M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis m'empêcher de vous indiquer que c'est quelque peu sceptique que j'aborde aujourd'hui ce débat relatif à l'immigration.
Nous sommes réunis, en effet, pour apporter une énième modification à l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, la vingt-quatrième depuis sa création, et la dixième au cours des quinze dernières années.
Je ne peux douter de la volonté des gouvernements d'avoir apporté, par des modifications, des réponses concrètes aux questions que soulève ce délicat problème. Les efforts déployés en ce domaine n'ont pas semblé atteindre leur but.
L'alternance politique a empêché, en cette matière plus qu'en toute autre, la cohérence législative, puisque l'évolution de l'ordonnance de 1945 ne s'est faite qu'à travers de multiples changements de direction.
La loi du 10 janvier 1980, adoptée sur l'initiative de notre collègue Christian Bonnet, alors ministre de l'intérieur, a été profondément modifiée par une loi du 29 octobre 1981, elle-même complétée par la loi du 17 juillet 1984. Par la suite, c'est une loi du 9 septembre 1986 imposant le retour aux mesures édictées par la loi Bonnet, qui fut modifiée par la loi Joxe du 2 août 1989, elle-même transformée par les lois des 24 août et 30 décembre 1993.
Aucune de ces lois ne s'est jamais inscrite dans la continuité de celles qu'elle suivait, faisant apparaître de nombreuses difficultés juridiques.
La coordination de l'ensemble des services de lutte contre l'immigration irrégulière a permis de produire des résultats encourageants, qui prouvent, contrairement à ce que beaucoup prévoyaient, que la tâche n'était pas impossible mais qu'il fallait s'y atteler avec sérieux et conviction.
Nul, ici, ne souhaite remettre en cause le rayonnement qu'exerce la France en matière de protection des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.
Je suis l'un des premiers à y être attaché et c'est à ce titre que j'affirme qu'il n'est plus permis d'associer lutte contre l'immigration clandestine et recul des libertés.
La législation que nous appliquons à l'heure actuelle nous permet de choisir qui a le droit de séjourner en France et les conditions dans lesquelles ce droit au séjour peut s'exercer. Il s'agit là d'une prérogative de souveraineté nationale qui ne saurait être remise en cause, par le détournement des idéaux auxquels nous sommes attachés.
Monsieur le ministre, à l'occasion de diverses réunions et en commission des lois, je n'ai pas manqué de faire part de mon sentiment quant à l'économie de ce projet de loi qui constitue, si l'on conserve un regard objectif, une certaine avancée.
Toutefois, permettez-moi de modérer cet enthousiasme en abordant le problème de l'immigration, qu'elle soit régulière ou non, dans le département de la Guyane.
Le Guyanais est, par essence, un homme accueillant. Il l'a prouvé avec les Martiniquais, lors de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, et avec toutes les populations de la Caraïbe et de l'Amazone. Plus récemment, il l'a encore prouvé en accueillant les Hmongs et les populations provisoirement déplacées du Surinam lors des différents conflits.
Lorsque le Gouvernement français, en 1966, a décidé la création de la base spatiale, le Guyanais a accepté d'accueillir sur son sol de nombreuses populations des pays d'Amérique latine.
Il ne peut être aujourd'hui question de seuil de tolérance, largement dépassé depuis des lustres.
Il ne peut non plus être question pour nous de ne plus continuer à accueillir des hommes qui accepteraient de venir dans notre pays pour le bâtir avec nous, car vous conviendrez que la Guyane ne pourra se développer économiquement avec seulement 150 000 personnes. Il faut donc permettre aux élus de partager cette compétence avec l'Etat.
Mais il faut être prudent et maîtriser le processus d'immigration ; sinon, ce serait la destruction de l'identité culturelle, la dégradation de la situation sanitaire, sociale et économique de la Guyane.
Oui, nous croyons à la libre circulation des hommes, des idées et des biens, mais vous conviendrez aussi que l'on assiste passivement à un génocide par substitution du peuple guyanais.
Dans l'Hexagone, les difficultés rencontrées sont liées à des considérations juridiques et humaines. Ces aspects existent également en Guyane, mais ils sont particulièrement accentués du fait d'un manque considérable de moyens.
En effet, les caractéristiques de l'immigration en Guyane française sont extrêmement différentes de celles que l'on rencontre en métropole et elles doivent, en conséquence, être traitées différemment.
Il convient cependant de dire ici l'ampleur prise par le phénomène, puisque, à l'heure actuelle, plus de la moitié de la population immigrée présente en Guyane y séjourne dans la plus parfaite illégalité, portant ainsi à plus de 50 % le taux de présence étrangère dans ce département.
Les effets de cette présence massive d'étrangers sur le sol guyanais se font sentir du point de vue des relations humaines et sociales.
On pourrait craindre des affrontements sporadiques qui, d'un jour à l'autre, risquent de provoquer des troubles graves auxquels les forces de police auront beaucoup de mal à faire face.
Les frontières naturelles et administratives guyanaises sont de véritables passoires, car aucun moyen mis en place n'est adapté à l'immensité de ce territoire, vaste et difficile en ce qui concerne la surveillance aux frontières. La vérité est alors simple : il entre dans le pays plus d'étrangers en situation irrégulière que l'on en expulse.
Dès lors, il est difficile de justifier par des chiffres le travail effectué par les services de police. Cependant, un esprit éclairé doit pouvoir deviner le danger actuel de voir à très court terme le territoire « envahi » par une population étrangère non maîtrisée, avec toutes les conséquences qui pourront en résulter.
M. Michel Caldaguès. Voilà qui est clair !
M. Georges Othily. Aujourd'hui, la réalité est triste : si il n'y a aucune difficulté à repérer et à expulser les étrangers en situation irrégulière dans ce pays, c'est parce qu'ils sont légion.
Les Français de Guyane sont aujourd'hui minoritaires sur ce sol de France. Le constat est implacable.
Force est de constater que nous sommes en train de croire que nous allons vider l'océan avec un petit seau de plage. C'est pourquoi, dans un projet nouveau de société, il nous sera possible de connaître une société fraternelle.
Les conséquences de cette immigration sont désastreuses, en particulier dans le domaine médical, sanitaire et scolaire. Le rapport de notre collègue M. Masson y faisant allusion, je ne m'attarderai pas plus longtemps sur ce point.
Dès lors, dans le cadre de la politique de développement de coopération de la France, le Gouvernement se doit de participer, dans les régions qui sont autour de la Guyane, à la construction d'écoles et d'hôpitaux pour contribuer à l'amélioration des conditions de vie de ces pays. Vous venez d'ailleurs de le faire dans la région d'Albina au Surinam, où la France est en train de construire un hôpital pour les Surinamiens.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, tant qu'ils ne seront pas plus justes dans l'utilisation des termes de l'échange avec les pays du Sud, les pays du Nord recevront toujours et encore plus le flot de la misère des pays du Sud. (Marques d'approbation sur plusieurs travées du RPR.)
Votre projet de loi, monsieur le ministre, traite, avec beaucoup d'intelligence, du cas des parents d'enfants français, dont vous avez choisi de régulariser la situation. Si cette intention est louable dans la mesure où elle permettra de mettre fin à certains excès, elle peut s'avérer dangereuse au regard de la situation guyanaise.
Il faut savoir, en effet, que de nombreux Guyanais vivent en concubinage avec des étrangers irréguliers, originaires d'Haïti, du Surinam, du Guyana ou du Brésil. Ces relations entraînent de très nombreuses naissances d'enfants français, qui s'opposeront ainsi à l'éloignement du parent irrégulier. Comment la police et la gendarmerie guyanaises devront-elles gérer ces situations nouvelles qui, loin d'être marginales, s'accroîtront au fil des mois ?
Il faut savoir que l'économie guyanaise souffre également de cette immigration clandestine.
M. René-Georges Laurin. Bien sûr !
M. Georges Othily. La Guyane, en effet, est un département dans lequel le taux de chômage est supérieur à 27 %. Cette présence d'étrangers en situation régulière ou non constitue-t-elle un frein à une expansion économique déjà fortement mise en cause ? Oui, car une très large partie des prestations sociales que ces étrangers récupèrent est envoyée dans leur pays d'origine, ce qui ne contribue pas à une injection financière dans le circuit économique guyanais ; c'est une catastrophe pour la mise en place d'une véritable économie durable.
Les exemples que je viens d'exposer devant vous concernent le séjour irrégulier. Il me faut également vous parler des problèmes rencontrés dans le cadre de l'entrée irrégulière sur le sol guyanais.
La présence des fleuves Le Maroni et l'Oyapock ne constitutent en rien un obstacle à l'entrée sur le sol guyanais. En traversant ces fleuves, nombreux sont ceux qui parviennent à s'installer en Guyane sans pouvoir être inquiétés par les services de police, qui ne disposent que de quelques petites pirogues pour assurer la surveillance.
Des moyens considérables doivent être mis en oeuvre afin de remédier à cette situation. Vous avez déjà commencé à le faire, monsieur le ministre, mais c'est insuffisant.
De surcroît, il faut bien comprendre que, pour l'ensemble de la population amérindienne et boschnengué, la notion de frontière est inexistante, quel que soit l'Etat dont elle est le ressortissant, dans la mesure où elle se trouve sur le plateau des Guyanes. Comment expliquerez-vous aux Amérindiens originaires du Surinam ou du Brésil, réfugiés en Guyane, qu'ils séjournent illégalement sur des terres qu'ils ont foulées depuis des siècles ?
A travers ces exemples, monsieur le ministre, vous comprendrez que le problème de l'immigration régulière ou irrégulière ne peut être abordé en Guyane de la même façon que sur le territoire métropolitain. C'est pourquoi, sans contester les effets positifs de votre projet de loi, je doute que celui-ci soit de nature à mettre fin aux situations particulièrement graves que connaît le département de la Guyane.
A cet effet, j'ai déposé un amendement visant, d'ici à un an, à ne plus faire application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans le département de la Guyane et à faire adopter un texte spécifique, en vertu de l'article 73 de la Constitution. J'espère, monsieur le ministre, que vous accéderez à la demande des élus de Guyane. J'ai d'ailleurs cru percevoir, dans votre exposé liminaire, que telle était un peu votre intention, en réunissant les élus de Guyane.
Monsieur le ministre, je souhaite que le texte que vous nous présentez se révèle efficace pour la France hexagonale. Je serais encore plus satisfait d'avoir apporté mon soutien à ce projet de loi si un texte spécifique à la Guyane, permettant réellement de mettre un terme à une situation extrêmement préoccupante, était prochainement adopté. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Voici que revient une nouvelle fois, dans cette enceinte, le problème de l'immigration clandestine, et je voudrais avant toute chose, monsieur le ministre, vous féliciter d'avoir pris, en dépit d'obstacles de toute nature, la responsabilité de tenter de corriger certains dysfonctionnements.
Ainsi s'affirme, après le récent projet de loi présenté par votre collègue M. Jacques Barrot, la volonté du Gouvernement de lutter, et pas seulement en paroles, contre les dangers dont sont porteurs des flux migratoires en contravention avec nos lois.
S'il est un domaine où, comme il est normal et sain en démocratie, s'opposent deux conceptions de la politique à suivre, c'est bien celui de l'immigration illégale. Et si j'avais pu en douter, l'intervention au demeurant très brillante de notre excellent collègue M. Guy Allouche m'en aurait convaincu.
L'histoire de ces vingt dernières années en porte d'ailleurs témoignage : en 1980, une loi édicte des mesures visant à enrayer un phénomène inquiétant.
Dès l'été 1981, cette loi est purement et simplement abrogée, et, quelques mois plus tard, une régularisation massive - le chiffre officiel est de 133 000 personnes - crée comme un vaste appel d'air.
Une certaine inquiétude commence alors à se faire jour dans les allées du pouvoir ; et c'est ainsi que, le 31 août 1983, M. le Président de la République va jusqu'à dire qu'« il faut renvoyer les clandestins chez eux ». Mais aucune mesure ne s'ensuit.
En 1986, un texte, connu sous le nom de « loi Pasqua », édicte certaines mesures de sauvegarde.
En 1989, si elle n'est pas abrogée comme celle de 1980, cette loi est pratiquement émasculée par l'introduction de procédures à la faveur du déroulement desquelles les irrégularités ont tout loisir de se fondre dans la nature.
Et si, le 10 décembre de la même année, interrogé en direct de l'Elysée par quatre journalistes, le Chef de l'Etat déclare : « le seuil de tolérance a été atteint dès les années soixante-dix », et s'il ajoute : « il convient d'expulser les immigrés clandestins comme de punir ceux qui exploitent leur misère », ces propos n'auront aucune portée pratique.
En 1993, sont adoptées de nouvelles lois Pasqua, dont certaines difficultés d'application vous amènent, monsieur le ministre, à nous en présenter, en 1997, quelques aménagements.
Entre-temps, dans un entretien publié dans le journal Le Monde en date du 4 mai 1995 - je tiens à ce que tous les chiffres et toutes les dates soient cités - M. Lionel Jospin, candidat à la magistrature suprême, répondant à une question d'Alain Duhamel, déclare - je cite encore, car dans un domaine aussi sensible, on se doit d'être précis : « pour réduire l'immigration clandestine, l'on n'a pas d'autre solution que de faire des vérifications aux frontières et puis, par ailleurs, de reconduire tous ceux qui sont constatés en situation irrégulière. »
Paroles... Paroles... Paroles... En effet, demeurent récurrentes, en dépit de telles déclarations sans équivoque, les protestations et les manifestations contre toute mesure destinée à éloigner les irréguliers.
Oui, s'il est un domaine dans lequel existe une profonde divergence entre la majorité et l'opposition, c'est bien celui-ci : d'un côté, l'on combat ce qu'il faut bien appeler, s'agissant d'irréguliers, un mal ; de l'autre, l'on parle, mais l'on consent, quand on ne facilite pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il semble toutefois que, malgré la succession de textes allant dans la bonne direction, ceux-ci pèchent encore par une certaine modestie au regard des conséquences, pour le corps social, de la présence sur notre sol de quelques centaines de milliers d'immigrés s'y maintenant en violation de nos lois.
Sur le plan économique, un tel état de choses aggrave le fléau du travail au noir, qui fausse le jeu de la concurrence.
Sur le plan social, il alourdit les déficits de notre régime de protection, tant en en diminuant les ressources qu'en en aggravant les charges très au-delà de ce qu'exigent nos traditions d'humanisme.
Sur le plan scolaire, il complique dans trop de classes la tâche des enseignants, contribue au progrès de l'illettrisme et favorise la violence.
M. Jacques Mahéas. Plus ringard, tu meurs !
M. Michel Caldaguès. Mais taisez-vous !
M. Christian Bonnet. Sur le plan sanitaire, il conduit à la suroccupation des foyers, génératrice de conditions d'hygiène et de sécurité déplorables.
Sur le plan de l'ordre public, indépendamment même du problème gravissime que risque de poser demain, en Guyane, la sécurité même de l'un des fleurons de notre technologie - notre collègue Georges Othily nous en parlait à l'instant éloquemment - chacun sait qu'il existe - comment d'ailleurs en irait-il autrement ? - un lien direct entre délinquance et clandestinité :...
M. Jacques Mahéas. Et voilà !
M. Christian Bonnet. ... de récentes statistiques de la préfecture de police sont, à cet égard, qu'il s'agisse de drogue ou de vols à la tire, singulièrement éloquentes.
Et cet ensemble de dérèglements fait, hélas ! le jeu de qui l'on sait, en développant dans la population des réflexes xénophobes aussi détestables que compréhensibles. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Mahéas. Vous qui avez les chiffres, citez-les !
M. Christian Bonnet. Pour modeste qu'apparaisse le projet de loi dont nous sommes saisis, il n'en reste pas moins, monsieur le ministre, que le mérite du Gouvernement est grand de ne s'être pas laissé découragé par la multiplicité des obstacles qui jalonnent le chemin de la lutte contre l'immigration clandestine.
De la prolongation indue des séjours touristiques à l'allongement indéfini des études, en passant par les mariages de complaisance,...
Mme Monique ben Guiga. Pas nécessairement de complaisance !
M. Jacques Mahéas. Un étranger ne peut pas tomber amoureux !
M. Christian Bonnet. ... l'extension abusive des regroupements familiaux et les demandes d'asile non fondées, la panoplie des échappatoires est vaste !
S'y ajoute le fait que les pouvoirs des corps de contrôle - police, gendarmerie et douane dans certains cas, police, gendarmerie et inspection du travail dans d'autres - sont trop souvent différents, voire dissymétriques.
S'y surajoutent les difficultés pratiques de faire jouer la convention de Schengen en ce qu'elle vaut accord de réadmission multilatérale et, pareillement, l'insuffisance des moyens dont disposent nos agents consulaires pour vérifier l'authenticité des pièces établies par des filières de plus en plus professionnalisées.
Mais il y a pis.
En l'état actuel des textes se dressent trois obstacles incontournables auxquels, monsieur le ministre, vous-même et vos services ne cessent de se heurter.
Le premier résulte d'un arrêt de la Cour de cassation de juin 1995, connu sous le nom d'arrêt Bechta, aux termes duquel le juge judiciaire est fondé, s'il est saisi, à apprécier la légalité du contrôle d'identité préalable à la mise en rétention administrative.
Le second obstacle réside dans l'existence d'une dualité de compétences pour une même affaire, dualité dont savent jouer à merveille nombre de conseils spécialisés.
Née de la compétence intangible des tribunaux administratifs au regard des décisions de la puissance publique et de celle, tout aussi intangible - et c'est heureux ! - des tribunaux de l'ordre judiciaire institués gardiens des libertés individuelles par la Constitution elle-même, cette dualité peut conduire à des situations ubuesques du type de celle qui a été décrite par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
C'est le cas d'école de cet étranger qui, venant de Bardonecchia, est interpellé à Modane ; faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, il est transféré au centre de rétention administrative de Lyon, puis, de là, déféré au tribunal de grande instance de Chambéry pour prolongation d'un à six jours du délai de rétention, puis encore conduit à Grenoble pour y être présenté au tribunal administratif, du fait du recours qu'il a introduit contre l'arrêté préfectoral, ensuite, de nouveau ramené au centre de rétention de Lyon pour comparaître une nouvelle fois devant le tribunal de grande instance de Chambéry afin qu'il se prononce sur une éventuelle prorogation exceptionnelle de trois jours du délai de rétention.
Un tel labyrinthe fait irrésistiblement penser à Victor Hugo évoquant, dans Notre-Dame de Paris, « un dédale inextricable de ruelles, de carrefours et de culs-de-sac qui ressemble à un écheveau de fil brouillé par un chat » !
Rétention administrative... Là est bien, monsieur le ministre, le pire des trois obstacles auxquels se heurtent vos services du fait de la limitation de son délai à dix jours au maximum : un jour, plus six jours, plus éventuellement trois jours à titre exceptionnel.
Dix jours, alors que les pays les plus sourcilleux en matière de respect des libertés individuelles admettent tous des durées très supérieures, à commencer par les Pays-Bas, pourtant généralement tenus pour laxistes, et par la Grande-Bretagne, patrie de l' habeas corpus.
Comment, en dix jours, parvenir à maîtriser l'organisation de l'anonymat ?
Comment, en dix jours, retrouver l'identité de gens qui, le plus souvent bien conseillés par des filières spécialisées, se présentent sans papiers ou sont munis de faux papiers, ou déclinent de fausses nationalités, ou feignent d'être sourds-muets ?
Ainsi notre pays n'est-il pas seulement pour les immigrés illégaux le plus protecteur qui soit au monde. Il est aussi - et cela se sait, hélas ! - celui qui, paradoxalement, érige le plus d'entraves à l'application de la loi.
Un tel comportement s'inscrit, ce faisant, dans le droit-fil d'une morale née voilà bientôt trente ans, et qui se pourrait définir comme une éthique de la complaisance, une éthique que nourrit l'éclosion récente d'un phénomène que Pierre-Patrick Kaltenbach a très justement qualifié de « caritatif médiatique ». Ce phénomène, auquel sacrifient trop de caméras complaisantes, met toujours en situation les mêmes personnages qui s'adonnent à une sorte de rituel de la protestation...
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes bien dans le rituel de la répression depuis vingt ans !
M. Jacques Mahéas. Nous allons vous emmener à la manifestation !
M. Josselin de Rohan. Taisez-vous un peu !
M. Jean Chérioux Nous vous avons laissé parler !
M. Christian Bonnet. Je n'ai pas ouvert la bouche lorsque M. Allouche a prononcé sa très intéressante intervention !
M. René Rouquet. Vous étiez béat d'admiration !
M. Christian Bonnet. Ce phénomène, disais-je, met toujours en situation les mêmes personnages qui s'adonnent à une sorte de rituel de la protestation face à des mesures que l'on apprécie diversement selon que l'on est habitant de banlieues difficiles ou de très beaux quartiers, maire - par-delà, j'y insiste, les sensibilités les plus diverses - ou animateur de collectifs, suivant que l'on est policier ou aimable idéologue déconnecté des réalités. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
A tous ceux, ô combien estimables ! qu'habite une authentique soif de justice, l'on est conduit à poser la question de savoir s'il est humainement admissible d'inciter, par la perspective d'une mansuétude au moins tacite, des dizaines de milliers de pauvres gens sans formation aucune à venir chercher chez nous un apaisement illusoire aux problèmes qu'ils rencontrent chez eux...
A tous ceux-là, on est conduit à poser aussi la question de savoir s'il est conforme à leur idéal de favoriser indirectement, mais inévitablement, les passeurs sans scrupules, les marchands de sommeil avides, les pourvoyeurs d'ateliers clandestins, les trublions, des cités sensibles.
Ont-ils songé, ces hommes et ces femmes généreux, que la fermeté vis-à-vis des clandestins est d'abord souhaitée et par la communauté étrangère installée régulièrement sur notre sol, qui souffre d'être confondue avec ceux qui s'y maintiennent illégalement par des artifices condamnables,...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Christian Bonnet. ... et par ceux de nos compatriotes, le plus souvent modestes, qui souffrent, quant à eux, d'un environnement trop souvent inquiétant ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce que cela a à voir ?
M. Jacques Mahéas. Et qui votent Front national !
M. Christian Bonnet. Ont-ils songé, ces hommes et ces femmes qui ont à juste titre le racisme en haine, que fermer les yeux en ce domaine devant la violation de la loi républicaine revient à favoriser le développement de cette maladie latente en France qu'est la xénophobie, et, hélas ! les progrès de ceux qui s'en font les hérauts ?
Mais venons-en à l'essentiel. Par-delà toutes ces considérations se pose un problème ramassé par Fernand Braudel en une phrase éclairante : « Déjà très diverse - ce qui fait sa richesse - la France peut-elle courir le risque de le devenir davantage encore ? »
Comment ne pas répondre par la négative à une question ainsi posée ?
Hypnotisés par la crainte de la concurrence économique des pays à faible niveau de vie, nous ne voyons pas que, pour un pays vieillissant, la véritable menace est d'ordre démographique.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Christian Bonnet. Aux problèmes de compétition entre les entreprises, il existe des solutions. A ceux qu'engendre la pression des hommes, l'Histoire enseigne qu'il n'existe guère de remèdes et qu'il serait, en tout état de cause, parfaitement inconséquent de laisser s'accroître en nombre, chez nous, ce que l'on serait tenté, l'air du temps aidant, d'appeler des « noyaux durs ».
Les Russes blancs fuyant le communisme, les Italiens et les Polonais en quête de travail dans un pays de liberté, les Juifs en proie aux persécutions et les Républicains espagnols rescapés de la guerre sont autant d'immigrés européens de souche, issus d'une même culture judéo-chrétienne et, plus sommairement, de la tradition humaniste. Ils se sont coulés sans efforts dans les replis de notre civilisation.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous y voilà !
Mme Monique ben Guiga. Mais il y a les Arabes ! Et les nègres !
M. Christian Bonnet. Mais, aujourd'hui, l'insertion de populations installées en France, certes régulièrement mais en vertu d'un choix le plus souvent tout autre que culturel, pose assez de problèmes pour nous interdire d'y ajouter ceux qui naissent d'une migration désordonnée.
M. Pierre Mauroy. Pas davantage !
M. Jacques Mahéas. Les bons et les mauvais !
M. Christian Bonnet. Professer le contraire, c'est faire preuve d'un optimisme que l'Histoire ne semble pas se soucier de ratifier. C'est témoigner d'une coupable imprudence.
Alors Premier ministre, M. Michel Rocard - s'il était présent dans l'hémicycle, je lui dirais qu'il se rassure, car je ne suis pas de ceux qui tronquent les citations ! -...
M. Jacques Mahéas. Il n'est pas loin, il est à la manifestation !
M. Christian Bonnet. ... écrivait, dans un grand journal du soir, le 24 août 1989 : « La France ne saurait accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. »
M. Guy Allouche. Tout à fait !
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais lâchez-nous un peu, avec Rocard !
M. Christian Bonnet. Précisément, l'on est en droit d'estimer qu'elle en a pris sa part, et qu'elle continue de la prendre au travers de l'accueil, généreux, de près de 80 000 réfugiés étrangers chaque année.
Mme Monique ben Guiga. Mais ce sont des regroupements familiaux !
M. Christian Bonnet. Ne l'oublions jamais, l'immigration agit à la façon d'un alcaloïde : à dose modérée, elle est un stimulant ; à dose massive, un poison pour tous, à commencer par les immigrés eux-mêmes.
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Christian Bonnet. Il en est bien conscient celui de nos éminents collègues qui, récemment applaudi par tous les membres de la Haute Assemblée debout, lors de l'éloge qu'il venait de faire d'André Malraux, n'hésitait pas, ces jours derniers, à donner pour titre à un éditorial de mise en garde : « La France survivra-t-elle ? »
Mme Monique ben Guiga. Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Christian Bonnet. Ainsi posé dans toute son ampleur, un tel problème n'est pas de ceux auxquels peuvent apporter une solution des ajustements techniques, certes indispensables, certes très bien venus, mais qui ne constituent qu'autant de réponses parcellisées à une question globale.
Une succession de ravaudages sur une étoffe fatiguée - « un manteau d'Arlequin », disiez-vous tout à l'heure, monsieur le ministre - n'a jamais eu la valeur d'une pièce de tissu neuf.
Aussi bien, sans méconnaître l'exceptionnelle difficulté de la tâche, mes amis du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même estimons-nous que le temps n'est pas loin où force sera bien de remettre - que l'on me pardonne cette expression familière - « tout à plat », dans un souci dont chacun comprendra bien qu'il ne soit pas exactement celui de notre collègue Guy Allouche.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous allons bientôt la faire, nous, cette remise à plat !
M. Bernard Piras. C'est du Maurras ou du Barrès !
M. Christian Bonnet. De tous temps et dans tous les pays, l'entrée et le séjour des étrangers ont été réglementés : la maîtrise des mouvements de population est une prérogative qui n'est contestée à l'Etat dans aucun système juridique. Or, en France, l'Etat dispose aujourd'hui d'une marge de manoeuvre dont je me suis attaché à montrer les insupportables limites.
L'affaire, au demeurant, intéresse l'ensemble du Gouvernement, tant il est vrai qu'elle concerne d'autres pays que le nôtre et qu'elle appelle une redéfinition de notre politique de coopération.
Qu'elle intéresse d'autres pays que le nôtre, les déclarations sans ambiguïté, il y a moins d'un mois, du chancelier Kohl et du président du plus puissant des syndicats allemands, IG Metall, viennent d'en apporter la preuve.
Quant à la politique de coopération, elle doit tout à la fois s'intensifier et privilégier les pays décidés à décourager les candidats au départ, en réservant un sort particulier à ceux qui se hasarderaient à contrarier le survol de leur territoire par des appareils véhiculant des actions de reconduite groupée, dont le caractère dissuasif est essentiel dans un monde où toute mesure est interprétée comme un signal.
Vaste programme, qui exige beaucoup de détermination. Mais, pour reprendre l'expression, si heureusement imagée, d'Alain Peyrefitte, « n'est-il pas temps de tirer les autruches par le bout des plumes » ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Pauvres bêtes !
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne serai pas très original en disant que nous sommes appelés une nouvelle fois à traiter des problèmes de l'immigration, sujet qui est bien souvent l'occasion de prises de position tranchées empêchant tout débat lucide et cohérent.
Certes, cela se comprend, car cette question touche à la vision que nous avons chacun de la nation, de la communauté nationale, de la citoyenneté. C'est précisément pour cela qu'il nous faut préserver une approche plus calme et pragmatique des problèmes. J'espère donc que, dans ce débat, nous éviterons quelques travers. Mais la nature même du texte qui nous est proposé va nous y aider car, je le rappelle, il porte « diverses dispositions relatives à l'immigration ».
Nous avons déjà beaucoup légiféré dans ce domaine, et le présent projet de loi ne prétend pas régler tous les problèmes que l'immigration pose à notre société. En effet, si son examen est l'occasion d'un débat sur toutes ces questions, il vise davantage à une modification technique de lois que nous avons déjà votées.
Cette modification s'imposait car, après quelques années d'expérience, on s'est aperçu que l'immigration avait évolué, puis qu'un certain nombre de personnes utilisaient la loi pour y échapper. Par conséquent, il était nécessaire que nous prenions des mesures pour essayer d'enrayer ces nouvelles formes de détournement de la loi.
C'est donc à une amélioration de l'efficacité et de la cohérence de la procédure que nous sommes invités et non à un débat idéologique qui risquerait de nous entraîner trop loin, voire de créer plus de difficultés qu'il n'en réglerait.
Toutefois, nous ne devons pas oublier que la France a toujours été un pays d'immigration et que, fidèle à sa tradition, sa vocation à rayonner dans le monde dépend de sa capacité à accueillir des étudiants, des touristes - des millions, si ce n'est des milliards au cours des années : 70 millions d'entre eux viennent tous les ans sur notre sol pour vistier notre beau pays - ainsi que des artistes, des scientifiques, de même qu'à faire connaître sa langue et sa culture.
Mais nous ne pouvons non plus laisser les frontières ouvertes sans aucune maîtrise des flux de population. C'est pourquoi la législation en la matière doit avoir pour seule finalité, en rendant plus sûre la situation des étrangers installés régulièrement sur notre sol, de combattre efficacement l'immigration clandestine.
De ce point de vue, le projet de loi initial du Gouvernement paraît équilibré puisqu'il répond aux lacunes et aux dysfonctionnements constatés dans l'application concrète et quotidienne de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France.
C'est aussi un projet équitable car, s'il renforce l'efficacité des moyens pour lutter contre l'immigration irrégulière et lève certains obstacles qui freinaient les investigations, il met fin, d'un autre côté, à des situations absurdes. En effet, peut-on admettre que, dans un Etat de droit, des personnes puissent à la fois être considérées comme suffisamment enracinées pour être protégées de l'éloignement, mais insuffisamment pour prétendre à un titre de séjour temporaire ?
Il fallait absolument mettre un terme à ces problèmes humains inacceptables, sans que cette modification de la loi provoque un « appel d'air » de l'immigration, comme cela a été le cas dans le passé.
Ce texte a donc des motifs on ne peut plus valables, tels que rendre notre droit plus applicable et mettre fin à des situations problématiques que l'affaire de l'église Saint-Bernard a révélées bruyamment cet été.
Cependant, après son examen par l'Assemblée nationale, l'équilibre de ce texte me semble quelque peu remis en question. Le dosage entre fermeté et humanité s'est transformé, par l'ajout de quelques dispositions approximatives...
M. Jacques Malhéas. C'est une litote !
M. Jean-Jacques Hyest. ... et de surcroît inefficaces, en un cocktail « détonnant » qui, s'il était laissé en l'état, porterait en germe de nombreuses incohérences, outre le fait qu'il provoquerait vraisemblablement la censure du Conseil constitutionnel pour l'un de ses articles.
J'en viens maintenant précisément au contenu du texte.
Tout d'abord, afin de mieux lutter contre la fraude résultant du détournement des procédures d'entrée et de séjour, il faut modifier la procédure des certificats d'hébergement.
Je dois avouer, après M. le rapporteur, que bien souvent les maires n'ont pas les moyens de veiller au respect des procédures.
Nous allons imposer aux hébergeants de nouvelles formes de contraintes puisqu'ils devront déclarer le départ. Je crois, monsieur le ministre, que le préfet, en tant que supérieur hiérarchique du maire dans ce domaine...
M. Pierre Mauroy. Oh !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, je suis désolé, le maire est représentant de l'Etat !
M. Pierre Mauroy. Les lois de décentralisation ont changé pal mal de choses !
M. Jean-Jacques Hyest. En tant qu'officier d'état civil, il est soumis au procureur de la République et, lorsqu'il agit comme autorité de police administrative, il est soumis au pouvoir hiérarchique du préfet ! Personne, je l'espère, n'imagine remettre en cause ces dispositions qui existent depuis que la République existe !
M. Pierre Mauroy. Je n'ai pas apprécié le terme : « supérieur hiérarchique » !
M. Jacques Malhéas. Employez une autre expression !
M. Jean-Jacques Hyest. « Autorité hiérarchique », si vous préférez, mais il n'empêche que le maire est soumis à l'autorité hiérarchique du préfet !
De même, je souhaite que d'autres magistrats, mais non juges, restent soumis à une certaine autorité hiérarchique.
Je ferme la parenthèse, car cela risquerait de nous entraîner trop loin.
Bien entendu, il reste à savoir si ce dispositif permettra, au prix de suspicions à l'égard des hébergeants, d'atteindre l'objectif visé ou si, au contraire, en compliquant la venue d'étrangers en France dans le cadre de visites familiales et privées, il ne vas pas favoriser d'autres infractions à la législation. L'avenir nous le dira.
Le renforcement des pouvoirs des services de police et de gendarmerie est la deuxième idée majeure de ce texte.
A ce titre, est donnée l'autorisation aux fonctionnaires de police de procéder à des contrôles d'identité et de la régularité du séjour sur les lieux de travail. On ne peut pas vouloir lutter contre le travail clandestin sans demander qu'il soit procédé à un certain nombre de vérifications !
Par ailleurs, la police pourra désormais, comme la douane, fouiller les véhicules utilitaires dans une zone de vingt kilomètres en deçà de la frontière française avec les Etats de l'espace Schengen. Cela me paraît tout à fait nécessaire. Dans la mesure où la douane le fait régulièrement, je ne vois pas pourquoi les services de police ne le pourraient pas, sous le contrôle, bien entendu, du procureur de la République.
Ces mesures permettront, c'est certain, une plus grande efficacité. Il n'est donc pas nécessaire d'aller plus loin et d'envisager, comme cela a été proposé, de ficher, grâce aux empreintes, toutes les personnes étrangères à l'Union européenne demandant à séjourner en France. Je fais, bien sûr, référence ici à l'article 8-3 nouveau, adopté par l'Assemblée nationale, en me réjouissant que la commission des lois ait substitué à ces mesures des dispositions qui me paraîssent tout à fait raisonnables pour assurer un meilleur contrôle de l'immigration.
Enfin, le texte tend à améliorer le taux d'exécution des mesures d'éloignement par l'adaptation des règles de la rétention administrative.
A cette fin, le délai au-delà duquel la rétention peut être prolongée sur décision judiciaire est porté de vingt-quatre à quarante-huit heures. Le juge judiciaire a ainsi plus de temps pour se prononcer en faveur d'une éventuelle prolongation. Là encore, il me semble naturel de permettre l'appel, par le procureur de la République, du sursis à exécution.
Le texte prévoit également un nouveau cas de rétention. Si sept jours après la décision d'éloignement à l'issue d'une rétention l'étranger n'a pas quitté le territoire, un nouveau placement en rétention est posssible.
La dernière catégorie de mesures dont je parlerai concernent le délicat problème des personnes en situation de vide juridique, c'est-à-dire non expulsables, mais qui n'ont pas non plus accès à une carte de séjour. L'idéal, vis-à-vis de ces cas particuliers, serait de poser le principe que toute personne non expulsable a droit à une carte de séjour. Ainsi, la suppression de la commission de séjour serait pleinement justifiée.
Le Gouvernement a préféré procéder par énumération des différentes situations concernées. J'accepte cette décision, mais je dois dénoncer certains abus, non pas dans le projet de loi lui-même, mais dans un certain nombre d'amendements, étant entendu qu'il reste toujours la possibilité aux préfets, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat il y a peu de temps, de régler les situations éminemment difficiles, car, quelle que soit la législation, on peut toujours régulariser les situations difficiles.
Au nombre des abus, il paraît injuste, par exemple, de ne pas accorder un titre de séjour aux étrangers certes en situation irrégulière, mais qui vivent en France depuis quinze ans, car, pour ces personnes, le processus d'intégration est déjà bien engagé.
De même, pourquoi retarder d'un an la régularisation de la situation des conjoints de Français ? Je ne vois pas la cohérence de la mesure puisqu'on ne peut pas les expulser.
Avant d'en terminer, je tiens à souligner que l'article 11 du projet de loi, ajouté par l'Assemblée nationale, et qui retire l'allocation familiale dans certains cas, est excessif. Il est à l'image des excès que je dénonçais au début de mon intervention et qu'il faut éviter. Il serait donc sage de supprimer cet article.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est sûr !
M. Jean-Jacques Hyest. Ne pas tomber dans l'excès, ne pas se laisser emporter par les passions qui peuvent surgir lorsqu'on parle d'immigration et, surtout, ne jamais perdre de vue le respect que l'on doit à toute personne humaine sont des principes qu'il faut toujours avoir à l'esprit avant de commencer l'étude d'un texte sur l'immigration.
A cet égard, si l'on peut comprendre les hautes autorités morales - je les comprends, car elles ont à connaître des situations individuelles - qui nous rappellent des situations humaines particulièrement dignes d'intérêt, il faut que tout soit mis en oeuvre pour éviter que les modifications successives de la loi, parfois contradictoires, ne créent de nouvelles situations difficiles.
L'efficacité des mesures évitant l'immigration clandestine est conditionnée par la rapidité, dans le respect des droits, des décisions et surtout par la qualification et le renforcement des moyens humains pour que cette politique soit lisible. Le rapprochement entre le nombre des étrangers en situation irrégulière, réel ou supposé, et le nombre de ceux qui quittent le territoire démontre, monsieur le ministre, l'ampleur et la difficulté de la tâche.
Il faut dire aussi que la complexité croissante des procédures administratives et judiciaires, telles qu'elles résultent de ce qu'il reste de l'ordonnance de 1945, ne peuvent qu'être source de conflits de droit et encouragent parfois de réelles fraudes. A cet égard, je partage quelque peu le sentiment d'un certain nombre de collègues, qui pensent que, un jour ou l'autre, nous serons conduits à examiner de nouveau les textes concernant les procédures.
Cela étant, il ne faut pas se cacher une réalité : si l'immigration doit être stoppée en raison des difficultés d'intégration croissantes des nouvelles populations immigrées - beaucoup l'ont dit - mais aussi parce que notre pays connaît, comme tous les autres pays industrialisés, les conséquences de la crise économique, souvenons-nous qu'il n'est pas si lointain le temps où l'immigration était organisée et souhaitée !
Les temps ont changé, et rien ne serait pire que de ne pas en tirer les conséquences au nom de je ne sais quelle générosité qui serait dangereuse pour les immigrés eux-mêmes et, bien entendu, pour ceux que nous ne pouvons accueillir.
Par ailleurs, nous le savons bien, nos pays continuent à être, pour nombre de personnes originaires de pays en voie de développement, principalement ceux avec qui la France a des liens historiques forts, un véritable espoir. Même si les conditions de vie y sont difficiles, beaucoup veulent venir chez nous. A défaut de pouvoir accueillir ces personnes, d'autres politiques doivent être développées, comme l'ont dit plusieurs de nos collègues.
A ce sujet, il faut rappeler à temps et à contre-temps que la diminution de la pression migratoire suppose une politique plus active de coopération avec les pays en voie de développement. Les seules mesures de police ne sauraient être pleinement efficaces et, là comme ailleurs, une réelle politique de prévention à l'échelon européen est indispensable.
Telles sont les réflexions que m'inspire, au-delà du texte qui nous est présenté, et que nous approuvons, le débat récurrent, et parfois inacceptable par son caractère raciste et xénophobe, sur l'immigration.
Je suis convaincu que, dans sa sagesse, le Sénat saura concilier fermeté, justice et humanité, comme nous le propose le Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis qu'ont été votées les lois des 24 août et 30 décembre 1993, présentées et défendues par Charles Pasqua dans des conditions qui n'étaient pas idéales puisqu'elles étaient celles de la cohabitation, une commission créée au sein de l'Assemblée nationale pour enquêter sur l'immigration irrégulière a publié, sous la signature de Mme Sauvaigo et sous la présidence de M. Philibert, un rapport lucide et courageux dans lequel elle a inventorié les artifices utilisés pour contrevenir à la législation régissant le séjour des étrangers.
Il n'en a pas fallu plus pour que les auteurs de ce document d'un intérêt capital deviennent les cibles d'une campagne visant à les déconsidérer de façon souvent haineuse et, en tout cas, révélatrice d'un esprit d'intolérance. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Cette campagne, d'une certaine manière, a atteint son objectif puisque les conclusions à tirer du travail des députés furent renvoyées à plus tard afin de désarmer la polémique.
M. Claude Estier. Renvoyées par qui ?
M. Michel Caldaguès. Or, voici qu'aujourd'hui le Gouvernement reprend peu ou prou une partie d'entre elles et nous offre donc l'occasion, en le confortant dans sa démarche, de colmater les plus criantes des brèches par lesquelles l'immigration clandestine se fraye encore un chemin.
La discussion que nous entreprenons est cependant soumise à une série de contraintes, qui me paraissent être de trois ordres : d'abord, le climat d'intolérance et d'intimidation que j'évoquais à l'instant ; ensuite, ce que l'on pourrait appeler les oubliettes ménagées par la jurisprudence ; enfin, la préoccupation de justice distributive dans laquelle semble s'être confiné le Gouvernement en ménageant dans ce texte un équilibre entre, d'une part, les sanctions et, d'autre part, les mesures de très grande bienveillance.
L'intolérance, c'est l'attitude qui consiste à s'offusquer, avec plus ou moins de précautions oratoires, de voir le Parlement manifester son souci d'enrayer l'immigration irrégulière, et de s'en offusquer en brandissant à tout propos, et hors de propos, des accusations d'électoralisme et - pourquoi pas ? - de connivence avec des idéologies condamnables.
M. Jean-Luc Mélenchon. Evidemment !
M. Michel Caldaguès. Vous voyez !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je parle de l'électoralisme !
M. Michel Caldaguès. Est-il permis d'avancer, surtout lorsque l'on n'a personnellement aucune raison objective d'être saisi par la fièvre électoraliste, que l'immigration désordonnée est génératrice de conséquences suffisamment graves pour que l'on soit fondé à s'en préoccuper au nom de l'intérêt général ? (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Il n'y a d'ailleurs aucun motif valable, en bonne démocratie, pour contester à nos concitoyens le droit d'avoir des idées sur le mode de peuplement de leur pays. C'est là une liberté collective, qui certes a pour limite les autres libertés, mais qui ne doit pas non plus être sacrifiée, sauf, là encore, à ouvrir une porte à l'intolérance.
Le respect de la personne humaine est impératif, mais nous ne devons pas oublier que la France aussi est une personne, avec son identité, avec sa culture et qu'elle a donc également droit au respect. (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Il n'est pas inutile de rappeler cela dans l'atmosphère de pression qui entoure ce débat. Nous recevons, en effet, mes chers collègues, des mises en demeure absolument délirantes.
J'ai là une lettre de deux conservateurs à la Bibliothèque nationale de France, c'est-à-dire de gens dont il serait permis de penser qu'ils sont pondérés et bien informés. Eh bien ! ils nous accusent tout simplement de vouloir installer un Etat policier ! Voilà l'atmosphère qui entoure notre débat !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils sont bien documentés, eux ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Michel Caldaguès. Savent-ils seulement ce qu'est un Etat policier ? L'Etat policier, nous sommes un certain nombre, ici, à l'avoir connu et combattu. Ceux qui n'en ont rien fait ont, certes, le droit de le condamner, mais ils n'ont pas le droit de nous donner des leçons ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n'étiez pas non plus aux guerres puniques !
M. Michel Caldaguès. J'en viens au second ordre de contraintes avec lequel nous avons à compter, à savoir la jurisprudence.
Je ne parle pas seulement de la jurisprudence en matière de contrôle de constitutionnalité, bien qu'il y ait déjà beaucoup à dire non pas seulement sur le corset qui s'impose au législateur - tout a été dit à ce sujet - mais sur le corset que le législateur tend, de plus en plus souvent, à s'imposer à lui-même, au point que l'on en est presque arrivé au stade de l'autocensure.
C'est ainsi, mes chers collègues, que, dans le rapport écrit présenté à l'Assemblée nationale sur le projet de loi dont nous discutons, sauf erreur ou omission, j'ai compté pas moins de trente-quatre références au Conseil constitutionnel. Dans le compte rendu intégral des séances, c'est cinquante-neuf fois que le Conseil constitutionnel a été évoqué ou invoqué. Autant dire que de la crainte révérencielle, naturelle lorsqu'il s'agit d'une institution hautement respectable, on en est venu à la crainte obsessionnelle. (M. José Balarello applaudit.)
Comme si cela n'était pas suffisant, le Conseil d'Etat est, lui aussi, mis en avant. J'ai lu, dans les débats de l'Assemblée nationale, que l'on pouvait reprocher à un amendement de n'être pas conforme à un avis du Conseil d'Etat. Là, franchement, je n'en reviens pas !
M. Claude Estier. Supprimez le Conseil d'Etat ! Supprimez tous les conseils !
M. Michel Caldaguès. Supprimez donc le Parlement, pendant que vous y êtes !
M. Charles Pasqua. La loi, c'est le Parlement, ce n'est pas le Conseil d'Etat !
M. Paul Blanc. Supprimez le Parlement !
M. Charles de Cuttoli. C'est nous qui avons le pouvoir de légiférer ! Les juges n'ont pas de leçons à nous donner !
M. Paul Blanc. Le pouvoir appartient au peuple !
M. Michel Caldaguès. C'est nous qui avons le pouvoir, mais tout le monde n'en est pas sûr !
J'ai lu, en effet, ces jours-ci, sous la plume d'un maître du barreau, mes chers collègues - cela vient appuyer mon propos - que « la souveraineté nationale, qui fut confondue naguère avec la souveraineté parlementaire, loin de s'opposer au pouvoir juridictionnel, doit s'exercer par l'intermédiaire de chacun des pouvoirs ». Relisez la Constitution, mes chers collègues, et vous serez quelque peu surpris de cette affirmation émanant d'un juriste !
Enfin, il n'est pas jusqu'à la jurisprudence de l'ordre judiciaire qui ne crée des situations pour le moins surprenantes pour ceux qui croient à l'existence des grands principes d'ordre public qui régissent la société dans laquelle nous vivons. J'y reviendrai en détail lors de la discussion des articles. J'ai un certain nombre de documents qui ne manqueront de susciter quelques surprises.
Dans ces conditions, il est permis de se demander, mes chers collègues, si le travail législatif n'est pas en train de devenir une sorte de jeu de l'oie dans lequel ne cesseraient de proliférer les cases punitives. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Le troisième ordre de contraintes qui pèsent sur ce débat est le cadre strict dans lequel le Gouvernement a voulu le cantonner. Vous l'avez, monsieur le ministre, très clairement souligné. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois et si le texte dont nous débattons aujourd'hui constitue la vingt-quatrième modification apportée à l'ordonnance de 1945 c'est, dans une large mesure, parce que les textes présentés jusqu'à présent n'ont pas toujours été jusqu'au bout de leur cohérence, d'où les incessantes remises sur le métier. Au dernier moment, on recule toujours un peu, mais juste assez pour ne pas assurer la cohérence des textes. Cette fois, le Gouvernement semble lié par une véritable ordonnance architecturale à laquelle nous sommes conviés à nous plier, faute de quoi l'aspect symétrique de la construction serait compromis. Il s'agit, en effet, d'une part, de resserrer le dispositif de lutte contre le séjour irrégulier et, d'autre part, de ménager de très bienveillantes portes d'entrée à ceux qui ne peuvent être ni régularisés ni expulsés. Je fais allusion ici à l'article 4.
Chacun de ces deux volets est conçu bien sûr pour épauler l'autre et pour le rectifier selon l'interlocuteur auquel on s'adresse.
Après ces observations, d'ordre général, je suis d'autant plus à l'aise pour prêter au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale des mérites non négligeables.
M. Claude Estier. Ah !
M. Michel Caldaguès. Ainsi en est-il des nouvelles dispositions relatives au certificat d'hébergement,...
M. Claude Estier. Ah !
M. Michel Caldaguès. ... aux abus en matière de demandes d'asile,...
M. Claude Estier. Ah !
M. Michel Caldaguès. ... au fichier des empreintes digitales,...
M. Claude Estier. Ah !
M. Michel Caldaguès. ... dans une certaine mesure à la rétention administrative et judiciaire, ainsi bien sûr qu'au travail clandestin.
M. Claude Estier. Vous allez en rajouter ?
M. Michel Caldaguès. Le texte peut cependant encore être amélioré sur des points qui n'affectent pas son économie générale et tel est l'objet des amendements que j'ai déposés avec un certain nombre de mes amis.
Je voudrais faire un sort particulier à l'article 3, car il m'a semblé qu'il n'était pas souhaitable d'exclure les voitures particulières des possibilités octroyées à la police en matière de visite sommaire des véhicules dans la zone Schengen.
M. Claude Estier. Evidemment !
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr !
M. Jacques Mahéas. Il faut fouiller les taxis!
M. Jean-Luc Mélenchon. Fouiller les sacoches des vélos !
Mme Joëlle Dusseau. Et des Solex !
M. Pierre Mauroy. Eh bien voyons !
M. Michel Rocard. C'est fait pour ça, remarquez !
M. Michel Caldaguès. J'y reviendrai plus longuement lors de l'examen de l'article 3, ce qui me permettra de m'attarder sur une question de principe qui me paraît de la plus haute importance.
Pour l'heure, je me bornerai à observer que la miniaturisation des références aux droits de l'homme risque de conduire à des complications de plus en plus aiguës. Véhicule utilitaire, véhicule particulier, il y aurait aussi une troisième catégorie dans la définition communautaire : va-t-il falloir annexer les catalogues des constructeurs aux manuels de droit constitutionnel ?
Ne croyez-vous pas, mes chers collègues, que l'application des grands principes doit être d'une lecture facile pour le bon sens populaire ?
Pour terminer, je voudrais vous dire combien il me paraît essentiel, à l'article 4, concernant les régularisations, de maintenir le texte voté par l'Assemblée nationale.
C'est d'abord une question de principe : est-il vraiment souhaitable d'ajouter à notre droit, déjà bien riche, la notion de prescription d'un délit sous la condition expresse qu'il soit continu ? Cela, c'est une trouvaille !
On est d'ailleurs bien en peine de trouver des arguments convaincants pour justifier l'octroi d'une carte de séjour à ceux qui sont dans une situation irrégulière depuis quinze ans. Pourquoi vouloir que les parlementaires prennent à l'aveuglette une décision de portée générale et pérenne alors que le Gouvernement dispose d'un pouvoir discrétionnaire bien suffisant pour résoudre quelques dizaines de cas auxquels il nous dit être confronté. Mystère ! J'y reviendrai plus longuement à l'occasion de la discussion de l'article 4 et je m'attacherai en particulier à démontrer minutieusement - documents à l'appui - que la bonne foi des auteurs du texte initial a certainement été surprise lorsqu'ils nous ont proposé de réserver la régularisation aux étrangers non polygames. Nous touchons là un point d'autant plus sensible, mes chers collègues, que l'on sait que les situations de polygamie avérée ont pratiquement libre cours dans notre pays...
Mme Joëlle Dusseau. Et pas que pour les étrangers ! (Sourires.)
M. Michel Caldaguès. ... et qu'elles entraînent, y compris au profit de citoyens français dès lors que leur origine étrangère s'y prête, des critères de nubilité créant des situations - j'en connais - qui tomberaient normalement sous le coup de l'article 227-25 du code pénal...
M. Bernard Piras. Eh bien, dites donc !
M. Michel Caldaguès. ... concernant les actions sexuelles sur mineurs de moins de quinze ans et cela dans l'indifférence parfaite des services publics ainsi que le montrent des pièces que je pourrais produire, dans la parfaite indifférence des services sociaux, dans l'indifférence aussi, hélas ! de nos tribunaux. Après cela, on fait des histoires pour le voile islamique ! C'est vraiment un monument d'hypocrisie, mes chers collègues, quand on sait ce qui se passe !
M. Michel Rocard. Vous avez déjà tout ce qu'il faut dans le code pénal !
M. Michel Caldaguès. En fin de compte, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis comporte incontestablement des mesures courageuses répondant aux problèmes posés par l'immigration irrégulière, nous nous devons cependant d'appeler votre attention sur l'illusion que vous risqueriez de nourrir en donnant à penser que le sujet est désormais entièrement traité ; on l'a beaucoup dit avant moi.
Oui, mais s'il n'est pas entièrement traité, pourquoi toujours remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même ? Mon cher rapporteur et ami, vous avez dit que ce n'était pas l'heure. Pourquoi n'est-ce pas l'heure ? Cela fait des années que nous débattons des problèmes d'immigration irrégulière, et c'est toujours pour le lendemain que l'on réserve des dispositions qui sont essentielles dès maintenant ! Voilà ce que je n'arrive pas à comprendre.
On n'a pas vu suffisamment tôt que l'ordonnance du 2 novembre 1945 avait été prise dans un contexte radicalement différent de celui qui s'est développé au cours des vingt dernières années, en raison d'une immigration irrégulière débridée, Il ne faut donc pas s'étonner si des conflits de textes ont conduit, avec l'aide de la jurisprudence, à des impasses juridiques. Encore faut-il ne pas résoudre ces situations par la légitimation de l'illégalité. Mais il faut aussi oser dire que la sacralisation inconditionnelle de notre droit de la nationalité s'est traduite par bien des mécomptes. Il faudra avoir le courage d'y réfléchir en sachant, par exemple - et cela sera démontré plus longuement le moment venu, lors de la discussion des articles - que leur origine étrangère peut conférer à des Français des privilèges discriminatoires - j'insiste sur le mot discriminatoire - et cela en vertu du jus sanguinis qui retrouve miraculeusement ses droits en faisant échec au jus soli dans un domaine aussi sensible que celui de l'ordre public. Cela aussi je le démontrerai.
M. Pierre Mauroy. Vous êtes dangereux !
M. Claude Estier. Même vos amis sont effondrés !
M. Michel Caldaguès. Mes chers collègues, si vous cherchez le visage de l'intolérance, ne cherchez pas plus loin, nous l'avons à domicile ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy. Il est à la tribune !
Mme Joëlle Dusseau. Regardez-vous dans un miroir !
M. Charles Pasqua. Allons, laissez parler l'orateur ! (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas un orateur ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Michel Caldaguès. Mes chers collègues, avant de terminer, je voudrais rappeler une vérité première, qui n'est pas seulement juridique mais aussi politique : nous avons à nous prononcer ici sur le texte de l'Assemblée nationale. Celui-ci a été adopté de façon résolue par nos collègues de la majorité siégeant au Palais Bourbon. Or, du côté où l'on dit parfois que le Sénat est fait pour déplacer des virgules, on a découvert une nouvelle vertu de la Haute Assemblée qui consisterait à jouer les redresseurs de torts en désavouant cette majorité de l'Assemblée nationale sur un point essentiel.
Rien ne l'interdit mais, alors, il faut y procéder avec une majorité différente qui n'est pas notre majorité et dans laquelle on comptera, par exemple, M. Allouche, qui parlait précédemment de toilettage.
Je tiens à dire que ne me sens aucunement lié à cette autre majorité. Après m'être efforcé de compléter le texte de l'Assemblée nationale, je me prononcerai en sa faveur, en particulier sur l'article 4 concernant les régularisations qui, dans le texte de l'Assemblée nationale, écarte les dispositions les plus dangereuses.
M. Jacques Mahéas. Franchement, nous avions compris !
M. Michel Caldaguès. A l'inverse des thèmes sur lesquels certains croient pouvoir engager des procès politiciens, les préoccupations que je viens d'évoquer me paraissent essentielles à la réalisation du voeu profond de ceux qui ont choisi d'être Français pour l'être à part entière, c'est-à-dire en renonçant à l'illusion multiculturelle.
C'est pourquoi je conclurai (Ah ! sur les travées socialistes) en disant : oui à l'intégration lorsque quantitativement et culturellement elle est pratiquée de façon loyale ; non à tout ce qui la compromet de propos délibéré ou par faiblesse et risquerait, si ne nous n'y prenions garde, de conduire à un processus de désintégration de la nation. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.) M. le président. La parole est à M. Badinter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Monsieur Pasqua, pourquoi partez-vous ?
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier par anticipation notre ami Jean-Luc Mélenchon. En effet, dans l'ordre logique, il serait apparu préférable que je soutienne la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nourrie de considérations juridiques, et que lui intervienne, avec sa flamme et son talent habituels, dans la discussion générale. Toutefois, il a accepté que nous permutions pour une raison simple : en y réfléchissant, j'ai constaté que c'était la première fois que j'étais conduit à m'exprimer sur la question de l'immigration ; la fonction de garde des sceaux ne privilégie pas les débats sur les lois relatives aux étrangers...
De surcroît, le Conseil constitutionnel, s'il examine très attentivement les problèmes si complexes de la législation sur l'immigration, est voué, chacun le sait, à une absolue réserve.
S'agissant donc de l'immigration, c'est, si vous le voulez bien, au regard de ce que j'appellerai notre commune identité républicaine que je voudrais, monsieur le ministre, apprécier ce que sont l'inspiration mais aussi, sans que vous vous en soyez rendu compte, je pense - car je ne doute pas de vos convictions républicaines - les conséquences de ce texte.
Votre projet de loi se veut modéré dans ses termes, limité dans ses effets. Eh bien, monsieur le ministre, ne vous y trompez pas. Comme celui que vous prétendez améliorer - je regrette l'absence de son auteur - votre texte à son tour, inévitablement, je le dis à regret, engendrera des fruits amers : la désespérance peut-être, la révolte, j'espère que non, et ce parce qu'il méconnaît la portée du message républicain en matière d'immigration.
M. le président Larché l'a rappelé - vous avez noté que les applaudissements se sont élevés exclusivement du côté gauche de l'hémicycle - ce n'est pas depuis cet été ni ces dernières décennies que la République se trouve confrontée au problème de l'immigration. Les leçons de l'Histoire à cet égard ne nous font certes pas défaut. La première et la plus évidente est que la France a toujours été une terre d'immigration et qu'elle le demeurera, j'en suis convaincu.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. D'immigration régulière !
M. Robert Badinter. Depuis que le destin de la France s'est confondu avec la République, vague après vague, le flux d'immigrants n'a jamais cessé. Parce que la France était un pays de faible natalité, il lui a fallu, nous le savons bien, faire largement appel à la main-d'oeuvre étrangère pour assurer son développement industriel, l'appel à la paysannerie n'y suffisant pas.
Ainsi sont venus les Belges et les Italiens avant 1914,...
M. Michel Rufin. Il y a eu 1,6 million de morts pendant la guerre de 1914-1918.
M. Robert Badinter. ... les Polonais et les juifs d'Europe centrale et orientale dans l'entre-deux-guerres, les Espagnols, les Portugais et, enfin, les Maghrébins. Tous ont été appelés en renfort de main-d'oeuvre à bon marché par les entreprises lors des grandes périodes d'expansion industrielle.
Mais, dans notre histoire, à chaque fois que la crise a succédé à la prospérité, on a vu renaître les mêmes tensions, les mêmes mouvements de xénophobie et de racisme, des mouvements toujours exploités par les pires démagogues et dégénérant, parfois, hélas ! en violences meutrières contre les Belges, qui représentaient 40 % des immigrés il y a un siècle, en pogroms contre les Italiens à la fin du siècle dernier et, dans l'entre-deux-guerres en excès racistes trop connus pour que je les rappelle dans notre hémicycle ou, depuis les années soixante-dix, en chasses au faciès, parfois mortelles, contre les Maghrébins.
En vérité, mes chers collègues, la xénophobie n'a pas épargné la République ; mais, à ce jour, la République a toujours dominé la xénophobie. En effet, génération après génération, le principe républicain de l'intégration a toujours permis de fondre dans la nation française, dès la deuxième génération, ces courants successifs d'immigrés.
M. Henri de Raincourt. C'est ce qui ne marche plus !
M. Robert Badinter. Si la République a surmonté ainsi les passions et les pulsions, c'est parce qu'elle repose sur la conception citoyenne d'une nation composée de femmes et d'hommes tous égaux en droit et en dignité, quelle que soit leur origine, de femmes et d'hommes partageant la même culture et le même destin.
La République a refusé aussi bien la conception allemande d'un peuple fondé sur le sang et la langue que la conception américaine d'une nation, ou plutôt d'un Etat composé de communautés d'origines diverses, partageant, certes, les mêmes institutions, mais pas nécessairement la même culture, et conservant, au sein du même Etat, des identités particulières.
La République française, elle, a été, ne l'oublions pas, toujours plus inspirée par Renan que par Barrès. C'est pourquoi elle a pu, non sans de grandes épreuves toujours renouvelées, fondre dans la communauté nationale tous les courants d'immigration.
Je ne suis pas, au regard de cette histoire, pessimiste sur l'avenir. Je suis convaincu que la République, pourvu que nous demeurions fidèles à ses principes, continuera son oeuvre et qu'elle sera fidèle à elle-même.
Quand je disais, monsieur Bonnet, que j'étais sur ce point optimiste, je n'ai pas pu m'empêcher de relever que vous aviez commis une erreur en citant notre maître, Fernand Braudel.
Dans une vision pessimiste - vous avez eu la courtoisie de le préciser, ce dont je vous remercie - vous avez dit que, comme Braudel, vous vous interrogiez : « Déjà très diverse, ce qui fait sa richesse, la France peut-elle courir le risque de le devenir davantage encore ? »
La citation exacte, la voici : « Très diverse, la France ne peut-elle courir le risque de le devenir, biologiquement, davantage encore ? » (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas. Quand vous citez des textes, faites attention !
M. Robert Badinter. Nous aimions tous beaucoup Fernand Braudel. Et parfois, on a de la mémoire ! (Sourires.)
De cette longue et souvent douloureuse histoire de l'immigration en France, il nous faut tirer aujourd'hui la leçon. Parmi ceux que l'on appelle « immigrés », et qui sont établis sur le territoire français - ai-je besoin de le rappeler ? - beaucoup sont devenus ou deviendront des Français par naturalisation. Par ailleurs, la quasi-totalité de leurs enfants, nés ou grandis sur le sol de France, sont voués à être français.
Le sort de ces immigrés-là, de loin les plus nombreux, est lié au nôtre, et leur avenir se confond avec le nôtre.
Vous me disiez à l'instant, monsieur le ministre, ou plutôt vous me murmuriez, qu'il ne doit s'agir, dans ce débat, que d'immigrés en situation irrégulière. Je vous répondrai que c'est précisément là, je le crains, que réside votre erreur de vision au regard d'un cadrage juridique.
En effet, quand on parle de l'immigration, même quand il ne s'agit que d'immigration temporaire ou illégale, il est question d'un enjeu essentiel pour l'avenir de la France et de la République : l'intégration dans la communauté nationale des immigrés déjà français ou voués inévitablement à le devenir.
Or, selon les dispositions adoptées, selon le degré de contrôle et la mesure répressive auxquels les étrangers sont soumis, ces immigrés-là, qui sont ou deviendront français, par l'effet d'une sensibilité particulière que j'ai personnellement toutes les raisons de connaître, peuvent être amenés à ressentir qu'ils seront toujours considérés comme des étrangers sur la terre de France ou comme des Français de seconde catégorie, à l'image de ceux qu'à Athènes, jadis, on appelait d'un mot que ceux qui nous ont précédé ont bien connu : les « métèques ». (M. Pierre Fauchon s'exclame.)
Or rien ne saurait être plus préjudiciable à la communauté nationale, ni plus contraire à l'idée républicaine que de laisser susciter ou de laisser se développer, à la faveur de législations successives, ce sentiment d'exclusion ou de rejet chez les jeunes immigrés de la seconde génération, qui sont ou seront français. (Absolument ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
De leur degré d'identification à la nation française dépend, pour une part, l'avenir de la République. Car, s'ils devaient s'éprouver différents des autres, à cet instant-là, ces Français issus de l'immigration se replieraient inévitablement sur des communautés particulières qui demeureraient étrangères à la communauté nationale.
Ainsi aurait-on suscité sans le vouloir ce que nous redoutons tous la fin du modèle républicain d'intégration, et ce au plus grand profit de l'extrême droite de M. Le Pen. (M. Christian Demuynck proteste.)
C'est au regard de cette exigence particulière et si forte de toute loi concernant les étrangers que votre loi, en dehors de toute considération juridique - nous en débattrons demain - se révèle, je le crains, mauvaise.
De quel message est-elle en effet porteuse, tout particulièrement à l'égard de ceux que j'évoquais et dont les valeurs et l'intérêt de la République requièrent l'intégration totale, l'adhésion entière ?
Avec ironie, on a qualifié jadis une loi célèbre de loi « de justice et d'amour ». La vôtre, monsieur le ministre, relèverait plutôt de l'ordre des lois « de police et de soupçons ».
S'agit-il de mettre un terme aux situations aberrantes, et parfois inhumaines, engendrées par les lois de 1993 qui ont été votées avec tant d'enthousiasme par votre majorité ? A l'époque déjà, les juristes attentifs pouvaient déceler les conséquences désastreuses qui résulteraient de la mise en oeuvre de certaines dispositions de cette loi.
Pour bon nombre de « sans-papiers », leur condition a été le fruit de ces textes qui interdisaient aussi bien la régularisation de leur situation que la reconduite à la frontière. Leur sort s'est inscrit dans une sorte de vide juridique, dans une zone singulière - puisque l'on ne peut pas parler de non-droit, disons d'absence de droit - suscitée par un législateur plus préoccupé, je le crains, de l'effet produit sur l'opinion publique que des conséquences humaines.
Face à une telle situation, n'aurait-il pas été plus sage, plus humain aussi, de s'en rapporter aux critères de régularisation proposés par les médiateurs des « sans-papiers » ou, à défaut, de demander l'intervention du médiateur de la République ?
Le Conseil d'Etat, consulté, a rappelé, ce qui était une évidence juridique, qu'il n'existe pas de droit acquis à la régularisation - il n'était point besoin de consulter le Conseil d'Etat pour le savoir - mais que celle-ci, en présence de situations individuelles, pouvait toujours relever d'une telle possibilité.
Quelle a été la voie choisie ? La télévision, en a donné, hélas ! des images qui saisissaient le coeur. Tout à l'heure, Michel Rocard vous dira l'impression, désastreuse pour la France, qu'elles ont donnée à l'étranger. Pour ma part, je me bornerai à une simple question : quels mouvements de l'âme de telles actions à force ouverte peuvent-elles faire naître chez des jeunes Français immigrés de la seconde génération ?
Alors, que nous proposez-vous pour prévenir le renouvellement de telles extrémités ? La logique, le bon sens, l'humanité commandaient la solution préconisée par M. Mazeaud à l'Assemblée nationale, à la page 45 de son rapport : « l'attribution, de plein droit, d'une carte de séjour à toutes les personnes non expulsables, pour peu que leur présence ne constitue pas une menace à l'ordre public... »
Mais, singulièrement, ni la majorité à l'Assemblée nationale ni vous-même, monsieur le ministre, n'avez pu vous résoudre à une pareille disposition générale de régularisation. Les cartes de séjour seront donc délivrées dans telle ou telle hypothèse, et nous savons que l'Assemblée nationale en a encore réduit le nombre.
Nous débattrons au cas par cas en montrant les limites et les conséquences de ces choix. Mais faut-il vraiment, en France, marchander à ce point la générosité et, plutôt qu'une large disposition générale réglant tous les cas, sélectionner certains et vouer les autres à l'illégalité ? Je n'emploie pas le terme de clandestinité, qui est trop chargé de sens dans un domaine où l'imagination prend trop de place, où les phantasmes sont redoutables et où les périls sont masqués par l'ombre.
Pourquoi refuser la proposition du président Mazeaud ? Quel risque faisait-elle courir ? Quelle impression une pareille frilosité dans la régularisation des situations les plus cruelles peut-elle susciter dans le coeur de ces jeunes immigrés qu'il s'agit d'intégrer, sans réticence et avant tout, à la communauté nationale ?
J'en viens au deuxième volet de votre texte, monsieur le ministre : le renforcement des dispositions répressives à l'encontre des étrangers en situation irrégulière. Nous en débattrons également.
Nous aurons aussi l'occasion d'examiner leur portée et, éventuellement - mais, sur ce point, je rends hommage à l'habilité et à la précision de notre excellent rapporteur, M. Masson - d'en écarter certaines où j'ai décelé un certain parfum d'inconstitutionnalité.
A propos de ces dispositions, on a évoqué le manteau d'Arlequin, une mosaïque, un patchwork. En tout cas, une sorte de fil rouge court à travers ces dispositions et leur donne au moins une unité d'inspiration : la volonté d'accroître, autant que faire se peut, dans les limites de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les pouvoirs de l'administration, de réduire les garanties et les droits reconnus aux étrangers en situation irrégulière, de rendre toujours plus difficiles la venue et l'hébergement temporaire de parents et d'amis étrangers, au moins de ceux qui sont originaires des pays les plus pauvres et les plus défavorisés.
L'inventaire, le catalogue de ce que vous nous proposez, est, à cet égard éloquent. Quelle inflation de mesures coercitives ! Une simple énumération suffit pour en prendre conscience : relevés d'empreintes et création d'un fichier dactyloscopique ; visites sommaires et immobilisations de quelques heures des véhicules autres que les voitures particulières dans la zone frontière de Schengen ; extension des contrôles d'identité aux personnes se trouvant dans les locaux professionnels ; retenue du passeport de l'étranger en situation irrégulière contre remise d'un récépissé.
Je poursuis l'énumération dans le domaine de la rétention administrative : doublement des délais de rétention avant l'intervention du juge judiciaire de vingt-quatre à quarante-huit heures ; refus de proroger de la même durée le délai de vingt-quatre heures accordé à l'étranger pour exercer les voies de recours ; droit pour le ministère public, et lui seul, si le juge met un terme à la rétention administrative, de demander que l'appel soit déclaré suspensif et l'étranger, du même coup, maintenu en détention ; élargissement du domaine de la rétention judiciaire.
Par ailleurs, les conditions de renouvellement de la carte de résident sont si obscures que j'attends des explications pour mesurer la précarisation éventuelle qu'elles risquent d'engendrer. Mais, surtout, pourquoi attenter au droit d'hébergement ? Pourquoi cette obligation faite à celui qui entend recevoir parents, amis ou fiancé d'en aviser l'autorité municipale ? Il va falloir dénoncer leur départ à la mairie. On évoque la possibilité de visites inopinées d'agents de l'OMI, qui, en vérité, ont bien autre chose à faire !
Vous me direz que ces dispositions ne peuvent gêner que les étrangers en situation irrégulière. Hélas, non ! Par ricochet, elles blesseront aussi les immigrés voués à demeurer en France et qui, pour beaucoup, sont déjà ou deviendront Français. C'est à eux que certains maires refusent déjà les certificats d'hébergement. Et quand ils les auront obtenus, que leur demandera-t-on ? De dénoncer non seulement l'arrivée en France, mais aussi le départ de leurs parents, de leur fiancé. Mettons-nous dans la situation de chacun de ceux-là. Qui ne voit ce que pareille exigence peut susciter chez des âmes fières et sensibles, surtout chez les jeunes gens ?
Quelle aberration de vouloir aller toujours plus loin dans la voie du fichage, du contrôle, des surveillances ! En cet instant, je me souviens avec amertume de ce brillant jeune étudiant tunisien qui est venu m'annoncer son départ tant il était las d'être systématiquement interpellé, contrôlé, fouillé sans ménagement, et m'en donnait les détails. Aurait-il été traité différemment s'il avait été Français, né en France, d'origine tunisienne ?
Pensons-y toujours quand nous légiférons. La France ne doit pas être terre d'accueil et patrie des Droits de l'homme uniquement dans les grands discours à l'usage des forums internationaux.
Reste la question politique. Grâce à ces dispositions qu'une partie de votre majorité souhaiterait encore durcir - tenez ferme, à l'image du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Mazeaud - vous espérez détacher de la tentation du Front national une partie des électeurs. Quelle erreur ! En durcissant toujours plus les lois contre l'immigration au-delà du nécessaire, en inventant des dispositifs toujours plus complexes et qui heurtent toujours plus les sensibilités, vous accréditez de plus en plus, dans l'opinion publique, le discours du Front national sur l'invasion de la France par des hordes d'immigrés clandestins ! Vous assurez ainsi ses succès électoraux puisque, dans ce domaine, il pourra toujours affirmer que vous ne serez jamais que sa pâle copie - tant mieux pour vous ! - et qu'il vaut toujours mieux préférer l'original.
Il y a pis encore : des lois telles que celle-ci nourrissent inévitablement dans les esprits la plus dangereuse confusion. L'amalgame se fait entre étrangers entrés en fraude et étrangers devenus des « sans-papiers » ; l'amalgame se fait entre étrangers en situation irrégulière et immigrés qui ne le sont pas, puis entre immigrés et délinquants et, finalement, entre immigration et insécurité, renforçant par là même la confusion entretenue par le Front national.
Votre projet de loi, même pavé de bonnes intentions, en même temps qu'il nous aliène les coeurs de tant de jeunes Français issus de l'immigration ouvre un boulevard non seulement aux succès électoraux du Front national, mais, ce qui est plus grave encore pour nous tous,...
M. Alain Joyandet. C'est vous qui avez créé le Front national.
M. Robert Badinter. ... aux progrès incessants de son idéologie xénophobe, à ce que j'appellerai la « lepénisation » des esprits. (Applaudissements prolongés sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de M. Jacques Valade.)