat a pris des dispositions pour répondre à cette offre. Il en résultera un produit de l'ordre de 1,5 milliard de francs, sous bénéfice de vérification.
D'autres opérations de cession de titres, sans doute moins spectaculaires, se réalisent sur le marché : c'est ce qui s'est produit pour notre participation dans l'ERAP ou, au début de l'année, pour notre participation dans Total. Nous avons considéré que les conditions du marché justifiaient que l'Etat réalise ces titres.
Cela dit, monsieur le rapporteur général, dans les minutes qui viennent, nous allons procéder à quelques vérifications de manière à vous communiquer l'information que vous demandez.
M. le président. Par amendement n° 30, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'article 4 :
« Les dispositions de la loi n° 93-923 de privatisation du 19 juillet 1993 sont abrogées. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 4 porte sur la modification de l'utilisation des recettes de privatisation.
Revenons quelques instants sur l'évolution du traitement des privatisations dans les comptes publics.
La loi de privatisation de juillet 1993 a placé sur la liste des privatisables un certain nombre d'entreprises intervenant dans des domaines stratégiques, comme la banque, les assurances ou de nombreux secteurs de haute technologie.
Elle a institué une commission chargée d'évaluer la valeur des titres mis sur le marché ; cette évaluation est, en général, sans grand rapport avec la valeur réelle que fait apparaître le bilan des entreprises concernées.
Cette loi a aussi prévu que le produit des privatisations serait, pour l'essentiel, affecté au budget général et qu'il contribuerait donc à corriger les effets déplorables de la récession et des nombreux cadeaux fiscaux consentis aux entreprises et aux ménages les plus aisés sur la situation des comptes publics.
Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts !
C'est ainsi que les privatisations ont quitté le giron du budget général pour celui du compte d'affectation spéciale des dotations en capital aux entreprises publiques et la caisse d'amortissement de la dette publique.
Nous sommes donc aujourd'hui dans une « logique de Shadoks », qui consiste à recapitaliser les entreprises privatisables non encore vendues avec le produit de la vente de celles qui le sont petit à petit.
Le Gouvernement a, dans le passé, justifié cette modification de traitement du produit des privatisations par la nécessité de respecter les injonctions de la Commission européenne et a d'ores et déjà tenté de mettre en place des dispositions dérogatoires aux principes de la loi de privatisation. Dieu sait pourtant que celle-ci était déjà une loi de bradage du patrimoine national !
En effet, dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, le Gouvernement a fait adopter non seulement un principe de privatisation par décret d'un certain nombre d'entreprises publiques, mais aussi l'extension de la liste à la société française de production, la SFP, tandis qu'il concluait avec une « facilitation » des transactions de gré à gré, sans passage par la commission de privatisation.
Cette orientation traduit, en fait, la grande difficulté que vous éprouvez, monsieur le ministre, à poursuivre une politique de privatisation qui rencontre une opposition de plus en plus vive de la part des Français.
Le formidable gâchis de moyens financiers concédé pour se plier aux injonctions de la Commission européenne sur le dossier du Crédit Lyonnais, le gaspillage de fonds publics associé à la revente de la Compagnie générale maritime, les sommes que l'on s'apprête à engloutir dans la privatisation de la SFP au bénéfice de la Générale des eaux, qui a pourtant largement de quoi faire face, les 11 milliards de francs que l'on s'apprêtait à dépenser dans la recapitalisation de Thomson au profit de Lagardère et de Daewoo sont des illustrations du caractère néfaste des privatisations.
Ne faudrait-il pas s'interroger aussi sur l'ensemble des paramètres de gestion des entreprises privatisées depuis 1986 ? Combien d'emplois passés à la trappe ? Quel volume d'investissements au niveau national et au niveau international ? Combien d'établissements fermés sur décision des conseils d'administration ? Combien d'avoirs fiscaux versés aux actionnaires privés ?
Il conviendrait également de se demander combien de recettes budgétaires fiscales et non fiscales ont été perdues dans ces aventures.
Toutes ces interrogations justifient pleinement l'adoption de notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. J'ai bien écouté Mme Beaudeau. J'aimerais qu'elle m'explique ce qui peut justifier aujourd'hui que, chaque mois, la SFP nous coûte plus de 20 millions de francs. Qu'est-ce qui justifie, madame le sénateur, que, chaque mois, les contribuables français doivent mettre la main à la poche pour compenser ce déficit mensuel de la SFP ?
Mme Danièle Pourtaud. La survie de l'industrie de programmes française !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. J'ajoute que l'Etat a dû prélever à cet effet sur son budget plus de 3 milliards de francs entre 1992 et 1995. J'aimerais qu'on m'explique à quelle logique cela correspond.
Je ne suis pas certain que les contribuables français estiment qu'il est dans leur intérêt de maintenir ainsi cette société sous gestion publique.
La démonstration en a été faite : l'Etat n'est pas un bon actionnaire. Il a d'autre missions que celle qui consiste à gérer des entreprises du secteur concurrentiel. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est bien dommage pour la SFP !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne veux pas polémiquer avec M. Arthuis à propos de la SFP. Je voudrais lui dire tout simplement que, si l'ensemble des actionnaires de la SFP, c'est-à-dire non seulement l'Etat mais également TF 1, avaient fait leur devoir, si les gouvernements - et Jean Arthuis comprendra pourquoi j'emploie ce pluriel - avaient su contraindre TF 1 à faire son devoir d'actionnaire à l'égard de la SFP, alors, nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Je considère donc que, en ce qui concerne la SFP, ce sont les actionnaires qui ont été défaillants, et je répète que, parmi ces actionnaires, il n'y a pas que l'Etat.
Et lorsque je vois les petites faveurs dont bénéficie régulièrement TF 1, je trouve qu'on est vraiment très généreux envers des gens qui ne se comportent pas dignement ! (M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, remplace M. le ministre de l'économie et des finances au banc du Gouvernement.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5 et état A